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Plongez dans le récit percutant d’un chirurgien militaire, témoignant de son engagement lors des missions qu’il a menées à Kaboul en 2002 et 2008. Explorez avec lui l’évolution complexe de la situation militaire, politique et sociale, ainsi que les avancées médicales réalisées sur le terrain. Découvrez ses réflexions sur l’impact de cette guerre, son analyse approfondie de l’opération Pamir et ses implications futures.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Chirurgien des Hôpitaux, chirurgien orthopédiste-traumatologue civil,
Jean-Jacques Gros a pratiqué cette même spécialité avec le grade de Médecin en Chef au cours de neuf OPEX en Afghanistan, en Afrique, dans les Balkans et pendant le conflit libyen comme chirurgien du porte-avions Charles de Gaulle. Membre de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale, il est également Chevalier de l’Ordre National du Mérite, titulaire de la Croix du Combattant Volontaire, et de neuf autres décorations.
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Jean-Jacques Gros
Blouse blanche
et burkas noires
Chirurgien militaire pendant
le conflit afghan 2002 et 2008
© Lys Bleu Éditions – Jean-Jacques Gros
ISBN : 979-10-422-3582-6
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Allez où la Patrie et l’Humanité vous appellent, soyez y toujours prêts à servir l’une et l’autre et s’il le faut, imitez ceux de vos généreux compagnons qui au même poste sont morts martyrs de ce dévouement intrépide et magnanime qui est le véritable acte de Foi des hommes de notre État.
Baron Pierre-François Percy – 1811,
Chirurgien en chef de la Grande Armée,
aux chirurgiens-sous-aides
La signification des mots comportant les astérisques (*)
se retrouve dans le glossaire en fin d’ouvrage
Le Transall vient de décoller de Douchanbé, première rotation des quatre prévues, dans le petit jour des plateaux du Tadjikistan.
Engoncés dans nos gilets pare-éclats, serrés les uns contre les autres sur les bancs de toile, militaires et civils, nous commençons à réaliser de façon concrète que Kaboul n’était sûrement pas une destination de vacances.
Hier matin pourtant, hormis le grand nombre de tenues camouflées et les sacs militaires remplaçant les valises, tout pouvait laisser croire à un joyeux départ de charter.
Rendez-vous à ROISSY, comptoir d’enregistrement classique au milieu de ceux affichant les noms de destinations paradisiaques, ambiance détendue au sein d’une centaine de militaires et d’une vingtaine de journalistes venant couvrir une cérémonie Franco-Afghane prévue à Kaboul dans trois jours.
Seule Christelle, l’Infirmière de Bloc Opératoire, arrivant de Brest après une nuit de voiture, avait les larmes aux yeux. La perspective d’être séparée de ses deux jeunes enfants pendant plus de deux mois, surtout pour les fêtes de Noël, ne lui faisait pas partager le plaisir général de partir en mission extérieure. L’hôpital militaire de Brest lui ayant fermement précisé que ce genre de déplacement faisait partie intégrante de sa condition militaire et qu’il ne serait pas de bon ton de s’y dérober.
L’attente sera brève, car notre Tour Operator, l’Armée de l’Air, est manifestement bien rodé, les sacs vite enregistrés et l’embarquement dans l’Airbus A 300 rondement mené. Ayant toujours subi au cours de mes vols long-courriers la classe « tourisme » j’appréciais avec délectation le fauteuil de classe « affaire » qui m’était réservé, preuve s’il en est, qu’il vaut mieux porter quelques galons sur les épaules.
Les huit heures de vol jusqu’à la capitale du Tadjikistan se passèrent ainsi de façon fort agréable. De plus, nous partagions le vol avec le général Soubirou qui occupait le siège voisin du mien ; je me présentais et lui rappelais qu’il avait tiré d’un fort mauvais pas un ami commun lors de l’opération REQUIN au Gabon en 1990. Ce préambule permit d’amorcer une intéressante conversation sur les conditions d’instruction des bataillons de la future Armée Nationale Afghane (ANA) par les forces françaises et américaines qu’il venait inspecter.
Après une nuit sous tente à Douchambé, cette horrible capitale ex-soviétique, nous volions maintenant dans ce Transall bruyant et inconfortable ; je regarde mes voisins journalistes de tous âges, habillés de façon la plus disparate, de la tenue vaguement militaire au costume de ville, cravate comprise. Quelques femmes parmi eux, mais tous encombrés de multiples sacs et caméras. Leurs visages légèrement blafards, où se lit la fatigue de la nuit, la légère nausée due à cet avion mal pressurisé et cahotant, mais surtout une certaine appréhension. La distribution de casques et de gilets pare-balles à l’entrée de l’avion les avait quelque peu inquiétés.
Bien calé dans mon siège, légèrement somnolent, je m’étonne une fois de plus de me retrouver là, partant pour une mission militaire dans cet Afghanistan où, il y a encore quelques mois, les taliban régnaient encore.
Comment, chirurgien-orthopédiste d’hôpital public, quasiment sans activité militaire pendant près de trente ans depuis mon service national, pouvais-je participer à cette OPEX * ?
Le Transall était indissociablement lié pour moi au saut en parachute et ceci, en répondant à mes interrogations, expliquait certainement l’afflux de souvenirs, me faisant remémorer l’enchaînement des faits qui avait pu me conduire dans cette aventure.
Ce bruit et cette ambiance de cabine me reportent trente ans en arrière, lors de mon service militaire. J’étais Médecin-Aspirant*, chirurgien adjoint à l’Antenne Chirurgicale Parachutiste de Toulouse et nous avions découvert ce tout nouvel avion qui venait remplacer les vieux Noratlas de mes premiers sauts.
****
J’avais vingt-cinq ans, l’esprit assez militaire pour avoir choisi les paras « coloniaux* », mais pas suffisamment pour être médecin militaire de carrière.
À ce moment-là, ma voie dans la vie civile était tracée et je ne me posais aucune question sur ce choix. Suivant le cursus classique de la formation chirurgicale, le service national était une parenthèse obligatoire d’un an, une espèce de mal nécessaire, mais il ne me serait jamais venu à l’idée de tenter d’y échapper, comme beaucoup de mes condisciples s’y essayaient alors.
En fait, je pense avoir été profondément marqué par les stages de formation prémilitaire que j’avais effectués au début de mes études de médecine.
La guerre d’Algérie était finie seulement depuis quatre ans, la mystique du parachutiste encore bien présente et j’avais eu la chance d’avoir un commandant de prémi particulièrement motivant. Un ancien commandant de compagnie de Bigeard qui, bravant l’interdit, nous faisait porter le béret rouge à l’insigne colo et défiler en chantant – pratiques inadmissibles redevenues licites bien plus tard – que le Général de Gaulle voulant punir les unités parachutistes d’avoir été « compréhensives » envers le putsch des généraux, venait de prohiber formellement.
Et puis l’ivresse du saut et la joie d’avoir vaincu sa peur ont fait le reste, et donné pour longtemps l’envie de retrouver ces sensations.
Ainsi, lorsqu’à la sortie de l’École d’Officier de Réserve de Libourne, je me suis vu offrir la possibilité d’intégrer une Unité conciliant la pratique de la chirurgie et le parachutisme, je n’ai évidemment pas hésité.
Partageant mon temps entre cet ancien et bel hôpital Hippolyte Larrey de Toulouse, aujourd’hui disparu, où je débutais ma formation chirurgicale, et les manœuvres de l’Antenne Chirurgicale Parachutiste, je ne vis pas passer cette année, la dernière avant d’attaquer le bagne de l’Internat des Hôpitaux.
M’étant lié d’amitié avec le confrère de la BOMAP*, celui-ci me trouvait toujours un parachute et une place dans un avion. J’ai pu ainsi profiter pleinement de ma passion et sauter avec à peu près toutes les compagnies des différents régiments de la brigade. Il faut dire qu’à cette époque l’armée française était nettement plus riche en potentiel aérien et en pliage de parachutes et les sauts n’étaient pas réduits à la portion congrue comme de nos jours.
Mon seul regret fut de n’avoir pu participer à une mission extérieure, en l’occurrence au Tchad.
Un conflit venait de s’y allumer, la France, en lançant l’Opération « Limousin », premier engagement important depuis la guerre d’Algérie, débutait alors une longue série d’interventions, en particulier en Afrique, mais la politique de l’époque était encore l’interdiction absolue d’envoyer un appelé en opération où il aurait pu se faire blesser et même pire – le souvenir des morts en Algérie était encore vivace –.
L’Antenne Chirurgicale partit donc, mais sans moi. Malgré mon volontariat, je restais à Toulouse.
Cette année me fit l’effet de dernières grandes vacances, car les huit qui suivirent, d’interne, de chef de Clinique puis l’installation en clinique privée ne me laissèrent plus le loisir de penser au parachutisme.
Pris par mes activités professionnelles j’oubliais l’Armée et l’Armée m’oublia.
Enfin presque… car je reçus un an après ma nomination au grade de Médecin Capitaine, et espacées de cinq ans en cinq ans, des demandes qui vérifiaient si je voulais toujours faire partie de la Réserve. Mes réponses toujours positives n’entraînèrent néanmoins aucune convocation ni affectation.
N’ayant ni le temps ni l’envie d’adhérer à l’une de ces nombreuses associations d’Officiers de Réserve qui permettaient, à force d’assiduité aux banquets et conférences, de gagner avancement et décorations, je restais donc bloqué à mon grade et j’ai certainement battu le record d’ancienneté comme capitaine, puisque j’y suis resté pendant 23 ans !
****
Un jour, sans raison apparente, je reçus une affectation de réserve : le 105e Hôpital Complémentaire de Réserve de Castres.
Brillante formation qui aurait eu, en cas d’hypothétique guerre nucléaire, une mission de traitement des brûlés, gazés et irradiés.
Le Médecin Chef, également de réserve, en était un ami gastro-entérologue de la ville qui nous déclara, non sans humour, « qu’en matière de brûlures il ne connaissait que les brûlures d’estomac… »
L’activité ne fut pas harassante, trois convocations de deux jours chacune en six ans.
Le rituel était immuable : habillement en soldat, discours de bienvenue, présentation de quelques caisses de matériels datant de la guerre de 40, visite de la caserne du 8e RPIMa qui devait être transformé en hôpital en cas de conflit (nous nous demandions tous dans quel esprit fécond avait pu germer une idée aussi saugrenue et irréaliste) et clou de la journée : séance de tir au pistolet – dix cartouches.
Je dois dire que c’était bien là le seul attrait de ces périodes, mais pour ceux qui ne pratiquaient pas le tir régulièrement on pouvait se poser la question de l’efficacité d’une séance aussi brève tous les deux ans.
Voilà qu’elle était la triste réalité de la Réserve du Service de Santé jusqu’à la réforme induite par la « suspension » du Service National décrétée par Jacques Chirac… en fait sa suppression.
À la suite de cette réforme fondamentale, la création de la Réserve Opérationnelle en découla.
À la fin des années 90, devant la pénurie en médecins dans les Armées suite à la disparition des appelés qui fournissaient 80 % des effectifs médicaux, médecins, dentistes, pharmaciens, vétérinaires, on se souvint qu’il existait des médecins de Réserve et qu’on allait pouvoir les employer. Et ce d’autant que la réduction drastique du nombre des étudiants en médecine, le célèbre Numerus Clausus, affectait également le recrutement des médecins militaires d’active. Il fallait donc trouver du personnel médical pour compléter les effectifs de toutes les infirmeries dans les régiments tenant garnison en métropole.
En outre, le SSA*, engagé dans des missions extérieures de plus en plus nombreuses, devait fournir un nombre important de formations médico-chirurgicales de soutien sur tous les continents où ne cessaient de s’allumer des conflits. Il n’était pas encore question d’envoyer des réservistes en OPEX, mais de remplacer en France nos confrères d’active qui y partaient.
On fit donc appel à nous, réservistes, mais il paraît qu’en haut lieu cette petite révolution culturelle ne se fit pas sans mal.
Il a toujours existé chez certains de nos camarades d’active, que ce soit dans le service de santé où dans les autres armes, un réel sentiment de défiance ou tout au moins de condescendance qui fait encore considérer le réserviste comme un aimable plaisantin, s’attachant uniquement au prestige de l’uniforme ou aux repas entre copains, mais incapable de remplir correctement une mission.
Il ne s’agissait pourtant que de pratiquer, certes dans un cadre militaire, exactement la même activité professionnelle que celle que nous exercions tous les jours dans le civil.
Nous étions encore bien loin du système américain où la Réserve est particulièrement nombreuse et employée dans toutes sortes de missions, y compris au combat. Même les B 52 sont parfois pilotés par des réservistes, pilotes professionnels dans le civil et totalisant des milliers d’heures de vol. En France, nous n’en étions pas encore là… ce n’était qu’un début, mais il semblait prometteur.
La réforme des Réserves parut, il fut donc créé dans chaque régiment professionnel une compagnie de réserve, plus des postes affectés en complément individuel en fonction des compétences techniques et des besoins.
Nécessité faisant loi, les médecins, en particulier les spécialistes utiles pour les Armées, comme les chirurgiens ou les anesthésistes, étaient donc les premiers concernés par ces nouvelles dispositions.
Je reçus donc en 1999 une proposition d’engagement dans la Réserve Opérationnelle et je demandais mon affectation au 8e RPIMa, régiment prestigieux, entièrement professionnel depuis de nombreuses années et qui réunissait les avantages d’être parachutiste, « colo » et basé à Castres, ma ville d’origine, proche de mon domicile. Je ne pouvais que « sauter » sur l’occasion.
L’accueil et l’intégration furent à la hauteur de mes espérances et je découvris dans ce régiment une superbe machine militaire.
Manœuvres sur le terrain avec les compagnies et activités médicales à la caserne me permirent de retrouver le contact avec le milieu militaire, ses rites, son langage comportant toujours autant de sigles difficiles à déchiffrer et tous, du colonel chef de Corps au marsouin parachutiste, acceptèrent sans état d’âme apparent ce nouveau « militaire à temps partiel ». Les matériels et procédures avaient bien sûr évolué, mais avec l’aide de mes confrères d’active tout se passa pour le mieux.
Le médecin-chef du régiment devint rapidement un ami qui m’intégra à son Service médical et me proposa quelque temps plus tard pour une mission d’état-major en Andalousie, expérience qui me forma à la logistique médicale militaire, de plus dans un pays magnifique.
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Novembre 2001
La nouvelle de l’intervention française dans le nord de l’Afghanistan, à Mazar-e-Charif, dans les premiers jours de l’attaque américaine, nous parvint alors que nous étions en salle d’embarquement de l’aéroport de Séville. Parmi les officiers qui m’entouraient, ce n’était que supputations pour savoir qui d’entre eux et quels régiments auraient la chance de connaître ce théâtre d’opérations aussi lointain qu’exotique.
Si une gitane andalouse, lisant les lignes de la main, avait alors prédit que, seul, l’unique réserviste du groupe serait quelques mois plus tard dans cet avion volant vers Kaboul, je pense que nous aurions alors bien ri et personne ne l’aurait cru.
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Septembre 2002
Une fin de soirée, le téléphone sonne, ce n’est pas l’hôpital pour l’urgence habituelle, mais la Direction régionale du Service de Santé de Bordeaux et au bout du fil le Médecin en chef, directeur des opérations, qui me demande si une mission en Afghanistan m’intéresse et si je parle anglais.
L’intervention française en accompagnement des Américains a débuté depuis moins d’un an, lui-même vient de passer plusieurs mois à Kaboul pour diriger et organiser le soutien santé du bataillon français qui occupe la ville et il doit constituer une équipe chirurgicale française pour travailler au sein de l’hôpital militaire allemand qui traite l’ensemble des soldats de l’OTAN dans cette région.
L’Afghanistan, Kaboul… surprise, émotion… première OPEX et de plus sur un territoire lointain en état de guerre, travail en équipe multinationale, en anglais… Il faut répondre rapidement.
Ma dernière « aventure » chirurgicale remonte déjà à près de vingt ans, sur la frontière Soudano-Ethiopienne où avec Médecins Sans Frontières j’avais traité des blessés de la guerre qui opposait dans le nord-ouest de l’Éthiopie la rébellion du Tigré au pouvoir central d’Addis-Abeba dirigé alors par le dictateur communiste Mengistu Ailé Mariam.
Depuis… la routine professionnelle d’un hôpital et d’une clinique en France.
L’Afghanistan… c’est d’abord la mémoire d’un ami disparu là-bas, sous une avalanche qui l’engloutit avec l’un de ses collègues afghans alors qu’il sortait d’un hôpital de fortune monté par Médecins Sans Frontières pour aider la résistance tadjik contre les Soviétiques.
Infirmier de bloc, il avait été mon aide-opératoire pendant plusieurs années puis avait choisi l’engagement humanitaire. Sa première mission lui fut fatale, à quelques jours de Noël, alors qu’il m’annonçait son retour en France dans sa dernière lettre.
L’Afghanistan… les Cavaliers de Kessel, la Croisière Jaune de Dubreuil, la Route de la soie, Alexandre le Grand et le royaume de Bactriane… une foule d’images de paysages somptueux, de montagnes immenses, de chevaux et de Bouchkashi*, de peuples de rudes guerriers qui ont vaincu tous leurs envahisseurs, de l’armée coloniale anglaise exterminée à la passe de Khaibar aux troupes soviétiques il y a moins de 20 ans.
Mais aussi… le régime islamique féroce que les taliban ont imposé à ce pays, basé sur une charia absolue et meurtrière, exécutant toutes personnes, hommes femmes et enfants qui osent y déroger. Tuant au nom de Dieu et de façon barbare : opposants politiques, femmes infidèles ou soi-disant telles, homosexuels et simples contrevenants à leurs préceptes.
Interdiction du travail féminin et de toute éducation pour les femmes, exigeant leur soumission totale aux hommes, les enfermant sous ce linceul grillagé appelé Burka, suppression pour tous des musiques, spectacles, dessins, musées, destruction de toute culture qui n’est pas islamique et même interdiction aux enfants de jouer au cerf-volant, distraction la plus prisée et historique des gamins de Kaboul.
Soutien à tous les mouvements terroristes islamiques de par le monde, exhortations à massacrer et faire disparaître les « infidèles » de la surface du globe comme en ce 11 septembre dont l’horreur était encore toute fraîche dans nos mémoires.
Mes espoirs ayant guidé mon engagement dans la Réserve Opérationnelle se réalisaient pleinement aujourd’hui, au-delà même de ce que j’en attendais et plus rapidement que prévu… ce sera donc oui pour l’Afghanistan.
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J’allais donc découvrir cet Afghanistan lors d’un HIVER à KABOUL puis cinq ans plus tard avoir la chance de revenir dans ces contrées aux paysages à couper le souffle aux peuples tellement attachants et effrayants à la fois.
Ce sera alors un RETOUR au PAYS des I.E.D*, ces engins devenus tristement célèbres et qui nous hantaient à chaque déplacement.
Arrivée sur KAIA
Me hissant au niveau du hublot, je découvre un paysage fantastique. L’avion volait bas ou plus exactement c’étaient les montagnes qui volaient haut.
Entièrement enneigé, l’Hindou-Kouch, partie occidentale du massif de l’Himalaya entre 5 et 7000 mètres, se déroule sous nos ailes. Me rappelant la carte consultée avant le départ, je pensais que Kaboul ne devait plus être très loin.
D’ailleurs, autre signe de l’approche, deux membres de l’équipage, casque sur les oreilles, viennent se poster au niveau des portes arrière afin de détecter un départ éventuel de missile et déclencher alors les leurres censés l’égarer dans sa trajectoire. Les visages de mes voisins deviennent un peu plus pâles.
Quelques minutes plus tard, l’appareil se met en virage, amorce un piqué violent, brutal et prolongé.
Bien qu’avertis qu’il s’agissait d’une manœuvre de sécurité pour déjouer là encore un tir antiaérien, nos estomacs n’en remontèrent pas moins dans nos gorges.
L’atterrissage est court, l’avion roule sur un taxiway cahoteux et stoppe.
La rampe arrière s’abaisse, le soleil envahit la soute, la première image de Kaboul fut l’épave d’un gros Antonov soviétique gisant sur le tarmac portant encore les lettres CCCP1 sur la queue se découpant sur une chaîne de montagnes lumineuse et enneigée.
Il fait plus de trente degrés à 1800 mètres d’altitude et nous sommes pourtant en novembre.
Vision de champ de bataille, les bâtiments de l’aéroport et la tour de contrôle sont criblés d’impacts de tous calibres, la majorité des vitrages sont manquants, d’autres sont remplacés par des planches.
L’ensemble de l’aérodrome est parsemé de centaines de carcasses d’avions et d’hélicoptères, civils et militaires le plus souvent d’origine russe, portant cocardes afghanes et soviétiques. À l’importance de l’attaque de rouille, on peut juger de l’ancienneté des épaves.
Les abords des bâtiments sont protégés par des murs de sacs de sable, des chars et des blindés déchenillés ont été poussés au bulldozer aux limites du terrain.
Les formalités de transit sont vite expédiées dans une baraque en planche où s’active un sous-officier d’administration assis derrière un bureau d’écolier.
450 soldats français vivent là, partageant le camp avec d’autres nations de l’OTAN, dans des bâtiments métallo-textiles Mme Alliot-Marie, ministre de la Défense ayant promis que nos hommes ne dormiraient plus sous la tente pour Noël. Elle a tenu parole !
L’état-major français s’est établi dans les ruines de l’aéroport, sommairement aménagées.
Il commande cette petite unité dont les militaires sont issus d’une dizaine de régiments différents. Une compagnie d’infanterie, un escadron de cavalerie équipé d’engins blindés de reconnaissance, un détachement du génie, des éléments du train du RTP* (ce sera à ce moment-là les seuls parachutistes français en Afghanistan) et d’une compagnie de soutien regroupant toutes les fonctions nécessaires à la vie de ces hommes et à l’accomplissement de leurs missions.
Le Service de Santé en était l’une de ses composantes avec deux médecins, six infirmiers et aides-soignants et un vétérinaire. Le rôle de ce dernier était fondamental dans ce pays où les infrastructures sanitaires sont inexistantes, car il surveillait le bon état de l’eau et de l’alimentation et se trouvait confronté à des maladies portées par les animaux, transmissibles à l’homme, qui n’existent pas ou plus en France. Ainsi il eut à constater plusieurs cas de rage canine et à protéger de la leishmaniose, très fréquente ici. Il y a aussi du paludisme en Afghanistan, mais pas en saison hivernale.
Le médecin-chef nous accueille avec chaleur puis nous fait visiter son Poste de Secours, installé sous tente contre les bâtiments de l’aéroport et protégé par des murs de sacs de sable. Jouxtant les salles de consultations et de soins, les lieux de vie sont plus que sommaires : lit de camp, petite table, espaces personnels de 3 mètres sur 2 séparés par des filets de camouflage.
Pas d’hôpital sur place. Celui-ci se trouve à une dizaine de kilomètres à l’extérieur de la ville ; justement l’équipe chirurgicale que nous venons remplacer vient d’en arriver pour rentrer au pays par l’avion qui ne restera pas longtemps sur la piste, exposé à un éventuel tir destructeur.
Cela s’appelle une « relève tarmac » dans le jargon militaire.
Après des présentations rapides, je suis immédiatement entraîné à l’écart par le collègue chirurgien viscéral partant :
— Il paraît que tu es réserviste et que tu as travaillé en clinique.
— Ben… oui, répondis-je un peu interloqué, surpris par la rapidité de transmission des informations sur mon curriculum.
— J’ai envie de quitter l’Armée, il faut absolument que tu me renseignes sur les modalités pour exercer dans le privé et les différents contrats.
Débarquant dans ce conflit dont on parlait tant et dont les premiers signes visibles à la sortie de l’avion n’étaient que guerre et destruction, je dois dire que ma surprise fût grande.
Impatient d’apprendre les conditions dans lesquelles j’allais avoir à travailler et à vivre, c’était plutôt à moi de lui poser mille questions. J’essayais néanmoins de le renseigner du mieux possible.
Harnaché du casque en kevlar et du gilet pare-balles, la FRAG – en langage militaire –, nous embarquons en P4 en direction de Warehouse, grande base où se trouve l’hôpital, mais aussi siège de la brigade multinationale commandée alors par un général allemand.
La traversée de la ville nous donne le spectacle d’une destruction quasiment totale. Les rues, approximatives, sont bordées de maisons basses en briques terreuses, montrant presque toutes des effondrements plus ou moins importants. Seuls quelques immeubles de type HLM, construits par les Russes et dans un état de délabrement avancé, surnagent au-dessus de cette uniformité grise et terreuse.
L’Afghanistan… dont Ahmed Rachid donne cet étrange acte de naissance dans son ouvrage L’Ombre des Taliban (Ed. Autrement 2001) : « Lorsqu’Allah eut créé le reste du monde, il vit qu’il restait quantité de morceaux dépareillés qui allaient nulle part. Alors il les ramassa et les jeta par terre. Ils devinrent l’Afghanistan. »
Il faut se rappeler l’histoire de ce pays si souvent en guerre au cours des siècles et qui, une fois de plus, a sombré dans le chaos.
Pays indomptable et indompté, appelé par Mikael Barry : Royaume de l’insolence.
Tous les empires qui ont voulu le conquérir s’y sont cassé les dents.
Même Alexandre le Grand n’y passe que peu de temps avant de foncer vers l’Indus. Il y fonde plusieurs Alexandrie et épouse Roxanne, la fille du roi de Bactriane pour pouvoir y séjourner en paix.
Au XIXe siècle, disputé entre Russes et Anglais qui dominaient la plus grande partie du continent indien, il est l’objet du « Grand Jeu » : guerre froide entre ces deux empires.
En 1842, les Britanniques y subirent la plus grande défaite de leur histoire. Obligés d’évacuer le pays par la passe de Khaïber pour tenter de regagner le Pakistan. 12 000 civils et la totalité des 4500 hommes de leur armée furent massacrés.
Les Afghans ne laissèrent qu’un survivant, le médecin, pour qu’il puisse raconter ce qui s’était passé.
En 1919, les Anglais reconnaissent l’indépendance totale au royaume d’Afghanistan.
Le dernier roi, Zaher Khan, est déposé par une révolution de palais en 1973 et vient se réfugier en Europe.
Les communistes locaux prennent alors le pouvoir, vite aidés par le grand voisin soviétique qui envoie de plus en plus de troupes pour combattre et tenter d’enrayer une révolte armée devenant généralisée et efficace.
Les Américains, prédisant aux Russes que cette guerre serait leur Vietnam, aidaient et armaient massivement cette résistance par l’intermédiaire des services secrets pakistanais inféodés aux islamistes.
La suite des événements devait leur donner raison, mais ce flirt avec le diable se retourna contre eux lorsque ces mêmes services armèrent et entraînèrent leurs frères pachtouns devenus taliban.
Février 1989… Après 10 ans de guerre et d’occupation, les troupes soviétiques évacuent l’Afghanistan.
Officiellement, 13 853 soldats russes (dont 1969 officiers) y sont morts, 35 000 auront été blessés. Ces chiffres donnés par la Pravda semblent d’ailleurs sous-estimés. La guerre aura fait au moins 1 million de morts côté afghan.
Deux camps restent alors face à face :
D’un côté des dirigeants communistes afghans mis en place par les Russes dans la capitale et les principales villes qu’ils contrôlent, de l’autre une résistance décentralisée, une coalition de commerçants, d’intellectuels, de religieux, de paysans groupés autour de nombreux commandants qui règnent parfois sur de vastes territoires, le plus souvent sur 2 ou 3 vallées.
On note également la présence de plusieurs dizaines de milliers d’extrémistes islamistes provenant de divers pays et désignés sous le vocable d’« Arabes ».
Ces volontaires algériens, soudanais, syriens, égyptiens, saoudiens, de l’Asie musulmane, voire américains ou français transitaient par Londres vers le Pakistan où ils étaient pris en charge par les services pakistanais.
Bien évidemment ils n’ont pu franchir la frontière afghane qu’avec l’accord des autorités pakistanaises et la bénédiction de la CIA qui armait également cette résistance dans le cadre de la lutte antisoviétique.
À partir de 1992, les groupes de résistants et d’islamistes investissent progressivement la capitale. Les gouvernants communistes se réfugient au siège des Nations Unies où ils seront exécutés.
Mais les chefs des partis qui ont mené la résistance aux Soviétiques ne sauront pas s’entendre et le combat va s’engager principalement entre Massoud le Tadjik (le préféré des Occidentaux, car soi-disant modéré et démocrate, pourtant aussi cruel et radical que les autres) et Hekmatyar le Pachtoun. Les autres chefs de clan participeront aux combats au gré de leurs alliances successives et changeantes.
La dimension ethnique du conflit est évidente : Tadjiks, Pachtoun, Ouzbeks et Hazâras vont s’entretuer. Pendant près de 3 ans, ce sera l’enfer à Kaboul et aux environs.
La capitale subit bombardements aériens, tirs d’artillerie et de missiles, combats de rue. Les assassinats et viols inter-ethniques se multiplient.
Rien ne sera épargné à la ville, même un siège et la famine qui s’en suivra.
Le carnage ne cessera qu’avec l’arrivée des taliban.
Le gouvernement pakistanais, constant dans son désir de contrôler les affaires afghanes, mais ne pouvant intervenir directement, eut l’idée d’utiliser les Afghans réfugiés sur son territoire, officiellement étudiants en théologie, en les armant et en les entraînant au combat : les taliban (pluriel de Taleb qui veut dire étudiant, exclusivement le Coran, bien sûr).
Avec l’aide logistique du Pakistan, les taliban s’emparent de Kandahar – capitale du sud de l’Afghanistan – dès novembre 94.
Puis la conquête du pays fut très rapide. Se situant résolument en dehors des rivalités politiques, hostiles aux trafics de drogues et à la corruption, rassurant la population par le caractère religieux de leur mouvement, celle-ci lassée par tant d’années de guerre leur fit le meilleur accueil.
De 94 à 96, ils s’assurèrent sans combat de la conquête de plusieurs provinces.
En 97, tout l’Afghanistan est entre leurs mains à l’exception du Nord-est, le pays tadjik, tenu par Massoud (les taliban étant essentiellement des Pachtouns).
Cette résistance les rend fous, mais ils ne parviendront jamais à la réduire.
Ils rétablissent l’ordre public et la sécurité sur les routes, mais appliquent la loi islamique, la charia, la plus dure.
Les voleurs ont la main coupée, plusieurs petits commandants corrompus ou violeurs de filles sont exécutés. Les interdictions de toute nature vont pleuvoir, musique, élevage d’oiseaux chanteurs… Les jeux de cerf-volant également, distraction traditionnelle préférée des enfants qui égayent le ciel de Kaboul de centaines de ces engins fabriqués avec 2 bouts de bois et une feuille de plastique coloré ou de papier.
Le motif ? Le cerf-volant s’accroche souvent dans les arbres, les gamins y grimpant pour chercher leur précieux jouet pourraient apercevoir des femmes non voilées vaquant à leurs occupations dans les cours de leurs habitations.
Ils deviendront le titre emblématique d’un magnifique roman sorti en France en 2008 : « Les cerfs-volants de Kaboul » de Khaled Husseini (Ed. Belfond) qui fut porté au cinéma sous le même titre.
La consommation de drogue ou d’alcool est passible de mort, comme l’adultère.
Le seul livre autorisé est le Coran, les musées saccagés.
Mais ce sont les femmes qui payent le plus lourd tribut.
Pudibonds et craintifs à leur égard, les taliban sont obsédés par le sexe féminin et tout ce qui s’y rapporte en particulier leur « impureté périodique ». Elles ne doivent avoir qu’un seul rôle : rester à la maison, faire et élever les enfants.
Tout leur devient interdit… laver leur linge dans les cours d’eau à cause du sang de leurs règles, l’exercice de toute activité professionnelle, restriction des soins médicaux, les jeunes filles sont exclues du système éducatif et bien sûr l’obligation du voile intégral grillagé, la fameuse burka dès qu’elles sortent de leur domicile ou qu’elles rentrent en contact avec un autre homme que leur mari.
Une police religieuse fera respecter cette loi avec la plus extrême sévérité et les exécutions publiques, pendaisons, égorgements, parfois lapidation pour les femmes, se succèdent dans le grand stade de Kaboul.
Yasmina Khadra dans Les Hirondelles de Kaboul (Julliard 2002) décrit de façon saisissante et détaillée ces horreurs, le peuple venant y assister de son plein gré ou poussé par les exhortations des mollahs dans cette vaste enceinte destinée habituellement au Bouchkashi.
Au début, la popularité des taliban est réelle, mais les excès de la charia les feront vite détester, surtout dans la capitale et les grandes villes où 10 ans d’occupation soviétique avait introduit des mœurs à l’Occidentale.
Les femmes travaillaient hors de chez elles, surtout dans l’enseignement et la santé, et il n’était pas rare de croiser des mini-jupes dans les rues de Kaboul.
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Ben Laden, un Arabe d’Arabie Saoudite, est en Afghanistan depuis 1995, il y organise et structure Al-Qaïda. Malgré les demandes américaines, les taliban refusent de l’extrader au nom de l’hospitalité.
Le 11 septembre 2011, celui-ci infligera aux États-Unis la plus grande attaque meurtrière contre leur territoire.
Deux jours auparavant et pour remercier ses protecteurs talibans de lui avoir permis d’organiser cet « exploit », il comble leur vœu le plus cher : tuer Massoud, leur ennemi juré, par un attentat suicide perpétré par deux faux journalistes appartenant à Al-Qaïda.
La riposte des USA sera rapide et brutale, bombardements massifs pendant 1 mois de toutes les infrastructures militaires talibanes dès le 7 octobre. Ils achèvent de détruire ce qui restait de Kaboul sous leurs bombes.
En novembre ils débarquent dans le nord du pays et aidés par les troupes de feu Massoud et celles des chefs des provinces du nord, ils refoulent rapidement les taliban vers le Sud jusqu’à la frontière pakistanaise dans cette zone pachtoune aux limites indéterminées où se réfugient également Ben Laden et ses compères.
Au début 2002, tout l’Afghanistan est reconquis, les lieutenants de Massoud et leurs hommes, des Tadjiks, occupent Kaboul. Le portrait géant du chef vénéré décore tous les carrefours de Kaboul.
Malgré cela, les Américains imposent un Premier ministre pachtoun (ethnie majoritaire) : Amid Karzaï et on tirera de son exil méditerranéen le vieux roi Zaher Chah, 90 ans, toujours très respecté par le peuple afghan dans sa totalité, pour tenter de refaire une union nationale.