L’amant virtuel - Ludydechine - E-Book

L’amant virtuel E-Book

Ludydechine

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Beschreibung

Serena, médium, est directrice des ressources humaines dans une grande compagnie aérienne française. Alors qu’elle traverse une véritable tempête dans sa vie de couple, elle semble se résigner à attendre l’accalmie, mais c’est sans compter sur le destin qui en décidera autrement. Un nouveau patron, une attirance, une sensation de danger et des rêves qui lui ouvrent les portes du chamanisme corse. Cet homme peut-il être un simple fantasme ? Est-ce de la magie noire ? Aidée de trois de ses amies, elle va mener une enquête paranormale qui fera émerger les secrets bien gardés de leurs cœurs et de leurs corps.

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Ludydechine

L’amant virtuel

Roman

© Lys Bleu Éditions – Ludydechine

ISBN : 979-10-377-7574-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

De la même auteure

- Passeuse d’âmes en dilettante :

Tome 1,

Éditions Vérone, août 2018 ;

Tome 2,

Éditions Vérone, octobre 2020 ;

- Lourdine à la découverte des mondes magiques, Édilivre, juin 2021.

Les personnages ou des situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Ai-je besoin de le préciser ?

Peut-être pour les énergéticiens qui liront mon roman !

À mes frères et sœurs de lumière.

Lorsque nous devons faire face à la lumière noire, nous pouvons rarement nous confier.

Prologue

Premier août

Minuit, l’air est toujours aussi étouffant.

Impossible de dormir alors que Leone, mon mari, ne paraît pas dérangé par cette moiteur.

J’entends sa respiration paisible, tandis que la mienne est saccadée.

J’ai la sensation qu’un poing imaginaire me comprime le thorax.

Je voudrais sortir du lit, mais la peur de le réveiller m’oblige à rester allongée.

Nous avons loué un chalet proche de la forêt.

Les fenêtres sont ouvertes.

Je porte une nuisette en crêpe de soie à motif floral.

Les fleurs me semblent brûlantes comme si un feu se propageait à l’intérieur de mon corps.

Je pourrais réveiller Leone pour qu’il me fasse l’amour.

J’entends le vent souffler sans en ressentir les bienfaits.

J’ai le sentiment qu’un regard me dénude.

Je ne me sens pas seule, comme si j’étais espionnée par l’invisible.

Je regarde autour de moi, mais ne vois rien. J’ai la sensation d’être à trois plutôt qu’à deux dans cette chambre.

J’en ai parlé à mon mari, mais il ne m’a pas prise au sérieux.

Bien au contraire, cela a réveillé ce vieux fantasme enfoui dans les cartons de sa jeunesse.

Lorsque nous faisons l’amour, je fixe un point de la chambre comme si un homme s’y trouvait.

Suis-je dans un fantasme, un délire ou dans l’ennui d’une vie de couple bien établie depuis vingt ans ?

Cette semaine devait permettre de nous retrouver sans les enfants.

Je n’ai qu’une hâte, quitter cette maison.

Je n’en peux plus, cette chaleur m’épuise.

Je me lève.

J’enfile mon kimono aux fleurs lourdes et pesantes puis marche sur la pointe des pieds pour rejoindre l’escalier.

Je crains que le craquement de mes pas sur les marches en bois ne réveille Leone.

Heureusement, j’entends toujours sa respiration lente.

Ne me sentant pas bien, je décide de m’asseoir sur le canapé.

L’oppression au niveau du thorax s’accentue.

Je lève la tête, j’ai cru voir le lustre s’allumer.

Effrayée, je cours vers la porte d’entrée pour sortir de cette maison.

La poignée me glisse des mains, je perds mon calme.

J’invoque ma grand-mère.

« Mamone, aide-moi. »

Enfin, je réussis à ouvrir cette maudite porte en bois.

Je cours sans me retourner ni m’arrêter.

Je fuis, mais qui ?

Je m’arrête pour reprendre ma respiration, je lève la tête et réalise que nous sommes un soir de pleine lune.

Elle m’éclaire de son immaculée blancheur, aucune étoile ne l’entoure, elle paraît être aussi seule que moi.

Comme je suis pieds nus, j’avance lentement.

J’aime le contact des feuilles sous mes pieds, parfois un petit bout de bois me pique.

Je me retourne, constate que je n’aperçois plus la maison.

Puis je lève une nouvelle fois les yeux vers cette lune qui semble m’indiquer un chemin.

Je continue d’avancer comme si je savais que rien ne peut m’arriver.

L’air se promène sur les feuilles des arbres qui viennent tournoyer autour de mon corps.

Les fleurs de ma nuisette paraissent danser au son du vent.

L’odeur de mousse humide m’enivre, me replonge dans le chant que ma grand-mère écoutait :

« Dio Vi Salve Regina. »

J’avance en écoutant les bruits qui m’entourent, soucieuse de ne pas perturber les animaux qui peuplent cette forêt.

J’arrive face à un immense lac où se reflète la lumière de la lune.

J’ai le sentiment que des femmes, dont je ne peux déceler les traits, sont assises autour de cette étendue d’eau.

Elles me dévisagent, mais je n’ai pas peur.

Quelque chose en moi me dit que je suis en terre d’accueil.

Rien ne parle ni ne bouge.

Aucun son, alors j’avance pour me rapprocher de ce cercle d’eau.

Je m’agenouille puis me penche pour observer mon reflet.

Je ne reconnais pas mon visage.

Je reste saisie par ce que le miroir d’eau me dévoile.

Mes yeux, aussi lumineux que la lune, dévoilent de grandes pupilles noires.

Ma peau est de couleur ocre comme celle des pierres du Cap Corse.

Mon nez s’est transformé en un museau pointu.

Je ressemble à un renard.

Je veux toucher mes bras pour me rassurer, mais n’ai pas la force de les lever.

Je regarde à nouveau mon reflet qui s’est transformé en un renard.

La peur m’envahit, je veux sortir de cet animal.

Je veux hurler, mais de ma gorge jaillit un glapissement rauque.

Qui sont ces femmes ? mes amies ou mes ennemies ?

Je décide de fuir ce lieu sans savoir comment retourner à la maison.

Je cours avec une sensation de puissance.

Le long du chemin, les voix des femmes ne cessent de répéter :

« Protège-toi. »

J’aperçois la maison et bondis sur la terrasse en bois.

Une main me secoue l’épaule, j’entends une voix lointaine.

« Serena, réveille-toi, mais que fais-tu allongée sur la terrasse ? »

J’ouvre les paupières pour les refermer aussitôt.

La lumière du soleil m’a éblouie.

J’ai très mal à la tête, j’essaye de me relever, mais mon corps ne m’obéit plus.

Mes muscles sont douloureux, je suis totalement courbaturée.

« Cette nuit, j’ai marché dans la forêt pour atteindre un magnifique lac. »

« Serena, tu es complètement folle. Les sangliers, tu y as pensé ? »

Léone se met à rire :

« Un lac dans la forêt de Vezzani ? Serena, tu as dû rêver. »

Je me penche pour regarder mes pieds écorchés, un bout de mon kimono est arraché.

« Allez, va te préparer si tu ne veux pas que l’on rate l’avion. »

Le bois est un matériau qui m’a toujours rassurée, pourtant je n’ai qu’une hâte, quitter ce chalet.

À la mort de ma grand-mère, les portes de la maison familiale se sont fermées.

L’été, nous volons de nid en nid sans retrouver l’atmosphère du cocon de mon enfance.

Cette année, notre choix de location a confirmé cette sensation de malaise.

Chapitre 1

Mes convictions s’effondrent

Trois septembre

Retour de vacances, je suis assise dans le RER B bondé.

Inutile de vouloir s’asseoir près de la fenêtre, ici il n’y a rien à savourer.

Des paysages de citadins gris et monotones.

La Corse, ses odeurs me manquent déjà !

Je porte un body noir au profond décolleté arrondi devant et dans le dos qui met en valeur mon bronzage aussi éphémère que le bonheur.

Je sens le regard plongeant de mon voisin d’en face qui mâchouille un chewing-gum.

Son regard me dégoûte, la petite alarme de mon enfance revient dans ma tête.

« Attention, danger ! »

Le trajet, avant d’atteindre l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, dure quarante-cinq minutes si tout se déroule normalement.

Sous ce regard qui semble vouloir pénétrer dans mon intimité, le temps me semble une éternité.

Un couple de Japonais, appuyés sur de volumineux bagages, tente, tant bien que mal, de se maintenir debout.

Leurs valises à roulettes ressemblent à des danseuses d’opéra qu’ils essayent de rattraper. Ils paraissent affectés par la vision sinistre de cette rame remplie de visages tristes et effacés.

Enfin, j’arrive à CDG1. Je me lève rapidement pour m’extirper des prunelles dilatées de ce vieux crapaud.

Les portes sont à peine entrouvertes que je fonce pour sortir tout en bousculant le couple de japonais.

Bienvenue à Paris !

Je marche rapidement pour rejoindre le CDGVal alors que je ne suis pas en retard.

Les habitudes reviennent bien plus vite que prévu.

Je suis dans l’escalator qui mène à cette navette automatique qui est déjà à quai, les portes ouvertes.

Je dévale les marches en espérant ne pas le rater.

Je cours, j’entre au moment où les portes se referment.

Je les évite de justesse puis m’affale sur un siège jaune en plastique.

Les vacances semblent déjà si lointaines ! alors je jette un coup d’œil à mon bras juste pour regarder mon bronzage.

Ce lien éphémère me lie encore à mes racines.

Les portes s’ouvrent, je descends pour rejoindre mon lieu de travail.

Un courant d’air froid souffle sur mes épaules dénudées.

Le temps se rafraîchit si vite sur Panam ! je traverse le long couloir qui mène au siège de la compagnie aérienne où je travaille.

Je croise le veilleur de nuit qui, comme tous les matins, va bientôt quitter son poste pour rentrer chez lui.

Il me salue de la tête machinalement, je réponds par un hochement.

Vingt ans que nous nous croisons sans nous connaître.

Je travaille dans une cité qui possède aussi bien les avantages que les inconvénients d’une grande ville.

Je rejoins l’ascenseur pour atteindre mon bureau au troisième étage.

La porte se ferme. En face de moi, un homme.

Il me sourit poliment. Son regard se pose sur mes épaules puis sur mon alliance.

Contrairement au crapaud du RER, son regard ne me dérange pas.

Au fond, que connaît l’homme au plaisir de la femme mis à part son propre plaisir ?

La porte s’ouvre, je reconnais mon étage.

Je salue poliment en le regardant dans les yeux.

Puis j’avance dans ce couloir aux teintes rouges où je croise des hôtesses de l’air qui partent ou rentrent de leurs missions.

Amusant ! je travaille pour elles, mais sans pour autant les côtoyer.

Enfin, mon bureau ! j’ouvre la porte, Maria se précipite pour me serrer dans ses bras.

« Pas trop dépitée, ma chérie ? Je t’ai préparé un bon thé. »

Je saisis la tasse brûlante puis je l’approche de mes lèvres.

Avant de rejoindre mon bureau submergé de paperasses, je me dirige vers la fenêtre pour regarder un avion prêt à décoller, mais vers quel pays ?

Puis je regagne ma destination finale, mon ordinateur.

« Serena, tu nous as manqué.

Violette souffre à nouveau de son lumbago, la grand-mère d’Anne est décédée cet été.

Paix à son âme, car elle a souffert. Elle veut que tu lui donnes des nouvelles.

Dis-nous quand tu es prête. »

Je souris puis me concentre sur mon gagne-pain, les ressources humaines.

Cent cinquante mails en attente ! j’approche la tasse chaude de ma joue pour me réconforter.

Un courrier attire mon attention :

« Madame, je suis promu directeur général des ressources humaines.

J’aimerais vous rencontrer afin de réévaluer ensemble les objectifs de votre service.

En attente de votre réponse.

Cordialement,

Gabin Antonovitch »

Midi ! j’ai à peine répondu au tiers de mes mails.

Violette et Anne viennent d’arriver.

Maria part nous chercher deux salades à la cantine.

Nous y déjeunons rarement à cause du brouhaha.

Consommer une salade me permet de garder la ligne, ce qui n’est pas le cas de Maria dont les courbes sont généreuses.

Elle aime déguster, tout au long de la journée, des petits gâteaux trempés dans son thé.

Depuis vingt ans que nous nous connaissons, je n’ai jamais vu un de ses amants tenir plus de deux ans.

« Serena, j’aime fermer les yeux tout en léchant le dessus d’un gâteau pour imaginer sa texture. Le guider en direction de ma bouche puis le croquer pour en ressentir les saveurs qui se mélangent à ma salive. Lentement l’avaler afin que mon palais savoure cette douce friandise.

Quand vient enfin la dernière bouchée, mes lèvres ne peuvent se délecter que d’un seul entremet.

Ma chérie, les hommes c’est comme les gâteaux, il vaut mieux les manger avant la date de péremption, surtout changer le paquet le plus souvent possible pour qu’ils gardent tous leurs goûts. »

Maria me fait toujours rire quand elle parle des hommes, mais au fond, nous savons toutes les deux qu’un terrible secret l’empêche de considérer l’homme comme un arbre protecteur.

Puis je ferme les stores vénitiens, car Violette doit venir me voir pour une séance de magnétisme.

Les bureaux ressemblent à des aquariums où nous n’avons aucune intimité.

J’ai la chance de travailler avec Maria, un poisson rouge inoffensif. Le bureau collé au nôtre est occupé par deux Betta splendens (femelle du combattant).

Elles sont prêtes à tout pour réussir au point d’utiliser l’arme de la dénonciation.

Maria revient avec les deux salades, nous fermons la porte à clé.

Violette reste debout. Alors, sans la toucher, je passe mes mains.

Je lui demande comment se déroulent les modalités de son divorce.

Le visage déformé par la douleur, Violette nous confie que son ex-conjoint n’a pas versé la pension alimentaire. Elle n’arrive pas à joindre les deux bouts avec ses deux fils.

Je travaille sur son esprit, son âme puis son corps.

Je termine en allant me laver les mains dans les toilettes comme me l’avait appris ma grand-mère.

À mon retour, Violette est assise en train de boire un café bien chaud.

Elle semble plus sereine, Maria lui parle avec douceur.

Je n’ai plus le temps de m’occuper d’Anne. Je lui propose donc de revenir à seize heures lorsque les Betta splendens descendront faire une pause à la cafétéria.

Je rêverais de me poser dans un petit jardin, mais je travaille à Roissy Charles de Gaulle où le gris est la couleur dominante.

Je pourrais sortir à l’entrée du siège, mais l’air y est complètement irrespirable à cause des fumeurs.

Afin de recréer un petit cocon au sein de notre bureau, nous faisons chauffer une huile essentielle à base de figues qui nous rappelle notre enfance dans le Sud.

Jeune, je me souviens du vieux figuier au fond du jardin de ma grand-mère.

J’aimais me réfugier sous son ombre pour y lire un livre ou faire une sieste.

À son bon vouloir, mon odorat pouvait sentir de temps à autre les effluves sucrés de ses fruits.

Fin août rimait avec une mort certaine des vacances scolaires.

En guise de lot de consolation, je me délectais en savourant une figue que je saisissais avec délicatesse au creux de ma main pour ne pas l’écraser et dont je tournais doucement le pédoncule pour le détacher de la branche.

Je m’amusais à faire couler cette lymphe supposée irritante dans la paume de ma main puis j’approchais ma bouche de cette chair prête à se fendre sans grande résistance.

Une voix agressive m’arrache à mes souvenirs, je lève la tête et vois rentrer une hôtesse de l’air qui, sans me dire bonjour, me demande pourquoi je n’ai pas répondu à son mail.

Poliment, je l’invite à s’asseoir puis lui demande son nom.

Je lui explique que je rentre de vacances, mais elle s’en moque.

Je consulte les cent mails qui me restent à lire pour en effet découvrir le sien.

Je lui envoie l’attestation signée qu’elle souhaitait.

Elle se lèvera puis dira avec un sourire pincé « au revoir ».

Je lis dans son regard que je suis payée à ne rien faire contrairement à elle.

Après son départ, Maria allumera un bâton de sauge blanche pour purifier la pièce.

Nous partageons les mêmes idées en matière de protection d’énergies.

Anne arrivera vers seize heures avec la photo de sa grand-mère.

Je sens qu’elle a passé la lumière, qu’elle est entourée de deux femmes.

Je décris une ferme qui, selon Anne, ressemble à celle de son enfance.

Anne voudrait plus de détails, mais pour le moment on ne me donne que ces images.

Je retourne ensuite à mon travail comme si de rien n’était.

Dix-huit heures, fin de cette première journée de travail.

Le RER aura quarante-cinq minutes, car une âme s’est jetée sous ses rames.

Cette annonce, je l’ai entendue si souvent.

Comment peut-on perdre le fil de sa vie pour en arriver à choisir une mort si violente ?

On dit que les suicidés peuvent errer jusqu’à l’âge où ils devaient mourir.

Je ne crois pas en un Dieu intransigeant.

L’âme humaine se punit suffisamment seule.

Je ferme les yeux pour prier que cette âme aille vers la lumière.

Les regrets et les remords sont les fardeaux des âmes sensibles.

Puis je sors à la gare du Nord pour traverser un pont qui me ramène à mon appartement.

Lorsque j’arriverai, mes jumeaux, Baptiste et Ange, ainsi que ma fille Ambre voudront me raconter leur journée chez notre voisine.

J’écouterai d’une oreille distraite, car je me rendrai compte que j’ai oublié de répondre au mail de ma hiérarchie.

Ensuite mon mari rentrera de son travail l’air maussade.

Il ne faudra pas le déranger comme tous les soirs depuis un an.

Il ne supporte plus son service. Il attend que sa demande de mutation soit prise en compte.

À vingt heures, nous dînerons, puis mes enfants iront se coucher.

Une vie bien réglée semble très importante pour le bien-être des enfants, néanmoins cette existence me pèse.

Mon mari regardera un film, quant à moi, j’irai lire un livre dans notre chambre.

Lorsqu’il me rejoindra, je serai endormie.

Mon bronzage ne sera d’aucune utilité pour notre bonheur conjugal.

Le quotidien a déjà repris les rênes de ma vie.

Ni triste ni gaie, juste un sentiment de lassitude.

Comment peut-on réussir à changer le cours d’une rivière ancré dans son lit depuis si longtemps ?

Le lendemain matin, je me réveille toujours une heure avant le lever de mes enfants afin de savourer un thé dans le silence.

J’allume mon portable, Leone m’a envoyé un texto :

« Si tu peux acheter du pain. »

Loin est le temps où je recevais des mots doux.

Je regarde tomber la pluie par la fenêtre pourtant nous ne sommes qu’au mois de septembre.

Leone part une heure plus tôt, rares sont les matins où il a pu accompagner ses enfants à l’école.

Aujourd’hui, c’est la rentrée scolaire, Ambre a le trac, car sa meilleure amie a déménagé pour aller vivre dans le Sud.

Je sens qu’elle a besoin que je reste près d’elle, contrairement à mes fils qui ne souhaitent pas marcher à côté de nous. Ils rentreront dans l’école sans m’embrasser ni me regarder.

Ils n’ont que dix ans, mais se comportent déjà comme des adolescents.

Puis Ambre se résout à lâcher ma main pour rejoindre l’arène des fauves.

Je la suis du regard puis je regarde ma montre.

J’ai perdu trop de temps, je cours pour essayer de prendre le RER B direct.

Je cours, mon talon se tord, je m’agrippe de peu à un poteau.

Mon parapluie tombe sur le trottoir, je le rattrape puis me dirige vers la boutique d’un petit primeur afin de me remettre de mes émotions.

Le vendeur qui m’observait depuis son étal me demande si je vais bien.

J’esquisse un sourire, mais ma cheville me tiraille.

Je sais qu’elle n’est pas cassée seulement endolorie à cause d’un faux mouvement.

Un peu honteuse, je réponds en regardant ma montre :

« Marcher en sandale pendant mes vacances m’a fait oublier le danger des escarpins.

C’est malin ! Je vais devoir dire adieu au train direct. »

L’homme me regarde gravement :

« Parfois la vie semble nous faire courir au point de nous faire oublier le but de notre destinée. »

Je lève les yeux de mon poignet pour l’observer.

Le regard de cet homme respire la bonté, j’aimerais échanger un peu plus, mais je dois partir à mon travail.

Je le remercie et repars en direction de la gare du Nord tout en réfléchissant à ses mots.

Je ne crois pas au hasard des rencontres, notre existence est souvent bien malmenée par les vicissitudes de la vie quotidienne.

Dépitée, me voilà dans le train qui rallonge mon trajet d’une trentaine de minutes.

Je prends toujours de la marge pour faire face aux aléas de Paris, ce qui m’évite d’être en retard.

Mon esprit oscille entre la pensée positive ou négative.

Un train direct rime avec une journée agréable cela en deviendrait presque une superstition.

J’en prends conscience…

Arrivée à mon travail, je tenterai de prendre l’ascenseur, mais il sera bondé.

À la troisième ouverture, je pourrai enfin monter à mon bureau.

Collée à la paroi des portes, je sens dans ma nuque la respiration d’un homme.

J’ai hâte que la porte s’ouvre au bon étage.

Enfin, me voilà à mon bureau, en quelque sorte mon havre de paix.

Maria n’est pas encore là, j’accroche ma veste et mon parapluie au porte-manteau.

Puis une fois assise, je pose mes mains sur ma cheville pour tenter d’apaiser la douleur.

Maria ouvre la porte solennellement.

« Mon Dieu, Serena, je viens de prendre l’ascenseur avec les deux Betta splendens.

Vite, vite, je dois faire un nettoyage énergétique. »

Maria utilise une technique de yoga pour se libérer des énergies négatives.

Maria ressemble davantage à une cantatrice sur scène qu’à un maître de yoga.

Dissimulée dans son trench beige, coiffée d’une capeline noire.

Elle balaye tout son corps avec ses mains. À chaque passage, un souffle s’échappe de sa gorge.

Les stores vénitiens de notre bureau « aquarium » n’ayant pas été baissés, je surprends un homme qui l’observe au point d’en oublier de regarder devant lui.

Il se cogne à une chaise.

Je plonge mon regard sur mon ordinateur pour ne pas gêner davantage cet homme.

Maria, quant à elle, poursuit sa séance énergétique.

En révisant mes mails, je constate que j’en ai un nouveau de mon patron auquel j’ai oublié de répondre.

« Madame, je vous propose un rendez-vous pour établir un feed-back en ce jour pour dix heures. »

Pas de chance, car j’ai un rendez-vous ce matin.

Je n’apprécie pas qu’il ne me laisse pas le choix entre deux horaires.

Encore un homme ambitieux qui ne soucie guère de son prochain.

« Maria, vous connaissez Antonovitch Gabin ? Il remplace monsieur Servant. »

« Bien sûr que je le connais. Vous avez de la chance c’est un très bel homme. Avant, il travaillait au recrutement aéroportuaire. »

Je me résous à lui renvoyer un mail afin de prendre un rendez-vous pour vendredi matin à dix heures.

En moins de cinq minutes, il répond positivement à mon message tout en changeant l’horaire pour onze heures.

Un homme qui doit aimer avoir le dernier mot.

Maria me trouve trop négative. Elle considère qu’un homme venant à peine d’accéder à ses nouvelles fonctions, mais qui souhaite déjà rencontrer son équipe révèle un esprit dynamique et ouvert.

Avec le temps, je suis devenue méfiante.

Il y a dix ans environ ma responsable de service était promue à un nouveau poste.

Elle pensait que j’avais les compétences pour lui succéder.

À cette époque, j’étais pleine d’espoir pour ma carrière.

Elle prit un rendez-vous avec monsieur Servant afin de me présenter comme sa remplaçante.

« Serena, je suis navrée, mais vous n’êtes pas assez théâtrale.

Ne vous vexez pas, mais vous avez le charisme d’un fantôme. »

« Effectivement ! Serena vous êtes peut-être encore trop jeune », acquiesce ma responsable sans me regarder dans les yeux.

Je la regarde se transformer en une couche de confiture gluante qui s’accroche désespérément à sa tartine par peur d’échouer sur le carrelage.

Trahie et humiliée, je quitterai le bureau sans jeter un regard à ma responsable qui ne cherchera d’ailleurs pas à me recontacter.

Plus soucieuse de l’opinion de son boss que celle de son cœur.

Ce jour-là, je décidai que désormais le principal but de ma vie serait de me consacrer à ma vie de famille.

Cette même année, je fus enceinte de mes fils.

Je croiserai monsieur Servant à la cafeteria, entouré de son groupe d’adorateurs et lirai dans son regard la satisfaction d’avoir fait le bon choix en constatant mon état.

Un homme qui n’a probablement jamais aimé une femme de sa vie, un homme qui confond amour et productivité.

« Serena, Serena votre rendez-vous est arrivé. »

La voix douce de Maria me sort de mes pensées.

Mes yeux se dirigent vers la porte.

Une femme d’environ quarante ans entre dans le bureau, très élégante.

Grande et élancée, elle porte un tailleur gris.

De magnifiques longs cheveux blonds encadrent son visage si ravissant, mais si triste.

Je me lève pour la saluer.

Au même moment, un son aigu perce mon oreille.

Les néons, au-dessus de mon bureau, se mettent à grésiller.

Maria me fait un clin d’œil, car elle sait que je suis connectée.

En m’approchant de cette femme, je sens un doux parfum vanillé.

Nous nous asseyons puis j’ouvre son dossier afin de comprendre comment l’aider.

J’entends susurrer dans le creux de l’oreille.

« Dites-lui que je l’aime. »

Il me semble entendre une voix de femme, j’essaye de rester concentrée.

Elle s’appelle Mirella, hôtesse de l’air, mais actuellement en retrait des vols depuis neuf mois.

Dans son dossier figure une ordonnance de son médecin préconisant qu’elle occupe une fonction au sol.

Elle n’est pas encore en état de reprendre les vols.

Je n’ai pas le droit d’accéder à son dossier médical, le grésillement de la lumière s’accélère au-dessus de nos têtes.

« Accepteriez-vous une mission où vous seriez en contact avec la clientèle ? Nous avons un poste qui se libère au salon VIP du terminal F à Roissy. »

« Cela ne me pose aucun problème, bien au contraire j’aime le relationnel. »

Ses yeux d’un bleu turquoise profond sont bordés de cernes.

Je ressens près d’elle la présence d’une femme paraissant aussi très triste.

Je sais que je vais devoir oser une conversation inconcevable.

Dans ces moments une peur s’empare de moi, celle que mon interlocutrice ne soit pas réceptive, mais aussi celle de perdre mon emploi d’être rejetée et jugée comme à l’époque où l’on brûlait les sorcières.

D’une voix douce et lente, je tente d’amener le sujet qui me tient à cœur.

« Pardon d’être indiscrète, mais j’ai l’impression que vous avez perdu un être cher. »

Elle sursaute et me regarde dubitative.

Sa gorge se noue puis son regard se pose sur son dossier.

« Je n’ai aucun accès à votre dossier médical. Disons que je peux ressentir les âmes défuntes si vous y croyez. »

Elle semble choquée, mais acquiesce de la tête.

« Une jeune femme désire rentrer en contact avec vous pour vous dire qu’elle vous aime.

Je ne la vois pas, mais je peux entendre sa voix. Je vois comme deux pneus qui roulent très vite. »

« Je viens de perdre ma fille Chloé dans un accident de scooter. »

« Elle dit que vous le vouliez ou non, elle a choisi cette mort.

Chloé ne peut aller vers la lumière sereinement parce que votre chagrin la retient. Elle ne peut se résoudre à vous quitter. Or cela devient dangereux pour elle de rester entre deux mondes. »

Mirella sent que le lierre grimpant des larmes est sur le point d’orner ses yeux alors elle tente de camoufler ses petites feuilles persistantes emplies de chagrin.

« Je ne vois pas le visage de votre fille, mais elle tient un petit lapin rose. »

Ses yeux enfin osent se libérer de ce chagrin. Les larmes sont probablement le dernier lien physique qui nous retient à l’âme défunte tant aimée :

« Le doudou de ma fille ! »

Mon esprit fusionne avec l’âme de sa fille, je passe les messages tout en sachant que dans une heure je ne me souviendrai plus de rien.

L’ampoule du néon grille, Maria qui sait que je ne suis plus connectée, s’approche pour offrir du thé à Mirella.

Mirella nous parlera de sa fille. Lorsqu’elle partira, je lui demanderai la marque de son parfum vanillé.

« Je ne mets jamais de parfum en revanche ma fille en portait un à la vanille. »

Avant de sortir, elle me prendra les mains pour me remercier.

« Je vais appeler le service de maintenance pour qu’il nous change le néon.

Pauvre femme, perdre son enfant ! » soupire Maria.

La journée fut bien chargée, je suis heureuse d’être enfin chez moi.

Les enfants sont couchés, Leone regarde la télévision.

Je décide de prendre un bain de gros sel auquel j’ajoute quelques gouttes d’huile essentielle de lavande afin de me détendre.

Ma main droite pianote sur la surface de l’eau provoquant des petits clapotis.

Détendue, relaxée pour un temps éphémère, car l’eau du bain se refroidit.

Je me lève pour saisir ma serviette moelleuse afin de m’y envelopper pour me réchauffer.

Puis je la laisse tomber afin d’affronter le reflet de mon corps que j’ai dû apprendre à apprivoiser.