Échec et mat - Charlotte Pierson - E-Book

Échec et mat E-Book

Charlotte Pierson

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Beschreibung

De mystérieuses disparitions ont lieu en Géorgie depuis quelques années. Cassy, la colocataire de la dernière disparue, sollicite l’aide de l’agent du FBI, Charlie Burnet, en prétendant rêver de cet événement toutes les nuits. Prémonitions, visions, ou affabulations ? Quel secret cache la jeune femme ? Quel est le point commun entre ces disparitions ? Accompagné dans son enquête par un autre étudiant et par un psychologue, Charlie va découvrir le passé de Cassy et les mystères qui l’entourent. D’Atlanta à Seattle en passant par la Grèce, une partie d’échecs s’engage avec le mal à l’état pur.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Charlotte Pierson est une jeune romancière. Après un voyage scolaire aux États-Unis, elle a naturellement choisi ce décor pour son tout premier roman. Lectrice assidue de tout type de littérature et passionnée d’ésotérisme, ses récits s’inspirent de cet univers.

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Charlotte Pierson

Échec et mat

Roman

© Lys Bleu Éditions – Charlotte Pierson

ISBN : 979-10-377-8357-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes indéfectibles soutiens :

Mes enfants et mon mari

Partie 1

Échec…

Prologue

« Une souris verte,

Qui courait dans l’herbe… »

Elle chantait, elle fredonnait encore une chanson pour enfants.

Tenir, tenir, tenir.

C’était l’unique moyen qu’elle avait trouvé. Penser à lui, uniquement à lui. Il fallait qu’elle tienne. Son sourire, ses premiers mots, la malice dans son regard.

Elle s’autorisa à ouvrir les yeux, et ne fut pas surprise par l’obscurité autour d’elle. La nuit était tombée, et machinalement, en entendant la cloche sonner dix coups, elle fit une encoche discrète sur le mur derrière la table de nuit.

Son cachot était constitué d’un lit, une table de nuit, une télé et un lecteur DVD avec un seul et unique disque. Les vêtements la serraient à la taille, mais elle prit bien garde de ne pas les abîmer afin de ne pas subir une colère plus grande encore.

Elle sursauta en entendant du bruit dans le couloir.

Ce n’était pas l’heure. Normalement, il était avec l’autre. Ce n’était pas son tour.

Le glissement devenu familier de la porte lui fit refermer instinctivement les yeux. Elle persistait à ne pas vouloir le regarder. Elle persistait à se dire que si elle ne connaissait pas son visage, il la laisserait partir pour le retrouver.

Il eut un petit rire :

— Il ne reste plus que nous deux maintenant. Tu dois réussir et tu réussiras.

La porte claqua, et le verrou fut tiré. Seule. Elle était seule.

L’enregistrement se remit en route, et elle recommença à fredonner. « Une souris verte, qui courait dans l’herbe… »

Chapitre 1

Cassy ouvrit brusquement les yeux. Elle balaya rapidement la pièce du regard pour vérifier qu’elle était bien chez elle. L’image de son rêve s’effaça doucement. Enfin, chez elle est un bien grand mot. Elle était dans sa modeste chambre d’étudiante sur le campus de l’université de Géorgie à Atlanta.

Une chambre de trente mètres carrés environ, comprenant deux lits, deux bureaux et deux bibliothèques. Ce matin, Cassy était toute seule. Et elle en frissonna. Quinze jours, quinze longues journées à se poser des questions et à angoisser.

6 h 30. Trop tôt pour aller à la bibliothèque de la faculté. Le jour pointa à l’horizon. Mais Cassy ne souhaitait pas traîner au lit. Elle savait qu’elle n’arriverait pas à se rendormir.

Elle posa le pied par terre et enleva le tee-shirt déformé qui lui faisait office de pyjama. Elle en fit une boule et le jeta au bout de son oreiller.

Depuis trois ans où elle occupait cette chambre, elle n’avait plus besoin de regarder où elle lançait son tee-shirt, elle savait qu’il atterrirait au bon endroit.

Elle jeta un rapide coup d’œil sur le lit d’en face. Vide, toujours vide comme toutes les nuits depuis quinze jours. Mégane n’était encore pas rentrée.

Cassy se souvenait de la dernière fois où elle était allée signaler sa disparition. C’était la veille. Et comme les quatre fois précédentes, le policier l’avait rabrouée en lui expliquant que Mégane était majeure, et qu’elle était libre d’aller où bon lui semblait.

Cassy avait eu beau insister sur le fait que Mégane ne pouvait pas être partie du jour au lendemain. Pas sans l’avoir prévenue ni avoir prévenu ses parents. Impossible. Mais la police n’en avait que faire. Une disparition de plus ou de moins, ne changerait pas les statistiques.

Elle enfila un vieux bas de jogging et un tee-shirt, attacha ses cheveux en une queue de cheval et enclencha son smartphone pour une séance de yoga.

Elle déroula le tapis dans la petite chambre et s’assit en tailleur.

— Comment peux-tu t’étirer dans tous les sens et dire que ça te fait du bien ? lui demandait sans cesse Mégane, j’ai mal, rien que de te voir faire de grands écarts.

Cassy eut un sourire en se remémorant ce souvenir simple. La musique d’ambiance japonaise commença et son smartphone débita les positions de yoga au fur et à mesure.

Cassy était une jeune fille de vingt-deux ans. Sa peau était d’une extrême pâleur à tel point que les personnes qui ne la connaissent pas pensaient tout de suite qu’elle était malade. Ses cheveux, tirant sur le brun foncé, n’arrangeaient pas l’impression générale qu’elle donnait. Mignonne et élancée, elle portait deux grands cernes sous les yeux que tous les maquillages du monde n’arriveraient jamais à camoufler complètement. Mais son apparence était le cadet de ses soucis. Elle n’avait rien d’une bimbo siliconée et apprêtée. Elle se sentait très bien en tenue décontractée, avec un peu de mascara et une queue de cheval.

Ses vêtements étaient rarement de couleurs, elle préférait le noir, la prune ou le bleu marine et bien sûr le blanc.

Son teint livide pourtant naturel lui valait souvent la sollicitude de tous, ce qui l’exaspérait. Non seulement il était difficile d’être une femme dans ce monde moderne, mais si en plus le qualificatif de faible y était accolé, c’était pire.

La seule fois où elle en a ri, c’était au moment où une jeune fille de sa classe de Terminale lui avait demandé si elle voulait lui apprendre à être gothique comme elle supposait que Cassy l’était. Cassy était partie dans un fou rire total et l’autre s’était vexée.

Elle, gothique. Certainement pas. Ce n’était pas son style. Certes, elle était habillée souvent en couleurs sombres, mais c’était plus par timidité et souci de ne pas se faire remarquer que par goût du noir.

De corpulence et de taille moyennes, elle était plus encline à se fondre dans la masse que d’attirer l’attention sur elle dans la rue. Les vêtements fashion et les accessoires bling-bling, très peu pour elle.

La seule excentricité qu’elle s’accordait dans sa tenue était son sac à main. Elle en possédait une vingtaine, et adorait en changer volontiers très régulièrement. En ce moment, son sac à main était écru et beige en cuir d’une marque connue, résultat de ses heures de baby-sitting chez une famille à l’extérieur du campus.

Au bout de trente minutes, elle arrêta sa séance. Décidément, je n’arrive pas à me concentrer, pensa-t-elle.

L’avantage, c’est qu’à cette heure-là, personne ne tirerait sur l’eau chaude dans le bâtiment. Elle en profita un long moment. Sitôt lavée, elle s’habilla avec son jean fétiche et un tee-shirt bleu pâle au manche 3/4.

Elle ne montrait que très rarement ses bras en entier, à cause de la cicatrice qui courait le long de son bras gauche. Une cicatrice d’une dizaine de centimètres de long. Un souvenir de son enfance qu’elle préférait garder sous silence. Rien de honteux ou dramatique, mais elle cherchait à éviter les regards de pitié et les remarques du style : « oh ma pauvre, ça n’a pas dû être facile ».

Elle avait horreur de cela, elle estimait qu’elle n’était pas à plaindre.

Ses parents avaient eu un accident de voiture le soir de l’anniversaire de ses 6 ans, et elle était la seule à avoir survécu. Bref, un accident de la circulation banal et qui arrive à des milliers de personnes chaque année.

Elle eut la chance d’être recueillie par sa tante Hélène et son mari qui avaient rempli une partie du vide. Elle avait été élevée avec son cousin Alex qui avait quelques années de moins qu’elle.

Des gens normaux et une famille normale dans laquelle elle s’était toujours sentie à sa place.

Elle finit sa tenue comme tous les jours, avec l’alliance de sa mère qu’elle passa dans la chaîne en or de son père. Les habitudes avaient la vie dure. Les rares souvenirs. Les huissiers ont saisi le reste.

Elle alluma son portable et regarda les mails qu’elle avait reçus. Sa tante lui avait écrit comme toutes les semaines pour avoir des nouvelles. Cassy ne lui avait pas dit pour l’absence de Meg, elle ne voulait pas l’inquiéter. Sa tante angoissait déjà de savoir que Cassy étudiait sur un campus de trois mille étudiants. La grandeur d’un campus américain paraît certaines fois effrayante. Ça changeait beaucoup de la petite ville où elle a été élevée.

Elle sortit de sa chambre en jetant un dernier coup d’œil au lit vide et referma la chambre à clé.

Chapitre 2

Cassy descendit l’escalier pour aller au réfectoire. Elle avala sur le pouce un petit déjeuner composé d’un jus d’orange et d’un muffin. Elle ferait mieux aux repas suivants. Plusieurs élèves commençaient à arriver dans la salle et elle n’avait pas très envie de commencer à tenir une conversation avec James, l’étudiant anglais en droit ou Andy, le footballeur coqueluche des filles.

En sortant, elle se retourna pour examiner le bâtiment-dortoir. Haut de plusieurs étages, il pouvait accueillir une cinquantaine d’étudiants.

Elle passa devant les différents bâtiments où les cours étaient dispensés selon la spécialité choisie. Depuis trois ans, Cassy étudiait l’histoire médiévale en général et l’architecture de cette période en particulier. Une histoire très peu connue et très peu prisée aux États-Unis.

Sa passion lui était venue lors d’un échange scolaire qui eut lieu la dernière année avant son diplôme du secondaire.

Elle avait eu la chance de partir en France et d’être accueillie au sein d’une famille près de la ville de Chartres. La visite des châteaux de la Loire et les jardins entourant la cathédrale majestueuse avaient réveillé en elle une vocation à laquelle elle n’avait jamais pensé. Elle souhaitait pouvoir, à la fin de l’année scolaire, aller finir son cursus dans une grande université française comme la Sorbonne.

Elle se dirigea vers le bâtiment administratif, où se situaient les bureaux des officiers de police du campus. Il faisait frais pour ce début du mois de mai, et elle regretta de ne pas avoir pris de gilet.

La permanence étant assurée en continu, Cassy savait qu’elle trouverait quelqu’un à qui parler.

Elle poussa la porte et se retrouva dans un bureau muni d’un comptoir. Plusieurs tables de travail étaient disposées de chaque côté de la pièce.

La première était occupée par l’agent Donnelly, un homme qui frôlait la cinquantaine, penché sur son ordinateur. Donnelly avait commencé sa carrière dans la police, mais à la suite d’une blessure, il avait accepté ce poste, plus calme.

Veiller sur des adolescents attardés et des fils à papa pleins de fric était plus pénible que dangereux. Rien que le vol de smartphone et de tablettes couvrait 90 % de son temps. Les joies de la modernité.

La seconde était vide, mais le bazar ambiant posé dessus laissait supposer que son occupant y passait beaucoup de temps.

Les autres bureaux étaient occupés par l’équipe de nuit qui était en train de remplir le journal de bord des interventions de la nuit passée.

Le chef du bureau de la police leva un sourcil pour voir qui entrait dans la pièce.

— Encore vous, Mlle O’Neill.

— Bonjour, Officier Donnelly, répondit Cassy.

— Je suppose que vous venez encore à propos de votre colocataire, Mégane ? attaqua-t-il avant qu’elle n’ait ouvert la bouche. Écoutez, ça fait cinq fois que vous venez me voir. Je n’ai rien. Pas de raison de penser qu’elle a disparu.

— Mais si je vous assure, elle n’est pas rentrée depuis 15 jours, ce n’est pas normal, répondit Cassy. Sa mère m’a même contacté plusieurs fois parce qu’elle doit rentrer tous les week-ends et là rien.

— Attendez, attendez, votre copine n’est pas une oie blanche. Je me suis renseigné, vous savez. Votre copine redouble son année d’étude, n’est-ce pas ?

— Je ne vois pas le rapport, répondit Cassy d’un air qui se voulait innocent.

— Le rapport est tout de suite trouvé. Votre copine redouble, car elle a séché les cours l’année dernière. Et pas qu’un peu, elle a juste manqué cinq mois de l’année, en s’absentant sans aucune explication.

Cassy savait tout cela, elle avait soutenu son amie, et elle lui avait promis qu’elle ne dirait à personne où elle avait passé ses mois. Mégane avait très peur du regard des autres alors personne ne devait savoir.

— Oui, mais c’est différent cette fois. Elle n’a pas choisi de partir.

— Ça, ce n’est pas sûr. J’en déduis que vous savez pourquoi elle était absente l’année dernière.

Cassy garda le silence. Elle avait promis. L’agent Donnelly essaya de jauger cette jeune femme. Il se demanda quel crédit, il pouvait accorder à sa parole.

La porte s’ouvrit derrière Cassy et un autre étudiant entra dans la pièce et s’assit sur la chaise qui faisait office de salle d’attente en attendant son tour. Il sortit son Smartphone et commença à jouer.

— Écoutez Mademoiselle, votre copine est majeure et est coutumière du fait. Je n’ai pas beaucoup de pouvoir et j’ai interrogé quelques élèves de sa classe. Personne n’a rien remarqué. Je ne peux rien faire. Elle a dû se rendre compte qu’elle n’était pas faite pour les études.

— Mais vous ne pouvez pas baisser les bras, il faut la retrouver.

Devant l’air renfermé de son interlocuteur, Cassy comprit qu’elle parlait à un mur.

— Est-ce que vous m’autorisez au moins à poser des affiches sur les panneaux d’information pour savoir si quelqu’un l’a vu ?

— Je n’en vois pas l’intérêt, mais bon, si vous voulez. Par contre, je ne veux pas que cela crée l’affolement dans le campus, vous me ferez lire le texte. Je ne veux pas avoir une psychose d’un kidnappeur pour une simple fugue.

— Bien, merci Officier.

Cassy partit en claquant la porte. Elle avança très énervée dans le couloir, et c’est seulement quand elle sortit du bâtiment qu’elle se rendit compte qu’on la suivait à vive allure.

— He hé, s’il vous plaît attendez-moi.

Un jeune homme l’interpella. Cassy s’arrêta et attendit. Le temps qu’il arrive jusqu’à elle, elle reconnut la personne qui était entrée derrière elle dans le bureau de l’officier de police. Il s’arrêta à deux pas d’elle.

— Bonjour, je vous ai entendu parler tout à l’heure.

Cassy était sur la défensive et ne put s’empêcher d’aboyer :

— Ouais et alors ?

— Excuse-moi, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Tom Ferguson, je suis en 3e année de psycho. On s’est déjà croisé dans les couloirs du campus.

Cassy essaya de fouiller dans sa mémoire, mais ne put trouver un seul souvenir de cette personne. En même temps, à part ses amies étudiantes dans le même dortoir qu’elle, elle ne fréquentait pas grand monde. Les amphithéâtres étaient surbookés et entre les heures de cours, le soutien scolaire qu’elle donnait pour se faire un peu d’argent et le bénévolat dans un collège du coin pour aider les jeunes à faire leurs devoirs le soir, le temps filait vite. Elle pensait avoir tout le temps de flirter une fois ses études finies.

Il devait avoir entre vingt et vingt-cinq ans. Elle s’attarda sur lui et remarqua une certaine ressemblance avec le héros d’une série télévisée des années 90 pour jeunes filles, grand amateur de surf dont le prénom fit une percée dans les pays d’Europe à cette période. Grand, brun, le regard torturé, il avait les yeux sombres et la chevelure brun clair. Mesurant dans les 1m85, il arborait un physique de sportif, style basketteur, tout en longueur. Une lueur malicieuse éclairait son regard.

Tom ne lui dit pas qu’il l’avait remarqué à la sortie d’un cours de civilisation antique. Une belle brune genre Bella Swan, ça ne courait pas les rues.

Aujourd’hui, c’était la mode, mais demain la mode aurait changé.

Elle lui tendit la main :

— Cassy O’Neill, je suis en 4e année de civilisation antique.

— Tu étais à la police du campus pour signaler une disparition. Est-ce quelqu’un de proche ?

— Ma coloc, elle n’est pas rentrée depuis une quinzaine de jours. En quoi ça t’intéresse ?

— Mon oncle est enquêteur au FBI. Si tu veux l’appeler, je te donne sa carte.

— C’est sympa, mais je me doute qu’il va me rire au nez comme le chef Donnelly.

Il haussa les épaules.

— Ce n’est pas si sûr et puis si tu l’appelles de ma part, il t’écoutera.

Il tourna les talons.

Cassy eut une moue. Elle allait perdre son temps et celui de son interlocuteur. Mais bon.

— Heu... Merci.

Il se retourna.

— De rien, à bientôt, je suis sûr qu’on se reverra.

Partant du principe qu’il ne faut jamais contrarier une bonne intention, elle serra la carte dans sa main et partit en direction du bâtiment de l’infirmerie du campus.

Elle n’avait plus de cachet et un mal de crâne à tout casser. Les nuits courtes et le stress des examens y étaient sans doute pour quelque chose.

Chapitre 3

Cassy se rendit à son premier cours de la journée. La méthodologie d’un rapport de stage n’était pas un sujet passionnant, mais il avait l’avantage de pouvoir se fondre dans la masse. Ce cours étant générique, l’amphithéâtre était plein. La tête ailleurs, elle eut beaucoup de mal à suivre et renonça rapidement. Elle regarda autour d’elle. Les étudiants de plusieurs années étaient mélangés, une petite centaine de personnes était assise, et les ordinateurs portables avaient depuis longtemps remplacé le stylo et le bloc-notes. Les étudiants sont hyperconnectés de nos jours.

Elle faisait figure de dinosaure avec son cahier et sa trousse d’écolière. Mais rien ne lui plaisait plus que le contact du papier et la présence d’une belle écriture. Bien écrire ses cours était déjà la moitié du travail d’apprentissage.

Après s’être assise au fond de la salle, elle balaya du regard l’assemblée devant elle, et se rendit compte que malgré les années passées, elle ne connaissait pas grand monde. Des filles, des garçons, de toute taille, de toute origine, mais aucun à qui elle ne souhaiterait se confier. Certaines têtes lui étaient familières, mais elle aurait été bien incapable de donner leur prénom.

La seule personne avec qui elle avait vraiment sympathisé était Mégane. La chance les avait mises dans la même chambre depuis deux ans et elles avaient tout de suite accroché. Deux écorchées de la vie ayant traversées des épreuves et se soutenant l’une et l’autre. Elles n’étaient pas dans la même section, Mégane faisant des études de langues. Son rêve était de devenir professeur de français et c’est cet amour du pays que Cassy avait la chance de visiter et que Mégane rêvait de voir ailleurs qu’à la télévision ou sur des livres qui les avaient rapprochés.

Elles avaient même prévu de faire un voyage ensemble l’été précédent pour visiter certains lieux emblématiques de la France comme le Louvre, le Sacré-Cœur ou encore Versailles. Des pièges à touristes, certes, mais ça les faisait tenir tout au long de l’année. Elles avaient travaillé dur pour économiser l’argent du voyage, Mégane avait travaillé les soirs dans un fast-food et donné quelques cours du soir et Cassy, multiplié le soutien scolaire aux jeunes présentant leur diplôme de fin de secondaire.

Ce projet était tombé à l’eau trois mois avant de partir. Mégane avait renoncé à demander son visa et Cassy avait déployé des trésors de diplomatie pour comprendre ce qui arrivait à son amie et pour l’aider dans son épreuve. Cette dernière les avait soudés.

Le professeur étant totalement soporifique, Cassy se laissa aller à fermer les yeux quelques instants et l’image de Mégane assise dans cette petite chambre se raviva à son esprit comme si elle l’avait devant elle.

Cassy ressentait sa tristesse et sa peur, et elle se sentait mal. La tête tournante, elle rouvrit les yeux. Il lui était impossible de rester sans rien faire.

À la fin du cours, elle comprit qu’elle n’arriverait à rien aujourd’hui, la concentration étant totalement absente.

En sortant de l’amphithéâtre, elle croisa une jeune femme blonde prénommée Amélie et qui était dans la même année qu’elle :

— Salut Amélie,

— Salut Cassy. Ça va ?

— Non, ça ne va pas fort, j’ai un mal de crâne épouvantable.

— Ce n’est pas de chance, as-tu pris quelque chose ?

— Oui, j’ai pris un cachet, il y a une heure, mais c’est carabiné. Je pense que je vais aller directement me remettre au lit. Est-ce que tu peux m’excuser auprès des professeurs pour les prochains cours et me filer tes notes ce soir, s’il te plaît ? demanda Cassy.

— Bien sûr, pas de souci. À charge de revanche. J’ai besoin d’un coup de main pour le sujet que nous a donné le professeur d’histoire sur le règne des fils de Charlemagne et leur influence sur le bâti de l’époque, répondit Amélie.

Après l’avoir assurée de son aide, Cassy sortit du bâtiment. Elle se sentait oppressée et ne comprenait pas d’où cela venait. Elle se dirigea vers un banc libre. Les autres étaient occupés par plusieurs groupes de jeunes dont les conversations lui parvenaient en fond sonore. Sans vouloir écouter, elle entendait et le bercement d’une conversation feutrée lui faisait du bien. D’un côté, l’actualité politique alimentait la conversation et de l’autre, un groupe de jeunes femmes planifiait leurs futures vacances. Le temps était propice à la paresse sur l’herbe, mais le stress des examens incitait à la révision au grand air. L’automne était bien installé. Le soleil brillait dans le ciel et quelques nuages parsemaient le ciel.

Cassy se demanda quelle attitude elle allait bien pouvoir adopter. Elle n’était ni flic ni détective, mais elle avait le sentiment que personne ne se souciait de Mégane et que si elle n’agissait pas, un malheur arriverait. Elle mit la main dans sa poche et toucha la carte contenant les coordonnées de cet agent du FBI. Le souvenir de sa rencontre furtive avec Tom Ferguson lui revint en mémoire. Elle se surprit à se remémorer les détails de son visage, la couleur de ses yeux, l’implantation de ses cheveux.

Elle se demanda si le fait qu’il lui ait donné une carte de visite n’était pas une énième technique de drague. Les garçons de son âge lui semblaient super lourds. La multiplication des portables et les relations « réseaux sociaux » n’aidaient pas la relation dans la vraie vie. Les seules références des garçons de notre époque résidaient dans les films interdits aux moins de 18 ans, les cours d’éducation sexuelle n’étant plus abordés en cours, la menace des MST freinant le papillonnage et la découverte de l’autre passant uniquement par sa story. Il est loin le temps où les jeunes se rencontraient aux boums entre amis, où les copains jouaient les entremetteurs et où le slow était « le moment ». Aujourd’hui, l’alcoolisation à outrance était la règle et là où une fille disait non, un garçon n’entendait pas toujours ou alors pensait qu’une fille bien habillée était toujours une allumeuse.

Cassy pensa aux quelques flirts qu’elle avait pu avoir et remercia le ciel d’être toujours tombé sur des garçons corrects et attentionnés.

— Cassy ?

Surprise, elle leva la tête et fut éblouie par le soleil. Une silhouette se découpait dans la clarté, mais elle eut du mal à identifier la personne qui l’interpellait. Elle mit sa main dans son sac de cours pour en ressortir sa paire de lunettes de soleil. Après l’avoir chaussée, elle releva la tête et reconnut son interlocuteur.

— Vous n’êtes pas en cours ce matin ?

Le docteur David Brécourt se tenait devant elle, vêtu d’un polo bleu clair et d’un jean. Il assurait la permanence psychologique du campus. Et contrairement aux idées reçues, sa présence était plus que nécessaire. La pression sur les épaules des étudiants était de plus en plus forte pour des raisons diverses et variées : la pression familiale due au coût exorbitant des études, la peur de l’avenir, la montée du chômage arrivaient à faire péter les plombs en période d’examens.

Le docteur Brécourt était en général d’un grand secours, il était patient, à l’écoute et avait un avantage aux yeux des étudiants : il était passé par les mêmes bancs de l’université et il avait financé ses études avec des petits boulots et un gros crédit qu’il remboursait encore. Il était ainsi connu de tous les petits employeurs du coin et il casait régulièrement des jeunes en recherche d’emploi avec des recommandations.

Âgé d’environ 35 ans, il était assez grand, blond et avait des yeux marron. Il avait de faux airs de Ryan Gosling, ce qui lui assurait un certain succès auprès des filles. Il mettait un point d’honneur à refuser toutes les sollicitations des étudiantes du campus. Sa crédibilité serait mise en cause et une réputation pareille ne s’effaçait pas.

— Bonjour David.

Tous les étudiants l’appelaient par son prénom. Il trouvait que baisser la barrière du nom de famille et du Monsieur était une bonne chose et facilitait le contact.

— En effet, j’en profite pour faire le plein de vitamines D tant que le soleil brille, répondit-elle rapidement, sécher un ou deux cours n’entamera pas ma scolarité.

Le ton de sa voix était mal assuré et David s’en rendit compte.

— Je peux m’asseoir à vos côtés afin de vous chiper quelques rayons de soleil. J’ai aussi besoin de vitamines.

Cassy se poussa et laissa un peu de place sur le banc pour permettre à David de s’asseoir. Un livre dépassait du sac de Cassy « Le Papillon des Étoiles » d’un auteur célèbre en France, Bernard Werber.

— C’est l’auteur des fourmis, n’est-ce pas ? demanda David.

— Oui, c’est bien lui. « Les fourmis » est son premier roman et il est même étudié à l’école en France. J’ai découvert ses livres lors de mon voyage là-bas.

— Je ne connais pas celui-ci.

— C’est mon préféré, répondit Cassy. C’est l’histoire d’une humanité qui découvre que sa planète est polluée et corrompue. Un programme spatial est mis en œuvre dans le plus grand secret et un peu plus de cent mille personnes embarquent sur un vaisseau spatial pour un voyage de 2 500 ans afin d’atteindre une planète d’accueil. Au bout du voyage, seules deux personnes arrivent au but.

— Deux personnes qui vont refonder l’humanité, c’est le minimum si elles sont de sexe différent. Ça nous laisse de l’espoir.

— En effet, cela suffit, mais la grande leçon de cette histoire n’est pas là. Sommes-nous la première version de l’humanité ? Et il va vite falloir se rendre compte que si nous ne voulons pas détruire notre planète, nous devons réagir. Ou sommes-nous les descendants de la seconde planète ? Et nous sommes tellement idiots que nous avons reproduit exactement les mêmes erreurs que nos aînés ? répondit Cassy. Ça fait réfléchir, n’est-ce pas ?

— Je ne vous savais pas philosophe, Mlle O’Neill, vous vous êtes trompée de vocation.

Cassy rigola :

— Non, je souhaite rester dans ma voie. Comme disait, je ne sais plus qui, « qui ne connaît pas son passé n’a pas d’avenir ». L’étude médiévale me fascine et je compte bien rester dans cette branche.

David regarda au loin.

— Alors qu’est-ce qui me vaut cette leçon d’écologiste, vous recrutez du monde au WWF ?

— Non, j’essaye juste de penser à autre chose.

Cassy se tut quelques instants. David savait qu’il fallait un temps différent à chacun pour gagner leur confiance. Il ne rompit pas le silence et attendit que le cerveau de Cassy fasse son choix entre confiance et méfiance.

Effectivement, Cassy pesait le pour et le contre. D’un côté, elle vivait avec l’absence de Mégane depuis un moment et personne ne la prenait au sérieux. Pourquoi David le ferait-il ? D’un autre côté, qu’est-ce qu’elle risquait à lui parler ? Elle improviserait ainsi au fur et à mesure de ses réactions pour voir jusqu’à quel point elle allait se dévoiler. Mais pas question d’aborder ce sujet en plein air à la vue et à l’écoute de tout le monde.

Cassy regarda sa montre et releva la tête :

— Vous êtes toujours soumis au secret médical ?

— Bien sûr, répondit David, tout ce que vous pourrez me dire restera entre nous.

— Même si c’est totalement fou ? insista Cassy

— Écoutez Cassy, à moins d’être dangereuse pour vous ou pour les autres, il n’y a aucune raison que nos propos sortent de mon bureau.

Cassy choisit de faire confiance à David.

— Je sais que la période d’examen d’automne commence et que vous allez être surbooké, mais est-ce que vous auriez un moment à m’accorder ce soir ?

— Bien sûr.

Il sortit son téléphone pour vérifier son agenda.

— Vers 18 h à mon bureau ça ira ?

Cassy se leva, prit son sac.

— Ok Doc, j’y serais. À ce soir.

David la regarda s’éloigner en pensant connaître l’objet de sa demande. Il demandait à avoir accès au registre rempli par les officiers de police chaque fin de semaine. Il avait vu les déclarations sur l’absence de la colocataire de Cassy. Il avait anticipé qu’à un moment donné, elle souhaiterait en parler. Le poids de l’absence est lourd pour ceux qui restent sans savoir.

*

Le reste de la journée n’ayant pas été très productif, c’est à l’heure précise que Cassy frappa à la porte du cabinet de David. La porte s’ouvrit quasiment instantanément et elle pénétra dans le bureau. La pièce était assez petite, et meublée d’un bureau dans un coin et de deux fauteuils séparés par une table basse. Sur la table basse, deux pichets laissaient échapper de la fumée et deux mugs vides étaient posés.

— Asseyez-vous Cassy, dit David en lui désignant un des fauteuils. Je ne savais pas ce qui vous ferait plaisir, donc j’ai prévu du café et du thé. À moins que vous souhaitiez une boisson gazeuse ?

— Non merci, un thé ira très bien, sans sucre et sans lait.

Il lui servit une tasse et la lui tendit. Elle la prit dans ses mains et le contact du mug lui réchauffa les mains. Elle avait toujours les mains froides. Elle la garda dans les mains et la porta à ses lèvres. Un goût citronné envahit sa bouche.

— Comment saviez-vous que j’aime le thé à la bergamote ? demanda Cassy

— Je ne savais pas, j’ai choisi celui-ci, car c’est le parfum préféré de ma mère.

— Elle a bon goût, nota Cassy.

— En effet et pas seulement en matière de thé. La preuve, je suis là.

Cassy saisit le brin d’humour et esquissa un sourire.

— Ah, enfin un sourire, dit-il en rigolant. Et si nous parlions de votre venue, en quoi puis-je vous être utile ?

Cassy prit une profonde inspiration et commença à parler :

— J’ai besoin d’un conseil. Je dois prendre une décision rapidement, mais je n’arrive pas à me décider.

— Si vous commenciez par le début afin que je comprenne de quoi vous parlez.

— Bien sûr. Ma colocataire Mégane Paulsen a disparu depuis quinze jours et je m’inquiète.

Elle remarqua que David s’apprêtait à réagir, mais elle reprit tout de suite.

— Ne me dites surtout pas qu’elle est majeure et qu’elle fait ce qu’elle veut, je suis sûre qu’elle a disparu. Je le sens. L’officier du campus ne veut rien entendre et ça me rend folle. Elle ne serait jamais partie sans m’en parler ou sans en parler à ses parents ou à son...

Elle s’arrêta de parler en ayant conscience que ce secret ne lui appartenait pas.

— Enfin, c’est sûr, elle n’aurait pas coupé les ponts comme ça.

— Comment pouvez-vous en être sûre ? Elle a peut-être rejoint un petit copain et elle n’a pas pensé à vous prévenir.

— C’est impossible et puis je l’ai vu.

Un silence s’installa entre eux.

— J’ai dû mal comprendre. Vous l’avez vu ?

— Oui en quelque sorte.

— Mais dans ce cas-là, que faites-vous ici ? Allez directement voir la police et témoignez. Si vous avez des informations, la moindre seconde est essentielle.

— Du calme Doc, c’est plus compliqué que ça. Quand je dis que je l’ai vu, je ne l’ai pas vraiment vu de mes yeux.

— Alors, expliquez-moi parce que j’ai du mal à saisir.

Cassy hésita quelques secondes puis choisit d’aller jusqu’au bout.

— Depuis que Mégane a disparu, je fais des rêves bizarres où je la vois.

Elle arrêta de parler et le regarda fixement comme si elle voulait le convaincre de sa bonne foi. David dévisagea la jeune femme comme s’il la voyait pour la première fois. Que penser de ce qu’elle venait de dire ? Voir une personne disparue dans un rêve ? Le psychisme agit beaucoup en cas de traumatisme et peut facilement se manifester de cette façon.

Comment aborder la question avec une personne qui imagine voir des choses en rêve ? Ces prochains mots conditionneront la suite de l’entretien. Il prit le parti de rentrer dans son jeu afin de voir le degré de névrose dont souffrait la jeune femme.

— Dans un rêve ? Je savais que certains de vos cours étaient soporifiques, mais de là à dormir en classe, fit-il en rigolant pour détendre l’atmosphère. Mais voyant le sérieux de Cassy, il s’empressa de continuer. Rêver de quelqu’un qui nous manque n’a rien de bizarre. C’est la manifestation de votre subconscient.

Cassy s’attendait à cette réaction. Elle ferma les yeux et soupira. La partie allait être compliquée avec quelqu’un d’aussi cartésien.

— Mon subconscient va très bien, Doc, ce dont je vous parle, c’est de vision réelle dans laquelle je vois Mégane.

Elle avait gardé les yeux fermés. Elle voyait la scène devant elle, la couleur des murs, les meubles, le lit, et Mégane, assise sur ce dernier en train de se balancer de gauche à droite en fredonnant une chanson. Une chanson pour enfants.

Elle commença à décrire la scène tout en gardant les yeux fermés pour ne rien oublier. David la regardait avec attention en essayant de se faire une opinion. Elle avait l’air convaincue par ce qu’elle racontait.

— Cassy ?

Elle ne l’entendait pas.

— Cassy ?

Il se rapprocha d’elle et lui posa la main sur l’épaule. Elle ne réagit pas tout de suite, elle paraissait habitée par son souvenir. Elle sursauta et poussa un petit cri. Elle s’était laissé dériver dans son souvenir au point de ne plus savoir où elle était. En ouvrant les yeux, elle se souvint de ce qu’elle était venue faire et lança un regard glaçant à David.

Surpris par le regard de Cassy, et par le fait qu’elle était en nage, David eut le souvenir bref, mais intense d’un déjà-vu.

Plusieurs années auparavant, David avait assisté à un spectacle de médium, entraîné par des copains pendant leurs études. Pendant ce spectacle, il avait été choisi par le médium pour monter sur scène. En fait, il avait été poussé par son groupe de copains.

Le médium avait pris sa main et tenté de faire son numéro en fermant les yeux. Elle était entrée en transe et elle avait parlé d’une personne récemment défunte qui voulait faire passer un message à David. Sceptique et n’ayant aucun décès dans sa famille, David avait rigolé ce qui avait vexé le médium et en ouvrant les yeux, elle l’avait fusillé avec le même regard que celui que venait de lui lancer Cassy. En sortant du spectacle, David avait reçu un message de sa mère disant que son grand-père avait fait une crise cardiaque dans l’après-midi.

Troublé, il avait attendu devant la sortie des artistes afin de discuter avec le médium. Cette dernière s’appelait Clara et avait à peu près son âge.

Ils avaient fini la nuit dans un café qui ne fermait pas, discutant de tout et de rien et du don de la jeune femme. Ils avaient vécu une romance de quelques mois et Clara avait avoué à David au bout de quelques semaines qu’elle se servait de trucs et astuces pour faire croire aux spectateurs qu’elle avait un lien particulier avec l’au-delà. Le fait que ce soit tombé le jour du décès de son grand-père était un complet hasard d’après elle, mais il avait eu des doutes, car lors du spectacle, elle avait employé un surnom que seul son grand-père connaissait.

David revint à l’instant présent et se leva pour se diriger vers la fenêtre. Il regarda dehors quelques secondes puis se tourna vers Cassy. Il avait reconnu le regard que Clara avait eu le soir du spectacle dans les yeux de Cassy.

Cassy se leva brusquement et se dirigea vers la porte. David l’arrêta en la prenant par le bras.

— Non, Cassy, attendez. Rasseyez-vous. Je ne peux pas vous laisser partir dans un tel état.

— À quoi ça servirait si vous ne me croyez pas ? répliqua Cassy en essayant de se dégager.

— Mais je vous crois.

Cassy se figea. Elle hésita un moment, le temps que l’information monte jusqu’à son cerveau. Comment pouvait-il la croire ? Elle n’arrivait déjà pas à se croire elle-même. Elle se rassit et se mit à pleurer. David laissa passer la crise de larmes et lui tendit le paquet de mouchoirs sur son bureau.

— Je me doute qu’aborder le sujet ne doit pas être facile, mais est-ce que vous pouvez me raconter tout depuis le début ?

Cassy prit une profonde inspiration et commença son récit. Le samedi précédant deux semaines auparavant, elle rentrait du cours d’histoire qu’elle donnait à un jeune garçon en ville. Elle avait prévu de sortir avec Mégane pour faire un peu la fête. Elles devaient assister à un petit concert de jazz dans un café à quelques minutes à pied du campus. Cassy était revenue dans leur chambre d’étudiante et au vu de l’heure passant, elle avait supposé que Mégane était déjà venue se changer après son service du midi dans le fast-food où elle travaillait. Elle était donc partie vers le café en question en laissant un premier message à Mégane pour s’excuser de son retard, puis en arrivant au café en constatant son absence, elle avait commencé à se demander où était son amie. Son téléphone vibra à ce moment et elle reçut un SMS de Mégane disant qu’elle avait été retardée au travail et qu’elle arrivait. Cassy s’était alors détendue et avait profité de la soirée en écoutant le concert. Elle avait commencé à paniquer quant à la fin du concert, Mégane n’était pas encore apparue.

Cassy avait laissé plusieurs messages sur le portable éteint de Mégane. Elle avait contacté son employeur qui lui avait confirmé que Mégane était partie à l’heure du travail. Cassy avait alors appelé la police pour s’entendre dire que Mégane était selon l’expression « majeure et vaccinée » et que sans preuve, ils ne déclencheraient pas d’enquête.

— Merci d’attendre au moins 48 h avant de signaler une disparition Mademoiselle, m’a répondu la personne au bout du fil, expliqua Cassy d’un air dégoûté.

Agacée en racontant ce qu’il s’était passé, Cassy s’était levée et avait commencé à faire les cent pas dans le bureau. Elle manifestait son agacement par de grands gestes.

— Bien sûr, j’ai rappelé dans le week-end et j’ai cherché partout où elle aurait pu se trouver. J’ai même fait le trajet à pied deux fois entre son travail et l’appartement pour vérifier si elle n’était pas tombée dans un égout ou dans un bas-côté de la route.

— Et la police n’a rien voulu faire ? demanda David.

— Non, rien. J’ai fini par contacter ses parents le lundi suivant alors que je ne voulais pas les inquiéter. Depuis aucune nouvelle sauf mes rêves.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que ces rêves sont le reflet de la réalité ? demanda David.

Cassy marqua une pause afin de choisir ses mots.

— Je ne sais pas, finit-elle par avouer en soupirant. Je ressens quelque chose de spécial quand je dors. J’ai l’impression de ressentir sa peur et sa détresse.

Elle leva les yeux vers David.

— C’est idiot, hein ?

— Non, ce n’est pas idiot du tout. Vous êtes proche de Mégane et vous vous mettez à sa place.

— Oui certainement, mais je ne pensais pas avoir une imagination débordante à ce point. Je me souviens des odeurs, des lieux, jusqu’aux couleurs des draps sur le lit dans la chambre où elle est retenue prisonnière. Les premiers jours, j’ai pensé comme vous. Et puis, toutes les nuits, j’ai rêvé d’elle. Le rêve est différent à chaque fois et tellement semblable. Je la vois, enfin non, je ne la vois pas. Je suis elle.

— Qu’est-ce que vous entendez par « je suis elle » ?

— Je vois par ses yeux comme si j’étais elle. Enfin presque tout le temps. À certains moments, je ne vois rien, j’entends des voix, enfin, surtout une voix. Une voix qui parle doucement et qui me fait frissonner. Régulièrement, je me réveille en sursaut et en sueur.

David se rendit compte que sa voix tremblait comme si elle était vraiment en présence d’une force maléfique. Cassy se reprit tout de suite. Elle regarda sur l’horloge du bureau.

— Je vois que mon heure est passée, doc. Je vais vous laisser.

— Non encore une minute Cassy. Pourquoi êtes-vous venue me voir ? Je ne peux pas influencer la police si c’était votre idée.

— Vous non, mais moi peut-être. On vient de me donner la carte d’un enquêteur du FBI. Et je me demandais si je devais l’appeler. Si je ne peux pas vous convaincre, j’ai peu de chances d’y arriver avec eux.

— Ne dites pas ça, si quelqu’un vous a donné cette carte, vous devriez appeler. Et puis au pire, que peut-il vous arriver ? Vous débitez votre histoire et ils ne vous croient pas. Ça vous soulagera certainement d’avoir une oreille attentive dans cette histoire.

On frappa à la porte. Cassy se leva et se dirigea vers la porte. Avant de sortir, elle se retourna et lança à David :

— Je vais y penser.

Chapitre 4

En sortant du bureau de David, Cassy retourna dans sa chambre d’étudiante. Elle n’était pas très convaincue et se posait toujours la question de savoir ce qu’elle allait faire.

Allez ma grande, se dit-elle, tu ne risques rien. Et puis si tu ne fais rien, tu vas le regretter.

Elle prit son téléphone portable et composa le numéro inscrit sur la carte.

— Agent Burnet, j’écoute, dit une voix grave.

Cassy fut prise de court, elle pensait qu’il y aurait au moins deux ou trois sonneries avant que quelqu’un décroche.

— Bonjour, je vous appelle, car quelqu’un m’a donné votre carte tout à l’heure. Je souhaite vous parler de la disparition d’une amie sur le campus.

— Quel est votre nom, mademoiselle ?

— Je m’appelle Cassy O’Neill.

— Bien Melle O’Neill, est-ce que vous pouvez me rejoindre à mon bureau d’ici une heure ?

Après avoir noté l’adresse, Cassy se connecta sur internet afin de repérer les lieux et de savoir comment elle allait s’y rendre. Une ligne de bus passant à proximité du campus traversait la ville pour se rendre dans le quartier où se trouvait le lieu du rendez-vous. Le bus partant d’ici quinze minutes, elle attrapa son sac à main et fila en vitesse après avoir fermé la chambre.

*

À l’autre bout du fil, l’homme à la voix grave raccrocha son téléphone et ouvrit un tiroir de son bureau. L’agent Charles Burnet, la quarantaine tout juste passée, étant agent depuis plus de quinze ans au sein du FBI. Les missions, au sein de l’agence, étant diverses et variées, il avait navigué dans plusieurs services et résolut des enquêtes de toute nature. La diversité du travail et l’imprévisibilité de ses journées avaient toujours le même attrait à ses yeux. Il avait demandé sa mutation de New York vers Atlanta afin de faire plaisir à son épouse originaire du coin. Elle n’avait jamais réussi à se faire à l’ambiance de la Grande Pomme.

Brun aux yeux noirs, il savait se fondre dans la masse des goldens boys quand l’enquête était financière, mais également en chef de cartel quand cette dernière concernait la vente de drogue.

Il sortit de son bureau une pile de dossiers. Sa dernière enquête lui donnait du fil à retordre et il n’était pas le seul. Cette enquête avait été traitée par trois collègues avant lui et aucun d’eux n’avait réussi à trouver une piste sérieuse.

L’appel qu’il venait de recevoir ouvrirait peut-être enfin une piste.

*

Une heure plus tard, Cassy arriva dans le hall d’un grand immeuble de bureaux où lui avait été fixé le rendez-vous. Elle demanda au concierge de prévenir de son arrivée. Après avoir eu la confirmation par téléphone de son rendez-vous, il la laissa entrer puis lui indiqua l’un des nombreux ascenseurs disponibles et le fait qu’on l’attendait au 15e étage.

En sortant de l’ascenseur, elle se retrouva face à un homme grand, en costume, les cheveux courts tirant sur le noir avec des yeux de la même couleur.

— Mlle O’Neill ? Je suis l’agent Charlie Burnet, lui dit-il en lui tendant la main.

Cassy lui serra en retour :

— Merci de me recevoir.

— Venez, nous allons discuter dans un endroit un peu moins passant.

Il la précéda, se dirigeant sur la gauche dans un couloir desservant une vingtaine de portes toutes fermées. À la troisième, il prit la poignée et lui ouvrit la porte afin qu’elle puisse pénétrer dans la pièce. La pièce qu’elle découvrit était baignée par le soleil, elle contenait un bureau, une armoire, un grand tableau au mur et trois fauteuils, l’un derrière le bureau et les deux autres devant. Il l’invita à s’asseoir, ce qu’elle fit en restant sur la première moitié du siège mal à l’aise.

— Est-ce que vous pouvez m’exposer le motif de votre visite ? Je dois dire que je suis intrigué, car à ma connaissance aucune enquête pour disparition n’est en cours sur le campus. Qui vous a parlé de moi ?

— En sortant du bureau de la police du campus, votre neveu qui avait entendu notre conversation m’a donné votre carte en me disant que vous pourriez peut-être m’aider.

— Ah, vous connaissez Tom.

— Connaître est un bien grand mot, je lui ai parlé pendant deux minutes. Ça ne fait pas de nous de grands amis, répondit-elle avec un sourire forcé.

— Certes, mais comme c’est lui qui vous envoie, je vais vous écouter.

Cassy recommença le récit qu’elle avait fait à David en début d’après-midi. Charlie prit beaucoup de notes et l’écouta quasiment en silence. Il ne l’interrompit que pour demander des précisions comme le nom du bar où Cassy était allée voir le concert, ou le nom du fast-food où travaille Mégane.

Au fur et à mesure du récit, Charlie remarqua le malaise grandissant de Cassy. Dans son métier, il avait rencontré victimes et coupables et malheureusement, faire la distinction entre les deux n’était pas toujours facile. Chacun manifestait cette sorte de malaise, soit muée par la culpabilité, soit déclenchée par le traumatisme qu’il avait vécu.

Quand Cassy eut terminé, il sentit bien qu’elle n’avait pas tout dit. Son regard le fuyait. Elle hésitait.

— Bien, vous voyez autre chose à me communiquer ?

Cassy se lança :

— Cette nuit, j’ai vu Mégane.

— Comment ça vous l’avait vu ? Elle n’a donc pas disparu si vous la voyez. Ou alors vous voulez me dire que vous l’avez vu avec son ravisseur. Dans ce cas, vous êtes un témoin oculaire.

— Le terme oculaire est de trop. Je l’ai vu, mais dans une vision.

Après tout, se disant qu’elle n’avait rien à perdre, elle expliqua tous les détails de son rêve et à sa grande surprise, elle ne surprit ni haussement de sourcils, ni moue moqueuse dans l’attitude de son interlocuteur ce qui l’incita à continuer.

— Ce que je raconte n’a pas l’air de vous surprendre.

— Détrompez-vous, beaucoup de choses m’ont surpris. La première, c’est pourquoi la disparition d’une jeune femme d’une vingtaine d’années est passée totalement inaperçue. Mais j’ai déjà la réponse à cette question. Le chef de police du campus ne veut pas faire de vagues afin de garder son poste. Ensuite, pourquoi la police locale n’a-t-elle pas voulu vous écouter ? Mais là encore, j’ai une idée. Les cas de disparitions volontaires sont courants et encore plus à l’approche des examens. Quant aux autres disparitions, sans un flagrant délit, l’enquête peut être longue et coûteuse sans forcément produire de résultats. Et les coupes budgétaires de ces dernières années n’ont pas fait que du bien.

Il marqua une pause puis reprit :

— Quant à votre « vision » si c’est en cela que repose votre question, non plus rien ne me surprend après quinze ans de métier. J’ai des collègues qui ont déjà travaillé avec des médiums. Les résultats n’ont jamais été très probants, mais on ne sait jamais.

*

Après le départ de Cassy, Charlie prit le temps d’ouvrir les dossiers qu’il avait précédemment sortis. Il s’était bien gardé de dire toute l’histoire à cette dernière.

Quatre dossiers étaient étalés devant lui. Les disparitions commençaient dix ans auparavant par celle de Laetitia, Elisabeth, Margareth et Lucie. En regardant les photos des jeunes femmes, une similitude sautait aux yeux. Toutes étaient brunes plus ou moins naturellement avec de grands yeux verts. Toutes, la vingtaine débutante. Toutes, avec un sourire à faire pâlir d’envie Miss America. Toutes, avec une joie de vivre évidente. Des disparitions comme celles-ci, il s’en produisait plusieurs dizaines de milliers aux USA par an. Et pourtant elles avaient disparu sans laisser aucune trace, selon un rythme irrégulier qui laissait supposer que ces jeunes filles étaient le sommet d’un iceberg insoupçonné. La seule chose qui les reliait était la zone géographique de leur disparition : le campus universitaire.

Pour chaque dossier, une enquête plus ou moins approfondie avait été menée par la police locale. Mais ces derniers n’avaient été reliés que récemment grâce à un logiciel de regroupement ayant fait le lien entre plusieurs dizaines d’affaires non résolues sur les vingt dernières années.

Laetitia a disparu la première, dix ans auparavant, un soir en sortant de son travail. Elisabeth a disparu 3 ans plus tard. Un matin, elle n’est pas allée en cours et la police n’avait trouvé aucun indice. L’année suivante, Margareth, pour sa part, a laissé un mot dans sa chambre à son petit copain disant qu’elle partait faire un footing et n’est jamais rentrée. Et enfin, cinq ans auparavant, Lucie est la seule à avoir appelé la police lors de son enlèvement et l’enregistrement de cet appel était le seul et unique indice disponible dans son dossier. Ce dernier était d’ailleurs assez court et elle n’avait eu le temps que de donner son nom, de dire qu’elle était retenue contre sa volonté avant de l’entendre crier « non ». Un bruit sourd indiquant qu’elle avait été frappée avait été suivi d’un bruit sourd de respiration, puis plus rien. Son téléphone avait ensuite été éteint.

Le problème c’est qu’aucun corps n’ayant jamais été retrouvé, certains policiers étaient partis sur des pistes incluant la disparition volontaire, ces jeunes filles ayant eu des périodes mouvementées au sein du campus, ce qui avait fait perdre beaucoup de temps sur les recherches.

Charlie appela un de ses collègues de Washington avec qui il avait été à l’académie pour lui demander son avis sur les affaires comprenant l’intervention d’un médium. Ce collègue, Jack Francq, lui répondit qu’une seule fois et dans un seul dossier, l’intervention d’un médium avait été déterminante dans la résolution de l’affaire. La plupart du temps, les personnes qui se présentaient spontanément cherchaient juste à se faire de la publicité ; il lui recommanda donc la plus grande prudence.

Charlie lui demanda le nom du médium en question et Jack lui répondit qu’il ne s’en souvenait pas, mais qu’il allait chercher. La seule chose dont il se souvenait était que cette personne était morte peu de temps après la résolution de l’affaire.

Chapitre 5

Sur le chemin du retour, Cassy ne savait pas ce qu’il fallait penser de son entretien. Dans un sens, elle avait trouvé une oreille attentive et dans l’autre, ce qu’elle racontait semblait tellement incroyable qu’elle doutait d’elle-même à certains moments.

Comme son 1er cours de la journée n’aurait lieu qu’en fin de matinée, elle décida de rentrer à pied pour prendre l’air. C’était une belle journée d’automne avec les couleurs assorties. Elle longea les immeubles pour finir par arriver dans un jardin municipal. Elle croisa plusieurs nounous avec leurs poussettes remplies de pitchounes de tout âge. Un léger vent chaud soufflait, l’été indien se prolongeait avec des températures agréables.

Cassy s’assit sur un banc pour regarder ce défilé courant dans un tel endroit. Elle se remémora sa propre enfance. Une enfance heureuse dans les premières années. Ce parc lui rappela celui où elle venait, enfant, avec sa mère. Un arbre réveillait particulièrement ses souvenirs. Un bel érable du Japon certainement centenaire trônait au milieu du square, entouré d’un rebord sur lequel les enfants marchaient en équilibre. Cassy se souvenait avoir passé des heures à faire le tour d’un arbre similaire en tenant son équilibre, avec sa mère qui riait.

Lors de son entrée en CP, la maîtresse avait demandé de réaliser un herbier, et Cassy avait ramené des feuilles provenant de son square, la plus belle feuille étant celle qu’elle avait cueillie sur ce bel arbre aux couleurs rouges. Elle avait adoré voir une feuille qui était toute découpée et depuis c’était toujours son arbre préféré.

Après la disparition de ses parents, elle avait demandé à sa tante d’en planter un dans le jardin, chose que sa tante avait réalisée avec plaisir. Cassy adorant le dessin, elle avait peint cet arbre par tous les temps et en toute saison. Une larme coula au coin de son œil sans qu’elle s’en rende compte.

Elle sourit quand une petite fille d’environ deux ans la regarda avec intérêt. Ses belles boucles blondes encadraient un visage poupon. La petite fille voulut lui tendre son doudou pour la consoler et lui rendit son sourire. Cassy improvisa sa grimace préférée, ce qui fit éclater de rire la petite fille et attira l’attention de la nounou qui discutait avec une de ses consœurs. Elle appela sèchement la petite fille consciente d’avoir été prise en faute et d’avoir laissé échapper l’enfant qui lui est confié.

Cassy se dit qu’elle reviendrait un autre jour pour immortaliser cet arbre qui lui rappelle tant son enfance et reprit sa route vers l’université.

La journée passa tant bien que mal, Cassy écoutant d’une oreille en essayant de prendre des notes. Elle rejoint un groupe d’amis pour manger, histoire de se changer les idées et elle eut la surprise de voir Tom qui déjeunait quelques tables plus loin. Elle se surprit à regarder plusieurs fois dans sa direction en attendant qu’il remarque sa présence, ce qui ne manqua pas d’arriver.

Tom lui envoya un sourire éclatant qui lui réchauffa le cœur. Il lui fit un petit signe pour lui montrer la terrasse du restaurant. Elle acquiesça par un léger signe de tête et s’excusa auprès de ses amis. Elle se leva en prenant son plateau qu’elle vida et sortit par la porte latérale.

Elle rejoint Tom quelques mètres plus loin.

— Salut,

— Salut, quelque chose a changé ?

Cassy s’étonna.

— Mais oui, tu as le sourire, lui fit remarquer Tom.

Cassy faillit rougir jusqu’aux oreilles et se reprit en passant la main dans ses cheveux.

— Oui, c’est une belle journée et j’ai une furieuse envie de sécher les cours cet après-midi.

— Allez cap, je t’emmène faire un tour. Allons profiter du soleil.

Ils s’installèrent à la terrasse d’un café en centre-ville et commandèrent des cafés. Tom entama la conversation :

— Pourquoi avoir accepté de venir boire un café avec moi parce que j’ai eu plutôt l’impression que tu allais me mordre quand je t’ai adressé la parole hier ?

— C’est l’étudiant en psycho qui parle ? demanda Cassy

— Non, rigola Tom, c’est le curieux.

— Je n’en sais rien. Une envie du moment, un besoin de s’éloigner de la fac ou un geste masochiste. Au choix.

— Fabuleux tableau, dis-moi. Je suis un choix masochiste. Je ne sais pas trop comment je dois le prendre, ironisa Tom en souriant.

— Laisse-moi préciser ma pensée. Je veux profiter du moment tout en sachant que je vais devoir rattraper pour les partiels, donc que je vais m’imposer du travail supplémentaire en soirée alors qu’assister au cours aurait été plus simple. Un peu masochiste, non ?

— Bonne définition, et là, c’est l’étudiant en psycho qui parle.

— Qu’est-ce qui t’a poussé à faire psycho ? On dit toujours que le psy est encore plus malade que le malade lui-même ?

Une ombre passa dans le regard de Tom. Cassy se demanda si la question n’était pas trop personnelle pour une 1re question.

— Je me demande comment fonctionne le cerveau humain. C’est passionnant. C’est pour moi un territoire encore inexploré. Pourquoi est-ce que j’aime telle ou telle histoire ? Pourquoi suis-je patient ou pourquoi est-ce que ma couleur préférée est le bleu ? Ce sont des questions qui me passionnent ?

— Et tu as toujours voulu faire ça ?

— Non, quand j’étais gosse, je voulais être superhéros, mais j’ai vite compris que le métier n’avait pas d’avenir, car Thanos n’est pas encore venu sur Terre.

— Ce n’est pas drôle de se moquer de moi, rigola Cassy.

— Je ne me moque pas, avec un père pompier et un oncle « agent secret », j’ai été bercé par la défense des innocents depuis tout petit. Et quand je suis arrivé au collège, il a bien fallu que je me rende compte que ce métier n’était pas enseigné, reconnu Tom. Et puis ma sœur se moquait trop de moi.

— Tu as une sœur ?

— Oui, pire, une sœur jumelle. C’est aussi une raison de ma vocation. La relation gémellaire est particulière. Et toi ?

— Je suis fille unique, mais j’ai un cousin que je considère comme mon frère. J’ai été élevé avec lui depuis mes 6 ans.

— Histoire familiale difficile ?

— Pas si difficile que ça. J’ai perdu mes parents dans un accident de voiture quand j’avais 6 ans. Je n’en ai aucun souvenir. Ma tante m’a élevé comme sa fille avec son fils. Rien d’exceptionnel en somme.

— Et ton choix d’études ?

— J’adore l’histoire en général. J’ai fait un échange scolaire au lycée et j’ai découvert les châteaux de la Loire en France. J’adore l’architecture et je souhaite me spécialiser dans la restauration des monuments historiques.

— Vaste programme, et à l’étranger en plus, tu ne comptes pas rester aux États-Unis ?

— Je ne sais pas, je ne fais pas de plans sur la comète, j’irais où me mènera la vie. J’ai grandi avec l’idée que rien n’est jamais gravé dans le marbre et que tout peut basculer. Il faut profiter du temps présent.

Cassy était étonnée de la facilité avec laquelle elle se confiait à ce garçon qu’elle ne connaissait que depuis la veille. Elle n’avait pas ressenti ce sentiment de confiance depuis longtemps et ça lui faisait le plus grand bien.

Ils restèrent plusieurs heures à discuter, se confiant l’un à l’autre avec une aisance non dissimulée, partageant leurs passions. L’un complétant les phrases de l’autre. Ils dînèrent sur le pouce en achetant dans un snack et en se baladant jusqu’à une heure avancée.