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Damien Lefébure, un lieutenant de 38 ans, et Frédéric Marois, son nouveau partenaire, enquêtent sous les ordres du commissaire Beuzen sur une série de meurtres dans Granville, petite cité portuaire de la Manche. Le 20 janvier 2023, le riche mareyeur Antoine Boscher est retrouvé assassiné chez lui. Les enquêteurs découvrent ensuite les cadavres de sa femme, d’un pêcheur local et du chef cuisinier de l’unique hôtel-restaurant des Îles Chausey. Alors que les mystères s’accumulent, la relation entre les deux inspecteurs se tend, et l’enquête prend une tournure de plus en plus sombre et complexe.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Vivier a écrit plusieurs pièces de théâtre jouées en France et dans d’autres pays. Cet ouvrage est un autre maillon de la chaîne importante que constitue l’ensemble de ses ouvrages.
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Michel Vivier
Turbulences à Granville
Roman
© Lys Bleu Éditions – Michel Vivier
ISBN : 979-10-422-3142-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
– Le bout du monde, L’Harmattan, 2016 ;
– La ferme des Lebellec, L’Harmattan, 2017 ;
– À marée basse, Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;
– Circumterrestre, Le Lys Bleu Éditions, 2020 ;
– Monsieur Jourdain on stage, Les éditions du Parking, 2020 ;
– L'année du confinement, Les éditions du Parking, 2020 ;
– Paul ou presque, Le Lys Bleu Éditions, 2023.
Vendredi 20 janvier 2023. 23 h 11
Granville, la Monaco du Nord. Nuit de tempête. Fouettée par les rafales glaciales du vent de noroît, la pluie tombait de plus en plus dru depuis le début de la soirée. Les gouttières avaient maintenant d’énormes difficultés à suivre le rythme, elles étaient en train de perdre le match. L’eau dévalait la petite rue à gros bouillons… Le vent, par à-coups, essayait obstinément d’arracher les ardoises des toits, certaines commençaient à lâcher prise… Au-delà des remparts, on entendait les vagues se fracasser contre les rochers, la Manche attaquait la Haute-Ville…
Il était un peu plus de vingt-trois heures lorsque le taxi s’arrêta devant le 67 de la rue Notre-Dame à Granville…
— Dix euros cinquante, madame, s’il vous plaît.
Françoise Boscher, adjointe aux affaires culturelles de la ville, revenait d’un conseil municipal houleux, les sempiternelles histoires de subventions… Trop pour les uns, pas assez pour les autres…
Durant ce temps, son mari, Antoine Boscher, en avait profité pour inviter quelques potes à faire un poker après une bonne petite bouffe. Boscher, c’était le roi des fruits de mer ! Étant mareyeur de profession, il était bien placé pour le ravitaillement…
Françoise ouvrit son sac à main, puis son portefeuille et s’aperçut qu’elle n’avait plus assez de liquide pour payer la course.
— Je suis désolée, attendez-moi un instant, je vais chercher de quoi vous régler…
Elle sortit du taxi pour se précipiter chez elle à travers les rafales qui s’engouffraient rue Notre-Dame. Bizarrement, la porte de la maison était grande ouverte et un volet claquait au vent…
Christian, le chauffeur de taxi, venait d’allumer RTL, c’était la fin des informations. Comme souvent, Caen avait perdu. Contre Ajaccio cette fois-ci. À Caen ! Score 0-1. Ce n’était certainement pas encore cette année qu’ils allaient remonter en L1, c’était couru d’avance… Depuis deux ans, il n’y arrivait plus et…
Soudain, une sorte de hurlement strident se fit entendre à l’intérieur de la maison, suivi d’une chute, de bruits de chaises renversées, de verres cassés et de vaisselle brisée…
Christian sortit rapidement de la voiture et se précipita dans le vestibule de Madame Boscher. Le carrelage de l’entrée était trempé et les rafales de vent faisaient trembler l’atmosphère apocalyptique de la salle à manger… Derrière les chaises, il entraperçut d’abord les deux talons aiguille, puis les jambes, le tailleur fuchsia et enfin le chignon défait de la propriétaire. Elle était évanouie, étalée de tout son long au milieu des divers ingrédients d’un repas qui manifestement s’était assez mal passé… Les homards, les bouquets, les langoustines, les huîtres et autres bulots se battaient en duel sur le carrelage, un bol de mayonnaise s’était violemment écrasé sur le mur, ayant apparemment raté sa cible, les bouteilles de Muscadet et les verres renversés gisaient sur la table. Un jeu de cartes barbotait dans l’évier. Une radio continuait de crachoter une musique de jazz, en sourdine… Tout laissait à penser que les convives avaient dû quitter la table précipitamment, laissant la porte ouverte derrière eux…
Une épaisse et large trace de sang menait vers l’une des chambres de la maison. Comme si l’on avait traîné un corps sur le sol. Une faible lumière de veilleuse semblait allumée dans la pièce. Les deux pieds d’un homme allongé sur la moquette dépassaient dans l’embrasure de la porte. Christian s’avança précautionneusement… Son sang se glaça instantanément, il demeura figé sur place, dans l’impossibilité de bouger un seul membre. Une fine sueur se mit à perler sur ses tempes… Ce qu’il découvrait dépassait l’entendement…
Antoine Boscher était mort, assassiné, un énorme pic à glace rouge enfoncé au fond de la gorge.
Christian attrapa son portable, chercha le numéro du commissariat et appela.
— Allo, je suis bien au commissariat ? Amenez-vous au 67 rue Notre-Dame, dans la Haute-ville. Vous n’allez pas être déçus…
— Qui êtes-vous, monsieur ?
— Je suis chauffeur de taxi, je viens de ramener Madame Boscher chez elle, l’adjointe aux affaires culturelles. Elle n’avait pas assez de liquide pour me régler, alors elle est entrée chez elle en chercher et c’est là que j’ai entendu un hurlement. Je me suis précipité et… Madame Boscher est là, évanouie par terre dans la cuisine parmi les fruits de mer et la vaisselle cassée. Le cadavre de son mari gît dans une mare de sang à l’entrée de la chambre…
— 67 rue Notre-Dame, c’est ça ? On arrive. Surtout, ne touchez à rien, remontez dans votre voiture et attendez-nous sur place…
« Antoine Boscher, 58 ans, figure bien connue des pêcheurs granvillais, a été retrouvé mort hier soir vendredi à son domicile de la Haute-Ville. Il aurait été assassiné sauvagement dans des conditions que nous ne pouvons décrire ici. D’après les premiers éléments en notre possession, il semblerait qu’une soirée entre amis aurait mal tourné. L’enquête a été confiée au commissariat de Granville qui a commencé les premières investigations… »
Le couple Boscher représentait une des plus grosses fortunes de la Manche. Antoine Boscher était le descendant d’une vieille famille d’armateurs terre-neuvas, ces bateaux qui partaient pour sept à huit mois pêcher la morue vers les fameux « grands bancs » au large de l’Amérique du Nord… Après l’effondrement des stocks de morues à la fin des années quatre-vingt, Auguste Boscher, le père d’Antoine, se rabattit vers le mareyage, métier qui consiste à acheter le poisson, le préparer et le revendre à des commerçants en gros ou en détail. En 1995, Antoine avait repris et fortement développé l’affaire de son père, « Les mareyages de la Manche » et depuis cinq ans, racheté son seul concurrent, « Le mareyeur granvillais », créant ainsi un monopole qui avait fait grincer quelques dents au sein de la communauté portuaire…
En plus de son activité de mareyage, Boscher avait par ailleurs créé une conserverie artisanale, qui fonctionnait plutôt bien. Soupes de poissons, maquereaux marinés, bisques de homards, de langoustines et autres gourmandises maritimes, le tout proposé dans leur boutique de la rue du Port, « Les viviers de Granville », à quelques pas de la criée. Bref, le chiffre d’affaires des « Mareyages de la Manche » était l’un des plus florissants du département. De quoi peut-être aiguiser certaines envies, ou quelques jalousies, rancœurs et autres animosités.
C’était le lieutenant de police Damien Lefébure, 38 ans, qui était chargé des enquêtes criminelles, sous la direction du commissaire Charles Beuzen, à deux ans de la retraite. Né à Coutances, Damien était ensuite venu habiter dans la Monaco du Nord, ses parents ayant acheté un magasin de vêtements rue Lecampion. Il avait fait toutes ses études à Granville, d’abord en primaire à l’école Jules Ferry, puis au collège Malraux dans la Haute-ville et enfin au lycée La Morandière. Après deux années passées à la fac de Caen en droit, où il avait semblé plus intéressé par la fréquentation des futures avocates que par les cours de droit civil ou constitutionnel, il avait rejoint l’École nationale supérieure des officiers de police dont il était ressorti parmi les meilleurs de sa promotion. Affecté trois ans en banlieue parisienne, à Roissy-en-France, où il avait rencontré Agathe, sa future femme, alors hôtesse de l’air chez Ryanair, il avait réussi à se faire muter à Granville à l’aube de ses vingt-huit ans. Il allait être promu capitaine dans les prochains mois et envisageait ensuite de passer commissaire, éventuellement afin de remplacer Beuzen. Les enquêtes criminelles le passionnaient, mais cela faisait maintenant plus de dix ans qu’il arpentait les rues de Granville, station balnéaire et cité portuaire paisible de la baie du Mont-St-Michel, sans avoir jamais vraiment eu l’occasion d’utiliser ses talents de fin limier. Un boulot un peu routinier pour lui, sans grandes énigmes à résoudre. Quelques cambriolages, ivresse sur la voie publique, violences aggravées ou agressions sexuelles, bref, du tout-venant…
Dès le lendemain du crime, à huit heures, assistés du sous-lieutenant Marois, 27 ans, nouvellement arrivés au commissariat de Granville, Beuzen et Lefébure étaient sur les lieux.
La veille au soir, Madame Boscher, après son évanouissement, avait été emmenée à l’hôpital pour des examens et la maison de la Haute-ville mise sous scellés… Le corps d’Antoine Boscher avait été extrait pour autopsie, et la conclusion du médecin légiste confirmait l’assassinat du mareyeur à l’aide d’un pic à glace enfoncé violemment à plusieurs reprises dans la gorge de la victime. Au moins trois fois, précisait-il. Plus une fois dans le cœur… Et certainement en début de soirée, aux alentours de vingt heures, avait rajouté le médecin légiste.
Rue Notre-Dame, la scène du crime était restée intacte. Seul le pic à glace avait été emmené pour examiner les éventuelles empreintes laissées par l’assassin…
Apparemment, la « bonne petite bouffe aux homards » n’avait pas eu lieu puisque la majorité des ingrédients prévus à cet effet se trouvaient éparpillés sur le carrelage de la salle à manger… Par contre, deux bouteilles de whisky à moitié vides et une de Pastis bien entamée attestaient de la vitalité de l’apéro !
Le sous-lieutenant Marois prenait des notes, faisait des photos…
Lefébure carburait, il était enfin sur une grosse affaire… Charles Beuzen, de son côté, réfléchissait à cette tragédie locale qui allait compliquer sérieusement son train-train quotidien. Le dernier crime dont il avait eu affaire devait remonter à plus de vingt ans. Une sombre histoire de vengeance sur fond de misère et d’alcoolisme. Il n’avait d’ailleurs jamais réussi à trouver le coupable, mais cela ne le perturbait pas plus que ça. Cette histoire était maintenant classée, elle faisait partie des Cold Case granvillais.
Mais ce matin-là, au 67 de la rue Notre-Dame, ça cogitait dur sous la casquette du commissaire.
— On ne peut pas assassiner un homme à plusieurs et s’échapper comme ça, comme si de rien n’était…
— On va vite déterminer qui étaient les invités de cette soirée…
— Ce n’était certainement pas des inconnus…
— On va commencer par interroger Françoise Boscher, elle doit savoir qui étaient ces gens…
— Sans doute des habitués, des amis… Mais pourquoi ?
— Tout cela ne tient pas debout… »
Tout en faisant ses photos, Marois se disait que tout cela avait peut-être l’air trop bien disposé, trop évident. On avait peut-être voulu « faire croire » à une bagarre…
— Et si c’était une mise en scène ?
— Une mise en scène ? répliqua Lefébure. T’as trop d’imagination, Marois, ça te jouera des tours. Non, c’est plus simple que ça, ils se sont foutus sur la gueule, c’est tout. T’as vu ce qu’ils ont descendu comme apéros, ils étaient sûrement déjà bien entamés, ils se sont engueulés pour une histoire de poker, ou de pêche, ou de bonnes femmes, j’en sais rien, et puis ça a dégénéré, c’est pas plus compliqué que ça… Après…
— Oui, mais enfin, le pic à glace ? On n’est plus dans le domaine de l’engueulade, là… répliqua Beuzen, émergeant de ses réflexions…
— Et puis, ils étaient trois. Il y en a quand même bien un qui serait intervenu pour arrêter le massacre, non ? renchérit Marois.
— Ou alors, deux sont partis d’abord, au plus chaud de la bagarre, et celui qui est resté a pété les plombs et a fini le boulot, conclut Lefébure.
— En tous cas, dit le commissaire, il va falloir résoudre ce pataquès, parce que Boscher, à Granville, c’était pas n’importe qui ! Ça va causer dans le landerneau !
Madame Boscher était ressortie de l’hôpital en fin de matinée après les examens d’usage et avait averti le commissariat qu’après l’enterrement de son mari prévu le lundi après-midi, elle comptait passer quelques jours de repos dans la petite maison de pêcheurs que sa sœur possède à Chausey, archipel situé à trois quarts d’heure de bateau, mais qui fait partie de la ville. C’est d’ailleurs administrativement considéré comme un quartier de Granville. Le commissaire Beuzen lui avait quand même demandé de passer à son bureau avant de partir sur l’île afin de répondre à quelques questions. Le rendez-vous avait été fixé au mardi suivant…
Mardi 24 janvier, 9 h 10
Ce mardi matin, comme convenu, madame Boscher se présentait au commissariat, sur le port de Granville.
— Madame, s’excusa Beuzen, je suis désolé de vous importuner dans ces moments difficiles, mais il faut qu’on avance, et vous pouvez sûrement nous aider… Vous êtes ressortie quand de l’hôpital ?
— Hier matin. Ma sœur m’a accueillie chez elle parce que vous comprenez bien que je vais ne pas pouvoir me réinstaller dans la Haute-Ville. J’y suis passée ce matin récupérer quelques affaires, mais c’est très dur… L’image ensanglantée de mon pauvre Antoine est gravée dans ma tête pour toujours… Mon Dieu, quelle cruauté ! Antoine, c’était la crème des hommes. Un peu dur en affaires, peut-être, mais correct, droit comme un i…
Françoise Boscher est au bord des larmes.
— Votre sœur ?
— Oui. Yvonne. Yvonne Pivert. C’est la femme de Gérard Fleury qui tient un magasin d’instruments de musique, dans la zone commerciale. Ils ne sont pas mariés.
— Ils habitent Granville ?
— Oui, au début de la rue Couraye, au-dessus de la bijouterie.
— Vous habitez chez eux, en ce moment ?
— Oui. Et comme je vous l’ai dit, je ne veux pas retourner dans notre maison, je ne peux pas, ça m’est impossible… Mais j’ai aussi besoin d’être seule. Yvonne m’a proposé d’aller passer quelques jours dans sa maison, à Chausey. Il faut vraiment que je m’isole quelque temps, que je fasse le point, réfléchir à tout ça. Je prends la vedette cet après-midi…
— Bien sûr, c’est difficile, je comprends. Avez-vous la moindre idée de qui aurait pu commettre ce… ce carnage, madame Boscher ?
— Bien sûr que non, c’est tellement… incompréhensible. Qui a pu s’acharner ainsi sur Antoine ? Depuis samedi, mon téléphone n’arrête pas de sonner, la famille, les amis… Personne ne comprend…
Françoise Boscher est en larmes. Le commissaire lui offre un mouchoir en papier.
— Je respecte votre émotion, madame, mais il faut nous aider à débusquer ce ou ces salopards, vous êtes d’accord ?
— Oui… Oui… Mais franchement, je ne vois vraiment pas qui ça peut être… Il y avait bien quelques embrouilles de temps à autre au niveau des affaires, mais de là…
— Avez-vous l’impression qu’on vous a volé quelque chose, madame Boscher ?
— Je suis retournée à la maison ce matin, avec Yvonne. Quel vide ! Quelle sensation de désolation ! Pourtant, à part la cuisine bien sûr qui est dans un état épouvantable, rien ne semble avoir été bougé, ni volé.
— Vous aviez des choses de valeur chez vous. Je veux dire des tableaux de maître, des porcelaines, des bijoux ?
— Mes bijoux sont toujours à la même place, pourtant ils étaient bien en vue dans la salle de bain. Quant aux tableaux, non. Que des peintres locaux, des amis amateurs, sans très grande valeur marchande…
— Donc, à première vue, rien n’aurait été subtilisé ? Le vol ne serait pas le mobile du meurtre…
— C’est-à-dire… Il y a une clé que je ne retrouve pas…
— Une clé ?
— Oui… Nous avons un petit coffre-fort dans la chambre où nous déposions certaines liquidités et quelques papiers importants. Mon mari rangeait toujours la clé dans le tiroir de sa table de nuit. Elle n’y est plus…
— Il y a beaucoup d’argent dans ce coffre ?
— Oh non, pas vraiment… Vous savez, l’argent en espèces ne court plus les rues aujourd’hui, on paie tout par carte bancaire, même les baguettes de pain, alors…
— Et il a été ouvert ?
— À vrai dire, je ne sais pas… En tous cas, il est fermé.
— Votre mari aura peut-être oublié la clé quelque part dans la maison. Et puis il y a certainement un code, en plus de la clé ?
— Oui… Oui…
— Très bien. Tenez-nous quand même au courant pour cette histoire de coffre, si jamais vous retrouviez cette clé, d’accord ? Sinon, on va le faire ouvrir par un serrurier. Pour revenir à la soirée de vendredi, vous connaissez certainement les personnes qui devaient être présentes à cette partie de poker ?
— Oui, je pense… Vous savez, ce sont toujours les mêmes, des amis de longue date. Je pense qu’il devait y avoir Henri Lemarre, le patron-pêcheur du « Marie-France III »… Guy Mousquet, un de ses matelots… et le quatrième certainement monsieur Desjardins, qui travaille au Crédit Mutuel, il est souvent là lors de ces soirées… Mais il est impensable que…
— Personne d’autre ?
— Monsieur le commissaire, le poker, ça se joue à quatre, si je ne m’abuse… Je ne sais pas, je suis partie à dix-huit heures trente, ils n’étaient pas encore arrivés. Ah, il y a aussi Madame Ronchi qui vient de temps à autre, elle aime bien le poker aussi… Mais je ne sais pas si elle était de la partie hier…
— Qu’est-ce qu’elle fait dans la vie, cette dame ?
— Elle tient un institut de beauté rue Couraye, massages, etc. Le Beauty Saloon…
— OK… Eh bien, on va commencer par aller voir tous ces gens…
Et… Votre mari n’avait pas de fréquentations autres ?
— Quels genres de fréquentations ?
— Je ne sais pas. C’est à vous de me le dire.
— À quoi tentez-vous de faire allusion ? Son rapport avec les femmes ? C’est de ça que vous voulez parler, non ?
— Pourquoi pas ?
— Oui… C’est vrai qu’il aimait beaucoup la présence féminine autour de lui…
— Mais encore ?
— Vous savez, je n’étais pas dupe. Je sais que ça lui arrivait de me tromper. Ça lui est arrivé plusieurs fois, mais ça ne durait pas, il était très volage… Même avec ses maîtresses…
— On le voyait souvent à la capitainerie, paraît-il ?
— Oui… Peut-être… Pour le travail… Mais, je vais vous dire, on avait un accord tacite. Chacun était libre. Bon, pour ma part, personnellement je n’en ai pratiquement jamais profité si c’est ce que vous voulez savoir. Quant à Antoine… oui… D’ailleurs, des amies… Enfin, des amies… Vous savez ce que c’est… Enfin bref, certaines connaissances bienveillantes m’ont laissé entendre qu’il avait une relation épisodique du côté du port depuis quelques semaines.
— Et vous n’avez même pas une petite idée de la… relation en question ?
— Il y a pas mal de femmes qui travaillent dans ce secteur. La capitainerie, mais aussi le Yacht-club, l’hôtel Ibis, les restaurants… Je n’ai pas mené d’enquête, monsieur le commissaire. Disons que… j’ai quelques soupçons.
— Et ?
— Non, excusez-moi, je ne sais pas, je ne suis sûre de rien. Et puis, non… Vous savez, je ne suis pas une fervente partisane de la délation. Faites votre travail, monsieur le commissaire, vous trouverez peut-être si cette soi-disant fréquentation a un rapport avec l’assassinat d’Antoine… Un crime de jalousie, alors ?
— Pourquoi pas ? Très bien. Je n’exclus pas la possibilité de vous demander de revenir répondre à d’autres questions. Je vous remercie, madame Boscher, reposez-vous bien à Chausey, à bientôt sûrement.
— Lefébure, Marois…
— Oui monsieur le commissaire ?
Damien Lefébure et Fred Marois étaient dans leur bureau. Ils avaient participé le lendemain du crime à une inspection minutieuse de la maison de la rue Notre-Dame et n’avaient trouvé aucun indice sérieux qui puisse les mettre sur une piste. À part l’état apocalyptique de la cuisine, aucune pièce ne semblait avoir été fouillée, aucun meuble ouvert, déplacé… Suite à son entretien avec Françoise Boscher, Beuzen leur remit la liste des gens possiblement présents ce vendredi soir.
— Allez me voir tout ce monde-là. Emplois du temps, niveau de relation avec le mareyeur, etc. Je veux tous ces renseignements au plus vite. Exécution !
Exécution ! En partant, Marois s’aperçut que le commissaire était en charentaises derrière son bureau ! « Ça sent la retraite », pensa le sous-lieutenant…
Mercredi 25 janvier, 10 h
C’est Lefébure qui se chargea du Beauty Saloon. Madame Ronchi, belle femme d’une cinquantaine d’années, était bien sûr au courant du drame de la Haute-ville.
— Vous savez, dans une petite ville comme Granville, les informations circulent tellement vite, de boutique en boutique. Quel malheur ! Mais qui a bien pu commettre une horreur pareille. Antoine, un homme charmant, un peu rustre peut-être parfois, mais… Faut être cinglé pour faire un truc pareil ! Mon Dieu…
Elle confirma aller de temps en temps jouer aux cartes dans la Haute-ville, mais pas ce vendredi dernier, elle avait fini trop tard et de toute façon n’avait pas été mise au courant de cette soirée…
— Oh, je n’y suis allée que très rarement. C’est surtout lorsqu’Antoine passait se faire masser, alors il m’en parlait et si j’étais libre, c’était avec plaisir. C’est arrivé deux ou trois fois. En général, je sais qu’il jouait toujours avec les mêmes personnes, mais je ne sais pas très bien qui étaient ces habitués… Des gens de la pêche, sans doute…
— Que des personnes du milieu marin ?
— Moi, la dernière fois que j’y suis allée, oh ça doit remonter à plus d’un an, je me souviens quand même qu’on avait joué avec un employé du Crédit Mutuel, l’agence de la rue Lecampion. L’autre personne, je ne la connaissais pas, mais c’était quelqu’un du milieu maritime parce qu’il n’arrêtait pas de parler de bateaux, de tonnages, de quotas de pêche, etc. C’était d’ailleurs très pénible. C’est vrai, quand on joue, on a besoin de se concentrer, surtout au poker !
— Très bien madame Ronchi. Et donc, vendredi soir ?
— Vendredi ? À dix-neuf heures, j’étais au THV, le théâtre de la Haute-Ville, au 51 rue Notre-Dame. Vous savez, anciennement, le Théâtre de la Presqu’île. Tout près de chez les Boscher d’ailleurs. Il y avait une soirée slam, j’adore ! Et ça a dû finir vers vingt et une heures. Il faisait un temps de cochon, de la grosse pluie et un vent, à décorner les bœufs comme on dit. Et puis, là-haut, quand il y a de la tempête, ça souffle, hein ! Comme j’étais à pied, un ami s’est proposé pour me raccompagner en voiture. Il pourra vous le confirmer, si besoin.
De leur côté, Lemarre et Mousquet étaient partis en marée dès le samedi matin à cinq heures et ne seraient pas joignables avant le lendemain en fin d’après-midi.
Au Crédit Mutuel, Fred Marois demanda à rencontrer Desjardins qui l’invita à venir dans son bureau…
— Oui, je sais… J’ai appris ça… Quel drame ! On avait encore bu un verre ensemble jeudi dernier… C’est d’ailleurs là qu’il m’avait invité à cette partie de poker prévue le lendemain avec l’équipe habituelle…
— Donc ce vendredi, vous étiez dans la Haute-Ville, au 67 rue Notre-Dame ?
— Dans la Haute-Ville, chez ? Ah oui, j’aurais dû… Non, effectivement, je devais en être… Mais cette soirée n’a pas eu lieu.
— Comment ça ?
— J’ai reçu un message d’Antoine vers dix-neuf heures indiquant qu’il ne se sentait pas très bien et que du coup il préférait annuler…
— La soirée poker avait été annulée ?
— Absolument !
— C’est Boscher lui-même qui a envoyé le SMS ?
— C’est sur WhatsApp, on a un groupe « poker ». Henri et Guy l’avaient vu aussi, on s’est appelé quelques instants plus tard pour confirmation…
— Vous dites que vous trois étiez invités chez Boscher et qu’il a décommandé vers dix-neuf heures ?
— Écoutez, c’est simple, j’ai encore le message… Tenez… vendredi 20 janvier, dix-neuf heures et huit minutes…
« Les gars, je ne suis pas très en forme ce soir, je vais me coucher. Si vous voulez bien, on reporte… Désolé. Je vous rappelle demain. »
— Il n’y a pas d’histoires de dettes de jeu entre vous, non ?
— Oh vous savez, on ne jouait pas des grosses sommes, hein. C’était vraiment pour le plaisir du poker, le reste…
C’est bien ce que je pensais, se dit Fred Marois en sortant de la banque, ça aurait été évidemment trop simple ! Oui, mais alors, pourtant, la table avait bien été mise, les fruits de mer installés, on y a bu du whisky, du pastis… Et puis ça a dû dégénérer, vu l’état dans lequel se trouvait la cuisine… On s’est envoyé les fruits de mer à la figure… Et puis…
Qui ?
Pas les membres de l’équipe habituelle du poker, apparemment… Après le message du mareyeur, Desjardins s’était fait des pâtes, puis avait regardé la télé, « Meurtre à St-Jean-des-Landes » sur la Trois. Il nous a raconté l’histoire, le maire de la commune retrouvé noyé, pieds et poings liés sur la plage, à marée basse… Et il savait qui était l’assassin…
De l’autre côté, les femmes de Lemarre et Mousquet avaient indiqué à Fred que finalement, après le coup de téléphone de Desjardins. Le poker étant annulé, les Lemarre avaient invité les Mousquets à faire une belote après manger… Les Mousquets avaient gagné, et Henri Lemarre avait fait la gueule toute la soirée !
— On a vérifié scrupuleusement tous les alibis, chef, les emplois du temps, etc. On a recoupé les informations. Madame Ronchi n’y est pas allée depuis plus d’un an. Et pour les trois habitués, aucun ne pouvait être sur les lieux du crime ce vendredi 21 janvier aux alentours de vingt heures.
— Très bien. Il va quand même falloir interroger Lemarre. Il était très proche de la victime, il peut peut-être nous mettre sur une piste. Je me suis renseigné, le « Marie-France III » rentre de pêche demain en fin d’après-midi.
— D’accord. On s’en occupe. On ira le cueillir au cul du bateau…
Mercredi 25 janvier, 17 h 30
Lefébure et Marois s’étaient assis sur des cordages installés sur les quais, face à la place d’amarrage du « Marie-France III ». Le chalutier venait de passer la Tourelle du loup lorsque les portes du bassin à flots s’ouvrirent. Lemarre pilotait son bateau au millimètre, il ne lui fallut qu’une dizaine de minutes pour accoster à sa place habituelle, le long du quai S.
—Monsieur Lemarre ? Bonjour, Damien Lefébure et Frédéric Marois, commissariat de Granville. On voudrait vous poser deux ou trois questions, vous avez quelques minutes à nous accorder ?
— Bonjour… C’est à propos d’Antoine, évidemment ?
— Parfaitement.
— Montez, j’ai encore quelques formalités à remplir.
Damien et Fred se hissèrent tant bien que mal à bord du Marie-France II. Fred manqua même de tomber dans le bassin, Damien le rattrapant de justesse…