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Rustine est une hôtesse de l’air, mariée, mère de deux enfants, magnétiseuse et passeuse d’âmes à ses heures perdues. Elle vous entraîne dans une intrigue désopilante où elle jongle avec les tracas de la vie quotidienne et son don spirituel. 2 h 56, 2 h 58, 2 h 59… Elle ne dort plus…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ludydechine est magnétiseuse et médium. Elle aborde avec une touche d’humour ses expériences dans le monde ésotérique, mais aussi sa vie de femme.
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Ludydechine
Passeuse d’âmes en dilettante
Tome I
© Lys Bleu Éditions – Ludydechine
ISBN : 979-10-422-1292-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les personnages ou des situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Malgré les écumes, on arrive toujours au port.
Rustine, 41 ans, mère de deux filles, mariée depuis deux mois.
Je cours, je vole (mon métier), je crie (en voiture), je jongle (planning).
Et je tombe.
41 ans, Clamart.
Je suis hôtesse navigante sur moyen-courrier.
Je suis partie quatre jours, j’ai travaillé 11 heures d’affilée sans pouvoir me cacher, me poser, et surtout manger. Ne cessant d’entendre pendant quatre jours : « Il n’y a pas de place pour mon bagage ? »
Le périphérique est fermé.
Une heure du matin, j’arrive à Clamart.
Je ne trouve pas de place pour garer ma voiture.
2 heures du matin, je suis dans mon lit. Je suis énervée, je ne dors pas.
Je regarde l’heure qui s’affiche en rouge sur mon plafond : 2 h 59.
7 heures, l’alarme de mon portable sonne. Ma première pensée : « je vais mourir ».
Ma deuxième pensée : « encore une migraine ».
Je demande à mon mari s’il peut emmener les petites à l’école.
Réponse : « Tu es partie pendant 4 jours, les petites ne t’ont pas vue. Je suis fatigué. »
7 h 30, je réveille mes filles.
Elles ne m’ont pas vu depuis si longtemps qu’elles trépignent de joie, me font des câlins.
Elles crient : « Maman ! Maman ! » Excusez-moi, je rêvais.
En fait, elles sont en colère ; j’ai été absente et je dois payer.
Elles ne veulent pas sortir du lit, aller à l’école, ou porter les vêtements que j’ai choisis.
Elles râlent sur le choix des céréales.
Sur le chemin de l’école, Mela, qui a 4 ans, ne veut pas me donner la main.
Avec son petit regard noir, elle me dit : « Va-t’en maman ! Retourne dans les étoiles. »
Absente de cette maison depuis quatre jours, je la retrouve sens dessus dessous, nauséabonde.
Mais qui vois-je dans la salle de bains ? Mon ami le panier à linge.
J’attaque mon ménage pour me sentir enfin chez moi.
11 h 30, je récupère les puces pour manger car je ne travaille pas.
Ainsi s’écoulent mes journées de repos dans l’oisiveté et la légèreté.
Mon mari exerce ce métier où tous les hommes et femmes sont habillés de bleu.
On associe cette couleur à la sagesse, à la sérénité, mais surtout elle représente le symbole de la vérité.
Pour mon mari et moi, le bleu rime avec peu de week-ends et beaucoup de stress.
Alain m’a demandé en mariage en juin. Quand on l’a annoncé à Marie, ma belle-mère, elle nous a demandé pourquoi on se mariait ?
Je réfléchis, je réfléchis. Parce qu’on s’aime.
La preuve : nos enfants.
Le second facteur : un couple tué chez eux devant leur petit garçon. Motif du meurtre : policier.
Mon mari a reçu la prime du mérite, les félicitations du préfet pour son efficacité lors des attentats de Paris.
Nice, Bataclan, Charlie-Hebdo.
La nuit, Alain se réveille aussi.
Il réfléchit… Comment éviter tous ces massacres ?
Comme beaucoup de bleus, il craint que nos enfants vivent une guerre.
Octobre. 2 h 56
Je ne dors pas, je rumine.
Samedi soir, 20 heures, le portable sonne.
C’est ma mère, Svetlana : « J’ai reçu sur le portable, le dessin de tes filles. Qu’est-ce qu’elles dessinent bien par rapport à toi ! J’ai retrouvé un dessin que tu avais fait sur un plateau au même âge. Tu faisais des soleils très noirs et ton bonhomme avait une grosse tête et des jambes très fines. Il faudrait qu’un psy le voie. »
Je lui demande si le psy c’est pour le dessin ou pour elle ? Elle ne m’écoute pas.
Ce dessin, je l’avais fait avec de l’encre de Chine, d’où ce petit côté noir.
Svetlana renchérit : « J’ai parlé à ton frère Ludwig du dessin où ta fille Lana [qui a 6 ans] a dessiné votre maison avec des volets en forme de cœur. Vous êtes devant la maison avec de longues jambes, impressionnant !
Ton frère m’a répondu que son psy n’aimerait sûrement pas ça.
Tu me connais, j’insiste pour savoir pourquoi ? Son psy dit que les longues jambes symboliseraient les attouchements sexuels. »
Chat ! Chat ! Je t’ai touché ! À toi. Je joue dans ma tête car je rentre d’un après-midi piscine avec ma tribu.
Je me sens bien.
Ma mère surenchérit : « Ne t’inquiète pas, ton frère s’est excusé, tu le connais ! »
Cela fait 4 ans que l’on ne s’est pas vu.
Elle passe à un autre sujet de conversation sur le prix de son fond de teint.
Je raccroche.
Elle tente de me rappeler à 22 heures. Je ne décroche plus.
Ah ! Oui ! Octobre. 41 ans.
Les feuilles tombent et moi aussi.
Dans la nuit, je me réveille.
Une douleur au thorax, côté gauche. Un coup de poignard.
Je me plie en deux, je veux hurler, crier, mais pas de son. Je vois mon mari, il ne dort pas.
Je suis emmurée dans mon propre corps.
Enfin, un son sort de ma bouche.
Je me relève et je crie : « Oh ! Mon Dieu ! J’ai cru que je faisais une crise cardiaque. »
Alain : « Ah ! Bon ! Je croyais que tu rêvais d’un orgasme. » Je me blottis dans ses bras.
Je veux pleurer mais pas de larmes.
Quelle heure est-il ?
2 h 59. Ma tête va exploser.
Il était une fois une princesse qui naquit le 1er août 1975. Sa maman, Svetlana, après avoir mangé un couscous, ressentit ses premières contractions.
Le papa ! Mais où est le papa ?
Il est parti en vacances, pendant 15 jours.
Dès son premier jour, elle sait qu’elle est un enfant non désiré.
Peut-être pas le premier jour. Quoi que… les bébés !
En tout cas, elle n’est pas issue du fruit de l’amour mais plutôt un enfant « rustine », ces enfants qui servent à recoller les morceaux.
Bienvenue sur Terre, Rustine ! Tu as du muguet !
Ne t’inquiète pas, tu auras chaque année une angine. Bienvenue dans ta famille.
« Tous les rustiniens, toutes les rustiniennes vont chanter, vont danser sur les violons. »
Ma tête va exploser…
J’ai 4 ans. Mes parents ont acheté une maison à Montmorency où Maurice Chevalier et Mistinguett se sont aimés. Cette maison est très sombre.
Les volets sont en bois marron avec un trou en forme de cœur. Ils claquent souvent.
Pour aller du salon à ma chambre, il y a un corridor avec des tentures rouges et un lit napoléonien. Je n’aime pas ce couloir ; quand je suis dans les bras de Svetlana, je cache mes yeux. Pour ne pas le traverser, je préfère jouer dans le salon ou dans le jardin.
Étendue sur le lit, il y a une femme tout en blanc qui pleure. Elle porte une robe en dentelle d’époque 1 900. Elle sait que je la vois et que j’ai peur. Elle ne rentre jamais dans ma chambre. En revanche, elle ne se gêne pas pour aller dans la chambre de Papa et de Maman. Je ne vais jamais dans leur chambre car il y fait trop froid, c’est un igloo. La dame blanche a aidé maman pour la décoration. Les murs du salon sont en velours vert foncé. Le sol et les murs de la salle de bains sont en carrelage noir.
On est chez elle mais pas chez nous.
2 h 56. Octobre
Je ne sais plus quel jour on est ?
Je ne dors pas, un souvenir me revient datant de l’époque de cette maison.
J’ai 4 ans, je pratique la danse. C’est le spectacle de fin d’année. Les enfants portent un tutu rose et un legging blanc. Svetlana m’a enfilé une robe en soie violette.
Je ne connais ni les pas de danse ni l’endroit où je dois me positionner ; toutes les autres filles le savent. Je vois mes parents. Les gens rient car je suis complètement perdue.
J’ai une grosse boule dans la gorge, je suis angoissée : « Pourquoi, je ne sais pas ? »
Svetlana ne m’a emmenée à aucune répétition.
À chaque examen que je dois passer dans ma vie, cette angoisse remonte. La peur de ne plus rien savoir.
La même année, ma mère m’emmène faire du patin à glace pour la première fois de ma vie. Elle me met les patins et me fait entrer sur la patinoire. Elle part s’asseoir sur les gradins. Je tombe, je pleure, et ne sais pas comment faire.
Elle me fixe mais ne bouge pas.
Un professeur me prend dans ses bras et me ramène à elle.
Il la gronde, elle est vexée.
Ma grand-mère se prénomme Pawette. Elle est mince et très coquette. Elle avait une très belle peau et portait une eau de Cologne « Saint Michel ».
Pawette me répétait souvent : « La vie, c’est comme un bol de soupe et une cuillère de merde. Si tu sais bien avaler ta cuillère, tu n’y penseras plus et tu savoureras ta soupe. »
Ma cuillère se transforme en un bol et mon esprit va le rejeter fortement.
Pawette habite en Corse dans un village de montagne : Acqua in Bocca.
En 1939, un gendarme alsacien vient travailler dans la région.
Leurs regards se croisent en allant chercher de l’eau à la fontaine du Lion.
Ils s’aiment.
La guerre est déclarée, il part au combat. Pawette l’attend.
Un jour, Joseph, un jeune du village, discute avec elle sur les strette (escaliers).
Ils sont surpris par mon arrière-grand-père qui fait un scandale. Ils n’ont pas le choix, ils se marient.
La guerre prend fin, le gendarme revient.
Il la guette près de la fontaine du Lion.
Il la voit avec une petite fille.
Il comprend, il l’aime. Il lui demande de la rejoindre avec sa fille.
Elle refuse.
2 h 59
Je ne dors pas. Je n’arrive plus à savoir en quelle année on est ? Je deviens folle.
33 ans, l’âge du christ.
Je me sépare après un an de mariage. Je pars vivre en Corse.
Je remonte à Paris car je suis de réserve. La réserve consiste à remplacer les absents sur un vol.
À la cafétéria, je croise Jean-Charles, un ami. Il est copilote et a l’accent du sud.
« Rustine, c’est la merde. Elle est partie.
Je fonce mais on me le refuse très poliment. Dans ma compagnie, on ne demande pas. On prend ce que l’on vous donne. Je suis déçue, Jean-Charles aussi.
Durant notre phase de séparation, on s’appellera toutes les semaines. Et on lira les mêmes livres pour enfin trouver cette âme sœur.
Quelques heures plus tard, on me déclenche sur un Cotonou. Je prends le bus pour rejoindre l’équipage qui est déjà dans l’avion. Sur la passerelle, un homme grand, brun, qui téléphone. Il porte un blazer, des gants marron. Je le trouve très chic, très élégant.
J’entre dans l’avion, je me présente à mon équipage. Je pars travailler à l’arrière. Quand j’arrive à mon poste, je le vois. En fait, c’est un policier qui ramène un sans-papiers.
On décolle. Après le repas, je positionne le buffet.
Il vient se servir un jus d’orange. On discute, on rit. Il est Alsacien, je suis Corse.
À l’atterrissage, il me donne sa carte. Je l’ai toujours dans mon portefeuille.
Trois mois plus tard, on se revoit entre deux vols pour un dîner à l’aéroport. Il m’attend devant le restaurant vêtu d’un tee-shirt orange et d’un vieux blouson en cuir. J’ai l’impression de regarder le feuilleton « Starsky et Hutch » face à ce jeune homme aux cheveux en bataille.
Je veux prendre la fuite. Allez ! J’assume ! J’avance.
Assis l’un en face de l’autre, on commence à parler de maisons.
On sort nos stylos et on dessine sur le papier de la table notre maison de rêve tout en améliorant la maison de l’autre. Dans nos regards, une petite étincelle, rien de plus.
Nous nous revoyons un mois plus tard, le 8 juin pour un restaurant. C’est l’anniversaire de ma grand-mère partie dans les étoiles.
Merci, ma mamone (grand-mère) pour ce petit signe.
Une semaine plus tard, Alain m’offrira une statue africaine représentant un couple enlacé sous la forme d’un 8 et bientôt nous emménagerons à Clamart… au 8.
Faire confiance à la vie, penser à ses amis qu’on a aimés, et parler à nos guides spirituels.
Je le sais mais depuis qu’on vit dans cette maison, j’oublie tout.
Payer la nounou, payer le loyer, payer, payer…
J’ai l’impression de ne plus rien recevoir.
Calogero
La musique a toujours fait partie de ma vie.
Que ce soit dans les moments de bonheur ou de tristesse.
Un son, une note, une parole me glisse un message dans le creux de mon oreille.
Le hasard ou un signe ?
Octobre, ma tête n’entend plus que « Colchiques dans les prés », la chanson de mon enfance.
2 h 59
Je regarde l’heure au plafond.
J’avais complètement oublié ce passé. Pourquoi y penser maintenant ?
Souvenir de mes 5 ans
Papa passe de simple pompiste à PDG pour une compagnie pétrolière. Ses amis le surnomment J. R. Pour les vacances en Corse, Papa décide d’acheter un bateau à une très belle dame. On dirait une animatrice de télévision. Elle est douce, mélancolique et froide, comme Svetlana. Mon père passe son permis en un mois.
Fin juillet, le bateau est amarré à Solenzara. L’équipage ou plutôt les boys sont les frères de ma mère. Ils n’ont jamais eu de vacances, ils obéissent très bien. Tous les matins, mon père va à la capitainerie vérifier la météo. Même si la météo n’est pas en notre faveur, mon père décide toujours de partir. Un des frères de Svetlana en porte toujours les stigmates sur son dos.
Force 7, on part. On est dans la cabine, mon père fume le cigare. Une odeur, des vagues, des murs… Personne ne parle. Je ne suis pas bien, une envie de… Svetlana m’attrape par le bras et me dirige vers la porte pour me sortir.
Mon père hurle : « N’ouvre pas cette porte, tu es folle !
Ma mère m’attache à l’escalier qui mène au pont supérieur et retourne à l’intérieur.
Je ne vois plus son visage.
Les vagues sont des claques, une plus forte m’assomme. Je vois la dame blanche de la maison qui me sourit.
Je suis apaisée.
Je me réveille, on est en train de rentrer au port. Mon père est fier, le défi est réussi.
Svetlana, entourée de son staff, me dénoue de l’échelle.
Elle joue à être une maman ; il y a du monde qui la regarde.
5 heures, je pose mon stylo car je vais me coucher sans bruit, sans heurt, sans vague.
Mes parents décident de partir au ski à Isola 2 000.
On prend la voiture. Papa met la cassette de Sardou. Nous partons. Arrivés à Nice, nous sommes arrêtés à un feu rouge. Svetlana regarde une promotion pour la Guadeloupe dans une agence de voyages.
Cinq ans plus tard, nous habiterons dans ce quartier niçois, pendant 11 ans.
Changement de programme, nous repartons à Paris dans l’heure qui suit.
Le lendemain, nous prenons l’avion pour Pointe-à-Pitre.
À l’époque : pas d’iPad, de tablette, de jeu… Je ne joue sûrement pas au jeu des devinettes avec mes parents.
Je ne crie pas, je ne parle pas, et surtout j’écoute Sardou.
Je ne supporte pas d’entendre un enfant pleurer, pourtant mes enfants m’ont vaccinée.
Mes filles piquent de ces colères !
J’ai toujours l’impression qu’il n’y a que les miennes.
Le nombre de nuits où l’on finit dans la voiture pour ne pas réveiller les voisins.
2 h 58
Chassez ce passé que je ne saurais voir.
J’ai 7 ans, nous sommes invités chez des amis. J’aime beaucoup leur maison.
Je me sens bien.
Dans le salon, un cadre noir avec une photo.
On voit la dame qui nous a vendu son bateau, à ses côtés, un jeune garçon.
Ce jeune garçon c’est Jonathan ; il était en Corse avec nous.
Je m’arrête net devant ce cadre : « Maman ! Maman regarde, il y a Jonathan ! »
Svetlana, le regard noir : « Tais-toi, tu mens ! »
Je bouillonne à l’intérieur. Je ne suis pas folle, je suis en colère. Des années plus tard, j’ai compris en regardant un magazine que, cette même année, Jonathan était mort empalé dans cette maison.
Sa mère est une actrice française très connue que l’acteur Alain Frelon aima.
La voiture que conduit Svetlana appartenait à cette dame.
Montmorency, je suis en train de jouer dans le jardin. La Dame Blanche est dans le corridor.
On est sans nouvelle de Papa depuis quatre jours. Je le vois arriver à moto avec un ami.
Je cours dans le salon en hurlant : « Papa, Papa a un bras dans le plâtre. »
Svetlana me regarde froidement et me dit : « Ce n’est pas beau de mentir. »
Puis elle se précipite dans le jardin.
Seule dans le salon, je regarde par la fenêtre. Je suis invisible, comme la Dame Blanche.
Papa a eu un accident de voiture avec une jeune fille de 17 ans qu’il a rencontrée en boîte de nuit, et la majorité est à 18 ans. Les parents veulent beaucoup, mais alors beaucoup d’argent pour ne pas porter plainte.
On déménage pour Boulogne. Vive la lumière et la chaleur. Adieu, Madame Blanche.
Clamart, 2 h 56, 40 ans
Je ris dans mon lit.
Alain, les filles et moi attrapons une gastro-entérite. Sept jours de lessive, je n’en peux plus. J’ai travaillé dix ans sur les vols long-courriers sans jamais en avoir !
Ma fille Mela est à la crèche depuis un an, c’est la troisième gastro !
Je vais à la boulangerie.
« Bonjour, Madame, je voudrais une gastro s’il vous plaît. »
La boulangère me regarde, interloquée, prend la baguette et la lance sur le comptoir.
Gênée, elle me répond : « Madame, je vous l’offre. »
Je sors du magasin, épuisée. Depuis quelque temps, je fais beaucoup de lapsus. Je cherche mes mots et je perds tout.
J’oublie tout,pourtant mon passé refait surface dans mes rêves.
C’est la seule chose que j’aurais voulu vraiment oublier.
Je rêve d’une couleuvre qui sort du placard de cuisine de ma belle-mère.
Dès que je me réveille et que je regarde l’heure au plafond, je vois, chaque nuit, les trois mêmes horaires : 2 h 56, 2 h 58, 2 h 59.
Je n’ose même plus lever les yeux.
Je pense à l’époque où nous étions de jeunes amoureux sans soucis de 33 ans.
Alain et moi emménageons dans un studio de 20 m² dans le dixième arrondissement. Le soir, les clochards viennent dormir dans le couloir de notre immeuble. On ressent les vibrations du métro comme on peut entendre la voisine tirer, tirer la chasse d’eau !
Un lundi matin, je dois rejoindre une copine pour un brunch.
Je prends le métro, les portes s’ouvrent place de Clichy. Je veux sortir mais un homme est étendu par terre. À ses côtés, deux pompiers lui font un massage cardiaque.
Je n’ose pas l’enjamber ; on me pousse, je n’ai pas le choix. Je me colle au mur, je regarde cet homme.
Je regarde les gens qui l’enjambent, qui râlent ou qui poussent les pompiers.
Je prie, je prie.
Le pompier dit à son collègue que c’est fini.
Je vais le voir et lui tends la carte de Sainte Rita.
« Pourriez-vous la mettre dans la poche de son pantalon ? ». Il me sourit.
Je suis chamboulée, une boule à la gorge, je préfère rentrer chez moi à pied.
Sur le chemin, une boutique pour artiste ; j’achète une toile, des pinceaux et de la peinture.
Je peins un arbre avec des racines et, sur les branches, des fleurs blanches nacrées.
Derrière ma toile, j’écris : « Hommage à un inconnu ». Je la range dans un placard.
En peignant ce tableau, je pense que l’heure est venue pour moi de donner la vie.
Les vacances
Je suis enceinte de huit mois, je pars chercher Lana et Alain à l’aéroport d’Orly. Ils rentrent d’un week-end en Corse.
Je les attends au Kiss and Fly. Alain sort de l’aéroport, rouge de colère. La miss marche derrière lui, les mains dans les poches, avec son petit regard à la Lady Diana.
Alain hurle : « J’en ai ramené des sans-papiers mais alors, une comme celle-là, jamais ! »
Tout le monde nous regarde, j’ai envie de rire.
Dans l’avion, Lana ne veut pas être assise seule sur son siège. Elle ne veut rester que dans ses bras. En descente, elle hurle si fort que l’hôtesse craque et donne une ceinture bébé. Alain ne veut pas céder.
Sur le siège de devant, un jeune homme avec une grosse Breitling se retourne, exaspéré : « Mais enfin, vous ne pouvez pas gérer votre fille ? »
Alain lui répond : « On en reparlera le jour où tu auras des enfants, abruti. »
Le regard des autres épuise.
Un bébé qui pleure : les parents ne répondent pas à ses besoins. Un enfant qui pleure : il est mal élevé.
Un adulte qui pleure : il est dépressif.
On n’a pas le droit d’être simplement triste ou en colère. Il faut cacher ses émotions pour ne pas déranger.
Octobre. 2 h 59. Les vacances
Je rumine.
J’ai mes vacances de Noël, cela fait 3 ans que j’attends ça.
Départ pour la Corse, Mela déclenche une petite gastro dans la nuit.
Nous prenons le premier vol du matin, je lui mets une couche. En vol, après le service, Mela me dit : « J’ai mal au ventre. »
La consigne « Attachez votre ceinture est allumée », je lui masse son petit ventre.
« Maman, bobo ! » Je lui dis d’être patiente. Mela hurle : « Maman, le caca, il sort ! »
Je la détache, je fonce aux toilettes.
Un steward vient à ma rencontre. Je lui dis : « Monsieur, je suis désolée, et j’en prends la responsabilité. »
J’entre dans les toilettes et je verrouille la porte.
J’entends une voix de femme : « Pour qui elle se prend ? Et en plus, elle travaille chez nous ! »
Je tire la chasse d’eau ; je sors des toilettes avec ma fille.
Je vois cette grande hôtesse agressive. Je m’excuse.
Elle me parle très mal et, comme je n’ai pas dormi la nuit qui précède, je m’énerve et lui demande si c’est une façon de parler en tant qu’hôtesse.
Elle ouvre le rideau du galley tout en souriant.
Les passagers de devant nous regardent et c’est moi qui ai l’air agressive.
Je comprends sa technique et je retourne m’asseoir.
Tout l’équipage, tel un cheveu sur la soupe, vient voir où je suis assise comme si de rien était.
À la sortie de l’avion, la commandante de bord dit au chef de cabine :
« C’est qui ? C’est elle ?
Direction le médecin et non pas la mer pour certifier la gastro en cas d’un petit rapport écrit dans mon dos.
Je suis épuisée ; je n’arrive plus à faire face à l’agressivité. Je n’arrive plus à prendre du recul.
2 h 59, 40 ans
Je me réveille avec la chanson « C’est quand qu’on va où ? » de Renaud.
L’éducation. J’ai 7 ans.
CP. Ma mère me fait réciter mon poème et ricane.
Quand je dois réciter une leçon, son insulte fétiche c’est « Espèce de nouille ».
On ressent le plaisir dans ses yeux.
Papa, lui, n’a aucune patience mais c’est spontané, cela finit toujours en cris.
Sa phrase fétiche : « J’étais bien meilleur au même âge ! »
J’ai retrouvé le bulletin de ma première année scolaire ; j’avais 12 de moyenne.
Je suis programmée à travailler mal.
Pour ma scarlatine, Svetlana m’a fait manquer l’école pendant un mois.
Une angine, un rhume : c’est une semaine.
Je prenais beaucoup d’antibiotiques, mais alors, beaucoup d’antibiotiques !
Pendant mes convalescences, on ne se parlait pas, on ne jouait pas ensemble.
J’ai 8 ans.
Je ne me souviens pas de ma mère en train de lire une histoire.
Ma mère téléphonait à sa copine Malmignatte simplement pour dire qu’elle me gardait car j’étais très malade.
Un jour, Svetlana voit une annonce dans un journal : un instituteur a fait une grande découverte. Il a créé une machine qui aide les enfants qui présentent des difficultés scolaires.
Nous voilà tous partis en Vendée.
Le créateur de la machine, c’est Jean-Paul, un instituteur.
La machine, ce sont deux boîtes de conserve reliées à un fil. Mon grand PDG de papa et ma maman poule trouvent ça fabuleux.
Juillet : je suis casée.
Une petite colo de sept enfants, c’est chic. Cela ne fait pas trop populaire. Un grand merci à mes parents pour avoir fait ce choix car il changera le cours de ma vie. Jean-Paul n’utilisera jamais sa machine mais il travaillera sur notre estime de soi, sans crier, sans s’énerver.
La colo n’est remplie que d’enfants « rustine ».
Christina, sa femme, est très douce et elle chante tout le temps. Elle est grande et rousse avec un très joli sourire. Elle rit toujours aux éclats, même des blagues de son mari qui ne sont pas drôles. Elle nous emmène en forêt ; on touche les arbres avec nos mains pour ressentir leur énergie. Fermer les yeux, ressentir le vent qui entoure notre corps, et surtout parler à nos anges protecteurs.
Un soir, je suis assise dans le jardin. Christina vient s’asseoir à côté de moi avec un livre. Dans ce livre, on voit une photo d’un couple dans un jardin. Derrière eux : un monsieur transparent. Elle m’explique que beaucoup de gens ne trouvent pas la lumière.
La lumière, c’est l’entrée du paradis.
Si notre mort est injuste ou violente, notre cerveau, qui est divisé en plusieurs unités, se bloque. Il faut aider les unités à se rejoindre.
En résumé, son métier, c’est d’aider les gens à passer la lumière.
« Rustine, tu as toi aussi le don. »
Je souris et, dans ma tête, je me dis : « Ne l’écoutez pas, ne venez pas me voir, je ne suis pas là, je ne vous vois pas. »
La conversation est interrompue par Jean-Paul ; on me demande au téléphone. C’est ma Pawette. Mon premier juillet sans qu’on soit ensemble.
Elle me demande si j’ai toujours la verrue au pied. J’enlève ma chaussette : plus rien !
Elle est contente car elle a fait la prière corse tous les jours.
Durant l’hiver, j’appelle Christina.
Elle décroche en disant : « Rustine, comment vas-tu ? » Je n’ai jamais le temps de me présenter.
J’y retourne un été et j’apprends beaucoup sur les énergies mais pas sur les fantômes. Elle sait que j’ai peur.
Un matin, je me réveille en sachant que je ne dois pas sortir de la maison car Christina va m’appeler.
11 heures, le téléphone sonne et je décroche.
« Bonjour Rustine, tu savais que j’allais t’appeler, n’est-ce pas ? Je voulais t’annoncer que je pars vivre en Guadeloupe. On ne se reverra plus jamais mais tu seras toujours dans mon cœur. Promets-moi de ne jamais faire tourner les tables sans quelqu’un d’expérimenté. Surtout, n’oublie pas de parler à tes anges protecteurs. »
Je raccroche, je sens une boule dans la gorge. À la maison, j’ai souvent cette boule.
Effectivement, on ne se reverra plus jamais, même avec Facebook. Es-tu partie dans les étoiles ?
Un vent froid passe sur moi, j’ai l’impression que oui.
Enfant, dès que je vois une dame ou un homme en blanc, je crie « dégage ». J’en oublie mon don.
Un soir, à 13 ans, j’ai voulu avec ma cousine utiliser un verre qui devait se diriger vers les lettres de l’alphabet pour communiquer avec des fantômes.
Boooohhh !
Nous sommes assises devant l’école d’Acqua in Bocca et, d’un coup, une meute de chiens surgit. Ils nous entourent. Parmi eux, un chien qui traîne une grosse chaîne avec des maillons en fer. Comment a-t-il pu se libérer ? Encerclées, nous partirons avec la peur au ventre, en courant.
À 18 ans, je dors chez une copine qui habite une vieille bâtisse dans l’arrière-pays niçois. Nous décidons de faire le jeu du verre et de l’alphabet pour détecter un fantôme. Nous restons dans le lit car il fait trop froid. Ma copine me prête un pyjama que je trouve sympa mais très vintage.
Je lui demande où elle l’a acheté et elle me répond : « Il appartenait à mon grand-père qui vivait dans cette maison. »
Ahhhh !
Super-Rustine ne continuera pas le jeu car elle a trop peur.
Elle ne dormira pas de la nuit à cause d’un tableau : un hibou qui la fixe toute la nuit ; elle voit ses yeux même dans le noir.
Octobre
Je rentre de vol, je suis sur le périphérique.
Le téléphone sonne, c’est Pîa, ma cousine. Son fils Bouba a le même âge que Lana.
Elle aussi est en voiture.
« Pîa, je pensais à toi. Figure-toi que j’ai découvert un livre pour enfants. Les filles l’adorent. Le titre c’est : Calme et attentif comme une grenouille d’Eline Snel, tu connais ?
Au même moment, une Fiat noire me fait une queue de poisson et je hurle : « Trou du cul ! »
Je me ressaisis, j’entends Pîa rire.
« L’empathie, non mais tu plaisantes ! En fait, c’est plus pour apprendre à déstresser. »
D’un coup, Pîa se met à hurler : « Pauvre cloche, tu crois que je ne t’avais pas vu ? Non mais je rêve ! »
Silence, puis Pîa reprend : « Écris-moi par texto le nom du livre, ça m’intéresse. »
Pîa
J’ai 25 ans, on est en 2001, et je suis devenue une hôtesse de l’air, une vraie avec un CDI.
Je suis en train de marcher dans les locaux de ma compagnie car je dois donner des papiers au service comptabilité.
Qui vois-je ? Pîa, ma cousine.
Elle est belle comme une Barbie, beaucoup de femmes la détestent dès le premier regard. Elle est très grande et ressemble à Angelina Jolie mais elle a un regard beaucoup plus doux.
On est du même village, Acqua in Bocca, son arrière-grand-père a construit la fontaine du Lion. Cette fontaine est en pierre, l’eau jaillit de la gueule d’un lion. Petite, je jouais plus avec Annie, la fille de sa tante Malmignatte.
Bref, je vois Pîa. On se regarde en uniforme et, d’un coup, on saute, on crie, on hurle. Oubliées les règles du comportement inculquées lors de notre stage de formation. Nous ne sommes plus deux hôtesses mais deux Corsinettes devant la fontaine du Lion en train de faire une bataille d’eau.
« Rustine, c’est quoi ton prochain vol ?
« Hanoï », La Grande Sophie
J’arrive à la salle de briefing avant le vol pour rencontrer l’équipage.
J’ai une boule à la gorge, mon premier vol long-courrier : Manille.
À la fin du briefing, l’équipage technique arrive : « Bonjour, je suis Hubert, votre commandant de bord, voici le Maréchal et François, ce sont eux qui m’épauleront. »
À cette époque, nous sommes nombreux sur les vols. Les passagers le ressentent et sont beaucoup moins agressifs car on répond rapidement à leurs demandes.
Arrivés à Manille, une ville éclairée à la bougie, une chaleur, des odeurs, un brouhaha ! Les gens vivent dehors.
Hubert propose une balade en pirogue sur le fleuve où a eu lieu le tournage du film Apocalypse Now.
Réveil, 4 heures, tout l’équipage est présent.
Dans le taxi, je suis assise à côté du Maréchal, nous parlons musique. Il ressemble à Jacques Brel. Arrivés au fleuve, quatre pirogues nous attendent.
Nous refusons les Philippins qui doivent pagayer à notre place. Nous partons, nous pagayons !
La rivière est très étroite, nous sommes entourés de deux grands murs gigantesques remplis d’une végétation que je n’avais jamais vue.
Une seule couleur prédomine, le vert, mais dans tous ses dégradés.
Des arbres, tellement penchés qu’on croirait qu’ils vont tomber.
On passe sous des lianes, on craint les serpents.
Le plus étrange, c’est le silence, aucun bruit, aucun son. On pagaie, on pagaie.
Quand le fleuve devient impraticable, on porte nos pirogues et on marche sur des rochers brûlants.
Nous atteignons notre objectif : la grotte. Son entrée se fait par une cascade, nous la traversons. À l’intérieur, c’est étrangement lumineux et l’on peut juste entendre le son de l’eau. On ressent une plénitude, on se sent connecté à ce paysage.
« Une volontaire pour ma chambre ? » crie Hubert. On éclate de rire, Hubert est à l’eau. Nous repartons.
Le soir, au restaurant, je découvre la véritable nourriture asiatique. À cette époque, je ne bois pas d’alcool. Nous sommes tous autour d’une table ronde. Je croque dans un piment. Je deviens rouge, ça brûle, pas de pain.
Je glisse sous la table. Quand j’en sors, personne ne s’est aperçu de mon absence, sauf le Maréchal.
Retour vers Paris, le Maréchal me remet discrètement une enveloppe avec une lettre toute simple dans laquelle il me demande la permission de revoler avec moi. J’accepte.
Nous ferons toujours des voyages merveilleux.
Nous marchons sur des ponts en pleine jungle, dormons dans des cabanes en bois où l’on peut voir des animaux à travers le plancher.
Le Maréchal est né au Viêt-Nam. Son grand-père était aux côtés du Général de Gaulle lors de la libération de la France. Son nom n’apparaît pas dans les ouvrages scolaires.
En classe de 3e, le Maréchal sera le bouc émissaire d’un professeur d’histoire qui déteste de Gaulle.
Le Maréchal ne passe pas la sélection pour devenir commandant de bord pour des raisons de timing, de vacances. La véritable raison, on la connaît tous les deux. On trouve toujours mille excuses pour ne pas évoluer ou passer des concours. L’enfant intérieur qui est en nous ressurgit. Sa peur est tellement puissante qu’on préfère éviter le face-à-face.
Nous avons le même mode de fonctionnement. On ne peut pas se mentir.
Le Maréchal sait qu’après un vol, je ne rentre pas chez moi. Je fonce reprendre un avion pour rejoindre ma mère à Nice. Le Maréchal connaît ce chantage affectif.
Nouvel An 2001
Je ne passe pas le Nouvel An avec mes amis car j’ai toujours peur pour ma mère. Ce soir-là, elle sera ivre. Elle allume ses cigarettes en jetant ses allumettes par terre. Elle laisse la plaque à induction allumée. C’est glauque, triste, mais je crois toujours qu’elle ira mieux.
Je lui demande pourquoi elle cherche à se détruire.
« J’ai été abusée par mon père, tu sais ce que c’est toi ? Non ! Alors, fous-moi la paix ! Et encore, tu ne sais pas tout ! » dit-elle en ricanant.
« Chat ! Chat ! Je t’ai touché ! À toi. » C’est toujours dans ma tête. Mon grand-père que j’aimais ! Un monstre !
Quand nous habitions à Boulogne, nous allions le voir tous les week-ends.
Le jour de l’anniversaire de mes 25 ans, j’ouvre le placard de ma chambre. Une carte tombe d’une étagère, celle de mon grand-père qui me souhaitait un joyeux anniversaire.
J’avais 15 ans. Sur la carte, le dessin d’une jeune femme. Je trouve qu’elle me ressemble, c’est un signe. Cette carte est toujours dans mon sac d’hôtesse, c’est mon porte-bonheur.
Ma mère part se coucher.
Le lendemain matin, je repars à Roissy pour assurer un vol vers Port-Harcourt.
Avant mon vol, le Maréchal m’appelle :
« Alors, ta mère ?
Je raccroche, je suis au siège en train de mettre mon uniforme et surtout mon parfum Fragonard.
J’arrive à la salle de briefing. J’entre avec un large sourire affirmatif : « Bonjour ! »
Le chef de cabine me répond que, quand on est en retard, on s’excuse. Je regarde l’horloge, je suis en retard d’une minute. L’hôtesse prend le poste des fainéants. Le vol va être très long. Je sors de la salle, je craque, je pleure.
Je fonce voir le cadre de permanence pour dire, en larmes, que je ne peux pas effectuer le vol.
Je quitte le siège en pleurs. J’arrive à Senlis, je me gare et sors de ma voiture toujours en larmes. Face à moi, la plaque Docteur Poupon. J’entre en pleurant.
Je trouve que la salle d’attente est encore plus triste que moi. J’entre dans son cabinet, les murs sont recouverts de velours marron. Je sens le regard d’un petit garçon triste.
Je dis juste : « En fait, je ne suis pas malade mais je pleure. » Il m’arrêtera dix jours sans antidépresseurs.
En sortant, il me dira : « Allez, courage, ne parlez pas de vos problèmes à votre travail car je les connais. »
Je rentre chez moi, le téléphone sonne, c’est ma cadre : « Madame, vous n’avez pas effectué votre vol. L’avion a eu 45 minutes de retard et le commandant de bord a mis le code retard sur vous. »
Le cadre de permanence a juste oublié de signaler mon absence. Je n’ai qu’un an d’ancienneté, je sais ce que cela veut dire : « Vous êtes virée. »
Je pousse un hurlement, un cri pareil à celui de l’enfant qui est en moi et qui n’a jamais hurlé. J’ai mal, j’en crève, je raccroche sans parler à cette femme.
Je suis prostrée chez moi ; le Maréchal m’appellera tous les jours.
Ma mère m’appelle tous les jours pour me dire qu’elle a mal à la tête, qu’elle est fatiguée ou que mon père n’a pas payé l’école de mon frère. Je ne parle pas.
Je retourne au siège pour effectuer mon dernier vol. Je trouve un message dans mon casier : « Mademoiselle, j’ai mis le rapport à la poubelle. » Merci.
Le Maréchal m’attend devant la machine à café.
Octobre. 2 h 56
En cherchant un pull, je tombe sur le journal intime de mes 25 ans. Je voulais le lire tranquillement sans mes enfants.
2 h 56, c’est la bonne heure.
Je découvre tout ce que j’ai voulu oublier.
Ma mère qui boit et qui prend des barrettes de Lexomil. Ivre, elle veut toujours m’analyser, me décortiquer.
Je descends après chaque vol pour que mon petit frère ne le voie pas. J’ai peur pour lui pour sa construction en tant qu’homme. Ma mère ne le punit pas, ne lui dit jamais non, en échange de son silence.
J’ai loué un appartement à Senlis par hasard.
J’aime cette ville, ses pavés, ses jardins, ses maisons en pierre, mais surtout ses fantômes.
Les premiers jours où je suis arrivée, une coccinelle s’est posée sur ma main.
Je me sens chez moi, pourtant ma salle de sport se trouve à Nice.
« Un enfant », Michel Sardou
Je suis en Corse, je sors des toilettes avec mon test. Une petite vie se prépare dans mon ventre.
J’envoie un texto à Alain qui est à Kuala Lumpur.
Alain m’appellera toute la journée et achètera un petit body « J’aime mon papa ».
Je fonce au cimetière Acqua in Bocca pour l’annoncer à ma grand-mère et à mon grand-père. Pawette n’est pas enterrée aux côtés de Babo. Une vie terrestre, c’était largement suffisant pour eux.
Je sens le vent sur moi et je prie. Puis je calcule et je me rends compte que ce petit grain de vie risque d’avoir le même signe astrologique que Babo.
Mon grand-père avait un sacré caractère et j’ai comme l’impression d’entendre sa voix : « Et alors ! Ce petit, il aura mon signe, et puis c’est tout. »
Puis la voix de Pawette : « Ne rêve pas, il aura aussi le mien ! »
Le soir, je le raconte à Mina, ma tante.
Ma fille sera poisson (Babo) ascendant Gémeaux (Pawette).
Je suis à la poste pour récupérer un colis. La guichetière me parle très mal.
Je hurle : « Ce n’est pas parce que vous avez été élevée par votre grand-mère qui ne vous aimait pas qu’on doit en subir les conséquences ! Vous vous comportez comme elle. »
Elle reste saisie ; les larmes montent à ses yeux.
Si vous lisez ce livre, Madame, pardon. Je n’utilise jamais mon don dans la colère.
Noël. Je suis enceinte de cinq mois.
Alain m’emmène visiter le château de Saverne, en Alsace. Nous entrons dans une grande salle, je reste bouche bée.
Des hommes et des femmes en blanc sont en train de jouer aux cartes, danser, rire. Ils savent qu’ils sont morts ; ils s’amusent et ne veulent pas aller vers la lumière.
J’ai l’impression d’être dans la maison hantée à Disney et j’éclate de rire.
Un très bel homme assis à une table avec une chemise blanche ouverte sur son thorax me regarde. Il me fixe et se lève. Il s’avance vers moi en marchant lentement.
Le voyant arriver vers moi, je parle à voix haute : « Mais quel magnifique château ! Les fenêtres ne sont pas très grandes et pourtant il y a de la lumière. »
Dans ma tête : « Ne venez pas me voir, je ne vous vois pas. »
Je change de salle, il me suit. Il se met devant moi, il me fixe. Il sait que je le vois. Il passe à travers moi. Je voudrais crier « Dégage ! » mais il y a du monde.
Les futures mamans s’inquiètent de la nourriture ou de l’effet de la pollution sur l’embryon ; pour Rustine, ce sont les fantômes.
À la fin de la visite, j’ai très envie d’aller aux toilettes. Je ne veux pas y aller à cause du fantôme. Alain insiste ; on a de la route !
Je suis dans les toilettes. Personne à l’horizon, je suis bien seule. Je pose mon popotin de femme enceinte sur la cuvette. Je lève la tête et je le vois. Sa chemise blanche est remplie de sang.
« Monsieur vous ne voyez pas que je suis aux toilettes ! Je suis enceinte, s’il vous plaît, laissez-moi ! »
Il me regarde, caresse une boucle de ses cheveux qui encadrent son visage. Il est pensif. Il me sourit et s’éclipse.
Un froid glacial.
Au moment de quitter le château, je ressens une petite tape sur les fesses et je fais un bond. Mon mari me demande si je vais bien. Comment lui dire « Chéri, un fantôme vient de me mettre la main aux fesses » ?
Enceinte, je travaille au sol au service Bravo, un service dédié aux hôtesses enceintes ; nous traitons les dossiers de vol.
Devinez qui est là ? Pîa ! Nos chemins se croisent encore.
Durant sa grossesse, le papa de Pîa viendra en vacances chez elle pendant un mois.
Nos papas vont bientôt avoir 70 ans mais ils sortiront tous les soirs et Pîa m’appellera souvent.
« Rustine, il est 12 heures ! J’appelle les flics ?
Son père ne rentrera que le surlendemain en lui disant : « J’ai rajeuni de 20 ans ! »
Quand elle remettra son papa dans l’avion pour la Corse, elle m’appellera en larmes : « Dis-moi que ce n’est pas génétique et que nos enfants ne vont pas être pareils ! »
Au service Bravo, je retrouve aussi Flo. On a volé deux fois ensemble. Je ne ressens pas sa maison.
Je sympathise avec une hôtesse : Fleur d’oranger. Elle ne croit pas à la voyance ni à l’au-delà. Son enfance rime avec violence et peur mais elle a réussi à trouver le bonheur avec ses enfants et son mari. J’ai des flashs sur sa famille et elle découvre que les passeuses d’âmes existent. On ne se voit jamais mais on s’appelle au moins une fois par semaine. Elle devient un peu ma secrétaire car elle m’envoie toujours des clients, même lorsque je décide de ne plus utiliser ce don. Je ne fais jamais payer les gens car je n’ai pas fait d’études et je n’ai rien à rembourser. Un don c’est un cadeau de la vie, juste là pour aider les gens.
Au travail, nous avons une bonne ambiance, et nous cherchons ensemble les futurs prénoms pour nos bébés. Un soir, alors que je rentre du service Bravo, je retrouve Alain sur le canapé en train de regarder la télévision.
« Rustine, il ne faut pas se tromper sur le prénom. Cela joue sur son destin. »
Sans tourner la tête du feuilleton, il ajoute : « Cette fille, elle est comme toi, elle parle aux fantômes. »
Effectivement, c’est une passeuse d’âmes mais on travaille différemment.
En souriant, je propose comme prénom Mélinda. Alain ne sourit pas.
Je ne me suis jamais posé la question de savoir si mon enfant pourrait avoir le don mais Alain, oui.
Pîa et son fils Bouba sont venus passer le dimanche à la maison.
Ils sont repartis et je range.
Les filles jouent.
Le portable sonne, c’est Pîa.
« Rustine, Bouba vient de me donner une information qui peut t’intéresser apparemment : ta fille parle le soir avec une grand-mère dans sa chambre. Elle veut que cela reste un secret pour ne pas te faire peur.
Je souffle et Pîa raccroche.
Je pars chercher mon gros sel et ma carte Sainte Rita.
Je me méfie des mauvais esprits.
Un enfant de moins de 4 ans, tant que sa fontanelle n’est pas consolidée, peut voir les âmes.
2 h 56
Je me réveille et allume mon iPad.
Je suis sur le site de la FNAC :
– Comment gérer votre enfant hyperactif ?
– Comment gérer votre enfant précoce ?
– Comment gérer votre enfant hypersensible ?
– Comment gérer les colères de votre enfant ?
– Comment gérer le sommeil de votre enfant ?
– Comment gérer l’alimentation de votre enfant ?
Flûte ! Comment gérer votre enfant médium ? n’est pas encore sorti.
Svetlana et Papa ont un point commun : ils écarteront les véritables amis de leur chemin. Pour mes parents, un ami, ça écoute et ça ne contredit pas.
Tous les week-ends, nous allons voir Malmignatte et son mari Sauveur, ainsi que leur fille Annie. Malmignatte, physiquement, ressemble à une femme bourrée de cholestérol et de gamma GT. Son prénom veut dire : « la veuve noire ». Comme l’araignée, elle tue son mari et voudrait que tout le monde reste dans sa toile. Annie voudrait bien sortir de la toile de sa mère mais elle n’y arrive pas donc elle boude. Quand elle boude, ça dure longtemps, et avec Pîa on attend que cela passe.
Svetlana est très belle, très chic. Papa est devenu maire d’Acqua in Bocca. Ce couple est dans sa toile, quelle aubaine ! Malmignatte fait boire Svetlana car elle veut tout savoir, absolument tout !
Elle rêve que son crétin de mari devienne quelqu’un. Sauveur travaille bien et ils ont une vendeuse, Garciette, très gentille et dévouée. Le magasin fait du bénéfice. C’est la gloire, l’apogée, la réussite.
Malmignatte ouvre un deuxième magasin mais elle dépense plus qu’elle ne gagne : champagne, voyages, des fauteuils de ministre…
La crise arrive. Garciette verse toutes ses économies (50 000,00 euros) à ses gentils patrons.
Ses économies ne font que le tiers de la dette ; on a omis de le dire à Garciette.
Malmignatte appelle mon père en larmes car elle risque une faillite personnelle et la prison.
Mon père lui évite le pire.
Grâce à ma tante et ses connaissances, ils toucheront 2 500 euros de la Sécurité sociale pendant deux ans. Garciette ne sera jamais remboursée et ne retournera jamais au Portugal.
Quand j’allais, petite, chez Rose, la grand-mère de Pîa me dirigeait dans son jardin et disait : « Regarde Rustine, tu vois ces tomates ? Si elles sont si belles, c’est grâce à ta grand-mère car Pawette me prête son jardin. »
Quand Malmignatte venait en vacances chez Rose, elle regardait le jardin puis, avec son air mielleux, me disait : « Quand Rustine sera grande, elle nous donnera le jardin car elle est gentille Rustine ! »
Elle n’a pas attendu mon consentement ; elle se l’est accaparé sous diverses fausses raisons.
Un jour, j’ai voulu inviter Annie pour qu’on parle de ce problème. Deux ans que je ne l’ai plus vue. Quand elle est rentrée chez moi, je fais un bond. Son corps, son visage ! Je ne la reconnais plus ! Elle est devenue Malmignatte.
J’évite le sujet du jardin car nous ne prenons plus le même chemin.
Le comportement d’Annie avec sa cousine Pîa, c’est le portrait craché de sa mère.
Quand elle va bien, elle est méchante. Quand elle va mal, elle est gentille.
Octobre. Rose
Rose, la grand-mère de Pîa, avait un très joli visage.
Elle avait des traits fins.
À la naissance de chacune de mes filles, elle m’est apparue en rêve, toujours souriante.
Une fois, elle a voulu passer un message d’amour à Pîa.
Ce jour-là, Pîa était en train de regarder des photos de Rose.
Pourquoi vient-elle me voir si souvent en rêve ?
C’est simplement qu’elle est désolée. Lors de la construction de la fontaine du Lion, il y a eu un pacte entre nos deux familles.
Rose et son mari étaient les parrains de Babo, mon grand-père.
Cause, effet, conséquence.
Malmignatte a détruit un pacte d’amour pour un pacte de haine. Il y aura une répercussion sur plusieurs générations.
Analyse transgénérationnelle.
Les vrais amis. « Florence », Pierre Bachelet
Je rencontre Flo lors d’un vol Afrique, elle est blonde aux yeux bleus. Elle a un très joli timbre de voix digne d’une sophrologue.
Nous passerons la nuit à chanter pendant qu’un steward jouera du piano au bord d’une piscine.
Chose promise, chose due.
Je vais voir sa maison avec ma fille âgée de un an.
Son jardin est très mignon mais, quand je rentre dans sa maison, je suis glacée. Les murs sont peints en vert bouteille comme à Montmorency et il fait très froid, je n’aime pas ça.
Flo me raconte qu’un jour, en cuisinant, elle entend une voix très basse dans le baby phone qui susurre : « PAPA, PAPA. »
Elle rit et va voir son mari en lui disant « très drôle ta blague ». Elle le regarde, il n’a pas le baby phone. Il est dans la chambre de Cerise, sa fille.
Flo me propose d’aller voir sa chambre et, au moment d’entrer, ma fille qui est dans mes bras hurle et s’accroche à la porte. Je n’insiste pas.
Je m’assois dans la cuisine et commence à parler : « Vous dérangez cette famille, il faut aller vers la lumière. »
Je veux prier Sainte Rita mais un bourdonnement emplit ma tête. La maison est pleine de haine et de colère. Je ne me sens pas protégée ; on repart.
Cette nuit-là, je rêve d’un homme ivre, violent, qui lance des bouteilles d’alcool sur un mur au pied duquel il y a un couffin blanc. Les tessons tombent par terre ainsi que sur le couffin. Je me réveille en sueurs.
Vers midi, j’appelle Flo : « Trouve quelqu’un pour nettoyer ta maison. »
Au même moment, la louche posée sur ma cocotte tombe par terre avec violence.
Flo fera une enquête. Sa voisine lui expliquera que le propriétaire précédent s’est suicidé. Encore avant, il y avait un homme qui buvait et lançait ses bouteilles sur le mur de sa maison.