Dérives mortelles - Jacques Delsol - E-Book

Dérives mortelles E-Book

Jacques Delsol

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Beschreibung

Un tueur en série terrorise les autoroutes françaises. La commandante Collins se retrouve face à une course contre la montre pour arrêter ce monstre avant qu’il ne frappe à nouveau. Pendant ce temps, elle confie à son ami et protecteur Igor Michaud la tâche cruciale de prouver l’innocence d’un jeune boxeur, injustement accusé du meurtre de sa femme. Mais alors que les deux enquêtes avancent, les indices s’entremêlent, laissant planer le doute : ces tragédies pourraient-elles être liées d’une manière plus terrifiante encore ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Delsol a consacré l’intégralité de sa carrière professionnelle à l’enseignement dans le Lot. Attiré tout particulièrement par les polars, il a décidé de se lancer dans l’écriture à sa retraite. "En quête d’identité" suivie de "La confrérie blanche" ont inauguré une série de romans mettant en scène les enquêtes de la commandante Collins. "Dérives mortelles" constitue le troisième volet de cette saga.

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Jacques Delsol

Dérives mortelles

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jacques Delsol

ISBN : 979-10-422-4026-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Je recherche toujours la vérité

Je ne doute jamais.

Commandante Marie Collins

Chapitre 1

Lundi matin

La commandante Marie Collins se remettait lentement de la grave blessure subie lors de sa dernière enquête (voir la confrérie blanche).

Elle avait obtenu le feu vert du kinésithérapeute qui la soignait, la permission de reprendre progressivement la course à pied où elle excellait, mais pas la boxe, sa deuxième passion ; son épaule endommagée n’étant pas encore suffisamment consolidée. Elle redoutait, et en même temps espérait ce moment où elle pourrait enfin courir à nouveau. Pour cette ancienne espoir du demi-fond, la course à pied représentait, bien plus qu’un simple exutoire, un besoin vital pour son équilibre personnel tant physique que mental.

Commandante de gendarmerie au sein de l’IRCGN de Pontoise, Marie se révélait une enquêtrice hors pair, à qui sa hiérarchie confiait les affaires sensibles sur tout le territoire.

Elle cochait toutes les cases d’une excellente gendarme. Respectueuse de l’autorité, bardée de diplômes, sportive de très haut niveau, elle possédait en plus de ses compétences hors norme, une intégrité sans faille et un sens aigu des responsabilités envers les victimes. Intransigeante, mais juste, elle était très appréciée de ses hommes.

La trentaine, grande et mince, elle impressionnait ses interlocuteurs, moins par sa taille et la force qu’elle dégageait, que par son regard impénétrable et glacial aux yeux d’un bleu foncé indéfinissable. Les traits réguliers de son visage donnaient à l’ensemble de sa personne une beauté froide et inaccessible, d’autant plus qu’elle souriait rarement.

Après un petit déjeuner léger ; deux tartines de pain noir et un thé vert non sucré, elle se rendit dans son dressing, où avec une émotion palpable, elle enfila pour la première fois depuis son retour au domaine son survêtement. Elle flottait dedans, alitée plus d’un mois, elle avait perdu la moitié de sa masse musculaire. Elle se regarda dans la glace, le résultat lui fit peur, elle avait les traits tirés, des ridules marquaient son front et des cernes soulignaient ses yeux d’un marron disgracieux. Elle haussa les épaules, son apparence physique lui importait peu. Elle attacha son imposante chevelure avec un élastique, laça ses runnings, avant de s’élancer en direction des hautes terres, le but de son footing.

Au bout d’une centaine de mètres, elle retrouva peu à peu ses sensations, elle allongea la foulée, puis à l’entrée de la côte qui menait sur le plateau, elle ralentit, hésita l’espace d’un instant avant de s’engager avec détermination sur cette montée abrupte. Le souffle lui manquait, ses muscles gorgés d’acide lactique la faisaient souffrir, elle serra les dents. Arrivée au bout du chemin de terre, les mains sur les cuisses, courbée en deux, elle s’arrêta enfin. Son épaule endolorie lui faisait encore mal, ses poumons la brûlaient, mais pour rien au monde, elle n’aurait voulu laisser sa place, elle revivait enfin.

Elle regagna la ferme par un bois de chênes et de châtaigniers qui descendait le flanc nord du domaine des Bories. Un pick-up était garé dans la cour.

Elle trouva Hakim, son régisseur et ami, en grande discussion avec un homme qu’elle ne connaissait pas. Hakim présenta sa patronne.

Le jeune homme s’approcha de Marie et la salua avec un large sourire.

« Excusez-nous de débarquer comme ça, mais le gars chargé de s’occuper de l’eau ce matin a oublié de le faire, pourriez-vous nous dépanner, il fait déjà très chaud. »

Marie l’observait. Plus grand quelle, un visage avenant, de beaux yeux verts, il semblait sûr de son charme, ça se sentait dans la façon dont il la regardait. Cet air de supériorité bienveillante lui déplut profondément.

Elle se sentait jaugée. Elle détestait ça. Elle resta devant lui les bras croisés, sans montrer son agacement.

Il s’étonna de l’attitude de la maîtresse de maison qui n’avait pas encore dit un mot et qui le regardait, indifférente. Il comprit sa bévue.

« Je me présente, Philippe du Bérail, je suis éducateur de justice, j’encadre un groupe de jeunes en réinsertion. »

Marie sourit intérieurement, elle répliqua sans se départir de son flegme. Ça l’amusait beaucoup de voir ce grand gaillard complètement déstabilisé, il avait bien mérité d’être remis à sa place, mais elle devait l’aider, au moins par pure politesse. Elle s’exprima enfin.

« Je pense pouvoir vous dépanner, non ne regardez pas le puits, on doit faire analyser l’eau pour savoir si elle est encore potable. Demandez à cet étourdi de me rejoindre dans la cave, on doit avoir un pack d’eau minérale à vous donner. »

Elle indiqua une porte basse qui se trouvait sous la grange qui jouxtait le logement principal.

« Merci beaucoup. »

Un jeune homme petit et malingre sortit à son tour du pick-up, il accompagna Marie.

Une fois dans la cave, il posa sa main sur l’épaule de Marie. Elle se dégagea d’un geste vif, lui attrapa le bras et l’immobilisa. Le jeune garçon la regarda, totalement abasourdi.

« Excusez-moi, madame, je ne voulais pas vous faire peur. »

Marie le lâcha.

« Vous ne me faites pas peur, je déteste que l’on me touche sans y être autorisé. »

Il bégaya.

« Vous êtes la flic qui s’est fait tirer dessus devant le tribunal de la Ville. »

« Oui, et alors, en quoi ça vous intéresse… monsieur ? »

« Chem Abad, je voulais vous parler d’une affaire, mais pas devant eux. »

« Allez-y, nous sommes seuls. »

« Non c’est un peu long à raconter, les gars vont trouver ça bizarre. Pouvez-vous me retrouver au restaurant le Palais à la Ville ce soir à vingt heures ? »

Il ajouta pour enfoncer le clou.

« c’est une question de justice pour mon ami Teddy Lam. »

Marie ne sut pas pourquoi, mais sensible à la demande du jeune homme, décida de lui faire confiance, elle lui répondit simplement.

« Je viendrai, ne me décevez pas, monsieur Abad. »

Une fois dehors, Marie les salua. Avant de rentrer chez elle, elle se retourna et interpella l’éducateur.

« Monsieur Du Berail, vous pouvez venir pique-niquer dans la clairière derrière la grange, c’est un endroit agréable et frais. Venez prendre le café quand vous aurez fini de déjeuner, vous m’expliquerez votre travail, votre expérience m’intéresse, elle pourrait me servir dans mes projets. »

Le jeune homme d’abord étonné accepta l’invitation. Il repartit avec un sourire aux lèvres ; les affaires reprenaient, son charme opérait toujours.

Il connaissait sans doute la commandante Collins de réputation, mais sûrement pas la femme totalement insensible aux séducteurs de son genre.

Chapitre 2

Lundi matin

Marie regarda, dubitative, le pick-up quitter l’esplanade de la ferme. Hakim, le régisseur du domaine, resté en retrait durant la discussion, l’interpella.

« Excusez-moi, madame. »

Marie lui coupa la parole.

« Hakim, cessez de m’appeler madame, j’ai l’impression d’être une vieille femme autoritaire, appelez-moi par mon prénom, s’il vous plaît. »

« Bien ma… comme vous voulez Marie. »

La commandante attendait la suite, le jeune homme paraissait mal à l’aise. Enfin il se décida à parler.

« Je sais que vous voulez bien faire en vous occupant d’Hourria, avec autant d’affection, et de patience, mais Melissa… »

Il cherchait ses mots pour ne pas blesser Marie. Elle poursuivit la phrase pour l’aider à s’en sortir.

« Mais, elle trouve que je suis trop présente, que j’en fais trop, et qu’elle se sent dépossédée de son enfant. Rassurez-la, j’éprouve beaucoup de plaisir à partager des moments avec Hourria, mais je sais où est ma place dans votre famille ; une amie, une marraine, tout au plus. »

Elle mentait effrontément, elle éprouvait pour la fillette bien plus que cela, une grande affection, qu’Hourria lui rendait bien. Depuis que Melissa avait épousé Hakim et qu’elle s’était installée au domaine avec sa fille, la vie de Marie avait été transformée. Elle avait ressenti immédiatement un attachement pour cette enfant à l’intelligence remarquable, en qui elle s’était reconnue, et qu’elle voulait protéger.

Hakim se sentit soulagé, il admirait Marie, et pour rien au monde, il n’aurait voulu se montrer désobligeant.

« Je sais qu’Hourria vous aime beaucoup, qu’elle apprécie votre compagnie, vous êtes un modèle pour elle. »

Marie mit fin à la conversation, prétextant des coups de téléphone à donner.

« Hakim, ne vous inquiétez pas, j’irai parler à Melissa, d’ailleurs j’ai une proposition à lui faire, et je souhaitais le lui annoncer aujourd’hui. »

Elle regagna son bureau situé au premier étage du pigeonnier, reconverti en annexe de la maison d’habitation. Elle chercha au milieu des documents étalés sur sa table de travail, le calepin où elle notait les numéros de ses amis et collaborateurs.

Mais avant de s’occuper des problèmes du jeune Chem, elle décida qu’il était temps de tourner la page de sa relation compliquée avec Thomas Deguels, l’homme dont elle était tombée amoureuse au premier regard et qui par son inconséquence avait été à l’origine de sa grave blessure (voir « la confrérie blanche »).

Le comportement insensé de Thomas pour sauver sa sœur Capucine, kidnappée par des malfrats, avait brouillé son jugement, et cela aurait pu tourner davantage au drame. Aujourd’hui, Marie comprenait mieux la réaction irréfléchie de Thomas, elle devait pardonner.

Capucine lui avait avoué récemment que son frère avait passé les premiers jours de l’hospitalisation de Marie à son chevet, quand, placée en coma artificiel, elle luttait contre la mort. Dès qu’elle avait repris connaissance, il avait disparu.

Marie avait parfois de ses nouvelles par la jeune fille. Chaque fois elle éprouvait un pincement au cœur, et de la frustration, regrettant de ne pas pouvoir entendre ses explications.

Depuis l’arrivée d’Hourria dans sa vie, ses sentiments envers Thomas s’étaient peu à peu estompés, pour laisser place à une forme de vague nostalgie. Les cicatrices physiques allaient de pair avec celles plus psychologiques de la blessure d’amour propre qu’elle avait subie. Il était temps qu’elle dise à Capucine qu’elle souhaitait correspondre avec son frère, que rien ne lui ferait plus plaisir.

Satisfaite de sa décision, elle trouva plus approprié de le lui annoncer sa décision de vive voix. Elle se rendrait à la ferme des Deguels dès cette après-midi, après son entrevue avec Melissa.

Elle appela d’abord la major Bensour qui l’avait secondée lors de sa dernière affaire. Elle aussi avait été blessée au cours de cette enquête, mais beaucoup moins sérieusement. La balle du tueur à gages avait ricoché sur le gilet pare-balles de la commandante, pour atteindre la gendarme au bas ventre.

Depuis peu, elle avait repris son travail au côté du capitaine Agosti qui dirigeait la brigade départementale, basée à la Ville. Elle répondit à la troisième sonnerie. Comme toujours, elle manifesta sa satisfaction de s’entretenir avec Marie qu’elle appréciait particulièrement. Les formules de politesse échangées, Marie en vint directement au fait.

« Nadia, j’aurais besoin de vos services pour m’éclairer sur un dénommé Teddy Lam, qui, semble-t-il, a un problème avec la justice. Son ami Chem Abad désire me rencontrer seule ce soir. Si vous pouvez m’en dire un peu plus sur ces deux hommes, leurs parcours, enfin tout ce que vous trouverez sur eux. »

Si la commandante s’occupait d’une nouvelle affaire, Nadia comptait bien en faire partie.

« À quelle heure avez-vous rendez-vous, madame ? »

« À vingt heures ce soir au café du Palais. »

« Je vous rappelle dès que j’ai trouvé quelque chose. Voulez-vous que je vous accompagne ? »

« Merci Nadia, c’est gentil, mais j’ai l’impression que ce jeune homme ne fait confiance à personne, surtout pas aux policiers. J’attends de vos nouvelles, belle journée. Surtout, ne dites rien au capitaine, il s’inquiéterait pour quelque chose qui n’en vaut sûrement pas la peine. »

Marie s’interrogeait encore sur l’arrivée impromptue de Melissa et de sa fille en France. Hakim lui avait vaguement expliqué que suite à une tragédie dont la jeune femme avait été le témoin au Sahel, le massacre d’une patrouille de l’opération Serval par des rebelles de Boko Haram, elle avait dû s’enfuir, et avait été recueillie par une cousine éloignée en Algérie.

Il n’y avait qu’une personne qui pouvait la renseigner sur cet épisode, Igor Michaud, son ami et homme de confiance. Igor dirigeait aujourd’hui la boîte de sécurité dont Marie avait hérité du colonel Servail qui avait adopté Marie enfant pour en faire sa légataire universelle.

Igor, ancien membre du KGB, avait été recruté par cet officier du renseignement, à la suite de la prise d’otages sanglante de Beslin en Russie, où ses enfants avaient trouvé la mort. Il était devenu l’âme damnée du colonel, jusqu’à sa rencontre avec Marie. Depuis, il la protégeait et participait dans l’ombre à ses enquêtes, en toute légalité.

Le colonel Servail, était à l’origine des malheurs de Marie, et paradoxalement, de sa réussite. Il avait dénoncé par dépit amoureux la mère et le père de la commandante aux membres du GIA islamique, ils avaient été égorgés tous les deux. Marie avait été épargnée grâce à l’intervention du colonel.

Igor décrocha dès qu’il vit le numéro s’afficher, toujours heureux de parler avec celle qu’il admirait et dont il était aussi un peu épris. Un amour platonique, mais bien réel.

« Que me vaut le plaisir de ce coup de fil, prendre de mes nouvelles ou me donner des vôtres, car depuis quelque temps, c’est silence radio. »

Marie connaissait Igor, ses récriminations s’estomperaient vite, quand elle le mettrait à contribution, trop heureux de lui rendre service et de reprendre un travail pour lequel il était le plus doué ; enquêter.

« Arrêtez vos reproches, je sais que vous vivez le parfait amour avec votre secrétaire, je ne voulais pas m’immiscer dans vos affaires de cœur. »

« Foutaises que tout ça, le vieil Igor n’est bon qu’à vous servir comme une princesse. »

Marie lui répondit sur le même ton de la plaisanterie afin de le ramener à de meilleurs sentiments. Peut-être s’était-il réellement senti délaissé depuis qu’elle s’occupait exclusivement de la petite Hourria.

« Pourquoi, je ne suis plus votre princesse, monsieur le bougon, je suis triste et désespérée de l’apprendre ? »

Igor souffla à l’autre bout du fil, vaincu.

« Que puis-je pour vous, commandante Collins, dans quel nouveau guêpier vous êtes-vous encore fourrée ? »

Marie sourit intérieurement, elle avait une fois de plus mis le géant russe dans sa poche. Trop heureux de jouer, une fois de plus, son rôle de chaperon et de confident.

« Rien de grave ou plutôt si, mais pas dans le sens où vous l’entendez. J’aurais besoin de savoir ce qu’il est advenu d’une patrouille française dans la région frontalière entre le Tchad et la Mauritanie. »

Elle lui donna la date approximative qu’elle avait déduite de la grossesse de Melissa.

« Ça remonte à presque dix ans tout ça, au début de la mission Serval, si je ne me trompe pas. »

« Neuf ans très certainement. »

« Je vais voir ce que je peux trouver, mais ce n’est pas pour rien qu’on nomme l’armée “la grande muette”, ça ne va pas être facile, même pour moi. »

« Je connais vos capacités Igor, vous retrouveriez un agent du KGB du temps de l’ancienne Union soviétique, même s’il se planquait au fin fond de l’Amazonie, alors des événements récents, cela ne vous posera aucun problème. »

Igor lui aurait bien répondu, pourquoi elle ne le faisait pas elle-même, si c’était si simple que ça ?

Elle précisa, comme si elle avait lu dans ses pensées.

« Vous avez raison, je pourrais le faire moi-même, mais cela doit rester confidentiel. »

« Vous êtes toujours aussi démoniaque ! »

Elle sourit.

« N’essayez pas de me flatter, j’aurais tout simplement pensé la même chose que vous, pas de démon ni de diable là-dessous, de la déduction Igor, de la simple déduction. »

Elle rajouta :

« Vous savez que ma maison est toujours ouverte pour mes amis et les amies de mes amis. »

Elle raccrocha, certaine que l’ancien agent secret allait tout faire pour découvrir ce qu’il était advenu des militaires de cette patrouille. Elle n’avait toujours pas décidé de ce qu’elle ferait de cette information.

Chapitre 3

Lundi fin de matinée

Il était temps d’avoir une discussion avec Melissa. Marie débarrassa la table du petit déjeuner, puis traversa la cour pour rejoindre les anciennes écuries transformées en un agréable lieu d’habitation, où logeaient désormais le couple et Hourria.

Une pergola végétalisée par une magnifique glycine donnait un peu de fraîcheur l’été et permettait l’hiver au soleil d’éclairer la salle de séjour. Marie toqua doucement à la porte vitrée pour ne pas effrayer la jeune femme.

Celle-ci ouvrit, nullement surprise de voir Marie, Hakim avait dû lui annoncer sa visite.

Elle la pria d’entrer, et la salua avec un peu trop de déférence.

« Puis-je vous offrir un thé commandante Collins ? »

« Avec plaisir, merci Melissa, mais appelez-moi Marie, nous avons presque le même âge, j’ai l’impression d’avoir pris dix ans d’un seul coup. »

La jeune femme ne répondit pas et invita son hôte à s’asseoir sur un fauteuil près d’une table basse en bois blanc.

Elle observait furtivement Marie, pendant qu’elle préparait l’infusion. Une fois le thé servi, elle s’installa sur un gros pouf de cuir rouge et vert.

Elle répondit d’une voix douce à sa proposition.

« Je ne sais pas si mon mari apprécierait que je vous appelle par votre prénom, il vous admire tellement, il me trouverait bien téméraire devant une telle familiarité. »

Elle se tut un instant, avant de rajouter.

« Hourria aussi vous aime beaucoup, elle ne cesse de faire votre éloge. Vous êtes si forte et si belle que nos destins ne peuvent pas se croiser, chacun doit rester à sa place, la mienne est de servir mon mari avec affection et obéissance. »

Marie réfléchit avant de lui faire part de sa proposition sur la nature de leurs relations futures. Elle sentait chez la jeune femme de l’amertume, même certainement un peu de jalousie. Elle comprenait qu’elle puisse éprouver des difficultés à trouver sa place au domaine, sa situation était singulière, et pas facile à gérer.

Dans un premier temps, Marie préféra réfréner ses idées sur la condition féminine, elle s’était battue pour qu’on la respecte et qu’on la juge sur ses compétences professionnelles, et non pas sur son physique. Elle ne se sentait pas le droit de bousculer les préjugés de Melissa, elle choisit un autre angle d’attaque.

« J’ai de nouveaux projets pour le domaine, et Hakim ne pourra pas s’occuper de tout, c’est pourquoi, je voudrais que vous preniez la direction de ma fondation qui aide de jeunes artistes à se faire connaître. Vous en avez les compétences, Hourria m’a montré quelques-unes de vos œuvres, vous possédez un réel talent, je suis persuadée que vous vous épanouirez dans ce travail. »

Marie but une gorgée de thé dont le parfum épicé lui évoqua d’agréables souvenirs.

Elle observa la jeune femme. La lumière tamisée qui éclairait la pièce mettait en valeur sa chevelure auburn, aux reflets mordorés. Melissa avait les traits fins des Érythréennes, avec de grands yeux sombres qui donnaient à son regard une profondeur insondable. Elle était grande et mince, le teint mat, un port de tête altier, elle avait de belles mains fines aux ongles longs. Pour Marie, elle incarnait la féminité même, dans sa façon de se mouvoir, souple et féline ; la beauté à l’état pur.

Le regard de la jeune femme s’embruma, elle détourna la tête pour cacher son émotion.

« Je vous remercie madame, mais Hakim n’acceptera jamais que je travaille, ce serait humiliant pour lui. »

Marie balaya cet argument d’un geste de la main.

« Je connais votre mari, il a des idées progressistes, en plus il est remarquablement intelligent, il sera très fier de vous, soyez-en persuadée. »

Melissa se leva et partit dans sa chambre.

Elle revint avec deux grandes feuilles de dessin, qu’elle posa sur la table basse.

Marie s’extasia devant deux portraits d’elle, particulièrement ressemblants.

« Ces esquisses sont magnifiques, je n’avais jamais remarqué que vous m’aviez croquée, mais pourquoi en double ? »

Melissa sourit et resta les bras croisés.

Marie observa de plus près les croquis, elle s’aperçut que les deux dessins étaient à la fois identiques et très différents.

Dans le premier, daté de début juillet, on voyait une Marie le regard perdu, dans une sorte de mélancolie empreinte de tristesse, dans le deuxième, daté de fin août, Marie apparaissait métamorphosée, son regard plus lumineux affichait une sérénité radieuse.

Melissa montra du doigt, les quelques coups de crayon qui avaient tout changé.

Marie fut troublée par tant de beauté et de subtilité. La jeune femme avait un sens aigu de l’observation, ainsi qu’une dextérité exceptionnelle, remarquer la transformation qui s’était opérée chez Marie depuis l’arrivée d’Hourria relevait d’une fabuleuse acuité.

« Vous comprenez que votre talent justifie encore plus mon choix. Parlez-en à Hakim, je suis sûre de sa réponse. Une dernière chose, j’aime beaucoup votre fille, elle me rend heureuse, mais vous êtes et vous serez toujours la personne la plus importante dans sa vie. »

Marie se leva et la prit dans ses bras.

« Merci mille fois, vous me redonnez espoir dans l’humanité. »

La jeune femme se détacha d’elle doucement, elle pleurait.

« Il ne faut pas Melissa, je vous promets que tout se passera bien. »

La jeune femme secoua la tête en guise de dénégation.

« Ce n’est pas ce que vous croyez, j’ai un aveu à vous faire, ensuite vous prendrez votre décision. »

Marie se doutait des confidences qu’elle allait lui faire, depuis le début, elle n’avait pas cru à cette histoire de viol qu’aurait subi la jeune femme.

« Vous êtes une femme formidable, tous les gens qui vous connaissent ne tarissent pas d’éloges à votre sujet, alors, je ne veux pas que notre relation repose sur un mensonge. Je n’ai pas été violée, je suis tombée follement amoureuse d’un officier français qui bivouaquait près de mon village avec ses hommes, Hourria en est la preuve vivante, et la seule personne qui me tienne encore en vie. Un soir que nous faisions l’amour près du puits, les hommes que commandait mon amant ont été massacrés par des djihadistes, dénoncés par le chef du village, qui avait signalé leur présence. J’ai dû m’enfuir, je suis ici grâce à la bonté d’une cousine qui m’a recueillie, puis vous savez le reste, Hakim a accepté pour faire plaisir à sa mère de me prendre pour épouse, malgré cette faute impardonnable. »

« Arrêtez avec cette idée, l’amour réserve parfois des surprises. »

Elle allait ajouter « j’en sais quelque chose », elle se ravisa, pourquoi pas, l’amour est aveugle en plus. Melissa méritait mieux que des banalités ineptes, et la vie privée de Marie n’intéressait personne.

Elle rajouta.

« Hakim est un homme généreux et réaliste, il comprendra la situation, et votre fille mérite elle aussi de connaître la vérité sur son père. J’ai vécu trente ans de ma vie en espérant retrouver mes parents, croyez-moi, même si la vérité peut s’avérer cruelle, cela vaut mieux que l’incertitude, ou pire encore un espoir déçu. »

« Madame, promettez-moi de ne rien dire encore, il faut que je trouve la force d’avouer ce mensonge, d’abord à Hakim, puis à ma fille. »

Marie sourit tristement.

« Melissa, je n’ai pas pour habitude de m’immiscer dans la vie des gens, sauf lorsqu’ils commettent des crimes, vous n’avez rien fait de mal. »

Elle tendit un mouchoir en papier à la jeune femme.

« Ma proposition tient toujours, et sans doute avec encore plus de conviction que tout à l’heure, vous devez donner un sens à votre vie, Hourria ne restera pas éternellement auprès de vous, donnez à votre fille, une raison de vous admirer. »

Marie qui venait de partager un moment agréable avec Melissa ne savait pas que dans quelques minutes, ses espoirs d’un avenir serein seraient anéantis…

Chapitre 4

Lundi début d’après midi

Marie regagna son domicile satisfaite, Melissa avait crevé l’abcès qui l’empêchait d’être elle-même.

Son téléphone fixe sonnait depuis un moment à l’étage.

Marie monta dans son bureau et décrocha.

C’était le colonel Henry, son patron de l’IRCGN à l’autre bout du fil.

« Commandante, je viens de recevoir votre demande de réintégration, j’en déduis que vous déclinez la proposition de notre hiérarchie de chapeauter tous les centres de formation de la gendarmerie, et le grade qui va avec. »

« Affirmatif mon colonel, mais j’ai rédigé un rapport pour madame la ministre, où je donne les grandes lignes d’une réforme sur la formation et le suivi de nos gendarmes. »

« Pourquoi ne mettez-vous pas vos recommandations en pratique vous-même ? »

Marie avait eu le temps pendant sa convalescence de préparer son argumentation.

« Je pense que je suis plus utile sur le terrain, que le travail d’investigation me manquerait trop. En un mot, je ne suis pas encore prête pour ce rôle. »

Le colonel savait qu’elle avait raison sur un point, elle était la meilleure dans son domaine.

« Je ne sais pas, vu les risques que vous prenez, si vous serez en mesure un jour, de faire profiter les autres de vos compétences. »

Il ajouta.

« Pourtant c’est le sujet de mon appel aujourd’hui. Nous avons un problème à résoudre avant que la panique ne se répande dans tout le pays, il semblerait qu’un tueur en série sévisse en France, deux femmes ont été assassinées dans des circonstances identiques. J’ai chargé le capitaine Mounier de cette enquête, mais je souhaiterais que vous analysiez les rapports que je vais vous faire parvenir, afin de lui faire part de vos conclusions, ou comment vous dites déjà, de vos intuitions. Votre expertise dans le profilage des tueurs en série, apprise à Quantico, auprès du FBI, nous sera très utile. »

Il précisa.

« Une dernière chose, vous restez en dehors physiquement de cette affaire. »

La réponse de la jeune femme se fit attendre. Elle se demandait comment elle pourrait s’occuper de ces dossiers sans voir de près les scènes de crime ni sentir la présence du meurtrier.

« Je peux essayer d’établir un profil psychologique du tueur avec les rapports que vous m’enverrez, mais vous savez que je préfère aller sur les scènes de crime. Envoyez au moins sur place le capitaine Martin et son équipe. Demandez-lui de me contacter personnellement pour me faire part de son ressenti ainsi que de ses premières conclusions. »

« Il est en route. Je vous envoie tous les documents en ma possession au plus vite, de plus, nous avons vérifié dans nos archives si des crimes similaires ont déjà été recensés, nous n’avons rien trouvé de tel dans nos fichiers. Quand à votre présence sur les lieux des crimes, il n’en est pas question, c’est à prendre ou à laisser commandante. »

Il conclut.

« C’est un ordre. Je vais avertir madame la ministre de votre refus et de votre souhait de réintégrer le service début novembre. Le capitaine Mounier prendra contact avec vous dans quelques jours. »

« Bien monsieur, à vos ordres. »

Le colonel savait par expérience que sa subordonnée aurait bien du mal à respecter ses consignes. Il connaissait le capitaine Mounier, leur collaboration risquait de faire des étincelles, mais il n’avait pas le choix, sa hiérarchie exigeait des résultats rapides, chacun dans leur domaine était les meilleurs.

Marie reposa le combiné du téléphone. Elle se renversa dans son fauteuil. Elle réfléchissait à ce qu’avait dit le fameux tueur en série américain Ted Bundy lors d’un interrogatoire ; chaque nouveau meurtre représentait pour lui, une étape d’apprentissage dans le cursus de sa quête de toujours plus de plaisir et de domination de ses victimes. Une expertise dans l’art de les faire souffrir. Pour d’autres tueurs en série, la satisfaction de devenir célèbre et de braver la police donnaient à leur dérive mortifère un piment supplémentaire.

Elle se leva pour se préparer un thé quand elle entendit frapper à la porte du séjour. Elle regarda sa montre et constata qu’il était plus de treize heures. Elle se rappela qu’elle avait invité l’éducateur à venir prendre le café. Elle descendit rapidement les quelques marches qui donnaient dans le séjour et vint lui ouvrir.

« Excusez-moi, j’avais complètement oublié notre rendez-vous, mais asseyez-vous, je vais préparer le café, ce ne sera pas long. »

Un peu déçu, il lui proposa de reporter leur entretien.

« Non j’ai des questions à vous poser, c’est un peu urgent. »

« Avec plaisir. »

Il la regarda s’éloigner. Elle avait une démarche féline, tous ses gestes paraissaient parfaitement contrôlés, il émanait de toute sa personne une impression de puissance naturelle. Elle avait attaché ses longs cheveux ondulés en une queue de cheval qui se balançait dans son dos à chacun de ses mouvements, il trouva cela particulièrement sexy.

Quand elle lui servit le café, elle remarqua qu’il semblait dans les nuages.

Il s’excusa.

« Je crois que j’avais commencé ma sieste. »

Il avait noté que dans cette pièce, il n’y avait aucun angle droit, tous les meubles avaient une forme arrondie, ce qui donnait à l’ensemble cette sensation de douceur.

« Je vois que vous avez découvert la raison de l’ambiance apaisante qui règne ici. »

Il lui aurait bien fait remarquer que son attitude plutôt martiale ne correspondait pas du tout à cette ambiance feutrée, mais il préféra garder cette réflexion pour une future visite qu’il espérait proche.

Depuis ce matin, elle envahissait bien malgré lui son esprit, il n’aimait pas ça. Il avait l’habitude de dominer ses sentiments, aujourd’hui, il se sentait démuni face à cette femme d’une beauté exceptionnelle, loin des canons habituels des jeunes filles qu’il séduisait d’ordinaire.

Elle s’assit en face de lui. Elle le regardait, sans montrer le moindre intérêt pour sa personne, un regard d’une indifférence flippante, comme déshumanisé. Il aurait été bien incapable de lire dans ses pensées, tant elles semblaient inaccessibles. Elle possédait pourtant des yeux magnifiques, d’un bleu étonnant dont il n’arrivait pas à trouver le nom, qui changeaient d’intensité au gré de l’éclairage.

Marie détestait les faux-fuyants et les situations ambiguës, elle voulait obtenir certains renseignements, rien de plus. Elle posa sa tasse et attendit qu’il en fît autant avant de parler.

« Monsieur Du Berail, je vais être franche avec vous, même si je n’ai aucun compte à vous rendre, mais c’est moi qui vous ai sollicité, alors soyons pragmatiques. »

« Appelez-moi Philippe, s’il vous plaît commandante. »

Elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

« Monsieur Du Berail, je ne suis pas sensible à votre charme, ne le prenez pas mal, à aucun charme en particulier. Nous attendrons un peu avant d’échanger des familiarités, restons-en, sur un plan strictement professionnel. J’ai un projet que j’aimerais mettre en œuvre assez rapidement, pour cela, j’ai besoin de savoir dans quelle mesure vous pourriez m’être utile. »

Le jeune homme essaya de ne rien laisser paraître de sa déception, il lui fit signe de continuer.

Marie lui demanda en quelle occasion, il intervenait avec son équipe.

« En général, nous n’intervenons que dans le cadre d’associations ou chez des particuliers, qui font appel à nos services pour des travaux particulièrement difficiles. En ce moment, nous travaillons pour l’association “points d’eau” qui réhabilite les vieux puits et autres sources appartenant au patrimoine local. Nous débroussaillons les accès, nous réalisons les gros travaux. Notre but premier est la réinsertion par le travail d’individus en perte de repère, pas de concurrencer les professionnels des secteurs concernés. »

Marie émit une hypothèse.

« Si je crée une association loi 1901, je pourrai obtenir une aide de votre association. »

« Sans doute, mais vous allez devoir affronter des réticences de la part des élus qui préfèrent voir travailler les entreprises locales, voire leurs amis, si vous voyez ce que je veux dire. »

« Très bien, mais il n’y a pas de montagne qu’on ne peut gravir si on s’en donne les moyens. »

Il l’observa un instant avant de rétorquer.

« Absolument, vous pourrez compter sur moi, même si… »

Elle lui coupa la parole.

« Monsieur Du Bérail, croyez-moi, j’apprécie votre sollicitude et ce que vous faites. »

Elle ajouta comme si elle s’adressait plus à elle-même, qu’au jeune homme.

« L’amitié donne parfois plus de satisfaction qu’une relation ambiguë. »

Philippe la remercia pour son hospitalité.

« Revenez quand vous voulez. »

« Je n’ai pas l’âme d’un martyre, je vais attendre un peu avant de vous revoir. »

Elle le raccompagna jusque sur la terrasse et lui serra la main.

« Désolée. »

Marie le regarda regagner son véhicule, les épaules un peu basses, il avait perdu de sa superbe, mais elle était persuadée qu’il s’en remettrait vite.

Chapitre 5

Quelques jours plus tôt

Être différent des autres, ne lui posait aucun problème, mais la question qui le taraudait ; pourquoi se sentait-il différent ? Fils unique, voulu par convention sociale, plus que par un véritable besoin de reproduction, ses parents, universitaires respectés avaient des préoccupations bien plus intéressantes que l’éducation d’un enfant, fût-il le leur. Ils avaient confié cette tâche à des nounous qui abandonnaient rapidement, en raison, non pas de l’intransigeance des parents, mais de l’attitude étrange de cet enfant qui ne pleurait ni ne souriait jamais.

Sa mère comprit vite que son fils n’était pas normal, il présentait des signes inquiétants d’une pathologie étrange, mélange de schizophrénie et d’autisme, elle choisit d’ignorer l’une comme l’autre. Comme lui, elle aussi préférait la solitude et son travail à une vie sociale qui ne lui donnait en général aucune satisfaction. Les résultats plutôt brillants de cet enfant solitaire, tout au long de sa scolarité, la confortèrent dans son choix de ne rien faire, et de ne pas en chercher les raisons.

À l’adolescence, il avait essayé de comprendre les causes de ce mal de vivre, il avait recherché quels étaient les symptômes des principales maladies du cerveau, ainsi que leurs conséquences.

Il avait découvert des similitudes avec son mal-être dans presque toutes, mais aucune ne correspondait à cent pour cent à ce qu’il ressentait vraiment.

Après son premier meurtre, il s’était penché sur le parcours criminel de plusieurs tueurs en série. Il avait trouvé là aussi, certaines similitudes avec eux, mais il se croyait unique, car à l’inverse de ces assassins, il n’aimait pas faire souffrir ses victimes. Elles ne représentaient qu’une image dont il avait besoin pour satisfaire ses fantasmes.

Il n’éprouvait que du dégoût pour ces dégénérés qui ne prenaient leur plaisir que dans la souffrance d’autrui.

Il tenta également d’analyser d’où venait son comportement déviant, mais les conclusions trouvées ne lui avaient apporté aucune réponse valable. Aucune tare familiale connue, une enfance presque normale, des parents absents, mais conventionnels. La seule chose qu’il pouvait leur reprocher, avoir toujours agi par principe, sans jamais s’engager dans une relation affective naturelle. La personne qui lui avait montré un peu d’amour, c’était sa grand-mère maternelle, mais elle habitait dans le sud de la France, il la voyait très peu.

Enfant, il n’avait pas arraché les pattes des insectes ni maltraité d’animaux. Il avait suivi ses études avec une facilité déconcertante, sans se poser de questions, après le baccalauréat, il s’était inscrit en médecine où il débutait sa troisième année.

Il n’était pas particulièrement beau, mais possédait beaucoup de charme, un regard très doux et une certaine fragilité qui plaisaient beaucoup aux femmes. Ses premières relations sexuelles ne lui apportèrent que des déceptions. Il n’éprouvait aucun plaisir, et il devait faire beaucoup d’efforts pour masquer cette absence de jouissance à ses partenaires, afin d’éviter de se justifier.

C’est, lors d’un TP en février dernier, qu’il découvrit sa vraie nature. Sur la table de dissection s’étalait le corps d’une femme nue que le professeur s’apprêtait à découper. Il fut pris d’une érection si puissante et d’un tel désir, qu’il quitta la salle précipitamment sous les quolibets de ses camarades. Il se rendit aux toilettes pour se masturber.

Le souvenir de l’image de cette femme l’aida pendant quelques jours à donner le change à ses partenaires. Il fermait les yeux pendant l’acte sexuel, la vision de ce cadavre exposé à la vue de tous l’aidait à jouir, mais cela s’estompa vite avec le temps.

Il comprit qu’il lui faudrait trouver de nouvelles stimulations, pour assouvir ses fantasmes, donc donner la mort, même si cela le répugnait, il appartenait désormais à la race des tueurs en série. Son premier meurtre survint quelque temps plus tard, un peu par hasard.

Pour l’anniversaire de cette grand-mère qui habitait dans l’Ariège, il décida de lui faire une surprise et de la rejoindre à cette occasion. Pour s’y rendre, il passait en général par la nationale, car atteint d’amaxophobie, il ne prenait jamais l’autoroute seul. C’était le dix septembre dernier, il sortait d’Olivet lorsqu’il vit une jeune fille qui faisait du stop. Il s’arrêta et lui fit signe de monter. Elle s’engouffra dans le véhicule comme si sa vie en dépendait.

« Où allez-vous, mademoiselle ? »

« Où vous voulez pourvu que je me tire de ce coin pourri ! »

Il redémarra. Elle resta silencieuse un moment, puis, sans qu’il lui demande quoi que ce soit, elle lui raconta pourquoi elle avait fugué. Il écouta son histoire tout en imaginant la suite qu’il allait donner à cette rencontre inespérée.

Au bout de quelques kilomètres, en confiance, elle jacassait sur tout et sur rien. Il devait en finir vite. Il prit la première bretelle d’autoroute direction Toulouse. Elle n’y prêta même pas attention. Il était plus de minuit lorsqu’il repéra une aire de repos un peu avant Cahors.

L’aire était déserte à cette heure tardive, ils descendirent ensemble de la voiture. Elle courut vers le bâtiment où se trouvaient les WC, insouciante et ravie d’avoir trouvé un conducteur aussi sympathique.

Il enleva les lacets de ses baskets, puis l’attendit derrière la porte des toilettes. Dès qu’elle sortit, il l’étrangla avec ce lien improvisé. Elle se débattit avant de s’effondrer au sol en se tenant le cou. Elle mourut presque aussitôt. Il enfila des gants chirurgicaux qu’il avait toujours dans son véhicule depuis l’épisode du COVID, la déplaça jusqu’au bosquet qui jouxtait le parking. Il la déshabilla, puis se masturba sur sa dépouille, ensuite il récupéra les habits de sa victime dans un sac plastique. Avant de repartir, il masqua avec de la boue les numéros de la plaque d’immatriculation de sa voiture, il valait mieux être prudent. Il sortit au premier péage. Il était temps, car l’excitation que lui avait procurée son crime commençait à s’estomper et sa phobie reprenait le dessus.

Il trouva un container sur le parking d’un petit village, y jeta le sac plastique. Il hésita à se débarrasser du sac à dos de la jeune fille. Il aurait bien voulu garder un souvenir de son acte, mais il préféra là encore, ne pas prendre de risques, il le balança dans une autre poubelle.

Il arriva chez sa grand-mère au petit matin. Sans faire de bruit, il se doucha, puis mit ses vêtements à la machine à laver. L’après-midi, il nettoya sa voiture avec beaucoup d’application, à la grande satisfaction de la brave femme qui voyait là, une autre des nombreuses qualités de son petit-fils.

Il comprit, alors, qu’il venait de basculer dans un processus criminel sans issue. Il savait pertinemment qu’il récidiverait, le temps effaçant les souvenirs, il aurait besoin de renouveler cette expérience.

Il se pensait différent de ses coreligionnaires, il n’avait pas suivi un long cheminement de délinquance ordinaire avant le début de sa folie meurtrière. Il se voyait comme un homme malade, d’une maladie incurable, il était né comme ça, ce n’était pas de sa faute s’il agissait ainsi. La réalité, si abominable soit-elle, ne le concernait pas, il n’y pouvait rien, il n’avait pas le choix.

Il avait compulsé des articles sur l’analyse du cerveau de plusieurs tueurs en série, mais aucune de ses recherches, n’expliquait vraiment le processus du passage à l’acte, même la présence d’un chromosome Y en plus, ne prouvait rien.

Ensuite, il avait lu certains rapports de profileurs du FBI, sur la traque de ces meurtriers, qui au cours de leurs cavales destructrices, finissaient toujours par se faire prendre, souvent par excès de confiance. Cela ajouterait un peu de piment supplémentaire à ses crimes, il se sentait prêt à affronter les forces de l’ordre. Il sèmerait, comme le petit poucet, des petits indices le long de son parcours meurtrier, pour les induire en erreur.

Pour le moment, son principal souci, vaincre son amaxophobie, car pour commettre ses crimes, il était plus simple de les perpétrer sur des aires d’autoroute. Le médecin qu’il consulta lui prescrivit du tranxène, un médicament qui soignait les angoisses, en attendant qu’il trouve un psychothérapeute pour traiter en profondeur sa phobie. En fouillant dans le grenier de sa grand-mère, il trouva un vieux Polaroid. Il l’emprunta, cet appareil lui servirait à immortaliser ses forfaits, un objet beaucoup plus à même d’accompagner son désir, qu’une vulgaire culotte. Tuer, ne lui avait procuré aucun plaisir, c’était simplement une nécessité, il recommencerait.

Il n’eut aucune difficulté à trouver sa deuxième victime, une étudiante faisait du stop à l’entrée de Brive pour rentrer à Paris. Ce soir-là, il prit un peu plus de risques, car sur le parking de l’aire où il venait de s’arrêter, un gros camion stationnait. Il souhaita ardemment que le chauffeur soit endormi, il n’avait aucune envie de faire une victime collatérale. La présence de ce poids lourd en définitive l’arrangeait, les flics suspecteraient en priorité des professionnels de la route, quoi de mieux qu’un chauffeur routier.

Il sortit deux péages plus loin pour rejoindre la nationale avant Châteauroux. Il se débarrassa comme la première fois des vêtements et des bagages de sa victime dans des containers trouvés sur son chemin. Avec le Polaroid, il avait pris plusieurs photos de la jeune étudiante nue, il espérait ainsi prolonger son fantasme, sans devoir s’en prendre à d’autres femmes trop rapidement, qu’un simple regard sur la photographie pourrait suffire. Hélas ce substitut ne durant qu’un temps limité, il dut se rendre à l’évidence, sa terrible addiction l’entraînait inéluctablement dans les pas de tous les criminels qui comme lui, laissaient sur leur passage le malheur et la désolation.

Le hasard, une fois de plus, allait le servir. Il dînait chez une amie, et il regarda par inadvertance ou par calcul, il avait bien du mal maintenant à discerner le vrai du faux, l’ordinateur de celle-ci, où s’affichait la page web de blablacar. Il repéra le numéro de téléphone d’une femme qui cherchait un véhicule pour rejoindre son domicile à Souillac. Il acheta un téléphone jetable pour la contacter.

Il lui donna rendez-vous place d’Orléans. Elle fut surprise et un peu inquiète d’être la seule à voyager. Il la rassura en lui promettant qu’il devait récupérer d’autres passagers sur le chemin. La femme avait une cinquantaine d’années, plutôt agréable à regarder. Devant le sourire charmeur de son chauffeur, elle goba son mensonge, pensant que ce voyage serait peut-être plus gratifiant qu’elle ne l’aurait cru au départ. Le soir commençait à tomber lorsqu’ils prirent l’autoroute. Le jeune homme se montrait très courtois, il savait écouter, ce qui était rare chez les hommes qui d’habitude préféraient parler d’eux même.

Elle laissa consciemment sa jupe remonter légèrement sur ses cuisses, faisant apparaître des jambes bronzées et musclées. En riant, elle lui demanda de toucher sa cuisse pour lui prouver qu’elle ne mentait pas, quand elle prétendait faire beaucoup de gym. Il se força, malgré sa répugnance. Elle lui prit la main et la garda un peu trop longtemps sur sa cuisse. Il décida d’en terminer au plus vite, il avait la nausée devant tant de vulgarité.

Il s’arrêta sur la première aire rencontrée. Elle se dépêcha d’aller aux toilettes, sûre de ce qui allait se passer. Lorsqu’il la déshabilla, il trouva que malgré tout, elle ferait l’affaire. Une fois terminée, il hésita à la photographier, mais il avait joui, elle méritait de figurer dans son album photos.

Il entendit une voiture se garer pas loin de la sienne. Il simula une scène d’amour afin que les occupants du véhicule ne deviennent trop curieux. Il attendit que la voiture reparte pour sortir du taillis. Pour la première fois, il venait de se mettre réellement en danger, il décida d’améliorer son mode opératoire.

Dorénavant, il endormirait ses victimes, cela présenterait un double avantage, lui laisserait du temps pour trouver l’endroit idéal pour satisfaire ses besoins et ses victimes ne souffriraient pas.

Il savait où trouver les produits dont il avait besoin ; dans la pharmacie de la clinique vétérinaire de sa mère.

Chapitre 6

Lundi début de soirée

Philippe du Bérail déposa Chem devant la maison de quartier de la cité HLM des remparts. Préoccupé par son rendez-vous avec la commandante, il avait traversé le terrain de foot situé au pied des barres d’immeubles, sans prêter attention aux jeunes qui l’apostrophaient en se moquant de lui. Ils savaient qu’il avait perdu son ange gardien, Teddy Lam, son ami boxeur que les ados du quartier craignaient, aujourd’hui emprisonné pour le meurtre de sa femme. Dans ce milieu où la loi du plus fort régnait en maître, il valait mieux ne pas montrer ses faiblesses au risque de graves déconvenues. S’il avait convaincu la commandante de le retrouver au restaurant le Palais à vingt heures, il avait peur de ne pas la décider à accepte de reprendre l’enquête sur la mort de son amie.

Il pressa le pas et gravit presque en courant les quatre étages qui menaient à son appartement. Depuis la mort de sa mère, il y avait deux ans déjà, il habitait seul et avait bien du mal à payer son loyer tous les mois. Les services de recouvrement des HLM l’avaient menacé plusieurs fois de l’expulser.

Après s’être douché, il choisit dans ses maigres habits ce qu’il pourrait mettre ce soir pour paraître convenable afin de ne pas choquer la flic. Il choisit un jean pas trop troué, un tee-shirt propre, passa une veste en cuir qui avait connu des jours meilleurs. Avant de partir pour son rendez-vous, il vissa une casquette de base-ball des Knick’s de New York sur la tête, se regarda dans la glace de l’entrée, il avait connu pire, ça devrait aller.

Il sortit par la porte de la cave pour éviter les jeunes qui squattaient le hall de l’immeuble et prit la direction du grand boulevard où se trouvait le café restaurant de son rendez-vous. Il passa devant la gare, remonta la rue Wilson vers la place Mitterrand, puis inquiet, fit demi-tour vers la rue du cimetière pour vérifier s’il n’était pas suivi.

Lorsqu’il ouvrit la porte de l’établissement, il eut l’impression que tous les clients l’observaient, il devenait vraiment parano. Il s’installa dans la salle du fond.

Une serveuse se posta devant lui, lui tendit la carte du soir et lui demanda s’il voulait prendre un apéritif. Il déclina l’offre, il attendait quelqu’un.

Fébrile, il regardait sa montre à intervalles réguliers, il avait plus d’un quart d’heure d’avance. Pour se donner une contenance, il lut la carte des menus, il se demanda en définitive, s’il avait choisi le bon restaurant, les prix lui semblaient exorbitants, surtout pas dans ses moyens.

Il n’avait pas proposé à la commandante, le boui-boui où il dînait habituellement pour plusieurs raisons, trop de gens le connaissaient et la propreté des lieux laissait à désirer. La gendarme avait sûrement des exigences de confort plus conformes à son rang.

Il rappela la serveuse, commanda un demi. Il avait la gorge sèche, il doutait maintenant de la pertinence de son idée. La policière s’était sans doute renseignée sur lui et quand il faisait le bilan de sa vie, il n’y avait pas de quoi être fier. Il avait été plusieurs fois arrêté pour consommation et vente illégale de stupéfiant, la dernière en date lui valait aujourd’hui les quelques heures de travail d’intérêt général que lui avait infligées la juge. Après tout, il fallait regarder le bon côté des choses, cela lui avait permis de rencontrer la commandante Collins et d’être là ce soir, un mal pour un bien.

Chapitre 7

Lundi après midi et soir

Marie passa toute l’après-midi au domaine des Hautes Fages en compagnie de son amie Capucine. Elle voulait profiter de ses derniers moments de loisir, avant de s’engager à fond dans l’enquête qui l’attendait.

Elle lui fit part de ses projets d’ouvrir un centre pour autistes, et qu’elle ferait sans doute appel à ses compétences pour l’aider à constituer son haras de chevaux réformés. Comme toujours Capucine s’enthousiasma, et se proposa même d’encadrer certains stages et de former des gens pour s’occuper correctement des animaux.

Elle proposa à Marie une promenade à cheval qu’elle accepta, elle profiterait de ce moment de connivence pour lui parler de Thomas, de sa volonté de renouer contact avec lui. Capucine sella les deux juments anglo-arabes qu’elle venait d’acquérir.