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L’assassinat glacial d’un député en lice pour la présidence de la République secoue la France. La commandante Collins mène l’enquête, révélant une conspiration visant à déstabiliser l’État.
Avec son inébranlable détermination, elle scrute au-delà des apparences, démasquant des secrets d’État. Cette enquête tendue l’entraîne aussi sur la piste de ses propres origines, dévoilant un passé obscur et des liens insoupçonnés.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jacques Delsol a consacré l'intégralité de sa carrière professionnelle à l'enseignement dans le Lot. Attiré tout particulièrement par les polars, il a décidé de se lancer dans l'écriture à sa retraite. "En quête d'identité" inaugure une série de romans mettant en scène les enquêtes de la commandante Collins, l'héroïne qu'il a imaginée.
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Seitenzahl: 371
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Jacques Delsol
En quête d’identité
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jacques Delsol
ISBN : 979-10-422-0558-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pour Baptiste, Clément, Arwen, Ilan
Avec toute mon affection
En ce premier dimanche du mois de mai, le professeur Marc Du Mail était arrivé tard dans la soirée au bourg. Il s’était levé tôt ce matin. La pluie qui n’avait cessé de tomber ces derniers jours avait laissé la place à un soleil timide. Il décida qu’une balade à vélo l’aiderait à réfléchir et à faire le bon choix dans la grave décision qu’il devait prendre.
Sa vie venait de prendre une nouvelle tournure, ses projets totalement bouleversés. Il avait reçu la veille une lettre envoyée par le fantôme d’un passé qu’il aurait voulu oublier, mais qui l’avait accompagné inconsciemment toutes ces années. Son amour de jeunesse, Florence Deguels, lui avait écrit quelques jours avant de mourir qu’il était le père de son unique enfant.
Député européen, éminent professeur en microchirurgie plastique, il était un célibataire très courtisé. Pressenti par les Verts et les socialistes pour être leur candidat aux futures élections présidentielles, il se devait d’être irréprochable et transparent. Autant les Français lui pardonneraient ses nombreuses conquêtes qu’un fils non reconnu, il en était moins sûr. N’était pas Mitterrand qui veut.
De leur amour éphémère était né un fils, Thomas. Florence par peur de sa réaction, ou peut-être par simple égoïsme, n’avait rien dit à personne. Aujourd’hui, elle n’avait plus la force de garder ce secret pour elle seule. Il avait le droit de connaître la vérité.
Elle terminait sa lettre en lui laissant le choix, soit ignorer sa confession, soit assumer ce dont il n’était absolument pas responsable, dont elle était la seule coupable. Elle lui faisait confiance pour prendre la bonne décision, et trouver les mots justes s’il choisissait de révéler cette paternité tardive à Thomas. Elle terminait son message par un regret :
« Que l’été où ils s’étaient aimés ne dure toute une éternité. »
Il aurait voulu lui dire que lui aussi il éprouvait ce sentiment étrange d’un gâchis partagé.
Ils se connaissaient depuis leur enfance, mais les aléas de la vie les avaient séparés à la fin de leur adolescence. Son père à lui, haut fonctionnaire, changeait souvent de poste au gré de ses différentes promotions.
Ils s’étaient revus incidemment à l’enterrement de son grand-père. Puis ses parents étaient repartis deux jours après à Paris pour le travail, lui était resté à la ferme de son aïeul pour ranger et trier les affaires. Cela n’avait rien d’une corvée, il adorait cet endroit isolé au charme suranné. La maison de pierres blanches, la grange où gamin il se cachait, les prés à perte de vue où paissaient autrefois les vaches, les brebis et l’âne tutélaire. Un coin de paradis hors du temps, immuable. Il émanait de ce lieu une sérénité incomparable que Marc ressentait profondément, mais que ses parents ne comprenaient pas.
Elle était venue un matin de cet été finissant lui demander s’il avait besoin d’aide. Il fut frappé par sa beauté. Elle portait une robe légère en coton bleu imprimé, ses cheveux d’un blond vénitien étaient attachés en une longue natte qui descendait au bas de ses reins, son teint hâlé faisait ressortir ses grands yeux bleus aux reflets argentés, elle était lumineuse. Ils avaient fait une longue promenade, il lui avait montré les endroits où, enfant, il aimait jouer. Ils avaient parlé d’avenir, de leurs rêves, elle d’art et d’histoire, lui de son désir de devenir médecin dans une ONG. Ils avaient beaucoup ri, insouciants et heureux.
Il ne savait plus si c’était elle ou lui qui avait pris l’initiative, mais il se souvenait de ce premier baiser au goût de miel et de sel. Ils avaient fait l’amour avec maladresse, simplement, un peu surpris de leur témérité. Ils avaient passé quinze jours à explorer leur corps, vivant à moitié nus, comme Adam et Eve, ils avaient croqué la pomme avec gourmandise sans penser au lendemain, sans penser aux conséquences. Ils ne s’étaient rien promis, ne s’étaient rien jurés, trop occupés à vivre intensément le temps présent, conscients de la fugacité de ces moments privilégiés. Le temps de ce mois de septembre avait été magnifique.
Au début du mois d’octobre, il partit à Paris pour suivre ses études de médecine, les adieux furent brefs et douloureux. Depuis, il n’avait plus eu de nouvelles de Florence, ni lui n’avait donné des siennes, pourquoi ? Il ne saurait encore le dire aujourd’hui. Sans doute par peur que ce qu’il venait de vivre si intensément ne se dissolve dans un quotidien banal.
La ferme fut vendue l’année suivante. Il en voulut longtemps à ses parents de se séparer de ce patrimoine familial qu’il aimait tant. Dès qu’il eut les fonds nécessaires, il mandata l’agence immobilière du bourg pour la racheter. Il y avait un an maintenant qu’il avait passé l’acte de vente et la rénovation des bâtisses commença aussitôt.
Il était revenu, trois mois plus tard, pour voir où en était l’avancement des travaux. Il avait essayé de reprendre contact avec Florence, mais elle était déjà en soins palliatifs, il n’avait pas osé insister.
Il était accompagné ce week-end-là par Catherine Walsh, une amie mannequine mondialement connue, ancienne égérie de Chanel. Elle avait subi une opération délicate de la face, à la suite d’un accident de la route dans sa clinique privée. Il l’avait invitée à passer sa convalescence dans la maison familiale du Bourg, pour se reposer à l’écart des journalistes people. Cette ancestrale demeure rénovée une dizaine d’années auparavant possédait la beauté rustique des vieilles pierres. Sa terrasse fleurie, aux rosiers anciens, dominait toute la vallée, elle offrait un point de vue magnifique sur la campagne environnante.
Une fois la jeune femme installée, il avait regagné Paris. Loin de la capitale et des paparazzis, Catherine profitait de cette liberté oisive retrouvée pour lire et se promener dans les nombreux chemins de randonnée qui, partant du bourg, sillonnaient du nord au sud et de l’est à l’ouest toute cette région du Quercy blanc. Elle arpentait aussi les ruelles pavées de la vieille ville et par un pur hasard, c’est au cours d’une balade qu’elle découvrit la librairie Deguels. Véritable institution dont la création remontait au XVIIe siècle, elle n’avait jamais cessé d’appartenir à cette famille depuis cette date. Le bâtiment de pierres blanches donnait sur les anciens remparts rasés aux XIIIe siècle par Simon de Monfort. La décoration n’avait pas changé depuis son ouverture, une odeur d’encaustique et de vieux papiers flottait dans l’ambiance très feutrée de la loggia consacrée aux livres anciens. Au rez-de-chaussée, sur de lourdes tables en merisier s’entassaient pêle-mêle les nouveautés, romans policiers, essais, livres primés et autres parutions. On accédait à la mezzanine du premier étage par un escalier monumental en chêne, dont la teinte originelle marron foncé, avec la patine du temps, était devenue couleur miel. Les murs blanchis à la chaux se paraient de rayonnages entiers remplis de documents et de parchemins centenaires. Des poutres séculaires soutenaient un plafond « à la française », les parquets en châtaigniers donnaient à cet ensemble un côté chaleureux et convivial que Catherine adorait. Elle prit l’habitude de prendre son petit déjeuner dans ce lieu dont l’authenticité, si éloignée du monde vain et aseptisé qu’elle avait connu avant, lui paraissait appartenir à une autre vie, un monde qu’elle ne voulait plus côtoyer.
Une jeune fille dont la tenue extravagante et très colorée ne s’accordait pas vraiment dans ce cadre rustique l’accueillait chaque jour avec une bonne humeur réconfortante. L’adolescente l’avait reconnue immédiatement, mais par discrétion et respect de son anonymat, elle se garda bien de l’ennuyer. La jeune femme lui sut gré de cette marque de respect, et au fil du temps elles sympathisèrent. Capucine prit l’habitude de s’asseoir avec elle dès qu’elle avait un moment de libre, de parler de tout et de rien. D’un abord réservé, elle se confia par petites touches à l’ancienne mannequine. Elle lui raconta comment de galère en galère elle avait atterri dans ce lieu. Florence Deguels, la mère de Thomas, l’avait recueillie, elle lui avait redonné le goût de vivre et surtout l’estime de soi. Il y avait un mois maintenant que Florence était morte d’un cancer, elle n’avait plus que Thomas pour l’aider à décrocher définitivement de ses addictions. Elle avait bien cru retomber dans ses démons ; la drogue et la prostitution, il avait su la protéger et prendre le relais de sa mère. Devant la tombe de Florence, il lui avait simplement dit :
« Ne la tue pas une deuxième fois, j’ai besoin de toi moi aussi. »
Il l’avait serrée très fort dans ses bras. Depuis comme un grand frère, il s’occupait d’elle avec beaucoup de patience et d’amour, par contre, ce qu’il n’avait pas réussi ; lui faire changer sa façon de s’habiller ! Catherine à la longue s’était fait une image idyllique de cet homme dont Capucine vantait sans arrêt les mérites. Un matin où elle profitait des premiers rayons de soleil de ce printemps capricieux, et de la douceur qui filtrait à travers les rideaux de taffetas de l’alcôve où elle avait pris l’habitude de s’installer, elle fut interrompue de sa rêverie par Capucine, accompagnée d’un jeune homme qu’elle n’avait encore jamais vu.
« Catherine, je te présente Thomas, mon patron, mon parrain et l’amour de ma vie ! »
Elle fut de suite subjuguée non pas par la beauté de ce garçon, elle avait côtoyé au cours de sa carrière les plus beaux mâles de la planète, mais par l’extrême douceur qui émanait de lui, par cette force tranquille qu’il dégageait en même temps. Elle se demanda si cette impression provenait de ses yeux noisette, de son visage tout en rondeur, ou de son attitude décontractée qui masquait sa timidité, elle éprouva une envie irrésistible de se blottir dans ses bras et lorsqu’il lui sourit, elle ne put s’empêcher de lui dire :
« Je vous attendais Thomas ? »
Il ne fut même pas surpris, il lui prit la main et y déposa un baiser.
Depuis Catherine partageait la vie de Thomas et de Capucine, elle s’épanouissait dans ce nouvel univers loin des flashs, de ce luxe trompeur et indécent, de cette notoriété éphémère et futile qu’elle avait connue jadis. Elle avait relooké la librairie pour la rendre plus claire et plus fonctionnelle sans en dénaturer toutefois l’authenticité ni son charme désuet.
Catherine par courtoisie, dans un mail laconique, avait averti Marc qu’elle n’habitait plus chez lui, que sa vie prenait une nouvelle direction, qu’elle était de nouveau heureuse. Elle le remerciait pour tout ce qu’il avait fait pour elle, qu’il resterait toujours cher à son cœur.
Le professeur avait déjà appris par un ami que Catherine vivait désormais chez le jeune Deguels, ironie du sort. Il en éprouva une sorte de nostalgie plus qu’une grande déception.
Il lui répondit simplement qu’il lui souhaitait bonne chance dans cette nouvelle vie.
De se remémorer tous ces souvenirs, Marc Du Mail trouva ce dimanche bien triste tout à coup. Avant de partir pour sa balade à vélo, il téléphona à Thomas. Il tomba sur son répondeur, il lui proposa de se rencontrer le plus rapidement possible et lui laissa ses coordonnées.
Satisfait de sa décision, il sortit de la maison par la rue Vieille et enfourcha son vélo. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas sillonné les chemins de son enfance à bicyclette, il en ressentit une joie mélancolique.
Il descendit jusqu’à la nationale et la traversa pour prendre la côte des Bouysses afin de récupérer la vallée du Landau. La route était étroite et sinueuse, à la sortie d’un virage, une voiture qui roulait à vive allure manqua de justesse de le renverser. Il se retourna pour invectiver le chauffard, mais le véhicule avait déjà disparu. Il roula plus doucement en contournant les traînées de boue qui parsemaient la chaussée.
Arrivé à hauteur de la ferme des Bories, abandonnée depuis longtemps, il s’aperçut qu’au-delà le revêtement de la route était de nouveau propre. Après une centaine de mètres, curieux, il fit demi-tour et s’engagea dans le raidillon de terre qui menait aux bâtiments délabrés.
Il posa son vélo contre la haie de buis qui bordait cette allée et continua à pied. Les traces de pneus s’arrêtaient dans la cour de la ferme. Les herbes hautes du jardin avaient été piétinées, une sorte de sentier s’était formé qui conduisait à l’ancien puits. Le couvercle en bois avait été récemment déplacé, car des morceaux de mousse qui le recouvraient jonchaient le sol. Il fit le tour de la maison, une des portes-fenêtres à l’arrière avait été forcée, des maraudeurs sans doute.
Il s’apprêtait à téléphoner à la gendarmerie lorsque son portable sonna. Le nom de Thomas Deguels s’afficha sur l’écran, il décrocha. Une voix jeune avec un léger accent du sud-ouest le salua et lui demanda la raison de son appel. Le député fut plus ému qu’il ne l’aurait pensé en entendant pour la première fois la voix de son fils. Il attendit un moment avant de répondre, ne sachant pas trop quoi lui dire :
« Votre mère m’a envoyé une lettre avant de mourir, j’aimerais beaucoup vous la montrer, je pense que c’est très important pour tous les deux. »
Thomas lui donna rendez-vous à dix-huit heures au stade municipal du Bourg, après le match de rugby. Marc le remercia, récupéra sa bicyclette, décida de faire part aux gendarmes de ce qu’il avait constaté aux Bories en rentrant chez lui.
Il reprit son chemin l’esprit préoccupé, il était pressé de rencontrer le jeune homme.
Marc n’entendit pas la voiture qui remontait le sentier qui menait aux Bories. Il venait de faire quelques centaines de mètres lorsque la balle l’atteignit à l’arrière du crâne et le projeta dans le fossé en contrebas. Il lui semblait qu’une lune noire éclairait le ciel et qu’une pluie d’étoiles filantes s’abattait sur la terre glaise de son enfance.
Le match de rugby se termina par une large victoire du XV local qui reprenait provisoirement la première place du championnat régional. Thomas sortit du terrain sous les tapes amicales de ses coéquipiers, il venait une fois de plus de réaliser une prestation XXL et avait permis à l’équipe de l’emporter largement. Il se doucha et sortit du vestiaire pour rejoindre Catherine qui revenait d’une longue promenade solitaire.
Elle détestait le rugby qu’elle trouvait trop violent, mais elle avait compris que pour Thomas, c’était plus qu’un sport, que cela faisait partie de sa culture, d’une appartenance à une histoire locale et familiale. Elle profitait de ses après-midi libres pour lire ou se balader en forêt. Mais aujourd’hui, elle voulait être à ses côtés pour sa rencontre avec Marc.
Elle exprima ses craintes :
« Et si c’était un subterfuge pour te parler de moi et de mon passé ! »
Elle avait pourtant expliqué au professeur qu’elle avait trouvé enfin un équilibre dans sa nouvelle vie, un bonheur dont elle rêvait depuis longtemps. Elle s’inquiétait que le chirurgien ne vienne tout gâcher et elle ne comprenait pas son attitude. Thomas l’enlaça tendrement et, avec un sourire moqueur, lui susurra à l’oreille :
« Je le comprends, je ferai tout moi aussi pour te garder, et puis qui te dit qu’il vient pour toi. Ma mère avait peut-être une liaison secrète avec lui, qui sait ! »
Elle adorait se blottir dans ses bras, elle se sentait en parfaite sécurité avec lui. Ce calme, cette assurance pleine d’humilité et cette force tranquille qu’il dégageait la rassuraient. Elle avait toujours vécu dans la hantise de ne plus être aimée, d’être abandonnée.
Son père les avait quittées, sa mère et elle, à sa naissance pour vivre avec une autre femme, une histoire très banale. Sa mère s’absentait souvent pour son travail, elle se voyait seule face à un avenir incertain. Aujourd’hui, ses peurs enfantines avaient complètement disparu grâce à l’amour que lui portait Thomas. Elle avait trouvé sa place dans cette famille qui vivait en parfaite harmonie, loin des mesquineries et des problèmes du quotidien. Le frère et la sœur traversaient les aléas de la vie avec indifférence, et souvent beaucoup d’humour.
Les joueurs qui commençaient à quitter le stade les invitèrent à les rejoindre au siège du club pour fêter la victoire. Thomas déclina l’invitation, sans devoir se justifier. Le parking se vida peu à peu. Le jeune homme regarda sa montre et dit à Catherine :
« On attend encore cinq minutes et puis on s’en va. »
Une voiture arriva. Ils s’avancèrent vers elle. Le chauffeur descendit sa vitre et leur demanda :
« J’étais au club house et quelqu’un m’a dit que vous attendiez le professeur Du Mail ? »
Ils acquiescèrent.
« Désolé, il ne viendra pas, on l’a retrouvé dans un fossé près des Bories, une balle dans la tête. Il ajouta, les flics sont sur les dents, les journaux télévisés ne parlent que de ça, ça va faire du bruit ! »
Il les salua et repartit aussitôt. Catherine éclata en sanglots.
« Mon Dieu, quelle horreur ! »
Thomas l’enlaça et essuya ses larmes :
« Viens, ça ne sert à rien de rester là, je vais me renseigner sur ce qui s’est exactement passé. »
Il appela le chef Janvier de la brigade de gendarmerie du Bourg qui lui répondit :
« Je ne peux rien te dire Thomas, c’est le bordel ici, salut. »
Il raccrocha aussitôt.
Catherine, les yeux rougis par les larmes qui inondaient son visage, s’adressa à Thomas :
« Désolé Tommy, tu ne sauras jamais ce qu’il voulait te montrer. »
« Peu m’importe, il est mort maintenant. Pardon, je ne voulais pas te faire de peine. »
Elle trouva son compagnon pas très concerné. Il ne lui avait jamais posé de questions sur la nature de sa relation avec Marc. Catherine, après son opération, avait apprécié la discrétion, le charme un peu vieux jeu et l’humour désabusé du professeur. Elle avait accepté de passer sa convalescence chez lui, par commodité, loin des médias, parce qu’elle avait une confiance absolue dans sa discrétion. Elle interrogea Thomas :
« Pourquoi ne m’as-tu jamais demandé quelle avait été la nature de ma relation avec Marc. Tu es si sûr de toi ! »
Elle regretta aussitôt ce qu’elle venait de lui dire, elle savait qu’elle se montrait parfaitement injuste.
Thomas ne répondit pas, il la serra encore plus fort dans ses bras :
« Parce que je te respecte Catherine, hier n’existe plus et demain est incertain, pour moi, il n’y a que le présent qui compte. Il ajouta, si tu as besoin d’en parler, je t’écouterai, mais ça n’a aucune importance pour moi, c’est tout. »
« Je suis inquiète Thomas de cette lettre. Je ne voudrais pas qu’elle parle d’un passé dont je ne suis pas très fière et que tu te fasses une fausse image de moi. Je t’aime tellement. »
Il plaisanta :
« C’est toi qui as tué le colonel moutarde avec le chandelier dans la cuisine, mais je le savais déjà mon amour ! »
Elle l’embrassa sur les lèvres et lui dit :
« Moi je suis jalouse de toutes tes conquêtes passées et de toutes ces belles dames qui viennent le dimanche admirer tes belles cuisses dans ton petit short moulant. »
Le moment était mal choisi pour se moquer d’elle, alors il se contenta de lui sourire. Il lui répondit :
« Un jour, quand j’aurai le temps, car la liste est longue, je te raconterai tout ! Allez, on rentre. »
Catherine fit semblant de bouder et redevint sérieuse :
« J’ai une idée. J’ai encore les clés de la maison de Marc, je pourrais chercher cette lettre. »
« Les gendarmes doivent déjà avoir mis les scellés, tu ne pourras pas entrer, je t’ai dit que ça ne m’intéressait pas Catherine. Ma mère ne m’a jamais parlé de Du Mail, ni mon grand-père non plus, sauf pour me dire du mal de cette famille. Il doit avoir trouvé une vieille photo de Florence jeune, ils avaient le même âge, il a appris sa mort, il voulait me la donner par gentillesse, point. »
Marc était un homme très occupé, peu porté sur le passé, s’il voulait te remettre cette lettre, c’est que c’était très important pour vous deux. J’en suis intimement persuadée, s’il te plaît, conduis-moi rue du Pla.
Thomas accepta en désespoir de cause. Il s’arrêta sur la place en haut des remparts. Une voiture de la gendarmerie était déjà garée devant la maison du professeur et un groupe de curieux s’était rassemblé dans la ruelle adjacente. Thomas regarda la jeune femme qui haussa les épaules en signe d’approbation. Il profita de cette effervescence pour regagner la librairie en toute discrétion.
Capucine les attendait visiblement très excitée, elle interpella Catherine :
« Tu as appris la nouvelle, on ne parle que de ça en ville et dans toutes les chaînes d’infos. Il y a eu des tas de coups de téléphone, j’ai même vu des journalistes prendre la façade en photo, c’est mortel non ! »
Thomas s’apprêtait à gronder sa filleule, mais Catherine le retint par le bras. La jeune fille, voyant le regard désapprobateur de Thomas, se défendit avec véhémence :
« Qu’est-ce que j’ai dit, c’est la vérité. »
Puis elle comprit enfin ce que pouvait éprouver Catherine, elle s’excusa :
« Je ne voulais pas te blesser Catou, je suis une idiote, je suis désolée. »
Catherine la prit dans ses bras et la berça tendrement en lui répétant comme un mantra :
« C’est pas grave bébé, c’est pas grave. »
Thomas détourna son regard vers la fenêtre, une boule dans la gorge. Il aimait tellement ces deux jeunes femmes que des larmes coulèrent le long de ses joues, le cœur serré.
Il aperçut alors, à travers les rideaux, qu’une foule s’était amassée devant la boutique et un camion avec une grosse parabole se garait sur le trottoir d’en face. Les jours à venir allaient être compliqués pour la jeune femme. Heureusement, pensa-t-il, que la librairie était fermée le lundi, cela leur laissait le temps d’élaborer une stratégie, du moins l’espérait-il.
La poitrine en feu, les muscles gorgés d’acide lactique, Marie s’effondra sur l’herbe mouillée qui bordait la piste du stade Salif Keita sur lequel elle s’entraînait tous les matins depuis son installation à Pontoise. Allongée sur le dos, elle admira l’aube se lever dans un ciel de feu où le mauve à l’horizon grignotait peu à peu le pourpre orangé qui éclairait la voûte céleste. La pluie menaçait. La course à pied représentait pour la jeune femme bien plus qu’un simple dérivatif, certes nécessaire à son équilibre physique, mais un véritable exutoire à ses frustrations. À cette violence qu’elle portait en elle, dont elle refoulait jusqu’à son origine.
Ce sentiment d’abandon qu’elle éprouvait depuis sa plus tendre enfance. Orpheline depuis son plus jeune âge, elle avait été élevée par une tante qui ne lui avait jamais exprimé la moindre affection.
Son biper sonna, Marie n’eut pas d’autre choix que de répondre malgré la tentation de rester là à contempler les nuages, à attendre l’ondée qui ne tarderait pas à s’abattre sur la ville.
« Bonjour capitaine Collins, le colonel Corti vous attend immédiatement à l’institut. »
Marie allait répondre qu’elle revenait la veille de mission, qu’elle aurait bien profité de sa matinée pour au moins déballer ses cartons, mais la secrétaire du patron devança ses récriminations :
« C’est un ordre capitaine. »
« Laissez-moi le temps de me changer, je serai là dans une heure. »
« Pas une minute de plus… »
Son interlocutrice mit fin à la conversation, laissant la jeune femme sceptique. Elle venait à peine de raccrocher qu’une pluie fine commença à tomber. Elle enfourcha son vélo, remonta le Quai de Halage, puis le Quai de l’Écluse et regagna son domicile situé près du centre culturel de l’Imprévu sous un véritable déluge.
Les cartons de déménagement s’entassaient dans l’entrée, surtout des cartons de livres, quelques aquarelles, ses seules richesses. Ça attendra, pensa-t-elle.
Quel événement revêtait une telle importance pour qu’on se permette de bousculer son emploi du temps ? Marie n’aimait pas se perdre en conjonctures inutiles. Elle saurait bien assez tôt ce que l’on attendait d’elle.
Elle se prépara une infusion de rooibos qu’elle accompagna de deux tartines de pain noir et de confiture de framboises. Ce frugal petit déjeuner allait de pair avec la vie quasi monacale que Marie menait en dehors de son travail.
Après sa toilette, elle procédait chaque matin au même rituel depuis ce jour funeste où en stage à Font Romeu avec l’équipe de France junior d’athlétisme elle fut victime d’une tentative de viol. Trois de ses camarades avaient profité de l’absence de leur entraîneur pour la coincer dans un vestiaire et pour commencer à la déshabiller de force. Elle fut sauvée par le gardien du stade qui passait là par un heureux hasard.
Elle entourait sa poitrine d’une bande de gaze qu’elle serrait fort, puis mettait une gaine sur sa culotte pour atténuer ses formes qu’elle avait plutôt généreuses à son grand regret. Elle refoulait cette féminité qui, pour elle, entachait toute relation homme femme. Elle détestait le regard concupiscent des hommes. Elle voulait être reconnue pour ses compétences et non pour son physique, point. Depuis, elle était atteinte d’haptophobie.
Cette tentative de viol l’avait transformée, elle s’était juré de ne plus jamais se retrouver dans cet état de faiblesse. Elle avait façonné son corps comme une arme défensive, une arme de destruction masculine, comme elle aimait à le penser.
Marie avait appris par sa tante, sa seule famille, que son entraîneur était poursuivi actuellement pour harcèlement sexuel, que le président de la fédération avait été contraint de démissionner et de jeunes athlètes exclus de l’équipe de France.
Cette parente, qui l’avait recueillie et élevée depuis sa plus tendre enfance et qui ne s’occupait que très rarement de ce qu’elle faisait, avait rajouté :
« Voilà ce qui arrive à ceux qui veulent du mal à sa petite chérie. »
Marie avait voulu en savoir davantage sur celui qui la considérait comme sa « petite chérie », mesquinement sa tante s’était défilée et n’avait plus jamais reparlé de cet incident.
Elle finit de s’habiller. Elle enfila un pull ample en cachemire sur un jean large, se chaussa d’une paire de baskets. Devant la glace de l’entrée, elle attacha ses longs cheveux blond roux et frisés en un chignon désuet, puis elle se coiffa d’une casquette de base-ball, accrocha son Sig-Sauer SP à sa ceinture, attrapa sa parka et sortit.
Elle héla un taxi et se rendit à son rendez-vous. La circulation était dense à cette heure, le trajet jusqu’au boulevard de l’Hautil, adresse de l’IRCGN, dura plus que prévu.
Arrivée à destination, elle déclina son identité au planton de service, traversa une grande place et se dirigea vers les bureaux de l’UNIC où l’attendait le lieutenant-colonel Corti. Elle admira, en passant, cet ensemble architectural aux formes épurées. L’institut de recherche en criminologie de la gendarmerie nationale, implanté sur un parc de deux hectares dans le quartier Lange à Pontoise, se composait de trois bâtiments rectangulaires, perpendiculaires à l’axe principal d’accès, qui débouchait sur un parvis, la place d’armes. Elle gravit quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait au deuxième étage du bâtiment central et se présenta enfin devant le bureau de son chef.
Le lieutenant-colonel Ange Corti regardait par la fenêtre de son bureau, les nuages qui s’éloignaient vers l’est en longs filaments laiteux. En ce début mai, le temps changeait vite. Une température digne d’un mois de novembre régnait sur Pontoise depuis quelques jours. Dans la cour des flaques d’eau auréolées de taches d’un gris visqueux reflétaient un ciel de traîne aux couleurs incertaines.
Depuis qu’il avait pris la direction de l’unité nationale d’investigation criminelle de la gendarmerie nationale, le terrain lui manquait, et plus encore sa Corse natale. Ses cheveux bruns coupés court commençaient à grisonner aux tempes. Bien bâti, une mâchoire carrée, toujours bronzé, et malgré les poches sous ses yeux gris, et un léger embonpoint, le colonel Corti était encore un bel homme. Il avait un moment espéré obtenir une mutation pour Ajaccio, mais pour un corse, travailler sur l’île en qualité de fonctionnaire de police à haute responsabilité semblait très compliqué. Si pour la plupart des gens « un jour tout sera pardonné parce qu’un jour tout sera oublié », en Corse rien n’était ni pardonné, ni oublié et les rancunes, les rancœurs se transmettaient de génération en génération, il en était bien conscient.
Il fut interrompu dans ses réflexions par sa secrétaire qui l’avertit que la capitaine Collins venait d’arriver
Lorsque Marie entra dans la pièce, Corti sentit comme un courant d’air glacial, il regarda vers la fenêtre, celle-ci était bien fermée. La jeune femme s’était mise dans un garde-à-vous impeccable et attendait que son supérieur s’exprime. Il lui fit un signe de la main, et elle se détendit un peu. Corti l’observa en silence, elle était grande et mince, plutôt jolie, mais ce qui impressionnait le plus chez elle, c’était son regard, impénétrable, et dénué de la moindre expression, qui vous mettait mal à l’aise. Pourtant, pensa le colonel, elle a des yeux magnifiques, d’un bleu turquoise translucide, saisissant. Il mit fin à son observation, se racla la gorge et parla enfin.
« Je n’irai pas par quatre chemins, je n’aime pas qu’on me force la main, je suis comme vous capitaine, j’obéis aux ordres que l’on me donne. On pense en très haut lieu que vous êtes la personne idoine pour résoudre l’affaire délicate et éminemment politique qui nous incombe. Je pense, moi, qu’on vous envoie, passez-moi l’expression au “casse-pipe”. »
Marie attendait la suite imperturbable. Elle ne savait pas trop quoi penser de ce curieux préambule. Son supérieur était-il jaloux de ses prérogatives et en colère, ou au contraire voulait-il la mettre en garde, mais de quoi ?
Le colonel poursuivit en lui montrant le dossier qu’il avait sur son bureau.
— Vous souvenez-vous ce que vous m’avez répondu lors de notre premier entretien, quand je vous ai demandé si vous aviez un défaut au vu de votre dossier en tout point remarquable. Vous m’avez répondu sans l’ombre d’une hésitation « être née femme. »
Marie acquiesça d’un léger mouvement de tête.
Corti enchaîna :
« Eh bien, vous allez pouvoir le vérifier sur le terrain. Votre autorité va se heurter à pas mal de résistance, il n’y a pas que chez les flics qu’il y a du machisme, chez les politiciens aussi. Vous allez opérer dans un milieu hostile où les requins sont nombreux et très dangereux, vous pouvez me croire sur parole. »
Voyant que sa subordonnée semblait dubitative, il l’interrogea :
« Vous ne lisez pas les journaux capitaine ? Le député Du Mail a été assassiné hier matin. Il était pressenti pour être le candidat des verts à la future présidentielle en mars prochain. Toute la classe politique est vent debout depuis hier contre le gouvernement et hurle au complot avec des cris d’orfraie d’autant indécents, qu’hypocrites.
Le ministre de l’Intérieur se répand sur tous les plateaux de télévision pour assurer que toute la lumière serait faite sur ce crime odieux, avec la plus grande transparence, que le ou les coupables seraient punis comme il se doit. »
Il reprit son souffle :
« Bienvenue dans ce panier de crabes capitaine, ou dois-je dire commandante maintenant, car vous voilà promue commandante pour diriger cette affaire sensible. Félicitations. À vous de faire éclater la vérité ! Vous pouvez compter sur moi et sur nos services pour vous aider. »
Il passa son mouchoir sur le front pour éliminer la sueur qui commençait à perler :
« Tenez-moi personnellement au courant de l’avancée de votre enquête. Une dernière chose, je ne sais pas encore si quelqu’un dans les hautes sphères vous veut du bien ou du mal, mais je le saurai bientôt. Il y a bien trop d’années que je gravite dans ce milieu sans avoir des oreilles partout, ceci restant entre nous, je ne vous ai rien dit. Malgré ma réticence à la présence féminine au sein de la gendarmerie, sachez que je sais apprécier les compétences de chacun, j’ai une confiance absolue dans vos capacités et dans votre totale intégrité. »
Sur ce, il lui tendit le dossier qui se trouvait sur son bureau :
« Voilà les premières constatations de l’enquête préliminaire. Votre train part à dix-sept heures, voyez les détails avec ma secrétaire. Sur place, je vous ai adjoint le lieutenant Dominique Agosti. »
Devant le regard interrogateur de la jeune femme, il s’empressa d’ajouter :
« Non négociable ! Un corse comme moi, en qui j’ai entièrement confiance. Il pourra vous être utile, il connaît très bien la région et ses habitants. Maintenant à vous de jouer si je peux me permettre cet euphémisme. »
Marie prit congé. Elle se présenta au secrétariat pour récupérer son ordre de mission et les détails de son déplacement. Une fois les démarches administratives accomplies, elle regagna son domicile afin de préparer ses affaires.
Après le départ de Marie, Corti décrocha son téléphone et composa un numéro sécurisé à la DGSI. Il entendit un clic, son appel avait été accepté et son interlocuteur répondit :
« Salut Ange, ça fait un bail que je n’ai pas eu de tes nouvelles, que se passe-t-il ? Rien de grave j’espère. »
Le colonel éluda les préliminaires et en vint au fait :
« J’ai besoin de renseignements sur une affaire délicate, l’assassinat du député Du Mail. Je sais que vous allez enquêter de votre côté au cas où, j’ai besoin de savoir pourquoi et qui s’intéresse autant à mon inspectrice pour l’imposer dans cette affaire. »
« Tu me demandes beaucoup de choses Ange, je vais voir ce que je peux faire, mais si c’est trop sensible, je ne pourrai pas t’aider beaucoup. »
Corti, devant la réticence de son ami, répondit, agacé :
« Parce que tu me dois beaucoup André, tu le sais aussi bien que moi, alors, débrouille-toi comme tu veux. J’attends de tes nouvelles rapidement. »
« Qu’est-ce que tu veux savoir sur cette fille et pourquoi ça t’intéresse tant, si elle se plante, bon débarras, non. »
« Tout, je veux tout savoir, d’où elle vient, ses vices cachés, ses fréquentations, sa vie de A à Z. Le pourquoi, ça me regarde. »
« Te fâche pas Ange, je ferai de mon mieux, tu le sais bien, à plus. »
« Excuse-moi André, je sais, fais la bise à Élisabeth. »
Il raccrocha. Il alla à la fenêtre. Des gouttes d’eau ruisselaient sur les carreaux. Il regarda de nouveau vers le sud, vers son île et ses cieux lumineux. Il soupira. Il s’inquiétait pour sa subordonnée. Personne n’avait besoin de le savoir. Elle lui rappelait lui à ses débuts, déterminée, pleine d’espoir, et l’envie d’en découdre avec la terre entière. Il regagna son bureau. Il chercha dans son répertoire personnel un nouveau numéro qu’il composa aussitôt.
Au bout de quelques sonneries, une voix pâteuse lui répondit :
« Salut patron. »
« Putain Dominique, il n’est même pas midi et tu es déjà ivre, c’est plus possible, je ne pourrai pas toujours te couvrir, tu sais ! »
« C’est pas ce que tu crois Ange. On a fait la fête hier soir pour un anniversaire, je me lève juste. »
« Tu prends dare-dare une douche et un café ! À partir d’aujourd’hui plus d’alcool, tu m’entends ? »
« Ange, tu sais bien que je ne pourrai pas, tu me demandes trop. »
« Non, ne m’oblige pas à te rappeler certaines choses désagréables. Dès ce soir, tu auras une mission pour laquelle tu ne t’en référeras qu’à moi sur l’indicatif que tu connais. Je peux encore compter sur toi ou pas ? C’est très important, tu n’as pas le droit à l’erreur sur ce coup-ci. »
« Dans quoi tu t’es fourré Ange, on n’est pas au pays ici. Tu m’as envoyé dans ce trou perdu pour que je me fasse oublier, je t’ai écouté. »
Il réfléchit un instant avant de s’exclamer :
« Non, ne me dis pas que c’est pour l’assassinat du député ! »
Le colonel entendit un bruit de verre, il s’énerva :
« Écoute-moi bien, fais ce que je te demande sans poser de questions. L’affaire dont tu parles a été confiée à une jeune commandante de mon service, elle a un bel avenir devant elle, je ne voudrais pas qu’on la sacrifie pour une quelconque raison d’état. Alors tu vas la suivre partout et la protéger si elle en a besoin, ce dont je ne suis pas sûr. »
Il ajouta comme pour lui-même :
« Si elle rechigne, et elle va rechigner, tu t’en tiens à ce que je t’ai dit, mieux vaut être prudent. »
« Elle est jolie au moins. »
« Écoute-moi bien séducteur des bacs à sable, tu la laisses tranquille, ça vaudra mieux pour toi. Je veux que tu me fasses un rapport tous les soirs sur les avancées de l’enquête, capito ! Et pour ta gouverne, elle est plus que jolie, elle est belle. »
« Capito Ange. »
Sur ces mots, il raccrocha et se recoucha. Il avait toute l’après-midi pour se préparer à recevoir le colis du colonel. Il fantasma un peu sur sa nouvelle collègue, avant de se rendormir.
Corti savait qu’il pouvait compter sur la vigilance de son protégé, malgré ses airs bravaches et sa tendance à abuser de la bouteille, c’était un bon flic malgré tout.
Dans le taxi qui la ramenait chez elle, Marie s’interrogeait sur l’attitude du colonel.
Quel message voulait-il lui faire passer ? Elle ne connaissait personne dans les hautes sphères de la gendarmerie ni nulle part ailleurs. Sa tante ne recevait jamais personne du moins en sa présence.
Elle avait vécu dans une forme de solitude sociale, bien loin de quelconques lieux de pouvoir.
Ce que venait de lui révélait le colonel lui ouvrait peut être de nouvelles perspectives de recherche sur sa filiation. Elle espérait découvrir un jour ce que lui cachait cette parente qui ne lui avait jamais montré la moindre affection, qui s’était occupée d’elle comme d’un travail contraint. Mais chaque chose en son temps. Cette mission revêtait la plus haute importance pour la suite de sa carrière, elle ne devait pas être polluée par des problèmes personnels.
Elle ouvrit le dossier que lui avait confié Corti et lut le rapport succinct qu’avaient rédigé les premiers enquêteurs. La victime de type caucasien avait été découverte par un agriculteur qui labourait son champ. Le corps gisait à côté de son vélo.
Il avait été abattu d’une seule balle dans la nuque alors qu’il roulait à bicyclette sur une petite route de campagne, il n’y avait aucun témoin oculaire. L’arme n’avait pas été retrouvée, un fusil de chasse sans doute ou une carabine comme celle utilisée par les chasseurs du coin pour le sanglier.
Marie regarda les photos qui accompagnaient le texte, elle regrettait de ne pas avoir pu être sur la scène de crime dès le début pour se faire une première opinion, indispensable dans sa façon d’opérer.
Elle aimait s’imprégner des moindres détails qui pourraient se montrer déterminants pour la suite de l’enquête. Elle s’y ferait conduire le lendemain avant que tous les curieux des environs ne viennent la polluer. La victime avait basculé dans le fossé en contre bas de la route, toujours accrochée à sa bicyclette par les cale-pieds dans une posture indécente, une tache rouge sombre s’était formée à l’arrière de son crâne, du moins ce qu’il en restait.
Des traces de pas très nettes avaient été relevées autour du cadavre, la scientifique locale avait effectué des moulages de ces empreintes. Les résultats obtenus seraient comparés à ceux des personnes qui s’étaient approchés du corps de la victime.
Il ne fallait rien exclure pour le moment, pas même que le meurtrier, ne soit revenu s’assurer de la mort de sa victime. Elle rangea les documents, puis elle essaya d’imaginer le déroulement des faits, mais trop de détails lui échappaient encore pour se faire une idée raisonnable de l’affaire.
Elle réfléchit à la stratégie à mettre en place dès son arrivée, les actions à prioriser.
Le taxi se gara devant son domicile, elle paya le chauffeur et lui demanda de l’attendre. Elle descendit du véhicule sous une pluie fine qui tombait sans discontinuité sur le canal attenant, noyant le décor dans un halo grisâtre. Elle s’engouffra dans le hall de son immeuble, puis une fois dans son appartement, elle récupéra son grand sac à dos, y enfourna quelques affaires de rechange et rejoignit son taxi qui la déposa deux heures plus tard devant la gare d’Austerlitz.
Son train ne partait que dans trente minutes, elle en profita pour acheter une salade, une bouteille d’eau minérale et un flan coco, petite entorse à son régime habituel, sans sucre industriel.
Elle s’assit dans la salle d’attente et observa la foule bigarrée qui l’entourait. Marie aimait beaucoup l’ambiance des grandes gares, les odeurs, les bruits, les gens qui se croisaient dans un grand désordre.
C’était la vraie vie où se mêlaient toutes les couches de la société, du cadre pressé, des gens inquiets, perdus, désabusés, dans un bruit indescriptible d’où s’échappaient parfois quelques notes de musique agréables, un résumé de l’humanité.
Son train venait de s’afficher sur le panneau lumineux, elle se leva et rejoignit le quai indiqué. Elle demanda au contrôleur présent, si elle pouvait échanger son billet pour un billet en première classe, elle voulait profiter de son voyage pour travailler en toute tranquillité. Il donna une suite favorable à sa demande. Marie s’installa confortablement dans son nouveau compartiment.
La locomotive s’ébranla dans un roulement sourd. Le chef de train leur souhaita la bienvenue, un calme relatif envahit le wagon, simplement bercé par le bruit régulier des roues sur les rails.
Marie brancha sa tablette. Elle avait besoin de mieux connaître la victime. En tant qu’homme politique de premier plan, il devait bien avoir un blog, une interview ou un talk-show dont il avait été l’invité, elle pourrait alors se faire une idée du personnage.
Elle fut impressionnée par le nombre d’émissions où Marc Du Mail intervenait, soit en tant que professeur de médecine, spécialiste en microchirurgie réparatrice ou en tant que député européen.
Un personnage atypique dont les médias raffolaient.
L’homme semblait jovial et sûr de lui. Un physique avenant, des yeux d’un bleu très pur, une crinière argentée, et une carrure de rugbyman. Il arborait, le plus souvent, un beau sourire qui éclairait son visage, ce dont il abusait largement pour séduire son auditoire. Une « bête médiatique » redoutable, pensa Marie.
Il ne paraissait pas avoir des positions politiques très tranchées, il se voulait pragmatique et plutôt consensuel. Un écologiste de gauche modéré, libéral, ouvert à une économie de marché soucieuse de l’environnement. Un homme de dialogue, rassembleur, parfait dans ces temps troublés pour aspirer à la magistrature suprême. Les sondages d’opinion lui donnaient une chance raisonnable de gagner cette élection.
Il n’avait pas encore pris sa décision, ses atermoiements agaçaient ses amis qui le pressaient de se décider au plus vite, les Français étaient versatiles et ses hésitations pouvaient lasser l’opinion.
Il répondait toujours avec clarté, souvent avec pédagogie aux questions des journalistes, mais lorsqu’ils l’interrogeaient sur la future présidentielle, ses réponses devenaient plus laconiques et répétitives, il répondait :
« Que c’était trop tôt, que les Français avaient d’autres préoccupations plus urgentes, comme le chômage, la sécurité, la santé »…