Alnan - Nadir Al Harim - E-Book

Alnan E-Book

Nadir Al Harim

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Beschreibung

Dans un futur éloigné, Alnan se retrouve capturé et devient esclave. Mais son destin l'appelle : lui seul peut sauver son peuple.

Alnan est un jeune Gouzlo, peuple humanoïde habitant une mangrove. Un soir de fête, son clan est capturé puis emmené au Pays d’Artarus. Le chasseur devient esclave jusqu’au jour où il est initié à la science des rêves éveillés et entrevoit l’avenir. Son peuple agonise et appelle un héros qui les sauvera tous.
Menés par Alnan, les Gouzlo seront confrontés à de rudes batailles pour gagner leur liberté, mais une nouvelle menace s’apprête à entrer en jeu. Un vent morbide souffle du nord, tandis que des hordes de sauvages déferlent sur la nation. Des alliances politiques devront s’organiser jusqu’à l’ultime croisade et le retour probable à la paix…

Alnan et les siens doivent se battre pour survivre et connaitre la paix. Découvrez un roman qui mêle science-fiction et fantasy au travers d'une intrigue palpitante !

EXTRAIT

Alnan rêve qu’il est en train de poursuivre Bijou, qu’il l’attrape. Elle éclate de rire, parvient à lui échapper d’un bon gracieux à chaque fois qu’il la touche. Cette course éperdue lui fait bouillir le sang. Il transpire abondamment, il a très soif : « Bijou, arrête-toi, je t’en prie, ne t’en va pas ».
–Hey ! Alnan, réveille-toi.
De se sentir secouer comme une baudruche, il ouvre les yeux et distingue Toupa dans la pénombre près de lui.
–Hum, quoi ? Laisse-moi ivrogne, tu m’as fait trop boire !
À l’instant même, il se rappelle la fête, Bijou, le singe endormi et le danger qui menace le clan. Il se redresse aussitôt et se cogne la tête, « Aïe ! » gémit-il en tombant sur les fesses. Il veut se soulager le crâne avec ses mains. Un bruit de chaînes accompagne son geste. Hébété, il regarde les menottes autour de ses poignets puis Toupa près de lui.
–Où sommes-nous ? s’inquiète-t-il.
–Nous avons sûrement été attaqués. Je ne me souviens de rien. On a dû être drogués. C’est la même chose pour tout le monde ici. Nous sommes tous enchaînés dans une cale à bateaux. Je me suis réveillé il y a peu de temps.
–Ils nous ont enfumés, dit Alnan. Je me rappelle d’animaux qui tombaient des arbres, juste avant de perdre connaissance. Ils nous ont capturés comme des oiseaux... Bijou, ma mère, mon père, tu les as vus ?
–Zouina est au fond avec les femmes. Elle a répondu à son nom quand je l’ai appelée. Je lui ai dit que tu étais vivant. Bijou et ton père ne sont pas là. On ne sait pas grand-chose des gens qui manquent, je suis désolé.
–Ne sois pas désolé mon ami, ce n’est pas de ta faute, ces salopards nous le paieront sois-en sûr.
Alnan réussit à parler avec sa mère, mais elle ne lui apprend rien. Tous sont dans l’ignorance. Ils attendent le sort qu’il leur est réservé dans un mutisme total.
La cale est grande, humide et chaude. Il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur. Le plafond est bas et seules quelques lanternes amènent un peu de lumière dans les cœurs.
Soudain, un bruit de trappe se fait entendre. Un faisceau lumineux éclaire l’escalier. En descend un petit homme portant deux seaux qu’il pose devant chaque rangée de captifs, puis un autre préposé chargé de deux sacs en toile les jette sur les esclaves.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Nadir Al Harim est un plasticien de 56 ans, passionné de photographie. Amateur de jeux de rôles et membre d’une guilde, c’est en postant ses écrits en ligne qu’il se met à inventer l'histoire d’Alnan. L’engouement de ses lecteurs l’encourage à persévérer et quelques années après, il écrit ce premier roman.

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Nadir Al Harim

Alnan

A la mémoire de mon père et à ma mère qui m’a toujours encouragé.

Prologue

Depuis la grande explosion, plus de dix mille ans se sont écoulés sur la Terre. Les structures modernes telles que nous les connaissions n’existent plus.

Un environnement malsain couvre le globe terrestre. Aucune des créatures peuplant ce monde n’a été épargnée. Elles évoluent suivant les lois d’une nature hostile.

L’espèce humaine s’est transformée différemment aux quatre coins de la planète, car la contamination qui a suivi la grande explosion n’a pas eu les mêmes effets partout.

L’époque qui nous concerne est l’ère des clans dans le pays d’Alnan.

Anciennement appelé Guinée, c’est un territoire totalement recouvert de mangroves, de marécages, de jungles avec de trop rares portions de terres habitables. La lumière existe dans cette partie du monde alors que les régions bien plus au nord sont plongées dans la pénombre, voire l’obscurité.

Les êtres qui s’y sont adaptés ont un tout autre visage. La race d’Alnan est humanoïde. Cependant leur peau est devenue verte comme celle d’une amande. Les hommes et les femmes sont très grands, deux mètres en moyenne, certains connaissent la magie. Leurs enfants mettent deux années à naître avant de s’éveiller. On appelle Sages les plus vieux, véritable mémoire des hommes, ils rapportent des récits ancestraux sur la création du monde, des légendes et des prophéties passées et à venir.

Le commencement

L’histoire se passe dans les Glades, au village de Thure situé aux abords de la Grande mer. C’est l’un des villages les plus isolés du peuple Gouzlo.

De petits groupes d’une centaine d’individus composent ce peuple éparpillé sur tout ce territoire.

Le clan Nan, du nom du chef, est établi ici. Les habitations sont perchées hautes dans les arbres. D’un diamètre plutôt correct, elles abritent une seule personne. Pour les couples, elles sont rapprochées les unes des autres, construites de bambous, couvertes de peaux de crocodiles. La toiture est faite de feuilles de nénuphars géants séchées. Les enfants restent avec leur mère jusqu’à l’âge de chasser et de s’établir où bon leur semble. Plus bas, dans la mangrove, une grande esplanade est aménagée pour les réunions. La nourriture y est abondante et malgré les gros prédateurs qui y vivent, le clan est en bonne santé.

Zouina, la femme du chef Nan a le don de magie qui se manifeste par des guérisons spectaculaires.

Nan est assis sur le seuil de sa hutte, sa crête de cheveux d’un rouge flamboyant est bien relevée. Il lisse ses longues pattes et son bouc qu’il réunit sous le menton, il y glisse un petit anneau qui maintient le tout et dit.

– Zouina, depuis sa fête, il a disparu et je me fais du souci, les gratz sont des bêtes vicieuses et je suis sûr qu’il est parti en quête d’un gros.

–Ne t’inquiète pas Nan, Alnan est un homme maintenant, il ramènera deux belles cornes pour fabriquer son arc ainsi que la peau de cet animal pour ses vêtements de guerre. Tout comme toi, il est fort et intelligent, le seul problème, c’est que ces bestiaux sont devenus rares et nos enfants doivent aller de plus en plus loin pour en trouver.

–Hum ! soupire-t-il d’un air sceptique, les gros sont des bêtes perverses.

Zouina enlève son pagne et commence à se laver devant un bac d’eau.

Nan contemple le corps sculpté et élancé de sa femme. Elle arbore une belle coiffure d’un rouge éclatant. Ses yeux, d’un vert émeraude, un peu retombant, et sa bouche aux coins relevés lui donnent l’air souriant et très gentil. Mais, cela n’est que façade. Le village sait que seule, elle tua un crocodile de huit mètres dont elle sortit du ventre un enfant tout juste avalé.

–Ta beauté ferait s’évanouir un gratz ! Tu aurais dû l’accompagner, déclare-t-il en souriant.

–L’unique animal que je chasse, c’est toi quand tu es trop assidu de la chose, lui réplique-t-elle moqueuse.

–Le soleil est haut et le brouillard a disparu. Je vais aller ramasser les pièges.

Aussitôt dit, Nan s’élance dans le vide. Zouina le voit s’éloigner d’arbre en arbre.

Tels les petits singes qui ont pu survivre, le peuple Gouzlo se déplace en sautant de branche en branche ou en galopant dans la jungle, se balançant à l’aide des lianes. Ils sont musclés, rapides et agiles.

Les canoës sont rarement utilisés, car de gros prédateurs marins et la densité de la mangrove les rendent inexploitables dans la plupart des Glades.

Alnan est accroupi sur une branche et observe un gratz en contrebas. Sa peau verte le dissimule au milieu du feuillage de l’arbre. Cela fait quatre jours qu’il le piste afin de trouver le lieu et le moment propice pour le tuer. Cet énorme mâle exhibe des cornes d’une longueur qu’Alnan n’a jamais vue. Son père Nan l’a averti : « Plus ils sont gros, plus ils sont malins et vicieux. Sois très prudent, c’est peut-être lui qui te chasse ».

Il est persuadé que c’est le cas. À plusieurs reprises, s’étant trop bien dissimulé, il a remarqué l’animal inquiet. Cela ne fait aucun doute, il a été repéré depuis le début.

C’est une bête imposante qui peut évoluer dans l’eau comme sur terre. Ses membres antérieurs très longs et musclés lui permettent de bondir, de se propulser dans la mangrove à l’aide de ses larges pieds. Les membres supérieurs ressemblent aux pattes des mantes religieuses, redoutables, coupantes, servant à se débarrasser des obstacles qui se dressent devant lui. Sa tête volumineuse munie d’une puissante mâchoire et les deux cornes prolongeant son museau lui permettent de saisir ou de harponner sa nourriture. Sa peau très dure, son pelage rouge tacheté de vert ou de jaune pour les femelles est chaude et imperméable. La façon de le tuer est de se jeter du haut d’un arbre avec une grande lance munie de cale-pieds afin de peser de tout son poids pour le transpercer. Le toucher à un endroit vital est essentiel. Bon nombre de jeunes du clan y ont laissé la vie.

S’il avait eu son arc d’homme, il aurait pu certainement le tuer, mais là, les cornes majestueuses l’effraient. S’il réussit son épreuve, c’est un arc long qu’il pourra se faire.

Se doutant que le gratz le provoque, il a préféré recourir à la ruse pour le tuer, en analysant ses déplacements. Il a repéré l’endroit où celui-ci sera en confiance et y a posé un piège. Cela fait trois semaines que la traque dure, le traquenard est opérationnel, c’est à lui de jouer.

Il prend d’une bourse un peu de pâte rouge, s’en frotte les mains, en applique sur sa crête puis sur son bouc et ses pattes qu’il attache à l’aide d’une boucle. Alnan ferme les yeux et récite la prière de remerciement à Goums, l’esprit des survivants.

Le baume sur ses mains a pénétré, celles-ci sont bien collantes. Il a un long parcours à faire et doit utiliser les lianes pour faire croire au gratz qu’il est une proie accessible.

« Vamos » crie-t-il en se jetant de la branche. Il attrape une liane, part en piqué près de la bête qui réagit instantanément en faisant un bond dans sa direction. Un coup de reins permet à Alnan de regagner de la hauteur. La pointe des cornes passe à quelques centimètres de son épaule gauche. Il entend le cri de rage de l’animal, lâche prise pour une autre liane. Il maintient une bonne vitesse et une hauteur assez proche du gratz. La bête le poursuit, fracassant les branchages, bondissant dans un bruit de tonnerre. Les deux arbres où le piège est posé apparaissent. Lâcher la liane lui semble dangereux à ce moment-là, mais il doit courir sur la mangrove pour le déclencher. Il la lâche, atterrit sur une branche dont il se sert comme d’un trampoline pour bondir en avant, juste avant qu’elle ne soit broyée par un coup de mâchoire. Tous ses muscles tendus et ses sens en alerte lui permettent de passer devant la souricière en étant toujours en vie. Il saute par-dessus la liane qui enclenche le mécanisme, en attrape une autre devant lui, remonte dans les airs. Le gratz le suit des yeux, mais ne se doute de rien. Le piège est déclenché, il libère deux branches tendues qui fouettent l’air et frappent l’animal qui hurle malgré les pics enfoncés dans sa gorge.

Du haut de son perchoir, Alnan contemple, sourire aux lèvres, la lente agonie de sa proie.

Une fois certain de sa mort, il descend, se taille un morceau de peau sur le dos de l’animal, puis l’éviscère afin d’en soustraire les boyaux pour la corde. Il met une bonne heure à en retirer les ramures.

Un baluchon et les deux parties de son nouvel arc en travers des épaules, Alnan, du haut de l’arbre, contemple la Grande mer. Il se sent fort et invulnérable. Il respire à pleins poumons l’air frais. C’est un homme, ce rituel enterre quatorze années de vie, celles de son enfance.

Après six semaines d’absence, son retour est acclamé au village. Tous sont étonnés de la grandeur des cornes. Le fait qu’aucun des guerriers n’en possède et n’en ait vu d’aussi belles, fait que lorsqu’il arrive à la hutte du chef, le clan l’entoure et scande son nom.

Nan leur annonce qu’une grande fête sera célébrée le lendemain puis le fait entrer après avoir fait le signe de remerciement à son peuple.

Nan regarde fièrement son fils. Zouina l’examine afin de déceler d’éventuelles blessures :

–Tu as fait preuve d’un grand courage, remarque-t-il en voyant les branches de gratz. À ma connaissance, nul n’en a eu de si longues ! Tu as combattu un très vieux gratz.

–Oui, père, tes conseils étaient avisés. Je n’aurais pu le tuer sans m’être montré plus malin que lui. J’ai utilisé un piège, sinon je pense que le gratz aurait pu faire de moi son repas.

–Tu as bien fait ! Seuls les hommes qui survivent peuvent être respectés. Apporte la peau et les entrailles à ta mère afin qu’elle les prépare et montre-moi ça, dit-il en pointant du doigt les cornes.

Alnan les détache et les lui donne en souriant. Zouina, la larme à l’œil s’en va en émettant un petit reniflement.

Les cornes doivent mesurer un mètre vingt chacune, elles sont d’un blanc pur et sans égratignure. Nan les inspecte en détail, en caresse les extrémités. Trois encoches naturelles sont présentes. Dans la plupart des cas, seulement une, voire deux existent. Il teste la solidité, il est surpris par l’équilibrage, enfin, il les examine et en étudie le galbe.

–Goums t’a gâté, fils, il prévoit pour toi une grande destinée, ces cornes sont magnifiques ! Tu auras un arc d’une redoutable efficacité.

–Merci, père.

–J’ai pris de quoi faire ta hutte, tu iras la construire où tu veux plus tard, mais en attendant, reste dormir ici et raconte-moi cette chasse.

Zouina entre les bras chargés de nourriture. Alnan attend que sa mère pose le repas sur la table basse et décrit son aventure.

Le lendemain, Alnan se réveille aux aurores, tout excité de la journée qui s’annonce. Il ne peut descendre afin de trouver un vieux bambou pour la poignée de son arc, le brouillard d’en bas étant le plus nocif à cette heure. Aussi, il cherche un emplacement d’où il pourrait voir la hutte de Bijou, son amie d’enfance et, pas trop loin de Toupa, son frère de cœur d’un an son aîné, celui-là même que sa mère a sorti du ventre d’un crocodile et ramené à la vie huit ans plutôt.

–Hey ! Toupa, debout, viens m’aider !

Encore endormi, Toupa, les yeux mi-clos, sort sa crête ébouriffée.

–Hey ! prononce-t-il en se grattant le crâne, bravo Alnan, j’ai su que tu avais réussi l’épreuve. Tout le monde parle des cornes que tu as ramenées.

–Allez viens, allons cueillir des fruits et commençons à construire ma hutte, je suis impatient.

–D’accord, juste le temps de me faire une beauté et de préparer mes mains et je te suis.

Tout en criant « Vamos », Alnan s’élance le long de la branche, saisit une liane et disparaît. Peu de temps après, Toupa, les yeux bien ouverts et présentable, se précipite dans le vide à la poursuite de son ami.

En début d’après-midi, la hutte est construite et un va-et-vient de villageois dépose divers cadeaux, ustensiles de cuisine, petits meubles et autres objets utiles ainsi que des jarres d’huile et du poisson séché, en guise de félicitations. C’est seulement quelques heures après que notre héros peut enfin être seul. Il en profite pour faire du rangement.

Tambours, flûtes et xylophones commencent à se faire entendre, les musiciens se regroupent en vue de la fête prévue en son honneur.

Nan entre, tenant dans ses mains les branches en corne de gratz et une poignée en bambou.

–Voici ton arme, mon homme, j’ai profité de la matinée pour te chercher le meilleur bambou. Ton oncle a préparé les branches en égalisant leur taille et en sculptant un jague sur les embases. J’espère que ce félin t’apportera la réussite dans tes tirs.

Alnan embrasse son père et prend les trois morceaux composant son arc.

–Merci, père, c’est le plus beau jour de ma vie !

–Ta mère fabrique les cordes avec les boyaux, il faut qu’elles sèchent et ce n’est pas encore aujourd’hui que tu testeras ton arc. Par contre, dès qu’elle aura fini ton vêtement, elle te l’apportera afin que tu sois presque aussi superbe que moi, s’esclaffe-t-il.

Il lui tape sur l’épaule, ce qui bouscule le jeune homme, il se retourne et l’abandonne en rigolant.

Alnan doit s’asseoir, ses mains tremblent car ce qu’il voit est trop beau. Un des jagues en bas-relief semble courir sur le manche. Il mesure une vingtaine de centimètres, serti de petits rubis pour les yeux. L’autre, d’une quinzaine de centimètres, aux yeux de jade s’agrippe au manche telle une proie. Alnan l’emboîte sur la poignée en bambou sculptée de runes, elle s’y ajuste à merveille. C’est la même chose pour la seconde branche.

En se relevant, il sent battre son cœur à toute vitesse dans sa poitrine. Jamais il n’a connu de telles sensations. Il tend le bras, la grandeur de l’arc le déconcerte, il doit être plus grand que lui une fois monté, dans les deux mètres vingt, il se sent ridicule à côté. Bijou passe la tête à la porte.

–Heu... hey, toi, félicitations, je peux entrer ?

–Oh ! Oui, oui, excuse-moi, pardon, j’étais en train de monter l’arc et je n’en reviens toujours pas, assieds-toi, je t’en prie.

–Je n’en ai jamais vu d’aussi beau ! Encore félicitations.

–Merci.

Il démonte l’arc et le range près du lit.

–Il me faudra une belle housse. T’es prête pour la fête ?

–Ben, non, si tu crois que je vais y aller comme ça, tu te trompes lourdement, sauvage que tu es, glousse-t-elle. Je passais pour savoir si tu voulais te baigner avec moi, je ne pense pas que tu veuilles y aller dans cette tenue !

–Vamos, de toute façon, je n’ai plus rien à faire. Il est l’heure de se faire beaux, se moque-t-il.

Peu de temps après, ils approchent du lieu habituel de leur baignade.

Alnan enlève son caleçon et avance dans l’eau. Quand il se retourne, il voit Bijou raide comme un poteau, immobile, les yeux écarquillés.

–Je voulais te dire quelque chose, heu... Veux te dire, mais tu m’as prise de court. Pendant ton absence, j’ai saigné et suis devenue une femme avoue-t-elle en baissant le regard.

–Oh ! Félicitations, et alors ?

–Tu es nu et tu es un homme maintenant, tu n’es plus un enfant...

Il met un petit temps de réaction avant de se jeter sur sa culotte pour l’enfiler à toute vitesse.

–Excuse-moi, dit-il, tout gêné, c’est mieux ainsi ?

–Oui, c’est plus convenable ! s’écrie-t-elle en s’élançant et plongeant la tête la première.

Pendant qu’ils se frottent avec du sable, il lui raconte son aventure, puis ils prennent le temps de chercher de grosses palourdes afin d’en récupérer les petites poches d’huile verdâtre et fluorescente qui sert à lisser leur corps et leur donne cet aspect lumineux que son peuple affiche la nuit pour les fêtes.

De retour chez lui, sa tenue de combat est sur la table ainsi qu’une fiole qui doit servir vraisemblablement à repousser les insectes d’en bas.

Il déroule son gilet sur le lit. Non seulement il a un arc exceptionnel, mais la fourrure de ce gratz est tout aussi magnifique, soyeuse, épaisse, d’un vert aux taches pétillantes de rouge.

Il sort d’un petit bambou quelques poches de palourdes qu’il a ramassées et s’en badigeonne le corps. Il enfile son gilet encore humide, celui-ci doit sécher sur sa musculature afin d’en épouser les formes, d’abord le bras gauche dans la première ouverture, puis le bras droit dans la seconde et successivement trois fois autour de la taille. Il le ferme sur le côté à l’aide d’une pointe de corne que sa mère a cousue. La partie basse est constituée de deux-pièces dont les pans tombent à mi-cuisses, il ajuste le tout et enfin redonne un peu de couleur à sa crête ainsi qu’à sa barbe.

–Gruuuh, grogne-il tout sourire en imitant la pose du gratz avant de sortir pour festoyer.

Arrivé sur le lieu, il remarque tout d’abord son père. Sa cape de chef recouverte de plumes multicolores le distingue de la foule. Il lui présente son allégeance comme de coutume.

–Que Goums te protège, lui dit-il en embrassant ses mains.

Zouina a mis pour la circonstance un maillot une pièce de panthère blanche, une petite cape de lézard rouge et comme parure, une couronne de perles précieuses ainsi qu’un long collier en dents de pogus, poisson très venimeux aux dents rondes qui prennent une belle teinte bleue à l’air libre.

–Mère, tu es toujours la plus ravissante de Thure, s’exclame Alnan.

–Merci. Ton armure te plaît-elle ? La coupe te convient-elle ?

–Oui, je n’ai jamais été aussi heureux et le modèle que tu as choisi pour moi est celui dont je rêvais.

–Je l’ai fait un petit peu plus long et l’attache est sur le côté, car tu vas grandir et forcir. Tu es un homme, mais ta croissance n’est pas finie. Je pense que tu seras comme ton père, on verra ça par la suite s’interroge-t-elle en lui embrassant le front. Bijou te cherche et je n’ai pas encore vu Toupa.

–Je vais les retrouver. Que Goums te protège mère.

Des odeurs de nourriture flottent dans l’air. On allume les brasiers, car la nuit tombe et tous les villageois recouverts d’huile de palourde commencent à s’illuminer légèrement. La plupart des personnes sont présentes, la fête ne va pas tarder à débuter.

–Ah ! Te voilà ! braille Bijou en tapant sur l’épaule d’Alnan.

–Hey ! répond-il en se retournant.

Et là, il n’en croit pas ses yeux. Bijou est d’une beauté à couper le souffle. Son récent statut de femme lui permet de s’habiller très légèrement et pour l’occasion, elle ne s’en est pas privée. À peine plus grande qu’Alnan, d’un corps parfait et musclé, elle est vêtue d’un maillot fabriqué de feuilles et de fleurs aux teintes harmonieuses. Un simple coquillage blanc au bout de chaque sein, divers bijoux précieux et une couronne de petits lotus sur la tête la font paraître comme une déesse. Sa coiffure aussi est différente, finies les nattes, de fines tresses parsemées de perles vertes descendent jusqu’au bas du dos. Son maquillage fait ressortir ses yeux d’un bleu translucide et sa bouche pulpeuse. Un grand sourire se dessine sur son visage et Alnan en reste muet.

C’est une claque derrière la tête qui le sort de sa torpeur.

–Hey ! Vilain, dit Toupa, ce soir, tu vas enfin pouvoir te saouler. Ça fait un an que j’attends ! Héhé, tu es ravissante Bijou !

Nan demande le silence et fait un élogieux discours sur son fils puis lance les festivités. Les musiciens commencent à jouer une musique rythmée et lancinante. Lumineux telles des lucioles, le monde danse, rit et chante. Bijou prend la main d’Alnan et l’attire au centre de la piste. Se collant à lui, elle lui murmure à l’oreille : « Amusons-nous, mais si je te vois danser avec une autre, prends garde à toi ! ».

À quelques lieux de là, le long des côtes de la Grande mer, trois galions naviguent dans la nuit, de couleur noire due au goudron passé sur la coque et les voiles. Seul le brasier allumé à la proue trahit leur présence. Sur le plus gros des trois, celui en tête de file, un homme crie. Un coup de fouet cingle l’air.

–Maître, nous arrivons aux limites de notre voyage, nous allons manquer d’eau pour le retour, il serait plus sage de rentrer chez nous.

L’homme au fouet, d’une grande carrure, porte une cotte de mailles fendue aux cuisses comme un long manteau. Il regarde son intendant prosterné devant lui. Sa tête noire comme l’ébène, son crâne rasé et ses yeux noirs expriment la sévérité. Il lève le bras et claque son fouet sur l’épaule de celui-ci qui laisse échapper un petit gémissement.

–Les cales sont-elles pleines ? Non, il m’en faut plus. Comment réagira Artarus si je rentre et qu’il n’est pas satisfait de la cargaison ?! Imbécile, va prier et cesse de m’importuner. Si l’équipage doit mourir de soif, il en crèvera ! Et d’un autre coup de fouet, il fait fuir l’intendant.

–Capitaine Sixe, venez ici.

–Oui, maître Khino, réplique ce dernier tout en se plaçant légèrement en retrait, à l’arrière du maître. Que puis-je faire pour vous ?

–Naviguez plus près des côtes, bon sang !

La fête bat son plein à Thure. Les eaux-de-vie mélangées aux jus de fruit coulent à flots maintenant que les gens ont mangé et se sont dépensés en dansant. Nos trois amis sont près du buffet, un gobelet de bambou à la main.

–À la nôtre, se réjouit Toupa en levant son bras.

Alnan et Bijou lèvent à leur tour leur verre et boivent jusqu’à la dernière goutte.

–Arrh ! s’étrangle Alnan, je n’en peux plus, tu m’as fait trop boire, Toupa, j’ai la tête qui tourne, faut que j’aille me reposer sinon je serai incapable de retourner chez moi. Je n’ai pas envie de m’affaler devant tout le monde. Pfiou, ça tape dur ton truc, dis donc !

–À plus tard, répond Toupa.

Il enlace son ami, l’embrasse sur la joue puis file en titubant tout en sifflant quelqu’un.

Bijou demande s’il a besoin d’aide pour rentrer. Alnan, les yeux fermés, fait signe que non. Elle lui dit qu’elle passera lui apporter son cadeau et vérifiera s’il est toujours en morceaux. Elle l’embrasse et part à son tour.

Le chemin du retour est éprouvant. Ses muscles sont mous. Cela ne facilite pas son déplacement. Néanmoins, il parvient à son lit, enlève sa tunique. Se sentant nauséeux, il fouille dans une boîte de pharmacie que sa mère lui a laissée, il choisit une petite poche à poudre orange qu’il reconnaît comme un puissant requinquant. Il en met plus que raisonnablement aux creux de sa main, la renifle. Un frisson, puis une vague de chaleur lui parcourent le corps. En un instant, il sort de sa mollesse et son esprit est plus clair.

–Tu es là, Alnan ?

–Oui, entre Bijou.

Elle s’assied près de lui sur le lit, un carquois et une housse aux mains :

–Comment vas-tu ? s’enquiert-elle en lui touchant le front.

–Beaucoup mieux grâce aux poudres de ma mère, tu connais ses talents !

–Tiens, c’est pour toi, mon cadeau, c’est en peau de requin. Cela protégera tes flèches et ton arc durablement.

Alnan y range immédiatement son arc. Il se rassoit près d’elle et tout en lui prenant les mains, il les caresse de ses pouces.

–Merci, c’est très beau. J’en prendrais grand soin. C’est aussi précieux que mon arc, n’en doute pas. (Un sourire illumine le visage de Bijou.) Je ne me rappelle plus si je te l’ai dit, mais ce soir, tu es très belle.

Ils restent un moment à se regarder sans rien dire. Bijou, un peu gênée, baisse les yeux puis fixe Alnan.

–Effectivement, je vois que ça va mieux !

–Je n’y peux rien, reconnaît-il d’un air sérieux.

Son cœur bat fort, son sexe commence à être à l’étroit dans son slip.

Ils s’observent encore un petit moment. Bijou se rapproche et l’embrasse timidement. Puis ce sont de longs baisers passionnés. Il l’allonge près de lui et lui fait l’amour plusieurs fois.

Bijou, blottie sur le côté, une cuisse sur les siennes, lui caresse le ventre. Ils sont pensifs et se remémorent en silence toutes les émotions, les plaisirs qu’ils ont connus pour cette première. Bijou est dans un état second. Tout en essayant de compter le nombre de fois où elle a atteint l’extase, elle se met machinalement à effleurer, du bout des doigts le sexe de son amant qui commence à se redresser.

–Bijou, tu es ma déesse. Il lui embrasse les seins tout en la caressant. Tu es incroyable.

–Toi aussi, mon cœur, soupire-t-elle en l’enlaçant.

Du haut du mât, la vigie aperçoit des feux aux abords de la côte.

« Capitaine, capitaine, de la lumière à bâbord, un village gouzlo ».

Le capitaine Sixe monte sur le pont supérieur pour voir ce qu’il en est. Il donne des ordres de manœuvre pour stopper les navires, puis demande à son second d’avertir Maître Khino.

Quelques instants après, Khino le rejoint sur le pont et constate que les feux d’un village apparaissent au loin. Il regarde les étoiles et cherche la direction du vent.

–Nous avons à peu près trois heures devant nous. Le vent de mer est parfait, dis aux hommes armés de se préparer. Que l’on descende les chaloupes, que l’on apporte aussi les tonneaux de mezz, ils devront faire l’affaire encore cette fois. Je tiens à être présent, faites-moi appeler dès que tout sera prêt.

Il retourne à sa cabine. Aussitôt, le capitaine Sixe proclame les ordres. Un matelot fait des signes avec deux torches pour transmettre les directives aux autres navires et tous s’activent au plus vite.

Une heure plus tard, toutes les chaloupes sont à l’eau ainsi que les hommes d’armes et la cargaison de tonneaux. Le maître s’installe dans un grand canot et on le descend à la mer. Toute la flotte accoste sur le rivage sans bruit.

Les tonneaux doivent être disposés à bonne distance les uns des autres, au sol, à mi-hauteur et en haut des arbres et couvrir la largeur du village.

–Maître, tout est prêt. Nous avons fait comme vous nous l’avez demandé, dit Ox, le capitaine d’armes.

–Allumez.

Les hommes assignés à chaque tonnelet ouvrent le couvercle et brûlent le contenu (un mélange de soufre et de feuilles de mezz séchées) avant de rejoindre leur groupe.

Dans le village, la plupart des gens sont dans leur lit. Seuls quelques éméchés restent encore sur l’esplanade titubants ou endormis.

Alnan est allongé, Bijou dort contre lui. Il a les yeux grands ouverts et ne ressent pas le sommeil, peut-être à cause de la poudre médicinale de sa mère ou à l’excitation de la journée. Des idées et des images lui passent par la tête quand il entend de petits bruits sourds sur la toiture de la hutte.

Il se dégage avec précaution afin de ne pas réveiller Bijou, sort et regarde par-dessus le toit. Il est surpris de trouver trois oiseaux morts. Il trouve cela bizarre. Il s’assied et observe autour de lui. Puis d’autres bruits suspects l’étonnent à nouveau. Un jeune primate s’affale sur sa tête.

–Mais ! Bon sang ! Que se passe-t-il ?

Il se relève, les sens en alerte et ramasse le singe pour l’examiner alors que divers animaux tombent de la canopée. Il voit qu’il n’est pas mort, mais qu’il dort d’un profond sommeil. Il sent un goût amer au fond de sa gorge, va réveiller Bijou, mais elle n’ouvre les yeux qu’à moitié et ne peut émerger de sa léthargie. Là, il comprend que c’est une attaque.

–Oh ! Non, non !

Ses yeux commencent à piquer, son corps s’engourdit. Il a la sensation de tomber dans un puits sans fond et perd connaissance.

Sur la plage, Maître Khino attend les bras croisés.

–Cela devrait être suffisant, profère-t-il. Que l’on éteigne les tonneaux.

Les préposés s’exécutent, en moins de quelques minutes, ils mettent de l’eau sur le mezz et referment les couvercles.

–Capitaine Ox, que vos hommes prennent seulement les objets et les bijoux de valeur. Ne nous encombrons pas des vieillards, des handicapés, ni des jeunes. Tuez-les tous ! Je ne veux que des esclaves de choix. Réquisitionnez aussi l’eau et la nourriture.

De son dos, il retire de leur fourreau une épée et le cimeterre qui composent son armement. Il les examine pensif et ne garde que la lame courbe qu’il fait tourner devant lui et clame : « Que la fête commence ! »

La mine d’Orios

Alnan rêve qu’il est en train de poursuivre Bijou, qu’il l’attrape. Elle éclate de rire, parvient à lui échapper d’un bon gracieux à chaque fois qu’il la touche. Cette course éperdue lui fait bouillir le sang. Il transpire abondamment, il a très soif : « Bijou, arrête-toi, je t’en prie, ne t’en va pas ».

–Hey ! Alnan, réveille-toi.

De se sentir secouer comme une baudruche, il ouvre les yeux et distingue Toupa dans la pénombre près de lui.

–Hum, quoi ? Laisse-moi ivrogne, tu m’as fait trop boire !

À l’instant même, il se rappelle la fête, Bijou, le singe endormi et le danger qui menace le clan. Il se redresse aussitôt et se cogne la tête, « Aïe ! » gémit-il en tombant sur les fesses. Il veut se soulager le crâne avec ses mains. Un bruit de chaînes accompagne son geste. Hébété, il regarde les menottes autour de ses poignets puis Toupa près de lui.

–Où sommes-nous ? s’inquiète-t-il.

–Nous avons sûrement été attaqués. Je ne me souviens de rien. On a dû être drogués. C’est la même chose pour tout le monde ici. Nous sommes tous enchaînés dans une cale à bateaux. Je me suis réveillé il y a peu de temps.

–Ils nous ont enfumés, dit Alnan. Je me rappelle d’animaux qui tombaient des arbres, juste avant de perdre connaissance. Ils nous ont capturés comme des oiseaux... Bijou, ma mère, mon père, tu les as vus ?

–Zouina est au fond avec les femmes. Elle a répondu à son nom quand je l’ai appelée. Je lui ai dit que tu étais vivant. Bijou et ton père ne sont pas là. On ne sait pas grand-chose des gens qui manquent, je suis désolé.

–Ne sois pas désolé mon ami, ce n’est pas de ta faute, ces salopards nous le paieront sois-en sûr.

Alnan réussit à parler avec sa mère, mais elle ne lui apprend rien. Tous sont dans l’ignorance. Ils attendent le sort qu’il leur est réservé dans un mutisme total.

La cale est grande, humide et chaude. Il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur. Le plafond est bas et seules quelques lanternes amènent un peu de lumière dans les cœurs.

Soudain, un bruit de trappe se fait entendre. Un faisceau lumineux éclaire l’escalier. En descend un petit homme portant deux seaux qu’il pose devant chaque rangée de captifs, puis un autre préposé chargé de deux sacs en toile les jette sur les esclaves.

« Que chacun prenne sa ration », entend-on.

Il donne un violent coup de pied au plus proche avant de partir en claquant la trappe.

Plus tard, Alnan reçoit un seau d’eau contenant une demi-coque de coco flottante en guise de gobelet, puis un morceau de pain rassis.

Telles des palourdes, les hommes se renferment dans leur coquille.

Le voyage est interminable et éprouvant. La chaleur, le manque d’eau, de nourriture, la puanteur des excréments, la promiscuité, les cris plaintifs, les sanglots font que chacun croit vivre un cauchemar, hors du temps. À part la distribution d’eau et de pain qui ramènent un semblant de réalité au sein du clan, rien ne brise ce mauvais rêve.

Cependant, un jour, le cri des mouettes vient interrompre ce triste voyage. Le bateau arrive à destination et par l’agitation qui règne au-dessus de la cale, tous peuvent enfin croire à la fin de ce calvaire.

–Debout, bande de chiens galeux, espèce de grosses merdes, vous avancez tranquillement en rangs. Et pas de grabuge, d’abord les femmes, après les hommes, ne tentez rien si vous voulez sortir vivants d’ici, et taisez-vous. Allez, on se dépêche !

Le soleil est à son zénith. La lumière frappe les yeux telles de petites aiguilles. Il faut un moment pour que tous distinguent l’environnement.

Alnan est debout sur le pont. Pour la première fois, il voit le bateau sur lequel il a voyagé tout ce temps interminable. Il n’en a jamais vu de tel. Les hommes qui l’entourent parlent une langue étrangère. Ils sont de couleur noir foncé ou fortement basanés. Les matelots sont plutôt petits avec de gros avant-bras et d’énormes cuisses. La plupart sont bossus. Les soldats, de taille moyenne portent des armures de cuir où l’on peut distinguer un taureau noir sur un blason, des haches aux ceinturons et des lances de fer. Il voit qu’il se trouve dans le port d’une grande ville. D’épaisses murailles entourent une baie et les alentours. De multiples navires y sont amarrés. Il y a de l’agitation, des cris, il fait très chaud.

Son voisin de chaînes tombe d’épuisement. Toupa et lui le relèvent pour le soutenir tant bien que mal, car il est en plein délire. Il gesticule et marmonne des phrases incompréhensibles.

Il aperçoit sur le quai deux autres navires semblables au sien. Il ne peut pas distinguer les prisonniers car la luminosité le gêne. Peut-être, sur l’un de ces bateaux, Bijou ou son père sont là.

Sa mère est parquée au milieu des femmes à proximité de la proue. Il lui sourit. Elle est habillée d’une tunique de nuit, couverte de sang. Il remarque que seules celles d’âge mûr du clan sont présentes, une vingtaine. Son groupe n’est constitué que d’une trentaine de jeunes hommes.

Le capitaine Sixe finit de s’activer et interpelle les prisonniers :

–Vous êtes la propriété du gouverneur Artarus de la ville d’Orios sous la garde de Maître Khino, en tant qu’esclaves. Toute désobéissance sera punie de mort. Le capitaine Ox va vous emmener vous laver. Ensuite, quand vous ne puerez plus et serez un peu plus présentables, Maître Khino décidera de votre sort, vilipende-t-il avec un accent étrange.

Le capitaine Ox salue Sixe et dit :

–Vous allez sortir par la passerelle, en lignes, et sans faire de bêtises. Le premier qui essaye quoi que ce soit sera abattu sur-le-champ. Suivez les gardes de tête, les femmes d’abord. Allez, bande de chiens puants, avancez !

Les groupes progressent en silence, encadrés de surveillants menaçants.

–Stop ! hurle le capitaine, balayant du doigt Alnan, Toupa et Hatik le villageois qui délire. Il n’est pas en état celui-ci, approchez.

Les gardiens tiennent en joue Toupa et Alnan. Le capitaine Ox détache le jeune aliéné, le fait sortir du rang, le poignarde près de la rambarde du navire et le jette par-dessus bord.

Alnan avance en jurant, mais la pointe de la lance du garde est aussitôt enfoncée légèrement sur son torse.

–Allez, avance !

De la passerelle, il voit que la ligne de flottaison du bateau est recouverte d’espèce de gros cônes pointus et effilés à l’arrière, il comprend que c’est pour lutter contre les calamars géants qui vivent dans la Grande mer. Alnan regrette qu’aucune de ces bêtes ne les ait attaqués.

La ville est habitée d’étrangers de toutes origines s’exprimant en différentes langues. Ils marchent le long du port. Alnan peut s’apercevoir que les gens de son peuple sont employés comme domestiques. Des boutiques chatoyantes recèlent divers produits exotiques. Les maisons, à un étage, sont en terre percée d’ouvertures étroites munies de grilles en fer. Le long du quai, les enfants leur jettent des fruits et légumes avariés que les marchands laissent à terre. Ils s’approchent de la muraille, passent une grande porte béante donnant sur un désert. Les abords de la ville sont bordés de palmiers et de massifs fleuris. Un petit air marin souffle. Cela fait du bien dans cette fournaise.

La plage s’étale non loin de la cité. Les gardes les forcent à se baigner pour se laver.

Alnan s’approche de Zouina : « Comment vas-tu, mère ? » Elle le dévisage hagarde. Elle voit qu’il saigne du torse et impose ses mains sur la blessure : « Ne t’inquiète pas, mon fils chéri, je vais bien ».

Après le bain, des attelages de bœufs remorquant des cages sont amenés près du rivage. On y installe les détenus pour les emmener jusque dans la cour d’un bâtiment se situant au centre de la ville. De là, Alnan contemple un palais immense possédant une tour massive en son centre. Le piaillement des oiseaux laisse imaginer les jardins qu’il abrite. On les fait s’asseoir. D’autres rassemblements de captifs apparaissent. Alnan reconnaît Bijou dans un groupe de jeunes filles. Ils se regardent intensément. Bijou pleure. Il cherche son père, mais aucun sage n’est là. Les gardes autour d’eux frappent du bout de leur lance tous ceux qui gémissent en leur intimant l’ordre d’attendre en silence.

Maître Khino grimpe le large escalier qui mène à l’entrée du palais, suivi de nombreux porteurs et de son capitaine d’arme Ox. L’un des gardes de la porte se glisse à l’intérieur. Un petit homme chauve vêtu d’une simple toge en lin blanc vient accueillir le groupe.

–Notre grand éducateur Artarus vous attend dans la salle d’armes. Veuillez me suivre Maître Khino, je vous prie.

L’homme les fait traverser le hall d’entrée aux cent colonnes, puis s’engage dans la majestueuse salle du trône. On leur ouvre une porte qui donne sur une cour où quelques soldats dévêtus font de la lutte. Ils parcourent un jardin fleuri et s’arrêtent devant la salle d’armes du gouverneur. Le petit homme chauve y pénètre et ressort en priant le maître et son capitaine de rentrer.

Artarus s’entraîne. Il est très grand, d’une forte corpulence. Un simple pagne ceint ses hanches. Il se meut avec grâce et agilité malgré son poids. Deux hommes armés de bâtons tournent autour de lui. Deux autres gisent à terre, le visage ensanglanté. Les deux combattants attaquent de concert. Artarus réalise une roulade qui fait tomber l’un d’eux. Le deuxième, tente de lui donner un coup alors qu’il est au sol, mais celui-ci se relève si vite qu’il a le temps de l’attraper par la gorge, le soulever d’une main et le mettre au sol, face contre terre. Le second à peine debout, voit fondre sur lui Artarus qui le bloque de ses mains à la taille et le projette avec force contre le mur de la salle. Il retombe sur le plancher inerte.

–Quel plaisir de vous voir enfin, Khino !

Sa peau noire ruisselle de sueur et deux servantes légèrement vêtues viennent l’essuyer pendant qu’il avance vers les deux hommes agenouillés.

–Relevez-vous et dites-moi si la prise fut bonne.

–Pardonnez mon retard, sire Artarus, dit maître Khino en se redressant, mais les Gouzlos aux abords des plages se font rares. Nous avons néanmoins pu satisfaire vos désirs, sans aucune perte d’hommes, qui plus est.

–Cela est bien, mon brave, mais ce qui m’intéresse est le butin.

Maître Khino réclame au capitaine de rendre compte des prises puis lui demande d’apporter les coffres d’objets de valeur et de pierres précieuses qu’il dépose devant Artarus.

–Il est une arme dans le lot qui mérite particulièrement votre attention seigneur. Je l’ai trouvé moi-même, avertit Khino. C’est un arc d’une rareté et d’une beauté sans pareille.

Il dévoile un arc et des flèches rangés dans un carquois en peau de requin et le lui présente bras tendus.

Artarus prend le paquet et découvre les trois morceaux qui composent cet arc. Il le monte et l’observe silencieusement, il en caresse les motifs. Ses yeux d’un bleu glacial s’illuminent un instant,

–Un arc long, digne de ma personne, profère-t-il, sourire aux lèvres. Combien d’autres arcs de gratz pour ma garde ?

–Trente-cinq, répond le capitaine Ox.

–Je suis entièrement satisfait, se réjouit Artarus. Prenez un des coffres pour l’équipage. Je vous laisse en charge la répartition des esclaves pour la mine, les arènes et où bon vous semble. Et présentez-moi vite les jeunes filles les plus aptes pour ma garde, j’en choisirai une dizaine. Les autres seront pour vous.

–Oh ! Merci. Grande est votre générosité, mon commandeur. Je suis votre dévoué serviteur, articule péniblement Maître Khino en se prosternant.

Suivi de son capitaine, ils sortent de la salle d’armes à reculons tout en saluant bien bas le gouverneur d’Oros.

Alnan et ses compatriotes sont annihilés dans cette cour sans abris. Plus loin, avec les rafales de sable et cette chaleur qui monte du sol, le groupe de Bijou ressemble à des fantômes. Il ne peut la distinguer. Le temps n’existe plus pour lui. Jamais il n’a connu telle affliction.

Les soldats sont alertés par l’annonce d’un guetteur à la porte du bâtiment et commencent à tenir les prisonniers debout, en ligne et en silence.

C’est là qu’une apparition maléfique saute aux yeux d’Alnan. Un être de lumière monte une créature des plus étrange, noire, à quatre pattes, recouverte de longs cheveux tout aussi noirs de la tête à la queue. Il se cabre. C’est un cheval. Alnan discerne que l’être qui en descend est un homme de haute taille et que la protection qu’il porte brille au soleil.

Maître Khino commence à poser des questions en langage gouzlo, à toucher et inspecter le corps des prisonniers comme s’il s’agissait de bétail. Il donne une consigne à un soldat pour délivrer l’enchaîné et le conduire à l’un des chariots de transport.

C’est le tour de Toupa qui a la force de résister au regard et aux palpations de Khino : « Arène pour lui ». Puis d’Alnan, il est tellement abattu que pour lui, c’est : « Mine ». Les soldats leur enlèvent les chaînes et les conduisent dans deux chariots distincts.

Un peu plus tard, Zouina vient rejoindre Alnan dans sa cage. Ils se blottissent l’un contre l’autre. Bijou est mise à part avec une vingtaine de ses semblables dans un coin de la cour. Une fois l’inspection finie, les véhicules quittent l’enceinte dans des directions opposées.

Les jeunes filles sont amenées dans la demeure de Maître Khino. Elles pénètrent dans le cloître de la villa par un petit jardin où seules des plantes aromatiques bien rangées et ordonnées, dessinent des arabesques autour d’une fontaine centrale. On les fait entrer dans une salle surchauffée. Trois femmes nues sont déjà à l’intérieur. Elles projettent de l’eau au sol. La vapeur s’élève en un brouillard bienveillant. Les servantes les déshabillent en éparpillant les vêtements par-delà la porte d’entrée. Elles les frottent avec un gant de crin et leur passent des huiles parfumées sur le corps. Vient un homme qui rase leur intimité ainsi que leur crâne. Une fois séchées au-dehors, elles s’habillent de petites jupes, de bustiers et de spartiates en cuir blanc nouées sous le genou. On leur fixe enfin un collier d’or frappé d’un taureau semblable aux écussons que les gardes exhibent et aux voiles du navire d’où elles furent débarquées. Bijou pleure en silence quand on lui scelle ce collier. Elle n’appartient plus à Alnan ni même à son peuple, mais à l’homme détenant cette marque. Une servante leur apporte de quoi manger, un bol de soupe copieux, des dattes, des fruits secs et du pain. Un garde les attache entre elles à l’aide de lanières passées dans les boucles prévues à l’arrière du collier. Elles traversent des pièces somptueuses richement décorées de tentures, de sculptures, de vasques dorées et de vases fleuris. Les plafonds sont faits de morceaux de bois tressés peints en polychromie. Le sol blanc et noir en faïence forme des dessins accentuant la grandeur des salles. Bijou entend une curieuse mélodie qui mêle le son de plusieurs instruments. Malgré le stress qui l’a envahie tous ces jours-ci, elle se sent apaisée. Elle pénètre dans la pièce d’où vient la musique. Les joueurs se tiennent à l’entrée le long du mur et, devant elle, un grand rideau noir cousu de fils d’or cache le reste de la salle.

L’un des gardes ouvre un des pans pour les laisser passer.

Bijou regarde cet homme éléphantesque, noir comme le charbon, allongé sur un coussin démesuré. Au fond de la pièce, cinq jeunes filles gouzlos montent la garde. Habillées comme elle, elles sont munies d’un arc court de gratz, de poignards à la ceinture et de couteaux de lancés en bandoulière. Un homme chauve et chétif vêtu d’une simple toge en lin blanc vient les positionner en rang et annonce : « Notre commandeur Artarus, gouverneur d’Orios ».

Artarus se redresse sur son séant et les observe. Bijou est instantanément attirée par le bleu transparent de ses yeux étincelants. Lorsqu’elle croise son regard, un frisson lui parcourt le corps de la tête aux pieds. Artarus se met debout, s’avance à un mètre des filles, commence à faire son choix, écarte celles qui lui paraissent les plus fragiles à son goût. Il pose son majeur sur le front de la première captive. Elle baisse la tête, puis au bout d’un moment, la relève bien haute. Son corps se raidit, elle lève le bras gauche poing serré et crie : « Artarus, mon commandeur ». La deuxième s’écroule, ainsi que la suivante, l’autre se prosterne, la quatrième se met au garde-à-vous, c’est le tour de Bijou. Les yeux d’Artarus la transpercent. Son regard pénètre au plus profond de son âme et quand il appose son doigt sur le front, elle a tout d’abord un petit malaise, elle se sent sous l’emprise de cet homme, est prête à vivre ou mourir pour lui. Elle se met au garde-à-vous en clamant tout son dévolu : « Artarus, mon commandeur ».

Bijou se réveille le lendemain matin dans un lit. La pièce est un dortoir. Elle reconnaît une des filles de son village, Atika.

–Bonjour, Atika, tu sais où nous sommes ?

–Apparemment, c’est le centre d’entraînement des jeunes recrues de la garde personnelle d’Artarus, notre commandeur, précise-t-elle malgré elle. Une femme se présentant comme notre capitaine et formatrice, du nom de Goudi, est venue tantôt. Notre apprentissage commence demain. Nous avons une journée de repos. Il y a une table dehors avec des jus de fruit, du lait et de la nourriture. Tu devrais aller manger.

–Des nouvelles du clan ? demande Bijou.

–Le clan n’existe plus, Bijou, nous ne sommes que quatre du village ici. Les autres filles sont gouzlos pour la plupart, mais restent discrètes et parlent peu. Difficile de savoir quoi que ce soit ! Nous avons eu de la chance, je suppose que nous allons être bien traitées.

Toupa regarde ses compagnons de cellule, c’est le seul de son village. On les a suffisamment nourris et ils ont passé une bonne nuit de sommeil. La veille, durant le trajet en charrette, il a pu voir les remparts ceinturant la ville, une belle cité construite en terre, en bord de mer, au cœur d’un désert. Il a deviné où il se trouve, dans le sous-sol d’une arène car, en passant le long des murs, il a remarqué des fresques évoquant de sanglants combats.

La porte en bois du fond s’ouvre, un homme à la peau de crapaud, de bonne taille, avance dans l’étroit couloir qui les sépare de leur geôle. Il vient à leur rencontre, ouvre le battant de la cellule et les prie de le suivre. Il les dirige par des galeries à une salle d’armes. Dans l’arsenal, des répliques d’armes en bois entourent la pièce, posées sur des tonneaux ou accrochées aux murs. L’homme parle en langage gouzlo : « Je m’appelle Kask, vous voici ici pour divertir la ville d’Orios. Nous allons faire de vous des combattants expérimentés et vous donnerez votre vie pour la grandeur de notre gouverneur Artarus. Les meilleurs d’entre vous passeront deux années ici à apprendre l’art du combat d’arène. Vous allez choisir un set d’armes, choisissez-le bien, car il sera le garant de votre gloire ou de votre mort ».

Toupa prend son temps, il a compris que son choix est décisif. Son peuple utilise des arcs de gratz et des lances. Aucun arc n’est dans le lot. Par contre, un des pans de mur révèle une vingtaine de types de lances et armes de jet de toutes tailles, des piques, des tridents, des faux. Il voit posé contre le mur, une lance qui attire son attention, il la saisit. L’une des extrémités présente un poignard, l’autre, un large méplat en forme de hachoir à herbes.

Quatre prises de main sont modelées sur la lance. Il la manie et apprécie son toucher. Cela doit être un choix judicieux pour lui.

Vers les boucliers entre deux tonneaux, une targe d’une quarantaine de centimètres est posée. Il la prend et vérifie qu’elle se fixe sur l’avant-bras tout en laissant la main dépasseret libre de tous mouvements. Il la brandit. Même si ces armes sont en bois, il se sent maître de son destin et un regain de courage et d’espoir l’envahit.

Kask les conduit dans l’arène. Elle n’est pas grande. Une centaine de guerriers s’affrontent ou s’entraînent sur des mannequins. D’autres courent ou s’échauffent. Dans les gradins, des archers en arme surveillent les combattants. Toupa peut se rendre compte que s’échapper est difficile. Il reste à contempler le spectacle quand Maître Khino vient à leur rencontre.

–Nous allons voir lesquels d’entre vous ont quelques aptitudes au combat, explique-t-il.

Muni de deux épées de bois, il désigne un membre du groupe et lui intime l’ordre de combattre.

–Toi, attaque-moi, montre-moi de quoi tu es capable ou meurs. Muni d’une hache qu’il tient à deux mains, le jeune homme s’avance.

Maître Khino est impressionnant avec sa tête de tueur au crâne rasé, ses yeux noirs et sa cotte de mailles. Ses épées de bois tendues devant lui paraissent réelles. Khino attend, impassible.

Il serre bien fort la hache, prend une grande respiration, se jette sur le maître avec l’intention de le frapper de haut en bas. Khino pivote sur lui, esquive le coup. Au passage du novice, il lui porte un tel coup de pied dans les côtes qu’on les entend sourdement se casser. Il fait un signe de la tête à l’un des archers. Le soldat tend son arc et décoche une flèche en pleine poitrine du malheureux.

Toupa est le dernier. Il a assisté au meurtre de huit de ses compagnons d’infortune. Une dizaine a échappé au massacre. Il s’élance d’un pas léger et entreprend de tourner autour de sa cible, il voit les yeux et le rictus du maître qui l’attaque d’un premier coup au niveau du ventre. Il a failli être touché. Au deuxième coup au niveau de la tête, il pare au bouclier. Toupa fait une roulade en arrière, mais le temps de se relever, il est assailli d’une série d’estocades qu’il esquive tant bien que mal. Toupa doit bondir plusieurs fois afin d’éviter les coups répétitifs. Il a reçu le plat de l’épée à la tête qui le fait souffrir et saigner. Toute son attention est focalisée sur la brute qu’il affronte. Il tente des offensives qui sont toutes déviées ou évitées. À un moment, il contre-attaque, mais reçoit un violent coup de coude à la gorge qui le fait tomber à terre. Khino fond sur lui pour l’achever, Toupa lève sa lance, ce qui arrête net le maître dans son élan. La pointe de bois est juste sous sa gorge. Khino recule et dégage la lance d’un coup d’épée.

–Quel est ton nom ? demande-t-il.

–Toupa, du clan Nan.

–Tu seras dans l’équipe de mes combattants et tu te battras pour ma notoriété et mon plaisir. Surtout, ne me déçois pas, si tu ne tiens pas à nourrir les fauves.

Il parle à l’un des gardes et s’en va.

Toupa reprend son souffle. De petits hommes surgissent avec une charrette afin d’évacuer les morts. Ses compagnons sont reconduits de là d’où ils sont venus. Quant à lui, un des soldats le menotte puis le guide jusqu’à la sortie de l’arène. Un groupe de gardes l’encadre et le promène à travers la ville jusqu’à une demeure. Il traverse un petit patio, passe derrière les cuisines. On l’emmène dans une cour d’où il voit un puits en son centre et quelques mannequins d’entraînement. Sa future cellule est encastrée dans le mur. Une fois entré, les grilles se ferment.

Cela fait deux jours qu’Alnan est sur la route. La nuit a été glaciale. Les captifs sont fatigués. L’aurore se teinte de rose et d’or. Au loin, des gazelles aux rayures noires et blanches broutent de maigres touffes d’herbe jaune. Des monticules de terre ici et là abritent des colonies d’insectes. Des cristaux multicolores émergent du sol rocailleux.

Zouina caresse la blessure d’Alnan qui s’est refermée « Je suis heureuse malgré tout, on ne nous a pas séparés ».

À la mi-journée, ils arrivent à destination d’un petit village situé au bord d’un gouffre béant. Une garnison de soldats s’y trouve et des baraquements entourés de fortifications y sont accolés. On s’y active. Des ânes transportant des sacs de minerai se dirigent par-ci, par-là. Des esclaves travaillent sous la surveillance de gardes bien armées. Quelques troupeaux de chèvres sont parqués aux environs. Des poules caquettent au passage de la charrette.

Le convoi s’arrête aux abords du gouffre. Une fois tous débarqués et encadrés de militaires, les détenus sont entassés sur une plate-forme suspendue dans le vide. De solides cordages et un système astucieux de poulies et d’engrenages la soutiennent et empêchent la chute mortelle. Alnan évalue l’entrée de la fosse, enserrée par une arête aux angles vifs. Elle doit faire plus de cent mètres de diamètre. Jaugeant la profondeur, il distingue quelques feux, des points de lumières perdus dans les ténèbres.

Ils entament la descente. Les claquements de fouet donnés aux animaux de trait qui contribuent à dérouler les cordages, les grincements des rouages, le cri des femmes à chaque secousse accompagnent ce déplacement lent et périlleux. À une cinquantaine de mètres, Alnan distingue de la vie. Sur une paroi en contrebas, il peut voir, creusées dans la roche des cavités habitées. Des centaines de gens s’activent à diverses tâches. Sur sa gauche, des habitations en toile servent d’abri. L’écho du brouhaha et le bêlement des chèvres résonnent. Un comité musclé les attend en fin de parcours.

Alnan et les autres s’éloignent de l’élévateur.

Trois hommes blancs, patibulaires, aux cheveux longs d’un blond platine, se dégagent du groupe d’accueil et se dirigent vers eux. L’un d’eux s’approche au plus près. Il les dénombre rapidement.

–Vingt-deux, bonjour, bonjour, des Gouzlos comme d’habitude. Je suis Chaki le régisseur, c’est moi qui suis en charge de tout ce petit monde affirme-t-il avec un large mouvement de bras. Vous êtes ici chez vous et c’est ici que vous passerez le reste de votre existence. C’est pour extraire de l’or qu’on vous a emmenés et j’entends bien que le travail soit fait. Nos vivres dépendent du rendement que l’on produit chaque semaine et j’ai un énorme appétit, les avertit-il d’un air cynique. Un repas est servi à la tombée de la nuit.(Il montre du doigt la direction où sont les tentes.) Nous avons un lac d’eau douce plus loin, par-là, remplissez des seaux pour vous laver et boire. La baignade est interdite sauf pour les pêcheurs. Pour vos besoins et la lessive, vous irez au fond là-bas. Vous trouverez une fissure dans la roche, nous avons des seaux sur place. Une bonne hygiène garantit la santé de tout le monde, je serai vigilant. Tout vol, viol, meurtre, désobéissance, sera puni sévèrement, soyez-en certains. Vous, les femmes, nous n’avons pas besoin de nourrissons ici-bas et vous pourrez les considérer comme morts dès la naissance si vous enfantez. Mes amis vont vous conduire dans un dortoir où les nouveaux séjourneront durant quelque temps. Chacun de vous aura sa propre lampe à huile, une gourde et une peau de darus. Extinction des feux après les coups de tambours. Je vous donne deux jours de repos. Requinquez-vous vite, car le travail est dur et ne manque pas. Ne cherchez pas les ennuis. Taharo et Syf sont mes agents, ils vous donneront les directives.

Il demande à ses deux acolytes de les accompagner.

–Allez, venez avec nous, dit Taharo.

L’endroit est monumental. Quelques plantes surgissent du sol malgré la faible luminosité. Des chauves-souris volettent autour d’eux. Des mineurs faméliques passent avec de lourdes charges sur leur dos. Ils oscillent la tête en guise de salut. Devant une grotte, des femmes sortent avec des paniers de champignons. Enfin, ils arrivent à leur lieu de repos. C’est un dortoir creusé à même la roche. Cinq femmes leur apportent couvertures et ustensiles.