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"Du Danube au Sahel" relate l’histoire d’une famille expatriée, ayant quitté la Tunisie pour s’installer en France. À travers les épreuves, les moments de bonheur et les anecdotes vécues, le récit dévoile les raisons de leur départ et les défis rencontrés dans leur nouvelle vie. Quel sera le prochain chapitre de leur histoire après ces défis surmontés ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Psychologue de formation et éducatrice spécialisée,
Caroline Nataieff a mené une vie bien remplie. Passionnée d’écriture, elle est l’auteure de plusieurs romans, recueils de poèmes et scènes de théâtre. Son dernier ouvrage, "Du Danube au Sahel", s’inscrit dans cette continuité créative.
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Caroline Nataieff
Du Danube au Sahel
© Lys Bleu Éditions – Caroline Nataieff
ISBN : 979-10-422-2436-3
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De la même auteure
Éditions Blankas poésie
Éditions Aléas
Du sable plein les yeux, 1997, roman.
Éditions C.L.Y.M.A.
Âme de sorcière, 2002, poésie.
Édition J. André
Carré Trente, historique du théâtre « Le Carré Trente », 2010.
Il y a longtemps que j’y pense et que je n’arrive pas à m’y mettre.
Raconter l’histoire de mes parents, l’histoire de la famille, ou plutôt des familles.
La vérité, c’est que je ne sais pas par où commencer, il faudrait mieux dire par qui commencer. Je vais commencer par ceux de l’Est, par les Slaves.
Enfin, ce que j’en sais… et ça fait pas beaucoup, ça ne remonte pas bien loin…
Il y a longtemps que j’y pense et que je n’arrive pas à m’y mettre.
Oiser, ce que je sais de lui
Mon grand-père Oiser est né le 21 mai 1875. Il venait d’un shetel qui s’appelait, à l’époque Mihailévic, à 60 km d’Odessa. D’après ce que ma mère, sa fille, m’en a dit, c’était en Roumanie. Il y avait de nombreux pogroms, de persécutions en tous genres contre les juifs. Au moment de partir au service militaire, une rumeur persistante racontait qu’on y assassinait les soldats juifs, rumeur confirmée par un cousin qui avait pu s’enfuir. Oiser n’avait sûrement aucune envie de mourir. Il a pris son baluchon et le voilà parti à pied, à travers l’Europe pour rejoindre comme tant d’autres juifs, la France qu’ils imaginaient comme un fabuleux pays.
Qu’a-t-il vécu, qu’a -t-il ressenti ? Je me le suis souvent demandé. Qui était ce jeune homme qui allait droit devant lui, à travers tous ces pays qui devaient eux aussi lui être hostiles. Avait-il peur, devait-il se cacher ? J’imagine qu’il était soutenu, j’allais dire « galvanisé » par l’idée d’atteindre la France.
Au bout de ce long périple, et avec beaucoup de ses coreligionnaires jetés, comme lui, sur les routes, il arrive enfin à Paris. Avait-il un contact, était-il hébergé, comme maintenant, dans un centre d’accueil pour réfugiés ? Pour rester sur le sol français, il fallait sûrement accomplir un certain nombre de démarches administratives.
Ils étaient nombreux à patienter, en longue file, devant les guichets des services d’état civil. Ils ne parlaient pas français, le comprenaient très mal, peut-être se débrouillaient-ils un peu en allemand.
Oiser, lui, ne parlait pas du tout français, et ne comprenait pas ce qu’on lui demandait. Le préposé n’ayant pas de réponse, insistait de son côté en essayant d’en obtenir. Mais que comprenait réellement mon grand-père ? Certainement pas qu’on lui demandait son nom. Voyant que la situation s’enlisait, il fit une tentative pour s’en sortir. Au lieu de décliner son identité, il parla de son métier, il était tailleur pour hommes « schneider », en yiddish :
« Je tire l’aiguille », dit-il, sortant le peu d’allemand qu’il possédait. Aiguille se dit « Nadler », en allemand.
Dans le plus grand des malentendus, l’employé aux écritures du service d’état civil inscrivit dans son registre, nom : Nadler ; prénom : Oiser. En arrivant en France, Oiser né Meer est devenu Oiser Nadler.
Dans son roman Les eaux mêlées prix Goncourt 1955, Roger Ikor raconte la même histoire. Ils étaient nombreux, à l’époque à vivre la même expérience.
Oiser a dû travailler dans un atelier de tailleur. Il y avait une grande solidarité, dans la communauté qui réunissait tous ces émigrés venus des pays de l’est, et qui fuyaient les pogroms. Il a pu ainsi exercer son métier. Par la suite, en s’intégrant de plus en plus dans ce Paris tant espéré, il a réussi à monter son propre atelier, dans le 16e arrondissement, et a pu « tailler des costumes » à des messieurs issus de la classe sociale habitant ce quartier. D’après sa fille, il avait même habillé des ministres, ce dont elle était très fière. Légende ou réalité ? Peu importe, chacun peut croire ce qu’il veut. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il réussit à faire sa place dans le pays où il avait choisi de s’arrêter.
C’est donc à Paris qu’il rencontra Marie Dreyfus. Ils se marièrent à Paris le 17 mars 1902, et eurent 2 enfants : ma mère Estelle, née en 1904, et son frère Raymond. Son plus cher désir a été de devenir français. Ce bonheur ne lui fut jamais accordé, malgré ses efforts pour s’intégrer. Ma mère racontait souvent qu’à l’appel de mobilisation d’août 1914, il courut s’inscrire comme volontaire pour défendre la France. Il fut refoulé, car il n’était pas français. D’après ce qu’elle transmettait, il semble qu’il ait vécu ce refus comme une grave blessure.
Est-ce que ce long voyage à pied, pour venir en France, la pression constante pour fuir les pogroms en Roumanie a fragilisé sa santé ? Oiser est mort très jeune, à 49 ans d’un infarctus du myocarde foudroyant, le 4 avril 1932. Il a dit bonjour à sa fille, a contourné la table devant lui, et s’est écroulé. Ma mère avait 20 ans, elle était, semble-t-il, très attachée à son père.
Marie Dreyfuss
Elle est née à Sarreguemines, petite ville de Lorraine, le 14 décembre 1873. Elle a débarqué à Paris, en pleine affaire Dreyfuss, malgré sa formation d’institutrice, elle ne put être engagée nulle part.
L’écrivain et humoriste Tristan Bernard la prit à son service comme préceptrice de ses enfants. Marie racontait de nombreuses anecdotes à son sujet, que ma mère m’a transmises. Elle disait qu’il était malheureux en ménage, et que sa femme avait de nombreux amants.
« Qui vous amuse en ce moment ? » lui demandait-il.
Je ne sais où ni comment elle a rencontré Oiser. Ils se sont mariés à Paris le 27 mars 1902. Deux ans plus tard, le 21 octobre 1904 naissait Estelle, ma mère, puis Raymond, son frère, le 7 mars 1910. Comme toutes les femmes de son époque, elle a élevé ses enfants tandis que son mari travaillait. Il semble qu’ils avaient une vie plutôt aisée, au moins jusqu’au décès d’Oiser. À 20 ans, ma mère a dû se mettre à travailler dans une banque américaine, place de la Concorde. Elle a continué à vivre avec sa mère et son frère. Marie Dreyfuss, veuve d’Oiser Nadler, vécu à Paris jusqu’à la guerre de 39-40. Ses deux enfants étaient mariés, Estelle est partie en Tunisie en 1938. Raymond, lui, après son apprentissage du métier de fourreur, avait installé son atelier de fourreur à côté du Panthéon.
En 1942, le nord de la France étant occupé par les nazis, la famille de mon père, les Nataf, a fait venir ma grand-mère, en Tunisie, ce qui l’a sauvée de la déportation. À soixante ans, Marie Dreyfuss a couru en zigzag comme elle aimait le raconter, pour éviter les balles des Allemands qui gardaient la frontière, et ainsi passer en zone libre pour s’embarquer pour la Tunisie. Elle y resta longtemps après la guerre.
Elle vécut auprès de nous : sa fille et ses deux enfants, mon père, son gendre souvent absent, et la tante Anna dont je raconterais l’histoire. Les relations entre elles, cette tante, qui habitait avec nous et l’autre grand-mère, étaient souvent houleuses. Marie restait très jeune d’esprit, plaisantait souvent, d’un ton plutôt moqueur, ce qui agaçait beaucoup les deux autres « vieilles » de la maison. Elle restait très alerte dans son corps, et je me souviens qu’en me promenant au jardin public, elle essayait de marcher en équilibre sur les arceaux qui bordaient les pelouses. Elle n’était pas sérieuse comme devait l’être une vieille dame.
Un jour, elle dit à ma mère, en riant, qu’elle rajeunissait, parce qu’elle avait trouvé du sang dans sa culotte. Bien sûr, elle ne rajeunissait pas, elle avait trouvé les premiers signes d’un cancer de l’utérus. Après diagnostic, en Tunisie, elle dut retourner en France, chez son fils pour se soigner. Mais elle fut hospitalisée tout de suite… La maladie était déjà avancée.
Je me souviens du départ d’Estelle pour Paris. Mais je ne sais pas si elle a pu revoir sa mère vivante. On m’a souvent dit que je ressemblais à cette grand-mère, et ce n’était pas un compliment !
Estelle Meer, dite Nadler
Estelle était la fille aînée, très aimée par son père. Il lui était interdit d’entrer dans l’atelier de tailleur, jugé dangereux à cause des machines à coudre.
Elle passa son diplôme d’enseignement, qui devait correspondre à un niveau bac actuel. Elle faillit ne pas pouvoir se présenter, en tant que « sujet Roumain », alors qu’elle était née en France, à Paris. Elle avait des souvenirs de la fin de la guerre 14-18, dans le métro où elle se trouvait, le jour de l’Armistice. Elle avait 14 ans.
Estelle était douée pour le dessin et la peinture. Elle fréquentait un atelier, le soir, après les cours, quand elle était encore à l’école. Elle aurait aimé intégrer l’École des Beaux-Arts et comptait bien s’y préparer. Mais son père lui signifia qu’avant de faire l’artiste, il faudrait qu’elle ait un « vrai métier ». En fille obéissante elle s’inscrit dans un cours de secrétariat, et apprend la sténo et la dactylo. Peut-être, espère-t-elle faire les Beaux-Arts après sa formation ?
Mais la vie en voulut autrement, Oiser décéda subitement, et sa mère lui demanda de trouver du travail, car la famille n’avait plus de ressources. En fille toujours obéissante, c’est ce qu’elle fit et trouva une place dans une banque américaine dont le siège était place de la Concorde. Estelle en a toujours voulu, un peu à sa mère, de l’avoir empêchée de réaliser son rêve artistique. Elle a travaillé dans cette banque jusqu’à ce qu’elle rencontre Lucien Nataf qu’elle épousa, et qui l’emmena en Tunisie. Estelle son mari, ses deux enfants, sa mère et la tante Anna, bien sûr, vécurent à Sousse jusqu’au retour en France.
À Paris, elle se remit à peindre.
Raymond Meer, dit Nadler
C’est le frère de ma mère. Il a été accueilli, lui aussi, par la famille Nataf, en Tunisie, pendant la guerre. Il est rentré en France quand la paix est revenue. J’ai très peu de souvenirs de lui, je l’ai rencontré quand nous sommes arrivés à Paris… Il était fourreur, et habitait près du Panthéon. Je me souviens surtout, qu’il m’accablait de magnifiques vestes de fourrures en peau de lapin ou mouton doré, comme il disait. Ma mère insistait pour que je les mette pour aller au Lycée. J’avais honte… J’étais déjà la seule « étrangère » de la classe, et en plus la seule à porter de la fourrure.