La confrérie blanche - Jacques Delsol - E-Book

La confrérie blanche E-Book

Jacques Delsol

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Beschreibung

Qui s’en est pris à David Bertrand ? Qu’avait-il découvert de si précieux pour qu’on le crucifie sur la porte de sa cave ? La commandante Collins, avec sa pugnacité coutumière, devra démêler le vrai du faux pour résoudre cette enquête aux ramifications inattendues.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Jacques Delsol a consacré l'intégralité de sa carrière professionnelle à l'enseignement dans le Lot. Attiré tout particulièrement par les polars, il a décidé de se lancer dans l'écriture à sa retraite. En quête d'identité a inauguré une série de romans mettant en scène les enquêtes de la commandante Collins. "La confrérie blanche" constitue le deuxième volet de cette saga.

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Jacques Delsol

La confrérie blanche

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jacques Delsol

ISBN : 979-10-422-1886-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Cathy et Françoise,

pour leur aide précieuse

Prologue 1

Antoine Lubbéry buvait un café à la terrasse du café du commerce de Saint Fé, une petite bourgade du Lauragais. Il regardait sans les voir les gens qui passaient et le saluaient respectueusement. Son esprit était ailleurs, il se remémorait son parcours depuis son enfance jusqu’à aujourd’hui. Il était né dans une famille catholique modeste, d’un quartier défavorisé d’une ville minière du nord de la France. Sa mère, femme au foyer, participait à la vie de la paroisse en s’occupant du catéchisme pour des minots de huit à dix ans.

Elle répétait à satiété que tous les événements bons ou mauvais que nous vivions, que nous subissions parfois, étaient déjà écrits et qu’il ne servait à rien de se révolter contre eux. Que notre destin était entre les mains de Dieu, nos existences prédestinées, tout ce qui nous arrivait ne pouvait pas être évité. Dans ses lubies, les péchés prenaient une part importante, les véniels que le curé avec deux « Notre Père » et un « Je vous salue Marie » nous pardonnait, et les péchés mortels qui nous menaient droit en enfer. Un endroit mythique de feux et de flammes qui, dans nos imaginaires d’enfant, nous faisait cauchemarder, car on ne savait pas où se situait la limite entre ces deux formes de péchés. Sans parler du purgatoire peuplé de pauvres pécheurs qui se flagellaient tous les jours afin d’obtenir un hypothétique billet pour le paradis, lieu de délices et de douceur.

Cette éducation basée presque exclusivement sur la peur, sur des croyances simplistes, et une multitude de superstitions ridicules, l’avait enfermé dans une vie morne et sans espoir.

Il ne savait pas dans quelle catégorie se situait l’adultère. Le curé du bourg, possédait en plus d’un gabarit impressionnant, un beau visage d’ange ; beaucoup de paroissiennes l’auraient bien accueilli (en se signant plusieurs fois) dans leur lit. Apparemment c’est sa mère qui remporta le pompon au grand dam de son mari qui peu à peu se détacha d’elle, puis de lui, qui ressemblait de plus en plus à l’ecclésiastique. Il se mit à boire plus que de raison, pour finalement mourir à quarante-cinq ans d’un cancer du foie. Il soupçonnait sûrement qu’il n’était pas le père d’Antoine, à la vue de leurs différences physiques qui au fil des ans se faisaient de plus en plus grandes.

Il aurait pu devenir la risée de ses camarades, mais il avait hérité du curé, non seulement son gabarit, mais aussi sa force de persuasion, personne ne souhaitait se frotter à lui.

Après le baccalauréat, il décida de s’évader du carcan familial et de toutes les bondieuseries qui avaient bridé son libre arbitre, il s’engagea dans l’armée. Ses aptitudes physiques largement au-dessus de la moyenne et le fait qu’il possédait le bac lui permirent d’intégrer l’école des officiers de réserve, par la suite les commandos marines.

Toujours volontaire pour des missions au plus près des zones d’affrontement, sa témérité fut récompensée par son incorporation chez les Casques bleus de l’ONU. Son vrai baptême du feu, il le connut en Bosnie où il côtoya la mort, les exactions de tous ordres et l’indicible violence ordinaire de la guerre.

La patrouille qu’il commandait fut prise dans une embuscade, pour se dégager, ils furent obligés de riposter. C’est à cette occasion qu’il tua un homme pour la première fois. Au contraire de certains de ses camarades, traumatisés d’avoir ôté la vie d’un autre être humain, il en éprouva une sorte de joie intense. Il se sentit délivré de ce fatalisme ancré en lui, il assumait enfin ses actes, il en ressentit même une certaine fierté. Il enchaîna par la suite des opérations au Sahel contre des djihadistes de l’état islamique, où son indifférence devant la douleur, et surtout son absence de compassion pour autrui, firent de lui un inquisiteur hors pair. Il était très doué pour ça, sans doute un peu trop, car ses supérieurs trouvèrent que ses interrogatoires s’apparentaient un peu trop à de la torture, qu’il dépassait trop souvent ses attributions. Ils craignirent de se retrouver devant un tribunal international pour crime de guerre, ils lui conseillèrent fortement de démissionner et de se faire oublier.

À la suite de sa démobilisation, il rejoignit un groupe de mercenaires en Afrique centrale où après quelques missions réussies, il fut embauché comme garde du corps d’un ministre quelconque, d’une pseudodémocratie, un corrompu notoire qui trafiquait dans la vente d’objets rares et précieux de son pays. C’est à l’occasion d’un dîner à l’ambassade de France à Londres qu’il rencontra sa future épouse, une Irlandaise à la coiffure flamboyante qui accompagnait ce soir-là, son mari, un haut fonctionnaire du Foreign Office. À leur deuxième rencontre, il lui demanda de quitter son ennuyeux mari et de l’épouser. Contre toute attente elle accepta.

Elle le suivit un temps en Afrique, au bout de quelques mois, elle eut le mal du pays, et voulut rentrer en Irlande, la pluie et les collines verdoyantes lui manquaient terriblement. Lors d’un nouveau déplacement en Angleterre, il obtint de ce ministre fantoche une autorisation exceptionnelle pour qu’elle fasse partie de leur délégation. Le ministre ne pouvant rien refuser à Antoine, qui mettait tant de zèle dans l’élimination de ses opposants politiques, que celui-ci ne craignait qu’une chose, le départ d’Antoine. Ce ministre reçut lors de ce séjour en Angleterre, une invitation à une chasse privée dans un domaine appartenant à un lord désireux d’acquérir des objets d’art africain.

Antoine surveillait la terrasse où ces messieurs buvaient le thé quand une main se posa sur son épaule et un homme qu’il n’avait jamais vu auparavant lui demanda de le suivre. Il allait répliquer qu’il ne pouvait pas quitter son poste quand l’homme lui montra un point lumineux pointé sur le ministre. Il comprit immédiatement que sa mission de garde du corps prenait fin dès cet instant, et qu’il valait mieux ne pas se mêler de ce qui allait arriver à son bienfaiteur.

Une fusillade éclata dans son dos. Il pressa le pas.

L’homme qui s’avérait être le secrétaire particulier du ministre de l’Intérieur britannique récupéra son arme, puis Antoine fut introduit dans un bureau où se tenait un homme aux traits chevalins qu’il avait déjà rencontré et qui n’était autre que le secrétaire d’État à l’intérieur de sa Majesté Elisabeth II. L’homme s’avança vers lui, et lui tendit la main. »

« Bonjour monsieur Mandon. Je crains fort que votre carrière de gorille africain ne soit terminée. Vous valez mieux que ça, ne croyez-vous pas ? »

Antoine attendait la suite incapable de réprimer un sentiment de mépris pour ce type qui se voulait chaleureux, qui ne valait pas mieux que mon ancien employeur, mais qui avait le pouvoir de l’éliminer, il fit profil bas. Ce qu’ignorait le Britannique cependant, c’est que si le ministre qu’il protégeait était vénal, un euphémisme, il prenait des précautions dans ce genre de négociation, il enregistrait toutes les conversations. En général, Antoine récupérait la cassette dès que l’opportunité se présentait, dans le cas présent, il n’avait pas encore eu le temps de le faire. Il s’en félicita.

« Ce que je vais vous proposer devra rester strictement entre nous trois : soit vous acceptez, soit vous finissez comme vos collègues. »

Antoine ironisa.

« Un questionnaire à choix unique, même pour un benêt comme moi c’est plutôt facile de trouver la bonne réponse. »

« Trêve de plaisanterie, le temps presse. J’en ai par-dessus la tête des extrémistes irlandais, nos services secrets sont tellement bridés par l’obligation de règles ineptes et par une presse bienpensante qu’ils n’avancent guère sur le démantèlement des réseaux nationalistes. »

Antoine répliqua.

« Je n’ai aucune compétence pour ce genre de travail. À la limite, je peux participer à des interrogatoires, ça, c’est beaucoup plus dans mes cordes. »

Le ministre sourit.

« Nous connaissons vos compétences en ce domaine, c’est pour cette raison que nous vous avons choisi pour cette mission. Votre charmante épouse est la fille du chef de la plus importante cellule terroriste irlandaise, en revanche, on a beaucoup de mal à l’infiltrer, on a encore perdu deux hommes récemment, ça suffit. Vous allez nous servir de cheval de Troie. »

Il n’était pas sûr de posséder les capacités nécessaires pour cette délicate mission, mais il voyait là, une opportunité de rebondir une nouvelle fois.

« Qu’est-ce que cela va me rapporter en définitive ? »

« D’abord la vie sauve, et si vous réussissez dans cette entreprise, une jolie prime à la sortie avec une nouvelle identité. »

Tergiverser ne servait à rien, de toute façon, il n’avait pas trop le choix.

« OK, comment puis-je vous contacter en cas de besoin ? »

« Voilà un téléphone cellulaire indétectable que vous n’utiliserez qu’en cas de nécessité absolue, votre seul et unique correspondant en cas de problème sera sir James ici présent, mais surtout ne comptez que sur vous en cas de problèmes. Vous avez carte blanche quant aux méthodes employées pour remplir votre mission. Un dernier point, pas de prisonnier, vous ferez le ménage en grand. »

Il observa le jeune homme que venait de désigner le politicien, il semblait imperturbable et totalement détaché, comme si cette situation pour le moins inhabituelle, voire saugrenue, ne le concernait pas. Une attitude so british qu’il avait souvent rencontrée chez les forces spéciales de sa majesté. Il ne faisait aucun doute que ce type en faisait partie ou en avait fait partie. Une information qu’il ne devait pas négliger pour sa sécurité future, s’il se sortait de ce guêpier.

Le secrétaire d’État ajouta sans ironie aucune.

« Aucun témoin, une précaution nécessaire pour nous et pour vous of course. »

Il se retrouva seul sur la terrasse, il n’y avait plus aucune trace de ce qui venait de se passer. Une voiture se gara devant lui et la portière passager s’ouvrit. Il prétexta un besoin pressant pour se dépêcher de récupérer ce qui serait plus tard pour lui, une sorte d’assurance tout risque. Il n’avait aucune confiance dans ces types qui avaient éliminé un ministre comme un vulgaire étron. Il s’engouffra à l’intérieur du véhicule pour cette mission qui devait durer deux années, deux ans de violence où il donna libre cours à ses instincts les plus vils. Non seulement il abattit, ou fit abattre les principaux chefs de l’IRA, mais pour arriver à ses fins, il sacrifia son épouse qui devenait un peu trop curieuse sur son travail. Elle le soupçonnait d’appartenir à l’Intelligence Service, une faute qu’il ne pouvait pas laisser passer, l’éliminer fut un crève-cœur.

Sachant qu’il devenait gênant pour ses employeurs, il envoya à Sir James, une copie des enregistrements réalisés lors de leur premier entretien. Il ne reçut aucune réponse, mais à la fin des pourparlers de paix entre les Britanniques et l’IRA, il trouva dans sa boîte aux lettres, un joli chèque, un nouveau passeport français au nom d’Antoine Lubbéry, et une carte professionnelle comme agent immobilier. Une agence était à vendre à Saint Fé, il saisit cette opportunité, depuis il travaille légalement ou presque comme marchand de biens dans la région.

Prologue 2

Le docteur Bosch dirigeait la clinique privée « Les Acacias », un bel établissement connu de tous les notables de la région, où le médecin et ses collaborateurs soignaient des dépressions plus ou moins sévères, des Parkinson et des Alzheimer précoces dans une confidentialité absolue.

Depuis peu le médecin traitait pour un début de sénilité dégénérative, l’abbé Foulques, un curé qui se targuait d’être un descendant direct de l’évêque éponyme de Toulouse du temps de la croisade des albigeois au début du XIIIe siècle. Ennemi juré du comte Raymond VI, ce prélat avait combattu au côté de Simon de Montfort les hérétiques cathares d’Occitanie. Ce prélat les traquait même à Toulouse, aidé par une communauté catholique de Saint Sernin, la « confrérie blanche », connue pour son opposition au comte de la ville rose.

L’abbé avait une obsession, qui le taraudait depuis la lecture d’une sirventès (un pamphlet), celle de réhabiliter cette confrérie, accusée par un certain Gavaudan troubadour et jongleur de son état, d’être « corrompue et hypocrite ». Dans sa satire, ce conteur iconoclaste relatait le destin de quatre frères pénitents blancs partis rejoindre le Macchabée (surnom de Simon de Montfort) au siège de La Vaur. Pour leur bravoure au combat, le chef des croisés leur confia la mission d’escorter Raymond de Salvagnac, bailleur de fonds de la croisade jusqu’à Cahors, puis de rapporter à Moissac le fruit de la vente du sac de la ville conquise. Personne ne les revit plus jamais, et le déshonneur s’abattit sur la confrérie blanche, soupçonnée d’avoir détourné à leur profit les fonds recueillis. Elle fut dissoute et ses membres excommuniés.

Dans l’esprit tourmenté de l’abbé, l’histoire ne se serait pas passée du tout comme ça. Les quatre frères seraient tombés dans une embuscade entre Cahors et Moissac, assassinés et dépouillés par des hérétiques de la région de Montcuq. Interrogé sous la torture, Raymond de Salvagnac clama son innocence, il donna toujours la même version des faits ; les frères, déguisés en moine avaient quitté Cahors le premier juin au petit matin sur des mules avec des caisses remplies de sous et de deniers, depuis il n’avait plus eu de nouvelles ni d’eux, ni du trésor.

L’abbé décida alors de recréer la confrérie blanche, mais dans un secret absolu, dont le but serait de retrouver coûte que coûte ce fameux trésor afin d’innocenter les membres injustement excommuniés de l’ancienne congrégation.

Il recruta les futurs sociétaires de cette nouvelle secte grâce à un stratagème plus que contestable, mais qui fonctionna à la perfection. Dans le secret du confessionnal, il recueillait souvent des informations compromettantes de ses ouailles, qui s’épanchaient en toute sécurité auprès de leur confesseur tenu au secret professionnel. Il choisit les membres de sa future association parmi les personnalités les plus influentes de la région, afin de récolter des fonds pour sa quête maladive de cet hypothétique trésor, sûr de leur totale discrétion.

Ils se réunissaient une fois par mois dans un lieu discret, à la manière des francs-maçons, habillés d’une toge blanche avec un écusson rouge gravé sur le devant en forme de lion à la queue fourchue. Si certains d’entre eux avaient trouvé au départ, cet accoutrement ridicule, aujourd’hui l’anonymat que leur conférait cette tenue, leur convenait parfaitement. Ces séances de travail sur ce pan d’histoire dont la plupart d’entre eux se moquaient totalement, s’étaient peu à peu transformées en rencontres où se traitaient, dans la plus grande discrétion des affaires de la région entre élus corrompus, hommes d’affaires véreux et influenceurs de toutes sortes.

Le docteur Bosch faisait partie de cet aréopage d’hurluberlus bien malgré lui, il espérait bientôt se libérer de ce carcan moyenâgeux, et surtout, récupérer une part de son investissement personnel, car la cotisation annuelle que prélevait l’ecclésiastique devenait chaque année plus exorbitante. L’abbé avait accumulé une véritable fortune qui lui avait permis, entre autres, de racheter et de restaurer le presbytère du Vert, une très belle demeure du XIIIe siècle perchée sur un piton rocheux qui dominait la vallée du Coux.

La tâche s’avérait plus complexe que prévu, car le vieux curé se méfiait de lui, et sous ses airs mielleux et conciliants, il refusait obstinément de l’écouter sur ce sujet. Bosch aurait pu le faire disparaître et falsifier son testament, mais il ne savait pas où ce fou cachait les enregistrements dont il se servait pour le faire chanter depuis tant d’années sur ses pratiques sexuelles dévoyées et son attirance pour les petits garçons.

Le médecin était persuadé que les preuves de ses turpitudes et de celles de ses compagnons d’infortune se trouvaient quelque part dans la maison du Vert. Il désirait simplement mettre la main dessus, et peut-être également monnayer celles de ses comparses. Pourquoi ne pas prendre la place de Foulques, ce qui lui permettrait de dominer ses coreligionnaires, et d’assouvir ses fantasmes en toute discrétion ?

Aujourd’hui, il attendait le marchand de biens de Saint Fé, réputé fin négociateur, dont il espérait qu’il obtienne de l’abbé, au plus une promesse de vente, au moins un mandat, et de là, récupérer les clés de cette bastide pour découvrir où le vieillard cachait les documents compromettants dont il avait besoin pour asseoir son autorité future sur la congrégation.

Antoine Lubbéry, alias Jacques Mandon, arriva à la clinique vers onze heures du matin. Il demanda à l’accueil de rencontrer le directeur. L’ancien militaire avoisinait la cinquantaine, grand, athlétique, les tempes grisonnantes, un regard enjôleur aux yeux d’un vert profond, il savait flatter les ego de ses clients, des dames en particulier…

Il fut conduit au bureau du médecin par une secrétaire dont le sourire déluré lui plut immédiatement.

Au moment où elle retournait à l’accueil, il lui glissa sa carte de visite dans la poche de sa blouse. Elle lut à voix haute le bristol.

« Antoine Lubbéry, agent immobilier et autres transactions. »

Elle éclata de rire en lui rendant sa carte.

« Désolée, mais je ne suis pas à vendre. »

Elle ajouta devant l’attitude dubitative de Lubbéry.

« Votre impertinence vous coûtera un repas aux chandelles à l’auberge des “cœurs perdus” à vingt heures demain soir, soyez ponctuel. »

« Comptez sur moi mademoiselle… »

« Delphine. »

Il la regarda s’éloigner surpris. Cette jeune femme l’intriguait. Elle ne manquait ni de grâce, ni de culot, peut-être un peu trop, les aventures d’un soir lui suffisaient en général, il sentit inconsciemment que cette rencontre risquait de chambouler sa vie. En avait-il réellement envie ?

Il pénétra dans le bureau du docteur un vague sourire aux lèvres, celui-ci se leva pour le saluer.

La pièce était joliment meublée. Un bureau en hêtre blanc lasuré, fauteuils confortables aux lignes épurées de cuir gris, une lampe de Vianne posée sur une table basse du même bois éclairait la salle d’une douce lumière. Lubbéry pensa que le toubib était un homme raffiné, un peu trop pour lui qui avait des goûts moins sophistiqués en la matière de décoration.

Le docteur devait lui aussi approcher de la cinquantaine, petit, le teint hâlé par un abus d’UV, des yeux anormalement écartés qui bougeaient sans arrêt. Il cachait une calvitie précoce, en ramenant ses cheveux vers l’avant du crâne, une précaution d’autant plus inutile que cette mèche retombait sur son visage dès qu’il baissait la tête. Il portait une blouse blanche ouverte qui laissait deviner un sérieux embonpoint. Son regard s’attarda sur son visiteur pour le jauger, une introspection silencieuse et désagréable.

Antoine Lubbéry mit fin à cet examen qui commençait à l’agacer.

« Que puis-je pour vous monsieur Bosch ? »

Celui-ci rectifia :

« Docteur Bosch s’il vous plaît. »

Le marchand de biens serra les dents pour ne pas répondre.

« Je souhaiterais que vous estimiez le prix d’une maison d’un de mes patients qui risque fort malheureusement de rester ici pour le restant de ses jours. »

Il ajouta :

« Je voudrais être sûr de sa solvabilité. »

Antoine attendit la suite.

« Vous devez sans doute connaître le presbytère du Vert, une ancienne bastide du XIIe siècle. »

« En effet, belle demeure à l’écart du village avec un, comment dit-on chez vous, un “jardin de curé” je crois devant la bâtisse, et un bois qui descend jusqu’au ruisseau derrière. Pour pouvoir l’estimer exactement, il faudrait que je puisse visiter l’intérieur. »

Il précisa :

« Elle appartient à l’abbé Foulques si je ne me trompe pas. »

Bosch observait Lubbéry pendant qu’il parlait. Cet homme lui déplaisait, trop grand, trop baraqué, cette allure désinvolte, et cette belle assurance qui se dégageait de toute sa personne. Il détestait se sentir inférieur, ça lui rappelait les moqueries et les sévices qu’il avait endurés au cours de sa scolarité par des types de son acabit.

Il répondit, agacé.

« Je suis un ami proche de l’abbé et il m’est très difficile de parler argent avec lui. Je suis son médecin traitant, mais je ne suis pas un philanthrope, j’ai du personnel à charge, vous comprenez. Si vous pouviez le convaincre de la nécessité de vendre sa maison, je saurais me montrer généreux. »

Antoine Lubbéry trouva les explications du médecin un peu alambiquées. Il connaissait bien ses semblables et leurs mauvais travers, ce type dissimulait à n’en pas douter, des intentions inavouables.

Il décida de jouer le jeu, la chandelle en valait la peine et malgré son attitude supérieure, ce genre de bonhomme ne l’impressionnait pas du tout.

« Je veux bien essayer. Où puis je trouver l’abbé Foulques ? »

« Je vous accompagne. »

« Non, je préfère lui parler seul à seul, j’ai l’habitude de traiter avec des personnes âgées, en général j’inspire confiance.

Bosch pensa que ce n’était pas la première qualité qu’il lui aurait trouvée, mais il devait se rendre à l’évidence, ce type lui foutait la trouille. Avait-il eu raison de lui confier cette délicate mission ? »

Il n’insista pas et appela sa secrétaire.

« Martine, conduisez monsieur Lubbéry auprès de l’abbé Foulques, je l’ai vu sur le banc près de l’étang. »

Elle se tourna vers le visiteur et lui demanda de la suivre.

Dès qu’ils furent dehors, elle l’avertit.

« Monsieur l’abbé perd la raison, ne faites pas attention s’il vous prend pour un autre, parfois il peut se montrer charmant avec ses interlocuteurs, d’autres fois non, il a ses têtes. Il lui arrive souvent de rester silencieux, surtout avec le docteur. »

Ils traversèrent une pelouse impeccablement coupée, parsemée de massifs de tulipes multicolores. Çà et là des bancs étaient occupés par des vieux plongés dans leurs souvenirs, en regardant l’horizon l’air hagard.

Près du lac, recouvert de nénuphars et de plantes aquatiques, un homme âgé, vêtu d’une soutane noire, jetait de la mie de pain à des pigeons qui s’envolèrent à leur approche.

Il tourna la tête et dès qu’il vit l’infirmière, il l’abreuva d’injures.

« Hors de ma vue sorcière, fille du diable, sodomite… »

Elle secoua les épaules.

« Je vous laisse, dès qu’il voit une femme, une fois sur deux, il l’insulte. Ne vous en faites pas pour moi, j’ai l’habitude de ses sautes d’humeur. »

Elle repartit, Antoine l’entendit jurer entre ses dents…

« Vieux débris. »

Il s’assit à côté du curé et attendit qu’il se calme.

L’ecclésiastique regarda la jeune femme s’éloigner puis il lui prit le bras.

« Ça fait longtemps que vous n’êtes pas venu, monseigneur. »

Surpris, il laissa l’abbé dans sa confusion, intéressé de connaître la suite.

Foulques lui raconta comment et pourquoi il avait ressuscité la confrérie blanche, pour obtenir sa réhabilitation au sein de l’Église catholique, et vous restituer le trésor.

Lubbéry prit un certain temps à comprendre qu’il parlait de lui pour cette dernière volonté.

L’abbé souffla un moment avant de reprendre sa logorrhée. Il conta ensuite l’histoire de ces quatre frères injustement accusés par son aïeul, il était persuadé que bientôt il apporterait la preuve de leur innocence.

Il regarda à droite et à gauche puis reprit dans un murmure.

« Méfiez-vous de Bosch, c’est un pédophile notoire. J’ai la preuve de toutes ses turpitudes. Il veut récupérer les documents que j’ai amassés depuis des années pour prendre ma place, mais il n’y a que vous monseigneur qui en êtes digne. Vous seul saurez trouver le trésor que les hérétiques vous ont volé. »

Antoine Lubbéry aurait bien posé la question qui lui brûlait les lèvres ; qui étaient ces fameux hérétiques, mais il craignait d’interrompre le curé et qu’il ne se retranche dans un silence fâcheux.

Même s’il doutait de la véracité de cette histoire, il imaginait très bien ce qu’il pourrait tirer de ces révélations.

À bout de force l’abbé lui glissa dans la main une clé USB.

« Vous trouverez là, toutes les réponses aux questions que vous vous posez. »

Lubbéry rangea la clé dans la poche de son pantalon et sortit une liasse de papiers de sa sacoche.

« Avant que je parte, il faudrait que vous signiez ces papiers. »

Il lui tendit un stylo, dans un dernier effort, l’abbé parapha et signa les documents présentés par l’agent immobilier. Il venait de signer son arrêt de mort. Antoine Lubbéry allait se servir de ces documents dûment signés, pour accaparer tous les avoirs de l’ecclésiastique, ainsi que ses lourds secrets.

Une infirmière apparut à l’autre bout du pré qui entourait l’étang.

« Monsieur, vous voulez bien raccompagner l’abbé au réfectoire, le repas est servi. »

Antoine lui fit un signe d’approbation, mais au lieu d’aider le vieillard à se lever, d’une poigne ferme, il lui bloqua les carotides.

L’abbé essaya de se dégager et dans un dernier moment de lucidité le rabroua vertement.

« Qui tu es toi, tu veux me tuer, messager du diable. »

Il hurla avant de s’affaisser lourdement au sol. L’infirmière alertée par le cri lugubre du curé se retourna, en courant, elle rejoignit Antoine qui essayait vainement d’asseoir le vieux curé sur le banc. Elle tâta le pouls de l’abbé ; puis plaça deux doigts sur la carotide du vieillard, elle fit un signe négatif de la tête. L’abbé Foulques avait cessé de vivre.

Antoine Lubbéry s’éloigna sans un dernier regard pour celui qui venait sans le savoir donner à sa vie une nouvelle direction.

La recherche du trésor de Simon de Montfort deviendrait son activité principale, avec l’aide de la confrérie blanche, il ferait tout pour arriver à ses fins. Il allait poursuivre l’œuvre de l’abbé avec plus d’exigence et soumettre ses membres à une discipline de fer, à une obéissance absolue.

Son premier souci, s’occuper du docteur Bosch, obtenir son silence ou l’éliminer s’il ne se montrait pas coopératif, il devait effacer toute trace de son passage.

Il se rendit directement à son agence où il visionna sur son ordinateur les documents transmis par l’abbé.

Ce qu’il découvrit, dépassa de loin tout ce qu’il avait imaginé.

Chapitre 1

Marie fixait la photographie de son père qu’elle avait récupérée à l’université du Caire, et qui s’affichait maintenant sur l’écran de son ordinateur. Qui se cachait derrière ce regard profond, à la fois insondable et si mélancolique. Un idéologue du GIA, dont les prêches incendiaires avaient embrasé l’Algérie dans une guerre civile sanglante à la fin du XXe siècle, ou un brillant universitaire fourvoyé dans une approche d’un islam radical mortifère, inconscient des conséquences sanglantes de celui-ci. Comment le savoir, aujourd’hui, plus personne ne voulait parler de cette période noire, la réconciliation nationale l’avait recouverte d’une chappe de plomb.

La seule vérité si jamais il y en avait une, c’était l’amour démesuré et interdit qu’il avait éprouvé pour sa mère, dont elle était le fruit. Il en avait découlé une enfance solitaire et inadaptée dans un monde qu’elle avait bien du mal à appréhender. De sa mère, elle ne possédait qu’une photographie floue, au papier fripé tellement elle l’avait caressée, le visage d’une femme très belle sans passé ni avenir.

Tous les deux avaient été exécutés sans aucun procès par d’autres fanatiques pour expier un crime de trahison qu’ils n’avaient pas commis. Ils avaient été punis en vérité de s’être aimés en dehors des conventions d’un pays en proie, à l’époque, à un obscurantisme délétère, et d’un personnage maléfique d’une jalousie maladive. Élevée par une pseudotante qui ne lui avait jamais exprimé la moindre affection, Marie s’était réfugiée dans le sport et les études où elle excellait sans jamais se départir de ce détachement ineffable qui troublait les gens qui la côtoyaient. Ils prenaient souvent son attitude pour de l’arrogance alors que ce n’était qu’une incapacité à communiquer avec autrui.

Elle referma son ordinateur. Il était temps pour elle de tourner la page et de reprendre le cours normal de sa vie. La mise à pied d’un an, et sa rétrogradation au rang de capitaine, infligées par sa hiérarchie, à la suite de sa dernière enquête, puis son intégration comme enseignante en criminologie à l’université Paris VI, grâce à l’intervention du nouveau responsable de la section recherche au sein de L’IRCGN touchait à sa fin. Sa probité et son abnégation à découvrir coûte que coûte toute la vérité l’avaient amenée à déroger aux règles d’une stricte obéissance, et ses chefs, à la sanctionner. Elle réintégrerait bientôt son poste au sein de l’institut et pourrait de nouveau faire ce pour quoi elle était douée, traquer les criminels.

Elle débrancha son PC. Pour se changer les idées, elle enfila un survêtement et ses runnings pour un footing le long du chemin de halage qui bordait l’Oise, dont elle avait fait le lieu privilégié de son entraînement matinal.

Marie s’engageait à fond dans tout ce qu’elle entreprenait, sans se soucier des risques qu’elle courait. Elle affrontait les difficultés avec une froide détermination, ce qui lui avait permis de surmonter certaines situations compliquées, parfois douloureuses, comme ce jour funeste où ses rêves d’olympisme s’étaient définitivement envolés dans cette tentative de viol qu’elle avait subie au cours d’un stage de l’équipe de France junior d’athlétisme. Ce drame l’avait définitivement transformée et influencée sa manière de voir le monde et son avenir.

Elle avait troqué la tenue d’athlétisme pour des gants de boxe dans une salle obscure, où à force de travail, elle s’était forgé un corps de « destruction masculine » comme elle aimait le dire. Après un doctorat d’histoire et un master en science du comportement, elle avait passé avec succès le concours d’entrée de l’école des officiers de la gendarmerie nationale. Sortie major de sa promotion avec des appréciations dithyrambiques de ses instructeurs, elle avait rejoint l’UNIC au sein de l’IRCGN de Pontoise bien décidée à s’imposer dans ce milieu machiste et à se faire respecter. Promue à vingt-neuf ans au grade de commandante, à la suite de plusieurs affaires sensibles résolues, elle avait été rétrogradée lors de la dernière en date, celle très médiatisée, de l’assassinat du député du Mail, futur candidat à l’élection présidentielle. La façon très personnelle dont elle avait mené cette enquête lui avait valu les foudres de ses supérieurs. La première des règles en vigueur dans la gendarmerie était l’obéissance, elle avait dérogé plusieurs fois à celle-ci.

Marie se croyait atteinte d’haptophobie, elle ne supportant aucun contact humain, si ce n’était qu’au travers de coups échangés sur un ring. C’est au cours de cette enquête qu’elle avait aussi découvert la vérité sur ses géniteurs et sur celui qui, en coulisses, suivait son parcours depuis son plus jeune âge. Le colonel Servail, ancien officier supérieur des services secrets français, avait été à l’origine de tous ses malheurs et paradoxalement de toutes ses réussites.

Des sentiments contradictoires avaient ébranlé ses convictions profondes, ce qui l’avait amenée à revoir ses positions sur beaucoup de choses, tant sur le plan professionnel, que sur le plan de sa vie personnelle.

Marie avait profité de son repos forcé pour tenter de démêler le vrai du faux dans la vie de sa mère. Qui était-elle vraiment ? Une Mata Hari ou une femme romanesque, qui avait choisi l’amour à son devoir, une histoire ordinaire, souvent décrite dans les drames de Racine et de Corneille, si elle n’avait pas fini dans un bain de sang. Les preuves sur sa véritable identité avaient été détruites, pour protéger ce qu’ils appelaient pudiquement un secret d’État. Elle avait tout essayé pour obtenir des éléments susceptibles de l’aider dans sa quête identitaire, mais on lui avait fait comprendre que pour la suite de sa carrière, il valait mieux en rester à ce qu’elle savait déjà. Elle devait se reconstruire avec le peu qu’elle avait appris, accepter son sort tel qu’il était, et faire avec.

Elle venait à peine de rentrer de son footing, lorsque son téléphone sonna. C’est avec une certaine appréhension qu’elle décrocha. Elle reconnut immédiatement la voix enrouée de son interlocutrice, la secrétaire de son nouveau chef, le colonel Henry.

« Bonjour capitaine, le colonel désire vous voir dans son bureau le plus rapidement possible, c’est-à-dire dans un quart d’heure. »

Marie n’eut pas le temps de répliquer qu’elle rajouta avec sa gouaille habituelle.

« Finies les vacances, capitaine, retour au bercail et fissa ! »

Elle raccrocha aussitôt.

Marie appela un taxi.

Après s’être douchée, elle s’habilla d’un jean slim bleu foncé, d’un pull à col roulé en cachemire gris clair, et se chaussa d’une paire de santiags marron, puis elle attacha ses longs cheveux en une queue de cheval classique, qu’elle coiffa d’une casquette de base-ball des Dodger’s. Avant de sortir, elle enfila sa vieille parka vert-de-gris et descendit quatre à quatre les deux étages de son immeuble. La vie reprenait son cours. Le taxi l’attendait déjà devant son domicile. Elle s’engouffra dans le véhicule. Elle n’eut pas à donner l’adresse au chauffeur qui la connaissait bien.

« Comme d’hab’ commandante, le plus vite possible, je suppose. »

« Affirmatif Christophe. »

Chapitre 2

David Bertrand n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il n’était pas habitué à manger autant le soir, il avait sans doute abusé du sancerre qu’il avait acheté le matin même dans l’épicerie fine du vieux Sicard. Il revoyait la tête du bonhomme quand il avait sorti le billet de cent euros flambant neuf pour le payer.

Pour les habitants du Bourg, il n’était qu’un marginal, un érudit farfelu, inapte au travail, un fauché inutile et un peu lourdingue. Quand il essayait de leur parler, ils le fuyaient comme la peste, prétextant toujours qu’ils avaient autre chose de mieux à faire. Seul le libraire, Thomas Deguels, l’écoutait avec bienveillance, sinon avec intérêt. Il l’employait parfois à la librairie pour classer des manuscrits anciens, une spécialité de cette très vieille librairie. Thomas lui permettait en outre d’assouvir gratuitement sa passion de la lecture. Le libraire n’avait pas posé la moindre question lorsqu’il y a six mois de ça, David lui avait commandé « l’épopée cathare » de Michel Roquebert, et surtout, il l’avait achetée cash. Thomas n’était pas d’un naturel curieux, il avait toujours respecté l’attitude parfois farfelue de son ami, sans se soucier de ce que pouvait penser la majorité des gens du coin.

Depuis sa fabuleuse découverte, David qui dormait avant comme un loir avait aujourd’hui bien du mal à trouver le sommeil. Une foule de questions le taraudait, en premier lieu, comment garder sa trouvaille secrète et surtout comment écouler discrètement les pièces rares qu’il possédait désormais. Il ne pouvait pas effectuer ses recherches sur l’ordinateur de son employeur, au risque de laisser des traces, il avait donc choisi de les faire au café informatique de la ville voisine. Une fois connue la valeur exacte des deniers Philippe Auguste qui constituaient la majeure partie de son magot, il s’était rendu à Toulouse pour négocier la vente de quatre d’entre eux. Il avait choisi un numismate du quartier des antiquaires, près de la place Saint-Georges. Pour justifier cette vente, il avait inventé l’histoire d’un vieil oncle, collectionneur de monnaies anciennes dont il venait d’hériter. Il avait donné un faux nom et une fausse adresse au commerçant, qui l’avait cru sur parole, du moins c’était l’impression qu’il avait eue. Ces pièces se négociaient aux alentours de mille euros chacune, le numismate lui en avait offert la moitié en liquide. Il avait bien essayé de marchander, mais en définitive, il avait accepté, trop heureux que la transaction se soit déroulée aussi facilement.

Il n’y avait pas dix minutes qu’il s’était couché, qu’il se leva pour boire un verre d’eau, décidément l’omelette aux cèpes et le foie gras ne passaient pas. Lui qui dînait le plus souvent d’une soupe de légumes et d’un fruit, ces agapes nocturnes lui restaient sur l’estomac.

Il entendit soudain un bruit de vitre qui se brisait. Depuis quelque temps, il devenait un peu parano et il fermait soigneusement toutes les portes et les fenêtres à double tour. Il prêta l’oreille, mais rien d’anormal ne se produisit. Il mit ça sur le compte de son indigestion et alla se recoucher. Devenir riche ne lui réussissait pas tant que ça, il devenait insomniaque et suspicieux. Lui qui menait une existence tranquille, sans se soucier de l’avenir ni du regard réprobateur d’autrui, il regrettait parfois de s’être lancé dans cette aventure peu banale. Malgré ces petits désagréments, il vivait ça comme une forme de revanche sur ces villageois incultes qui ne voyaient en lui qu’un être asocial et inadapté. Lui qui connaissait la grande et la petite histoire du Bourg mieux que personne, il allait leur clouer le bec.

Il commençait à s’endormir lorsqu’il entendit un bruit de pas dans l’escalier qui menait de la cave à l’étage.

Il se leva puis il se dirigea vers la pièce qui lui servait à la fois de bureau et de salle à manger pour prendre un couteau. Il s’avançait dans le couloir qui desservait le sous-sol, lorsqu’il reçut un violent coup sur le crâne. Tout devint noir et il s’écroula lourdement au sol.

Il reprit ses esprits lentement. Sa tête le faisait atrocement souffrir, il voulut toucher son cuir chevelu pour examiner la bosse qu’il sentait grossir, quand il constata avec horreur qu’il était attaché sur une chaise dans l’impossibilité de bouger. Malgré la douleur qui lui taraudait la cervelle, il releva doucement la tête, il aperçut alors deux silhouettes qui fouillaient les tiroirs de la commode. Les types se retournèrent et voyant qu’il se réveillait, s’avancèrent vers lui sans se presser. Il essaya de se dégager, mais les liens qui le retenaient lui sciaient les poignets dès qu’il bougeait.

Le plus grand des deux inconnus se plaça devant lui et lui asséna une gifle magistrale qui le déséquilibra, il se retrouva sur le plancher, à moitié sonné. Le deuxième individu le releva et lui susurra à l’oreille.

« Excuse mon frère, il ne connaît que la violence, mais si je peux te donner un conseil d’ami, car je suis ton ami n’est-ce pas ? Réponds à toutes ses questions et tu mourras vite, sans souffrir, sans haine, même apaisé d’avoir délivré ta conscience. Tu sais que “bien mal acquis ne profite jamais”, tu comprends de quoi je veux parler. »

David regarda son interlocuteur pour mettre un nom sur ce visage qui ne lui était pas inconnu, mais dans cette semi-obscurité, il ne distinguait qu’une ombre confuse, difficile à identifier. Puis le souvenir lui revint, il l’avait croisé quand il sortait de chez l’antiquaire à Toulouse, et que l’autre entrait dans la boutique. Tout devint plus clair, ces types étaient en cheville avec le commerçant, ils l’avaient suivi jusqu’ici. Il fournissait un effort pour analyser la situation et ses chances de s’en sortir vivant, mais sa tête lui faisait un mal de chien, elle refusait de réfléchir.

Celui qui venait de lui parler gentiment lui envoya un puissant crochet au menton qui lui fit perdre une nouvelle fois connaissance. Sa lèvre inférieure se fendit sous le choc, un liquide visqueux et chaud coula sur son menton qui se mit à enfler immédiatement. Il émit un hoquet sinistre, le sang qui s’écoulait maintenant dans sa gorge faillit l’étouffer. Il toussa bruyamment et se tordit sur sa chaise. Ses tortionnaires lui laissèrent le temps de récupérer avant de reprendre leur interrogatoire.

« Où as-tu caché le trésor ? Dis-le-nous vite ou tu vas souffrir le martyre, mais toi tu ne seras pas canonisé ! »

Il s’esclaffa d’un rire gras lugubre sans l’ombre du moindre humour, avec l’assurance de celui qui sait comment tout ça va se terminer.

C’était mal connaître David, il était têtu et quand il se savait dans son bon droit, il ne lâchait jamais rien, c’était peine perdue d’avance.

Son calvaire dura une bonne partie de la nuit. Ils l’achevèrent, écœurés, fatigués devant cette résistance hors du commun. Par pur sadisme et comme ils l’avaient vu faire dans une vidéo récente, ils le crucifièrent sur la porte de la cave.

Ils retournèrent en vain le reste de la maison sans trouver le moindre indice ni un seul document pouvant les mettre sur la voie.

Chapitre 3

Marie frappa à la porte du secrétariat du colonel Henry, à peine une demi-heure après le coup de fil qu’elle avait reçu

La major Anne Delmas la pria d’entrer.

« Capitaine, je savais que vous étiez une grande sportive, mais là, vous battez tous les records. »

Elle ajouta avec un grand sourire.

« Je suis ravie de votre retour. Allez-y, il vous attend. »

Marie la remercia et pénétra dans le bureau où l’attendait son supérieur, debout devant la fenêtre qui donnait sur la place d’armes.

Elle se mit au garde-à-vous.

Il la regarda un moment avant de lui rendre son salut.

« Asseyez-vous commandante, je vous en prie. »

Marie fut surprise qu’il la gratifie d’un grade qui n’était plus le sien, mais comme à son habitude, elle resta imperturbable.

Rien n’avait changé dans cette pièce hormis les photos qui ornaient les murs gris, des paysages de montagnes enneigées avaient remplacé ceux des plages ensoleillées de la Corse natale de son ancien chef, le colonel Corti.

Le colonel, devant son manque de réaction, se souvint de ce que lui avait dit Corti en partant : que cette femme l’avait toujours mis mal à l’aise, avec son regard insondable et dénué de toute émotion. Il n’était pas loin d’éprouver la même chose. Il se racla la gorge et enchaîna.

« Une personne en haut lieu, estime que votre mise à l’écart ne se justifie plus et que votre dernière enquête a été déterminante pour sauver les fondements mêmes de notre république. Je tiens à préciser que je partage cette opinion, que je suis particulièrement satisfait que vous repreniez votre poste et bien sûr votre grade de commandante. »

Il ajouta :

« J’espère que vous comprenez la confiance qui vous est accordée et que vous saurez vous montrer digne d’une telle décision, ce dont je ne doute pas. »

Marie attendait la suite, impassible.

Le colonel jeta un coup d’œil vers sa subordonnée qui n’avait toujours pas bougé durant son discours, comme si ce qu’il venait de dire ne la concernait pas.

« J’ai lu dans votre dossier que vous aviez obtenu un doctorat en histoire et que votre thèse portait sur le moyen âge. »

Marie précisa :

« Croyances et coutumes au moyen âge précisément, monsieur. »

« Parfait, parfait, vous êtes donc la personne idoine pour cette affaire particulièrement sordide qui vient de nous être confiée. Le capitaine Agosti a fait appel à nos services et à vous en particulier, il vous tient en grande estime. »

Marie semblait absente. L’évocation du capitaine Agosti la ramenait plus d’un an en arrière, à sa dernière enquête et à des souvenirs prégnants, et contradictoires. Les conséquences de cette affaire restaient encore très douloureuses pour elle et pour les personnes chères à son cœur, elles se comptaient sur les doigts d’une main.

Devant le mutisme de Marie, le colonel, décontenancé, se racla une nouvelle fois la gorge.

Comme il hésitait à poursuivre, elle demanda.

« Est-ce que la scène de crime a été préservée, monsieur ? Est-ce que le capitaine Martin et son équipe sont disponibles pour m’accompagner ? Où déjà ? »

Le colonel redoutait cette question, il craignait la réaction de Marie, mais il ne pouvait pas l’éluder plus longtemps.

« Au Bourg, un certain David Bertrand que vous avez peut-être déjà rencontré, a été retrouvé en début de matinée crucifié sur la porte de sa cave. Le capitaine m’a certifié qu’il avait sécurisé la zone et qu’il n’y avait sur place que la légiste, ils vous attendent. »

Il glissa sur son bureau une série de clichés prise sur les lieux du crime par les gendarmes.

Marie les consulta sans faire de commentaires, puis elle les rendit à son supérieur.

« Je ne connais pas le supplicié. Le mode opératoire est pour le moins singulier, vous n’auriez pas une loupe par hasard, monsieur ? »

Le colonel chercha dans le tiroir de son bureau et trouva ce qu’elle demandait.

Marie reprit un des clichés et l’observa attentivement.

Elle reposa la loupe sur la table et sans rien perdre de son flegme, elle regarda le colonel droit dans les yeux.

« Avez-vous remarqué le dessin sur le front de la victime ? »

Le colonel obtempéra. Il devina plus qu’il ne vit réellement une sorte de tatouage informe, incrusté dans la peau du front de la victime. Il releva la tête dubitatif.

« On dirait une griffure ou peut-être un tatouage, un… »

« Ou un sceau que les assassins auraient gravé sur leur victime, une signature, une première erreur. »

Le gendarme ne voyait pas très bien à quoi elle faisait allusion, mais il préféra se taire.

Elle sortit un calepin de sa poche, elle lui emprunta un crayon à papier, pour reproduire la figure tatouée sur le pauvre malheureux. Elle l’observa attentivement. Elle remit le carnet dans sa parka, satisfaite.

« Très intéressant mon colonel, cette figure héraldique est le sceau de Simon de Montfort, le chef des croisés pendant l’épopée albigeoise, honni des cathares, adulé par l’église. Demandez s’il vous plaît au capitaine que la légiste nettoie la plaie et nous envoie un calque de ce dessin pour confirmation. »

Le colonel était admiratif, cependant il lui fit remarquer.

« Je ne vois pas bien le lien entre ce crime sordide, sûrement crapuleux, avec votre constatation commandante. »

Marie explicita sa perception de l’affaire.

« Le Bourg a été le lieu d’exaction, pillages, viols, bûchers, lors du passage de Simon de Montfort durant cette période. Les murailles du village ont été rasées, la tour décapitée, les gens du pays soumis à une inquisition drastique. Dans la mémoire collective, c’est resté longtemps comme une blessure, les gens du nord étaient perçus alors, comme des envahisseurs. Bienvenue dans la France du moyen âge. »

Elle ajouta :

« La crucifixion fait également penser à un rituel religieux ou sectaire. »

Le colonel restait dubitatif et perplexe. La commandante avait-elle bien compris ce qu’il lui avait dit, il ne voulait pas que cette enquête parte dans tous les sens.

« Monsieur, je comprends votre inquiétude à mon sujet, même si revenir au Bourg sera douloureux, cela ne me posera aucun problème, je place mon devoir au-dessus de mes sentiments. Le capitaine Agosti me connaît bien et il sait que rien ni personne ne pourrait contrecarrer mon engagement dans une enquête. »

« De votre professionnalisme, je n’ai jamais douté, ce sont plutôt les ramifications possibles dont vous semblez évoquer les possibilités, qui me font peur… »

Marie s’étonna de cette remarque.

« Monsieur, rassurez-vous, il y a bien longtemps que les gens du village ont oublié cet épisode sanglant de leur histoire, je parlais de quelques énergumènes qui pourraient encore le ressusciter dans des confréries passéistes. J’ai simplement noté un détail intéressant dont il faudra peut-être tenir compte le moment venu. Ça ne préfigure absolument pas la suite de cette affaire. J’en saurai un peu plus quand j’examinerai la scène de crime. »

Le colonel se félicitait d’avoir insisté auprès de sa hiérarchie pour réintégrer la commandante afin de lui confier cette mission. Par ses connaissances de cette période, elle était la plus apte à démêler le vrai du faux, et surtout à ne pas se laisser influencer par de fausses pistes, comme cette marque, un détail sûrement insignifiant.

« Parfait, j’organise votre transfert en hélicoptère, rendez-vous sur le parvis dans une heure. »

Marie se leva et le salua impatiente de retrouver enfin le terrain, et aussi, sans l’admettre vraiment, revoir Thomas Deguels.

Elle regagna son appartement pour récupérer ses affaires et quelques ouvrages pour rafraîchir ses souvenirs de cette période.

Pendant le trajet, elle téléphona au capitaine Agosti de venir les chercher au stade du Bourg en fin de matinée, elle lui rappela surtout qu’il demande à ses hommes de sécuriser la scène de crime.

La voix enrouée du capitaine résonna.

« À vos ordres, cheffe, je suis content que vous soyez de nouveau parmi nous. »

Elle allait raccrocher quand elle rajouta ironiquement.

« Dominique tenez-vous loin de moi, attention danger. »

Il lui répondit sur le même ton.

« Ça ne risque pas, commandante, j’ai déjà donné. »

Il rajouta :

« J’ai hâte de voir comment vous allez faire cette fois-ci pour vous mettre à dos vos collègues et les autochtones, enfin ceux qui restent après votre premier passage. »

Il mit fin à la communication avant que Marie ne puisse lui répondre. Il éclata de rire.

Les ennuis ne faisaient que commencer, de ça, il en était certain, la commandante Collins avait un don pour les attirer, mais dans son for intérieur, il était ravi de la revoir et de retravailler avec elle. Il était conscient et intimement persuadé qu’il n’avait pas l’étoffe pour résoudre cette affaire.

Chapitre 4

Le soleil pointait à l’horizon lorsque les deux tortionnaires regagnèrent l’appartement sordide qu’ils occupaient rue Bouquiéres dans le quartier des Carmes à Toulouse. Les deux malfrats, frères de surcroît, avaient débuté tôt dans la délinquance en vendant de la drogue dans le lycée où étudiait Kevin, le plus petit, mais surtout le plus intelligent des deux. Puis, grâce à Mickaël dont la force physique était inversement proportionnelle à ses capacités intellectuelles, il avait permis à Kévin de se tailler un petit territoire dans le quartier Saint-Michel, en éliminant la concurrence. Leur aventure mafieuse avait pris fin le jour où ils avaient agressé un vieux juif de la rue Pelaprat. Ils l’avaient suivi jusque chez lui, puis ils l’avaient roué de coups pour qu’il avoue où il cachait son argent. Le malheureux vivait chichement et sa fortune ne dépassait pas les cinquante euros qu’il gardait précieusement pour les courses de la semaine. Arrêtés, ils avaient été condamnés à cinq ans de prison, peine assortie de deux années supplémentaires pour crime antisémite. C’est à leur sortie de prison que leur vie avait basculé dans un autre monde, plus glauque encore. L’avocat qui avait été commis d’office pour les défendre lors de leur procès les attendait sur le parvis devant l’établissement pénitentiaire. Sans leur dire un mot, il leur remit une enveloppe et disparut aussitôt comme s’il venait de pactiser avec le diable.

Kevin arracha la lettre des mains de son frère et la décacheta sans ménagement. À sa grande surprise, elle contenait une liasse de billets de cent euros et un message qu’il ne lut même pas, trop pressé de se rendre rue Bayard où il connaissait un bordel clandestin. Il invita Mickaël à le suivre, mais le mit en garde.

« Je t’avertis Micka, tu te tiens tranquille même si elles se foutent de ton sexe. Capito. »

Mickaël trop heureux que son frère l’emmène avec lui accepta le deal sans broncher.

S’il possédait des mensurations physiques exceptionnelles, Mickaël sexuellement et intellectuellement n’avait pas dépassé le stade de la petite enfance. Leur dernière sortie dans une maison close s’était terminée dans une échauffourée sanglante. Kevin avait dû donner des gages sonnants et trébuchants au patron de l’établissement pour étouffer l’affaire, depuis il sortait seul dans ce genre d’endroit.

L’après-midi se passa sans problème, Kevin décida alors, qu’il était temps de se restaurer. Ils se rendirent dans une pizzeria de la place Wilson et une fois rassasiés, ils profitèrent du soleil qui inondait la ville pour se balader dans les vieux quartiers. Ils s’arrêtèrent rue du Taur pour s’acheter quelques vêtements, avant de regagner leur domicile, les poches vides. Kevin n’était pas incrédule, il savait que rien n’était gratuit, et qu’il était temps de prendre connaissance de la contrepartie de cette surprenante générosité.

Le contenu du message était pour le moins succinct ; un lieu et une heure sans autre explication. Il regarda son frère perplexe, rien ne semblait le toucher, il dormait déjà comme un bébé sur le grabat qui lui servait de lit. Il s’allongea à son tour sur le canapé du salon, le rendez-vous étant fixé à minuit, un peu de repos lui ferait le plus grand bien.

À l’heure dite, ils se rendirent devant la boutique William, rue de Metz, où les attendaient deux individus à la carrure imposante, le visage caché par un masque chirurgical. Le plus baraqué des deux leur fit signe de les suivre. Avant, ils leur bandèrent les yeux et les poussèrent sans ménagement dans une des ruelles adjacentes. Kévin tentait vainement de se situer, mais les types n’étaient pas dupes, ils les firent tourner sur eux-mêmes avant de poursuivre leur chemin. Cinq minutes seulement venaient de s’écouler lorsqu’ils s’arrêtèrent devant une porte cochère qui s’ouvrit sans qu’ils eussent à frapper. Un détail que Kevin retint, une caméra devait surveiller l’entrée.

On enleva leur bandeau, et une voix qui semblait sortir d’outre-tombe les pria d’avancer. Ils descendirent un escalier qui sentait l’humidité et le salpêtre. Celui-ci débouchait sur une salle voûtée, éclairée faiblement par des torchères accrochées au mur de briquettes roses. De part et d’autre de la pièce, se trouvaient des stalles de bois verni où se tenaient debout, des personnes cagoulées et vêtues d’une tenue blanche. Les deux frangins n’en menaient pas large, mais Kevin, par bravade, s’exclama.

« Qu’est-ce que c’est ce cirque, on est au Klu klux klan ou chez les barjots du coin ! »

Un homme sortit de l’ombre, lui aussi portait une chasuble blanche ornée sur la poitrine d’un écusson en forme de lion rouge à la queue fourchue, il s’avança et se planta devant eux.

« Taisez-vous ignobles individus et mettez-vous à genoux pour prononcer vos vœux d’obéissance devant notre confrérie ou bien sortez d’ici et gare à vous si vous racontez à quiconque ce que vous avez vu ce soir. »

Kevin regarda son frère qui était fasciné devant ce spectacle, il réfléchit aux conséquences s’il décidait de partir. Il avait l’intime conviction que leur vie ne vaudrait pas grand-chose, ces gens-là n’avaient pas l’air de plaisanter, il valait mieux obtempérer, il serait toujours temps de reprendre sa parole.

L’homme les observa puis il leur demanda de répéter après lui.

« Je jure devant notre confrérie ici réunie, une obéissance inconditionnelle à notre commandeur, je m’engage à ne jamais dévoiler son existence, même sous la torture et au prix de ma vie s’il le faut. »

Il ajouta :

« Vous bénéficierez de ma protection et d’une aisance financière à partir de ce soir. »

Après un moment de recueillement où tous les membres de l’assemblée psalmodièrent des cantiques à la gloire de Dieu, le commandeur intervint de nouveau d’une voix caverneuse.

« Maintenant, regardez bien cette vidéo.

La pièce sombra dans le noir et sur le mur du fond peint en blanc, un film défila. Un pauvre type hurlait sous la torture qu’il subissait, il priait qu’on l’achève. Il fut crucifié vivant.

Mickaël regardait sans bien comprendre, mais Kévin, pourtant dénué de la moindre compassion pour autrui, connut un moment de panique et d’effroi devant ce spectacle d’une rare cruauté.

Alors des stalles, comme un chœur antique, les coreligionnaires entamèrent un chant à la gloire du commandeur, puis lentement, ils quittèrent la salle.

Resté seul, l’homme leur demanda de se relever.

« Pour vous je suis “le commandeur”, votre maître et le seul à qui vous devrez rendre des comptes, n’essayez jamais de savoir qui je suis, ni où se trouve ce lieu. Vous avez vu ce qui arrive à celui qui me désobéit. Voilà votre première mission ; vous irez contacter tous les brocanteurs, antiquaires,

numismates de la région et exiger d’eux qu’ils vous informent de toutes les transactions de pièces ou d’objets rares du moyen âge. Je suis certain que vous saurez vous montrer persuasifs, pour vous aider dans vos démarches, je vous fournirai pour la plupart d’entre eux, certains détails gênants sur leurs misérables existences, uniquement pour le cas où ils se montreraient récalcitrants. Vous avez carte blanche, je veux que dans ce milieu, on sache que vous ne plaisantez pas. »

Il sortit une enveloppe de sous sa chasuble et la tendit à Kevin.

« C’est votre salaire mensuel, à partir de maintenant vous ne travaillez plus que pour moi, plus de bêtises et une discrétion absolue. Pour chaque mission, vous trouverez un portable dans votre boîte aux lettres de votre nouvelle adresse que voici, vous le détruirez une fois les instructions prises. Rien ne doit subsister de nos transactions. Pour justifier de votre train de vie, vous prétendrez avoir hérité d’un vieil oncle riche. Tous les papiers officiels sont dans ce dossier au cas où les flics vous chercheraient des noises, mais cela m’étonnerait beaucoup. Mes hommes vont vous raccompagner. »

Il disparut par une porte dérobée qui s’ouvrit à l’arrière de la pièce.

Les deux sbires qui les avaient récupérés rue de Metz, leur remirent les bandeaux et par un autre chemin, les ramenèrent devant la même boutique.

Mickaël qui n’avait rien compris et qui était resté silencieux jusque-là demanda à son frère des explications sur ce que ces types attendaient d’eux.

Kevin souffla.

« Te taire et m’obéir comme d’habitude. Tu ne parles à personne de ce que tu as vu ce soir, un point c’est tout. Capito. »

« Capito Kevin. »

Chapitre 5

L’hélicoptère atterrit sur le stade du Bourg en fin de matinée. Le capitaine Agosti et un jeune lieutenant que Marie ne connaissait pas les attendaient à leur arrivée. Marie trouva le capitaine changé, il avait perdu du poids et sur son visage les stigmates de l’alcool et de la cigarette avaient pratiquement disparu, il paraissait aussi plus grand que dans son souvenir.

« Vous avez bonne mine Dominique, le séjour en maison de repos vous a fait le plus grand bien ou avez-vous enfin décidé de vous amender ? »

Le capitaine ne répondit pas immédiatement. Il était toujours impressionné par la beauté de la jeune femme et cette faculté qu’elle avait de masquer ses sentiments, il n’aurait pas su dire si elle plaisantait ou si elle voulait se montrer simplement aimable.

« Merci commandante, un compliment de votre part fait toujours plaisir à entendre. Je vous présente le lieutenant Verdier. »

Marie le salua.

« Allons, messieurs, au travail. »

La commandante et les membres de l’équipe scientifique emboîtèrent le pas des deux gendarmes qui les conduisirent sur les lieux du crime, rue du tour de ville, la principale artère du Bourg qui coupait le village en deux parties, le quartier historique en haut et le nouveau bourg en bas.

Des hommes en combinaison blanche s’activaient déjà dans la maison pour recueillir des indices susceptibles d’aider l’enquête. Ils furent présentés à leurs collègues de l’IRCGN. Ils échangèrent les formules de politesse d’usage puis ils leur laissèrent le champ libre, après leur avoir confié les premiers échantillons récoltés sur place.

Marie intervint.

« Vous pouvez rester, nous avons besoin de tout le monde sur cette affaire, j’appelle la hiérarchie pour confirmation. Le capitaine Martin coordonnera les équipes d’investigation. »

Agosti félicita la commandante.

« Vous êtes devenue diplomate depuis votre repos forcé, un vrai miracle. »

Marie ignora cette petite pique.

« Où se trouve le cadavre et cessez de sourire niaisement capitaine. »

« Par ici cheffe, je vous préviens, ce n’est pas beau à voir. »