En flânant avec... Aristide Bruant - Jean-Claude Vernet - E-Book

En flânant avec... Aristide Bruant E-Book

Jean-Claude Vernet

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Beschreibung

En suivant les traces d'Aristide Bruant, nous explorerons les quartiers de Paris, des blanchecailles de la Goutte d'Or aux apaches chez un mannezingue de la Viltouse, en passant par les vieilles pierreuses de la barrière. Nous esquiverons les messieurs de la raclette devant la Wallace et nous nous rendrons au Château Rouge après une escale chez le père Lafritte. À la Bastille, nous penserons à Nini-peau-de-chien, si belle et gentille depuis qu'elle s'est dessalée à Sainte-Marguerite. Si une partie de ce texte vous échappe, ce livre est fait pour vous !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Octogénaire, Jean-Claude Vernet a débuté sa carrière dans un palace parisien puis a travaillé dans le marketing et les assurances. Féru de belles chansons, il possède une collection de dictionnaires et vous guidera à travers les quartiers de Paris de l’époque 1900, vous plongeant dans le langage d’Aristide Bruant et vous faisant découvrir la vie de cette époque.

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Jean-Claude Vernet

En flânant avec… Aristide Bruant

Essai

© Lys Bleu Éditions – Jean-Claude Vernet

ISBN : 979-10-422-1066-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Paroles de Georges Brassens :

Auto-édité : 1999 (épuisé) ;

Éditions de la Nerthe : 2001 (épuisé).

Droits d’auteur

Les textes d’Aristide Bruant ont été élevés à l’honneur du domaine publique, 70 ans après son décès, survenu en 1925.

Portait de l’auteur : Studio Reg’art – 83160 LA VALETTE DU VAR.

À Lydie, Jérôme,

Oriane… et… Hugo !

Adresse au lecteur

Comme bien d’autres, les nuits parisiennes de nouba, terminées aux Halles, à l’heure de la soupe à l’oignon Au pied de cochon, je m’étais égosillé en cherchant fortune autour du Chat Noir ou, en suivant, à la Bastille, Nini-peau de chien qui est si belle et si gentille… sans trop savoir qui avait écrit les paroles…

J’avais apprécié Yves Montand, brillant interprète des canuts…

Patachou m’avait ému avec cette pauvre gosse « qu’était claqué’ le jour de sa noce », Rue Saint-Vincent…

Renaud avait mis Lézard à son répertoire…

Mais, c’est par les interprétations de Georges Brassens que j’ai réellement rencontré Aristide Bruant : Belleville-Ménilmontant, À la Goutte d’Or, À la place Maubert.

C’était pas mal… Mais, il y avait un obstacle de taille : je ne comprenais pas de nombreux mots et les références aux personnages et lieux de l’époque m’étaient étrangères… Il suffisait de chercher un peu… Et de découvrir les autres textes du chansonnier…

Dans cette quête, en remontant le chemin qui amène de Georges Brassens à François Villon, beaucoup de pierres sont manquantes. Mais, ici, avec Aristide Bruant, en voici une, de belle taille, robuste et soigneusement polie…

Aristide Bruant nous entraîne, Dans la rue, au pays des sans domicile, des sans pain, celui des Pilon, des Sonneur, des Fossoyeur, des Petits joyeux, des Marcheuses, Sous les ponts, dans une Ronde des marmites, images prises Sur le tas et même À Biribi.

En ce début du XXIe siècle, ce monde pourrait paraître bien ancien, poussiéreux, ringard. Hélas non, tout cela est d’une brûlante actualité lorsqu’on lit À la Chapelle ou Aux frais de la princesse.

Avec nos yeux du troisième millénaire, il peut être reproché à Aristide Bruant son sexisme, ses airs cocardiers, et même pire, bien pire ! Mais ne soyons pas manichéens… Il y a plus de cent ans, il a décrit avec beaucoup de réalisme la mort d’un SDF dans Grelotteux, l’enfance martyre dans Toutou et, avant bien d’autres, il nous a indiqué :

Primo, d’abord,

I’ faudrait abolir la peine

De mort…

Par ses témoignages fidèles et réalistes, Aristide Bruant nous a offert les portraits de tous les laissés-pour-compte, les sans-dents de la société où il a vécu.

Hélas, ce sont les mêmes aujourd’hui :

« T’es dans la ru’, va, t’es chez toi. »

Bonne lecture…

J C.V.

Une recommandation : Aristide Bruant avait, souventes fois, un langage fleuri, vert, quelquefois explicite : cet ouvrage doit rester hors de portée des enfants…

Biographie d’Aristide Bruant

Louis Armand Aristide Bruand (devenu célèbre, le chansonnier remplacera le d final par un t) naît à Courtenay (Loiret) le 6 mai 1851.

Son père est agent d’affaires.

Le jeune Aristide est un bon élève, notamment en composition française, en grec et en latin, au collège de Sens.

La mort de son père et des revers de fortune amènent sa famille à se fixer à Paris. Les déménagements à la cloche de bois se succèdent… En 1868, il deviendra apprenti, puis ouvrier bijoutier jusqu’en 1874. L’année suivante il entre à la Compagnie des Chemins de Fer du Nord.

Il occupe ses quelques heures de loisirs à se constituer une éducation artistique et apprend la musique. Il fréquente les milieux populaires et se trouve en contact avec les ouvriers et les artisans et aussi avec les fleurs du pavé et de la pègre.

On le retrouve également dans les guinguettes de Belleville et de Ménilmontant. Avec allure et souffle, il y pousse, occasionnellement, la chansonnette. Puis, il se risque à se produire en public. Il obtient de courts engagements au café-concert Dorelli à Nogent-sur-Marne, au concert de l’Époque, boulevard Beaumarchais, puis à La Scala, avec :

Auprès de ma blonde

Meunier tu es cocu

Sur la route de Louviers

L’enterrement de bonne maman

Il écrit quelques textes, parmi lesquels :

- en 1879, J’suis de l’avis du gouvernement, Célina,
- en 1880, D’la braise, Sur l’Boulevard.

Il effectue également quelques passages au cabaret du Chat Noir.

C’est là qu’il se transforme et devient vraiment Aristide Bruant. Il y inaugure les chansons faubouriennes proposées dans le présent ouvrage (Belleville-Ménilmontant,À La Villette, À Montmerte, À la Glacière, À la Goutte-d’Or, etc.).

Il loue l’ancienne salle du Chat Noir et s’y installe en ouvrant Le Mirliton.

Il y crée le « style Bruant » en invectivant les clients…

Il y interprète également des « chansons patriotiques et militaires » fort prisées à l’époque, l’Alsace et la Lorraine n’étant plus des territoires français…

L’établissement connaîtra le succès.

Aristide Bruant le quittera en 1895.

En 1883 naît un petit Aristide. Bruant père ne vit pas avec la mère. Cet enfant deviendra officier et mourra à Craonne, en 1917.

Après Le Mirliton, Aristide Bruant prend, pendant quatre ans, la direction du café-concert l’Époque avec Madame Mathilde Taquini d’Or, célèbre cantatrice de l’Opéra-Comique, avec laquelle il a uni sa vie en 1893.

En 1898, il se présente aux élections législatives. Il n’est point élu.

Il publie une dizaine de romans qui connaîtront un succès mitigé.

Avec Léon Bercy, il écrit un dictionnaire de l’argot publié en 1901.

Après l’Époque, il mène une vie de châtelain à Courtenay.

Ponctuellement il remontera sur les planches avec d’immenses succès avec l’appoint d’une célèbre affiche signée Henri de Toulouse-Lautrec.

Le 12 février 1925, à son domicile parisien, il s’éteint dans les bras de Mathilde.

Il est enterré à Subligny (près de Sens) où ses parents sont inhumés.

Quelques repères en argot

Les jargons

le largonji

Ce jargon a pris corps au temps de Vidocq. Son rôle est de crypter les mots.

Il consiste à reporter à la fin d’un mot sa première consonne et à la remplacer par un « l ».

Entraînons-nous !

Prenons le mot « jargon »,

retirons le « j » initial,

nous le remplaçons par un « l » et nous obtenons « largon »,

nous reportons le « j » à la fin. Nous obtenons : « l – argon – j » soit, « largonji » !

le loucherbem

Ce jargon est celui des bouchers.

Comme le largonji, il a pour but de crypter les mots afin que les conversations soient incompréhensibles par le profane. En l’espèce par les clients des bouchers.

Il consiste à reporter à la fin du mot la première consonne et de la remplacer par un « l ». Ensuite le mot obtenu est affublé d’un suffixe « em » ou « me » ou « eme ».

Essayons avec « boucher » :

Remplaçons la première consonne par un « l ». Nous obtenons « loucher ».

Complétons par le « b » initial. Nous avons « loucherb ».

Terminons en complétant par le suffixe « em ». Nous obtenons « loucherbem ».

Les suffixes

-aille

apporte un sens collectif et péjoratif.

Exemple : pestailles, policiers.

-ard

apporte généralement un sens péjoratif.

Exemple : zigard, mauvais zig.

-asse

apporte un sens dépréciatif et péjoratif.

Exemple : vinasse, mauvais vin.

-d

contribue à des formes verbales inconjugables.

Exemple : marida, marier.

-go

abrège un mot ou renforce un démonstratif.

Exemple : mézigo, moi.

-much

tiré de l’adjectif « muche », excellent, dérivation substantive.

Exemple : laquereaumuche, maquereau (souteneur).

-o ou ot

apporte un côté populaire et argotique et sert, généralement, à abréger.

Exemple : Parigot, parisien.

-oche

suggère un sens plaisant et familier.

Exemple : Bastoche, la Bastille.

-ouse ou ouze

apporte un côté populaire et argotique et marque un sens péjoratif.

Exemple : galtouze, gamelle.

-ton

communique une once d’humour ou de dédain.

Exemple : mecton, petit mec.

-uche

apporte la familiarité.

Exemple : camarluche, camarade.

Bibliographie indexée

Bibl1

Aristide Bruant – Jeanne Landre – La nouvelle société d’édition – 1930.

Bibl2

Aristide Bruant – Alexandre Zévaés – La nouvelle revue critique – 1943.

Bibl3

Dictionnaire de l’argot du XXe siècle – Aristide Bruant – réédition – Éditions Chimére – 1990.

Bibl4

Journal L’illustration.

Bibl5

Histoire de la vie privée – Tome 4 : De la révolution à la Grande Guerre – Sous la direction de Philippe Ariès et Georges Duby – Éditions du Seuil – Octobre 1987.

Bibl6

Paris ouvrier : des sublimes aux camarades – Alain Rustenholz – Éditions Parigramme – 2003.

Bibl7

Voleurs : physiologie de leurs mœurs et de leur langage – Vidocq –1837.

Bibl8

Les excentricités du langage – Lorédan Larchey – Librairie Dentu – 1865.

Compléments accessibles gratuitement sur internet

Le Paris de 1900, Montmartre, le domaine de la chanson font l’objet de nombreuses vidéos proposées gratuitement, en partage, sur internet.

Lorsque c’est possible, une étoile * conseille au lecteur d’accéder à ces contenus.

Requêtes à effectuer sous :

Google images

 : accès à des cartes postales datant du début du XX

siècle sur le site consacré aux collectionneurs :

www.cparama.com

compléter cette adresse du nom du quartier souhaité,

Exemple : rue de Belleville

https://www.cparama.com/forum/paris-rue-de-belleville-t4332.html

Google vidéos

 :

Cabaret Bruant :

Voici plusieurs années une troupe théâtrale suisse a réalisé un spectacle, hommage à Aristide Bruant, d’une très grande qualité. Pour y accéder, la requête : cabaret Bruant, suivi du titre de la chanson.

Exemple :

https://youtu.be/lrBKOMiYI2E

(À Belleville)

Interprétations d’Aristide Bruant :

Enregistrées en 1925, dans les conditions techniques de l’époque, peuvent être auditionnées des interprétations du chansonnier.

Pour y accéder, la requête : Aristide Bruant, suivi du titre de la chanson.

Exemple :

https://www.youtube.com/watch?v=WDhhG3EBNZ0

(À la Place Maubert)

Le cabaret du Chat Noir

Cette chanson écrite par Aristide Bruantassocie, dans notre mémoire, le chansonnier au cabaret.

L’histoire de celui-ci est étroitement liée à celle de Paris… L’enceinte gallo-romaine de l’île de la Cité protégeait Lutèce… Au nord, sur un sous-sol de gypse, une levée de terre pointait à l’horizon.

L’étymologie du nom est mal établie : Mont de Mercure et Mont de Mars, en raison de la présence de temples gallo-romains ou Mont des Martyrs…

Dans les premiers siècles de notre ère, le pape Clément avait envoyé en Gaule un évêque missionnaire… Avec ses deux disciples, Rustique et Eleuthère, il construit une cathédrale et évangélise. Il termina en martyr avec sa tête sous le bras…

Au XIIe siècle, Louis VI le Gros y fait construire une église et un monastère qui sera donné aux Bénédictines de Saint Pierre des Dames.

L’endroit est venté ; y sont implantés des moulins à vent… Il y avait du soleil… Les bonnes sœurs y favorisent la culture des vignes… En effet, une charte leur octroie le « droit de presser ». L’usage de leurs pressoirs devient la principale source de revenus de l’abbaye.

En 1534, Ignace de Loyola fonde, avec six compagnons, l’ordre des Jésuites… et installe la communauté dans une maison située dans une venelle pentue bordée de champs qui deviendra, trois siècles plus tard, la rue Cortot…

Montmartre devient une commune indépendante où, en dehors des barrières fiscales de l’octroi, moult tavernes, cabarets et autres guinguettes offrent un vin, exempt de droits, moins cher qu’à l’intérieur de l’enceinte de Paris… Le vin récolté sur la butte, appelé guinguet, est diurétique : un dicton affirme « qui en boit une pinte (93 centilitres !) en pisse quatre ».

Montmartre est rattachée à Paris en 1860… Arrivent : la guerre désastreuse contre la Prusse… le siège de Paris… la famine…

Montmartre devient l’un des hauts lieux de la Commune… L’élan populaire s’achève dans le sang…

Pour les fervents catholiques, ce siège interminable, éprouvant, dangereux et la révolte des rouges et des anarchistes ne peuvent être… qu’une punition divine… Deux riches bourgeois, Legentil et Rohaut, font le vœu d’ériger une église, à Paris, dédiée au Sacré-Cœur de Jésus. Lieu de fondation de l’ordre des Jésuites… c’est la butte Montmartre qui est choisie…

La première pierre est posée en 1875 et les travaux débutent en 1878. Pour assurer le coûteux financement, on a recours à plus de dix millions de donateurs achetant, qui une pierre, qui une colonne, qui un pilier… Après une longue période de travaux de construction, la basilique du Sacré-Cœur sera consacrée le 16 octobre 1919…

Après la terrible répression de la Commune, l’ordre moral règne sur Paris et la butte Montmartre se « sacrécoeurise ». Un cénacle se réunit dans une boutique anciennement occupée par un bureau des Postes. Les disciples ont soif… Arrivent les godets de bière… Peu après, on les vend…

« Le Chat Noir a été fondé, en 1881, par Rodolphe Salis.

Situé au 84 du boulevard de Rochechouart, ce n’est guère qu’une boutique grande comme un mouchoir de poche, mais qui ressuscite, brusquement, en plein Paris du XIXe siècle, le cabaret bohème et artiste du XVe siècle où se mêlaient confusément, truands, rimeurs, escholiers, ribauds et ribaudes, gentilshommes et gens de commun.

Basse, étroite et enfumée, la salle, sans cesse emplie de clameurs, jette sur le trottoir, quand s’ouvre la porte, des bouffées de vacarme.

Là-dedans, tout est pêle-mêle et le public et la troupe et les poètes et les spectateurs.

Une estrade et un piano. Sans interruption, parfois grimpant sur l’estrade et, le plus souvent, se levant à leur place, de derrière les piles de soucoupes, les auteurs habituels du lieu chantent leurs couplets ou déclament des poèmes :

Paul Verlaine, Charles Cros, Jehan Rictus, Maurice Rollinat, Alphonse Allais, Mac-Nab, Xanrof, Henry Somm, Claude Debussy, Erik Satie, Emile Goudeau, Edmond Haraucourt, Jean Rameau, Paul Marrot, Armand Masson, Louis Marsolleau, Georges Auriol, Fernand Ièrès, Georges Lorin, Camille de Sainte-Croix, Gérault-Richard qui ne songe pas encore à représenter la Guadeloupe au Palais-Bourbon…

Entre deux récitations lyriques, Jules Jouy se rue au piano et entonne d’une voix sombre et monotone sa terrible complainte de Gaudeamus, son éternel mégot déposé au bout du clavier et les jambes en croix.

Marcel Legay, la voix vibrante, la diction émouvante, tonitrue des strophes à allure révolutionnaire.

Il y a encore au Chat Noir ces artistes de grande classe qui se nomment Steinlen, Willette, Henri Rivière.

Ce sont Marcel Legay et Jules Jouy qui conduisent Aristide Bruant au Chat Noir.

C’est là que Bruant évolue, que le chansonnier de café-concert fait place au véritable Bruant. Il y inaugure ses chansons faubouriennes, ses chansons naturalistes : À Batignolles, À la Villette, À la Bastille, À la Glacière, etc.

Cependant, le public, toujours de plus en plus nombreux, étouffe dans le local exigu du boulevard Rochechouart. Rodolphe Salis décide donc de déménager et arrête son choix sur un petit hôtel de la rue de Laval (aujourd’hui rue Victor Massé) qui vient d’être abandonné par le peintre Alfred Stevens. Voici en quels termes solennels il annonce aux populations le transfert de son établissement :

Du 25 au 30 mai, an de grâce 1885, Montmartre, capitale de Paris, sera secouée par un de ces événements qui parfois changent la face du monde. Le cabaret du Chat Noir quittera le boulevard Rochechouart, que longtemps sa présence a illustré et s’établira rue de Laval. Dans le palais qui lui convient, Maigriou, le chat des chats, reprendra sa chanson glorieuse. La rue de Laval, qui n’avait pas de légende, entre dans l’histoire et, les vieux moulins des hauteurs sentiront joyeusement frémir en leurs ailes le vent nouveau des jeunes Muses.

Aristide Bruant ne suit point le mouvement.

Il loue l’ancienne salle du Chat Noir devenue libre. Il s’y installe. Il devient cabaretier à son compte et intitule son cabaret Le Mirliton.

Henri de Toulouse-Lautrec en fera une affiche.

Le mobilier en est tout à fait simple : quelques chaises, quelques tables, un piano, un comptoir.

Peu à peu, les murs s’orneront de dessins de Steinlen et de Toulouse-Lautrec.

Dans son déménagement, Salis a oublié une chaise, une chaise, proclame-t-il, de l’époque de Louis XIII.

À grands cris, il la réclame…

Bruant s’obstine à ne pas entendre sa réclamation.

Toutefois, pour que la chaise ne soit point détériorée par l’usage, il la suspend par une corde au plafond…

… et lui consacre un couplet :

Ah ! Mesdames, qu’on est à l’aise,

Quand on est assis sur la chaise

Louis-treize.

Elle est à Rodolphe ! Cependant,

Pour s’asseoir d’ssus, faut aller chez Bruant,

Au cabaret du Mirli,

Au cabaret du Mirli,

Du Mirli-ton-taine et ton-ton,

Du Mirliton.

Au bout de quelques semaines, le bruit s’est répandu dans Montmartre et dans Paris qu’Aristide Bruant a maintenant une boîte à lui… Et la clientèle d’accourir. »

Alexandre Zévaés (Bibl2)

Aux petits matins, Aristide Bruant vient se reposer dans :

«… une vieille maison au coin de la rue Cortot et de la rue des Saules, tout en haut de la Butte, une maison historique qu’ont habité, il y a quelques siècles, Ignace de Loyola et les premiers Jésuites. Elle est fort bien conservée avec sa porte massive, roulant sur des gonds énormes et éclairée par un judas. C’est là qu’habite Bruant. Il couche dans le chœur de la chapelle des pères Jésuites et fait sa toilette dans la sacristie. »

Oscar Méténier (Le chansonnier populaire Aristide Bruant)

En ce début du XXIe siècle, au 84 du boulevard Rochechouart, un bana-bana sédentarisé vend aux flots de gogos touristes de la mondialisation des colifichets made in China…

Bien peu connaissent l’Histoire du lieu…

La chanson

Cette chanson a été écrite par Aristide Bruant, en 1884. Elle est interprétée sur l’air occitan Aqueros Montagnos.

Le texte :

La lune était sereine,

Quand, sur le boulevard,

Je vis poindre Sosthène

Qui me dit : cher Oscar !

D’où viens-tu vieille branche ?

Moi, je lui répondis :

C’est aujourd’hui dimanche

Et, c’est demain lundi…

Refrain

Je cherche fortune

Autour du Chat Noir,

Au clair de la lune

À Montmartre !

Je cherche fortune ;

Autour du Chat Noir,

Au clair de la lune

À Montmartre, le soir.

La lune était moins claire

Lorsque je rencontrai

Mademoiselle Claire

À qui je murmurai :

Comment vas-tu, la belle ?

— Et vous, très bien, merci.

— À propos, me dit-elle,

Que cherchez-vous, ici ?

(Refrain)

La lune était plus sombre,

En haut, les chats braillaient,

Quand j’aperçus dans l’ombre,

Deux grands yeux qui brillaient.

Une voix de rogomme

Me cria : Nom d’un chien !

Je vous y prends, jeune homme,

Que faites-vous ? – Moi… rien…

(Refrain)

La lune était obscure,

Quand on me transborda

Dans une préfecture,

Où l’on me demanda :

Êtes-vous journaliste,

Peintre, sculpteur, rentier,

Poète ou pianiste ?

Quel est votre métier ?

(Refrain)

Les interprétations :

Aristide Bruant *

Cabaret Bruant *

Voix de rogomme :

voix éraillée par l’alcool. À la fin du XVIIIe siècle, un « rogomiste » était le patron d’un débit de boissons et, au milieu du XIXe siècle, un « rogomier », un buveur d’eau-de-vie forte…

La rue

Témoin attentif de son temps c’est dans la rue qu’Aristide Bruant trouve ses principaux personnages. Avec pertinence et tendresse, le chansonnier croque des portraits poétiques dans un langage argotique fleuri.

Belleville-Ménilmontant : le proxénétisme en famille…

À la place Maubert : les habitués du quartier désorientés par les travaux du baron Haussmann.

À la Villette : un dos aux abattoirs.

À Grenelle : nostalgie d’une ancienne fille à soldats qui est contrainte d’aller à la soupe des garnisons du quartier.

À la Glacière : au marché aux chevaux, les différends se règlent à coups de surin.

À la Bastille : stripteases alimentaires pour une entraîneuse, ancienne tricheuse, soutien de famille, qui n’a pas encore eu d’amant.

À la Madeleine : choix d’une église…

Pour les fortifs : la supplique des purotins pour que l’on ne démolisse pas les anciennes fortifications de Paris.

Exploité : l’utilité des chalets de nécessité.

Les quat’pattes : les nombreux chiens de la rue.

Belleville – Ménilmontant

Belleville

Au Moyen Âge, le village de Belleville se forme sur les coteaux viticoles des grandes abbayes parisiennes… De ces vignes, on avait une belle vue, tournure dérivée en Belleville.

Sur cette butte étaient captées des sources qui alimentaient Paris en eau… En 1840, la ville se trouve incluse dans les fortifications construites à l’initiative de Thiers.

Les travaux du baron Haussmann chassent les familles ouvrières du centre de Paris…

Elles viennent habiter à Belleville qui devient, ainsi, avec 65 000 habitants, la treizième ville de France…

Hors des barrières de l’octroi, le vin est exempté de taxes…

Les Parisiens viennent boire, dans les nombreuses guinguettes (Petit Bacchus, Le Galant Jardinier, Le Franc Picard, Le Franc Bourguignon, etc.),un vin jeune que l’on appelle « la piquette » ou « le guinguet ».

Bien entendu, le quartier se rallie la Commune, et c’est là que tombent les dernières barricades.

Suite aux répressions, la population diminue…

… Mais, la solidarité ouvrière demeure…

Citons, à titre d’exemple : « La Bellevilloise, 17 à 25 rue Boyer, fondée, en décembre 1876, par vingt ouvriers, dont dix-huit mécaniciens des maisons Cornély et Barriquan et deux cordonniers dont Martel ; elle compte 300 ou 400 adhérents en 1880, 7 500 en 1896, 9 000 sociétaires en 1913 où elle a plus de 200 employés et, 13 700 sociétaires en 1919.

La Bellevilloise au début du XXe siècle.*

À la fin de 1927, à l’inauguration de l’immeuble au 25 rue Boyer, elle comprendra deux dispensaires, dont un assurant aussi des soins dentaires, une pharmacie, treize épiceries, neuf boucheries, six charcuteries, trois triperies, un magasin de nouveautés, de chaussures et d’articles de ménage, un café, une brasserie-restaurant, un chantier à charbon.

En 1906, la Bellevilloise avait distribué gratuitement à ses sociétaires grévistes 10 tonnes de pain et 2 000 litres de lait.

L’année suivante, elle organisait une soupe communiste pour les grévistes des Galeries Lafayette.

Dix ans après, en 1927, elle vendait toujours à prix réduit à tous les chômeurs du 20e affiliés au comité CGTU. »

Alain Rustenholz (Bibl6)

La rue de Belleville au début du XXe siècle. *

Ménilmontant

Il a été retrouvé une charte de 1224 qui attesterait de l’origine du nom de Ménilmontant : « Mesnioliu mali temporis » soit « mesnil du mauvais temps », mesnil devant être pris dans le sens de villa. Il était également écrit, au XVIe siècle, « Mesnil montant » par référence aux pentes des buttes.

Là aussi, la Commune a trouvé un terrain favorable… À titre d’exemple, c’est dans ce quartier qu’a été votée, le 6 mai 1871, la mort de l’archevêque de Paris et des otages… L’exécution aura lieu le dans le chemin de ronde de la prison de la Roquette le 24 mai 1871.

Ménilmontant au début du XXesiècle. *

Ménilmontant a inspiré les auteurs de chansons :

« Ménilmontant, mais oui madame,

C’est là que j’ai laissé mon cœur,

C’est là que je viens retrouver mon âme,

Toute ma flamme,

Tout mon bonheur »

Paroles et musique de Charles Trenet

(Ménilmontant – 1938)

« Les gars de Ménilmontant

Sont toujours remontants,

Même en redescendant

Les rues de Ménilmuche.

Ils ont le cœur ardent,

Le cœur et tout le restant

Tant qu’ils s’en vont chantant

Ménilmontant »

Paroles de Maurice Vandair et Maurice Chevalier

Musique de Charles Borel-Clerc

(La marche de Ménilmontant – 1942)

Le texte :

Papa c’était un lapin

Qui s’app’lait J.-B. Chopin

Et qu’avait son domicile,

À Bell’ville ;

L’soir, avec sa p’tit’ famille,

I’ s’baladait, en chantant,

Des hauteurs de la Courtille,

À Ménilmontant.

Il buvait si peu qu’un soir

On l’a r’trouvé su’ l’trottoir,

Il’tait crevé ben tranquille,

À Bell’ville,

On l’a mis dans d’la terr’ glaise,

Pour un prix exorbitant,

Tout en haut du Pèr’-Lachaise,

À Ménilmontant.

Depis, c’est moi qu’est l’souteneur

Naturel à ma p’tit’ sœur,

Qu’est l’ami’ d’la p’tit’ Cécile,

À Bell’ville,

Qu’est sout’nu’par son grand frère,

Qui s’appelle éloi Constant,

Qu’a jamais connu son père,

À Ménilmontant.

Ma sœur est avec éloi,

Dont la sœur est avec moi,

L’soir, su’ l’boul’vard, ej’la r’file,

À Bell’ville ;

Comm’ ça j’gagn’ pas mal de braise,

Mon beau-frère en gagne autant,

Pisqu’i’ r’fil’ ma sœur Thérèse,

À Ménilmontant.

L’Dimanche, au lieu d’travailler,

J’mont’ les môm’ au poulailler,

Voir jouer l’drame ou l’vaud’ville

À Bell’ville ;

Le soir, on fait ses épates

On étal’ son culbutant

Minc’ des g’noux et larg’ des pattes

À Ménilmontant.

C’est comm’ ça qu’c’est l’vrai moyen

D’dev’nir un bon citoyen :

On grandit, sans s’fair’ de bile,

À Bell’ville,

On cri’ : Viv’ l’Indépendance !

On a l’cœur bath et content,

Et l’on nag’, dans l’abondance,

À Ménilmontant.

Les interprétations :

Aristide Bruant *

Cabaret Bruant *

Le grand orchestre de Ménilmontant *

issu de la diversité nous offre une version moderne.

Aristide Bruant n’est pas près d’être oublié !

Lapin :

Non sans hésiter devant le contexte érotique de l’argot des collèges des années 1850, avec la locution « fameux lapin », ici, prenons le mot dans son sens de la fin du XVIIIe siècle, d’homme gaillard, actif, résolu, en un mot, fort.

La Courtille :

Dans ce quartier de Belleville, renommé pour ses guinguettes et ses limonadiers, se trouvaient des gargotes aux noms pleins de sous-entendus tels La Courtille (quartier général de Cartouche à la fin des années 1710), Le coq hardi ou La carotte filandreuse.

Il y avait même aux XVIIIe siècles, Les Porcherons :

« Voir Paris sans voir la Courtille

Où le peuple joyeux fourmille,

Sans fréquenter les Porcherons,

Ce rendez-vous des bons lurons,

C’est voir Rome sans voir le pape ».

Vadé

poète qualifié de la « poissardise »

Laissons la parole à l’historien :

« La Courtille rue de Paris (aujourd’hui, rue de Belleville).

« La partie inférieure de la grande rue de Paris est demeurée célèbre, sous le nom de Courtille, pour le défilé hideux et grotesque qui y terminait autrefois le carnaval »,

écrit le guide Jouanne de 1863.

« Au 13, la salle Favié, fondée en 1830, pouvait accueillir 3 000 danseurs sur 1 100 m2 : c’était l’établissement favori des ouvriers de Belleville et de Ménilmontant. Les Montagnards de Belleville vont s’y réunir en 1870-1871 ; la salle a été “réquisitionnée” par la Commune ; on y entend Vallès, Ranvier, Ferré, Rochefort.

Le dernier coup de canon fédéré est tiré à midi, rue de Paris, de la barricade située en face de Favié, défendue par deux pièces de 12. »

Alain Rustenholz (Bibl6)

Père-Lachaise :

Cimetière parisien portant le nom d’un jésuite français qui était le confesseur de Louis XIV. Il se plaisait à se ressourcer en marchant dans les jardins qui étaient la propriété de la congrégation.

Ceux-ci devinrent le principal cimetière parisien où reposent des gloires nationales et des étoiles du monde des Lettres et des Arts… Pourtant, à son ouverture, en 1804, situé hors du Paris de l’époque et non attenant à une église, il n’eut guère de succès, puisqu’en 1815, il n’y avait eu que 653 inhumations. La notoriété vint après le transfert des sépultures d’Héloïse et d’Abélard, de La Fontaine et de Molière…

On y fusilla beaucoup pendant la Commune !

Ce cimetière demeurera, des années durant, un lieu de rencontres et de manifestations où l’on entendait (et l’on entend encore !) : « Vive la Commune ! »

Souteneur :

La principale fonction du souteneur était de défendre la prostituée. Aristide Bruant (Bibl3).

Refiler :

Transmettre, faire cadeau.

Au milieu du XVIIIe siècle, on utilisait « rafiler », rendre, donner quelque chose de défectueux.

Braise :

Pour Vidocq, argent, espèces.

Ce sens s’appuie sur une métaphore de la fin du XVIIIe siècle : dans l’âtre de la cheminée, il fallait de la braise pour faire bouillir la marmite.

Poulailler :

Galerie supérieure des théâtres où les places peu confortables sont peu chères, appelée « paradis » (début du XVIe siècle).

Vaudeville :

Nom donné à une comédie légère et fertile en rebondissements (1820).

Faire des épates :

Prendre des grands airs, faire de l’esbroufe (1850).

Culbutant :

Pantalon.

Il bute sur le cul.

Mince des genoux et large des pattes :

À cette époque le pantalon à pattes d’éléphant fait fureur.

On le doit à Bénard, tailleur, au 65 de la rue Mouffetard.

Le fils de celui-ci s’établit plus tard rue du faubourg Saint-Antoine où il continua de satisfaire la clientèle malfaisante de la capitale avec le pantalon serré aux genoux et ample à son extrémité. Cela permettait lors de combats de rue utilisant les techniques de la savate de dissimuler l’assise au sol des pieds.

Le Bénard a connu un tel succès que, de nom propre, il est devenu nom commun. En argot parisien, le pantalon est appelé « bénard », « ben » ou « bénouze ».

(D’après Paris entre chien et loups

La Bastoche Bal-musette, plaisir et crime – 1750 - 1939

Claude Dubois)

Bath :

Bon, excellent.

Il est probable que l’origine de ce mot soit liée à la station anglaise de Bath, fort appréciée de la haute société, au XVIIIe siècle.

Au siècle suivant, l’argot utilisait « faire bath », pour arrêter un voleur et « être bath » pour être arrêté. Le mot désignait également un papier à lettres de grande qualité et très à la mode, à l’époque.

À la place Maubert

Place Maubert

Elle doit son nom à Jean Aubert, abbé de Sainte-Geneviève.

Sous le règne de Louis XI, un dominicain, Albert le Grand, y commente Aristote.

Au milieu du XVe siècle, au temps de maître François Villon, elle était connue pour sa fréquentation par les mauvais garçons de la Cour des Miracles.

Au XIXe siècle, on l’appelle familièrement « la Maub ».

La place Maubert au début du XXesiècle. *

Le texte :

J’ m’demande à quoi qu’on songe

En prolongeant la ru’ Monge

À quoi qu’ ça nous sert

Des esquar’s, des estatues

Quand on démolit nos rues,

À la plac’ Maubert ?

L’été nous étions à l’ombre,

C’était coquet, c’était sombre,

Quand l’soleil, l’hiver,

Inondait la capitale,

L’jour était encor’ pus sale,

À la plac’ Maubert.

Quand on avait pas d’marmite,

On bouffait chez l’pèr’ Lafrite

Pour un peu d’auber ;

Le soir on l’vait eun’ pétasse…

Un choléra sans limace,

À la plac’ Maubert.

Pour trois ronds chez l’père Lunette

Où qu’chantait la môm’ Toinette,

On s’payait l’concert ;

Pour six ronds au Château-Rouge,

On sorguait avec sa gouge,

À la plac’ Maubert.

Aussi, bon Dieu ! j’vous l’demande

Quand y aura pus de ru’ Galande

Pus d’Hôtel Colbert,

Oùsque vous voulez qu’i’s aillent

Les purotins qui rouscaillent

À la plac’ Maubert ?

Qu’on leur foute au moins des niches,

Comme on en fout aux caniches,

Qu’i’s soy’ à couvert

Sous quèqu’ chos’ qui les abrite

Quand i’s trouveront pus d’gîte

À la plac’ Maubert.

Car quand i’s r’fil’ront la cloche,

I’s auront tous dans leur poch’ 

El’ surin ouvert,

Et c’jour-là, mes camarluches,

La nuit gare aux laqu’reauxmuches

De la plac’ Maubert !

Les interprétations :

Aristide Bruant *

Georges Brassens *

Marc Ogeret *

Rue Monge :

Dans le cadre des travaux du préfet Haussmann, le percement de la rue Monge, tracée par Théodore Vacquer en absorbant une partie de la rue Saint-Victor, a permis de mettre à jour les vestiges des arènes de Lutèce.

Elle porte le nom de l’un des fondateurs de l’École Polytechnique.

La rue Monge au début du XXesiècle.*

Coquet :

Ici, quartier « bien » (Bibl3).

Au milieu du XVIIIe siècle, ce dérivé de coq s’applique à un lieu joli et beau.

Le père Lafrite :

Il est très probable qu’Aristide Bruant, en utilisant ce vocable, adresse un clin d’œil complice à un personnage hors du commun retrouvé par un historien pugnace (qu’il veuille bien nous pardonner de le citer une fois encore !) :

« Les Frites révolutionnaires, 54 boulevard de Clichy, censément rissolées “à la graisse de bourgeois”.

Il ne s’agit pas d’un restaurant coopératif, mais d’un cabaret ouvert en 1888 par le communard Maxime Lisbonne, amputé après sa blessure sur une barricade du boulevard Voltaire, au dernier jour de la semaine sanglante, déporté en Nouvelle-Calédonie et qui, depuis son retour, consécutif à l’amnistie, a précédemment ouvert une Taverne du bagne, au numéro 2 du boulevard de Clichy, dans laquelle les garçons servaient le boulet au pied pour recréer l’ambiance des forçats de Nouméa. »

Alain Rustenholz (Bibl6)

Auber :

Argent monnayé.

Au milieu du XVe siècle, le mot est cité au procès des Coquillards et Rabelais l’a utilisé.

Il est probablement tiré du latin « albus », blanc, qui était la couleur de la pièce d’argent.

Lever :

Rechercher une partenaire à des fins sexuelles (XVIIIe s.), comme le chasseur une proie.

Dès le XIIe siècle, « lever », avait, à la chasse, le sens de mettre en mouvement un gibier.

Pétasse :

Femme vulgaire, voire prostituée peu attrayante ; la fin du XIXe siècle ayant tiré ce sens de « péter », péteux.

Ici, le suffixe « asse » est fortement dépréciatif.

Choléra :

La fin du XIXe siècle n’était pas tendre avec ces dames : poison, peste, choléra. Ici, il s’agit d’une femme, prostituée ou non, désagréable, littéralement, qui file la colique !

Quelques décennies plus tard, s’inspirant de Paul Valéry, Georges Brassens a gradué l’invective :

« Misogynie à part, le sage avait raison :

Il y’a les emmerdant’s, on en trouve à foison,

En foule elles se pressent.

Il y’a les emmerdeus’s, un peu plus raffiné’

Et puis, très nettement au-dessus du panier,

Y’a les emmerderesses. »

Paroles et musique de Georges Brassens

(Misogynie à part – 1969)

Limace :

Chemise.

Du catalan « lima », limer, le début du XVIe siècle, observant qu’elle colle à la peau et qu’elle s’y élime.

Rond :

Pièce de monnaie (XVe siècle).

Le père Lunette :

C’est le nom d’un cabaret qui était situé, à deux pas de la place Maubert, au numéro 4 de la rue des Anglais et qui a fermé ses portes en 1908.

Y ont été retrouvées des fresques murales (hélas fortement dégradées) dont l’une représente Louise Michel.

Château Rouge :

Il s’agit d’un bouge, fréquenté par la fine fleur du quartier et, notamment par Géomay.

Sa devanture peinte en un somptueux rouge sang de bœuf attirait le regard au numéro 61 de la rue Galande.

Sorguer :

Passer la nuit.

Du provençal « sorn », sombre, le début du XVIIe siècle a tiré « sorne », nuit tombante.

Gouge :

Femme facile, débauchée (XVe siècle).

Les racines sont fort anciennes ! L’hébreu « gõyã » désigne une servante chrétienne.

Rue Galande :

Au XVIIe siècle, les robins et les gens d’épée habitaient les opulentes demeures de cette rue large et chic. Mais, changent coutumes et fréquentations… Au XVIIIe siècle, elle abrite des cabarets mal famés. Le « bouge » du Château Rouge y était situé.

Compte tenu du texte de ce couplet, on peut estimer qu’au temps d’Aristide Bruant, cette rue devait abriter des hôtels connaissant moult passages…

Hôtel Colbert :

Cette courte rue parisienne commence quai de Montebello et finit rue Lagrange.

À l’angle de cette rue et de la rue de la Bûcherie est situé l’Hôtel particulier Colbert.

Rouscailler :

Faire l’amour.

Au premier abord, on pense à une protestation de mauvaise humeur. Que nenni !

Au XVIe siècle, un « roussin » était le cheval entier qui couvrait les juments… Et « jouer aux cailles », c’était porter un grand intérêt aux « cailles », femmes enclines aux plaisirs amoureux, ou prostituées.

Refiler la cloche :

Être sans logis et sans ressources, l’origine étant tirée de l’expression « déménager à la cloche de bois ».

Surin :

Couteau, poignard.

Au début du XIXe siècle, le mot est tiré du tzigane « tchouri », couteau. Il est allié avec le Moyen Français « suerie », action de tuer, sous la plume de François Villon.

Camarluche :

Camarade.

Le suffixe « uche » apporte la familiarité.

Nous le pratiquons toujours, par exemple, dans paluche, trucmuche.

Laquereaumuche :

Largonji.

Là aussi, le suffixe « uche » apporte la familiarité.

Il nous reste : « l – aquereau – m » ; supprimons le « l » du début, il reste « aquereau – m » ; permutons, et nous obtenons maquereau, souteneur.

À la Villette

Ce village était situé sur la voie romaine menant en Flandre.

En 1860, au moment de son annexion à Paris, cette commune comptait 30 000 habitants et son port recevait plus de 10 000 bateaux.

Le quartier au début du XXe siècle *

Les abattoirs de La Villette

« Lesabattoirs de la Villetteet le marché aux bestiaux ont été construits de 1865 à 1867 par M. Janvier, sur les plans de M. Baltard.

Le 6 avril 1859, la ville de Paris obtient l’autorisation de créer un grand marché aux bestiaux avec un embranchement de chemin de fer relié à la ligne de petite ceinture pour remplacer les abattoirs de Montmartre, du Roule, de Ménilmontant, de Grenelle et celui de Villejuif.

La gare Paris-Bestiaux est ouverte en 1867 à la Porte de Pantin. Au moment de son ouverture, les abattoirs généraux de La Villette occupaient 20 hectares et pouvaient recevoir dans ses étables et dans ses cours 1 360 têtes de gros bétail, 1 950 veaux, 3 900 moutons et 3 240 porcs. Les abattoirs comptaient alors 151 échaudoirs et 23 ateliers d’abattage ; puis un abattoir spécial à porcs y fut établi en 1874. Sont alors concentrés sur un même lieu un marché aux bestiaux, un abattoir et une partie du commerce de gros des viandes mortes.

Composé pour l’essentiel d’une halle centrale pour les bœufs (actuelle Grande Halle) et de deux autres halles aujourd’hui disparues, réservées aux veaux et aux moutons et d’un abattoir pour les porcs, ce lieu vivait alors son âge d’or.

À l’aube du XXe siècle, dans cet emplacement consacré au négoce et à l’abattage du bétail, trois mille personnes aux noms évocateurs de sanguins, pansiers, fondeurs ou encore boyaudiers travaillaient chaque jour sur près de 50 hectares.

Les métiers pratiqués y étaient particulièrement pénibles et firent très rapidement de la Villette la cité du sang : 4 000 bœufs, 22 000 moutons, 4 000 veaux et de 7 000 porcs passaient alors chaque jour par les abattoirs de La Villette. "

(D’après

http://www.paris1900.fr/paris-rivdroite/abattoirs-de-la-villette)

Les abattoirs de la Villette au début du XXe siècle *

Bien entendu on y pratique le loucherbem, argot spécifique aux bouchers.

Le texte :

Il avait pas encor’ vingt ans,

I’ connaissait pas ses parents,

On l’app’lait Toto Laripette,

À la Villette.

Il était un peu sans façon,

Mais c’était un joli garçon :

C’était l’pus beau, c’était l’pus chouette,

À la Villette.

Il était pas c’qu’y a d’mieux mis,

Il avait pas des beaux habits,

I’ s’rattrapait su’ sa casquette,

À la Villette.

Il avait deux p’tits yeux d’souris,

Il avait deux p’tits favoris

Surmontés d’eun’ fin’ Rouflaquette,

À la Villette.

Y en avait pas deux comm’ lui pour

Vous parlez d’sentiment, d’amour ;

Yavait qu’lui pour vous fair’ risette,

À la Villette.

Il avait un gros chien d’bouvier

Qu’avait eun’ gross’ gueul’ de terrier,

On peut pas avoir eun’ levrette,

À la Villette.

Quand i’m’avait foutu des coups,

I’ m’demandait pardon, à g’noux,

I’ m’app’lait sa p’tit’ gigolette,

À la Villette.

De son métier, i’ faisait rien.

Dans l’jour, i’ baladait son chien,

La nuit, i’ rinçait la Cuvette,

À la Villette.

I’ f’sait l’lit qu’i’ défaisait pas,

Mais l’soir, quand je r’tirais mon bas,

C’est lui qui comptait la galette,

À la Villette.

Quéqu’fois, quand j’faisais les boul’vards,

I’ dégringolait les pochards,

Avec le p’tit homme à Toinette,

À la Villette.

I’ m’aimait autant que j’l’aimais,

Nous nous aurions quittés jamais

Si la police était pas faite,

À la Villette.

Ya des nuits oùsque les sergots

Les ramass’nt, comm’ des escargots,

D’ la ru’ d’Flande à la Chopinette,

À la Villette.

Qu’on l’prenn’ grand ou p’tit, rouge ou brun,

On peut pas en conserver un :