Blessure d’enfance - Mickaël Burdin - E-Book

Blessure d’enfance E-Book

Mickaël Burdin

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Beschreibung

Arnaud, un jeune homme de trente-cinq ans, vit dans l’ombre de son passé après la séparation de ses parents. Lorsque Gisèle, sa mère, rencontre Paul, Arnaud voit en lui une figure paternelle, comblant le vide laissé par son père biologique. Cependant, alors que leur vie semble parfaite, des flashs troublants du jeune homme refont surface. L’arrivée de Joseph, le nouveau compagnon de Gisèle, rompt l’harmonie familiale, en raison de son hostilité envers Arnaud, accentuée par l’homosexualité de ce dernier. Il se retrouve de ce fait confronté à un choix impossible entre ses souvenirs, son identité et les pressions de son entourage.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Mickaël Burdin entreprend l’écriture de cet ouvrage dans le dessein précis de confronter ses démons intérieurs, d’avancer et de se libérer des traumatismes qui le hantent. De nombreux lecteurs reconnaîtront certainement des éléments de leur vie personnelle à travers celle d’Arnaud.

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Mickaël Burdin

Blessure d’enfance

Roman

© Lys Bleu Éditions – Mickaël Burdin

ISBN : 979-10-422-3748-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Dans ce récit écrit à la troisième personne, Mickaël Burdin nous livre sans doute beaucoup plus de lui qu’il ne veut le reconnaître. Il laisse volontairement le flou entre réalité et fiction. Aussi, est-ce à travers son personnage, Arnaud, qu’il narre l’histoire d’un jeune homme évoluant dans un contexte familial difficile. Nous ne pouvons qu’être sensibles à cette empreinte autobiographique très présente, dont l’auteur peu à peu se démarque, pour introduire une dimension romanesque prenante et un final très inattendu.

Dès les premiers chapitres, on se laisse embarquer, aux côtés d’Arnaud enfant, au beau milieu d’une famille peu aimante, sans bienveillance, dominée par un père destructeur. Combien d’entre nous ont connu un tel entourage délétère qui se reconnaîtrons dans les interrogations et les affres du narrateur !

Dans ces conditions, comme les enfants orphelins rêvent de parents idéaux qui les retrouveront un jour, Arnaud aspire à rencontrer sur sa route de jeune adulte un père digne de ce nom qui enfin l’aimerait. Le second compagnon de sa mère ? Peut-être…

Des « peut-être » qui jalonnent le récit : que signifient ces flashes qui assaillent le jeune homme ? Qu’a-t-il vécu réellement dans sa petite enfance ? Faut-il en passer par l’hypnose pour se libérer de ces « peut-être » ? Toutes interrogations qui nous tiennent en haleine et suscitent notre empathie.

Car je mise que vous aussi, qui vous apprêtez à lire ce roman, ressentirez cette empathie en accompagnant Arnaud dans son irrépressible besoin de vérité et dans sa quête éperdue d’amour.

Dominique Faure

Avant-propos

Quand vous rencontrez Mickaël, vous pouvez être sûr qu’il va vous émouvoir à travers son attitude et son humanité. Ce fut mon cas lorsque j’ai fait sa connaissance en mars 2023. Il était désireux de rejoindre l’association que je présidais depuis peu, une association luttant pour la défense des droits des personnes LGBTQIA+ dans notre département. Sa volonté d’engagement était évidente. Rapidement, une amitié sincère s’est tissée entre nous. Mickaël est même devenu par la suite « mon grand frère de cœur ».

Je suis aide-soignant aux urgences, j’ai toujours eu besoin de tendre la main à mon prochain. Mes différentes rencontres ont constitué l’être que je suis. Mickaël est arrivé dans ma vie à une époque où je me questionnais énormément sur mon avenir associatif et personnel. Cette rencontre m’a permis de préciser mon cheminement intime. Malgré son enthousiasme apparent, j’ai perçu une douleur dissimulée derrière son sourire, liée certainement à une rupture familiale et à des tourments plus profonds. Au fur et à mesure que notre relation grandissait, j’ai pu ressentir une zone d’ombre qu’il me fallait découvrir.

Il avait écrit un précédent livre, Père-sévère, un récit autobiographique où il relatait des souvenirs d’enfance et d’adolescence. Au fil des pages, j’ai découvert son passé et j’ai compris les conséquences de ce dernier sur sa vie actuelle. Bien que nos vécus et nos blessures diffèrent, nos chemins se sont croisés pour une raison précise que, même encore aujourd’hui, je ne saurais déterminer. Mais qu’importe puisqu’un lien s’est forgé.

À travers le roman Blessure d’enfance, Mickaël nous raconte l’histoire d’Arnaud, un homme de trente-cinq ans qui va être rattrapé par des traumatismes passés. Par le biais de ce personnage, l’auteur ne nous livre-t-il pas des bribes de sa vie en filigrane ? Cette histoire poignante résonne en chacun de nous, nous rappelant la nécessité de surmonter nos traumatismes pour trouver le bonheur.

Hugo Dudouit

Chapitre 1

Portraits de famille

Pour Arnaud, la vie a mal commencé.

Guilbert, son oncle, est un « marginal » qui a eu une enfance difficile.

Anne, sa mère, employée de maison dans les années cinquante, est tombée enceinte d’un homme de passage. Elle s’est retrouvée seule pour élever son fils, ce qui était très mal vu à l’époque. Qualifiée de « fille-mère », elle savait qu’elle aurait du mal à trouver un époux.

Guilbert avait quatre ans quand elle fit la rencontre de Camille et tous deux se sont unis quelques mois plus tard. Elle s’est très vite rendu compte du penchant pour l’alcool de son mari. Cela le rendait violent et agressif. Éméché, il se battait régulièrement dans les bars, à tel point qu’un soir, il a failli tuer un homme en cherchant à lui casser une chaise sur la tête. Le drame a été évité de peu, grâce à l’intervention d’autres habitués du lieu. La brutalité de Camille ne s’exerçait pas seulement à l’extérieur, mais aussi dans sa propre maison où les disputes étaient fréquentes. Il bousculait sa femme, la traitant de « grosse ».

Quelques mois après sa rencontre avec Anne, Camille a accepté de reconnaître Guilbert comme son propre fils, mais il avait manifestement « une dent » contre le jeune homme. Aussi, tous les prétextes étaient bons pour lui asséner des coups de ceinture. Anne restait la plupart du temps impuissante face à cet acharnement. Même lorsqu’elle le suppliait d’arrêter, Camille ne l’écoutait pas. Il semblait prendre un malin plaisir à violemment rudoyer celui qu’il qualifiait de « bâtard ».

En réaction à cette maltraitance, au moment de son adolescence, vers ses quinze ans, Guilbert multipliait les délits, cassait des vitrines et commettait quelques larcins ici et là. Une façon pour lui d’exister. Il était presque toujours arrêté par les forces de l’ordre et ramené chez ses parents. Son père lui infligeait alors une « correction » des plus énergiques et selon lui bien méritée, puisqu’il n’était qu’un « mauvais fils », « un bon à rien ».

Mais Guilbert n’était pas le seul à se voir infliger ces sévices presque quotidiens. Il avait quatre ans lorsqu’Anne et Camille eurent un enfant ensemble, Victor. Enfant calme et plutôt facile, cela ne l’empêchait pas de se faire corriger par son père. On ne lui passait rien à lui non plus. Ainsi, le jour où le jeune garçon – il avait alors dix ans – omit de dire « bonjour » à son père, celui-ci n’hésita pas à lui casser un bol sur la tête, ce qui valut à l’enfant d’être conduit aux urgences. Mais il y avait pire encore. À plusieurs reprises, dans des moments de colère incontrôlables, Camille lui avait serré le cou pour tenter de l’étrangler. Sans l’intervention de sa mère, le garçonnet aurait certainement suffoqué.

Afin de pouvoir mieux dominer son entourage, Camille faisait en sorte d’éviter une union entre les deux frères. Il a pour cela créé un climat de rivalité. Il avait cependant une préférence pour Victor, son fils « naturel », et se plaisait à l’afficher devant Guilbert pour lui signifier qu’il n’était pas à sa place et qu’il n’avait aucune raison de l’aimer.

La maltraitance n’était pas uniquement physique. Camille aimait humilier ses fils, les dénigrer et se moquer d’eux, notamment de leur apparence ou de leurs choix de vie. Lorsque Victor fut en âge de sortir en discothèque et qu’il rapportait fièrement à ses parents qu’une fille l’avait regardé, Camille aimait lui rétorquer : « Et alors ? Un chien regarde bien une merde ! » Une façon de rabaisser son fils et de casser sa confiance en lui.

Étonnamment, et en total contraste avec la brutalité dont il usait vis-à-vis de sa famille, cet homme s’intéressait aux arts. Passionné de peinture, il réalisait des nus de femmes qu’il vendait à des amateurs d’Art. Il écrivait aussi de la poésie. Cependant, il estimait être le seul à avoir du talent et n’entendait pas laisser ses fils trouver leur place dans quelque domaine que ce soit.

Il méprisait également sa femme et prenait plaisir à le lui faire sentir pour des broutilles en des comportements extrêmes, particulièrement à table. Les plats préparés n’étaient pas à son goût ? Il crachait la bouchée d’un air dégoûté. Anne laissait faire, ramassait, épongeait, nettoyait, car elle préférait se taire et ignorer ces humiliations répétées.

Dans ce contexte aussi malsain, il n’est pas surprenant que, dès sa majorité, Guilbert décidât de prendre son indépendance. Passionné de cuisine, il entreprit de travailler comme commis dans une petite entreprise de restauration. Il y rencontra Mireille, une séduisante jeune femme d’origine espagnole avec laquelle il eut un fils : Philippe. Séduit par l’univers des gens du voyage, qui symbolisait pour lui la liberté, l’envie lui vint un beau jour de louer une caravane et de s’y installer avec sa femme et son fils. Fan de Johnny Hallyday, il arborait sur ses bras de nombreux tatouages, dont une tête de loup sur l’épaule droite à l’instar de son idole. Il était souvent vêtu d’un tee-shirt représentant le rockeur. Enveloppé, le cheveu gras, la barbe mal entretenue, il avait de manière générale un look plutôt négligé, un style « bikeur », mais sans la moto. Sous une apparence dure et une voix qui portait, il avait un bon fond. Son style était en réalité une carapace qui cachait une blessure. Guilbert était un être meurtri.

Quant à Victor, il n’est pas resté proche de son frère : tous deux se voient rarement. Victor se marie, lui aussi, avec Gisèle, rencontrée lors d’un bal de quartier. Peu après leur union vient un enfant, Arnaud. Sa jeune vie va-t-elle connaître à son tour les retombées d’une ascendance si difficile ?

Sa famille est « toute petite ». Gisèle a une sœur jumelle, Aurore, qui peut rester des années sans donner de nouvelles et réapparaître du jour au lendemain. La cellule familiale du jeune homme se résume donc principalement à ses deux parents : Gisèle et Victor.

Sa mère, très renfermée, a peu d’amis. Elle est hôtesse de caisse dans une grande surface. Épouse effacée, elle se retranche toujours derrière l’avis de son mari qui prend toutes les décisions importantes du couple. Elle n’aime pas les responsabilités et a peu d’ambition professionnelle. Elle aime cuisiner et a une véritable obsession pour le ménage. Elle se contente d’être une parfaite femme d’intérieur.

Victor, le père, est commercial. Contrairement à sa femme, il fait preuve d’un caractère affirmé. Il a déjà trompé Gisèle de nombreuses fois, mais ne culpabilise pas pour autant : il voit ses infidélités comme des preuves de son succès auprès de la gent féminine. En public, il manifeste une indéniable facilité à faire « son show ». Il passe alors pour un homme agréable et sympathique. Cependant, à d’autres moments, il peut se révéler très goujat et ne craint pas d’affirmer un sexisme et une homophobie d’une grande virulence.

Chapitre 2

Foyer

Arnaud est scolarisé à l’âge de quatre ans, en classe de moyenne section. À cette époque, ses parents habitent en banlieue. La population est cosmopolite. Le jeune garçon peine à se faire accepter par ses camarades, car il est timide, en retrait. Il a tendance à rester dans son coin, l’air rêveur. Lorsqu’un camarade l’invite à jouer, il a tendance à refuser, préférant rester seul, plongé dans ses pensées. Il est dans sa bulle. Un peu comme pour se protéger du monde extérieur.

C’est un bon élève appliqué et toujours poli avec ses enseignants.

Étant de la fin de l’année, il n’a pas encore six ans lorsqu’il entre en cours préparatoire. Entre-temps, ses parents ont déménagé. Ils vivent dans un petit lotissement proche du centre-ville. Le garçon va dans une petite école, proche de chez lui.

Il a du mal à se faire accepter par les autres. N’ayant pas eu de frère ni de sœur, il est souvent maladroit dans son approche avec les enfants de son âge. Il est plus à l’aise avec les adultes. Il titille les garçons pour attirer leur attention, mais bien souvent ceux-ci n’apprécient pas son attitude et ont tendance à le repousser. Parfois, l’échange tourne même en bagarre. Face à cette hostilité qu’il ne comprend pas, Arnaud se tourne vers les filles qu’il trouve plus douces et plus calmes. Cela lui vaut alors quelques railleries. « Un garçon qui préfère la compagnie des filles, ce n’est pas normal ! » Tandis que les garçons jouent au football au centre de la cour de récréation, Arnaud cueille des pâquerettes dans la pelouse et fait des colliers avec ses amies.

Toujours très studieux, il fait fi des moqueries et se concentre sur son travail scolaire.

À son entrée au collège, il est mieux intégré dans sa classe. Il a un petit groupe d’amis. L’ambiance est plus conviviale. Arnaud a peu à peu appris à faire connaissance et à se montrer sociable et agréable avec les adolescents de son âge. Jugé trop sérieux, l’étiquette d’intello lui est attribuée. Il accepte cette image. Il vient à l’école pour travailler, pas pour être populaire. Il aime l’ensemble des matières enseignées, à part l’éducation physique et sportive. Il s’y sent mal à l’aise. Il n’aime pas les tours de stade en footing imposés par son professeur. Il n’en voit pas l’intérêt. Lors des sports collectifs, il se sent comme « un chien dans un jeu de quilles ». Mal à l’aise et un peu gauche, il n’a qu’une hâte, que cela se termine au plus vite. Il préfère de loin les cours de mathématiques et de français.

Il se rend à son établissement en bus. Les cours finis, aux alentours de dix-sept heures, il rentre aussitôt chez lui. Il refuse d’aller boire un verre avec ses amis, car il aurait l’impression de ne plus être « sur le droit chemin ». Il arrive en premier au domicile parental. Il regarde un peu la télévision pour se détendre, tout en prenant son goûter, puis une fois sa série préférée, il va dans sa chambre faire ses devoirs. Son père rentre une heure après son fils. Sa mère qui travaille en grande surface arrive plutôt vers vingt heures.

À l’âge de dix-sept ans, Arnaud est placé en foyer. « Pour le protéger », selon les services sociaux. L’adolescent a mis un voile sur une partie de son passé : comme une amnésie choisie. Il ne fait plus vraiment de liens entre les événements et leurs conséquences. Il se rappelle juste avoir emménagé dans un centre pour jeunes à quelques kilomètres de chez lui.

Il se souvient que sa mère l’a accompagné. C’était en fin de matinée. Il avait juste une valise avec lui regroupant l’essentiel de ses affaires : des vêtements et quelques produits d’hygiène. Arrivé à l’entrée, il s’est présenté à l’accueil. Sa mère l’a laissé là, après l’avoir regardé une dernière fois, les yeux remplis de larmes, mais incapable de le prendre dans ses bras. Sans doute, si elle l’avait fait, n’aurait-elle pu le lâcher, s’était dit Arnaud, surpris de cette déchirure qu’il ressentait chez cette femme qui était généralement d’un naturel distant, peu câline, et aux émotions enfouies.

Il donne à la dame de l’accueil des documents dont il ne se souvient plus du contenu et, lorsqu’il se retourne, sa mère est partie. Une autre personne vient voir Arnaud et l’invite à la suivre. Elle lui demande de prendre sa valise. Il a gardé le souvenir d’un long escalier qui lui semblait interminable. On lui explique qu’il y a quatre chambres par palier et que si le foyer paraît désert, c’est parce que la plupart des résidents sont en cours ou au travail. La dame s’arrête devant une porte et lui fait signe de l’ouvrir. Il s’exécute et voit alors une petite chambre d’une dizaine de mètres carrés. La décoration est très minimaliste : un lit, un lavabo, une petite table de nuit et une armoire. L’employée lui propose alors de s’installer. Elle lui indique qu’à midi il devra descendre dans la salle commune pour prendre son repas.

Arnaud s’assoit sur le lit, le regard vide. Au bout d’un moment, il s’approche de la fenêtre qui donne sur une cour intérieure. Dans un premier temps, il a l’impression d’un abandon, d’un grand vide, mais cela ne l’inquiète pas : il voit avant tout cet endroit comme un abri, un lieu protecteur. Il a l’impression qu’ici, on ne pourra plus lui faire du mal. Du mal ? Mais de quel mal s’agit-il ? Son cerveau s’est mis en mode « pause », son inconscient a bloqué des souvenirs apparemment douloureux. Arnaud n’est pas encore prêt à les affronter.

Il reste à rêvasser dans la chambre, puis se décide à sortir quelques affaires et les dispose pour s’approprier un peu les lieux. Il commence par les affaires de toilette : sa brosse à dents, son dentifrice, une crème hydratante pour le visage. Il les pose au-dessus du lavabo. Puis, il accroche ses vêtements aux cintres de la grande armoire. Il a un poster de Jil Caplan, son idole depuis qu’il a dix ans. Il s’autorise à le scotcher sur un mur, afin de mettre un peu de gaieté dans ce lieu si neutre. Il regarde l’artiste, la trouve belle. Il a l’impression d’être moins seul. Il s’approche de l’affiche et caresse le visage de la chanteuse. Une grande tristesse l’envahit tout d’un coup, sans qu’il ne puisse l’expliquer.

Midi approche. Le jeune homme obéit aux consignes qui lui ont été données et descend dans la salle commune. Il arrive dans une grande pièce où se trouvent plusieurs jeunes de son âge, attablés par groupe de six. Un léger brouhaha se fait entendre. Il a repéré une table occupée par un garçon seul, il va s’asseoir à côté de lui. Bien que le garçon soit un peu plus âgé, la discussion se fait naturellement. Sylvain vient de Marseille, comme en témoigne son accent chantant. Lui aussi a été placé, mais il ne révélera les raisons de cette décision que quelques semaines plus tard. Sylvain se montre très accueillant vis-à-vis du nouveau venu. Grâce à sa gentillesse, Arnaud se sent à l’aise et en confiance. Il sait qu’ils vont facilement faire connaissance.

Ils sont rejoints par un autre garçon et trois filles. « Oh un petit nouveau ! » lance Jérôme. C’est un jeune garçon d’une quinzaine d’années environ. Il est en classe de seconde. D’allure maigre et longiligne, il a le profil de l’adolescent type qui a grandi rapidement et n’a pas encore eu le temps de s’étoffer. Son visage est maigre, mais il a un air sympathique. Malgré sa jeunesse, il a une voix assez grave. Il regarde Arnaud avec un petit sourire. Un contact s’établit très vite entre les deux jeunes garçons.

Sandrine est apprentie boulangère. Elle aussi a un accent du Sud. Elle est très spontanée. Elle parle assez fort et n’est pas très distinguée dans ses propos. Son allure jugée négligée par la plupart des jeunes du foyer lui vaut quelques railleries, dont elle a décidé de faire fi. Arnaud est à la fois surpris et attendri par cette jeune fille libérée de tout complexe.

Mélanie est plus discrète. Elle parle peu et ne sourit pas. Elle semble préoccupée. Néanmoins, il se dégage d’elle une certaine douceur.

Enfin, il y a Bénédicte, qui donne l’impression d’être une bonne vivante. Elle a un excès de poids qu’elle paraît assumer. Très vite, elle évoque des problèmes relationnels avec son père. Pour elle, ses kilos sont une protection, une façon de mettre de la distance entre elle et son entourage. Elle ne veut pas être « comme toutes les autres ». Elle prétend n’avoir aucune envie d’être « un canon », car elle ne veut pas paraître désirable au regard de la gent masculine. Avoir un corps « hors norme » est sa façon de tenir à l’écart les personnes qui pourraient être mal intentionnées.

La discussion est animée et très agréable. Arnaud se sent de suite intégré au groupe. Les rires fusent. Chacun raconte ses anecdotes de la journée. Le repas est du type « cantine », servi dans des barquettes à se partager. Le jeune homme n’a que faire de ce qu’il a dans son assiette tant il est heureux de l’ambiance. Après le repas, la discussion se poursuit dans la cour, mais très vite, chacun doit retourner à ses occupations.

Pour ce premier jour, Arnaud ne va pas au lycée. Il a tout son temps pour s’adapter à son nouvel environnement, il propose au petit groupe de venir dans sa chambre le soir. Tous acceptent, sauf Sylvain qui doit se lever tôt le matin et préfère ne pas participer à cette réunion.

Comme convenu, en fin de journée, tous se retrouvent dans la chambre d’Arnaud. Jérôme occupe la chambre voisine et Sylvain est juste en face. Le foyer est mixte, mais les garçons et les filles ont des étages spécifiques et, en théorie, n’ont pas le droit d’aller dans les chambres les uns des autres : les garçons doivent rester entre garçons et les filles entre filles. Cependant, les jeunes gens n’hésitent pas à transgresser cette règle.

Jérôme a apporté son poste de radio et met quelques CD. Il est fan d’Indochine et de Renaud. Il aime chanter en même temps que ses idoles. Avec l’enthousiasme, très vite, le volume sonore des conversations augmente au point que Sylvain est obligé de venir frapper à la porte de la chambre pour demander à ses amis de faire moins de bruit. Il est visiblement agacé. Pourtant, Arnaud perçoit dans son expression une attitude de grand frère. Lui qui est fils unique se sent déjà rassuré de connaître ce jeune homme qui pourrait être pour lui un protecteur.

Le lendemain, Arnaud se rend à son lycée. La journée se passe dans le calme. Le jeune homme est un élève sérieux et consciencieux. Il est en classe de terminale, section littéraire. Il a quelques difficultés en anglais, mais est plutôt à l’aise en italien, la deuxième langue étrangère qu’il a choisi d’étudier. Il s’intéresse à la philosophie, même s’il se rendra compte par la suite que la matière qui lui est enseignée est plutôt un mixte entre philosophie et psychologie. Dans sa classe, on lui a très vite donné l’étiquette de « l’intello ». Il n’est pas particulièrement populaire, mais il n’est pas non plus le « mal-aimé ». Il vient au lycée pour apprendre, avoir de bonnes notes. Il a quelques copains et copines, mais sa priorité, pour l’heure, n’est pas d’être « populaire ». Il ne parle pas à ses camarades de classe de son placement en foyer. Il reste manger à la cantine le midi. Lorsque les cours de l’après-midi se terminent, à dix-sept heures, il a hâte de rentrer retrouver ses nouveaux amis.

C’est avec Jérôme qu’il semble avoir le plus de complicité. Ils discutent de longues heures dans la chambre de l’un ou de l’autre. Puis, très vite, ils chahutent. Ils font des « combats » en cherchant à immobiliser l’autre. Ils se retrouvent parfois dans des positions assez inconvenantes. Peut-être une façon de canaliser des pulsions qu’ils ressentent l’un pour l’autre ? Mais aucun d’eux, à ce moment, n’a conscience de ce besoin de contact. Ils voient cela comme un jeu. Les filles, elles, s’amusent de les voir aussi proches.