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"Franchir sur Mars les portes de l’espace" fait le point de nos connaissances en astronomie, en astronautique, en géologie martienne, en exobiologie et en ingénierie pour milieux extrêmes. Dans cet essai,
Pierre Brisson démontre qu’il est possible d’envisager de s’installer sur Mars à condition d’atténuer l’effet des radiations et d’utiliser le Starship de SpaceX. Une fois sur place, l’homme deviendra une espèce multi planétaire.
À PROPOS DE L'AUETEUR
En 1995,
Pierre Brisson découvre le projet martien de Robert Zubrin à la lecture de son ouvrage "The Case for Mars". Cela ravive sa passion pour la géographie physique. En 2009, il fonde la Mars Society Suisse et, à partir de 2015, écrit des articles pour son blog Exploration spatiale, publiés par le journal Le Temps jusqu’en juin 2023 et à titre personnel ensuite.
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Pierre Brisson
Franchir sur Mars
les portes de l’espace
Essai
© Lys Bleu Éditions – Pierre Brisson
ISBN : 979-10-422-2784-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce livre parle de l’Espace, des sentiments qu’il m’inspire et de l’attitude qu’il convient à mon avis d’adopter vis-à-vis de ce pseudo-vide si grand et si riche dans lequel nous baignons depuis toujours, mais auquel nous n’avons accès que depuis quelques décennies. Notre action ne peut être que fonction de nos capacités technologiques, mais aussi de l’envie que nous avons de l’explorer et de nous y plonger malgré toutes les difficultés et tous les dangers qu’il présente, pour en tirer tous les avantages que nous pourrons en obtenir. Ces avantages ne sont rien de moins que l’accès à une meilleure compréhension du monde et notre possibilité de survie à long terme en tant qu’espèce.
La soif inextinguible de compréhension du monde est en soi une raison suffisante pour que nous consacrions toujours plus d’énergie et de moyens financiers à recueillir et analyser tous les types d’informations que nous avons déjà identifiés et ceux que nous pouvons imaginer, et les rechercher à partir du sol de notre Terre ou de l’Espace ou même du sol d’une autre planète accessible. Pour comprendre, il nous faut observer le plus loin possible, le plus largement possible et le plus précisément possible, avec des instruments de plus en plus sophistiqués qui nous permettent d’analyser le moindre signal, qu’il soit lumineux ou d’un segment différent des ondes électromagnétiques, ou encore provenant d’une autre source (puisque bien qu’il soit extraordinairement étendu, le rayonnement électromagnétique dans toute l’ampleur de son spectre n’épuise pas les moyens d’expression de l’Univers).
La survie de notre espèce se pose, puisque nous avons bien conscience, tous autant que nous sommes (et nous sommes vraiment très/trop nombreux ; deux milliards, trois cents millions d’êtres humains quand je suis né, huit milliards aujourd’hui), que notre impact sur notre planète est devenu dangereusement sensible, au point de nous rendre extraordinairement vulnérables. Au cours des dernières décennies, nous avons détruit des milliers d’espèces animales, déforesté des centaines de milliers de km2, poussé très loin la consommation de notre eau douce, déversé des millions de tonnes de produits toxiques et de plastiques dans nos océans, libéré des millions de tonnes de gaz à effet de serre et de poussières dans notre atmosphère. Nous avons aujourd’hui pris conscience de nos problèmes environnementaux et nous pouvons sans doute les résoudre avec nos capacités de progrès technique et notre discipline, mais nous sommes comme un très gros navire sur une trajectoire. Notre effet d’inertie est extrêmement difficile à contrarier. Nous agissons sur la barre, mais ne savons pas si nous pourrons, in fine, éviter l’obstacle.
Certains parmi nos contemporains ne ressentent pas la pression qui commence à s’exercer sur l’espèce humaine, ils continuent à faire des enfants comme si la Terre était à repeupler, à couper, à gaspiller et à jeter. Ils sont ceux qui gênent la manœuvre de correction. D’autres veulent réagir avec tellement de force qu’ils risquent de casser la barre. Beaucoup, de part et d’autre, considèrent que l’Espace ne peut fournir aucune solution pour alléger cette pression. Trop, comme les abeilles à l’automne ne ressentent pas non plus la fin de la saison des fleurs puisqu’inconsciemment, elles comptent sur la reine et sa fertilité. Pour nous la situation est plus grave, car il n’y aura peut-être bientôt plus de fleurs au printemps.
Alors il nous faut agir, apprendre toujours plus de ce livre qui s’appelle « Espace ». Il nous est maintenant ouvert comme il ne l’a jamais été et nous pouvons en déchiffrer les premières pages pour, au-delà d’entreprendre les corrections possibles à la dégradation de notre situation sur cette Terre, tenter sur une autre Terre l’implantation d’une bouture qui nous permettra de repartir au cas où nous échouerions ici-bas. La catastrophe pas plus que le succès ne sont certains, car nous sommes encore balbutiants dans la maîtrise des technologies nécessaires, mais nous n’avons pas le droit de ne pas saisir la chance de pouvoir réussir ou de prendre le risque de laisser passer l’opportunité de l’ouverture qui bientôt peut se refermer.
L’arche de Noé qui nous est offerte par la Nature est la planète Mars. Certes ce n’est pas le paradis ; plutôt un désert aride et froid, mal protégé des radiations. Mais c’est la seule planète semblable à notre Terre qui nous soit accessible et c’est la moins hostile de tout notre système stellaire, à part la Terre évidemment. Notre technologie nous laisse entrevoir qu’il serait possible d’y vivre dans des conditions acceptables. L’installation sera longue, difficile et possible seulement pour quelques-uns d’entre nous, mais nous devons la tenter, comme Noé et sa famille sont montés à bord de l’Arche, en espérant que, par ailleurs, au moins un peu d’humanité éparse sur quelques îlots encore viables de notre Terre, survivra également.
À partir de là, c’est-à-dire d’une petite colonie autonome ayant sauvegardé tous les trésors de l’esprit que nous avons accumulés au cours des âges, nous pourrions dans un futur lointain, quoi qu’il arrive sur Terre, et dans des conditions très difficilement imaginables aujourd’hui, continuer ailleurs notre croissance et notre épanouissement. Il faut faire le premier pas maintenant ; c’est en allant sur Mars que nous pourrons franchir les portes de l’Espace.
Contemplation du Ciel, la nuit / Les moyens de l’exploration, capter ou aller vers / Les défis des dimensions, de la vitesse et du temps / Se décourager ou continuer ? / La science-fiction ou la Science ? / La stratégie / Le risque d’être bloqués
Un des comportements qui distingue l’Homme des animaux, c’est que l’Homme prend en compte les astres dans le Ciel non seulement pour s’ajuster instinctivement aux différents tempos du rythme circadien ou saisonnier, mais aussi pour les contempler et s’interroger sur leur signification et sur la sienne propre.
La contemplation génère les sentiments. L’Homme est ému depuis toujours par la beauté d’un spectacle qui se déroule sur une scène qu’il voit immense et dont les éléments lui ont semblé jusqu’à, il y a peu, totalement inaccessibles quoi qu’il fasse. Il a depuis toujours été impressionné par son apparente éternité, mais il a constaté très tôt qu’elle était animée par des variations, le scintillement des étoiles immobiles les unes par rapport aux autres, le lent et majestueux déplacement de la voûte à partir de laquelle elles brillent et la périodicité des mouvements sur cette voûte immuable de certains de ses éléments, le Soleil, la Lune, les planètes, de temps en temps le trait de lumière d’un météore.
L’interrogation a conduit à rechercher une explication au spectacle. Pour commencer, l’Homme a fait du Ciel la demeure de ses dieux positifs, c’est-à-dire des forces qui commandent à la Vie en général et à sa vie en particulier, en supposant que ces êtres supérieurs étaient visibles au travers de ces lumières, immuables au travers des âges, mais a priori vivantes puisqu’elles brillaient et scintillaient. L’explication a donc été d’abord la Religion, un système qui lie les choses, « res-ligat », ou les phénomènes. Mais cette Religion fut aussi à l’origine confondue avec la Science puisque la Raison ne disposait pas alors des bases nécessaires pour dérouler une logique indépendante et puisque de toute façon la puissance et la crainte des dieux dans l’esprit de l’Homme étaient trop fortes pour que la parole de ses prêtres, ceux qui sont initiés donc a priori instruits, puisse être mise en doute.
Le cheminement vers une divergence entre la Science et la Religion a été très long et la séparation en deux domaines distincts encore plus longue (puisque pour beaucoup, elle n’est pas encore accomplie). Elle s’est effectuée progressivement, à partir du « miracle grec », introduit dans notre Antiquité par quelques esprits supérieurs bénéficiant d’un environnement politique favorable (une pluralité de petites cités plus ou moins « démocratiques » et partageant une même culture a probablement favorisé l’expression d’une réflexion et d’une parole plus libre qu’ailleurs) ; la Religion gardant à chaque étape dans son giron ce qui restait brumeux et incertain, jusqu’à ce jour même où se posent toujours les problèmes de l’Origine et de la Fin. Parallèlement au retrait de la Religion et au développement d’une écriture scientifique de plus en plus assurée et convaincante car logique, s’est développée la littérature et la poésie en particulier, pour tenter de satisfaire sinon de combler le besoin insatiable de l’Homme pour la spéculation et la rêverie. Ainsi à notre époque rationaliste, il n’est pas rare encore que les cosmologues soient aussi des poètes (a). Comme quoi l’âme (l’ensemble de nos sentiments) fait structurellement partie de l’esprit humain et reste un accompagnateur sinon un moteur de son besoin de comprendre, donc de la Recherche. Il faut savoir l’écouter et prendre en compte ce qu’elle nous inspire. Sans motivation émotionnelle, il ne peut y avoir d’exploration.
Les moyens de l’exploration, « capter » ou « aller vers »
Face aux interrogations que suscitait le Ciel, l’Homme n’a longtemps eu qu’un seul moyen, observer de ses yeux nus, pour réfléchir, interpréter, déduire. Il a bien sûr également toujours rêvé de pouvoir « atteindre les étoiles », mais ce rêve était jusqu’au début du 20e siècle totalement impossible non seulement à réaliser, mais même à envisager sérieusement.
Les premiers hommes ont donc recherché des lieux les plus propices à l’observation : vue lointaine et dégagée, environnement calme. Une démarche s’imposait puisqu’on voulait voir mieux le Ciel, s’en rapprocher ou ce qui revient au même, supprimer les obstacles entre le regard et l’objet. Les premiers sites d’observation furent donc situés dans de vastes étendues sans arbres (Stonehenge), sur des promontoires dominant la mer, en haut des montagnes (observatoire de Kokino, en Macédoine) ou, à défaut, en haut de constructions spécifiques, des pyramides ou des tours, qu’on appelle de fait, des « observatoires ». Il en reste quelque chose puisque les astronomes contemporains, guidés non plus par l’intuition, mais par la connaissance et la raison, recherchent toujours un ciel pur et de grands espaces arides à l’atmosphère stable, non perturbée par les poussières, les nuages, l’humidité ou l’activité humaine (éclairage ou ondes radio).
Les instruments pour équiper ces observatoires sont venus très vite, mais au début ils ont évolué lentement. Il s’agissait d’abord de repérer simplement le passage récurrent des astres. Pour ce faire, on a construit ou disposé des fentes où passait la lumière à certaines dates porteuses de sens, celles des solstices ou des équinoxes, puis des repères pour noter le retour de certaines hauteurs significatives du Soleil ou de groupes d’étoiles dans le Ciel (les « constellations » du Zodiaque), tenter de comprendre les phases et les éclipses de la Lune ainsi que la répétition des événements cosmiques qui rythmaient la profondeur du temps. Dans l’Antiquité, le plus élaboré de ces instruments, apparemment sans lendemain, fut la fameuse machine d’Anticythère(b). Ainsi très tôt dans l’esprit de l’Homme, l’Espace fut associé au Temps.
La révolution dans les équipements d’observation fut sans aucun doute la lunette. Galilée l’emprunta en 1609 à d’autres (les Hollandais Jacob Metius, Hans Lippershey et Zacharias Jansen) qui avaient simplement prévu, en 1608 grâce aux progrès de l’optique et du travail du verre, d’observer les bateaux sur la mer. À partir de là, les révolutions se sont faites dans la perception puis la compréhension des messages reçus, tout en s’accompagnant à chaque fois d’un progrès dans l’instrumentation, l’un poussant l’autre de plus en plus rapidement vers le haut de la pyramide du savoir : le spectre électromagnétique, l’effet Doppler, l’interférométrie, l’optique adaptative, les ondes gravitationnelles, l’astronomie « multimessager » (c).
Le génie s’exprime rarement en dehors de son temps, mais dans un environnement. Il s’appuie sur une base pour aller un peu plus loin, rarement pour changer un paradigme et ouvrir une nouvelle fenêtre de recherche. Cependant de temps en temps de grands esprits comme Anaximandre de Milet, Aristarque de Samos ou Newton, proposent des interprétations géniales de faits que tout le monde a sous les yeux sans les voir, d’autres comme Albert Einstein, Georges Lemaître, Stephen Hawking, Roger Penrose se dispensent de la réalité que l’on voit, devancent l’instrumentation ou l’observation et l’on peine ensuite pendant des décennies ou davantage, à rechercher les preuves de ce qu’ils ont démontré théoriquement. Ces grands esprits sont comme des phares sur des sommets perdus dans un océan de brume qui un jour permettront de voir les nouveaux continents là où ils sont en réalité implantés.
L’autre modalité de l’exploration, non plus passive (« on reçoit une onde »), mais active (« on va vers une source ») est plus récente, car elle a dépendu du développement de l’ingénierie des transports qui s’est produit beaucoup plus tardivement que l’observation. Il fallait qu’on ait compris le principe de certaines réactions chimiques et de la propulsion, trouvé une source d’énergie adéquate et pouvoir la maîtriser ; qu’on ait compris certaines lois comme celle de la gravité pour en déduire des conséquences comme la vitesse de libération et qu’on soit capable de concevoir et de fabriquer des vaisseaux pouvant sortir de l’atmosphère terrestre. C’est l’astronautique qui a été le vecteur de cette seconde modalité et elle n’a véritablement commencé, sur le plan théorique, qu’avec Constantin Tsiolkovski au début du 20e siècle (d), beaucoup plus qu’avec Cyrano de Bergerac ou Jules Vernes qui ne l’avaient envisagée que de façon très superficielle.
Les défis des dimensions, de la vitesse et du temps
Ce qui a toujours impressionné les hommes, ce sont les dimensions du Ciel puis de l’Espace. Cela fait naturellement partie de la crainte ou de l’émerveillement qui résultent de sa contemplation. Et qui dit dimensions implique vitesse et temps quand on envisage de le parcourir, ce qui ajoute à l’émerveillement quand on les réalise, mais entame en même temps sérieusement l’ambition de l’entreprendre du fait de la disproportion avec les grandeurs et les forces que nous pouvons maîtriser.
Il est frappant de constater que jusqu’au début du 20e siècle, dans le mental collectif, l’Univers se bornait (si l’on peut dire) à notre galaxie. Il y avait bien eu Kant dans le sillage de Newton qui avait pensé que les « nébuleuses » (objets d’aspect diffus dans le Ciel) étaient d’autres « univers-îles » comme le nôtre (e). Il fallut cependant attendre le début des années 1920 pour que la communauté des astronomes (dont Hubble se fit le « haut-parleur ») admette définitivement la réalité. Ces autres groupements d’étoiles autonomes autour de leur propre centre de gravité, encore plus éloignés que les étoiles dont on voyait distinctement la lumière, étaient bien d’autres galaxies en dehors de notre Voie-Lactée. Et ce n’est qu’après Albert Einstein, avec Georges Lemaître en 1927(f) que l’idée d’une histoire de l’Univers, avec un début, son Big-bang (pour Lemaître « l’Atome primitif ») et une évolution, fit irruption dans notre intelligence collective.
Mais l’évaluation réelle des dimensions n’a été possible qu’après qu’on a pu calculer la vitesse de la lumière (première approximation en 1675 avec Ole Rømer), qu’après qu’on a compris que cette vitesse était constante (Minkowski, Lorentz, Poincaré, puis Einstein avec sa théorie de la relativité générale), qu’après avoir découvert la spectrographie qui permettait de l’analyser (Angelo Secchi, 1860), qu’après avoir compris l’effet Doppler (Christian Doppler, 1848) et qu’après la découverte de l’électromagnétisme (Maxwell en 1864). Comme toujours en Science, le progrès a avancé à la pointe d’une arborescence avec de multiples interactions croisées.
On est, depuis, confronté à un Univers plus grand qu’on ne l’avait jamais imaginé (et du point de vue de l’exploration, encore plus difficile à appréhender). C’est Edwin Hubble qui en a donné les premières estimations (trop basses) avec sa « constante » de l’expansion qui en fait n’est valable qu’à notre époque (puisqu’il y a accélération), puis Allan Sandage en 1955, en donnant la première estimation sérieuse de cette constante (75 km/s par mégaparsec [g], « Mpc ») approchant les estimations contemporaines (entre 67,4 et 73 km/s/Mpc). Mais ce n’est véritablement qu’après que Penzias, R. Wilson, R. Dicke, J. Peebles et D. Wilkinson, eurent publié leurs travaux sur le Fond-Diffus-Cosmologique en 1965 qu’on sait que le Big-Bang a eu lieu il y a près de 13,8 milliards d’années (mais que, compte tenu de l’expansion de l’Univers et de son accélération, ce Big-bang, notre « horizon cosmologique », se situerait aujourd’hui à quelque 46 milliards d’années-lumière).
Alors, à cause de ces dimensions et de notre capacité de génération de vitesse absolument limitée, le temps est le dernier obstacle qui se dresse devant nous, pauvres êtres vivants dont la vie est relativement si courte. Comment traverser l’Espace ou même l’observer en dépit du blocage que constitue une vitesse de la lumière à 300 000 km/s ? Si l’on regarde près de nous, nous ne voyons que notre propre présent limité dans l’Espace proche (il nous est impossible de voir au-delà dans le même présent que le nôtre) ; si l’on regarde loin, on ne peut voir que notre passé. Notre vue, qui fonctionne avec la lumière, est courbée à jamais.
Cela ne gêne pas trop notre étude de l’Univers, au contraire puisque nous avons du fait de cette courbure, accès à toute son histoire jusqu’au moment où les photons ont pu se dégager de la matière (Surface-de-Dernière-Diffusion, une autre façon de considérer le Fond-Diffus-Cosmologique également appelé Cosmic-Microwave-Background, « CMB », pour le désigner par la première et la plus ancienne émission électromagnétique reçue, témoignant de cet événement et datant de 380 000 ans après le Big-bang). Mais cela gêne considérablement nos déplacements. Il nous est pratiquement toujours impossible de nous éloigner de notre système solaire puisqu’à la vitesse « relativiste » de 20 % de la vitesse de la lumière (la vitesse vraiment maximum envisageable aujourd’hui), comme l’imaginent les promoteurs de Breakthrough Starshot (voir chapitre 4), il nous faudrait 20 ans pour parvenir dans le système de notre plus proche voisine (Proxima-Centauri) (h) située à 4,24 années-lumière (distance à rapprocher du diamètre de la Voie-Lactée de quelque 100 000 années-lumière). À cette vitesse, le temps s’écoulerait un peu moins vite pour les passagers du vaisseau spatial que pour leurs contemporains restés sur Terre, mais ce ne serait pas un obstacle rédhibitoire. Par contre si l’on atteignait un jour 70 % de la vitesse de la lumière, et il le faudrait bien pour aller juste un peu plus loin, la distorsion serait telle qu’elle causerait une perturbation insurmontable dans le besoin de continuité des relations sociales. Imaginons un homme parti à 30 ans pour un voyage de 3 ans, retrouver sa fiancée de 25 ans âgée de 50 ans à son retour sur Terre ou ses propres enfants de son âge ! Enfin, même à 20 % de la vitesse de la lumière, la moindre poussière rencontrée pourrait causer des dégâts catastrophiques par son impact.
Nous semblons donc irrémédiablement enfermés physiquement dans notre capsule spatio-temporelle, en clair dans les limites que nous impose la vitesse de la lumière pour l’observation, et dans notre système solaire en ce qui concerne l’astronautique.
Se décourager ou continuer ?
Alors faut-il se décourager ou continuer ? Étant donné les défis posés par l’Espace, ses dimensions et nos moyens, faut-il renoncer à l’appréhender sans même essayer ? Faut-il renoncer à explorer l’Univers au-delà de la Surface-de-Dernière-Diffusion pour comprendre enfin notre Origine ? Faut-il renoncer à chercher à connaître le visage des planètes de nos systèmes voisins en se disant qu’on ne pourra jamais observer l’Univers « contemporain » auquel la vitesse finie de la lumière nous empêche pour toujours l’accès ? Faut-il renoncer à chercher à voir la surface des exoplanètes sous prétexte qu’elles sont trop petites et que leur lumière réfléchie est trop faible ? Faut-il renoncer à l’astronautique pour les vols habités lointains sous prétexte que nous ne disposons pas aujourd’hui du mode de propulsion adéquat pour franchir en un temps raisonnable les distances énormes qui nous séparent des autres systèmes stellaires ou même pour atteindre les planètes géantes au-delà de la Ceinture d’astéroïdes ? Faut-il renoncer à nous établir sur Mars parce que notre corps n’y résisterait pas ?
Le problème ne se pose pas pour beaucoup de nos contemporains qui ont déjà répondu fermement qu’il fallait bel et bien renoncer à toutes ou certaines de ces recherches, démarches ou entreprises, disant que nous avons bien autre chose à faire avec nos ressources limitées que d’y travailler et de tenter d’y répondre. Parmi ces opposants il y en a de trois types : les hommes qui vivent sur Terre écrasés par les préoccupations du quotidien et que les étoiles indiffèrent ; ceux parmi les scientifiques (et ils sont nombreux !) qui craignent qu’un effort dans cette direction assèche le financement de leur recherche propre, et les écologistes-extrémistes qui veulent que rien ne soit distrait de l’ensemble de nos ressources pour être affecté à quelque autre objet que le redressement de la situation environnementale. Illustrant ce dernier type, Mary-Jane Rubenstein, professeur de Science et Religion à la prestigieuse Université Wesleyan, aux États-Unis, a écrit un livre, Astrotopia (i), très révélateur de cette idéologie. À noter qu’il a fait l’objet d’une forte contestation (j) par Robert Zubrin, l’un des moteurs intellectuels de l’exploration spatiale.
Pour un esprit curieux, ayant soif d’aventure ou simplement réaliste, la réponse à ces questions est évidente. Oui, il faut continuer. Il faut continuer parce que nous avons une envie forte de savoir et de comprendre. Il faut continuer parce que nous ne voulons pas nous contenter d’un monde que l’on connaît et parce que nous voulons aller voir « ailleurs ». Il faut continuer parce que s’installer sur un autre monde serait le meilleur gage que notre civilisation terrestre ne mourra jamais. Il faut continuer parce que l’exigence que nous imposent les contraintes fortes du milieu spatial pourra forcément avoir des retombées positives sur Terre si nous y répondons. Il faut continuer parce que nous devons entreprendre à chaque époque tout ce qu’il nous est possible d’entreprendre.
La science-fiction ou la Science ?
Pour se sortir ou du moins s’accommoder du carcan incontournable de notre insignifiance relative et des forces supérieures qui nous contraignent, il y a deux solutions, la science-fiction ou la Science. La science-fiction ne permet évidemment pas d’évoluer dans la réalité et a priori ce ne peut donc être qu’une dérivation ou un exutoire. Mais dans les faits cela peut être aussi un moteur ou au moins un stimulant pour la Science. Elle s’est insinuée dans la littérature au 19e siècle, avec Jules Vernes puis un peu avant les années 1930 aux États-Unis, par un grand nombre d’auteurs, à partir de l’époque où l’on a réalisé que le progrès technique, disons la Science, pouvait conduire l’humanité « très loin ». De grands ingénieurs ou astrophysiciens s’y sont essayés. Elle leur a permis de jouer autour d’idées qu’ils ne pouvaient complètement développer scientifiquement, mais qu’ils pouvaient mener quand même assez loin en utilisant la liberté du romancier.
Il faut bien distinguer plusieurs catégories de science-fiction. Laissons de côté ce que les Américains appellent « fantasy ». Ce ne sont que des histoires oniriques qui n’ont le plus souvent rien à voir avec la réalité (même si elles peuvent refléter un certain moment sociétal comme les soucoupes volantes ont reflété la psychose américaine de la Guerre froide). Il n’en est pas de même avec la « science-fiction-dure » qui est utilisée par des esprits scientifiques pour se représenter et approfondir un aspect de la réalité relevant de leur domaine de compétence (comme une simulation) en supposant résolues les difficultés qui font obstacle à ce développement dans d’autres domaines. Enfin il y a ce qu’on appelle « l’anticipation » qui est la projection dans un futur proche de ce qu’il est théoriquement possible de réaliser. Cela permet d’affiner ses idées, d’en corriger les insuffisances ou les incohérences résiduelles. On entre alors dans la recherche scientifique.
Pour l’illustrer, je prendrai trois exemples. The flight of the Dragonfly de Robert Forward(k) est une œuvre de science-fiction dure. Forward imagine une mission de vaisseaux équipés de voiles propulsées par la lumière et un voyage dans un système d’étoiles triples avec des planètes en interaction à l’intérieur de leur limite de Roche (ce qui permet de mieux se représenter toutes sortes d’effets de la gravitation). La propulsion photonique est bien une possibilité et elle a été testée à petite échelle beaucoup plus tard. The case for Mars(l) de Robert Zubrin, mon deuxième exemple, ressort de l’anticipation. Il s’agit pour l’auteur, ingénieur en propulsion, de démontrer aussi précisément que possible, sur la base de connaissances incontestables dans son domaine et dans le contexte qu’on connaît grâce aux diverses missions robotiques menées sur Mars, les possibilités les plus réalistes que nous ayons d’y aller physiquement et d’y vivre. Mon troisième exemple, le travail que mènent actuellement des étudiants en Master de l’EPFL (m), sous la supervision de Claude Nicollier et de moi-même1, sur la faisabilité d’un dirigeable martien, ressort lui, de la Recherche. Il s’agit en utilisant les sciences physiques et les différentes technologies ou matériaux disponibles, de concevoir quelque chose qui n’existe pas et dont la faisabilité peut, nous l’espérons, être démontrée ou au moins délimitée.
On voit bien l’intérêt de la science-fiction, on pourrait l’appeler l’« imagination prospective », et on voit aussi la nécessité de la Science, l’indispensable souci du réel et de l’étude de faisabilité, pour atteindre la réalité. On pourrait dire que la science-fiction fait la courte échelle à la Science. Sans science-fiction même inavouée, très peu d’idées nouvelles, très peu de projets nouveaux (étant bien entendu que la Science pure impose évidemment un cadre incontournable défini par les quatre forces fondamentales, la flèche du temps, la vitesse de la lumière ou l’expansion de l’Univers à partir d’une Origine). Il faut se frotter à l’impossible pour aller plus loin. Des fois, cela « joue », des fois non, mais l’imagination, l’esprit novateur, l’audace de chercher « hors des sentiers battus » est certainement une des caractéristiques de l’esprit humain, qui explique sa créativité.
L’exploration spatiale ne pourrait être évidemment menée sans une Science solide, mais l’imagination portée par la science-fiction ne saurait être méprisée et rejetée, car elle est une puissante inspiratrice.
La stratégie
Ce qu’il nous est possible de faire et donc ce que nous devons faire, c’est, en astronomie, pousser au maximum la puissance de nos télescopes ; c’est, en astronautique, aller aussi loin que nos moyens nous le permettent tant en ce qui concerne les vols robotiques que les vols habités.
Concernant la puissance de nos télescopes, nous faisons ce que nous pouvons grâce à la technologie des miroirs segmentés, des actuateurs, de l’interférométrie, de l’informatique. Le « SKA » (Square Kilometer Array), le « TMT » (« Thirty Meter Telescope ») américain ou l’« ELT » (« Extremely Large Telescope ») européen, en témoignent, tout autant que le James Webb Telescope dans l’Espace.
Pour les missions astronautiques robotiques, c’est un peu moins bien. Des choix sont faits, des projets repoussés ou refusés (et des astrophysiciens frustrés !), mais on comprend bien, tout en le regrettant, que les budgets des agences spatiales ne soient pas illimités.
Enfin les missions astronautiques habitées restent le « parent pauvre » du système parce qu’elles semblent coûter cher au regard des retombées scientifiques (il faut évidemment prendre toutes les précautions pour sauvegarder la santé et la vie des astronautes) et que donc la plupart des scientifiques, pensant à leur propre travail, n’en voient pas, à tort (selon moi), l’intérêt. Elles sont en conséquence portées surtout par l’Opinion dans certains pays plus sensibles à la science-fiction que d’autres et, de ce fait, indirectement par les hommes politiques dans ces mêmes pays.
Actuellement, pour les installations d’observation terrestres, la limite est la taille, autant sur la faisabilité technique que sur l’acceptabilité des populations. On bute sur la visibilité du TMT (Thirty Meter Telescope) au sommet du Mauna Kea (car certains Hawaïens considèrent toujours que c’est une montagne sacrée) ou sur la surface couverte par le SKA dans le désert sud-africain (car apparemment il dérange les éleveurs nomades « cornaqués » par les écologistes locaux). Dans l’Espace les problèmes sont, outre la taille et le volume (il faut pouvoir transporter les équipements sous la coiffe d’une fusée), la sensibilité et la précision des réglages. On doit par exemple refroidir à l’extrême les télescopes pour laisser suffisamment de longueurs d’onde exploitables au-dessus du bruit de fond que constitue la température déjà très basse du rayonnement primordial diffus omniprésent dans l’Espace, mais qui nous parvient en infrarouge. Par ailleurs, la stabilité nécessaire pour déployer les constellations de télescopes qui permettraient une interférométrie décuplant les possibilités de chaque unité (projet Darwin) n’est pas assurée du fait de toutes sortes d’interactions gravitationnelles. Pour LISA qui devrait permettre de capter avec plus de facilités que sur Terre les ondes gravitationnelles, le besoin de précision extrême des rayons laser qui doivent joindre les différents capteurs sur des distances énormes (1,5 million de km), pose aussi problème même si le précurseur, LISA Pathfinder, a remarquablement fonctionné.
Les missions astronautiques robotiques avec atterrissage sur les astres visés, même si elles connaissent encore des échecs, sont devenues possibles pour la Lune et Mars ou les astéroïdes proches (NEA). Les États-Unis, les Chinois ou maintenant les Indiens (sans compter les Soviétiques qui ont été pionniers !) ont fait leurs preuves. Les Japonais ont à moitié réussi leur mission SLIM sur la Lune en janvier 24 mais sont passés maîtres dans l’exploration des astéroïdes. Malheureusement les Russes ne parviennent pas à refaire ce qu’on sut faire leurs prédécesseurs soviétiques et les Européens restent à la traîne (exception faite pour Titan).
On peut envoyer (sans atterrissage) toutes les sondes que l’on veut au-delà de ces astres proches de la Terre, mais le problème est évidemment le temps nécessaire pour atteindre les cibles lointaines compte tenu de nos limitations dans les technologies qui imposent des voyages extrêmement longs. On utilise toujours la propulsion chimique donc une impulsion initiale suivie éventuellement d’une navigation permettant l’utilisation (pour accélérer ou ralentir) de l’effet de fronde des planètes se trouvant sur les trajectoires (après avoir calculé qu’elles seront au bon endroit par rapport à l’objectif final). Compte tenu de ces limitations, seul le système solaire est explorable et encore, au mieux, jusqu’à la Ceinture de Kuiper. Il a fallu 18 ans à la sonde New Horizons, lancée en janvier 2006, pour franchir 8,8 milliards de km – 08 heures et 08 minutes (17/03/24). Le dernier corps approché (à 3500 km et à la vitesse de 14,43 km/s), l’astéroïde Arrokhot, est le premier de cette Ceinture à avoir pu être visité. Parvenir à explorer, par moyens robotiques, une planète extrasolaire comme en rêvent les promoteurs du projet Breakthrough starshot ne sera pas facile.
Pour ce qui est des vols habités. Ne nous faisons pas d’illusions, les objectifs ne peuvent être que la Lune ou Mars. Les autres sont « aujourd’hui » inaccessibles en raison de la durée des voyages (temps et doses de radiations accumulées) ou trop dangereux comme la haute atmosphère vénusienne ou la surface de Mercure (trop près du Soleil et, de ce fait, brûlante sur la face qui lui est exposée).
Ceci dit, tout en ayant conscience des difficultés dans tous les domaines de l’exploration, il faut aller dans chacun d’entre eux aussi loin qu’il est possible d’aller aujourd’hui et avoir confiance dans l’avenir. Plus tard, sur des bases fermes et testées (on pourrait dire « consolidées » en se référant à une construction) et en utilisant dans chaque domaine les progrès réalisés dans les autres (« crossfeeding » ou fécondation croisée), on pourra certainement aller plus loin.
Le risque d’être bloqué
Au-delà de ces contraintes technologiques, deux blocages à l’exploration spatiale sont possibles, l’encombrement de l’Espace proche et la fièvre écologiste.
L’encombrement de l’Espace proche c’est la prolifération des satellites en orbite basse terrestre (LEO) qui se profile pour les années qui viennent. Jusqu’à l’avènement des « constellations », il y avait déjà trop de satellites (et trop de débris) lancés sans souci d’un éventuel retour. Or, au-dessus de 600 km, il faut 25 ans à un objet satellisé pour retomber sur Terre. Les premiers satellites n’avaient pas de dispositif de freinage pour redescendre dans l’atmosphère et s’y consumer. Ce n’était pas trop grave tant qu’ils étaient peu nombreux (de l’ordre de 2000 avant les constellations). Ça le devient avec le temps et notamment depuis 2019 avec la constellation « Starlink » en cours de lancement par Elon Musk pour couvrir de relais Internet aussi proches que possible de la Terre l’ensemble de la planète. L’intention est louable puisqu’il s’agit de rendre Internet partout accessible sur Terre dans de bonnes conditions (rapidité, précision, débit). Le problème est le nombre, 12 000 satellites à suivre par 42 000 minisatellites, et ce pour deux raisons. La première est que si ces satellites ne redescendent pas assez vite après une durée d’exploitation raisonnable, pour absence ou défaillance du système de freinage, ils peuvent finir par se heurter et créer des débris qui à leur tour en créeront d’autres (syndrome dit « de Kessler »). Or les 12 000 unités mentionnées plus haut se répartissent sur plusieurs tranches d’altitude : 7600 à 340 km, 1600 à 550 km et 2800 à 1150 km (je rappelle que la Station Spatiale Internationale, l’« ISS », évolue entre 330 et 420 km). Les 7600 qui évolueront autour de 340 km seront donc plus nombreux que tous les satellites qui ont été lancés à ce jour et la vie dans l’Espace de la plupart des satellites de la constellation sera supérieure en moyenne à une cinquantaine d’années. Les conséquences sont que ceux-ci, et les autres, risquent fort de gêner la circulation des nouveaux satellites et même l’envoi de fusées au-delà de LEO. Le second problème est celui de l’observation astronomique et astrophysique à partir de la Terre. Les télescopes ou autres capteurs de signaux cosmiques sont de plus en plus sensibles, certains sont dédiés à observer dans des fenêtres de plus en plus petites et sur des temps de plus en plus brefs. Les interférences avec les passages de satellites et les débris spatiaux seront donc de plus en plus dommageables à notre activité dans l’Espace à partir de la Terre.
Il faut bien être conscient de ces blocages pour réagir rapidement et convaincre, afin d’éviter de nous trouver trop tard dans des situations impossibles à surmonter. La fenêtre est ouverte, elle peut se refermer. Nous n’avons sans doute pas « tout le temps » devant nous.
Le mystère de la Vie au cœur de notre désir de savoir / La Vie sur Terre, un fait extraordinaire / La complexification jusqu’à l’Homme, un processus non programmable / L’improbabilité des extraterrestres / Notre responsabilité en tant qu’hommes
Le mystère de la Vie au cœur de notre désir de savoir
Notre questionnement sur la Vie est au cœur de l’exploration spatiale. Quand nous regardons aussi loin que possible dans l’Espace et donc en arrière dans le temps, nous cherchons à comprendre comment, c’est-à-dire en même temps pourquoi, le phénomène apparemment illimité (mais qui a eu un début et aura sans doute une fin) que l’on conçoit comme étant les forces de l’Univers en expansion dont nous sommes le fruit après 13,8 milliards d’années, a pu conduire jusqu’à nous. Quand nous regardons plus près aux alentours, dans notre petit voisinage accessible à l’observation des planètes, système solaire et secteur de la Voie-Lactée qui nous englobe, nous cherchons à trouver d’autres Terres ou « presque-Terres ». Et dans la mesure du possible, lorsque nous en trouverons ou (pour être prudent) si nous en trouvons un jour, nous voudrons non seulement les voir, mais aller les « toucher », pour savoir d’abord si la Vie s’y est développée et ensuite si éventuellement nous-mêmes pourrions y vivre. Et naturellement nous nous intéressons à la planète Mars, seule planète connue à ce jour susceptible de pouvoir remplir les conditions minimums requises pour envisager non seulement le premier objectif, mais aussi le second compte tenu du développement actuel de nos technologies qui nous la rend physiquement accessible.
Bien sûr notre recherche de connaissance et de compréhension du Monde n’est pas exclusivement motivée par ce questionnement, mais dans l’inconscient collectif, y compris celui des astronomes, des astrophysiciens, des cosmologues, outre bien sûr des exobiologistes, il me semble bien présent. Peut-être est-ce parce que la curiosité, la soif de comprendre, sont très profondément ancrées dans notre nature, tout comme, à un autre niveau de réactivité (plutôt que de conscience !) la perpétuation de la Vie est ancrée en nous-mêmes comme dans les plus primitifs de nos procaryotes.
Ceci conduit à des aberrations ou, pour être plus indulgent, à des « emballements » imprudents.
Premier exemple : Toute exoplanète même la plus visiblement inhospitalière est a priori considérée par les médias comme une « nouvelle-Terre ». Et, si elle se trouve dans la zone « habitable » de son étoile, on se pose tout de suite la question de la Vie, sans prendre en compte que son « habitabilité » n’exprime qu’une certaine irradiance de l’étoile à la distance où se trouve la planète (entre environ 700 à 1800 W/m2). Ce niveau d’irradiance permet certes à l’eau (si elle est présente !) d’être liquide à cette distance (avec une marge en fonction de sa salinité ainsi que de la composition et de la densité de l’atmosphère). Mais l’habitabilité n’est qu’une condition sans doute nécessaire, mais pas du tout suffisante pour la Vie (comme développé ci-dessous).
Deuxième exemple : Sur Terre le programme SETI (« Search for Extra-Terrestrial Intelligence » [a]) recherche depuis 60 ans une émission qui pourrait être « artificielle » et lorsqu’on découvre dans l’Espace un nouveau type d’émission (par exemple les quasars ou les FRB – « Fast Radio Burst ») on commence par suggérer qu’il a une origine « extraterrestre » avant même d’avoir étudié le phénomène de façon approfondie.
Troisième exemple : un objet incontestablement extrasolaire (« Oumouamoua) a été observé en octobre 2017 après avoir été accéléré à son passage au périhélie. Sur des observations très courtes dans le temps (11 jours) et à la limite des capacités d’observation compte tenu de la distance (30 millions de km) et de la taille de l’objet (peut-être moins de 100 mètres), l’astrophysicien Avi Loeb a considéré que la probabilité qu’il soit artificiel était plus élevée que celle qu’il soit naturel. Il est vrai que certaines de ses caractéristiques sont troublantes (notamment rapport largeur sur longueur et épaisseur), mais l’option « artificielle » est tellement lourde de conséquences, qu’il faudra quand même obtenir d’un autre objet, d’autres indices plus clairs.
Je ne veux pas dire que le motif de la recherche de la Vie ne soit pas légitime, au contraire. Il est « intimidant » et peut-être présomptueux de penser sans avoir de doute, que nous soyons seuls dans l’Univers et il est passionnant de penser qu’ailleurs dans l’Espace, des êtres intelligents puissent exister. Les rechercher mérite toute notre attention (ainsi que les financements qui vont avec, comme ceux consacrés à SETI !). Je veux seulement suggérer qu’avant de « s’emballer », il faut réfléchir un peu plus sur la probabilité de cette rencontre.
La Vie sur Terre, un fait extraordinaire
Il faut bien voir que le processus menant à la Vie n’est pas du tout un phénomène ordinaire, contrairement à ce que pouvaient penser les hommes de la Renaissance dans l’euphorie de la sortie d’une époque de ténèbres, en envisageant la possibilité de « pluralité des mondes » puisque notre Soleil n’était qu’une étoile et que les étoiles, comme ce Soleil, devaient être entourées de planètes. Au temps de Giordano Bruno, brûlé vif par l’Église catholique en 1600, il n’était pas illogique en raison de notre incapacité d’observer (la lunette qui date de 1608 n’était même pas encore inventée), de penser que parmi ces planètes il devait y avoir d’autres Terres, c’est-à-dire d’autres planètes peuplées d’hommes (presque) comme nous. Bruno a été supplicié pour avoir exprimé cette seule spéculation ! C’est plus que regrettable, on peut dire scandaleux, impardonnable pour les juges et accessoirement non conforme aux principes chrétiens. Mais le pauvre s’était avancé sans preuve sur la base d’une science astronomique balbutiante et, si l’on ne peut plus aujourd’hui nier la réalité de la pluralité des mondes, on peut toujours douter que ces mondes soient peuplés d’êtres comparables à l’Homme. Certains pensent encore qu’ils le sont par une forme de vie locale ; d’autres pensent que la Terre aurait pu être ensemencée par une vie venue d’ailleurs (« panspermie ») ce qui ne résout rien quant à l’improbabilité de l’assemblage de ses « ingrédients » puisque cela ne fait que reporter « ailleurs » le problème. Heureusement, ils ne sont plus mis à mort pour cela, tout comme ceux qui demandent toujours des preuves, ne le sont pas davantage ; comme quoi l’esprit de tolérance a quand même fait des progrès.
Mais d’abord qu’est-ce que la Vie ? La définition que j’ai souvent proposée (b)