Votez Kalysto ! - Jean-François Huet - E-Book

Votez Kalysto ! E-Book

Jean-François Huet

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Beschreibung

Une société en mutation dans un futur pas si lointain...

Dans un futur proche, Anton Kalysto s’impose progressivement dans le paysage médiatique, puis politique français. Personnage atypique et charismatique, il fonde le Mouvement pour l’Ordre et la Justice qui dénonce un modèle de civilisation en bout de course et prône des réformes radicales pour établir une société durable.
En parallèle, à partir d’un diagnostic similaire, la solaire Kassandre abandonne ses études à Sciences-Po pour s’engager dans des actions de terrain. Pressentant la montée des périls, elle s’entoure de jeunes gens épris, comme elle, de liberté et de justice et s’attache leur loyauté indéfectible. Léo, pianiste étudiant au conservatoire de Paris, s’éprend de Kassandre. Margaux, jeune chimiste franco-danoise, croise la route de Kalysto. À travers leurs témoignages croisés relatant une période trouble, se dessinent alors les destins de Kalysto et Kassandre, personnalités hors du commun, en passe de devenir des acteurs majeurs de l’histoire, pour le meilleur… ou pour le pire.

Avec Votez Kalysto !, découvrez un roman dont les personnages charismatiques sont sur le point de changer l'Histoire !

EXTRAIT

Avant d’être définitivement fermé à 18 heures par décision administrative, Mojo devient pour quelques heures cet après-midi du dimanche 21 février une vaste plate-forme d’échanges qui permet de relayer les différents appels aux rassemblements. Les principaux slogans (non-injurieux) demandent la démission du président et du gouvernement ainsi que la tenue d’élections nationales anticipées. Malgré l’ampleur et la véhémence verbale de ces déambulations citoyennes géantes, peu de débordements sont à relever. La présence de gros-bras du MOJ le long des cortèges, pour éviter les provocations inutiles et tenir à l’écart les casseurs, y est pour beaucoup.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1970 en Cornouaille, Jean-François Huet entreprend des études scientifiques. Ingénieur, puis agrégé de physique, il enseigne en lycée à Nantes. Père de trois enfants, il choisit par la fiction de partager ses interrogations sur le devenir du monde.
Votez Kalysto ! est son premier roman. Premier jour : les Révoltés en est le tome 1.

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Jean-François Huet

Votez Kalysto !

Premier jour : les Révoltés

Aux générations futures

sacrifiées sur l’autel

de la cupidité

«How can we dance

When our earth is turning

How do we sleep

While our beds are burning»

Extrait de la chanson Beds Are Burning

du groupe australien Midnight Oil

Album Diesel and Dust (1987)

Chapitre 1

Une salve de carreaux s’abat sur le poste de contrôle qui tient le carrefour des rues Saint-Honoré et Castiglione. En jetant un regard noir à Bohort qui a manqué le cœur, Arthur fait cesser d’un coup de dague le râle du mojiste survivant.

Au même moment, côté rue de la Paix, les hommes de Gareth liquident leur objectif, sans un mot, sans un cri. La supériorité numérique locale et momentanée, alliée à l’effet de surprise, s’est avérée redoutablement efficace.

Tandis que l’escouade du nord-est s’attaque, à coups de cocktails Molotov, aux douze façades et toitures de la partie est, celle d’Arthur lapide avec application les bâtiments impairs avec un soin particulier pour le numéro 13 de la place Vendôme.

La belle unité classique conçue par Hardouin-Mansart disparaît en colonnes infernales de flammes crépitantes. Le spectacle a quelque chose de terrible et de fascinant, comme le Dies iræ du Requiem de Verdi.

Alors que je…

Chapitre 2

« Monsieur Mestrallet, je dois, hélas, vous interrompre. Mon assistant m’annonce que la liaison avec Mme Sørensen vient d’être établie.

Madame Margaux Sørensen, monsieur Léo Mestrallet, merci d’avoir accepté cette entrevue par visioconférence. Dans moins d’un an sera commémoré le cinquantenaire de la prise de pouvoir d’Anton Kalysto qui marqua le début de ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de French Disruption.

Vous êtes mondialement reconnus, madame pour vos travaux scientifiques, monsieur pour vos œuvres musicales. Et pourtant, on découvre dans vos biographies respectives, de façon allusive, que vous avez vécu de très près ces événements historiques.

Mon directeur des programmes m’a donné carte blanche pour réaliser un film relatant cette époque troublée. J’ai opté pour un docu-fiction, un scénario à deux narrateurs. Des comédiens vous incarneront à l’époque des faits, offrant ainsi des points de vue complémentaires.

Si nous sommes ensemble, aujourd’hui, c’est que vous avez accepté, après réflexion, de collaborer à ce projet. Nous allons aujourd’hui enregistrer vos témoignages. Ils serviront de base d’écriture à nos scénaristes. Afin de saisir les ressorts psychologiques de vos personnages et ainsi rendre notre fiction plus proche de la vérité, je vous demanderais de rendre compte en toute sincérité, non seulement des faits, mais aussi de votre vécu personnel. Si, par ailleurs, vous avez retrouvé, ces derniers jours, des documents intéressants, n’hésitez pas, le moment venu, à nous les présenter.

Pour commencer, permettez-moi de poser à chacun de vous la même question personnelle : “Pourquoi avoir attendu si longtemps pour témoigner ?”

–Sans doute pour ne pas souffrir. Ne pas souffrir en ressuscitant par ma parole des êtres trop tôt arrachés à la vie. J’arrive au terme de ma vie d’artiste. J’étais pianiste et par la force des choses je suis devenu compositeur. Au début de ma seconde carrière, des critiques ont raillé mon exaltation jugée excessive, notamment dans mon ode Justice et Liberté ou dans mon opéra Cycle Arthurien. Et pourtant, comme ces œuvres me paraissent bien fades au regard des torrents d’émotion qui manquèrent de m’emporter dans ma jeunesse et qui furent néanmoins la source de toutes mes compositions !

–Quant à moi, je me sens pleinement délivrée aujourd’hui du serment de confidentialité tacite que j’avais prêté à Anton Kalysto. Mes propos permettront, je l’espère, de nuancer le portrait par trop machiavélique et mégalomaniaque que de nombreux historiens ont dressé de cet homme. Cette séquence historique fut certes très discutable, je dois l’admettre, mais Anton Kalysto chérissait la France. Il était animé par un amour sincère du bien public, notion passablement démodée à l’époque… À bien y réfléchir, s’il m’a invitée à le suivre, c’est peut-être pour que je puisse témoigner aujourd’hui de l’idéal qui l’animait.

–Bien. Mais avant de vous laisser complètement la parole, pourriez-vous nous donner quelques éléments biographiques permettant de vous situer dans le contexte où va commencer votre récit, à savoir la France de la fin des années dix ? »

Chapitre 3

Par plaisir de jouer devant un public, en échange d’un bon repas et de boissons à volonté, je prends volontiers mes quartiers le jeudi soir au Caveau Mouffetard, parfois accompagné de Thomas à la trompette, Augustin au saxo et à l’occasion par Mélisande, une amie soprano colorature. Ce 8 mai 2014, je suis seul à la manœuvre. Une rencontre va changer ma vie.

Vers 23 heures 30 alors que j’égrène les dernières notes de My Baby Just Cares for Me, j’aperçois, accoudée au comptoir, une sublime métisse qui dodeline de la tête au rythme de mes notes. Visiblement, elle apprécie. Voici qu’elle esquisse une petite révérence en ma direction. J’enchaîne instinctivement sur Stay car c’est bien à la chanteuse caribéenne superstar du moment que cette jeune femme me fait terriblement penser. En dépit de mon invite musicale, elle s’éloigne ostensiblement, croise les bras et s’adosse au mur. Raté…

Mes mains trouvent mécaniquement leur place sur le clavier pendant que, trois minutes durant, je passe en revue dans ma tête des dizaines de chansons jusqu’à m’arrêter sur le très consensuel Hotel California. Après les premières mesures, elle décroise les bras et retrouve sa place initiale. Il me reste plus de six minutes pour peaufiner ma stratégie de conquête.

Pour la chanson suivante, je demande le micro. C’est l’un des rares morceaux que je m’autorise à accompagner vocalement, en hommage à Pauline, mon ex de lycée, qui avait fait preuve de tant de patience pour réussir à me la faire chanter juste. Ma belle inconnue, intriguée, se glisse dans le premier cercle de l’auditoire.

Ses grands yeux verts regardent mes doigts courir sur les touches blanches et noires, tandis que j’entonne les premières paroles de Hallelujah de Leonard Cohen, version Jeff Buckley.

« Si tu approches encore, tu seras mienne… » me dis-je en la voyant onduler langoureusement dans sa robe fourreau ivoire.

Et c’est appuyée contre le piano qu’elle s’installe pour le morceau suivant. J’ai gagné sa confiance pour un temps. Je lui murmure le titre. Elle sourit ; elle connaît les paroles. Je commence à jouer, elle décroche le micro et se met à chanter :

« Fly me to the moon

Let me play among the stars

Let me see what spring is like on

Jupiter and Mars

In other words, hold my hand

In other words, baby, kiss me

Fill my heart with song

And let me sing for ever more

You are all I long for

All I worship and adore

In other words, please be true

In other words, I love you… »

À bien les observer, ses iris sont noisette et vert clair à leur périphérie. À bien l’écouter, sa voix n’est pas toujours juste. Mais peu importe, car le temps de cette chanson, les yeux dans les yeux, nous sommes seuls au monde.

J’offre un final suffisamment magistral pour que le reste de l’auditoire comprenne bien que j’arrête là, ce soir, mon récital. Nous nous attablons autour de deux pintes de la bière d’abbaye pression qui fait la réputation du caveau.

Et nous parlons, ou plus exactement, elle me fait parler, de ma vie et de mes passions. J’apprends tout de même qu’elle s’appelle Kassandre, qu’elle a passé son bac à Grenoble (ma ville natale) et qu’elle étudie en quatrième année à Sciences Po en master Stratégies territoriales et urbaines. Elle avait choisi d’effectuer son voyage d’études de troisième année en Argentine, à Rosario, troisième ville du pays, la patrie de Che Guevara. Elle y avait vécu une aventure humaine qui l’avait « profondément bouleversée ».

À deux heures moins cinq du matin, Roger, le gérant, me fait signe que l’établissement va bientôt fermer. « Pour sortir de ma bulle musicale et m’ouvrir aux réalités du monde », Kassandre me recommande la lecture, dans l’ordre, de trois livres. Elle me les note sur le carton d’un dessous de verre :

•Voyage dans l’Anthropocène de Laurent Carpentier et Claude Lorius ;

•L’effondrement de la civilisation occidentale de Naomi Oreskes et Erik M. Conway ;

•Requiem pour l’espèce humaine de Clive Hamilton.

Alors qu’elle est déjà debout, elle me demande mon numéro de portable. Tout penaud, je reste assis avec sa prescription en main. Je la regarde entrer mes coordonnées dans son répertoire. Elle me baise chastement la joue et s’éloigne. Juste avant de s’éclipser, elle se retourne vers moi et me tient des paroles des plus déconcertantes :

« Léo, tu es une belle âme mais tu as encore beaucoup de choses à apprendre sur terre. Ne t’attache pas à ma personne. Je te recontacterai d’ici à deux ans. Promis. »

Bien sûr, je n’ai aucune intention d’attendre jusqu’à deux ans pour revoir Kassandre. Il me faudra beaucoup de courage, mais je compte bien lui avouer dès la semaine prochaine qu’elle est, à n’en pas douter, La Femme De Ma Vie. Je passe les trois jours suivants, allongé dans mon lit, à me repasser en boucle ces cent cinquante minutes de complicité avec elle. J’en délaisse même le piano.

Le lundi 12 mai dans l’après-midi, je m’éclipse discrètement du dernier rang de l’amphi de musicologie. Je descends à la station Saint-Germain-des-Prés et emprunte le grand boulevard vers l’ouest, côté impair. Après cent mètres, face au Café de Flore, je dois m’arrêter. Dans ma poitrine, mon cœur bat la chamade. Trente secondes de « respiration paille », technique de sophrologie stimulant le système parasympathique, très utile pour surmonter le tract avant d’affronter un jury d’examen, et je repars.

Trois cents mètres encore et je m’engage à gauche dans la rue Saint-Guillaume. Me voici enfin face aux portes de Sciences Po. J’attends fébrilement la fin des cours du M1 de Kassandre. Quand je commence à voir sortir en s’égayant les premières grappes d’étudiants, je commence à faire nonchalamment des allers-retours centrés sur le 27, espérant la croiser « par hasard ». Après dix minutes de mon petit manège ridicule, je m’assois et attends, un peu dépité. Après encore vingt minutes, je me décide à repartir, déçu et amer.

N’ayant pas eu plus de chance le lendemain, je décide de profiter de l’animation de sortie d’un cours pour me faufiler à l’intérieur de l’établissement. Je range un peu avec mes doigts ma tignasse hirsute, ajuste mon col et pousse la porte du secrétariat pour m’enquérir d’une Kassandre en master Stratégies territoriales et urbaines. La réponse ne tarde guère : « Ah oui, vous voulez sans doute parler de Mlle Ahouré. Elle ne fait plus partie de notre établissement. Elle a déposé sa lettre de démission hier matin à 9 heures et est partie sans laisser d’adresse. »

De retour dans ma chambre d’étudiant, je consulte l’annuaire en ligne. Avec un patronyme si peu courant, je devrais au moins trouver le numéro du fixe de ses parents. Sur Grenoble rien. J’étends la recherche aux localités voisines. Bingo ! Longue expiration pour savourer ma petite victoire. Je note le numéro de M. et Mme Blaise Ahouré à Saint-Ismier.

J’attends 19 heures pour composer le numéro.

« Bonsoir. Madame Ahouré ?

–Oui…

–Je m’appelle Léo. Je suis un ami de Kassandre sur Paris. Je cherche à la joindre, pourriez-vous me communiquer son numéro de téléphone s’il vous plaît ?

–“Monsieur Léo”, c’est plutôt à vous que je devrais demander comment contacter ma fille ! Alors que son père et moi avions fini par convaincre Kassandre, à son retour d’Argentine, de finir au moins ses études à Sciences Po, ne voilà-t-il pas qu’elle nous annonce par téléphone vendredi dernier qu’après une discussion avec un certain “Léo”, elle est maintenant intimement convaincue qu’elle a beaucoup mieux à faire de sa vie !

Et quand on lui fait remarquer que ce n’est pas très raisonnable de quitter sa formation à moins de deux mois de la fin du M1, elle nous répond :

Que trier ses déchets, ne plus manger de viande rouge, circuler à vélo, ça ne sert qu’à nous acheter une bonne conscience !

Que construire une piscine même en copropriété, que remplacer son téléviseur 32 pouces presque neuf pour un plus grand de 48 pouces, que partir l’hiver en avion à Tenerife et l’été en croisière sur le Septentrion pour approcher les côtes de l’Antarctique, tout ça lui file la gerbe !

Que de tels indécrottables consuméristes ne sont plus dignes de l’avoir comme fille.

Qu’elle met les voiles définitivement et que ce n’est même pas la peine de chercher à reprendre contact avec elle.

Alors, monsieur Léo, à vous aussi, bon vent ! »

Et avant que je n’aie eu le temps d’esquisser la moindre tentative de justification, elle avait raccroché. Ma dernière chance de revoir Kassandre rapidement s’est ainsi définitivement évanouie. La seule chose à faire est de me fixer sur ses dernières paroles à mon endroit : « Ne t’attache pas à ma personne. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre sur terre. »

Ne pas s’attacher à sa personne : facile à dire, encore faudrait-il n’avoir jamais eu ses yeux rieurs et admiratifs plongés dans les siens. Apprendre sur terre : je commande donc les trois livres auprès de mon libraire indépendant de quartier et, deux jours plus tard, je commence à m’y plonger.

Claude Lorius a quelques années de plus que moi quand, jeune physicien, il réalise en 1957 son premier hivernage en Antarctique. Atteint du « virus polaire », il se spécialise pour plusieurs dizaines d’années en glaciologie et climatologie. Comme pour les cernes de croissance visibles sur un tronc d’arbre, on savait déjà que dans une carotte de glace (prélèvement cylindrique vertical) l’épaisseur des différentes couches de glace superposées donnait une information sur le climat des années correspondantes. En forant très profondément dans les « archives polaires » on peut ainsi remonter jusqu’à huit cent mille ans en arrière. Claude Lorius a la brillante idée de faire analyser l’air des bulles emprisonnées dans les couches de glace et ainsi d’accéder à la teneur en CO2 de l’atmosphère de la Terre à l’époque. Et en comparant sur huit cent mille ans les évolutions de la température moyenne sur Terre et celle du CO2 atmosphérique, il est surpris de constater leur très forte corrélation. Depuis huit cent mille ans, la teneur avait toujours été sous le seuil de 280 ppm. Or, depuis le début de l’ère industrielle, vers 1850, sa valeur n’a cessé de croître : 300 ppm en 1910, 350 ppm en 1988 et 400 ppm en 2015. On notera l’accélération de l’évolution.

La majeure partie de cette augmentation ne peut être attribuée qu’aux activités humaines. Outre l’atmosphère, ces dernières affectent aussi la lithosphère (roches, sédiments…), l’hydrosphère (rivières, océans…) et la biosphère. L’homme est ainsi devenu, depuis l’avènement de l’ère industrielle, la principale force géologique sur la planète. Des géologues proposent d’appeler cette nouvelle phase de l’histoire de la Terre « Anthropocène ».

Je crois comprendre le dessein de Kassandre me concernant à travers ces lectures. Mais, je ne suis qu’au début de mes surprises.

L’effondrement de la civilisation occidentale met en scène un historien de la fin du xxie siècle qui essaie de comprendre comment, en début de siècle, la civilisation occidentale, pourtant avertie, n’a pas pris à temps les mesures pour surmonter le défi du dérèglement climatique et éviter sa perte. Grâce à sa forme de fiction d’anticipation, ce petit roman permet à ses auteurs, historienne des sciences à Harvard et historien à la NASA, de discourir sur les origines de ce déni collectif :

•des scientifiques, timorés et cloisonnés dans leur discipline, qui peinent à convaincre ;

•des lobbies pro-carbone qui insinuent le doute et encouragent l’inaction politique.

Je réalise la dimension politique du défi climatique. Le dernier livre enfonce le clou.

Dans Requiem pour l’espèce humaine, l’auteur soutient la thèse qu’il est trop tard désormais pour nous éviter un monde hostile (à +4°C) du fait du dérèglement climatique massif en cours. En niant la réalité des signaux d’alarme lancés par les climatologues, en refusant de « remettre en cause le dogme de la croissance et l’obsession consumériste », nous avons exploité la planète bien au-delà du raisonnable. Il ne nous reste donc plus qu’à « désespérer, accepter et agir ». Œuvrer pour que ce ne soit pas pire encore et que la transition qui s’annonce forcément chaotique reste la plus démocratique possible.

J’ai envie d’en savoir plus. Je navigue sur la toile en favorisant les sites officiels et en recoupant autant que possible les informations. Le protocole de Kyoto a été signé lors de la troisième Conférence des Parties au Japon en 1997 (COP 3). Il engage ses signataires à une réduction totale d’émissions de GES (gaz à effet de serre) d’au moins 5 % par rapport aux niveaux de 1990 durant la période 2008-2012. Pourtant, le gouvernement fédéral des États-Unis, le plus grand émetteur mondial de GES à l’époque, n’a jamais ratifié ce texte.

Et Enfumés, le film-documentaire de Paul Moreira, d’ouvrir encore ma conscience. Le lobby pro-carbone états-unien regroupe au début du troisième millénaire non seulement les grandes firmes pétrolières mais aussi les principaux constructeurs d’automobiles et producteurs d’électricité (majoritairement des centrales au charbon) des USA. Le point d’orgue de ce reportage est la comparution, en 2007, de Philip Cooney devant une commission d’enquête parlementaire du Congrès des États Unis. De 2001 à 2005, sous l’administration de George W. Bush, il a occupé à la Maison Blanche le poste de chef de cabinet du Conseil sur la qualité de l’environnement. À ce titre, il a supervisé la publication de travaux de recherche sur le climat. Avocat de formation, il s’est permis de minimiser les propos des scientifiques en mettant en exergue générale leurs réserves sur des points particuliers. Il a ainsi poursuivi, à l’échelle fédérale, son œuvre de semeur de doute en appliquant le plan d’action de son précédent employeur, l’American Petroleum Institute : « La victoire sera atteinte quand le citoyen moyen aura intégré comme du simple bon sens qu’il y a du doute dans les sciences climatiques. » Suite à son éviction pour conflit d’intérêts trop voyant dans son emploi pour le gouvernement américain, il sera embauché par ExxonMobil.

L’absence de l’être cher, conjuguée à ce puissant désenchantement du monde, me plonge alors dans une profonde tristesse qui confine à la dépression. Pour soigner ce « syndrome de Kassandre », je décide, dès la fin de mes examens de juin, de partir vers l’Italie, Rome puis la Toscane. Éprouver le syndrome de Stendhal !

Chapitre 4

Quant à moi, le cours de ma vie s’est infléchi le 30 septembre 2016 à la faveur d’un SMS de Brewen, mon cousin de Bretagne.

Est-ce la proximité de nos âges (nous sommes nés à quelques mois d’intervalle fin 1992) ? Est-ce le fait d’avoir partagé la plupart de nos vacances d’été ? Dans tous les cas, Brewen est plus que mon cousin, c’est mon alter ego. J’accepte ses critiques, sévères parfois, car je sais qu’elles sont justes et foncièrement bienveillantes. Il veille sur ma vie comme moi sur la sienne.

Depuis notre enfance, il n’y a pas une semaine sans que nous échangions, lui depuis le Finistère, moi depuis ma petite île de Samsø au Danemark, à l’est de la péninsule du Jutland. Car je suis binationale. Danoise, par mon père électricien chauffagiste sur l’île, et Française, par ma mère qu’il y rencontre étudiante en l’été 1990. Grâce aux deux langues parlées à la maison et aux programmes TV anglophones en VO, je suis trilingue à dix ans.

J’aime lui raconter comment mon île s’est transformée sous mes yeux au cours de mon enfance et de mon adolescence. J’ai vu ses habitants inventer et réaliser une façon communautaire d’exploiter ses ressources énergétiques renouvelables afin de la rendre progressivement autonome. Du solaire et beaucoup d’éolien pour l’électricité et de la biomasse (paille et bois) pour le chauffage. Quand je quitte Samsø pour aller faire mon lycée sur le continent, ma petite île est même devenue exportatrice d’énergie.

Dans le Jutland, la conscience écologique concernant les enjeux climatiques et énergétiques est aussi vive mais l’indépendance énergétique vis-à-vis des combustibles fossiles n’y est annoncée que pour… 2050. Férue de sciences et fascinée par le défi énergétique à l’échelle nationale et mondiale, j’intègre en septembre 2012 l’université technique du Danemark (DTU) sur la grande île de Zélande.

Si pour Brewen, je suis devenue avec mes 185 centimètres « sa grande viking », pour mes condisciples sur le campus, avec mon habitude de lire à la cafeteria des romans dans la langue de Molière, je suis devenue la Fransk. Et cette french touch m’assure un certain succès relationnel.

Mon intérêt pour la France ne se limite pas à sa littérature. Mon attention se porte aussi sur l’actualité, la politique notamment. Je regarde régulièrement le soir sur Internet le journal d’Arte et, à l’occasion, des émissions-débats sur cette même chaîne, France 2 ou LCP Public Sénat. Par ailleurs, je suis une fidèle lectrice du Monde diplomatique pour m’initier aux enjeux géopolitiques… et enrichir mon vocabulaire français.

Par son message Brewenn m’invite donc à visionner sur le site internet de la nouvelle chaîne Agora-Planète, l’émission de début de soirée de la veille. Cela devrait grandement m’intéresser, m’assure-t-il.

Je n’ai rien de prévu ce vendredi soir. Dans ma chambre d’étudiante du DTU Campus Village, je me rends sur le site Agora-Planète. « Quel futur ? » est programmé le jeudi de 20 heures 30 à 22 heures. L’émission du 29 septembre s’intitulait « Quel futur pour les métaux ? » avec comme invité l’ingénieur centralien Philippe Bihouix, auteur de L’âge des low-tech : Vers une civilisation techniquement soutenable. Je savais déjà que la demande mondiale en pétrole était en passe d’en excéder les capacités de production, mais là j’apprends que l’addiction croissante de l’humanité vis-à-vis de ces ressources va aussi poser des problèmes aussi graves dès la décennie 2020 pour certains métaux : « En l’espace d’une génération, nous devrions extraire une quantité plus grande de métaux que pendant toute l’histoire de l’humanité. »

Pendant le week-end, je visionne avec le même effarement les autres « Quel futur ? » du mois de septembre consacrés respectivement à la consommation d’eau douce, de fertilisants et de sable de construction.

La structure des émissions est simple : un reportage de cinquante minutes précède l’interview d’un expert, avec, à l’arrière-plan, la courbe montrant l’évolution de la consommation étudiée depuis 1850 jusqu’en 2015 suivie d’un grand point d’interrogation.