Andropolis - Duncan Lee Paule - E-Book

Andropolis E-Book

Duncan Lee Paule

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  • Herausgeber: Publishroom
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

La société underground américaine et sa vie urbaine

Ce polar d’anticipation ne renie rien aux plus grands du roman noir, on y croise Craig Hames, ex avocat alcoolique, Shandy Miller, journaliste incorruptible, Bill Monroe , rédacteur en chef du Trail’s, Chandler Mason, parrain de la mafia locale que toutes les polices cherchent désespérément à coincer... Andropolis, ville-monde inspirée des mégalopoles mondiales, est le terrain de jeu préféré des marginaux, déclassés, personnages sulfureux et tragiques.

Andropolis est le lieu de perdition des personnages du récit. A travers eux, c’est toute une société underground que nous fait découvrir l’auteure. Avec ses personnages issus de tous les milieux, Duncan Lee Paule nous dessine une véritable fresque de la vie urbaine et souterraine.

Un polar d’anticipation dans la grande tradition du genre

EXTRAIT

Dans la nuit viennent errer les créatures que le jour renie : alcooliques, drogués, fous et amoureux, avides de distractions, de fêtes, prostituées, hommes et femmes pleins de mystères, criminels, et le reste aussi, la part de ceux qui ont l'espoir d'une autre vie au lever du soleil, la part de ceux qui ont envie de vivre perpétuellement dans l'espace de la nuit, car c'est là que tout arrive, c'est à ce moment que les espoirs se concrétisent
Craig était l'un d'entre eux, un de ceux qui se permettent tout la nuit, pour le jour venu, ne montrer que l'image que l'on attend d’eux. Il marchait sur Bleecker Street, rendu inconscient de ce qu'il vivait ici bas par l'alcool qui courait dans ses veines. Ses poumons le brûlaient. Il avait la fièvre et ses mains étaient glacées. Il entrait en transe, sa rage de la vie venait s'insinuer en lui. Il se mit à courir en descendant le grand boulevard de Elm. Il courut jusqu'à ne plus sentir ses jambes, jusqu'à ne plus avoir chaud, jusqu'à ne plus sentir que le bruit de son sang qui battait contre ses tempes.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Passionnée de culture américaine, formatrice et professeure d'anglais, engagée pour l’éducation et la découverte des cultures, Duncan Lee Paule, qui parle quatre langues, a vécu quelques années à l'étranger. Ce premier roman est inspiré de son séjour sur le continent américain.

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@Ducan Lee Paule, 2014

ISBN numérique : 979-10-236-0010-0

[email protected]

www.publishroom.com

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Passionnée de culture américaine, formatrice et professeure d'anglais, engagée pour l’éducation et la découverte des cultures, Duncan Lee Paule, qui parle quatre langues, a vécu quelques années à l'étranger. Ce premier roman édité est inspiré de son séjour sur le continent américain.

Sommaire

Un aller simple pour Andropolis

Crime, politique et religion

Instant de nuit

Les promesses de l'espoir

Les secrets du passé finissent toujours par nous rattraper

Un instant de pure luxure dans un monde de pure violence

Hommes et femmes d'exception

Compromis

L'inattendu a comme une odeur de soufre

Une requête

Découvertes et révélations

Une aube nouvelle

Confessions

Nuit de vie et de mort

La revanche de l'innocence

Révélations

Nuit dans les draps de la mort

Des résolutions

Une nuit en noir et blanc

Un jour de deuil

Instants dérobés

Régler ses comptes

Un souffle d'art

Retour aux sources

Une opération fracassante

Une affaire à suivre

Un aller simple pour Andropolis

Dans la nuit viennent errer les créatures que le jour renie : alcooliques, drogués, fous et amoureux, avides de distractions, de fêtes, prostituées, hommes et femmes pleins de mystères, criminels, et le reste aussi, la part de ceux qui ont l'espoir d'une autre vie au lever du soleil, la part de ceux qui ont envie de vivre perpétuellement dans l'espace de la nuit, car c'est là que tout arrive, c'est à ce moment que les espoirs se concrétisent

Craig était l'un d'entre eux, un de ceux qui se permettent tout la nuit, pour le jour venu, ne montrer que l'image que l'on attend d’eux. Il marchait sur Bleecker Street, rendu inconscient de ce qu'il vivait ici bas par l'alcool qui courait dans ses veines. Ses poumons le brûlaient. Il avait la fièvre et ses mains étaient glacées. Il entrait en transe, sa rage de la vie venait s'insinuer en lui. Il se mit à courir en descendant le grand boulevard de Elm. Il courut jusqu'à ne plus sentir ses jambes, jusqu'à ne plus avoir chaud, jusqu'à ne plus sentir que le bruit de son sang qui battait contre ses tempes.

À Andropolis, ville côtière, les nuits étaient fraîches au printemps. Il retira son manteau kaki qui semblait avoir autrefois appartenu à un soldat soviétique. Puis il retira sa chemise en tirant sur les pans de celle-ci, arrachant les boutons. Il se retrouva torse nu, filant droit vers la mer comme un fou. Il arriva enfin sur la plage et c'est là qu'il se laissa tomber sur le sol, épuisé et apaisé par la violence de sa course. C'était à chaque fois la même crise de folie qui s'emparait de lui. Sa peau le grattait terriblement, il se sentait à l’étroit dans son corps et c'est ainsi qu'il entamait une course terrible. À l'intérieur, c'était son âme qui hurlait de toutes ses forces et qui se sentait à l'étroit.

Il s'endormit le nez tourné vers la voûte des cieux comme un homme qui renierait l'essentiel. Il avait parfois la sensation d'avoir trop vécu pour parvenir à combler le vide de sa vie depuis des années.

Les lendemains de beuverie, lorsque l'alcool s'évapore, la réalité revient toujours violemment nous saisir à la gueule. C'était l'aube et les vagues venaient s'échouer sur le sable comme si elles portaient en elles des espoirs nouveaux. Lorsque Sonntag arriva sur la plage, tenant son panier pique-nique à la main, il ne fut pas surpris de le trouver ici. Sonntag, c’était un mètre quatre-vingt-dix d’audace et d’élégance, des cheveux blond cendré et un regard bleu pénétrant.

- C'est encore là que tu te cachais fugitif ! lui asséna-t-il en tentant de l’éveiller.

Craig, endormi, n'eut aucune réaction.

- Réveille-toi vieille moule ! poursuivit Sonntag.

Comme il ne répondait toujours pas, Sonntag déposa le panier sur le sable et se pencha vers son visage. Il déposa un baiser sur les lèvres de Craig. Ce dernier finit par ouvrir les yeux.

- Allez la belle au bois dormant. Il est déjà 17 heures !

- Quoi, comment ? Déjà ? J'ai rendez-vous avec Shandy dans moins de deux heures. C'est pas possible qu'il soit déjà si tard, répliqua Craig.

- En fait, il n’est que 8 heures du matin, lui répondit calmement Sonntag en dépliant une nappe rouge sur le sable. Tu as encore le temps mon beau, mais ne perds pas ton temps ou il te le fera payer du poids des années qui s'écoulent.

Craig s’assit pour mieux voir Sonntag. Ce dernier avait toujours le même visage pas encore marqué par les années et une sorte d'innocence dans les traits. Il avait des cheveux blond clair comme un soleil de nuit et des yeux bleus d’où transperçait une intelligence infaillible. Il dégageait un calme et une décontraction à toute épreuve, mais Craig savait que derrière son apparente innocence, il cachait un appareil de détection apte à deviner les intentions de n'importe quel être. Sonntag continua de disposer les victuailles du pique-nique sur la nappe devant eux.

- Tiens, je t'ai apporté ça, dit-il en tendant une chemise à Craig.

- Merci, grommela ce dernier. Je me suis encore mis dans un état la nuit dernière.

- Je sais, le regarda Sonntag avec indulgence. Ce dernier se frotta les mains.

- À table ! Tu veux une galette, mon ami ? demanda-t-il à Craig.

- Volontiers, répliqua Craig en fermant sa chemise à carreaux blancs et rouges.

Craig se saisit de la galette que lui tendait Sonntag et la mangea en contemplant les alentours. La plage était vide de monde et l'aube venait à peine de brasser tous les déchets humains et de les reléguer au sommeil où ils fantasmeraient leurs orgies futures. Tout était calme et la mer sereine caressait le sable emportant les souvenirs des nuits passées avec elle. Sonntag mangeait également sa galette garnie de confiture de groseilles. Il avait appris la recette d'une danseuse mexicaine en voyageant autour du monde pour son travail de compositeur. Il en revenait toujours avec de nouvelles recettes, de nouvelles anecdotes, de nouvelles histoires.

- Alors, comment tu comptes t'y prendre dans les mois à venir ? demanda Sonntag.

- Je vais reprendre les affaires, répondit tout simplement Craig.

- Je réitère ma question. Tu comptes t'y prendre comment ? Tu es toujours interdit d'exercice…

- J'en fais mon affaire, ne t'inquiète pas, je vais regagner mes galons d'avocat. Ils ont essayé de m'abattre, moi, le meilleur avocat du barreau d'Andropolis, mais je vais leur montrer qu'on ne peut pas me tenir trop longtemps comme un chien en laisse. Il y en a qui sont prêts à bouffer leur propre merde, mais je ne suis pas ce genre de gars. J'ai pris une petite retraite moyennant finances aux frais du contribuable, mais désormais, tout est terminé, je vais revenir sur le devant de la scène et ce coup-ci, je vais leur jouer un requiem shakespearien et leur faire un numéro qu'ils ne seront pas prêts d'oublier, ne t'en fais pas.

- Je ne m'en fais pas pour toi, c'est plutôt pour eux que je m'en fais, répliqua Sonntag.

Craig esquissa un sourire d'ironie. Il savait bien que Sonntag se faisait également du souci pour lui même s’il ne l’avouait pas. Il gardait toujours en lui les sentiments intimes et personnels. Craig commença à trembler de froid. Sonntag lui tendit une veste qu'il avait ramenée. Ça ne faisait jamais que la troisième fois cette semaine.

- Quelle heure est-il ? demanda Craig.

- Il est largement temps de partir, répondit Sonntag en rangeant toutes les affaires dans le panier.

Craig s'avança vers la mer, laissant Sonntag à son rangement. Il secoua la nappe et la replia avant de la déposer dans le panier. Sonntag avait remarqué que son ami avait perdu du poids et qu'il ne s'était pas rasé depuis au moins trois jours. C'était toujours comme ça qu'il annonçait un changement. Ce coup-ci, Sonntag en était sûr, son ami allait reprendre sa vie en main. Du moins, l'espérait-il. Il prit le panier et rejoignit Craig face à l'océan. Craig glissa sa main dans celle de Sonntag.

- Merci l'ami, allons-y.

Ils quittèrent la plage alors que les premiers promeneurs arrivaient. Il était 10 heures du matin.

Lorsque Shandy poussa la porte du journal, il était déjà 11 heures. Big Ed, le gardien, la salua comme à son habitude.

- Bonjour ma belle, alors, on a eu une nuit difficile ? demanda-t-il.

- M'en parle pas Ed, le nouveau credo de la maison flicaille, c'est : rien vu, rien entendu, se plaignit Shandy.

Elle lui tendit un sachet blanc contenant quelques donuts. Ed plongea son nez dedans.

- Oh super ! T'as pris ceux à la confiture de myrtilles, mes préférés. Je vais les manger pour toi ma belle !

- Fais-toi plaisir, lui lança-t-elle dans un sourire.

Elle appréciait Ed pour sa gentillesse. De plus, avec ses 100 kilos de trop, Big Ed lui faisait de la peine. Elle imaginait souvent ce que pouvait bien être sa vie et elle n'y voyait rien de bien excitant.

Shandy laissa tomber son sac de cuir marron à côté de son bureau et s'alluma une clope en se laissant choir sur sa chaise. Elle avait à peine dormi trois heures pour tenter de trouver un scoop. Le journalisme était sa vie. Elle mangeait scoop, dormait scoop, vivait scoop, et pensait scoop. Elle avait un flair d’enquêteur et une finesse pour s'infiltrer partout. Dotée d'une intelligence hors norme, elle supplantait souvent ses collègues des autres journaux de la ville.

- Mademoiselle Miller ! hurla le rédacteur en chef, faisant sursauter Shandy et lui coupant son plaisir à la nicotine. Dans mon bureau immédiatement ! Ça fait deux heures que j't'attends ! Et éteins-moi cette cigarette !

- Ok chef ! Faut pas vous énerver, dit-elle en écrasant sa cigarette dans le cendrier devant elle.

Bill Monroe, le rédacteur en chef du Trail’s, commençait toujours la journée en menant sa revue de troupe. Si Shandy n'avait rien dégoté, il savait que les autres n'auraient rien non plus. En l'appelant la première dans son bureau, il savait à quoi s'attendre.

- Assieds-toi et fais-moi vibrer avec les actualités du jour, lui dit Bill.

Shandy prit place dans le fauteuil marron en face du bureau de Bill. Celui-ci était toujours jonché de papiers, d'ailleurs Shandy se demandait comment il faisait pour s'y retrouver. Au-dessus du bureau était accrochée une photo de sa femme. Ainsi, elle l'observait comme pour le surveiller.

- Marlowe vient de me faire mal aux oreilles avec sa rubrique nécrologie. Les morts ont leur place au cimetière et nous on se débat toujours dans cette merde, alors donne-moi un peu d'espoir, poursuivit-il.

Shandy se gratta la gorge et croisa les jambes.

- Non ! Non ! Non ! Ne me fais pas ça, ne me dis pas que tu n'as aucun scoop sous la main. Ça me ferait mal tu sais et mon cœur est en mauvaise santé sans parler de ma femme qui me gave de légumes et de soupes depuis mon infarctus. Aide-moi un peu à supporter ma douleur. Donne-moi un scoop, supplia Bill.

- Quoi ? Mais j'ai encore rien dit, protesta Shandy.

- Non, mais je sais que quand tu te grattes la gorge, c'est que tu n'as rien trouvé !

- Bon ok, si tu veux tout savoir, je n'ai rien trouvé cette nuit, avoua Shandy.

- Je le savais, je le savais ! répéta Bill en tapant du poing sur le bureau. Il commença à faire les cent pas dans la pièce.

- Mais j'ai comme qui dirait un scoop de remplacement, ajouta-t-elle sur un ton malicieux.

- Un scoop de remplacement ? demanda Bill incrédule.

- Oui Monsieur Monroe, la journaliste que je suis ne peut rentrer bredouille, ne serait-ce qu'un soir ; c'est pourquoi j'ai toujours un scoop de remplacement dans mon sac.

Les yeux de Bill s'allumèrent à cet instant.

- Ok ça va, je vais briser le suspens. Tiens-toi bien, j'ai interviewé Chandler Mason quelques jours avant sa mort et je suis la dernière journaliste à l'avoir fait.

Bill s'arrêta un instant sous le choc de ce qu'elle venait de lui annoncer, puis il se mit à hurler.

- Quoi ! Tu m’as caché que tu avais fait la dernière interview du plus grand mafieux que cette ville ait jamais connu! Tu es complètement folle ! Combien de temps comptais-tu encore attendre avant de m’en parler ? Côtoyer la flicaille de la ville t'a complètement bousillé le système ! Un scoop pareil, on ne le laisse pas pourrir au fond d'un sac ! Il est où d'ailleurs ce scoop ?

- Dans mon bloc-notes, comme d'hab, répliqua Shandy calmement en regardant la photo de la femme de Bill.

- Alors tu vas aller me préparer cet article illico presto ! L'actualité est brûlante ! Demain matin, on aura de quoi faire enrager les concurrents, dit-il en décrochant le téléphone. Il peut être prêt pour quelle heure ?

- Ça dépend si j'ai le droit de fumer ou non, demanda Shandy nonchalamment.

- Fume tout ce que tu veux, même la moquette du journal, mais ramène-moi cet article le plus vite possible, compris ?

- Ok patron, c'est vous qui décidez après tout, ajouta-t-elle en sortant du bureau.

Ses collègues, qui avaient stoppé toute activité le temps de l’entretien, furent soulagés à la vue de son sourire éclatant de victoire. Juste après, ils recommencèrent à taper sur leur clavier et Big Ed continua de s’envoyer des beignets. En somme, c'était une journée banale au Trail's, le journal à plus gros tirage de la ville d'Andropolis.

Shandy s'assit à son bureau, heureuse une fois de plus d'avoir fait son petit effet. Elle se servit une énorme tasse de café et commença la rédaction de son article sans oublier de s'allumer une cigarette.

De leur côté, Craig et Sonntag étaient rentrés chez l'ancien avocat. C'était une maison située sur les bords de plage de la ville avec un toit en ardoise. Le quartier d’Ocean Drive était si couru que toutes les maisons étaient collées les unes aux autres. Elles avaient toutes un accès direct à la plus belle plage de la ville et à ses réjouissances.

Dans la maison planait une vague odeur de cigarette froide. Le décor était sobre et fonctionnel. Des piles de journaux s'entassaient sur la table, et des coupures de presse jonchaient le sol du salon. Sonntag pensa que définitivement, il y avait bien des choses qui ne changeaient pas. De plus, une bouteille de whisky à moitié vide trônait sur la table du salon.

- Ce sont mes recherches pour une affaire en cours, dit Craig lorsqu'il remarqua que Sonntag gardait les yeux fixés sur les journaux et les coupures.

- Tu n'as plus d'affaire en cours Craig, tu n'es plus avocat.

La dure réalité revint violemment cogner dans ses oreilles. Craig baissa les stores du salon.

- Justement, je travaille à la meilleure affaire de ma vie : la mienne. Pour une fois, je ne travaille plus pour les autres. Je suis mon propre client, répliquatil avec toute la ferveur des derniers croyants.

Il s'approcha de Sonntag jusqu'à ce que son corps entre en contact avec le sien, puis il se pencha vers son oreille et murmura ces quelques mots avec une voix luxuriante et soyeuse :

- Soit tu es avec moi, soit tu es contre moi.

Craig vint lui déposer un baiser dans le creux de son cou. La respiration de Sonntag se fit haletante sous la montée du désir.

- Avec toi, lui répondit-il difficilement entre deux respirations.

Craig entraîna Sonntag dans la chambre. Dans la maison s'éleva bientôt un concerto de gémissements, suivi du requiem des jouissances.

Lorila était assise sur un banc du parc de Lauston, celui qui bordait l'hôpital d'Andropolis. Son visage était empli de tristesse. Les larmes coulaient le long de ses joues. Sa sœur était malade et elle ne pouvait rien faire pour l'aider. Pas de parents pour la soutenir et seulement une petite valise dans laquelle tenait sa vie trop étriquée.

Cette femme était un puits d'amour dont il fallait combler le vide, mais même le chant et la musique n'y parvenaient pas. Alors, comment quelqu'un pourrait-il le faire ? Il y avait bien quelqu'un dans sa vie, oui, mais cela faisait bien longtemps que cet amour ne suffisait plus. Un gouffre, voilà comment elle se sentait. Un gouffre d’émotions et de sentiments. Peu importait la quantité que l'on y jetait, il n'était pas possible d'en voir le fond. Et la tristesse le creusait.

Un oiseau vint se poser dans un nid en face de son banc. Cela lui redonna confiance. La vie continuait autour d'elle ; elle poursuivait son cycle éternel. Cela lui rappela que ce soir elle donnerait son tour de chant habituel à la Santa Maria. Au moins, elle vivait de sa passion. Elle resta là jusqu'au soir à observer la vie aller et venir, puis vint l’heure d’aller chanter pour insuffler un peu de beauté et de force à ceux qui n'y croient plus.

Shandy frappa à la porte du bureau de Bill. Elle avait mis près de deux heures à préparer le papier de la future une du journal. Demain en pleine page trônerait la dernière interview de Chandler Mason, le plus grand malfrat d'Andropolis. Derrière la porte du bureau, personne ne répondit. Elle ouvrit la porte et vint déposer le papier sur le bureau de Bill. Elle fit un clin d'œil à la photo de sa femme. Elle savait que celle-ci était jalouse de la belle journaliste. Si seulement elle savait qu'elle n'avait rien à craindre. Un dernier coup d'œil derrière elle et elle sortit du bureau pour rentrer chez elle et prendre un repos bien mérité avant de repartir à l'assaut du scoop. Pour elle, il fallait être au cœur de l'action pour tâter du scoop. Ce n'était pas en se tenant à distance que l'on devenait journaliste. Elle prit son sac, salua Ed et toute l'équipe de rédacteurs, puis sortit de la rédaction. Il était déjà 15 heures.

Crime, politique et religion

Wanda Fresnow observait la ville par la fenêtre de son bureau au 10ème étage de la tour Sandgate. Cette tour surplombait le parc de Lauston et son lac. Devant la mairie s'étendait une large place où étaient plantés des arbres et quelques bancs. Il y était parfois donné libre cours à quelques manifestations festives. Le bureau de la maire était un exemple de bon goût. Son bureau en bois sombre trônait devant une bibliothèque gigantesque où étaient soigneusement classés tous les dossiers qui avaient trait à la ville. Le sol était recouvert de moquette beige afin d'étouffer le bruit des cent pas qu’elle faisait parfois lorsqu'elle tentait de remédier à un problème. Les murs étaient peints dans une couleur vert d'eau et étaient ornés de divers tableaux témoignant d'un certain goût pour les arts. C’était une petite femme blonde d'environ quarante ans avec un petit nez retroussé qui lui donnait un joli minois. Elle avait de grands yeux verts qui semblaient vous pénétrer à peine étaient-ils plantés dans les vôtres. Elle était mince et tonique et paraissait dix ans de moins que son âge véritable.

- Je veux nettoyer cette ville.

Sa voix résonna dans la pièce comme une lame coupant un fil. Elle était tranchante et déterminée.

Antonio Ramirez, le chef de la police qu’elle avait convoqué, l’écoutait avec attention, assis sur un canapé en cuir au milieu du bureau.

- Le taux de criminalité n'a cessé d'augmenter depuis ces derniers mois. Il ne se passe pas un jour sans que l'on retrouve un cadavre. Cette ville est prise à la gorge par la corruption, le crime et la drogue. Il faut embraser le foyer du crime si l'on veut la sauver. Je sais que tout comme moi vous aimez cette ville et vous êtes l'un des rares en qui j'ai confiance Antonio. C'est pour cela que je vous ai nommé à la tête de la police de la ville. Vos états de service sont la preuve d'une droiture exemplaire et d'une conduite exceptionnelle. Je souhaite que vous puissiez en faire autant pour maintenir cette ville dans le droit chemin. La mort de Mason est une première étape en ce sens. Quelles mesures comptez-vous prendre pour remettre les choses en ordre ?

Orlando, le frère de Wanda, écoutait sa sœur parler, assis à côté d'Antonio. Il la soutenait dès qu'il le pouvait dans les moments difficiles et il savait qu'être à la tête d'une ville comme Andropolis n'était pas une mince affaire. Antonio, de son côté, était assis les jambes croisées. Il avala sa salive avant d'ouvrir la bouche.

- Nous avons mis en place une cellule spéciale d'intervention pour traiter ce genre d'enquête. Elle fait partie d'une opération appelée « Opération Peakson ». Nous allons filer tous les plus grands trafiquants de cette ville pour remonter à la source. Tout le central sera mis sur l'opération jusqu'à ce que l'on finisse par remettre cette ville en ordre.

À cet instant, on toqua à la porte du bureau. Wanda invita la personne à entrer. Une grande femme blonde aux yeux noirs apparut. Elle était maquillée sobrement, cependant, son plus beau bijou restait son sourire qui ornait ses lèvres et adoucissait les traits de sa mâchoire carrée, un sourire sincère et chaleureux. Son corps était d’une perfection infinie. Elle avait la silhouette d’un mannequin suédois, une beauté blonde et chaleureuse qui contredisait le charme des beautés froides à l’instar de Wanda. Elle portait un plateau en argent au milieu duquel se trouvaient trois cafés ainsi qu’une assiette de biscuits. Elle ressemblait à un grand félin et avait des airs de lynx. Elle déposa le plateau sur la table devant le canapé.

- Vous n’aviez pas besoin d’ajouter des gâteaux, Sissi, dit Wanda d’une voix posée.

- Je sais, mais je les ai préparés spécialement pour vous hier soir, j’espère que vous les apprécierez, répondit-elle, toujours en souriant.

- Merci Sissi.

- De rien, Madame Fresnow.

Sissi Becker ressortit avec la même démarche que lorsqu’elle était arrivée et referma la porte doucement derrière elle. Pendant tout le temps où elle avait été dans la pièce, Antonio n’avait pu s’empêcher de la regarder. Cela faisait deux bonnes minutes que Sissi était sortie et il avait toujours les yeux rivés sur la porte. Il entendit à peine Wanda lui parler.

- C’est ma secrétaire Antonio, alors baissez les yeux et n’y pensez même pas.

- Je ne suis qu’un homme, Mademoiselle Fresnow, et en tant qu’homme, j’aime contempler ce qui est beau.

- Nous avons ceci en commun, nous aimons tous deux les jolies choses Antonio. Elle est plutôt bien réussie, non ?

- Quoi, qu’est-ce qui est réussi ? demanda-t-il abasourdi.

- Son ablation du pénis, répondit Wanda en soupirant. Sissi était un homme avant son changement de sexe, maintenant si vous le voulez bien, continuons.

Antonio, quelque peu désarçonné par cette information, prit sa tasse de café afin de se redonner une contenance et y trempa ses lèvres.

- Ne vous en faites pas, vous n'êtes pas le premier à être tombé dans le panneau, lui précisa Orlando en se retenant de rire.

Wanda vint s'asseoir en face des deux hommes sur un fauteuil en cuir.

- J'ai une botte secrète dans mon jeu, Madame Fresnow. Un agent très spécial qui va nous permettre de pouvoir couper court à toutes les manigances criminelles qui se sont infiltrées dans cette ville, dit Antonio.

- Quand pourrai-je le rencontrer ?

- Il se trouve que mon agent tient à ce que son identité reste secrète, et je ne pourrai vous le présenter pour le moment Madame Fresnow, répliqua-t-il quelque peu embarrassé.

- Bien. Tenez-moi au courant de l'avancée. Je veux un rapport détaillé des activités criminelles et des actions policières sur mon bureau, chaque jour. Suis-je claire ?

- Oui Madame Fresnow.

- Vous pouvez retourner à vos activités Antonio, j'ai encore beaucoup de travail. Cette ville ne dort jamais, mais moi oui. N'oubliez pas votre rapport.

- Tout sera fait en temps et en heure, Madame le maire, l’assura-t-il.

- Bien, répliqua Wanda en revenant s'asseoir à son bureau.

Antonio sortit sans même avoir fini sa tasse de café. Le crime ne sommeillait jamais bien longtemps et depuis la mort de Chandler Mason la semaine dernière, les choses s'étaient calmées, mais il gageait que cela ne durerait pas. Il salua Sissi en sortant du bureau et se dirigea vers l’ascenseur.

Wanda observa Antonio sortir du building. Son frère était toujours assis sur le canapé.

- Tu as été un peu sèche avec lui, tu ne trouves pas ?

- Il le faut si je veux refaire d'Andropolis un endroit où il fait bon vivre. Tout le monde peut saisir sa chance ici et je veux que ma ville demeure ainsi. Elle ne doit pas devenir un repaire de criminels sans merci.

Craig descendait le boulevard Odyssey. Dans la mort du jour, la ville entière devenait un cri. Immense et démesuré. Le chant des sirènes qui font le trottoir, les cris des bagnoles de flics, la mélodie de la dope qui fait battre le corps plus fort. Tous ces sons ne faisaient qu'un. Une femme offrit son regard à Craig en lui faisant comprendre qu'elle souhaitait aussi lui offrir son corps. La pute lui tendit un sourire que Craig mua en un rire qui avait l'écho du cristal. Une petite d'à peine vingt ans avec un corps de femme et un visage d'enfant. Rien de plus dérangeant que ce tableau. Mais le sexe est un business qui ne s'arrête jamais. À peine dépassée, la mignonne se fait embarquer par un mec qui vient de s'arrêter sur le bas-côté dans une caisse rouge comme l'enfer avec pour seule destination le plaisir et ses mystères.

Le regard de la ville vint lui gifler les yeux. Les lumières orangées l’enveloppaient d’un éternel coucher de soleil. Elle prenait une pose de carte postale. L'homme sourit. C'était sa ville et il l'aimait comme un homme aime son épouse.

Arrivé en bas du boulevard Odyssey, il s'arrêta devant la façade brûlante et aveuglante de saleté de la Santa Maria. Un dernier regard sur le boulevard et il poussa la porte.

Ceux qui venaient en pensant trouver une façade flamboyante n’étaient pas déçus du long voyage de soif. De dehors, l’endroit semblait être laissé à l’abandon, mais une fois la porte poussée, l’intérieur ressemblait à un vieux club de jazz des années 30. Le patron aimait tromper l’œil des novices et piquer leur curiosité.

Ce soir, il y avait beaucoup de monde. Shandy était au bar en train de commander quelques réjouissances. Il s'arrêta pour la contempler un instant. Un mètre soixante-quinze d'intelligence, d'audace et de folie. Ses cheveux blonds venaient se perdre jusque sur sa chute de reins. Ses yeux étaient d’un noir percutant et, lorsque Shandy vous attrapait du regard, elle ne semblait jamais vouloir vous lâcher jusqu'à ce qu'elle obtienne ce qu'elle voulait. Ce soir, elle portait une combinaison en jean avec des bottines en cuir beige. C'était bien elle, le sens pratique dans toute sa splendeur. Il s'approcha d'elle et vint lui souffler à l'oreille.

- Alors chérie, tu portes une petite culotte ce soir ? Elle sourit avant de se tourner vers lui et de répliquer.

- Toujours pour toi, Craig, tu le sais bien.

- Alors ma belle qu'est-ce que tu racontes ?

- Demain toute la ville va vibrer à la vue de la une du Trail's, répondit Shandy.

- Tu as encore fait fort cette fois-ci ?

- Tu n'en as pas idée. Je nous ai commandé des téquilas, je pense qu'il nous faut au moins ça, tu ne penses pas ? répondit-elle en prenant les verres.

Elle lui fit signe de la suivre et ils se frayèrent un chemin jusqu'à la table réservée pour l'occasion. Elle y déposa les verres. Le brouhaha général s'éteignit quelques instants après en même temps que les lumières.

La musique débuta alors dans le club et Lorila, la petite amie de Shandy, entra en scène. Elle était petite et menue, elle avait une chevelure brune très foncée, des yeux d’un vert profond et subtil. Comment une si petite créature pouvait-elle posséder une voix d’exception apte à assurer autant les aigus que les graves ? Amazing grace.

- Elle est magnifique, dit Shandy en se tournant vers Craig. Je suis si fière d’elle.

- Elle est incroyable, c’est terrible ce qu’elle dégage sur scène, surenchérit-il.

Subjugués par la jeune chanteuse, ils ne prirent conscience que la musique s’était arrêtée que lorsque que la fièvre de la foule envahit l’espace de la salle. Les gens s’étaient levés pour ovationner la jeune femme. On lui jetait des fleurs sur scène. Elle remercia humblement ceux qui l’avaient écoutée, descendit un escalier sur le côté de la scène et disparut dans les coulisses. Craig et Shandy lui emboîtèrent le pas et la rejoignirent dans sa loge. Shandy s’approcha d’elle, un bouquet de roses rouges à la main et l’embrassa.

- Avec tous mes compliments pour toi ma Nina, lui dit-elle en lui offrant un large sourire.

- Oh, arrête de m’appeler comme ça Shandy, tu sais bien que je n’ai pas le quart du talent de Nina Simone, répondit Lorila avec un sourire timide sur les lèvres.

- C’est faux ma belle, dit Craig en se rapprochant. Tu as vu quel effet tu as sur ton public ? Les gens sont en transe lorsqu’ils viennent t’écouter. Ils sont tous subjugués lorsque tu chantes. Tu es très talentueuse. Donne-moi tes fleurs avant qu'elles ne meurent de soif.

Il prit les fleurs et pénétra dans la salle de bain qui se trouvait sur la droite en entrant dans la loge.

Lorila s’assit dans le canapé au milieu de la pièce.

- Tu sais, parfois, j’ai réellement envie d’arrêter de chanter, confia-t-elle à Shandy.

- Tu racontes n’importe quoi ! Au fait, un de tes admirateurs m’a donné ça pour toi, lui répondit Shandy en lui tendant une enveloppe bleue.

La jeune chanteuse s’en saisit mais n’eut pas le temps de l’ouvrir car Esteban Jitanez, le patron des lieux, entra au même moment pour la féliciter. Elle plia l’enveloppe et la glissa dans la poche intérieure de sa veste.

- Congratulations, my dear ! lança-t-il avec son accent hispanique très prononcé.

- Merci Esteban Jitanez. Chanter ici à la Santa Maria demeure toujours un plaisir pour moi, dit-elle en se levant.

- Toujours la perfection, la perfection incarnée dans une si petite personne, répondit-il.

Craig revint à cet instant avec le vase de fleurs et le posa sur la table de maquillage de Lorila.

- Tout ce que j’espère, c’est de ne pas avoir été une trop grande déception ce soir.

- Sublime, comme à ton habitude, ma belle, la rassura Shandy en l’embrassant de nouveau.

Après avoir salué Esteban Jitanez, ils sortirent de la Santa Maria par la porte qui donnait sur une ruelle adjacente.

C'est le plus souvent la nuit que les mystères prennent fin et ce soir Andropolis brillait d'une lueur de résolution. Le central de la ville était sur Foxley Avenue, non loin du quartier de Bertchram. Plutôt calme pour le moment, les choses commencèrent à se gâter vers 3 heures du matin lorsque le central fut appelé. Le corps d'une nonne flottait dans l'eau du port. Le sacré n'avait plus sa place, même parmi les bandits. Au moins, le corps de la nonne dans l'eau avait transformé l'eau du port en eau bénite. Antonio Ramirez se rendit sur place avec l'une de ses équipes. Le spectacle était saisissant. On l'avait étranglée avec son chapelet, puis on lui avait par la suite tiré une balle dans la tête. C'était des dockers qui avaient signalé la présence du cadavre.

De tous les lieux de la ville, le port d'Andropolis était bien le plus crapuleux. Trafics en tous genres et autres divertissements venaient se mêler aux règlements de comptes entre gangsters. Il n'était pas rare que la police intervienne à plusieurs reprises dans la même nuit sur des affaires qui avaient toutes pour décor le port. Ils eurent l'identité de la victime avant l’aube. Sœur Marie Viviana du couvent de la Mission au monde.

Les flics arrivèrent au couvent pour enquêter sur l'étrange mort de cette sœur. À cinq heures trente du matin, le couvent s'éveillait habituellement avec la première messe et les premières prières du matin, mais là ce fut le bruit de la justice sur la porte qui l’éveilla. La mère supérieure, Marie Rosa, vint à la rencontre des policiers. Antonio se présenta à elle et, après lui avoir exposé la situation succinctement, elle l'invita à la suivre dans son bureau. Si tôt la porte refermée, elle s'assit en silence et pria Antonio de faire de même.

- Alors, dites-moi mon cher ce qui vous amène de si bon matin entre ces murs ?

- Ce matin, nous avons repêché le corps d'une de vos sœurs dans le port. Il s'agirait de Sœur Marie Viviana, lui répondit Antonio.

- Paix à son âme, répondit-elle en faisant le signe de croix. Comment pouvez-vous être sûr qu’il s’agit de Sœur Marie Viviana ?

- Je la connais car elle enseignait dans l'établissement où est scolarisé mon frère, répondit-il.

- Votre frère… Redites-moi votre nom je vous prie, lui demanda la nonne.

- Ramirez, Ma Sœur.

- Toze Ramirez est donc votre frère. Un garçon intelligent et plein de capacités, mais qui a besoin d'un bon recadrage répondit la nonne en se caressant le menton.

- Si vous le permettez, Ma Sœur, ce n'est pas pour discuter des prouesses scolaires de mon frère que je suis là, mais pour résoudre un crime. Savez-vous ce que faisait Sœur Marie Viviana à cette heure-ci en dehors du couvent ?

Elle prit le chapelet qui se trouvait autour de son cou et joua avec.

- Je n'en ai pas la moindre idée. À vrai dire, cela fait deux semaines que nous ne l'avons pas revue. Elle avait à peine 26 ans. Elle m'avait confié il y a un mois de cela que sa maman était très malade et qu'il lui faudrait sûrement s'éloigner un temps du couvent afin de s'occuper d'elle. Elle m'en a donc fait la demande il y a environ deux semaines de ça. Puis elle est partie. J'ai eu de ses nouvelles il y a à peu près trois jours de cela. Sa maman allait mieux, elle était en voie de réintégrer le couvent le plus tôt possible, expliqua la mère supérieure.

Elle serrait à présent le chapelet dans sa main.

- Autre chose, Ma Mère, savez-vous pourquoi elle était vêtue en habits civils lorsque nous l'avons retrouvée ?

- La mission des sœurs de la Mission au monde est de venir en aide à tous les nécessiteux, c'est une mission résolument tournée vers les autres et vers le monde extérieur. Ainsi, lorsque nous sortons des murs de ce couvent, il n'est pas rare que revêtions des tenues civiles afin de mieux intégrer leur mission dans le monde. Comme vous le savez déjà, sœur Marie Viviana était profondément attachée aux missions d'éducation puisqu'elle était enseignante.

Antonio ne pouvait s'empêcher de penser que la mère supérieure lui cachait quelque chose. Elle semblait décidément trop nerveuse pour être honnête, mais elle ne lâcherait rien d'autre que ce qu'elle lui avait dit.

Antonio se passa la main sur le visage. Il ne servait à rien d’insister, les aveux d’une religieuse étaient les plus difficiles à obtenir, étant en ligne directe avec Dieu. Le pardon express en 5 secondes du couvent au Très-Haut.

- Bien, je ne vais pas vous prendre plus de temps qu'il n'en faut. Tenez, dit Antonio en lui tendant sa carte. Je vous laisse mon numéro. Si jamais des détails utiles concernant cette enquête vous reviennent, n’hésitez pas à m’appeler.

Il se leva et sortit du bureau. La mère supérieure, restée seule, prit son chapelet entre ses mains et les joignit l'une à l'autre en position de prière.

- Mon Dieu, pardonnez-moi pour tous ces mensonges. Faites en sorte que sœur Marie Viviana repose en paix. Notre Père qui êtes aux cieux, soyez indulgent avec nous. Nous n'avons pas souhaité sa mort. C'est l'un de nos meilleurs éléments qui nous a quittés. Prenez pitié de nos faiblesses.

On toqua à la porte. Elle se ressaisit, arborant un visage désormais impassible.

- Entrez ! lança-t-elle d'une voix forte.

Le père Amaro pénétra dans le bureau. C’était un vieux prêtre aguerri aux cheveux blancs qui frôlait la soixantaine.

- Bonjour Mon Père, le salua-t-elle.

Il la salua en retour et vint s'asseoir en face d'elle.

- Ma Mère, est-ce vrai ce que j'ai entendu dire ? lui demanda-t-il inquiet. Sœur Marie Viviana n'est plus de ce monde ?

- Je crains d'avoir à confirmer vos craintes Mon Père.

- Il ne faut pas faiblir Ma Sœur. Soyez forte. Vous savez comme moi que pour que notre mission réussisse, il faut qu'elle demeure secrète.

- Je le sais bien Mon Père et je sais également tous les sacrifices et les risques qu'une telle mission comporte.

- La pérennité du bien doit passer par des sacrifices et celui de sœur Viviana en fait partie, ajouta-t-il. Ne leur donnez que ce qui est strictement nécessaire à l'enquête, après tout, nous aussi nous voulons savoir la vérité sur sa mort. Le courage est votre vertu pour la sauvegarde de la mission. Soyez forte. Je vous vois à l'office.

Le père Amaro sortit du bureau de la nonne tandis que celle-ci resta seule à réfléchir, en récitant des psaumes.

Antonio, de son côté, était parti rejoindre le central. Au volant de sa Camaro noire, il ne pouvait s'empêcher de penser que la mère supérieure lui cachait quelque chose. Il ne savait pas bien quoi pour le moment, mais il allait bientôt le découvrir.

Instant de nuit

Craig marchait devant les filles qui se tenaient par le bras. En cette soirée, le temps était d’une clémence délicate. Alors qu'ils marchaient, la nuit inspirait avec eux son flot d’illusions. Après un concert pareil, ils remontaient les grands boulevards de la ville, vers l’appartement des filles qui se trouvait en bordure des plages, à l’écart du centre. Il était grand, avec vue directe sur la mer et le firmament. Lorila, épuisée, devait se reposer pour son tour de chant du lendemain.

Ils passèrent près du port. Craig eut un frisson. La suprême étendue de l’océan le troublait, car il avait la sensation que ses masses semblaient vouloir l’engloutir dans un tombeau infini. Le port réveillait en lui des souvenirs qu'il aurait préféré ensevelir dans l'oubli. Shandy le remarqua.

- Ne te laisse pas dominer par ce que tu ressens Craig, le rassura-t-elle. Un jour, tu rétabliras la vérité.

Il se tourna vers elle et esquissa seulement un sourire pour la remercier. Ils continuèrent de monter vers Stanlon Street, et après encore dix bonnes minutes de marche, ils arrivèrent chez les filles. Une porte de bois taillée dans l’acacia, ils y étaient. Lorila ne tenait plus. Se produire la laissait toujours tremblante d’épuisement. Ils entrèrent. Shandy porta Lorila jusque dans la chambre, puis la mit au lit. Craig s'assit un instant en tentant d'éloigner ces pensées qui l'enchaînaient à l'angoisse du passé. Une fois dans la chambre, Shandy dévêtit Lorila. Elle lui prit la main et s’assit à côté d’elle, caressant son pouls. Une caresse sur sa chevelure, le murmure d’un baiser, la brûlure d’une étreinte. Un dernier baiser sur le front et c’était le temps du labeur, la belle devait s’en retourner au travail. Elle sortit de la chambre, son sac à la main.

- Tu veux un dernier verre Craig ?

- Comme d'habitude ma belle.

Elle lui concocta une boisson qu'il aimait par-dessus tout : un « whiskylla », c'est-à-dire un whisky dans lequel elle trempait une gousse de vanille. La boisson préférée de son ami. Elle revint avec deux verres remplis puis elle s’assit en face de lui.

En silence, ils trempèrent leurs lèvres dans cette boisson. Craig observait son amie. Même pas la trentaine et elle dégageait un charisme et une assurance folle. Là où elle pénétrait, rares étaient ceux qui ne lui offraient un scoop. Elle jouait de son charme sauvage pour obtenir ce qu'elle désirait. Une femme prête à tout. Une vraie femme, quoi.

Un silence s'instaura durant lequel ils ne se lâchèrent pas des yeux. À présent, Craig était détendu.

- Tu te rappelles ce jour où l'on s'est rencontrés ? Ce jour où la grande Shandy m'est apparue sur le parvis du tribunal ? demanda Craig.

- Bien sûr, j'étais encore une jeune journaliste innocente et débutante, incapable du moindre scoop.

- Tu portais une combinaison rouge avec un trilby beige et des lunettes de soleil. C'était au printemps et je venais de traiter une affaire qui blanchissait Mason de tous ses crimes.

- Je me rappelle de ton éloquence ce jour-là. Ton réquisitoire avait même laissé le juge Molt sans voix. Je crois qu'il n'avait jamais croisé d'avocat digne de ce titre avant cette affaire. Je crois qu'il ne s'en est jamais remis d'ailleurs. Quelle ironie que ce soit le juge que tu aies débouté qui t'a précisément mis aux arrêts.

- Je pense qu'il m'en a toujours voulu pour avoir réussi à blanchir un homme comme Mason.