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Un livre d'histoire porté par une plume vivante.
Kolwezi 1978 revient sur l’opération franco-belge menée en mai 1978 dans le principal centre minier du Shaba (actuel Katanga) afin de contrer l’avancée des rebelles indépendantistes katangais. Les parachutistes français et belges sauveront à cette occasion plusieurs milliers d’Occidentaux, ainsi que de nombreux Zaïrois, et permettront de stabiliser la région.
Kolwezi 1978 est le premier livre sur le sujet à bénéficier d’un véritable traitement historique dans l’approche utilisée. L’auteur s’appuie sur des sources jusqu’ici inédites pour retracer le contexte et les événements de cette bataille restée dans les mémoires comme une belle réussite de la légion étrangère. L'ouvrage ne pouvait laisser de côté l’aspect militaire de l’opération, mais ne pouvait non plus s’en contenter. L’intervention franco-belge se trouve en effet au cœur d’intérêts et d’enjeux internationaux, qui sont ici mis en lumière pour mieux comprendre cet épisode de l’histoire post-coloniale.
Si Pierre Brassart prend le recul nécessaire à l’analyse des faits, il nous emmène surtout sur le terrain, parmi les parachutistes français et belges missionnés pour sauver les Européens vivant dans la ville minière et pris en otage par les rebelles.
Plongez au coeur de la réalité d'une opération militaire franco-belge, parmi les parachutistes missionnés pour sauver des Européens vivant dans le principal centre minier du Shaba et pris en otage par les rebelles.
EXTRAIT
Les appareils civils réquisitionnés ne sont disponibles qu’à partir de 15 heures, mais l’incertitude persiste quant à la quantité d’hommes et de matériel que ces avions peuvent transporter. Le quartier général de la division logistique se charge de fournir l’équipement nécessaire. Pour ce qui est des vivres, il est décidé de puiser dans les stocks de l’AMF qui sont déjà palettisés et prêts au transport.
Peu avant midi, le cabinet de crise belge décide enfin d’autoriser le mouvement des troupes vers Kamina. La machine se met alors en marche. En Corse, les légionnaires décollent peu après 14 heures. Le gouvernement français fait appel à des jets, civils et gouvernementaux, en sachant que sur place il pourra compter sur les appareils de transport zaïrois. L’attaché militaire belge à Kinshasa apprend du chef de la mission militaire française au Zaïre, le colonel Gras, que les appareils de transport français arriveront à Ndjili, l’aéroport de Kinshasa, en fin d’après-midi, mais qu’aucune opération n’est prévue sur Kolwezi avant le samedi matin. Ce dernier estime aussi qu’en cas d’opération commune, les attaques devraient être « “disjointes” et peut-être décalées dans le temps ».
À PROPOS DE L'AUTEUR
Historien belge passionné d’histoire militaire et de relations internationales,
Pierre Brassart commence ses recherches sur Kolwezi à l’occasion de son mémoire de fin d’études. Après avoir publié plusieurs livres de vulgarisation historique, il se replonge aujourd’hui dans cette bataille qui a fortement marqué les esprits.
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Lorsque les turbopropulseurs Allison s’arrêtèrent, équipage et para-commandos peuvent enfin pousser un soupir de soulagement. Il est 14 heures, nous sommes le 22 mai 1978 et le dernier quadrimoteur C-130 Hercules du 15 Wing de la Force aérienne belge vient d’atterrir sur la base de Kamina, au Zaïre, avec à son bord plusieurs dizaines de para-commandos. Après une opération de près de 55 heures qui sera, pour certains d’entre eux, la plus intense de leur vie, ils vont pouvoir, pilotes, membres d’équipage ou soldats, prendre un peu de repos bien mérité. En effet, en un peu plus de deux jours, entre le 20 et le 22 mai, avec plus d’un millier de leurs collègues, ils ont sauvé plus de 2 000 Européens d’un enfer qui porte un nom gravé dans les mémoires : Kolwezi.
Cité minière située aux confins de la province du Shaba, ex-Katanga, au Zaïre, Kolwezi aurait pu ne jamais entrer dans l’histoire, mais les événements qui s’y sont déroulés en mai 1978 en ont décidé autrement. Le 13 mai de cette année-là, la ville, où vivent plusieurs milliers d’Européens parmi près de 100 000 Zaïrois, est attaquée et prise par ceux que l’on appelle les « ex-gendarmes katangais », opposés au gouvernement du président zaïrois Mobutu, marquant le début de la deuxième guerre du Shaba. La population d’expatriés, enfermée dans la ville, devient la victime de pillages et de passages à tabac. Plusieurs dizaines de personnes perdent la vie, ce qui pousse deux puissances européennes, la Belgique et la France, à intervenir pour sauver leurs compatriotes. Les parachutistes belges et français sauveront plusieurs milliers d’Occidentaux, ainsi que de nombreux Zaïrois, et permettront de stabiliser la région.
Les troubles qui secouent le Zaïre en mai 1978 s’imbriquent dans un cadre plus large de bouleversements géopolitiques qui jalonnent l’histoire récente de l’Afrique et qui sont autant de manifestations explosives du cadre tumultueux de la décolonisation et des tensions incessantes entre l’Ouest et l’Est durant la guerre froide. Replacer dans ce contexte l’épisode de Kolwezi est un préalable afin de mieux cerner les origines du conflit et comprendre les décisions prises par les différents acteurs.
Pour plonger au cœur de l’action, ce n’est pas un fil rouge mais bien deux bérets lie-de-vin que nous allons suivre pendant une dizaine de jours, allant du 18 au 29 mai 1978. Willy Marcus et André De Smet étaient à l’époque deux jeunes capitaines para-commandos, respectivement rattachés à l’état-major du régiment et à un de ses bataillons. À travers leur témoignage et les documents d’époque qu’ils ont chacun conservés, y compris un journal de bord, nous allons suivre de l’intérieur l’opération Red Bean, nom donné à la mission belge d’évacuation des ressortissants européens de Kolwezi.
Outre cet aspect opérationnel, la seconde guerre du Shaba, ainsi qu’on appellera les faits ayant secoué le Zaïre en mai 1978, sera également abordée sous un angle politico-stratégique : celui des autorités civiles et militaires belges, sur base des archives du ministère des Affaires étrangères belge concernant cette époque. Les échanges entre l’ambassade belge à Kinshasa et Bruxelles, notamment, sont extrêmement enrichissants et offrent un point de vue inédit sur les événements.
Ainsi, deux points de vue seront adoptés au cours de ces pages : celui de soldats belges engagés sur le terrain, et celui des hommes politiques aux commandes. Les témoignages d’observateurs directs, associés à ce que nous racontent les archives officielles, permettent de proposer une vision la plus complète et originale possible de l’action des soldats belges et français à Kolwezi.
Cet ouvrage a pour ambition d’effacer une injustice. Oui, la Légion a sauté sur Kolwezi. Les mémoires ont retenu ce fait d’armes, et ce, pour deux raisons principales. D’une part, il est vrai que les légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes de la Légion étrangère ont été les premiers soldats européens à intervenir dans la ville maudite et, d’autre part, le livre emblématique et le film qui en est inspiré se sont imposés dans les esprits et ont associé pour longtemps Kolwezi avec l’action de la Légion. Il n’est pas question ici de diminuer le fait d’armes français, mais bien de redonner ses lettres de noblesse à l’opération des membres des forces armées belges, para-commandos bien sûr, mais également ceux de la Force aérienne, qui par leur savoir-faire et leur courage ont rendu l’exploit de Kolwezi possible.
Pour comprendre l’enchaînement de faits qui a conduit la Belgique et la France à lancer une des plus spectaculaires opérations militaires de leur histoire, il est nécessaire de remonter presque 20 ans en arrière. Le 30 juin 1960, l’indépendance de la République du Congo, ancien Congo belge, est déclarée après avoir été pendant 75 ans une possession belge. Moins de deux semaines plus tard, le 11 juillet, la plus riche province congolaise, le Katanga, proclame son indépendance par la voix de Moïse Tshombe, un homme politique local qui en devient le président.
Carte du Katanga/Shaba et de ses villes principales.
Cette sécession est le résultat de plusieurs facteurs, le premier étant de nature ethnique. En effet, les Katangais font majoritairement partie d’une ethnie, les Lundas, différente de celles du reste du pays, et une forme de racisme existe au sein même de la province. Le territoire du Katanga correspond à la portion congolaise de l’ancien empire lunda, entité politique qui a dominé, entre le XVIe et la fin du XIXe siècle un territoire comprenant le sud du Congo, l’Angola et l’ouest de la Zambie. Cet espace a été divisé, au moment de la conférence de Berlin de 1884-1885, entre le Portugal (pour l’Angola), le Royaume-Uni (pour la Zambie) et le souverain belge Léopold II, en possession personnelle, pour le Congo. En second lieu, le facteur économique joue un rôle encore plus important, le Katanga assurant 75 % de la production minière du Congo et représentant 47 % des recettes du budget de l’État. La province peut donc parfaitement se passer du reste du pays.
La sécession est rendue possible par les mutineries de la Force publique (FP). Cette dernière, à la fois force policière et militaire de l’État central, est composée d’une troupe indigène encadrée par un personnel blanc. Depuis le début des troubles qui conduisirent à l’indépendance du Congo, la FP est sur le front dans l’ensemble du pays pour faire face à tous les mouvements de contestation au pouvoir colonial. Mais dans les premiers jours du Congo indépendant, une partie de la Force publique se mutine contre sa hiérarchie pour protester contre l’absence de mesures suffisantes d’africanisation de la FP. Toutefois, si 15 % de la troupe se soulève, une proportion équivalente reste fidèle à son cadre blanc, alors que le restant attend de voir quel camp sera le vainqueur avant de prendre parti. Les troupes belges présentes dans le pays interviennent pour neutraliser les mutins de la FP et assurer la sécurité des Européens sur place, en les protégeant ou en facilitant leur évacuation. Au Katanga cependant, leur objectif consiste avant tout à permettre le maintien de l’activité économique, en garantissant la sécurité des principales entreprises et des Européens qui y travaillent, sans favoriser leur évacuation. Ce faisant, l’action belge soutient indirectement la sécession en assurant au Katanga le financement de son administration. La Belgique est, en effet, favorable à une indépendance du Katanga, qui aurait pu devenir le centre de gravité d’un nouvel ensemble d’États congolais. Dans cette province, les forces belges rétablissent l’ordre et encadrent la gendarmerie katangaise, la force armée de l’État sécessionniste.
Les nouvelles autorités du Congo, le président Joseph Kasa-Vubu et le Premier ministre Patrice Lumumba, envoient un télégramme à l’ONU dès le 12 juillet pour obtenir une aide militaire afin de reprendre le contrôle de la région sécessionniste et pour contraindre les militaires belges à se retirer dans leurs bases. Le 14 juillet, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 143, qui appelle le gouvernement belge à retirer ses troupes du Congo et autorise le déploiement d’une force militaire afin d’assister les nouvelles autorités nationales congolaises.
Le 15 juillet, le ministre belge de la Défense nationale, Arthur Gilson, autorise les troupes belges stationnées au Katanga à prendre position dans « tous les centres importants du Katanga, notamment Kolwezi »1. Pour le gouvernement belge, qui connaît la valeur de cette province et les avantages dont pourrait bénéficier la Belgique si l’indépendance du Katanga est reconnue, le maintien des activités économiques et des structures administratives est primordial, raison pour laquelle les militaires sont appelés à se déployer pour les préserver. Les retombées économiques pour la Belgique en cas de réintégration du Katanga au Congo ne seraient pas aussi intéressantes, notamment en raison des menaces de nationalisation des entreprises par l’État central. Les Belges présents sur place sont donc encouragés à collaborer avec les autorités sécessionnistes et à continuer de travailler. Les forces belges sont même autorisées à réquisitionner tous les Belges ayant entre 25 et 45 ans. La France apporte, tacitement, son soutien aux autorités belges, non seulement en les autorisant à maintenir leurs troupes, mais aussi en ne posant pas son veto contre la sécession du Katanga. La France agit ainsi en réciprocité pour la manière dont la Belgique défend la position de la France en Algérie.
Cependant, les Casques bleus de l’ONU, en réponse à l’appel de Kasa-Vubu et Lumumba, commencent à se déployer dès le 20 juillet ; la Belgique ne peut s’y opposer. Contrainte et forcée, cette dernière retire ses troupes du Katanga et abandonne ses bases. C’est l’exode pour la population expatriée : durant l’été 1960, près de 38 000 Occidentaux quittent le Congo (dont 25 000 évacués par la compagnie aérienne nationale belge Sabena), alors qu’ils étaient 112 000 à y vivre à la fin de l’année 1959 (dont 89 000 Belges).
Bien qu’ils soient présents dans le pays, les Casques bleus n’agissent pas pour mettre fin à la sécession du Katanga (ni à celle du Kasaï, une autre province qui a également déclaré sa sécession en août 1960). Cette inaction motive Lumumba à s’adresser directement à l’Union soviétique pour obtenir de l’aide. Cette dernière voit là une aubaine pour faire basculer le Congo dans le bloc de l’Est. Les décisions de Lumumba entraînent la rupture des relations diplomatiques entre la Belgique et le Congo.
La destitution de Lumumba par le président Kasa-Vubu, le 5 septembre 1960, permet d’apaiser un peu la situation, mais le départ des troupes belges inquiète les autorités katangaises. La Belgique essaie de compenser par la livraison de davantage d’armes, la formation de plus de militaires katangais en Belgique et l’incorporation directe de Belges dans les rangs de la gendarmerie katangaise. Le Katanga fait également appel à des mercenaires étrangers, dont un grand nombre de Belges, pour renforcer ses effectifs. Jusque-là, le rôle des Belges dans l’encadrement des gendarmes katangais était prépondérant, mais le Katanga commence à chercher le soutien d’autres pays. Un colonel français est directement contacté par les Katangais pour prendre le commandement des forces armées katangaises. La France se montre très intéressée par ce qu’elle peut retirer de cette proposition.
La province sécessionniste, ainsi soutenue, lutte pour sa survie jusqu’en janvier 1963. Pourtant, dès l’hiver 1962, les soutiens extérieurs, y compris belges, se tarissent. Une résolution du conflit par l’ONU semble en effet plus acceptable que l’obstination dont fait preuve le dirigeant katangais, Moïse Tshombe. Le gouvernement katangais, assiégé de toute part par les troupes de l’ONU, accepte de lâcher les armes et reconnaît la fin de la sécession katangaise lors d’une déclaration qui intervient le 14 janvier 1963, à Kolwezi. En conséquence, un certain nombre de Katangais et de mercenaires s’enfuient en Angola et en Rhodésie (actuelle Zambie) pour échapper à la répression, tout comme Tshombe, qui part en exil.
Cependant, la fin de cette sécession ne permet pas pour autant à la paix de s’installer. Quelques mois plus tard, d’autres rébellions voient le jour, appuyées notamment par la République populaire de Chine. Une guerre civile de grande ampleur s’ensuit dans presque tout le Congo. Le président Kasa-Vubu est contraint de rappeler Moïse Tshombe d’exil et fait de lui son Premier ministre pour empêcher que les révolutionnaires ne se joignent à lui et que la volonté d’indépendance du Katanga ne soit ravivée. Tshombe revient, de même que plusieurs centaines d’ex-gendarmes katangais qui avaient fui en Angola et qui sont incorporés au sein de l’armée congolaise. L’Armée nationale congolaise (ANC), héritière de la Force publique, avec ce renfort katangais, ainsi qu’un certain nombre de mercenaires étrangers, commence à reprendre le terrain perdu aux rebelles. Le point culminant de cet épisode est la prise d’otages de Stanleyville (actuelle Kisangani) et sa libération par une opération conjointe belgo-congolaise au cours de laquelle les para-commandos belges prouveront leur valeur. Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur cette opération.
Une fois cette crise passée, le président congolais Kasa-Vubu n’a plus besoin de Moïse Tshombe, dont le rappel au gouvernement est, depuis le début, qualifié de provisoire. Le président espère évincer l’ancien leader katangais lors des élections qui doivent avoir lieu durant l’année 1965. En effet, une fois les chambres renouvelées, le gouvernement provisoire pourra être démis de ses fonctions. Cependant, le Premier ministre refuse de dissoudre le gouvernement, contraignant Kasa-Vubu à le révoquer le 13 octobre 1965. S’ensuit une lutte politique entre le président et l’ex-Premier ministre, le premier souhaitant en finir avec les mercenaires et conseillers militaires étrangers, le second désirant rester en poste jusqu’à l’élection d’un nouveau président. Kasa-Vubu souhaite en fait s’écarter du bloc occidental pour s’orienter vers une position non alignée, par un rapprochement, entre autres, de leaders africains tels que l’Égyptien Nasser, ou par un vote opposé à celui de l’Occident quant à l’entrée de la Chine populaire à l’ONU. Ces prises de position encouragent les États-Unis à soutenir Mobutu à prendre le pouvoir.
Joseph-Désiré Mobutu est le chef d’État-Major de l’Armée nationale congolaise depuis juillet 1960. Lorsqu’il fait arrêter Lumumba sur ordre de Kasa-Vubu, il prend le pouvoir de fait, mais laisse Kasa-Vubu au poste de président. Le 25 novembre 1965, il organise un coup d’État avec l’ANC. Kasa-Vubu est destitué et Tshombe, qui dans un premier temps a cru que cette manœuvre avait pour but de le remettre au pouvoir, est contraint de prendre à nouveau la route de l’exil. Mobutu s’institue président. Un tout nouveau régime se met en place et une nouvelle constitution est établie.
La prise de pouvoir de Mobutu est accueillie favorablement, notamment dans la capitale, Léopoldville (renommée en Kinshasa en 1966). Cependant, les anciens rebelles ne désarment pas, même s’ils sont affaiblis. Car si Tshombe se voit momentanément battu, il lui reste tout de même plusieurs atouts pour préparer une nouvelle sécession du Katanga. Ses fidèles, ex-gendarmes et mercenaires, sont intégrés en grand nombre dans l’armée congolaise, prêts à la déstabiliser. Mais le plan de l’ancien Premier ministre repose en grande partie sur les mercenaires qui, par définition, se mettent au service du plus offrant. Certains d’entre eux se tournent vers Mobutu et lui révèlent les plans de Tshombe. C’est pour Mobutu l’occasion d’écraser les éléments de l’ANC encore fidèles au leader katangais, avec l’aide, entre autres, de ces mercenaires récemment retournés.
Néanmoins, ces mercenaires représentent encore un souci pour Mobutu qui souhaite s’en débarrasser définitivement pour faire disparaître toute influence étrangère au Congo. En outre, le paiement des soldats devient difficile vu la situation financière du pays, pour le moins préoccupante. Les « affreux », comme on les appelle, n’entendent toutefois pas se laisser faire et, menés par des figures de proue telles que Bob Denard, qui avait pourtant déjà trahi Tshombe, se rebellent contre Mobutu au cours de l’année 1967. Les derniers soldats katangais encore en service font de même. Un des éléments déclencheurs est la capture de Moïse Tshombe et son emprisonnement en Algérie.
Cette mutinerie dure quelques mois, mais les mercenaires ont sous-estimé les progrès effectués par l’armée congolaise, notamment, ironie du sort, grâce à l’encadrement qu’ils leur avaient eux-mêmes fourni. Les mutins se retrouvent rapidement encerclés et les survivants sont contraints de se réfugier au Rwanda. Mobutu exige que le Rwanda ferme sa frontière puis, constatant que les fuyards ont tout de même pénétré dans le pays, réclame que les autorités rwandaises les lui livrent. La Belgique intervient alors activement pour éviter que les mercenaires, dont une partie est belge, ne subissent le courroux de Mobutu. L’implication de citoyens belges et l’intervention de Bruxelles en leur faveur indignent Mobutu qui en conclut que la Belgique joue un rôle dans ces rébellions. Cette situation entraîne des tensions qui coûtent la vie à plusieurs Belges et causeront la mise à sac de l’ambassade belge à Léopoldville. De leur côté, les mercenaires sont contraints de se trouver de nouveaux employeurs. Mobutu peut jouir alors d’une certaine période de paix.
Au moment de sa prise de pouvoir, Mobutu est apprécié en Belgique, pays où il a séjourné et a tissé des liens. Son coup d’État y est perçu comme une possibilité pour Moïse Tshombe d’atteindre le pouvoir. Son image se transforme toutefois très vite quand son discours prend un tournant nationaliste, à l’instar de celui de Lumumba. En 1967, le pouvoir est centralisé entre les mains de Mobutu avec la création d’un parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), dont il est le président fondateur.
L’année 1966 est une année de rupture dans l’attitude que la Belgique vis-à-vis de son ancienne colonie. Entre 1960 et 1966, la Belgique reste bien présente au Congo malgré l’indépendance de ce dernier. Si l’arrivée de Mobutu au pouvoir est tout d’abord vue d’un bon œil à Bruxelles, à partir de 1966 et après certains choix politiques du dirigeant congolais, la Belgique prend ses distances par rapport à la vie politique congolaise, tout en continuant à observer ce qui s’y passe, vu les intérêts belges dans ce pays. Toutefois, l’aspect politique attise moins les feux entre Bruxelles et Kinshasa que certains choix économiques, comme ceux concernant les participations congolaises dans des entreprises belges et vice-versa. Dans ce contexte, une entreprise va particulièrement nous intéresser : l’Union Minière du Haut Katanga (UMHK).
L’UMHK est une entreprise toute puissante d’une importance capitale pour le Congo vu les ressources faramineuses qu’elle contrôle. À elle seule, l’Union Minière représente 50 % du budget total du Congo. En 1965, 300 000 tonnes de cuivre, 60 000 de zinc, 10 000 de cobalt sortent du sous-sol katangais par an. S’y ajoutent encore d’autres métaux précieux. 25 000 personnes travaillent pour son compte, en ce compris 2 000 expatriés. Avec l’arrivée au pouvoir de Mobutu, le Congo ne cesse de renégocier les conventions commerciales qui, jusque-là, étaient très favorables à la Belgique. La situation n’évoluant pas assez vite à ses yeux, Kinshasa prend des mesures et, le 26 mai 1966, Mobutu tente de contraindre l’UMHK de transférer son siège social bruxellois au Congo. L’entreprise refuse de s’exécuter et propose un compromis à Mobutu mais ce dernier décide, le 24 décembre, de nationaliser les ressources naturelles présentes sur son territoire et de créer, une semaine plus tard, la Gécomin, la Société générale congolaise des minerais, chargée d’exploiter les ressources minérales congolaises, et particulièrement celles issues du Katanga. Toutefois, le Congo ne dispose pas des capacités nécessaires pour gérer seul cette exploitation, et demande donc de l’aide à la Belgique, qui, de son côté, souhaite récupérer ce qu’elle a perdu avec la nationalisation. Un arrangement est trouvé : la Société générale des minerais (SGM), appartenant à la Société générale de Belgique, est désignée pour aider la Gécomin dans son travail d’exploitation et de commercialisation. Cet accord entre les États belge et congolais permet d’apaiser les tensions. Hélas, quelques mois plus tard, au cours de l’été 1967, éclate la révolte des mercenaires, mécontents de leur traitement. Le fait qu’un certain nombre de ces mercenaires soient de nationalité belge entraîne un regain de tension, avec les conséquences que l’on a évoquées. Une autre pomme de discorde entre les deux États est la question de la dette congolaise, chaque parti ayant des vues différentes quant au futur de cette dette, mais ce sujet restera problématique durant des décennies.
La situation semble se calmer à la fin des années soixante. Les tensions s’apaisent alors que Mobutu rencontre le roi Baudouin et est décoré. En retour, des personnalités belges effectuent également des visites en Afrique. Pierre Harmel, alors ministre des Affaires étrangères, comprend qu’il faut que les relations se normalisent pour que les affaires se règlent et que, pour cela, il est nécessaire que la diplomatie et les intérêts privés se distancient. Ainsi, la Belgique va changer son fusil d’épaule et offrir son appui de façon différente, en aidant directement la population (par l’enseignement par exemple) plutôt que les acteurs de l’État. La Belgique a des intérêts au Congo et le Congo a besoin de la Belgique et de ses compétences, transmises par les expatriés. En septembre 1969, la question de l’UMHK trouve son dénouement et la coopération entre la Gécomin et la SGM est signée pour 25 ans. La rémunération de la SGM est fixée à 6 % de la production de la Gécomin et comprend, entre autres, une compensation à la nationalisation des actifs de l’Union minière. Le 29 juin 1970, un traité d’amitié est signé par les deux chefs d’État.
Une nouvelle étape est franchie le 27 octobre 1971 quand la République du Congo cède la place à la République du Zaïre. Dans une recherche d’« authenticité », le parti unique présidé par Mobutu, le MPR, décide de renommer tous les éléments de la vie de l’État par des noms plus « africains », du nom du fleuve jusqu’au nom des rues, en passant par les régions, les entreprises et, bien évidemment, le nom du pays. La Gécomin (Société générale congolaise des minerais) devient la Gécamines (Société générale des carrières et des mines), Joseph-Désiré Mobutu se renomme Mobutu Sese Seko (pour faire court) et l’Armée nationale congolaise se transforme en Forces armées zaïroises (FAZ).
En 1973, en imitant plusieurs pays africains, Mobutu entame la zaïrianisation (ou zaïrisation), un processus qui doit permettre à l’État de reprendre en mains de nombreux secteurs de l’économie qui étaient, jusque-là, aux mains d’étrangers. Cependant, cette politique se solde par un désastre car, confiées en priorité à des proches de Mobutu (famille ou alliés politiques), beaucoup de ces entreprises vont péricliter, ce qui contraint l’État à les reprendre en mains. Ainsi débute la radicalisation, au tournant des années 1974-1975. Ce processus implique, entre autres, que les petites et moyennes entreprises ne doivent pas être transférées à l’État, mais seulement les grandes sociétés datant de l’époque coloniale et appartenant encore à des citoyens belges. Cependant, les nationalisations qui devaient être accompagnées d’indemnisations ne se passent pas toujours très bien, certains expropriés voyant leurs avoirs gelés. De plus, les délégués mis à la tête de ces grandes entreprises – des hommes politiques haut placés – n’ont aucune expérience et prennent des décisions qui ruinent les entreprises. Pour éviter la faillite de l’État, Mobutu décide en novembre 1975 de rétrocéder 40 % des entreprises saisies, pourcentage qui est porté à 60 % l’année suivante. Cependant, la situation pitoyable de ces entreprises suite à cet épisode, combinée au risque d’une nouvelle nationalisation, décourage les propriétaires de reprendre leurs biens.
Toutefois, la zaïrianisation ne semble pas toucher le gouvernement belge et n’influe pas véritablement sur les relations entre les deux États. La Belgique a principalement cherché à protéger ses intérêts, à savoir l’accord entre la SGM et la Gécamines, les particuliers qui ont vu leurs biens se faire nationaliser passant au second plan. Par contre, l’attitude de Mobutu va, elle, influer sur les relations. D’une part, le gouvernement belge est divisé sur la manière de traiter avec Mobutu. Certains hommes politiques belges plaident pour une diplomatie d’homme à homme, alors que d’autres, notamment Léo Tindemans, Premier ministre entre 1974 et 1978, estiment que des relations d’État à État sont de loin préférables. D’autre part, la situation économique déplorable du pays encourage Mobutu à détourner l’attention en déclenchant une nouvelle crise avec la Belgique. Il prend comme prétexte la publication par Jules Chomé, un avocat belge, d’un livre dénonciateur concernant l’ascension de Mobutu au pouvoir. Le dirigeant zaïrois accuse la Belgique de contribuer à la publication de cet ouvrage et, le 25 mars 1974, en profite pour faire cesser les relations diplomatiques entre le Zaïre et la Belgique. Il rappelle son ambassadeur en poste à Bruxelles. Toutefois, la formation d’un nouveau gouvernement mené par Léo Tindemans en juin de la même année, alors que le gouvernement n’était qu’en affaires courantes jusque-là, permet de calmer le jeu, Mobutu envoyant même ses félicitations au roi lors de la fête nationale.
Au fil du temps, le Zaïre occupe de moins en moins les hommes d’État belges. La Belgique a des préoccupations plus urgentes à traiter. Le pays fait en effet face à une grave crise politique qui voit les gouvernements se succéder, au moment même où se déchaîne la crise économique entraînée par les chocs pétroliers des années 1970. De plus, le nombre d’expatriés belges au Zaïre ne cesse de décroître, passant de près de 40 000 personnes en 1970 à plus ou moins 17 000 en 1980. Néanmoins, leur influence reste prépondérante au sein de l’État zaïrois.
La diplomatie belge vis-à-vis du Congo est principalement inspirée par les intérêts économiques de la Belgique dans son ancienne colonie. Depuis l’indépendance de 1960, l’importance du Congo dans l’économie belge ne fait que se réduire. Si, en termes de valeurs, les importations en provenance du Congo et les exportations à destination de celui-ci connaissent des fluctuations, en termes de pourcentage, la place qu’occupe le Congo, puis le Zaïre, au niveau des importations et des exportations de la Belgique ne cesse de diminuer. Toutefois, certaines constantes demeurent ; par exemple, la Belgique achète toujours plus au Congo qu’elle ne lui vend. Le cuivre, extrait au Katanga, représente la principale importation belge, suivi du diamant. Si la Belgique achète majoritairement des matières premières, elle vend, à son ancienne colonie, des produits secondaires ou des produits finis, comme de l’acier, de la fonte, des produits chimiques, des moyens de transport, des machines, etc. En 1978, l’importance économique du Zaïre pour la Belgique est très réduite et ne concerne plus que quelques secteurs.
Du point de vue du Congo-Zaïre, la situation est tout autre. En 1970, le Congo exporte 53 % de sa production vers la Belgique et une grande part de ses importations provient de Belgique, avec, toutefois, davantage de fluctuations. De 35,9 % en 1964, on tombe à un minimum de 17 % en 1976. La Belgique est plus importante pour le Zaïre que l’inverse. Des chercheurs estiment que des hommes d’affaires et politiciens exagèrent l’importance économique du Zaïre pour la Belgique pour justifier et renforcer les liens entre les deux pays. En 1980, deux ans après Kolwezi, le nombre de personnes dépendant, en Belgique, des relations commerciales entre les deux pays est évalué à 11 000, soit 0,37 % de l’emploi en Belgique. En 1978, ce chiffre était, sans doute, un peu plus élevé.
Les relations entre la Belgique et son ancienne colonie passent également par l’aide au développement. Dans les premières années de l’indépendance, plus des trois quarts de l’aide octroyée par la Belgique sont à destination du Congo. Cependant, au fil du temps, cette proportion ne fait que diminuer. Si le Congo-Zaïre reste le principal récipiendaire de l’aide au développement belge, entre 1976 et 1978, la part destinée à ce pays se situe autour de 41 %. Du côté du Congo, la part belge dans l’aide au développement reçue par ce pays dans ses premières années constitue 65 % de l’aide totale reçue, mais cette proportion se réduit également au fur et à mesure, sans que, toutefois, la Belgique perde sa place de plus important donateur. En 1986, l’aide belge représente encore le double de celle de la France, qui est le deuxième plus important pourvoyeur.
La France, de par le régime instauré par la Ve République, donne un grand pouvoir au président élu. La Ve République est instaurée durant une période trouble. La crainte d’une guerre civile en France est bien présente dans les esprits, après notamment l’épisode du putsch d’Alger (mai 1958) au cours duquel plusieurs unités, notamment parachutistes, de l’armée française en Algérie se mutinent et menacent d’une attaque le territoire métropolitain. Pour faire face à cette situation, le général de Gaulle est rappelé aux affaires avec les pleins pouvoirs et est chargé de rédiger une nouvelle constitution. De celle-ci naîtra la Ve République qui confère de grands pouvoirs au président élu au suffrage universel. Au lieu de se soumettre à d’interminables discussions entre cinq partis, le président Valéry Giscard d’Estaing peut exercer seul le pouvoir, ce qui est un avantage en situation d’urgence.
La France et le continent africain sont liés depuis la colonisation. L’empire colonial français rassemblait près d’un tiers du continent noir au début du XXe siècle. Après la décolonisation, la République française a, comme toutes les anciennes puissances coloniales, maintenu d’étroites relations avec ses anciennes colonies, mais pas uniquement.
Lors de son retour aux affaires à partir de la fin des années 1950, en pleine guerre froide, de Gaulle se voit comme un troisième homme, entre les USA et l’URSS. Durant ses deux mandats, il ne cesse de lutter pour l’indépendance de la France au sein des institutions internationales comme la CEE ou l’OTAN (il se retire du commandement intégré en 1966). Il est conscient que pour maintenir sa place, la France doit acquérir un certain prestige, raison entre autres pour laquelle il amènera la France à disposer de sa propre force de dissuasion nucléaire. De Gaulle est également conscient du rôle que la France peut jouer en Afrique et de tout ce que cela peut lui rapporter. Si la position de son pays n’est pas en danger dans les anciennes colonies, il n’hésite pas à essayer d’étendre son influence sur d’autres régions africaines, notamment au Congo belge.
À l’approche de l’indépendance de 1960, certains juristes français rappellent au gouvernement belge le droit de préemption que Léopold II avait concédé à la France lors de la signature de l’acte de Berlin en 1885. Préalablement à la signature de cet accord qui établit notamment l’autorité du roi Léopold sur le futur Congo belge, le souverain belge s’était arrangé avec la France, lui promettant la priorité sur ce territoire si le roi décidait de s’en séparer. Si la démarche entreprise par les juristes français relève de l’anecdote et sera sans lendemain, elle démontre toutefois une volonté, dans certains milieux, d’une implication plus importante de la France au Congo. La Belgique et certaines personnalités congolaises, telles que Lumumba, n’approuvent pas la démarche française et n’hésitent pas à le montrer publiquement. La France soutient néanmoins la Belgique au cours de l’épisode de la sécession katangaise.