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Électre est une pièce de théâtre en deux actes de Jean Giraudoux, représentée pour la première fois le 13 mai 1937 au théâtre de l’Athénée dans une mise en scène de Louis Jouvet, avec des costumes dessinés par Dimitri Bouchène.
Agamemnon, le Roi des Rois, a sacrifié sa fille Iphigénie aux dieux. Sa femme Clytemnestre, aidée de son amant, Égisthe, l’assassine à son retour de la guerre de Troie. Oreste, le fils est banni. Reste Électre, la seconde fille : « Elle ne fait rien, ne dit rien. Mais elle est là ». Aussi Égisthe veut-il la marier au jardinier du palais afin de détourner sur « la famille des Théocathoclès tout ce qui risque de jeter quelque jour un lustre fâcheux sur la famille des Atrides ».
Passage épique de l’
Odyssée d’Homère, repris ensuite sous forme de tragédie aux débuts de celle-ci par Eschyle, Sophocle et Euripide au Ve siècle avant notre ère, l’
Électre de Giraudoux apparaît comme la réécriture de la réécriture d’un mythe. Avec de nombreuses modifications anachroniques, notamment le rôle du couple bourgeois comme un mirage burlesque du couple tragique, Électre est une des nombreuses preuves de l’intemporalité de la tragédie. Écrite en 1937, il s’agirait en effet d’une « tragédie bourgeoise », selon Jean Giraudoux lui-même.
Après la tragique mort d’Agamemnon, roi d’Argos assassiné à son retour de Troie, Électre, fille de celui-ci et de la reine Clytemnestre, cherche le coupable tout en ressentant une haine inexplicable pour sa mère. L’arrivée d’Oreste, son frère exilé depuis le mystérieux assassinat, et les confessions d’adultère faites par la femme du président du sénat à celui-ci, aideront Électre dans sa quête qui la mènera finalement à être l’objet de la malédiction qui pèse sur sa famille. Le personnage éponyme dirige son frère et s’affirme, c’est réellement le personnage principal.
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First published in 1937
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Électre a été joué pour la première fois le jeudi 13 mai 1937 au théâtre Louis Jouvet (Athénée) sous la direction de Louis Jouvet et avec la distribution suivante :
Électre : Renée Devillers.
Clytemnestre : Gabrielle Dorziat.
Agathe : Madeleine Ozeray.
La femme Narsès : Raymone.
Les Euménides : Marthe Herlin, Monique Mélinand, Denise Pezzani.
Les petites Euménides : Vera Phares, Nicole Munie, Clairette Fournier.
Le mendiant : Louis Jouvet.
Égisthe : Pierre Renoir.
Le président : Romain Bouquet.
Oreste : Paul Cambo.
Le jardinier : Alfred Adam.
Le jeune homme : Jean Deninx.
Le capitaine : Robert Bogar.
Le garçon d’honneur : Maurice Castel.
Les majordomes : Julien Barrot, René Belloc.
Un mendiant : André Moreau.
Invités villageois, soldats, serviteurs, écuyers et suivantes, mendiantes et mendiants : Pamela Stirling, Émile Villard, Paul Ménager, Robert Geller, Constant Darras, Fernand Bellan, Roger Astruc.
Cour intérieure dans le palais d’Agamemnon.
Une musique de scène avait été composée pour la pièce par Vittorio Rieti. Le décor était de Guillaume Monin, les costumes de Dimitri Bouchene et Karinska.
Un étranger (Oreste) entre escorté de trois petites filles, au moment où, de l’autre côté, arrivent le jardinier, en costume de fête, et les invités villageois.
Ce qu’il est beau, le jardinier !
Tu penses ! C’est le jour de son mariage.
Le voilà, monsieur, votre palais d’Agamemnon !
Curieuse façade !... Elle est d’aplomb ?
Non. Le côté droit n’existe pas. On croit le voir, mais c’est un mirage. C’est comme le jardinier qui vient là, qui veut vous parler. Il ne vient pas. Il ne va pas pouvoir dire un mot.
Ou il va braire. Ou miauler.
La façade est bien d’aplomb, étranger ; n’écoutez pas ces menteuses. Ce qui vous trompe, c’est que le corps de droite est construit en pierres gauloises qui suintent à certaines époques de l’année. Les habitants de la ville disent alors que le palais pleure. Et que le corps de gauche est en marbre d’Argos, lequel, sans qu’on ait jamais su pourquoi, s’ensoleille soudain, même la nuit. On dit alors que le palais rit. Ce qui se passe, c’est qu’en ce moment le palais rit et pleure à la fois.
Comme cela il est sûr de ne pas se tromper.
C’est tout à fait un palais de veuve.
Ou de souvenirs d’enfance.
Je ne me rappelais pas une façade aussi sensible...
Vous avez déjà visité le palais ?
Tout enfant.
Il y a vingt ans.
Il ne marchait pas encore.
On s’en souvient, pourtant, quand on l’a vu.
Tout ce que je me rappelle, du palais d’Agamemnon, c’est une mosaïque. On me posait dans un losange de tigres quand j’étais méchant, et dans un hexagone de fleurs quand j’étais sage. Et je me rappelle le chemin qui me menait rampant de l’un à l’autre... On passait par des oiseaux.
Et par un capricorne.
Comment sais-tu cela, petite ?
Votre famille habitait Argos ?
Et je me rappelle aussi beaucoup, beaucoup de pieds nus. Aucun visage, les visages étaient haut dans le ciel, mais des pieds nus. J’essayais, entre les franges, de toucher leurs anneaux d’or. Certaines chevilles étaient unies par des chaînes ; c’était les chevilles d’esclaves. Je me rappelle surtout deux pieds tout blancs, les plus nus, les plus blancs. Leur pas était toujours égal, sage, mesuré par une chaîne invisible. J’imagine que c’était ceux d’Électre. J’ai dû les embrasser, n’est-ce pas ? Un nourrisson embrasse tout ce qu’il touche.
En tout cas, c’est le seul baiser qu’ait reçu Électre.
Pour cela, sûrement.
Tu es jaloux, hein, jardinier ?
Elle habite toujours le palais, Électre ?
Toujours. Pas pour longtemps.
C’est sa fenêtre, la fenêtre aux jasmins.
Non. C’est celle de la chambre où Atrée, le premier roi d’Argos, tua les fils de son frère.
Le repas où il servit leurs cœurs eut lieu dans la salle voisine. Je voudrais bien savoir quel goût ils avaient.
Il les a coupés, ou fait cuire entiers ?
Et Cassandre fut étranglée dans l’échauguette.
Ils l’avaient prise dans un filet et la poignardaient. Elle criait comme une folle, dans sa voilette... J’aurais bien voulu voir.
Tout cela dans l’aile qui rit, comme tu le remarques.
Celle avec les roses ?
Étranger, ne cherchez aucune relation entre les fenêtres et les fleurs. Je suis le jardinier du palais. Je les fleuris bien au hasard. Ce sont toujours des fleurs.
Pas du tout. Il y a fleur et fleur. Le phlox va bien mal sur Thyeste.
Et le réséda sur Cassandre.
Vont-elles se taire ! La fenêtre avec les roses, étranger, est celle de la piscine où notre roi Agamemnon, le père d’Électre, glissa, revenant de la guerre, et se tua, tombant sur son épée.
Il prit son bain après sa mort. À deux minutes près. Voilà la différence.
La voilà, la fenêtre d’Électre.
Pourquoi si haut, presque aux combles ?
Parce que, de cet étage, on voit le tombeau de son père.
Pourquoi dans ce retrait ?
Parce que c’est l’ancienne chambre du petit Oreste, son frère, que sa mère envoya hors du pays quand il avait deux ans, et dont on n’a plus de nouvelles.
Écoutez, écoutez, mes sœurs ! On parle du petit Oreste !
Voulez-vous partir ! Allez-vous nous laisser ! On dirait des mouches.
Nous ne partirons pas. Nous sommes avec l’étranger.
Vous connaissez ces filles ?
Je les ai rencontrées aux portes. Elles m’ont suivi.
Nous l’avons suivi parce qu’il nous plaît.
Parce qu’il est rudement plus beau que toi, jardinier.
Les chenilles ne lui sortent pas de la barbe.
Ni les hannetons du nez.
Pour que les fleurs sentent bon, il faut sans doute que le jardinier sente mauvais.
Soyez polies, mes enfants, et dites-nous ce que vous faites dans la vie.
Nous y faisons que nous ne sommes pas polies.
Nous mentons. Nous médisons. Nous insultons.
Mais notre spécialité, c’est que nous récitons.
Vous récitez quoi ?
Nous ne le savons pas d’avance. Nous inventons à mesure. Mais c’est très bien, très bien.
Le roi de Mycènes, dont nous avons injurié la belle-sœur, nous a dit que c’était très, très bien.
Nous disons tout le mal que nous pouvons trouver.
Ne les écoutez pas, étranger. On ne sait qui elles sont. Elles circulent depuis deux jours dans la ville, sans amis connus, sans famille ! Si on leur demande qui elles sont, elles prétendent s’appeler les petites Euménides. Et l’épouvantable, est qu’elles grandissent, qu’elles grossissent à vue d’œil... Hier, elles avaient des années de moins qu’aujourd’hui... Viens ici, toi !
Ce qu’il est brusque, pour un marié !
Regardez-la... Regardez ces cils qui poussent. Regardez sa gorge. Je m’y connais. Mes yeux savent voir pousser les champignons... Elle grandit sous les yeux..., à la vitesse d’une oronge...
Les vénéneux battent tous les records.
Elle grossit, ta gorge, à toi ?
Récitons-nous, oui ou non ?
Laissez-les réciter, jardinier.
Récitons Clytemnestre, mère d’Électre. Vous y êtes, pour Clytemnestre ?
Nous y sommes.
La reine Clytemnestre a mauvais teint. Elle se met du rouge.
Elle a mauvais teint parce qu’elle a mauvais sommeil.
Elle a mauvais sommeil parce qu’elle a peur.
De quoi a peur la reine Clytemnestre ?
De tout.
Qu’est-ce, que tout ?
Le silence. Les silences.
Le bruit. Les bruits.
L’idée qu’il va être minuit. Que l’araignée sur son fil est en train de passer de la partie du jour où elle porte bonheur à celle où elle porte malheur.
Tout ce qui est rouge, parce que c’est du sang.
La reine Clytemnestre a mauvais teint. Elle se met du sang !
Quelles histoires stupides !
C’est bien, n’est-ce pas ?
Comme nous rattrapons le commencement avec la fin, c’est on ne peut plus poétique ?
Très intéressant.
Puisque Électre vous intéresse, nous pouvons réciter Électre. Vous y êtes, sœurs ? Nous pouvons réciter ce qu’elle était, Électre, à notre âge.
Je le pense, que nous y sommes !
Depuis que nous n’étions pas nées, depuis avant-hier, nous y sommes !
Électre s’amuse à faire tomber Oreste des bras de sa mère.
Électre cire l’escalier du trône pour que son oncle, Égisthe, le régent, s’étale sur le marbre !
Électre se prépare à cracher à la figure de son petit frère Oreste, si jamais il revient.
Cela, ce n’est pas vrai. Mais ça fait bien.
« Depuis dix-neuf ans elle amasse
Dans sa bouche un crachat fielleux. »
« Elle pense à tes limaces,
Jardinier, pour saliver mieux. »
Cette fois, taisez-vous, sales petites vipères !
Ah là ! là ! Le marié se fâche.
Il a raison. Filez !
Et ne revenez pas !
Nous reviendrons demain.
Essayez ! Le palais est interdit aux filles de votre âge !
Demain nous serons grandes.
Demain sera le lendemain du mariage d’Électre avec son jardinier. Nous serons grandes.
Que disent-elles ?
Tu ne nous as pas défendues, étranger, tu t’en repentiras !
Affreuses petites bêtes. On dirait trois petites Parques ! C’est effroyable le destin enfant.
Le destin te montre son derrière, jardinier. Regarde s’il grossit !
Venez, sœurs. Laissons-les tous deux devant leur façade gâteuse.
Sortent les petites Euménides, devant qui s’écartent avec terreur les invités.
L’étranger, le jardinier, le président du tribunal et sa jeune femme, Agathe Théocathoclès, les villageois.
Que disent ces filles ! Que tu épouses Électre, toi, le jardinier ?
Elle sera ma femme dans une heure.
Il ne l’épousera pas. Nous venons pour l’en empêcher.
Jardinier, je suis ton cousin éloigné, et second président du tribunal. Puisque je peux, à double titre, te donner un conseil, fuis vers tes radis et tes courges, n’épouse pas Électre.
C’est l’ordre d’Égisthe.