Clapman - Tome I - M. Lelyric - E-Book

Clapman - Tome I E-Book

M. Lelyric

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Beschreibung

Que peut faire Martin lorsqu’à ses douze ans il découvre que l’amour des gens réveille chez lui de super pouvoirs ? Se cacher pour continuer de mener une vie tranquille ? Maria, pilote de Dancing Bot et Nelson, vieux scientifique à la retraite ne sont pas de cet avis. Ce dernier est catégorique : le principe de polarité découvert par les Égyptiens dans l’antiquité est une réalité. La force étrange et inconnue générée par Martin ne peut exister sans son opposé. Si Martin ne peut plus dissimuler ses pouvoirs, il doit les utiliser, devenir quelqu’un d’autre car de l’autre côté de la planète, une jeune femme vient elle aussi de faire une bien curieuse découverte et pour elle, tout est beaucoup plus facile…

À PROPOS DE L'AUTEUR

M. Lelyric est né à Paris en 1972. Son enfance est bercée par Tolkien, Azimov, H.G Wells, Herbert, Spielberg et George Lucas. Historien de formation mais la tête dans les ailleurs, ses histoires disent quelque chose de l’époque que nous vivons. Ses photos, ses dessins et ses écrits sont autant d’appels à se perdre dans des fictions dont un pied reste dans le réel pour le questionner.

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M. Lelyric

Clapman

Tome I

Roman

© Lys Bleu Éditions – M. Lelyric

ISBN : 979-10-377-0832-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes enfants, Marceau, Mathurine.

Quoique vous fassiez, shoot for the moon…

1

Les élections

Martin Deville n’avait qu’une douzaine d’années lorsque ce matin du 1er octobre 2023, il embrassa père et mère sur la joue avant d’adresser un petit coucou à Jeanne, sa sœur de six ans assise en tailleur au milieu du salon. Son père, Anatole Deville, descendit les deux étages avec lui. Il lui passa une main dans les cheveux, ce qui fit grimacer Martin qui venait de passer dix minutes à domestiquer l’épi de sa tempe gauche. Monsieur Deville hâta le pas vers leur voiture d’alors, une vieille Audi A6 de presque deux cent mille kilomètres, mais dont Martin adorait l’odeur. Il regarda la voiture tourner au coin de la rue puis il sortit de la résidence. Comme souvent, il laissa sa main courir sur le grillage de la clôture.

Quelques enfants étaient massés devant la boulangerie du bout de la rue. Martin reconnut Vladimir, un de ses camarades de classe de l’an passé. Ce dernier se vantait régulièrement des cent euros d’argent de poche qu’il recevait chaque mois. Cela lui permettait notamment d’offrir, comme ce matin-là, des tournées générales de bonbons. Vladimir était populaire. Martin traversa la rue, non parce qu’un bonbon le tentait, mais parce qu’il avait également repéré dans le groupe la belle et brune Camille Chanterel dont il s’était entiché depuis la moyenne section de maternelle. Il lui parla de ce projet qu’il avait de réaliser un petit film humoristique sur la vie au collège et pour lequel il cherchait l’actrice principale. Camille rigola, haussa les épaules et lui répondit « Pourquoi pas ! ». Martin n’en attendait pas tant.

Il posa ses fesses sur sa chaise du troisième rang de la salle 201 du collège St Exupéry de Beaulieu, cette petite ville du nord de la région parisienne dans laquelle il passerait toute son enfance. Il remonta ses genoux sur le bord de sa table. Sa professeure de français lui ferait certainement un reproche sur sa posture, mais c’était sa position favorite alors comme tous les matins, il tentait le coup.

Le soleil matinal perçait à travers les hauts platanes de la cour de récréation et inondait le tableau d’une belle lumière un peu orangée. Martin savait que jusqu’à l’heure de la récréation, il pouvait jouer avec ce rayon de soleil, le capter avec sa règle en plastique pour créer des formes sur le mur ou le plafond. Il adorait ça.

Ses camarades prenaient place bruyamment, poussaient les tables, raclaient le sol dur avec les pieds de leurs chaises. Théodore Vaz, voisin de classe historique et grand copain de Martin, entra le dernier ce jour-là, il trébucha sur un cartable éventré au milieu de la rangée. Cela lui valut une remarque insolente de son propriétaire, un garçon plus grand que tout le monde, mais plus maigre aussi, qui répondait au nom de Philippe. Tout le monde l’appelait Phil. Martin nota le pantalon encore trop court de Phil. Beaucoup en rigolaient en cachette. Théodore adressa un sourire à Martin, se laissa tomber sur sa chaise et soupira. À deux rangs devant lui, la longue chevelure brune de Camille balayait le dossier de sa chaise tandis qu’elle se penchait pour sortir ses affaires calmement, avec cette grâce naturelle que Martin admirait tant sans trop savoir ni pourquoi ni ce que cela voulait dire vraiment. Les bavardages cessèrent en partie lorsque la professeure tapa trois fois dans ses mains. Martin l’aimait bien cette professeure, il l’appréciait davantage en tout cas que son prof de français de l’année précédente, un remplaçant un peu fantasque dont les frasques avaient d’abord amusé ses élèves avant que ces derniers ne se rendent compte que la place d’adulte était inoccupée, avec ce que cela signifiait comme prise de pouvoir par les élèves les moins motivés, et les inconvénients inhérents à ce genre de situation : bavardages, chahuts et jets de projectiles divers.

Madame Laffont avait donc les faveurs de Martin. Elle faisait régner l’ordre suffisant pour qu’il se sente bien, à l’abri d’un putsch de ceux du dernier rang ou d’une prise de pouvoir décomplexée de ceux du premier rang.

Deux autres claquements de mains et le silence se fît. Ce lundi matin, Madame Laffont avait annoncé la tenue de l’élection des délégués de la classe. À la grande surprise de Martin, Camille annonça sa candidature au poste convoité par ailleurs par deux autres candidats. Martin se sentit pousser des ailes. Il se pencha vers Théodore.

« On se lance ?

— What ? Mais qu’est-ce qui te prend ?

— J’sais pas, pour changer ! Regarde les autres candidats, on a nos chances.

— Oui sûrement, mais aller au conseil de classe, vraiment ?

— T’as qu’à être mon suppléant, tranquille ! »

Théodore était pris au dépourvu, mais séduit par cette idée soudaine. Il se retourna et considéra ses potentiels adversaires un par un. Il y avait Camille, ce qui expliquait que son ami Martin se soit découvert soudain l’âme d’un tribun.

« Ok » dit-il sans exposer au grand jour ce qu’il devinait être la véritable motivation de son ami. Martin leva la main pour se signaler. Son nom fut inscrit au tableau aux côtés de celui des autres candidats puis ils prirent tous place sur l’estrade, face à leurs électeurs. Il s’agissait de prendre la parole pour exposer son programme. Martin se concentra. Prendre la parole en public restait pour lui un exercice qui suscitait cette légère angoisse qu’il était ensuite si fier d’avoir surmontée, lorsqu’il y parvenait. Fanny, une petite élève toujours excitée et beaucoup trop bavarde, se lança la première sans attendre l’aval de la professeure. Elle déclara « Si je suis élue déléguée, on aura des frites à la cantine tous les jours et à la fin de l’année, on fera une boum ! »

Son annonce fut accueillie par une salve de rires dont Madame Laffont ne s’émut pas. Elle tapa deux fois dans ses mains et considéra cette première intervention avec le sérieux dû à toutes paroles de ses élèves.

« Oui » dit-elle « Pourquoi pas, mais je ne suis pas certaine que ces promesses électorales soient toutes tenables jeune fille, méfie-toi ! »

Martin était satisfait de cette première prestation de l’adversaire. Elle était séduisante mais irréaliste et il faisait entière confiance à ces camarades de classe pour faire la part des choses. Dans son esprit ses propres arguments s’organisaient peu à peu. Rébecca, jeune fille très – trop – sérieuse, deuxième candidate déclarée, ancra ses propos dans un réel très – trop – scolaire. Elle se présenta comme l’avocate de tous les élèves lors des conseils de classe et ne recueillit que des applaudissements timides, reflet d’une popularité modérée que Rébecca cherchait sans doute à redorer en briguant ce mandat de déléguée. Martin pivota sur ses talons et considéra Camille avec attention tandis qu’elle s’avançait pour prendre la parole.

« Chers électeurs » dit-elle « Ne prenez pas cette élection à la légère, l’an dernier, ceux qui étaient dans ma classe se souviennent des délégués qui ont été élus. Ils étaient sympas et rigolos, mais franchement, ils ont fait leur travail n’importe comment, et c’est la classe qui a payé. Et même plusieurs fois ! Moi, je ne vous promets rien sauf mon implication et mon application à résoudre tous les problèmes que nous rencontrerons, si nous en rencontrons. Vous pouvez compter sur moi, et ça aussi, vous le savez. Et puis, si je suis élue, je ne vais attendre la fin de l’année pour organiser une boum, ce sera dès ce week-end, chez moi ! »

Tonnerre d’applaudissements mérités, sourire complice de la professeure principale et embarras rageur des deux premiers candidats. Martin n’attendit pas que la classe retrouve son calme. Il s’avança à son tour et adressa à Camille un sourire charmeur et son pouce droit fièrement levé. Il reconnaissait la maîtrise et l’intelligence de son discours de campagne, mais une idée venait de germer dans son esprit.

« Chers élèves et électeurs, je reconnais l’intelligence et la pertinence de la précédente candidate. D’ailleurs, je pense sincèrement voter pour elle (murmures dans la classe). Je vous propose une alliance, votez pour nous deux, élisez Camille, elle vous garantit le sérieux et la rigueur, et votez pour moi qui, à ces côtés, vous apporterai le fun et la légèreté ! Je serai attentif à tous les projets que vous souhaiterez monter : ateliers, activités, achats de mobiliers, vous avez des idées, j’en suis sûr, ça tombe bien, j’en ai aussi ! »

La classe manifesta son enthousiasme. Martin se tourna vers Camille. Elle hocha la tête pour approuver, les yeux rieurs. Martin considéra la classe à nouveau et déclara, d’un ton franc « Vive la 5e3 ! »

Applaudissements et cris saluèrent sa prestation. Théodore lui tapa sur l’épaule puis lui adressa un clin d’œil. Martin regagna sa place. Il était content de lui, vraiment. Cette journée prenait une tournure qui lui plaisait bien. Il se sentait vraiment bien, pétri d’une énergie jubilatoire assez peu commune. Lorsqu’il reprit sa place, un léger étourdissement l’obligea à saisir le plateau de sa table. Il regarda ses mains, se les passa sur le visage. Les sons autour lui parurent amoindris, sourdine apaisante qui le mettait à distance de ce qui se passait sous ses yeux. Le passage des élèves au bureau de Madame Laffont se faisait lentement, ils y déposaient leur bulletin de vote dans la corbeille à papier, convertie comme tous les ans en urne de fortune. Il sentit une main sur son épaule, c’était Camille.

« Tu aurais pu m’en parler, ce matin », dit-elle en feignant la contrariété.

— Sans doute oui », se contenta de répondre Martin en clignant des yeux pour retrouver tous ses esprits « Tu n’es pas d’accord ? »

Elle baissa la tête, gênée.

« Si, c’est parfait, tu sais les autres candidats… »

Elle laissa sa phrase en suspens et gagna le bureau à son tour pour jeter son bulletin dans l’urne-poubelle. Martin se secoua, quelque chose n’allait pas, il se sentait bizarre. Il se sentait vibrer. Il passa à son tour au bureau et remarqua à cette occasion le sourire entendu et réconfortant de la professeure à son égard. Cette sensation à nouveau, plus forte, plus réelle, plus présente. Plus vibrante.

Camille et lui furent élus très largement. Ils se partagèrent toutes les voix à l’exception de deux. Madame Laffont se joignit aux applaudissements cette fois-ci. Camille se planta devant lui.

« Viens ! C’est le discours de victoire ! » lui dit-elle suffisamment fort pour se faire entendre.

Ils gagnèrent à nouveau l’estrade et firent face à la classe. Martin se sentait vibrer de plus en plus. Ce n’était pas une sensation désagréable, bien que très étrange, mais trop nouvelle pour ne pas monopoliser une partie de son attention.

« Merci à tous », déclara Camille, radieuse « Le plus dur reste à faire pour nous », dit-elle en se tournant vers Martin « Mais vous ne le regretterez pas ! Martin, à toi ! »

Martin secoua la tête et balaya la classe du regard. Il se concentra pour trouver quelque chose à dire, quelque chose de beau et inspiré, car après tout, Camille, la très belle Camille était là à ses côtés et elle n’avait pour une fois, d’yeux que pour lui. Il serra le poing et pointa l’urne-poubelle avec rage.

« Vous avez déposé dans l’urne les bons bulletins ! » dit-il sur un ton le plus théâtral possible. Un cri de stupéfaction des élèves ponctua son annonce. L’urne-poubelle venait de se déplacer toute seule sur toute la longueur du bureau. Vacillante, elle menaçait à présent de tomber. Madame Laffont n’avait rien saisi de la scène. Elle sursauta aux cris de la classe et éleva immédiatement la voix.

« S’il vous plaît ! Moins de bruit !

— Mais Madame, la poubelle a bougé toute seule ! » répondit Fanny sur un ton qui signifiait que les cris des élèves étaient bel et bien justifiés.

« Ouais, quand Martin l’a pointée du doigt en plus, trop chelou ! » ricana Phil en exposant à tous son sourire de travers.

Madame Laffont se leva et ferma l’une des fenêtres de la salle « Et c’est un coup de vent qui vous met dans un état pareil ? »

Simon, un élève discret du premier rang, c’était la première fois que Martin entendait sa petite voix, répondit du tac au tac « Madame, je suis à côté de la fenêtre, y’a pas eu de vent. »

La professeure, pour qui cet échange était à la fois trop long et inutile, leva les yeux au ciel. Un élève rajouta, pas assez bas pour qu’elle ne l’entende pas « Oui, en plus, elle est partie dans l’autre sens, la poubelle. »

Martin avait baissé son bras, la sensation étrange avait disparu. Il ne vibrait plus. En revanche, il était absolument certain d’avoir ressenti une décharge au bout de son doigt. De là à dire qu’il y avait un lien avec le déplacement de la poubelle, il y avait un pas qu’il n’avait ni l’envie ni l’intention de franchir. Mais beaucoup de ces camarades de classe n’étaient pas de cet avis. Heureusement Madame Laffont partageait son analyse de la situation. Elle regarda les deux élèves placés à la table qui jouxtait son bureau.

« Lequel d’entre vous a-t-il donné un coup de pied dans le bureau ? » demanda-t-elle dans un calme tout juste maîtrisé.

« Pas moi », dit le premier, un garçon collectionnant les félicitations tous les trimestres et dont le ridicule de la coupe de cheveux n’avait comme équivalent que celui de sa tenue vestimentaire, savant mélange de mauvais goût et d’influences d’une mode disparue des radars depuis deux ou trois générations. Les regards de toute la 5e3 convergèrent vers Lorie, sa voisine, adolescente rebelle toute de noir vêtue, dont la frange de cheveux couleur cendre s’écarta lorsqu’elle souffla dessus avant de déclarer « Rien à déclarer M’dame. »

Silence dans la salle. Madame Laffont se contenta de revenir vers son bureau, posa la corbeille au sol et articula un « Sortez vos cahiers » qui, sauf à vouloir risquer une heure de retenue, mit un terme au débat et à l’incident. Les délégués étaient élus, la tâche que s’était fixée Madame Laffont était terminée, le train scolaire pouvait reprendre sa folle course.

Bien entendu, si tous les élèves acceptèrent sans broncher ce formel recadrage, dans l’esprit de ceux qui avaient assisté à la scène, rien, mais alors vraiment rien du tout, n’était clos dans cette affaire. À la récréation, un attroupement se forma autour de Martin. Théodore sortit de sa poche un stylo quatre couleurs et demanda aux autres élèves de s’écarter.

« Théo, qu’est-ce que tu fais ? » demanda Martin en fourrant ses mains dans ses poches.

« Ce que je fais ? Non, mais tu rigoles ! Vas-y, refais ton truc ! Tiens, voilà un stylo, regarde je le pose par terre, là, fais le bouger ! »

Martin regarda le stylo avec un sourire gêné.

« Je n’y suis pour rien, je n’ai rien fait, je…

— Arrête ! » le coupa Florian, un autre garçon de la classe, connu pour ses performances sportives.

« On a tous vu la même chose » poursuivit-il « Tu as fait bouger la poubelle ! Pas vrai les autres ?

— Ouais, j’ai vu aussi » s’éleva une autre voix.

« Je vais dire à la prof que c’est toi qu’elle si tu ne nous dis pas comment t’as fait ! » menaça un élève.

Martin avait vécu de très près la réaction de Madame Laffont à toute cette histoire et il ne s’émut pas de cette menace inutile. Il parcourut le groupe d’élèves des yeux, ils étaient une petite dizaine. Le ton montait. Camille se fraya un passage parmi eux et se planta devant lui. Elle souriait. Elle lui saisit la main et, sans le quitter des yeux, parla plus fort que tout le monde.

« Laissez-le tranquille, qu’est-ce qui vous prend, vous n’avez jamais vu un tour de magie ? C’est hyper facile, moi aussi je sais le faire, j’ai appris ça à mon dernier anniversaire !

— J’y étais à ton dernier anniversaire, on a fait plein de photos délirantes, on n’a pas fait de magie » répondit sottement Martin en fronçant les sourcils.

« Chut imbécile ! » lui signifia Camille en plaçant son index sur ses lèvres.

« C’est vrai ça ? » demanda Théodore, témoin de l’échange.

« Euh… oui, c’est vrai, c’est un tour de magie… pas compliqué, je te montrerai. », se contenta de répondre Martin soulagé d’entendre la sonnerie mettre fin à ce drôle de moment.

« T’as fait comment ? Y’avait un fil, c’est ça, y’avait un fil, hein ? » insista Florian le sportif. L’occasion était trop belle. Camille fut plus prompte à réagir.

« Oui, c’est ça, une ficelle, tout bête en fait, hein ! »

Le groupe se dispersa en maugréant car encore une fois, l’exceptionnel, l’irrationnel et le fantastique refusaient de faire une entrée fracassante et salvatrice dans la monotonie de leurs vies et leur quotidien. Dommage pensaient-ils tous, vraiment dommage. Camille n’avait pas lâché la main de Martin. Il s’en rendit compte et saisit soudainement tout le bonheur de cette situation.

« On se voit à la sortie, ça te dit ? Et tu me montres, OK ? » lui souffla-t-elle à l’oreille. Elle s’était suffisamment rapprochée pour que ses longs cheveux lui caressent la joue.

« Euh ouais. OK, à la sortie. » fut sa seule et maladroite réponse. Elle fila se ranger avec ses copines qui avaient suivi la scène et en faisaient à présent des commentaires endiablés.

Martin passa l’essentiel du reste de la journée seul. Il s’isola à la bibliothèque dès qu’il le put pour essayer de comprendre ce qui avait bien pu se passer, ou au moins s’en souvenir précisément. Un voile de brume pesait sur ses souvenirs. Certaines choses étaient très nettes, comme le discours de Camille, ou tous ces regards ébahis fixés sur lui, mais il n’arrivait à saisir la sensation exacte ressentie lorsqu’il avait pointé l’urne-poubelle du doigt. La logique et la raison œuvraient à lui faire croire qu’il n’était pour rien là-dedans, mais il n’arrivait pas à s’en persuader. Quelque chose avait vibré en lui, comme une onde électrique, un peu celle qu’il avait ressentie la fois où il avait sauté pour la première fois du grand plongeoir, celui de trois mètres. Tous ces regards vers lui encore ce jour-là, avaient bougé quelque chose en lui. Oui, se dit-il, bougé, quelque chose avait bougé en lui.

Il n’y avait personne à la bibliothèque. Même la documentaliste avait disparu. Martin se saisit d’un feutre et le posa devant lui. Il roula quelques centimètres puis s’immobilisa. Martin le regarda fixement sans trop savoir pourquoi. Le voir bouger lui semblait au moins aussi probable que de voir une licorne entrer dans la pièce. Il soupira, persuadé de sa propre naïveté. Le feutre restait bien collé à sa table par la pesanteur terrestre. Martin se concentra à nouveau. Rien. Il se leva, après tout, il était bien debout la première fois. Toujours rien. Il changea la couleur du feutre, puis il changea de table, puis il essaya avec un crayon de couleur, puis avec un stylo trouvé sur le bureau déserté de la documentaliste, puis avec une gomme, un capuchon, une boulette de papier. Il pointa le feutre avec l’index puis essaya avec tous les autres doigts, brassant l’air par le haut, par le bas, de droite à gauche et inversement. Rien, nada, que dalle. Sur la table à présent recouverte d’objets, rien n’avait manifesté la moindre velléité de mouvement autonome.

La sonnerie de reprise des cours mit fin à ses tentatives. Il se pressa de tout bien remettre à sa place avant de quitter les lieux, mi agacé mi rassuré. Parce que finalement, faire bouger une corbeille, tout de même, c’était assez inhabituel. Suffisamment en tous cas pour lui causer des ennuis, il en était persuadé. Comme dans ce film où le petit garçon qui découvre un extraterrestre était finalement kidnappé par des militaires pour lui faire subir des expériences interminables et sans doute très douloureuses. Et puis que dirait Madame Laffont si elle découvrait que l’un de ses élèves était capable de faire le clown à distance ? Martin ne connaissait pas le bureau du Principal, mais se voyait très bien le découvrir à cette occasion. Il enfonça les mains dans ses poches et fila se ranger avec les autres. L’après-midi s’offrait à lui, une après-midi qu’il souhaitait, pour une fois, la plus normale possible.

Et d’ailleurs rien cette après-midi-là ne vint perturber le bon déroulement des enseignements de ses professeurs. Phil adressa bien à Martin quelques regards menaçants, que celui-ci choisit d’ignorer, renvoyant à son destinataire le mépris et l’insignifiance totale que méritait selon lui ce type d’agissement.

À la sortie, Camille l’attendait comme convenu. Au moins tout ceci lui avait-il permis d’attirer son attention. Il était délégué après tout, élu sur la base d’une promesse d’association avec la belle Camille. Cela lui permettait d’envisager a minima de nombreuses heures de travail en commun. C’était formidable, tout simplement formidable. Elle lui prit la main, encore, et pressa le pas en direction de la forêt.

« Camille, je ne peux pas partir trop loin, mes parents veulent que je rentre directement après l’école…

— Moi aussi » le coupa-t-elle « mais on ne peut faire ça ici, viens, allons à la Châtaigneraie, tu sais, dans le tronc du gros arbre, on sera tranquilles, tu pourras me montrer, allez ! Faisons vite alors ! »

Honnête avec lui-même, Martin ne voyait pas bien comment dire non à cette fille. Camille le tenait par la main et l’entraînait loin de sa maison. Après tout, ce n’était pas ça, la vie ? À un moment, partir ? Martin, aussi grisé qu’il fût, ne se sentait cependant pas encore assez mûr pour renoncer au confort douillet de sa vie d’enfant. Mais cette escapade dans le monde des grands, de ceux qui peuvent faire ce qu’ils veulent quand ils veulent, lui plaisait bien. Lui plaisait beaucoup même. Il se laissa entraîner.

Lorsqu’ils franchirent l’entrée du parc de la Châtaigneraie, il se souvint soudain que l’emballement de sa promise n’était pas motivé par sa belle personne – ou alors pas que – mais par sa volonté farouche d’expérimenter à nouveau une capacité supposée extraordinaire : déplacer les poubelles à distance. Laquelle capacité était supposée détenue par lui-même après qu’il en ait fait la démonstration plus tôt dans la matinée. Or, de cette capacité supposée, Martin ne savait rien, mais alors rien du tout. À peine se souvenait-il d’une vague sensation agréable lorsque la corbeille avait glissé sur le bureau. Quant à vouloir reproduire cette prouesse, c’était un peu comme demander à Madame Laffont de faire rire ses élèves : c’était arrivé une fois il y a plusieurs années, mais elle ne l’avait pas fait exprès. L’épingle qui retenait ses cheveux avait sauté, libérant une sorte de touffe ébouriffée à mi-chemin entre un champignon atomique et une barbe à papa avachie. Personne n’a jamais demandé à Madame Laffont de refaire sauter son épingle, mais Camille, elle, voulait que Martin fasse à nouveau glisser une poubelle. Et pour Martin, les choses étaient finalement assez claires : si l’intérêt – et pourquoi pas l’amour – de cette si jolie fille était à ce prix, alors il devait le tenter, essayer de toutes ces forces même si en la matière ses premiers essais à la bibliothèque s’étaient avérés infructueux. Il avait tellement envie d’y croire, mais alors tellement, si elle avait su…

Au centre de la Châtaigneraie se trouvait un arbre facilement centenaire dont le tronc, d’une largeur incroyable, était creux à partir de sa mi-hauteur. Habitués des lieux, Camille et Martin parvinrent à s’y hisser sans difficulté. Une odeur de terre humide et de bois pourri baignait la petite alcôve dans laquelle ils pénétrèrent, bulle d’intimité à trois mètres du sol dans laquelle deux ou trois enfants pouvaient se tenir debout sans se gêner. Martin se frotta les mains et passa la tête par l’ouverture. Il avait de là une vision panoramique sur le parc. Celle-là même qui lui avait permis, quelques années auparavant, de voir son père débarquer par surprise quand il avait compris par la maman de Théodore qu’ils s’étaient donné rendez-vous ici même pour rejouer la bataille d’Endor. Ce jour-là, Martin avait appris un nouveau mot, tétanos, quand son père avait pointé avec colère les gros clous rouillés plantés dans l’écorce de l’arbre. Il se pencha et tourna la tête des deux côtés : aucun père à l’horizon cette fois-ci. Camille le regardait intensément. Elle se frotta le nez du revers de sa main, qu’elle avait eu la bonne idée de protéger d’une mitaine en laine grise.

« Bonne idée, les mitaines », lança Martin qui restait inquiet des gros clous rouillés. Elle considéra ses deux mains quelques secondes en les agitant comme deux marionnettes.

« Ouais ! En plus comme ça, j’ai le style !

— Oui, ça te va bien.

— Il s’est passé quoi, tout à l’heure ? C’était le vent, comme la prof l’a dit ?

— Je ne pense pas… je ne sais pas. C’est peut-être Lorie qui a tapé dans le bureau, ce ne serait pas la première fois qu’elle mentirait à la prof.

— Je suis allé la voir après la cantine, elle m’a juré que ce n’était pas elle. »

Martin frissonna. Il faisait humide, dans ce trou. Il releva la capuche de son sweat.

— En fait il m’est arrivé un truc bizarre tout à l’heure, pendant l’élection, je me sentais… je ne sais pas… électrique… j’avais l’impression de vibrer de l’intérieur. »

Il leva la tête vers Camille, il avait envie qu’elle lui dise la même chose, qu’elle avait elle aussi ressenti une sensation étrange et que tout ceci, finalement, n’était que l’excitation de l’élection. Elle n’en fit rien.

« Comment ça, électrique ?

— Je te l’ai dit, je vibrais, j’avais l’impression de vibrer en tous les cas. Et puis ensuite… »

Martin s’interrompit en soupirant.

« Ensuite quoi ? » Camille avait fait un pas vers lui et se penchait pour voir son visage sous sa capuche.

« La poubelle a bougé, et puis plus rien, la sensation étrange avait disparu, je ne vibrais plus. »

Camille se redressa vivement « C’est génial ! Eh, mais il y a un lien ! C’est sûr ! T’as fait bouger la poubelle ! Martin… »

Elle prit ses deux mains dans les siennes et se plaça face à lui « Martin, tu peux bouger des trucs à distance ! Martin, tu as un super pouvoir ! Comme ces gars à la télé ! Il faut que tu te trouves un nom, et un costume aussi ! »

Elle éclata de rire et le prit dans ses bras pour le serrer fort, si fort. Et Martin, à nouveau, se sentit vibrer, devenir plein d’une énergie électrisante qui l’envahissait en même temps qu’une sensation de plénitude plaisante, si plaisante…

2

Tom Labrot, année 2009

Élisabeth de Palatin claqua la porte du grand salon si fort que la femme de chambre qui se trouvait deux étages plus haut sursauta et renversa le plateau surchargé qu’elle peinait à porter. Pierre, son mari, leva les yeux de sa tablette, réajusta ses lunettes et se racla la gorge en déposant avec précaution son verre de vin. Il replia ensuite soigneusement le casque haute-fidélité qu’il avait sur les oreilles.

« Tu vas finir par avoir raison de cette pauvre porte ma chère. », dit-il à sa femme en soignant le cynisme de son sourire. La rage qui animait cette dernière se manifestait par une respiration tendue et agressive dont Pierre se disait qu’elle n’oxygénait guère son épouse. D’ailleurs, le visage rouge de cette dernière en attestait.

« Respire Élisabeth, respire… »

Il ferma les yeux et prit lui-même une profonde inspiration.

« Tu ne vas rien dire ? » fulmina sa femme.

« Pour discuter avec ta fille, il faudrait que je mette la main sur des arguments auxquels nous n’avons pas encore pensés… et vois-tu, je suis tout à fait à court d’idées. »

Élisabeth pointa un index rageur vers son mari.

« Victoria n’est pas ma fille Pierre, c’est notre fille ! Et elle est devenue folle, tu ne peux plus le nier ! »

Son mari soupira. Son regard changea. L’exaspération et la lassitude pointaient.

« Notre fille a presque trente ans Élisabeth, et à cet âge-là, quand on est femme, on tombe amoureuse, on fait un bébé. C’est ce qui t’est arrivé, non ? Tu t’en souviens, rassure-moi. »

Sa femme contourna l’épaisse table en bois. Ses longs talons claquèrent sur le plancher et sa silhouette filiforme moulée dans une robe rouge d’un seul tenant chaloupa jusqu’au fauteuil de son mari.

« Pierre, ce gars est… est mécanicien ! Il travaille dans un garage ! Il passe ses journées à réparer des moteurs ! Non, mais tu…

— Oui, cela lui a permis de secourir notre fille lorsque sa voiture est tombée en panne en plein milieu d’une bretelle d’autoroute.

— Ah oui, ça, c’est sûr ! Il a gagné le gros lot ce jour-là ! Tomber sur la fille de Palatin, tu penses ! Il a dû lui sortir le grand jeu, hein ! Et cette naïve est tombée le piège ! »

Pierre se leva, termina son verre et regarda sa femme avec attention. Elle ne décolérait pas et il la connaissait trop bien pour ne pas comprendre que la faire redescendre de ses délires paranoïaques s’avérerait compliqué cette fois-ci.

« Tu ne crois plus au conte de fées ma chérie, et cela me navre. »

Sa femme tapa violemment sur la table.

« Un conte de fées ? Tu appelles ça un conte de fées ? Mais enfin, ouvre les yeux ! C’est un cauchemar ! Un drame, une catastrophe, choisis le mot que tu voudras, mais ne me parle pas de conte de fées ou d’amour passion ! Notre fille se fait manipuler par un sale type, elle est en danger ! Et tu refuses de l’admettre ! Tu te comportes comme un lâche Pierre, tu laisses tomber ta fille, ta propre fille ! Tu l’abandonnes ! »

La voix d’Élisabeth vrillait. Pierre sentit se rapprocher le danger d’une crise de larmes. Il se rapprocha d’elle et voulut l’enlacer, mais cette dernière détourna la tête et le repoussa avec force.

« Puisque tu ne veux pas agir, je l’ai fait à ta place. J’ai engagé un avocat. »

Stupéfait, Pierre regarda sa femme avec des yeux ronds.

« Pardon ? Tu as engagé un… avocat ? »

Élisabeth de Palatin leva le menton et le regarda droit dans les yeux.

« Oui Pierre. Si ta fille fait un enfant à cet homme, nous la déshéritons.

— Nous la… déshéritons ? Mais enfin tu deviens complètement folle !

— Non, Pierre, je ne deviens pas folle. Je nous protège. Je protège cette famille.

— Élisabeth, tu vas trop loin, je ne peux pas te laisser faire ça.

— Oh si Pierre, tu peux. Et tu vas le faire. Car si tu ne me laisses pas faire, je te quitte. Et tu perds tout. Alors, réfléchis bien… Réfléchis bien !! »

Pierre De Palatin ne bougea pas. Il resta immobile, son verre vide à la main, les yeux plantés dans ceux de sa femme. Tout son univers venait de vaciller. Il fut pris d’un vertige et posa une main sur la table pour garder son équilibre. Il baissa les yeux. Les mots lui manquaient.

Lorsqu’il releva la tête vers sa femme, elle le regardait en souriant. Il déglutit et se racla une nouvelle fois la gorge.

« Quel est le nom de… de ce gars ? »

Élisabeth ricana.

« Tu vois comme tu es concerné par la situation de ta fille, tu ne connais même pas le nom de son… amoureux ! Il s’appelle Tom, tâche de t’en souvenir, hein !

— Je sais qu’il s’appelle Tom, je veux parler de son nom de famille.

— Labrot. Il s’appelle Tom Labrot.

3

LoveMan

Théodore posa son verre devant lui et regarda Martin en haussant les sourcils.

« Allez, vas-y, sers-moi un verre de jus de pommes sans toucher à la bouteille ! »

Camille se rapprocha de Martin et l’enlaça avec affection. Lorie pouffa de rire.

« Attendez, mais vous faites quoi là au juste ? »

Camille lui tira la langue et fit une grimace.

« C’est comme ça que ça marche.

— Quoi ? Qu’est-ce qui marche comme ça ? Vous êtes ensemble, c’est ça ? Enfin ? »

Lorie croqua dans un cookie. Martin se sentit rougir.

« Non, toujours pas. Mais Camille a raison, c’est comme ça que ça marche. Regardez… »

Martin fixa la bouteille de jus et bougea très discrètement la main droite pour mimer une trajectoire. Et la bouteille s’éleva. Elle s’éleva au-dessus de la table puis s’inclina lentement et suffisamment pour permettre que le verre se remplisse.

« Bordel de m… ! » cria Théodore. Lorie cracha son cookie.

« Oh fuck ! » éructa-t-elle.

Camille éclata de rire.

« Et voilà ! Tin tin tin ! Je vous présente LoveMan, notre nouveau superhéros à nous, et rien qu’à nous ! »

Théodore tomba à genoux face à Martin, les yeux aimantés sur son verre qui finissait de se remplir de jus. Puis il posa son regard sur Martin et éclata de rire à son tour.

« LoveMan ? Non, mais attendez, sérieusement ? LoveMan ? »

Lorie s’appuya sur les épaules de Théodore et partit dans un fou rire incontrôlé.

« Non, mais attendez, LoveMan ? Avec un pseudo pareil, t’as plus qu’à jouer dans un film X ! »

Elle et Théodore n’en pouvaient plus de rigoler. Camille était stupéfaite. Elle se demanda si Martin et elle n’auraient pas mieux fait de garder le secret plus longtemps que les deux années qui s’étaient déroulées depuis leur élection comme délégués.

« Je n’y crois pas. Un de vos potes déplace des trucs à distance et vous, vous restez bloqués sur… un pseudo ? »

Elle se tourna vers Martin qui regardait ses amis l’air navré.

« Je suis d’accord avec toi Camille. J’y vois un manque certain de maturité, pas toi ? »

Théodore retrouva son calme un court instant.

« Ah oui… mais non ! Vous ne pouvez pas nous demander de rester sérieux là, franchement ! LoveMan ?! »

Et il rigola de plus belle. Lorie s’essuya les yeux et se saisit de la bouteille de jus de pommes.

« Vous êtes sérieux ? Tu peux… »

La bouteille lui échappa pour venir léviter à quelques centimètres de son visage. Elle passa la main dessus et dessous, puis sur les côtés.

« Il n’y a pas de… fil.

— Non Lorie, il n’y a pas de fil. Je peux faire ça. LoveMan peut faire ça. »

Elle pouffa.

« OK, il faut que tu arrêtes avec ça, on va réfléchir, trouver un nouveau pseudo, parce que là, t’es pas crédible. »

Théodore avança la main pour se saisir de la bouteille, mais celle-ci virevolta pour lui échapper. Son visage changea d’expression.

« Tu peux vraiment faire… ça ?

— Ouais mon pote, je peux vraiment.

— Et tu peux faire autre chose, d’autres trucs ? »

En guise de réponse, Martin ouvrit les bras en grand, et les souleva lui ses deux amis à trente centimètres de leur assise. Lorie et Théodore crièrent de surprise. Ils brassèrent l’air de grands moulinets inutiles. Camille, elle, avait placé ses mains croisées derrière sa tête et s’était étendue comme dans une chaise longue. Lorie la dévisagea.

« Mais t’es super à l’aise toi ! Vous faites ça depuis combien de temps tous les deux ? »

Martin baissa les bras et ils retrouvèrent tous les trois la terre ferme.

« Tu te souviens du coup de la poubelle le jour des élections avec Mme Laffont ?

— En cinquième, il y a… deux ans ? »

Martin ne rajouta rien et se contenta de fixer Lorie en souriant. Théodore reposa bruyamment son verre.

« Non ! Tu rigoles ? »

Martin nia d’un geste de la tête.

« Deux ans ! Ça fait deux ans ?!

— Ouais, ça nous a foutu la trouille, on a un peu paniqué. C’est normal, non ? »

Lorie se rapprocha de lui et mordit à nouveau dans un cookie.

« Et en deux ans, vous n’avez pas été foutus de trouver mieux que le pseudo d’un acteur porno pour baptiser notre nouveau superhéros ? »

Théodore bascula en arrière et se remit à rigoler. Martin regarda Camille et soupira, ce qu’elle fit à son tour.

« Mais nous sommes ouverts à toutes les propositions, vous savez.

— Mais pourquoi Love ? Je ne vois pas…

— Parce que c’est comme ça que les pouvoirs de Martin apparaissent. Il faut qu’il soit aimé. »

Lorie, soudain sérieuse, fixa Camille.

« Aimé ? De façon platonique tu veux dire ? Il n’est pas nécessaire de lui faire un câlin ou de…

— Non Lorie, l’aimer de loin. Pas besoin de le… toucher. Mais il faut l’aimer vraiment en revanche. »

Martin ne disait rien. Il suivait la discussion, à la fois amusé et un peu gêné, Théodore se redressa et tapa sur l’épaule de son ami en lui lançant un regard lourd de sous-entendus.

« Ah… Bon… Dommage hein, pas vrai ? »

Martin soupira à nouveau et adressa à Théodore un regard réellement navré. Théodore redevint immédiatement sérieux.

« Bon, il n’empêche, LoveMan, ce n’est pas possible, il faut trouver autre chose. Il faut aussi trouver une tenue. Tu imagines ton LoveMan comment ? Avec un gros cœur bien au milieu de la poitrine, c’est ça ? Tiens, d’ailleurs, qui d’autre est au courant ?

— Tous ceux qui savent sont dans cette pièce, répondit Martin.

« Tu ne veux pas que cela se sache ?

— Non, surtout pas. Je n’ai pas envie de finir comme un singe de labo. Je ne l’ai même pas dit à mes parents, ils flipperaient carrément et m’enverraient direct chez le pédiatre, qui lui m’expédierait dans une salle secrète de la zone 51 où je suis sûr qu’il n’y a même pas le wifi !

— Ouais, t’as raison. Comme dirait Miss Chebby la prof d’anglais, faisons low profile ! »

Lorie retourna la boîte de cookies et fut navrée de constater qu’elle était arrivée au bout.

« Eh, mais vous avez dû vachement vous amuser depuis deux ans avec ça vous ! »

Camille pouffa de rire.

« Ah ouais. Tu te souviens du grand Phil ? Celui qui se croyait plus balèze que tout le monde ?

— Oui ! Non ? C’est vous ? »

Martin approuva d’un geste de la tête.

« La fois où il a fait une crise de panique parce que sa grenouille s’est réveillée pendant la dissection ? En fait c’est toi qui…

— Oui, voilà. »

Lorie et Théodore éclatèrent de rire. Camille et Martin les regardèrent puis se laissèrent contaminer par la joie et le plaisir de leurs amis. Ces nouvelles capacités suscitaient parfois chez Martin des angoisses que des instants comme celui-ci dissipaient assez efficacement. Oui, rire de tout cela lui faisait du bien.

« Alors, un nom et un costume donc ? »

Théodore se plia en deux pour poser ses deux coudes sur la table basse en face de lui.

« OK, KiffMan alors. », tenta Lorie en rigolant.

« UsMan ! » lança Camille.

« UsMan ? Pourquoi UsMan ?

— Bah pour dire nous, tu vois, ce héros a besoin de nous, us en anglais, pour que ça fasse plus classe.

— Euh, je me méfie des mots en us, ça appelle les jeux de mots douteux. Et puis pourquoi en anglais ?

— Parce que EnsembleMan, ou NousMan, ou AmourMan, ça me paraît moins cool, non ? »

Ils rigolèrent tous les quatre puis se concentrèrent à nouveau. Théodore se redressa en levant la main.

« Moi, quand j’étais petit j’étais fan de l’homme-araignée. Pour me déguiser, je mettais un slip sur mon visage, avec le trou des jambes en face des yeux. J’ai des photos, ça faisait vraiment classe ! Vous voulez que je vous montre ? »

Lorie détourna la tête en faisant une grimace.

— Euh non, ça ira, on te remercie ! Moi je retournais mes tee-shirts pour pouvoir écrire dessus. Mes parents appréciaient moyennement. »

Martin se souvenait avoir beaucoup joué avec le masque qu’il mettait au sport d’hiver. Il se leva et fouilla dans ses affaires pour remettre la main dessus.

« Vous avez raison, il faut faire simple. Je ne peux pas me payer une armure hi-Tech comme l’autre milliardaire américain. J’ai ça, regardez ! »

Martin enfila le masque.

« Ah ouais, c’est pas mal. Mais attends une seconde… »

Camille s’approcha de lui et remonta la capuche de son sweat sur sa tête.

« Voilà, comme ça tu ressembles à un grapheur ! Bon, il est trop petit ton masque, et il est moche en plus. On est en 2025 mon grand, il faut updater ça. Il ne reste plus qu’à te dissimuler le bas du visage.

— Camille a raison. » compléta Théodore « Et du coup, c’est assez simple, tu peux garder le sweat sur toi, pas besoin de passer par une cabine téléphonique pour te transformer !

— C’est quoi, une cabine téléphonique ? » demanda Lorie.

« Toi, tu n’as vu tes classiques au cinéma, ce n’est pas bien ! »

Martin regardait ses amis à travers son masque de ski et sous sa capuche. Il remonta le col de son tee-shirt sur sa bouche. Il se sentait bien tout à coup, caché derrière ce déguisement improvisé. Comme lorsqu’il était enfant, il ressentait le plaisir de devenir quelqu’un d’autre.

« Parfait ! » déclara-t-il.

Sa petite sœur Jeanne pénétra dans la pièce. Elle fixa le drôle de personnage inconnu qui se trouvait au beau milieu de la chambre de son frère, dans sa maison à elle. Ses yeux se plissèrent et s’humidifièrent en même temps que sa bouche amorçait le râle annonciateur de quelque chose de beaucoup plus sonore. Martin arracha le masque qu’il avait sur le visage et s’agenouilla vite auprès d’elle.

« Jeanne, c’est moi ! C’est Martin ! »

Elle le regarda en reniflant, ravala ses larmes et afficha un sourire rassuré.

« Qu’est-ce que tu fais Martin ?

— Eh bien tu vois, je m’amuse à me déguiser avec Théo, Lorie et Camille.

— Et tu t’es déguisé en quoi ? T’es qui ? Je peux jouer aussi ? »

Martin se tourna vers ses amis et leur adressa un clin d’œil complice.

« Dis-moi petite sœur, je suis déguisé en qui d’après toi ? »

Jeanne regarda la capuche, puis le masque de ski. Elle enlaça son frère.

« Tu es mon héros à moi », lui murmura-t-elle à l’oreille « Et quand tu mettras ton masque, les méchants, ils vont moins rigoler. »

Elle lui déposa un bisou sur la joue puis pivota et quitta la pièce à cloche-pied en tapant dans ses mains d’excitation. Camille la suivit des yeux puis regarda la paume de ses mains. Elle adressa un coup d’œil complice à Martin.

« Vas-y, refais-moi le coup de la bouteille qui vole. »

Martin se concentra et vida le reste du jus de pomme dans le verre de son amie. Cette dernière se mit à applaudir et incita les autres à faire de même. Lorsque la salve d’applaudissements s’acheva en claquements désordonnés, elle se leva et les fixa tous un par un.

« J’ai une idée » dit-elle pleine de malice « Pour encourager, pour accompagner, pour s’enthousiasmer, pour dire sa joie, sa reconnaissance, son amour, on applaudit, non ?

— Oui, et ? » interrogea Théodore.

« Clap en anglais, comme en cours d’anglais, Clap your hands !

— …

— ClapMan, les amis, je vous présente ClapMan ! »

4

La rotule droite

Maria De Euva, jeune femme pilote, était née vingt-neuf ans plus tôt à Rio de Janeiro, Brésil. Elle se réveilla le matin du 15 mai 2038 encore plus tôt que d’habitude. Ses yeux s’ouvrirent sur les dix mètres carrés très colorés d’une chambre de l’hôtel GoToBed situé en face de l’entrée principale du GoToFun Aréna, légendaire et plus grand stade indoor parisien.

Elle s’étira en grimaçant, les courbatures de l’entraînement de la veille étaient encore douloureuses. Elle s’y attendait, car elle avait trop forcé. D’ailleurs Tony, deuxième entraîneur de l’équipe nationale, l’avait mise en garde à plusieurs reprises. Mais il avait été impossible pour Maria de remiser son Dancing Bot au garage avant d’avoir réussi, au moins une fois, la triple vrille rotative sur laquelle elle comptait plus que tout pour conclure sa chorégraphie.

Elle attrapa les deux pilules d’anti-inflammatoire qui traînaient sur la table de chevet et les avala avec un grand verre d’eau au goût de javel assez prononcé. Il faisait sombre dans sa chambre et elle soupira en jetant un coup d’œil dehors. Le ciel était bas sur Paris, une brume légère, mais uniforme collait sur tout le paysage la poussière dense et épaisse qui avait recouvert la capitale depuis quelques jours. Huit étages plus bas, les essuie-glaces du gros E. bus à soufflet qui attendait son tour au croisement de l’avenue, peinaient à tracer une courbe nette sur le large parebrise vertical. Un jeune homme à capuche traversa le parvis sur un skate-board dont les roues laissèrent derrière lui deux rails plus clairs dans la mélasse. Une vieille dame à la démarche peu assurée hésitait à traverser l’avenue.

Maria prit une douche très chaude et ressentit un certain plaisir à laisser le filet d’eau couler lentement sur les parties les plus endolories de son corps. Lorsqu’elle se regarda dans le miroir, elle regretta les longs cheveux noirs de son enfance tout en sachant mieux que personne qu’enfiler une telle tignasse dans un casque de Dancing Bot n’était pas envisageable. Elle enfila sa sous-combinaison sur laquelle était floqué le drapeau français. Elle avait demandé à l’équipementier si faire apparaître le drapeau brésilien discrètement était possible. De lui, elle n’eut aucune réponse. En revanche elle reçut un mail salé du responsable de la com’ qui lui signifiait très clairement que tout ce qui apparaissait sur sa combinaison ou son robot ne serait jamais, ni de son ressort ni de son initiative. De l’avis de Maria, c’était une regrettable erreur, car son pays d’origine n’était pas seulement l’une des nations au palmarès le plus étoffé, il était également l’inventeur de ce sport dément qui drainait aujourd’hui plus d’argent sur les sites de paris sportifs que n’importe quelle autre activité.

Les autres membres de l’équipe avaient eu le sommeil plus lourd, Maria prit rapidement son petit-déjeuner, seule dans la grande salle vitrée du dernier étage. Elle commanda, outre un classique double café, une assiette de pâtes au beurre et trois bananes. Il lui restait deux heures avant le début du dernier entraînement. Elle les passa loin de ses coéquipiers, allongée dans sa chambre un casque sur les oreilles, à se repasser en boucle la playlist de son show. Elle se concentra pour répéter encore et encore son enchaînement et ses figures.

La vibration de son téléphone l’empêcha de conclure virtuellement un énième cycle complet de sa prestation. C’était Jean, son mécano. À cette heure-là, ce n’était pas bon signe.

« Salut Jean, déjà debout ? Un problème ?

— Yo Maria, ouais je me suis à peine couché, avec les gars on a bossé toute la nuit, on n’est pas tous les jours en finale…

— Merci Jean, vous êtes tellement… à fond, on se sent soutenu, ça compte, tu sais »

Silence pesant.

« Maria, on a un problème, l’une des rotules inférieures de Paco est morte. »

Paco. Son Dancing Bot. Taillé pour elle, rodé pour elle, dont elle connaissait toutes les qualités et les limites, toutes les pièces et engrenages, dont le cuir des poignées n’avait jamais été tanné que par ses paumes à elle, son partenaire unique et irremplaçable. Son robot. Son robot danseur.

« Je ne comprends pas. », se contenta-t-elle de répondre en fermant les yeux pour ne pas céder à la panique.

« Tu te souviens, nous avons changé les soufflets de protection avant ton dernier passage, à Londres. J’ai tout vérifié à l’époque, c’était nickel… »

Elle l’interrompit « Jean, c’était il y a un mois, combien de temps sont censés durer ces pièces ?

— Un an, minimum. Ce sont les pièces les plus importantes, elles vous tiennent debout, toi et ton robot.

— Putain ce n’est pas vrai… Tu appelles le fournisseur immédiatement, il se démerde, dans une heure, je suis à l’entraînement et je ne vais pas y aller avec un Bot de travers parce que l’une de leurs pièces a fait le dixième de son temps !

— C’est fait Maria ! Mais dans une heure, c’est impossible.

— Tu as averti Abdel ?

— Je n’ai pas réussi à le joindre, je crois qu’il est de commission sécurité ce matin avec tous les autres coachs. Je lui ai laissé un message et j’ai averti Tony.

— Il a réagi comment ?

— Il est hors de lui, il a menacé de me virer si je ne trouvais pas une solution. »

Maria soupira profondément en écartant le combiné de son visage. Elle temporisa pour mettre de l’ordre dans ses pensées.

« Maria, tu es là ?

— Oui, je réfléchis… il ne ferait pas ça, tu es trop précieux pour moi et pour l’équipe.

— J’ai merdé Maria, ces rotules, il faut toujours les vérifier, à chaque sortie, je te l’ai dit, c’est ce qui vous tient debout. Avec les nouvelles protections en place, je n’y ai plus pensé, je… »

Il avait du mal à encaisser le coup, c’était évident et tellement normal. Jean était un passionné. Il devait tout à ce sport, c’était son job, sa vie, une grosse partie de son passé et la garantie d’un bel avenir si tout se passait bien.

« J’arrive Jean. Tu ne bouges pas. Je suis là dans un quart d’heure, le temps de rejoindre les sous-sols de l’Aréna. Va te faire un café, prends l’air deux minutes, je te retrouve devant le hangar. »

Elle raccrocha sans lui laisser le temps de répondre puis enfila sa tenue de pilote en prenant bien soin d’en ajuster les protections. Elle voulait éviter de souffrir à la réception des sauts comme cela avait été le cas à Londres. Ce jour-là, elle en avait perdu sa concentration, ce qui avait été à l’origine de sa sortie de zone et de la lourde pénalité inhérente. Un beau gâchis. Elle avait bien l’intention de faire danser Paco aujourd’hui, cette histoire de rotule se résoudrait forcément. Elle chaussa ses bottes dont la coque en carbone claquait au sol lorsqu’elle marchait trop vite. Ce qui était le cas. Parce qu’elle était (très) pressée et parce qu’elle voulait que sa combinaison ne prenne ni l’eau, ni la poussière, elle voulut traverser en courant le parvis qui la séparait de l’entrée nord des hangars de l’Aréna.

Elle croisa la grand-mère aperçue plus tôt de la fenêtre de sa chambre. La pauvre dame ne parvenait pas à gravir la rampe menant à l’entrée du métro, car la pluie se mêlant à la poussière avait rendu le sol plus glissant qu’une dalle de glace. Elle voulut s’arrêter pour l’aider, mais son pied droit dérapa et elle chuta sur le dos puis roula dans la crème de poussière imbibée qui jonchait le sol.

« Putain de bordel de merde ! » jura-t-elle en se relevant sous le regard navré de la vieille dame.

« Ma pauvre fille, tout va bien ? Faites attention, c’est épouvantable aujourd’hui. »

Maria lui adressa un sourire grimaçant.

« Oui, ça va, merci. » Elle se releva et boita jusqu’à elle.

« Et vous, ça va ? Où allez-vous ? Ce n’était pas forcément une bonne idée de sortir aujourd’hui. »

La vieille dame soupira.

« Oui, vous avez raison, mais ce n’était pas beaucoup mieux hier et ce sera pire demain. Il faut bien que je sorte de temps en temps, forcément. »

Son regard se fixa sur la supérette GoToFood de l’autre côté du carrefour.