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Sur une île où la corruption règne et où le décor est lugubre se cache loin des regards la communauté surnaturelle d’Emyrne. Bien qu’issu de cette lignée, l’inspecteur Aiko a toujours préféré garder ses distances avec cette société surnaturelle afin de mener une vie ordinaire. Cependant, à la suite du décès de son père, il se voit contraint d’assumer le rôle de devin au sein de son village. Entre relations tumultueuses et mystères ancestraux, parviendra-t-il à embrasser son destin ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Ndous Millah a commencé par écrire des pièces de théâtre et des comédies musicales pour des lycéens avant de s’immerger dans la rédaction de son roman. Elle nous invite aujourd’hui à nous laisser enivrer par le premier tome d’une saga captivante et excitante.
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Seitenzahl: 570
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Ndous Millah
Aiko et la légende d’Emyrne
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Ndous Millah
ISBN : 979-10-422-3174-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce livre contient des scènes de violence, de consommation de drogue et d’autres sujets qui peuvent heurter la sensibilité du jeune public.
L’ombre devant moi attendait avec patience, sans visage, sans nom, sans émotion. Le néant, c’était le seul mot qui me venait à l’esprit alors que j’avance d’un pas certain vers ma fin. Je sais que la mort m’attendait au bout de ce chemin sombre et sinueux, et le froid glacial que cet endroit dégageait présageait la façon dont j’allais quitter cette terre.
J’ai toujours considéré que la force et le courage d’un homme se dévoilaient par sa manière d’affronter sa propre mort. Et en ce moment, je ressentais la peur et le regret. Je pensais avoir accompli tout ce qu’un homme devait accomplir tout au long de sa vie. À quelques minutes de la fin de mon voyage, mes pensées se tournèrent vers ceux que j’aimais le plus dans ce monde. Ma magnifique épouse qui dormait profondément à côté de moi, sans se douter que dans mon sommeil je vivais les derniers instants de ma vie. Puis je pensais à nos enfants, nos plus belles réussites. Mes filles étaient la personnification du bonheur et mon fils était la définition même de la force et du courage, mais il ne le sait pas encore. Et c’était là mon seul regret : ne pas pouvoir être à ses côtés quand il prendra enfin sa place parmi les légendes.
— Tu en as mis du temps ! murmura une voix dans l’air, je t’avais prévenu que je viendrais te chercher.
— Je suis prêt ! dis-je d’une voix ferme et calme. Je marche vers ma mort depuis le jour de ma naissance.
— Tu sembles bien confiant pour un homme qui va bientôt mourir ! murmura encore le vent autour de moi. Mais je vois à travers ton âme, et je sais que tu trembles de peur à l’idée qu’il puisse arriver malheur à ta famille après ton décès. N’est-ce pas ? Tu es un homme qui a toujours su protéger sa famille, mais maintenant qui veillera sur eux ?
— Mon fils prendra la relève et crois-moi, tu n’es pas prêt pour ce qui va te tomber dessus !
Un sourire s’étira lentement sur mes lèvres et je fixai l’ombre devant moi, flottant à quelques centimètres du sol.
— J’ai de grandes ambitions pour ce peuple et un seul ne pourra pas m’arrêter, il pourrait être un Vasimbe, il ne sera jamais assez fort pour me vaincre.
— Mais qui te dit qu’il sera tout seul ?
Mais sans un mot de plus, il fonça droit sur moi.
Je ne sais pas combien de temps cela avait pris à mon âme de quitter mon corps. La seule chose dont je me souviens, c’était que la douleur était insupportable et pendant que je la combattais, mes dernières pensées furent pour mon fils.
« Je serais toujours à tes côtés ! »
10 ans plus tôt
Un ciel nuageux et sombre faisait pression au-dessus de nos têtes tandis que nous étions dans la cour du lycée attendant impatiemment l’ouverture du portail. L’année scolaire venait officiellement de prendre fin et la menace d’un après-midi pluvieux n’atténuait en rien l’excitation palpable et l’euphorie des élèves. Les cris et les rires faisaient trembler les murs du vieux bâtiment aux couleurs défraîchies. Encore une année qui se terminait pour les autres, mais pour mes amis et moi cette journée marquait la fin du lycée.
La main de Fy bougeait dans la mienne et je l’attirai vers moi pour l’embrasser sur le front. Elle n’était pas très bavarde, elle se contentait de plonger son regard dans le mien. Elle me sourit tendrement et mon cœur rate un battement. Dieu, qu’elle était belle et qu’est-ce que je l’aime ! Je me réjouissais d’avance de pouvoir enfin passer plus de temps avec elle.
Un grondement de tonnerre se fit entendre au loin, Fy et moi, nous levions la tête en même temps pour regarder le ciel. Elle fronça légèrement les sourcils, mais ramena rapidement son regard sur moi. Je remarquai que ses yeux sombres me scrutaient comme si elle menait une bataille intérieure et qu’elle hésitait à m’en parler. Je lui souris, l’invitant à me dire ce qui la tracasse. Mais c’était à ce moment-là que mes deux autres meilleurs amis arrivèrent vers nous.
— Bonne nouvelle, j’ai peut-être une piste pour une location dans le centre-ville, nous annonça Aro, à nous quatre, on devrait s’en sortir facilement avec le loyer.
— Parfait ! m’exclamais-je avec joie. Fy quand est-ce que tu pourras déménager comme ça, on emménage tous ensemble le même jour.
Fy ne répondit pas, préférant détourner le regard, je remarquai cependant que sa main tremblait. Je ne comprenais pas sa réaction, on parlait de devenir coloc depuis des mois et on n’attendait que ça, mais j’ai l’impression que Fy était perturbée par autre chose.
— En tout cas, je n’ai pas envie d’attendre la fin des vacances, reprenais-je, mon père insiste toujours pour que je retourne au village, mais ce n’est pas près d’arriver.
D’ailleurs, il était prévu également qu’on allait mettre enfin Fy dans la confidence. On détestait le fait de lui cacher des choses sur nous, et je détestais surtout l’impression qu’elle avait parfois de ne pas se sentir entièrement intégrée. Aro, Mbelo et moi partagions ce secret depuis trop longtemps, et j’avais hâte de lui faire découvrir mon monde, mais il nous fallait d’abord trouver un endroit à nous.
— On pourrait peut-être partir en vacances ensemble, suggéra Mbelo d’un ton joyeux, avant que vous ne me laissiez tomber pour aller à l’université.
— Je ne vais pas gâcher le peu d’argent que j’ai en partant en vacances Mbelo, s’irrita Aro, le plus urgent c’est d’abord de se trouver un appart et un boulot en attendant la rentrée.
J’écoutai à moitié ce qu’ils disaient, j’étais à peu près certain que Fy non plus n’enregistrait rien de cette conversation, à croire que ses pensées étaient à mille lieues d’ici. Je mis mes bras autour d’elle pour la détendre, elle resta toujours silencieuse, mais accueillit mon étreinte comme une sorte de bouée de sauvetage, elle s’agrippa à mon t-shirt pendant un instant et enfouit son visage dans ma poitrine. Je l’entendis renifler, je rêve où elle était vraiment en train de me… sentir.
C’était souvent moi qui faisais ça, j’adorais sentir ses cheveux, son cou, mais c’était la première fois qu’elle le faisait, et je ne savais pas si c’était un bon présage.
La sonnerie retentit dans toute l’école suivie d’une explosion de bruit, les élèves fêtaient la fin de l’année dans un brouhaha assourdissant. Nous avions l’habitude de rester dans un coin de la cour en attendant que le lycée se vide complètement, alors pour terminer en beauté, on s’était mis sur le côté, laissant les élèves quitter les lieux. Au bout d’une demi-heure, la cour était redevenue silencieuse, comme nous. On n’arrivait pas à croire qu’on allait enfin quitter cet endroit, la nostalgie me frappa de plein fouet, c’était ici que j’avais rencontré Fy, que je l’avais embrassé pour la première fois.
Alors que nous nous apprêtions à enfin quitter le lycée pour de bon, Fy s’immobilisa derrière nous, tête baissée, elle jouait nerveusement avec ses doigts.
— Je sais que tu as toujours adoré le lycée, mais c’est fini maintenant ! rigola Aro, il faut partir !
Mais Fy ne bougea pas, et ça commençait à me rendre nerveux aussi.
— Je pars ! dit-elle dans un murmure presque inaudible qu’aucun d’entre nous n’avait entendu.
— Hein ! Tu as dit quoi ? demanda Aro tout en sautillant au-dessus d’une flaque d’eau.
— Je pars à l’étranger ! dit-elle en me fixant comme si c’était la première fois qu’elle me voyait.
Le temps s’arrêta un instant, le silence qui régnait dans la cour du lycée avait accentué l’effet dramatique de cette annonce. Mon regard se posa sur elle, ses yeux me fixaient avec une détermination que je ne connaissais pas encore. Nous étions tous les quatre immobiles.
— Je vais continuer mes études à l’étranger, continua-t-elle dans un ton monotone, j’ai fait une demande…
— Quand ? l’interrompais-je alors que mes yeux restaient rivés sur elle.
— Mon vol est pour ce soir à 23 heures !
Fy, d’habitude débordante de vie et de chaleur, était devenue, en quelques minutes, une personne froide, hautaine presque inapprochable, on avait l’impression qu’elle s’était préparé à ce moment depuis longtemps, car le masque stoïque qu’elle gardait sur son visage ne faiblit pas. Aro, Mbelo et moi étions toujours silencieux, quelques gouttes de pluie commencèrent à tomber, l’une d’entre elles atterrit directement et coula le long de sa joue.
— Pourquoi tu ne nous as rien dit ? demanda Aro après plusieurs minutes.
Il était le seul à trouver quelque chose à dire alors que moi j’attendais toujours le moment où elle me criera : « Je vous ai eus ! » Mais les minutes passèrent et Fy ne disait toujours rien. Elle avait répondu à la question de Aro avec un haussement d’épaules désinvolte.
Le monde était en train de se dérober sous mes pieds et Fy garda toujours le silence. Aro secoua la tête, je ne pouvais dire s’il était en colère ou s’il était triste. Mbelo gardait son regard dans le vide, comme à son habitude.
Fy n’arrivait plus à soutenir mon regard, elle s’approcha de moi et mit sa main sur ma joue. Ce contact me fit revenir à moi et un flot d’émotions se déversa en moi, menaçant de me faire tomber alors que je regarde la fille que j’aime me faire ses adieux.
— Adieu les garçons ! murmura-t-elle avant de courir en direction de la sortie sans un dernier regard.
Aro, Mbelo et moi étions restés longtemps debout dans la cour du lycée, fixant d’un air ahuri l’endroit où Fy avait disparu et en quelques minutes, nos vies basculèrent d’une manière qu’on avait pas prévue.
La voix de ma sœur Holy résonnait longuement en moi. La même phrase se répétait, encore et encore, sonnant le glas de mon insouciance. Une sueur froide glissait lentement le long de ma tempe et les battements de mon cœur devenaient de plus en plus incontrôlables. Les minutes se succédèrent, laissant le silence envahir tout mon être. Les vacarmes matinaux des rues de la capitale pendant le jour du marché, le boucan assourdissant des vieilles bagnoles et des charrettes n’avaient pas eu raison de ce silence lourd. Au contraire, à la seconde où j’avais raccroché ce foutu téléphone, ce fut comme si le monde avait cessé d’exister. Mes yeux restèrent rivés sur le mur blanc immaculé en face de moi comme si je cherchais à travers tout ce vide immense un sens à ce qui était en train de se passer.
Je savais que ma vie allait être bouleversée à tout jamais. Que ce matin se levait un jour nouveau pour moi et pour ma famille. C’était au-delà de ma volonté, j’étais obligé d’y faire face, de prendre ma place au sein de ma famille, de ma communauté, de ce village, ce foutu village qui me hantait chaque jour qui passe depuis que je l’avais fui, il y a dix ans.
La main douce et chaude d’Enika glissa le long de mon dos et me fit revenir à moi. Je me tournai lentement vers elle, son visage encore endormi et ses yeux à moitié ouverts s’illuminèrent en me voyant. Qu’elle était belle dans sa robe de nuit en soie rose, son sourire me frappa immédiatement, un contraste de couleurs que la noirceur de mon âme n’avait pas réussi à ternir.
Elle fit parcourir ses doigts fins le long de mon bras, aspirant à être celle à qui j’ouvrais mon cœur.
— Mon père est mort, murmurais-je.
— Oh mon Dieu ! s’exclama Enika en se levant brusquement.
Enika me scruta déstabilisée, incapable de placer un mot. Il faut dire que nous n’étions pas vraiment habitués à parler de sujets personnels. Nous n’étions pas habitués à parler tout court.
Son visage s’assombrit aussitôt. Enika avait toujours voulu me laisser croire qu’elle n’attachait pas d’importance à notre relation, mais en dépit de tous ses efforts, je voyais bien dans ses yeux de l’espoir, se demandant si chacun de mes baisers signifiait bien plus. Si seulement je pouvais ressentir de nouveau, si seulement je pouvais aimer de nouveau, je pourrais alors l’aimer de la même façon qu’elle m’aimait, je pourrais alors la rendre heureuse. Mais force était de constater que même la mort de mon père n’avait pas réussi à nous rapprocher. Je n’avais qu’une seule envie, c’était de partir très loin d’elle, et ça devrait réellement m’alerter sur l’état de notre relation, mais j’étais trop lâche pour faire ou dire quoi que ce soit.
Enika faisait partie de ces femmes qui ne laissaient aucun homme indifférent. Elle avait grandi au sein d’une famille de militaires, ses cinq frères étaient tous dans l’armée et son père était chef de la police, ce qui expliquait sûrement son côté un peu garçon manqué, un peu maladroit, et pourtant son intelligence et sa vivacité d’esprit m’avaient immédiatement beaucoup séduit. Quand on avait commencé à se fréquenter en dehors du travail, je lui avais expliqué que je n’attendais rien de notre relation et qu’elle devrait en faire de même, elle l’avait compris. Ou du moins au début, mais par la suite, j’avais bien noté que ses sentiments avaient évolué et qu’aujourd’hui, elle me demandait plus que ce que je ne pourrais lui apporter.
Je quittai la chambre avec précipitation. Mais elle ne me lâcha pas, elle me suivait jusque dans la cuisine, attendant des explications ou des excuses ou bien les deux, je ne sais pas.
— Ne fais pas semblant de comprendre, tu n’as aucune idée de ce que cela signifie.
Le visage d’Enika devint pâle devant la froideur de mon ton. Mais j’avais raison, elle ne comprenait pas, elle ne comprendra pas de toute façon. Elle ne venait pas de ce monde, de mon monde. Quand je regarde Enika, c’était une très belle femme, certes, avec ses cheveux crépus ébouriffés qui formaient un nid au-dessus de sa tête, un corps musclé et longiligne. Au-delà des apparences, tout en elle appelle à la normalité, et j’étais conscient que si je restais avec elle, ma vie serait plus facile, j’aurais une belle femme, intelligente, qui a une carrière professionnelle bien définie. Une vie simple, mais agréable.
Mais je savais très bien que je ne pouvais pas échapper à mon destin et la voir s’attacher à moi et essayer de me remonter le moral m’attristait d’autant plus.
Ma voix tremblait, trahissant au passage le peu d’assurance que je me devais d’avoir devant Enika. Elle le remarqua d’ailleurs, elle n’était pas dupe. Sauf qu’elle non plus, n’était pas à l’aise avec cette discussion.
Je la repoussai doucement, mais fermement, encore une fois. Cette fois-ci, elle comprit qu’elle n’avait aucune chance et se contenta de croiser les bras, attendant que je parle.
Entendre « Colonel Bob » me fit sursauter légèrement, et me ramena à ma réalité. J’avais un boulot, des dossiers qui m’attendaient, une petite amie à satisfaire, une routine bien rodée que j’avais mis du temps à mettre en place et qui s’effondrait du jour au lendemain.
Le père d’Enika, le colonel Bob, avait la réputation d’être un homme dur. Il faisait partie des élites corrompues de ce pays. Enika, elle, avait sûrement hérité de la douceur de sa mère, même si je ne l’avais jamais rencontrée.
Je donnais sûrement l’impression d’être un petit garçon en train de bouder, mais je m’en fichais. Mon appréhension grandissante était due à mon passé et le lien que j’avais avec mon village d’enfance.
Évidemment, je ne croyais pas un seul mot de ce que je disais, mais il fallait que je rassure Enika et cela semblait fonctionner. Elle décroisa lentement ses bras et se détendit petit à petit. J’avais tellement de bruit dans ma tête que cette petite discussion fut en fin de compte, un petit moment de répit pour mon cerveau en ébullition.
— As-tu besoin de moi pour quoi que ce soit ? me demanda-t-elle d’une voix teintée d’espoir et en me scrutant avec ses grands yeux de couleur noisette.
— Non ! Rentre chez toi, lui répondis-je sèchement tout en sachant que je me comportais en un vrai connard.
Les lèvres d’Enika tressaillirent, mais elle le cacha rapidement en baissant la tête, elle était à la fois confuse par le ton de ma voix et vexée par le fait que je n’avais pas besoin d’elle.
Enika fit balancer ses bras, ne sachant pas quoi faire. Elle commença à ramasser ses vêtements de la veille qu’elle avait soigneusement pliés et déposés sur le canapé. Au début, j’avais trouvé son côté maniaque mignon et parfois même sexy, mais aujourd’hui j’avais hâte qu’elle prenne ses affaires et qu’elle s’en aille.
Avec des gestes lents et méticuleux, elle enfila son pantalon large beige et une chemise à rayures de couleurs neutres. J’étais persuadé qu’elle faisait exprès de ralentir afin de rester le plus longtemps possible et ça m’irritait, mais je ne disais rien.
— Tu n’es pas obligé de me repousser simplement parce que tu souffres, me dit-elle en boutonnant sa chemise et en cherchant ses chaussures, je veux dire… je suis là et tu peux me parler, mais à chaque fois, tu choisis toujours de te renfermer comme une huître.
— Je n’ai juste pas besoin d’aide, lui répondis-je, d’un ton irrité, car je n’avais pas envie de continuer à discuter, je n’ai pas besoin de parler ou quoi que ce soit.
Elle s’arrêta dans ses gestes et me regarda d’un air sévère, une expression qu’elle réservait la plupart du temps à ses collègues.
— Tu viens de perdre ton père ! continua-t-elle avec une pointe de colère mêlée à du désespoir, et la seule chose qui te préoccupe c’est de rentrer au village, même si tu ne me parles pas je te connais quand même un peu, et je sais que sous cet air de désinvolture se cache un petit garçon qui souffre.
Je fronçai les sourcils en entendant les mots d’Enika, depuis quand se préoccupait-elle de mes sentiments ? Je n’avais pas besoin qu’elle joue les psychologues avec moi, je n’avais pas besoin de ça.
— Tu devrais vraiment t’en aller maintenant ! lui dis-je avec sévérité, cette conversation m’ennuie, tu m’ennuies et j’ai besoin d’être seul.
— Tu peux toujours faire comme si c’est moi le problème dans notre relation, en attendant je suis la seule à être présente pour toi. Tu n’as pas d’ami et tu ne parles plus à ta famille alors je vais te le redire encore une fois, appelle-moi et parle-moi.
C’était un ultime appel, elle aurait voulu que je la retienne, que je lui dise que je voulais qu’elle reste près de moi, que sa présence m’aide à supporter le poids de ce qui m’attendait, mais ce ne fût pas le cas, ça n’avait jamais été le cas. Et je savais que cela la rendait triste.
Après son départ, je restais encore un long moment assis sur mon canapé, les yeux dans le vide. Mon père venait de décéder. Mon père, cet homme mystérieux et humble que j’ai vénéré presque toute ma vie. Une sensation étrange m’envahit à ce moment-là. Je ressentis comme une onde de choc qui s’abattit violemment sur moi et une chaleur intense se répandit dans tous mon corps. J’eus l’impression d’être transporté ailleurs et pourtant mon corps était resté immobile, presque figé puis je ressentis une main invisible se poser sur mon épaule.
L’eau brûlante de la douche coula sur moi sans que je ressente la moindre brûlure, au contraire, elle m’apaisa. La mort de mon père signifiait des changements drastiques dans ma vie. Je ne voulais pas vraiment penser à tout ce que cela impliquerait pour moi. L’eau continua de couler, emportant avec elle les dernières traces d’innocence en moi.
Je m’étais souvent imaginé ce jour, le jour où je perdrai mon père, mon pilier, je me demandais comment j’allais réagir, et jusqu’à cet instant présent, alors que toutes mes craintes étaient réalisées, je n’avais pas la moindre idée de la façon dont il fallait que je réagisse. Je savais pertinemment que toute ma famille comptait sur moi. Ils me considéraient tous comme un adulte responsable. Mais à vingt-sept ans, je n’étais toujours pas capable d’oublier une fille que j’avais aimée au lycée et que je n’avais pas revue depuis plus de dix ans, je n’étais pas capable d’aller de l’avant après qu’elle m’ait quitté et ce sentiment a fini par déterminer chaque décision, chaque choix que j’ai dû faire depuis. Je suis pathétique. Je ne sais pas ce que j’attendais de la vie, je savais seulement qu’avant je pouvais encore compter sur mon père et qu’à partir de maintenant j’allais devoir affronter le monde tout seul.
J’avais mis un quart d’heure pour prendre ma douche. J’avais l’impression que ça avait duré une éternité. C’est ce qui arrive quand on n’arrête pas de cogiter, le temps paraissait plus long, et les moments les plus simples devenaient plus intenses.
Je préparai quelques affaires dans un sac à dos. Les funérailles dans ce pays duraient des jours. Je pris également mon arme de service. Elle n’était pas chargée, mais on ne sait jamais. Je ne savais même pas si je pouvais m’en servir une fois arriver au village, mais par précaution, je le glissai délicatement dans mon sac.
Je sortis de ma maison, le cœur battant, les mains tremblantes. Ce n’était pas de la peur, mais de l’appréhension. J’appréhendais ce moment depuis longtemps et me voilà, aujourd’hui, revenant de mon plein gré.
Je pris ma moto, un symbole de rébellion pour mes parents, mais de liberté pour ma part. J’en étais fier, car ce fut la première chose que je m’étais offerte dès que j’ai pu avoir mon premier salaire. J’aurais pu m’en servir pour retourner au village souvent, mais au lieu de ça, elle restait le plus souvent soit dans mon jardin soit au parking du bureau.
Pour rejoindre la route nationale, il fallait d’abord traverser toute la ville de Tanà, les rues grouillaient de monde et la circulation était infernale, mais il y avait là une certaine normalité. Le train-train quotidien d’un peuple usé par la pauvreté, la corruption et la pollution.
Une fois sortie de la ville, j’étais de plus en plus nerveux, mes doigts s’agrippaient à ma moto et je laissais le vent et le ronronnement de ma moto transporter mon esprit au loin. Je conduis une bonne vingtaine de kilomètres en direction du nord-est avant d’arriver à une bifurcation qui m’emmènera vers mon enfer.
Les gens avaient l’habitude de l’appeler « la montagne grise » à cause du brouillard qui ne disparaissait jamais et qui la recouvrait tout au long de l’année. En été comme en hiver, la montagne grise était toujours drapée de cet épais voile de nuage qui s’agglutinait au-dessus d’elle et qui la cachait aux yeux de tous.
Petit, j’avais appris l’histoire d’Emyrne sans jamais poser de question. Comme tous les enfants de mon village, tout était pour moi naturel, c’étaient « les autres » qui étaient étranges. J’avais passé toute mon enfance, en observant à la lettre les traditions, j’étais élevé de sorte que je reprenne le flambeau quand mon père décédera.
Je suis né dans ce village, ma famille vivait là et mes ancêtres reposaient dans ses entrailles, nous étions les gardiens de l’histoire, celle du pays, de cette civilisation, de ce peuple, une histoire qui se meurt au fil des années.
Pour les gens « normaux », cet endroit n’était rien d’autre qu’une montagne aux végétations tellement denses que les gens n’osaient s’y aventurer. Pour les plus courageux qui s’étaient quand même risqués à pénétrer dans la forêt, ils n’y voyaient rien d’autre que des ruines, des murs délabrés qui tombaient en poussières. Beaucoup avaient voulu percer le secret de la montagne grise, des scientifiques, des religieux, des historiens et des chercheurs en tout genre, espérant donner une explication à ce perpétuel brouillard. Les théories avaient fusé pendant des années, mais aucune ne s’était jamais approchée de la réalité. Ils s’accordaient juste à dire qu’il y avait une ambiance particulière sur cette montagne, une sorte de présence invisible qu’ils n’arrivaient pas à expliquer. Ce « je ne sais quoi » qui perturbait les visiteurs. Et au fil des années, la montagne grise était devenue un simple décor, les touristes la prenaient en photo de loin et les habitants des collines et des plaines voisines se sont habitués à sa présence, n’y prêtant presque plus attention. Malgré tout, quelques anciens qui habitaient dans ces villages avaient rapporté que parfois dans la journée, on pouvait entendre des cris d’enfants ou des rires de femmes, et dans la nuit, des bruits tout aussi étranges surgissaient.
Les habitants d’Emyrne, eux, restaient sur la montagne et continuaient leurs vies sans se préoccuper de toute cette agitation autour de son histoire. Il arrivait cependant qu’ils franchissent le portail en de très rares occasions. Il y a de cela quelques années, par exemple, le pays faisait face à une épidémie de peste. La maladie avait emporté plusieurs milliers de personnes et l’État était impuissant. Personne ne savait réellement ce qui s’était passé, mais du jour au lendemain, l’épidémie avait reculé, les malades étaient guéris avec une vitesse spectaculaire. Quelques témoignages avaient été recueillis par-ci par-là, mais aucun n’était cohérent. Des malades avaient vu dans un hôpital de campagne des femmes, habillées en blanc, qui leur avaient donné une mixture qui guérit instantanément. D’autres encore avaient vu des hommes pratiquer une sorte de rite qui avait fait disparaître la peste. Évidemment, toutes les spéculations autour de ces phénomènes mystérieux n’étaient recevables aux yeux de la communauté internationale qui avait félicité le gouvernement malgache pour son efficacité et sa rapidité dans la gestion de l’épidémie.
Du nord jusqu’au sud de la grande île, beaucoup savaient que le gouvernement n’avait rien à voir avec leurs guérisons miraculeuses et la légende des hommes en blanc était née. Bien que cette histoire remontait maintenant à quelques années, des gens murmuraient encore sans réellement connaître la vérité.
J’étais encore à une dizaine de kilomètres du portail, mais je ressentais déjà son appel, des milliers de voix qui me murmuraient dans l’oreille, et une sorte de vent léger qui me poussait. Tous les habitants d’Emyrne pouvaient ressentir, cette chaleur réconfortante et apaisante, la sensation de fouler une terre sacrée qui contenait tellement de magie qu’elle pourrait nous consumer, et ce sentiment d’appartenance à un monde extraordinaire, rempli d’histoires et de légendes.
Et tandis que je me rapprochais de la montagne à toute vitesse, je me souvenais des raisons pour lesquelles je m’étais battu pour partir et pourquoi j’avais fait mon possible pour ne plus jamais y retourner ? Emyrne était suffocant de croyances, de traditions et de magie et cela m’empêchait de respirer, de vivre, comme si tout ce que je voyais n’était qu’un mirage, un monde rempli de gens bizarres. Les cérémonies me rendaient nerveux, et parfois me faisaient même peur.
Je traversais de magnifiques rizières en terrasses verdoyantes et florissantes, surtout après la pluie abondante de ces dernières semaines. Pour moi, la magie résidait dans la contemplation de ces paysages à couper le souffle, cette beauté à l’état sauvage remplie d’histoires effrayantes et à la fois extraordinaires.
Et après plusieurs kilomètres sur cette piste boueuse, je pénétrais enfin à l’intérieur de la forêt. Et contrairement à d’autres, dès la seconde où j’y mis les pieds, un autre monde s’ouvrit devant moi.
Le soleil qui tapait fort sur le bitume provoquant une chaleur étouffante, mêlée à une brume épaisse de pollution, avait complètement disparu. À cet instant, je me retrouvai dans une forêt très humide, de fines gouttes de rosée tombèrent encore, les arbres étaient si hauts que les rayons du soleil peinaient à trouver un chemin jusqu’aux fougères qui recouvraient une bonne partie du sol boueux. J’ai laissé ma moto à quelques mètres de l’entrée, préférant continuer à pied. La végétation était si dense qu’on pouvait déjà ressentir le parfum de la magie. Aucun endroit dans les hauts plateaux malgaches, c’est-à-dire dans le centre de l’île ne pouvait accumuler autant d’humidité, même après la pluie, le climat ne s’y prêtait pas.
À mon passage, la forêt semblait s’animer, comme si les arbres et les animaux discutaient entre eux. Je n’avais jamais réalisé à quel point la magie était présente dans ce lieu. J’avais traversé cette forêt des milliers de fois, j’ai passé mon enfance à gambader et à courir à travers ces arbres, j’avais même eu mon premier baiser sous l’un de ces grands arbres centenaires. Je connaissais cet endroit par cœur et je pouvais retrouver mon chemin les yeux fermés.
Pourtant, aujourd’hui, c’était différent. Les branches des arbres s’agitaient étrangement mêlées au crépitement du ruisseau qui s’abattait sur les rochers, des sons d’animaux qui semblaient chanter un hymne inconnu. Je n’ai pas pu retenir un sourire, l’harmonie régnait dans cette montagne. La parfaite rencontre entre le Créateur et sa création. La magie était palpable dans l’air, une force puissante qui avait toujours été présente en ces lieux, une magie qui remontait au temps des premiers hommes.
Après quelques minutes de marches à l’ombre d’énormes tamariniers, de baobabs et bien d’autres arbres encore, le portail d’Emyrne se dressait enfin devant moi, majestueux et fier, fait d’amoncellement de pierres et marquait le début de la magie, un disque de pierre d’environ cinq mètres de diamètre et trente centimètres d’épaisseur était adossé contre le mur de terre.
Je pris une profonde inspiration avant de pénétrer dans la citadelle. À la seconde où je franchis le portail, le voile imaginaire se leva devant moi et au lieu d’un terrain en friche et des murs en ruines, le magnifique village d’Emyrne se découvre dans toute sa splendeur.
En dépit de mon appréhension, je trouvais le village encore plus magnifique que dans mes souvenirs et pourtant, ici, rien n’avait changé depuis mon départ. La rue principale, une longue montée d’environ deux kilomètres, était toujours en terre rouge éblouissante qui faisait virevolter la poussière au moindre coup de vent. Les édifices traditionnels des hautes terres, faits en briques avec leurs toitures en tuiles et leurs balcons en bois se tenaient majestueusement, sans souffrir des aléas du temps ou de la météo. Les maisons, toutes aussi grandes les unes que les autres, étaient peintes avec des couleurs vives comme le rouge, le bleu ou le jaune, ce qui donnait une explosion de couleurs presque féeriques. Et contrairement à la ville de Tanà, il était propre, l’air y était pur, la pollution ne sévissait pas. Entre les maisons étaient plantés de grands arbustes et les jardins potagers des foyers étaient extraordinairement alignés.
Juste après l’entrée, une grande place servait de marché du village. Les étals débordaient de plantes en tout genre, de légumes et de fruits qui ne sont pas censés exister à cette période de l’année. Sur une étagère, des centaines de fioles de tailles différentes qui contenaient des liquides aux goûts, à l’odeur et à la texture tout aussi étranges les unes que les autres. Je sentis qu’il y régnait une ambiance particulière aujourd’hui. C’était sur cette place que la plupart des rituels étaient pratiqués. Les villageois aimaient s’y retrouver pour discuter, le marché fourmillait de monde et on pouvait entendre le bourdonnement des villageois, en quête d’histoires à raconter, comme le retour du fils prodigue par exemple. Les habitants, souvent habillés en robe, en toge ou n’importe quel habit en blanc, ravivaient encore plus les couleurs des lieux.
— N’est-ce pas le fils de Rabary ? entendis-je alors que je traversais le marché, il est de retour au village ?
— Hmm, il ne revient que parce que son père vient de mourir, dit une autre voix féminine, je suis sûre qu’il déguerpira dès que les funérailles seront finies.
Beaucoup de regards se tournèrent vers moi alors que je me frayais un chemin parmi la foule.
— En tout cas, il est devenu un beau jeune homme ! Un peu maigrichon, mais un beau jeune homme quand même.
Je secouai la tête, tentant toujours de sortir rapidement de cette place, mais j’entendis encore les jeunes femmes parler de moi sans aucune gêne.
— Il a l’air malade et chétif, je ne sais pas ce qu’ils mangent à la capitale, mais ce garçon a besoin d’une femme qui cuisine pour lui. Si j’étais sa femme, je lui préparerais une grande assiette de riz trois fois par jour, avec de la viande de zébu, il ne résisterait pas.
— Pouah pour qu’il devienne aussi gros que tes idiots de frères !
— Laissez tomber les filles, il s’est peut-être déjà entiché d’une de ces filles de la capitale.
— Et alors ! Je suis sûre qu’avec un peu de magie, j’arriverai à le faire agenouillé devant moi, répondit une autre jeune femme avec assurance.
Je fus parcouru d’un frisson en entendant la dernière phrase, j’étais à deux doigts de cracher ma colère, mais je me retins, je ne voulais pas causer de scandale dès mon arrivée. Je serrai les poings en continuant à marcher plus rapidement.
Tout en haut de la colline était perché l’ancien palais des Rois et des Reines d’Emyrne, qui, il y a quelques siècles, avaient fait bâtir un lieu de résidence ainsi qu’un site funéraire où reposaient encore certains d’entre eux. On pouvait apercevoir l’escalier sur plusieurs centaines de marches qui serpentaient à travers les bâtisses, elles aussi peintes avec des couleurs extravagantes comme le rouge ou le vert ou le violet.
À bien des égards, ce village était d’une beauté époustouflante, une douceur de vivre à la malgache que beaucoup nous enviaient. Mais je savais que sous cette apparence paisible se cachaient des monstres, des créatures mortelles aux visages d’ange, le diable en personne.
Ce village représentait beaucoup pour ma famille et surtout pour mon père, mais pour moi, ce n’était qu’un village peuplé de marginaux incapables de vivre dans une société normale et qui étaient désireux de retrouver leur gloire du passé.
C’était sous une atmosphère pesante que je m’avançai le long de la rue principale, essayant de ne pas entendre les murmures qui s’élevèrent à mon passage. Au loin, j’aperçus mes sœurs, toutes les trois habillées d’une simple robe blanche avec au-dessus, enroulé autour de leurs tailles, un lamba, un tissu orné de dessins en rouge. Une tenue typique pour les femmes dont la société avait décidé de donner une place à la cuisine, aux préparations et au ménage, le lamba protégeait leur robe et tout le monde trouvait ça normal. Elles m’accueillirent chacune avec une expression différente sur le visage.
Ialy, avec ses cheveux en chignon tirés en arrière et sans aucune mèche qui dépasse, se posta devant moi. Elle était la fille aînée, son visage fatigué et son corps menu témoignaient des responsabilités qu’elle endossait en tant qu’aînée. Je l’avais toujours admirée pour sa force et sa résilience. Elle ressemblait beaucoup à notre père, un visage dur, mais un cœur en or. Ils étaient d’ailleurs très proches alors je me demandais comment elle gérait ses émotions. Mais comme toujours, Ialy ne montrait rien, elle plissa légèrement les yeux en me voyant, il n’y avait aucune trace de chagrin ni de joie, juste Ialy et son habituel air sévère. Pourtant, elle me scrutait comme si elle lisait en moi. J’étais peut-être le seul à avoir poursuivi des études supérieures dans la famille, mais Ialy était sûrement la plus intelligente de nous tous.
— Tu as maigri ! me dit-elle de but en blanc, n’as-tu donc rien à manger en ville. J’ai l’impression qu’une brise suffirait à te faire décoller dans les airs.
— Bonjour à toi aussi, ma sœur, ravi de voir que mon régime alimentaire te tient à cœur, répondis-je d’un ton sarcastique qui ne l’atteint pas.
Holy, ma deuxième sœur se tenait près d’elle et me dévisagea de la même manière. Holy avait un visage plus fatigué que Ialy, ses cheveux étaient ternes et presque grisâtres, elle les avait attachés en queue de cheval derrière sa nuque. Ses yeux étaient moins durs et je me rappelais sa douce voix au téléphone ce matin, m’annonçant la mauvaise nouvelle. Holy était veuve après seulement trois ans de mariage, son mari avait succombé d’une maladie incurable due à un mauvais sort. Raison de plus pour notre famille, et surtout pour moi, de haïr la magie et la sorcellerie. Mais Holy n’avait rien perdu de sa douceur et de son extrême gentillesse.
Elle s’avança vers moi d’un pas certain et m’offrit son doux sourire.
— Bienvenue à la maison petit frère ! me dit-elle alors que son fils, un petit garçon de quatre ans s’accrochait fébrilement à ses bras.
— Merci ! répondis-je un peu gêné.
Je n’avais pas eu beaucoup de contact avec ma famille durant des années. La dernière fois que je les avais vus, c’était aux funérailles de mon beau-frère. Je n’étais resté que quelques heures, prétextant que j’avais une montagne de travail, ce qui n’était pas faux. Aussi, j’avais du mal à rester auprès d’eux et à faire comme si tout était normal.
Ensuite, Zina, ma troisième sœur, mariée à une brute avec qui elle avait eu trois enfants. Zina n’était pas très bavarde, elle se contenta de me donner une petite tape sur les épaules. Tout comme Ialy, Zina ne montrait pas souvent ses émotions, mais elle n’était pas moins une combattante. Son mari, un petit connard brutal et sans cervelle, pensait épouser une jolie petite femme sans défense qui fermerait toujours sa bouche et sur qui il pouvait se défouler autant qu’il le pouvait. Il ne s’attendait sûrement pas à ce que Zina lui retourne ses coups, le forçant à plier ses genoux devant elle.
Enfin, Riana, la dernière de la famille. Celle avec qui je m’entendais le plus. Du haut de ses vingt ans, elle pensait déjà avoir compris la vie. Riana était beaucoup plus joyeuse que nous, beaucoup plus espiègle et rusée. Sa joie de vivre et son rire communicatif avaient permis à de nombreuses reprises de désamorcer des situations explosives surtout quand j’étais dans les parages. Je remarque qu’elle avait coupé ses cheveux. Mes sœurs avaient la particularité d’avoir une chevelure lisse et soyeuse et surtout qui leur arrivait un peu au-dessus de leurs hanches, aussi quand je vois que Riana avait une coupe courte, touchant à peine ses petites épaules, j’ai failli m’étouffer. Je me demande comment avait-elle fait pour convaincre mes parents ou pire Ialy de faire cela. Et comment avaient-ils réagi à cet affront ?
— Tu es enfin arrivé, me dit Riana d’une voix soulagée en me sautant au cou, tu as fait bon voyage ?
— Où est notre mère ? demandais-je sans répondre à sa question.
— Elle est à l’intérieur avec le reste de la famille, mais avant de la voir tu dois d’abord parler aux « Olobe », me dit Ialy d’un ton solennel, ils t’expliqueront ce que tu dois faire.
— Putain, j’ai juste envie de voir notre mère, aboyais-je toujours sans tenir compte de ce qu’elles me disaient.
— Calme-toi, tu la verras plus tard, répondit Riana en souriant.
Elle avait les yeux rouges et gonflés, contrairement à mes autres sœurs. Riana était très émotive et ne se gênait pas pour le montrer. Elle pouvait rire aux éclats comme pleurer à chaudes larmes sans se soucier des regards des autres. Et je l’aimais pour ça. Mais sur le moment, le poids de la responsabilité me pesait à la seconde même ou je mettais les pieds dans ce village. Ce qui eut pour effet de me mettre en colère.
— Et où sont ces putains d’Olobe ! rétorquais-je, non sans masquer ma colère.
— Ne parle pas comme ça, cette fois-ci ma grande sœur Zina me donna une petite tape derrière la nuque, aie un peu de respect, ce sont nos anciens, ils connaissent les traditions mieux que les autres.
— Je me contrefous des traditions, aboyais-je encore une fois ce qui eut pour effet d’énerver encore plus mes sœurs. Je viens de perdre mon père et tout ce que je veux c’est aller voir son corps et rester auprès de ma mère.
— Surveille ton langage, petite tête ! me dit Ialy en colère, ce n’est pas parce que tu habites maintenant en ville que tu n’es plus tenu d’observer nos traditions.
Certes, mes sœurs avaient beaucoup d’affection pour moi, mais il était évident qu’elles n’avaient jamais compris mon choix et surtout Ialy qui ne m’avait jamais pardonné d’être parti. Elles n’avaient jamais compris pourquoi je me sentais étouffé par cet endroit, pourquoi il m’était vital de le quitter. À l’époque, elles avaient considéré mon choix comme un caprice d’adolescent. J’ai énormément de respect pour chacune d’entre elles évidemment, mais elles avaient l’habitude de me considérer comme un petit garçon, le petit frère trop émotif dont il fallait prendre soin. Et c’était ce qu’elles faisaient depuis des années, elles avaient pris soin de moi. Aujourd’hui, malgré les réussites professionnelles, je restais à leurs yeux un enfant.
Elles me traînèrent un peu plus loin, en direction du palais, juste avant les premières marches, où se trouvait une cabane en bois noircie par le temps. Le toit en tuile avait également été peint en noir et une paire de cornes de zébus était fixée au-dessus de la minuscule porte d’entrée. La cabane m’avait toujours fasciné par son côté mystique et mystérieux. Quand j’étais petit, avec mon ami d’enfance Aro, on s’amusait à regarder à travers les planches de bois et on essayait d’entendre ce qui se disait à l’intérieur. Évidemment, toutes nos tentatives avaient été vaines, car on n’a jamais pu voir ni entendre quoi que ce soit.
Le conseil du village, les Olobe, se réunissait dans cette cabane à chaque grand évènement.
Ialy se planta devant moi, les traits tirés, ses yeux, d’un noir de jais, brillaient et me fixaient avec intensité.
— Maintenant, arrête de faire l’enfant et rentre là-dedans, me dit-elle d’une voix calme. Je sais que ce n’est pas ce que tu veux, mais plus vite tu en finis avec ça plus vite tu pourras être au côté de ta famille.
Le ton de sa voix s’adoucit et je compris qu’elle non plus n’était pas ravie. Elle voulait que je sois auprès de ma famille. Mais Ialy était l’aînée et elle ne pouvait pas faire autrement que se résigner.
— Je suis contente que tu sois là, m’avoua-t-elle alors que les autres étaient déjà reparties. Notre père aurait été ravi de te voir franchir de nouveau la porte d’Emyrne, il espérait que tu retrouves le chemin de la maison.
— Ce n’est plus ma maison Ialy, dis-je en me retenant de ne pas craquer. Je regrette de ne pas être venu plus souvent, mais ma vie n’est plus ici.
— Je sais bien, tu as été très clair là-dessus, et je ne peux pas continuer à t’en vouloir toute ma vie alors que dada, lui, avait accepté ton choix, j’aurais juste aimé que tu sois là, il est parti dans son sommeil. Il n’était pas malade, il a juste fermé les yeux et ne les a plus jamais rouverts.
Ialy était manifestement plus bouleversée qu’elle ne laissait paraître, sa voix tremblait comme si elle se retenait de crier. Je comprenais tellement ce sentiment de ne pas pouvoir s’exprimer librement, d’être enseveli sous une énorme couche de traditions ancestrales qui nous empêchait de respirer et qui aspirait nos émotions.
— Je n’arrive pas à croire qu’il soit parti, quand je suis rentré dans le village j’avais toujours l’impression qu’il serait là, qu’il m’attendrait puis je me rends compte que je suis ici parce qu’il n’est plus là.
— Il est toujours là, il n’a jamais quitté la montagne alors je pense que son esprit erre toujours dans les rues du village.
— C’est glauque !
— Ce sont nos croyances ! Il faudra t’y faire.
Sa réponse me fit de nouveau me souvenir pourquoi je n’aimais pas cet endroit. Toute cette tension, cette atmosphère et la chaleur qui tapait aussi fort me firent mal à la tête et j’étais sur le point de faire demi-tour et d’envoyer balader tous ces protocoles, mais Ialy posa une main sur mon épaule. Pendant un instant, j’ai cru voir ses yeux changer de couleur, mais cela n’avait duré qu’une fraction de seconde.
Ce petit contact eut cependant un effet hallucinant sur moi, car je sentis une onde de chaleur qui me traversa le corps, et qui m’apaisa instantanément.
Ialy me sourit puis tourna les talons et pressa le pas pour rejoindre les autres. Et alors que je les observais dévalant la rue, je me mis à imaginer mon père à côté d’elle et cette idée me fit sourire. L’idée d’un esprit solitaire, déambulant partout m’était complètement surréaliste, mais quand je pense à mon père, une sorte de bien-être complètement nouveau apparut soudainement, me déstabilisant et rendant pourtant cette journée plus supportable.
Je pénétrai dans la cabane, une pièce exiguë sombre et dont une forte odeur de rhum, de fumée et de transpiration me piquait les narines dès l’entrée.
À l’intérieur, une dizaine d’hommes étaient entassés, et accroupis par terre, sur des nattes de jonc. Il régnait une atmosphère lourde, comme si des esprits assistaient à cette réunion. On pouvait sentir leur présence rien qu’en humant l’air. L’audience était présidée par un vieil homme qui lui avait pris place sur une petite chaise en bois. La pièce était assez sombre, mais des bougies étaient allumées devant une statuette en bois sculpté. La chaleur y était presque insupportable et l’air manquait cruellement.
Je reconnus le vieil homme, on le surnommait Dadabe. C’était le chef d’Emyrne. Il présidait les Olobe depuis longtemps.
Les Olobe étaient composés des Andriana, les aristocrates de la société, des descendants des rois et reines d’Emyrne qui se distinguaient par leurs impressionnants yeux verts étincelants contrairement à la majorité des Malgaches qui avaient des yeux de couleur marron ou noire.
Les Andriana n’avaient pas que ça comme caractère physique. En effet, ils étaient facilement différenciables des autres êtres humains grâce à leur beauté presque surnaturelle. Les femmes Andriana étaient grandes et élancées avec la plupart du temps une coiffure qui mettait en valeur leurs longs cheveux lisses ; les hommes, eux étaient tout aussi grands et robustes. Ils étaient au plus haut de la hiérarchie de la communauté, certains s’accordaient à dire que les Andriana étaient les porte-parole de Dieu et des ancêtres. Cette grande considération fit des Andriana, des gens plutôt hautains qui aimaient rester entre eux et qui ne se mélangeaient pas avec les autres plus que nécessaire.
Les Andriana étaient réputés pour leurs grandes connaissances des astres et de l’astrologie. Grâce à cela, ils maniaient l’art divinatoire avec aisance. Ils considèrent cela comme une science, un don qui avait permis aux rois de connaître le futur, les attaques et autres invasions ennemies. C’était un secret qu’ils gardaient farouchement.
Puis, il y avait les Houve, représentés par un homme, aux traits marqués, un corps assez disgracieux. Les Houve étaient les bourgeois, parfois même plus riches que les Andriana, grâce à leur sens inné du commerce ou surtout à leur talent de beaux parleurs. Les Houve se caractérisaient par leurs habits flambants neufs, mais qui étaient parfois à la limite du ridicule. La famille Houve était souvent des guérisseurs, nombre d’hommes Houve étaient des médecins très talentueux, réputés dans tout le pays. Et les femmes Houve, elles, étaient les reines des plantes médicinales, des décoctions et des tisanes miraculeuses.
Les descendants d’anciens guerriers des rois étaient aussi représentés dans les Olobe, ce sont les plus redoutables, mais aussi les plus loyaux. Fervents défenseurs des traditions, une grande partie des habitants d’Emyrne étaient des descendants de guerriers. La plupart d’entre eux étaient mariés à des descendants d’esclaves affranchis qui se battaient pour avoir leur place dans la société depuis plusieurs siècles. Les guerriers n’avaient ni rang ni titre, mais ils étaient des éléments essentiels dans la vie du village.
Parmi les esclaves qui ont pu franchir la porte d’Emyrne, beaucoup avaient des pratiques plus sombres, comme la sorcellerie, jugée comme interdite sur la colline depuis seulement quelques décennies, mais au fil du temps, des femmes ont pu transmettre cette malédiction à leurs descendants, c’est ainsi que bon nombre des habitants d’Emyrne, manipulaient également d’autres forces.
Au début, Emyrne avait été créée pour préserver cette tradition, cette culture. La colline abritait des créatures mystiques, des personnes aux pouvoirs exceptionnels. Le village vivait dans une sorte de déni permanent, refusant de croire que le monde avait changé et que leur soi-disant pouvoir n’était plus que de la poudre aux yeux. Beaucoup de créatures avaient subitement disparu, et la magie avait laissé place aux croyances populaires.
Pour devenir Olobe, il fallait plusieurs critères. On pouvait le devenir par l’âge, comme Dadabe, qui était maintenant le doyen du village. Deviennent également Olobe, ceux qui avaient une fonction dans les rites, comme mon père qui tenait une place importante en tant que devin du village. Les Andriana font partie des Olobe par leur fonction administrative dans la société, ils s’assuraient que tout le monde était à sa place et que ce système de castes perdure. Après des siècles, les Houves avaient pris place au sein de ce conseil grâce à leurs richesses.
Mon père était comme un genre de devin, d’après lui et les autres, il avait la capacité d’entrer en contact avec des personnes décédées. Il se maria avec une Houve, ma mère, ils avaient toujours essayé de m’instruire sur ce sujet, mais même à l’âge de cinq ans, mon esprit avait refusé catégoriquement de sauter le pas. C’était aussi à cet âge-là que j’avais commencé à me poser des questions concernant ma place dans ce village et si j’avais envie d’occuper cette place.
Je trouvai une place à côté de l’homme qui représentait les Houve, il tendit sa main grassouillette vers moi et avec un sourire affable, il me dit :
— Toutes mes condoléances, mon garçon, ton père était un homme très apprécié dans le village, je suis ravi de te voir à nouveau ici même si ce n’est pas la meilleure des circonstances. Je m’appelle Radafy, mais tu peux m’appeler Dafy, ça ne me dérange pas.
— Je vous remercie, bredouillais-je, dites-moi c’est quoi au juste cette réunion ?
— Oh ! C’est juste le vieux qui va encore nous servir un cours d’histoire qu’on connaît tous par cœur, il est gentil, mais il commence à perdre la boule.
Dafy commença à rire quand un autre homme, un Andriana, je suppose, vu sa façon de parler l’arrêta.
— Ayez un peu de respect, Monsieur Radafy, dit-il d’un ton solennel, ce garçon vient de perdre son père, il n’a pas besoin d’entendre votre discours de mutinerie.
— De mutinerie ! s’offusqua Dafy, voyez-vous ça, monsieur ne supporte pas qu’on critique le système, évidemment, pour vous tant que vous avez votre petite place au chaud dans le palais, tout va bien et tout le monde doit juste tenir sa langue.
— C’est la tradition, insista l’Andriana en se pinçant les lèvres, notre monde a été façonné ainsi, Dieu et tous nos ancêtres ont approuvé ce système et vous voulez tout détruire.
— Au contraire, on ne veut rien détruire, répliqua Dafy, on veut reconstruire, vous ne voyez pas que la magie est en train de disparaître sur la montagne !
— Quoi ? La magie est en train de disparaître ? m’exclamais-je choqué par les paroles de Dafy.
— Ne dites pas de sottises, objecta l’Andriana en le toisant, la magie ne disparaît pas, elle ne disparaîtra jamais tant que nous continuons à observer la tradition, tant que nos rites restent les mêmes, les ancêtres nous accorderont toujours leurs dons. Mais évidemment, vous les Houve, vous êtes si orgueilleux que vous n’avez pas résisté à l’envie d’aller plastronner dans le monde pour montrer votre supériorité. En quittant la montagne, vous avez fragilisé notre équilibre et maintenant vous osez mettre ça sur le dos du système.
— On n’a rien à voir avec tout ça, on en a juste assez de vivre dans ce petit village, dit Dafy, ce garçon l’a compris lui, il est parti, il a fait sa vie dans la capitale, et pourtant il n’en reste pas moins un habitant d’Emyrne. On a des connaissances que le monde entier cherche à avoir et nous, on reste dans la montagne comme des hommes préhistoriques.
Je ne pouvais qu’adhérer à la vision de Dafy, mais je n’étais pas réellement sûr que ses intentions étaient pures. Les gens d’ici avaient d’ailleurs tendance à croire que je suis parti pour faire de la magie ailleurs alors que justement, je voulais la fuir, et passer ma vie loin de toute cette folie.
— Vous n’êtes que des égoïstes, continua l’Andriana avec son air hautain, vous causez des troubles et vous propagez des idées malveillantes dans tout le village. Vous devriez vous sentir honoré de faire partie d’un monde aussi extraordinaire, mais au lieu de ça vous essayez de le détruire.
— Ce village n’est plus que l’ombre de lui-même, bougonna Dafy en lui tournant le dos. Les Andriana ne veulent pas l’accepter, car ça voudrait dire qu’ils doivent remettre en cause leur place dans la société.
— Pourquoi dites-vous ça ? demandais-je curieux.
— Ces dernières années, nous avons remarqué que nos pouvoirs s’amenuisent. Un étranger a failli entrer dans le village, car le brouillard avait reculé de quelques centimètres, ça n’a pas l’air d’inquiéter les autres, mais nous on sait que si la magie quitte ce lieu petit à petit, bientôt, il n’existera plus, et nous serons tous obligés de vivre parmi ceux qu’on considère comme inférieurs. On a beau faire les rites, les douany et tout ce que tu veux, ça ne suffit plus.
Dafy avait l’air d’être réellement préoccupé par la situation, son visage rond et épais ne cessait de se confondre dans des grimaces.
— Et ce n’est pas le pire, continua-t-il tout en grimaçant, le pire pour un habitant d’Emyrne c’est d’écouter le vieux pendant des heures assis sur des nattes, mon derrière ne survivra pas longtemps s’il continue à nous convoquer pour le moindre pet qui se fait sentir dans le village.
Dafy se tortilla encore pour trouver une bonne position. C’était la première fois que je rencontrais un habitant d’Emyrne tenant ce genre de propos, j’étais néanmoins mal à l’aise à l’idée qu’on avait attribué mon départ à une certaine rébellion vis-à-vis du système. Mais je ne pouvais en vouloir à personne, seule ma famille avait compris la vraie raison de mon départ.
Quand Dadabe remarqua enfin ma présence dans la pièce, un large sourire se dessina sur ses lèvres faisant apparaître des gencives presque vides. Son visage marqué par le temps m’impressionnait à chaque fois. Il n’était pas grand, au contraire, son corps était très maigre, presque la peau sur les os, le crâne chauve et de longs doigts fins qui s’agrippaient à son « tehina » (canne en bois), ces attributs accentuaient d’autant plus son charisme.
Dadabe me montra une place à côté de lui et je m’assis en tremblant légèrement.
— Maintenant que le fils unique de feu Rabary est revenu parmi nous, commença le vieil homme après s’être raclé la gorge et bu une bonne gorgée d’alcool à l’intérieur d’un zinga, nous allons pouvoir commencer.
Le zinga était une espèce de verre en bois sculpté, utilisé dans les rituels.
Il me tendit le zinga dans lequel il avait bu. Je pris une gorgée, c’était du rhum tellement fort qui faillit m’arracher la langue et mettre ma cage thoracique en feu. Je détestais le goût de l’alcool. Je passai le Zinga à une personne à côté de moi qui lui but à son tour.
Une fois que tout le monde eût terminé de boire dans le Zinga, l’atmosphère dans la pièce se changea encore une fois et ce que je vis me terrifia. Chaque membre des Olobe avait maintenant les yeux de couleurs différentes qui scintillaient dans le noir. Les yeux verts des Andriana étaient plus éclatants, les Houve faisaient apparaître les iris d’une couleur bleue étincelante, d’autres personnes ainsi que Dadabe, avaient les yeux jaunes. En un instant, la pièce, qui était faiblement illuminée, était maintenant baignée de lueurs presque aveuglantes.