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Au cœur du déclin de l’Occident musulman, marqué par la chute de Grenade en 1492, surgit une nouvelle puissance : l’Espagne chrétienne. S’emparant successivement du royaume de Tlemcen, d’Oran, d’Alger et de Bejaia, elle assoit sa domination. Devant cette expansion, le prince Ben Tami de Blida fait appel à Baba Aroudj pour libérer Alger. Ainsi naît la Régence d’Alger, défiant les ambitions espagnoles et luttant pour la souveraineté de l’Afrique du Nord. Au fil des siècles de sa gloire, vous êtes convié à embarquer dans l’histoire de cette Algérie toute puissante et à revivre les moments marquants de son existence, des guerres contre les flottes européennes et américaines, jusqu’à la déchéance face à la conquête française.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ahmed Bencherif, enfant de la guerre, a connu les douleurs et les privations de l’exil avec ses parents. Marqué par cette expérience forte, il a écrit, tel un devoir de mémoire, de nombreux articles sur les drames de la guerre de libération et a publié entre autres, "Marguerite – Tome I" en 2008, aux Éditions Publibook.
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Ahmed Bencherif
L’émergence
du nationalisme algérien
Tome I
1515 / 1953
Essai
© Lys Bleu Éditions – Ahmed Bencherif
ISBN : 979-10-422-3202-3
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Vers la deuxième moitié du quinzième siècle, le déclin de l’Occident musulman est amorcé sous les guerres de reconquête chrétienne. Les Rois Catholiques avaient triomphé des rois musulmans andalous dans leurs guerres, dites justes, pour récupérer les territoires conquis depuis près de huit siècles par les musulmans et restaurer la religion chrétienne. Eux aussi mènent une guerre sainte, comme leurs adversaires qui convoquent de leur côté le djihad « guerre sainte ». L’Espagne chrétienne est alors une grande puissance internationale. Elle entreprend une politique d’expansion de son empire en Amérique et en Afrique. Elle se révèle la dépositaire de l’autorité cléricale et se lance dans la christianisation des Maures andalous et des peuples de l’Afrique du Nord. Avec la bénédiction du Pape et ses dons ou emprunts, les Rois Catholiques Ferdinand II et Isabelle de Castille montent de grandes flottes. Ils occupent Melilia au Maroc, Mers-El-Kébir, Oran, Alger et Bougie au Maghreb central. Ils soumettent aussi le royaume de Tlemcen dont la monarchie devient leur vassale et paie un tribut.
Alger ou Algiers, de son nom originel, une municipalité démilitarisée et gérée par elle-même pendant des siècles, subit très mal le joug espagnol dont la tyrannie s’exerce impitoyablement. Elle fait appel au prince Ben Thami de la Mitidja, son protecteur avéré, qui s’avoue très tôt vaincu et fait appel aux frères Barberousse, pirates de mer installés à Djijelli. Cette petite ville phénicienne, puis romaine, puis arabe, mal servie par la nature et exposée aux tempêtes ravageuses, épouse enfin sa destinée historique. Les frères Barberousse arrivent par terre et par mer, à la tête d’une légion de 1 200 Turcs. Ils s’emparent du pouvoir, parviennent à chasser les Espagnols, s’emparent du royaume de Tlemcen. Le frère aîné, à barbe rousse, meurt. Le cadet Kherdine lui succède. Cet artiste est doté d’excellentes qualités politiques et de gouvernance.
Le défi de Kheirdine est de faire d’une municipalité pacifique une redoutable capitale. Il sollicite l’appui de l’Empire ottoman, une autre puissance internationale incontestée. Il fait allégeance au sultan Soliman, le magnifique, qui le dote d’une importante flotte de guerre, d’un budget, de quelques bataillons turcs armés. C’est la naissance de la redoutable Régence d’Alger. Les soldats et les marins venus sont formés seulement à l’école de la vie et sont profanes en gestion et gouvernance. Ils s’appuient sur les Maures instruits et riches commerçants qui donnent à ce nouveau royaume un mode de gouvernement et d’administration, de navigation aéronautique. Certains Maures écrivent et parlent le français.
Le nouveau roi Kheirdine, chasse les Espagnols, démolit le Penon, le fort espagnol, dont il récupère les blocs de pierre et comble les eaux qui séparent une multitude d’îlots, ces récifs géants qui empêchent la navigation et avarient les navires. Il construit ainsi la jetée d’Alger qui permet la navigation sans risque naturel. Les rois successifs, puis les deys ont fait d’Alger une citadelle imprenable, défendue par plus de mille bouches à feu, dotée d’une flotte parmi les plus puissantes. Elle résiste vaillamment aux agressions des autres puissances de la Grande-Bretagne, de la France, l’Espagne, conclut des traités de paix et d’amitié notamment avec la France. L’Espagne est chassée de Mer-El-Kébir et d’Oran. Elle échoue à prendre pied au Maghreb central, au royaume d’El Djazair, nom étendu à tout le territoire. Elle se tourne alors vers les Amériques.
Dans la première moitié du seizième siècle, la Régence d’Alger devient autonome de l’Empire ottoman dont elle reste un allié puissant. Le royaume ou par la suite la république militaire d’Alger reste une nation puissante avec son unité territoriale, ses frontières connues de nos jours. Cependant, sa force militaire turque, estimée à 12 000 hommes en temps de guerre ou 3.500 en temps de paix, n’arrive pas à elle seule soumettre les tribus algériennes puissantes, guerrières et riches. Elle obtient leur concours et leur donne le statut de tribus « Makhzen », chargées d’assurer la police, de recouvrer l’impôt, mobilisables en temps de guerre.
Alger reste invincible pendant trois siècles. Toutes les expéditions navales ennemies se brisent sur ses puissantes murailles pourvues de 1 700 canons, dont le baba Merzoug, construit par Kheirdine au début de son gouvernement. Le plus gros de son budget, de sa richesse et de sa puissance est le résultat de ses courses que sa flotte mène en Méditerranée et en Atlantique. Les relations franco-algériennes sont en rupture d’amitié. Le traité de paix est rompu. Napoléon I projette une expédition en 1808, puis il se ravise. Attaquer Alger par voie de mer est périlleux. Pourtant, son espion, le commandant Boutin, lui fournit un plan d’attaque hautement stratégique dès le mois de juillet de la même année. La flotte des USA bat la division navale algérienne au bout de quatre ans de guerre en 18 212. Le congrès d’Aix-la-Chapelle de 1818 condamne la piraterie en mer et enjoint cet ultimatum à Alger. Les Anglais, les Hollandais et les Français se brisent encore sur les remparts d’Alger. Le dey Hussein, dernier souverain de la république d’Alger, commet un affront sur la personne du consul français Deval, à propos d’une créance du juif algérien Bacri. Il refuse de présenter les excuses.
La France fait le blocus d’Alger 1827-1830 sans obtenir les résultats escomptés. C’est la guerre entre la France et Aldjazaier qui chemine. Le plan Boutin, archivé et oublié, est exhumé. Il prévoit une attaque par voie de terre et le débarquement sur la baie de sidi Freiedj. Celui-ci est opéré le 14 juin 1830 par une flotte gigantesque et une armée non moins gigantesque. En vingt jours, Alger l’invincible tombe. Le dey signe sa reddition le 5 juillet suivant. Hadj Ahmed, bey de Constantine, retourne dans sa capitale. Il est contesté par la population. Mais, il triomphe des tribus rebelles et assoit solidement son autorité.
La victoire rapide des armes françaises provoque un monstrueux choc au sein des populations. Alger est occupé, puis Oran le en janvier 1831. Alors, commence le roman national. Abdelkader est proclamé sultan par plusieurs tribus. Il est le fils d’une grande famille chérifienne maraboutique, opposante aux Turcs. Il incarne la résistance arabe, comme il l’affirme sans cesse par opposition au pouvoir ottoman. Il s’impose comme chef de la résistance algérienne, malgré ses compétiteurs qui exercent leur autorité sur la province d’Oran. Il triomphe du général Desmichels qui est obligé de conclure avec lui un traité de paix. Il use de persuasion pour faire adhérer les tribus à son combat ou soumet d’autres par la contrainte, lève l’impôt religieux. La plupart d’entre elles sont armées. Il s’en procure cependant en créant un réseau sûr de livraison via la Libye ou la Grande-Bretagne.
Il se distingue précocement par sa bravoure et ses tactiques dans les batailles, commandées d’abord par son père Mahiedine, un docte en sciences islamiques, puis par lui-même. Il bat le général Trézel à la bataille de la Macta. C’est un désastre militaire français qui est vengé par l’expédition de Mascara par le maréchal Clauzel. Abdelkader n’est pas vaincu. Il tient les troupes du général d’Arlanges assiégées et en proie à une famine extrême. Le général Bugeaud entre en action. Il est chargé de délivrer ces troupes assiégées et de conclure un traité de paix avec Abdelkader. Il bat Abdelkader à la bataille de Sikkak. Abdelkader revient en force. En deux ans de paix, il organise l’État algérien. En 1839, le traité de paix dit de la Tafna est violé. C’est le début de la guerre 1839-1847. Les troupes françaises sur le sol algérien sont de 106 000 hommes. Le général Bugeaud retourne en Algérie. Il est nommé gouverneur général. Il occupe les villes de l’intérieur, soumet les tribus en brûlant leurs moissons, en les pillant, en saccageant leurs demeures. L’année 1847 sonne le glas de l’émir Abdelkader. En décembre, il signe sa reddition négociée. Cependant, ce n’est pas la fin du roman national. Deux ans plus tard, les insurrections reprennent le flambeau du djihad jusqu’à l’an I du 20e siècle qui voit le jour de la révolte de Margueritte.
C’est le passage à vide cruel de cet élan nationaliste qui dure jusqu’en 1926. Alors, le roman national reprend son activisme. C’est la naissance de l’Etoile-Nord-Africaine en France par les émigrés. Elle regroupe les nationalistes des trois pays maghrébins : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie. Ce mouvement prend tôt un chef, Messali Hadj. Il réclame vigoureusement l’indépendance. Les deux pays voisins de l’Algérie s’essoufflent et se retirent de l’Etoile-Nord-Africaine. L’Algérie continue la lutte sous l’impulsion énergique de son chef. Le mouvement élargit sa base militante et découvre que les Algériens sont assoiffés de liberté. Il promet alors et élabore une charte. Ses membres sont mis sous surveillance des Renseignements généraux. Messali joue un rôle fondamental et fait connaître la cause algérienne sur la scène internationale, particulièrement avec le parti communiste et la confédération générale des Travailleurs. Il finit par se détacher progressivement du parti marxiste et s’oriente vers un parti de masse. Il crée en 1936 le parti du peuple algérien dont il précise les fondements et les moyens de la lutte. Il l’organise en forme pyramidale, à la base, les sections et au sommet, la direction. Bientôt, le mouvement est encadré par de jeunes militants instruits et énergiques qui lui donnent un essor extraordinaire et provoquent des inquiétudes aux autorités françaises.
Le parti est strictement surveillé, plusieurs militants sont mis en prison. Puis la Deuxième Guerre mondiale éclate. La France signe l’armistice avec les nazis. Le maréchal Pétain est chef de l’État. Il collabore avec le nazisme, met en prison les opposants à son régime de Vichy, tristement célèbre pour sa traque des juifs et des militants algériens et des communistes français ou algériens. Messali ordonne à ses troupes de condamner le nazisme. Cette politique conforme au parti lui vaut son emprisonnement ainsi que d’autres cadres importants du PPA.
Mai 1945, la fin de la guerre est proche. Le 1° du mois, la CGT organise une grande manifestation des travailleurs aussi bien en France qu’en Algérie. Des heurts se produisent à Alger et Oran entre les manifestants algériens et les services de police qui leur arrachent les banderoles nationalistes. À Alger, deux manifestants sont morts et un autre à Oran. Le 8 mai, c’est la fête de la victoire des Alliés sur le nazisme. C’est un jour sanglant. Des manifestants algériens pacifiques sont violentés : la police tue les Algériens, l’armée tue les Algériens, les milices européennes tuent les Algériens. Le bilan est sinistre, 45 000 morts en l’espace de quelques jours, deux fois plus selon des historiens français. Puis l’insurrection éclate à Guelma. Le cadre du PPA Chadly Mekki, ancien interné au centre de séjours surveillés de Djenien Bourezg, Ainsefra, est dépêché par la direction centrale du Parti pour coordonner les opérations insurrectionnelles.
La nouvelle constitution de 1947 donne quelques droits aux musulmans français, dont celui de vote. Le PPA est dissous par les autorités coloniales. Messal crée un autre parti, le PPA/MTLMD, avec la même charte. L’action violente est presque l’exclusive option. L4OS, l’organisation spéciale, le bras armé du parti, est créé. L’OS mène des actions de commandos. Elle est découverte et dissoute. Puis vient le 14 juillet sanglant à Paris. Des militants marchent avec les communistes, place de la Nation Paris. Ils brandissent des banderoles réclamant la libération de Messali Hadj et l’indépendance. La police leur dresse un barrage sur leur passage, leur arrache les banderoles. Puis, de graves heurts se produisent. La police tue des manifestants algériens pacifiques.
Le roman national algérien ne finit pas. Car de cette matrice naîtra le 1er novembre fatidique et libérateur. Il sera la synthèse de 124 ans de lutte violente, politique, politico-violente. Ce sera le tome II.
Alger est une ville côtière, pluvieuse et tempérée, donc une géographie et un climat prometteurs pour disputer le statut de capitale dans son environnement immédiat. Son ancienneté antique y concourait fortement. En effet, elle est de fondation phénicienne, au 8e siècle avant notre ère. Elle avait reçu de ces intrépides caboteurs de l’île de Tyr le nom d’Icosium. Selon le professeur Jean Cantineau, ce nom est composé par deux mots : I qui signifie île, le second, Kosium qui signifie plusieurs. Lors des démolitions des maisons du quartier de l’ancienne Préfecture, une jarre remplie de monnaie en cuivre et en plomb, d’origine phénicienne, fut découverte. Elle était carthaginoise et elle se gouvernait elle-même par une municipalité. Ce mode d’administration restera employé à l’époque romaine. Puis, à la conquête arabe, elle a été dénommé « Eldjazair », c’est-à-dire le pluriel de l’île. Le roi Bouloughine retiendra ce nom.
Elle n’était pas parvenue à s’imposer comme capitale et cette ambition ne l’avait pas effleurée pendant plusieurs siècles. Alors que Cherchell, qui était juste à côté, était la capitale de la Maurétanie Césarienne. À l’époque musulmane, elle avait été défendue par les Arabes de la plaine de la Mitidja. Ce handicap dérivait de la position géographique de sa baie, difficile pour la navigation dont la rade exiguë protégeait si peu les vaisseaux contre les vents. Pourtant, ses habitants étaient fort industrieux et aisés. Ils faisaient de bonnes affaires avec les Arabes de la plaine et les Kabyles de son environnement. C’étaient des Maures, nom donné aux habitants de la Maurétanie du roi Syphax dont la capitale fut Siga à l’ouest du pays. El Djazair devra attendre le début du seizième siècle pour voir enfin la lumière du tunnel.
Au début du seizième siècle, El Djazaier la paisible sera bouleversée par la reconquête des Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon qui chassèrent les Maures d’Andalousie et entamèrent la conquête de l’Afrique du Nord. Pierre de Navarre, après sa conquête d’Oran et de Mostaganem, occupa El Djazaier en 1510 et y construisit un fort, le Penon. Les habitants en souffraient, la tyrannie, les privations et les exactions de tous genres. Ils firent alors appel au prince Salim Tami de la Mitidja pour les délivrer du joug espagnol. Il échoua dans une première et deuxième tentative. Alors, il fit appel aux frères Barberousse. Aroudj arma quelques bâtiments et mit le voile sur Alger, tandis que son allié Ben Kaddi le rejoignit par voie terrestre à la tête d’une troupe peu nombreuse. Il préféra d’abord délivrer les habitants avant de s’emparer du Penon. Son frère, Kheirdine, qui était resté à Tunis, le rejoignit à la tête d’une troupe de soldats. Il attaqua ensuite le Penon au cours de l’année 1516 dont il fit le siège. Ses canonniers bombardaient le fort pendant vingt jours aux cris de joie des habitants enfin libérés ou presque du joug de l’Espagne. En septembre de la même année, le cardinal Ximenès envoya en renfort des vaisseaux et une armée qui débarqua sur le rivage d’Alger, entra dans la ville sans résistance et se fait détruire par les soldats d’Aroudj embusqués. 3000 Espagnols moururent et 400 autres furent prisonniers.
Baba Aroudj était le roi d’une capitale sans territoire. Il possédait une flottille vigoureuse de 12 galiotes et sa troupe était composée de 1 000 Turcs et plus de cent Maures. Il avait fait le serment de reconquérir pour le roi de Tunis la ville de Bougie qui dépendait de son territoire. Lors de sa première tentative en 1512, un obus lui arracha le bras et il fut emmené à Tunis pour se faire soigner où des chirurgiens venus d’Orient lui implantèrent un autre en argent équipé de ressort. Cependant ses ambitions royales étaient très fortes. Il s’empara juste après sa blessure de Djijelli. Il devait nécessairement conquérir de nouveaux territoires pour se doter d’un royaume fiable qui répondait à ses visions. Puis, il prit possession de Tenès en septembre 1517 après de rudes combats contre les forces du prince de cette ville. Il y reçoit deux notables de la capitale du royaume de Tlemcen qui l’instruisent du fait qu’à la mort du roi Abdallah, le fils usurpa le pouvoir à son oncle et avait fait sa vassalité à l’Espagne. Il marcha donc sur Tlemcen et il livra de furieux combats aux troupes du roi et aux Espagnols. Il mourut en 1518 et son frère Kheirdine lui succéda.
Kheirdine réussira à s’emparer du royaume de Tlemcen, tandis qu’Oran demeurait occupé par les Espagnols. Dix ans de sa vie passés en corsaire intrépide et avisé l’instruisaient que son royaume en formation allait se heurter à l’hostilité des puissantes nations européennes qui menaient des guerres de croisade d’un nouveau genre. Il savait aussi que l’Empire ottoman était leur adversaire très puissant et jouait le rôle de protecteur des musulmans. Il proposa alors au sultan Souleimane le magnifique d’être son vassal avec le titre de Pacha. L’empereur accepta cette offre et le dota d’une importante flotte capable de dissuader toute menace et de croiser en mer avec plus de sécurité et de prises. En 1520, Kheirdine, dénommé désormais Barberousse, soumit les habitants de Collo, puis l’année suivante, il assujettit Constantine qui luttait toujours pour sa liberté contre les rois de Tunis. Puis en 1522, il conquit l’antique Bône. Il mourut en 1548.
Salah Raies, à son tour, continua les conquêtes. En 1552, il soumit Ouargla jusqu’à Alcalaa, territoire voisin du pays des « Nègres1 ». En juin 1553, il arma quarante vaisseaux et sortit en course. Il débarqua à Majorque et s’empara d’un grand butin, puis à la fin du mois de juillet, il croisa cinq frégates portugaises dont il s’en empara après de rudes combats. À bord de l’un des navires se trouvait Muley-Buazon-Le Borgne qui voulait conquérir Fez. Il est fait prisonnier avec vingt Mores de sa suite. Il se dirigea avec sa prise vers le Penon de Velez, cité du royaume chérifien dont le caïd Moussa était gouverneur. Moussa proposa ses services au capitaine-Pacha pour détrôner le roi de Fez. Salah Raies refusa et l’engagea de ne jamais dépasser les montagnes de Moulouya2 qui étaient la frontière entre le Maroc et l’Algérie. Il l’invita à transmettre ces dispositions au roi de Fez.
Trois mois plus tard, un djich de la dynastie des Saadiens attaqua Tlemcen qu’il pilla à grande échelle, profitant de la faiblesse numérique de la garnison turque. L’agression violait la ligne rouge établie par Salah Rayes, qui était la frontière historique entre le Maroc et l’Algérie. Il décida alors de venger ce crime frontalier. Il déclara la guerre au roi de Fez et marcha au début du mois de janvier 1554 à la tête d’un corps d’armée de six mille mousquetaires, mille spahis et il fut rejoint par quatre mille cavaliers maure3s, équipé encore de douze canons. Il emmena avec lui Moulay Abou Hassan le Borgne, son prisonnier. En arrivant à Taza, il trouva le roi de Fez qui l’attendait à la d’une armée de quarante mille cavaliers et autant de fantassins.
Malgré l’inégalité des forces, Salah rayes ouvrit les hostilités. Il triompha de l’ennemi qui subit de grosses pertes et ordonna la retraite qui se fit dans le désordre et la fuite. Il établit une garnison de deux cents Turcs à Taza et marcha sur Fez-Djedid où le roi l’attendait avec de nouvelles et considérables forces qui furent battues une nouvelle fois. Il pourchassa les fugitifs jusqu’à Fez dont il s’en empara. Il intronisa aussitôt Moulay Abou Hassan (le Borgne), nouveau roi contre une fortune évaluée à des centaines de milliers de ducat-or pour lui, ses officiers et ses soldats. Salah Rayes s’empara de Bougie en 1555, après de furieux et violents combats qui durèrent plus de vingt jours contre les Espagnols qui l’occupaient puissamment grâce à leurs fortes places inexpugnables.
Oran et Mers El Kebir
Dans sa lancée de reconquêtes, Salah Rayes demanda au sultan ottoman de lui envoyer une grande flotte pour renforcer la sienne et libérer Oran et Mers El Kebir de l’occupation espagnole. Il obtint satisfaction et après le temps des préparations, il embarqua quatre mille Turcs à bord de trente bâtiments et alla attendre la flotte du sultan en juin 1556 au cap Matifou, à l’est d’Alger. Un malheur le frappa et il mourut de la peste avant d’enclencher les hostilités. Sa flotte découragée revint à Alger. Les officiers craignirent que ce fléau ravageât toute l’armée du sultan ottoman. Hassan Corso lui succéda. Trois jours après, la flotte de renfort arriva à Alger. La reconquête d’Oran fut discutée et décidée. Hassan envoya une galiote pour informer le palais impérial à Constantinople de ces dispositions. Trois jours après la mort de Salah Rayes, l’ensemble de cette armée se dirigea vers Oran. Hassa Corso partit par route avec six mille mousquetaires turcs. En chemin, il réunit à sa troupe mille cavaliers et trente mille fantassins arabes. À douze lieues d’Oran, il fit jonction avec ses troupes et l’artillerie, laquelle était équipée de trente pièces de canon, de fort calibre.
À Oran, Hassan pacha campa avec ses troupes devant la place, ouvrit des tranchées et entama de canonner la garnison dont il avait fait le siège. À sa grande surprise, un envoyé du sultan arriva de Constantinople porteur d’instructions pour le moins illogiques qui lui ordonnaient d’embarquer toutes ses troupes et de le rejoindre à l’île de Malte pour prendre cette place avec ses propres troupes à l’ordre religieux de Saint-Jean.4 Le messager n’était autre que le renégat grec, Ochali. Ce fut une grande déception pour les troupes algériennes qui espéraient prendre facilement la place d’Oran. Leur ressentiment était énorme. Néanmoins, tous obéirent avec amertume aux ordres du sultan. Hassan régna sans difficulté jusqu’au mois de septembre, au moment de l’arrivée de son remplaçant Tchéchéoli désigné par le sultan. Les janissaires et la population exprimèrent leur opposition à son investiture. Mais les capitaines marins l’aidèrent à prendre possession du pouvoir. Le nouveau roi d’Alger fut ainsi intronisé par suite de la haine qui existait entre les Rayes et les Janissaires. Hassan Corso fut exécuté pour désobéissance au sultan au mois de septembre 15565.
L’empire du Maroc
Hassan, fils de Kheirdine, fut nommé pour la deuxième fois pacha d’Alger en 1557 par le sultan Souliman le magnifique. Il partit de Constantinople pour Alger, commandant une flotte de vingt galiotes. Il y arriva en juin. Vite aux affaires, il apprit que le roi Saadien Mouley El Cheikh fit exécuter le roi vassal de la Régence, Mouley Abou Hassan et s’était emparé de Tlemcen. Cette armée marocaine nombreuse composée d’une infanterie et d’une cavalerie pénétra dans la ville et chassa la troupe de 500 cents turcs qui défendaient la garnison. Hassan, qui était au courant des menées expansionnistes du roi du Maroc, alla à sa rencontre avec une armée de six mille Turcs, réunit en chemin seize mille entre fantassins et cavaliers arabes, et envoya par mer à Mostaganem quarante navires, trois mille Turcs, de l’artillerie et de la poudre6. Il donna ordre à sa flotte d’aller l’attendre au port neuf près de Melilla.
Le roi de Fez ne parvenait pas à prendre la Casbah et il fut avisé de l’arrivée toute proche de l’armée d’Hassan qui était à quatre jours de marche de Tlemcen. Il jugea qu’il n’était pas prudent de l’attendre et quitta Tlemcen pour rentrer dans ses états. Au début d’août, il arriva à la périphérie de Fez où le roi l’attendait. La confrontation fit rage. Les deux armées subirent de grosses pertes. L’Armée de Hassan plia face aux assauts massifs et nombreux des armées de Mouley El Cheikh. Après le conseil de ses officiers, elle battit en retraite en bon ordre, sans que l’armée marocaine s’en aperçût, grâce à un stratagème qui consistait à entretenir de grands bûchers qui brûlaient toute la nuit.
La politique expansionniste contre l’Algérie continua sous le règne du roi Moulay Ismail qui avait pourtant conclu un traité de paix avec le gouvernement algérien en 1679. Il marcha sur la province de Tlemcen avec une forte armée en 1692. Le dey hadj Chaabane, qui avait été informé de ce projet, alla l’attendre à la Mloulouya à la tête d’une armée de 10 000 janissaires, 3 000 spahis et 1 contingent de Kabyles Zouaua. Il rencontra l’armée ennemie et la mit en déroute. Le roi laissa 5 000 morts, le dey le poursuivit jusque sous les murs de Fez et une deuxième bataille allait être déclenchée, quand le roi vint faire sa soumission7. Le sultan du Maroc commit une autre agression l’année d’après et ses soldats pillèrent et saccagèrent la tribu des Beni Ameur, dans les environs d’Oran. Après le choc et la surprise, les Beni Ameur lui livrèrent une bataille sanglante et mirent l’armée de l’ennemi en déroute. Malgré les défaites humiliantes subies, le roi perpétuait sa politique d’hostilité contre son voisin. C’est ainsi qu’au printemps de l’an 1701, il laisse Oran en paix et pénétra dans la vallée du Chelif, avec une armée de cinquante mille hommes. Le dey hadj Mustapha l’attendait à Djdiouia et lui infligea une cinglante défaite, dans une bataille furieuse le vingt-huit avril. Moulay Ismail, qui commandait l’expédition, fut blessé et faillit être prisonnier.
Deux années plus tard, le roi du Maroc commit une autre incursion dans la banlieue d’Oran avec une armée nombreuse, évaluée à trente mille hommes. Il se livra à des pillages et saccages contre les nomades. Le bey de Mascara va à sa rencontre avec des soldats turcs, des cavaliers arabes et des fantassins. Il lui infligea une défaite honteuse et les rescapés de son armée furent obligés de fuir dans un désordre significatif. Ce fut un désastre pour les Marocains. Une hostilité gratuite, alors que la Régence d’Alger ne cherchait qu’à vivre en bon voisinage. Pourtant, il ne s’était jamais attaqué à la garnison espagnole qui occupait Oran.
L’empire de l’Espagne
Hassan devait faire face à une autre agression dirigée par l’empire de l’Espagne en 1558. La reprise de Mostaganem par les Algériens demeurait une amertume permanente de ses souverains et un ressentiment avéré, alors que juste à côté, Oran restait sous leur domination. Le comte d’Alcaudète don Martin, général d’Oran, demeurait coincé dans sa garnison enveloppée par les Arabes qui limitaient de vive force l’entrée d’approvisionnement en blé et en bœufs. Il était pratiquement en vraie difficulté de gouverner la ville sans un territoire pour le mouvement de ses troupes. Il résolut d’attaquer Mostaganem. Il convainquit le roi Philipe II pour mener une expédition contre cette ville très défendue par ses habitants et la garnison turque. Il obtint alors douze mille soldats pour la prendre. Les premières troupes arrivèrent au mois de juillet dont les effectifs étaient de sept mille, puis cinq mille autres les rejoignirent en août. Le général mena des razzias au dehors de la ville d’Oran pour s’approvisionner en denrées alimentaires. Comme les vivres de la garnison arrivaient traditionnellement par la mer, il recourait à ce pillage autant de fois qu’il lui était nécessaire, puis il se renfermait dans sa citadelle. Le général Léon Didier cite dans son ouvrage Histoire d’Oran P. Ruff qui commentait cette expédition8 :
En somme, le Gouverneur d’Oran se débattait au milieu des mêmes difficultés. Ne pouvant tenir tout le pays, faute de troupes et d’argent, il en était réduit, après chaque expédition même victorieuse, à se renfermer dans sa forteresse où bientôt l’ennemi venait le harceler.
Puis, le général marcha sur Mostaganem. Les Maures et les Arabes rassemblèrent six mille cavaliers et dix mille fantassins prêts à lui opposer une résistance énergique. Hassan Pacha fut avisé de l’arrivée des troupes espagnoles et sans perdre un instant, il quitta Alger avec un corps d’armée de cinq mille Turcs et Renégats mousquetaires, mille spahis montés et dix canons. Son armée arriva vers le vingt août et fit aussitôt jonction avec les Maures et les Arabes qui défendaient la ville. Le vingt et un, le comte d’Alcaudète arriva avec son armée. Les hostilités commencèrent et la bataille fit rage et prit fin le vingt-huit suivant. C’était la défaite à plat de couture des Espagnols qui subirent un très lourd bilan de plusieurs milliers de morts et douze mille prisonniers. Hassan pacha enregistra une victoire éclatante. Il rentra à Alger avec son armée emmenant avec eux, les captifs espagnols. Son règne dura de juin 1557 jusqu’à septembre 1561.
Une troisième fois, la prospérité auréola Hassane, fils de Kheirdine, du titre de pacha. Il fut en effet nommé pacha à Alger où il arriva au début de septembre 1562, venant de Constantinople où il attendait une nouvelle opportunité. Il commandait une flottille de dix galères que lui avait offertes le grand Vizir, pour prévenir toute révolte contre ce choix, d’autant que la volonté d’Alger s’enracinait pour accéder à son autonomie par rapport au royaume ottoman. Mais le nouveau roi était estimé de tous : janissaires, rayes, populations arabes, Maures et Kabyles.
Deuxième campagne contre Mers El Kebir et Oran
Hassane, roi d’Alger, entreprit aussitôt les préparatifs logistiques de mener une expédition contre Oran et Mers El Kebir, sans rien dire à personne. Il partit le 5 février avec une grande armée dont les effectifs étaient de quinze mille mousquetaires, mille spahis, neuf mille cavaliers entre Maures et Arabes, en plus de mille cavaliers envoyés par son beau-père, le roi de Koukou. Il envoya par mer trente-deux galères ou galiotes chargées d’artillerie, de munitions, d’approvisionnements, ainsi que trois caravelles françaises chargées de biscuit, farine, beurre, huile et autres comestibles, et plusieurs barils chargés de poudre9. Il se mit en route le cinq février 1563, laissa quelques bataillons à la Macta et arriva le trois avril devant Oran. Il campa avec son armée à Ras El Ayen et installa aussitôt deux batteries devant la Tour des Saints. Le gouverneur était toujours, le comte d’Alcaudète, tandis que son frère commandait Mers El Kebir. Les deux places ne pouvaient pas résister aux forces d’Hassan pacha. Elles attendaient une grande flotte en secours envoyée d’Espagne qui affronta une tempête en mer et dont une grande partie avait coulé dont le vaisseau amiral, commandé par Don Juan de Mendoza. La Tour des Saints fut emportée. C’était un haut fait d’armes.
Hassan se dirigea aussitôt sur Mers El Kebir. Il envoya un parlementaire au commandant du fort, Don Martin, de rendre la place, lequel refusa. Puis la canonnade commença, fit une brèche à la muraille que tentèrent d’escalader les soldats algériens. Deux assauts furent infructueux et se soldèrent par des pertes au moment d’escalader les murailles. Les tempêtes retardèrent aussi l’arrivée de la flotte algérienne qui chargeait les batteries de siège. Les bâtiments arrivèrent, mouillèrent aux Aiguillades, débarquèrent le canon, et le feu commença par terre et par mer depuis le quatre jusqu’au six avril. Les Espagnols reçurent des secours d’Oran. Les assauts et les tentatives d’escalader la muraille se poursuivirent pendant deux mois et quatre jours, contre une forteresse puissante et bien défendue. L’armée algérienne s’était épuisée et comptait beaucoup de morts et de blessés. Le moral de ses troupes était entamé. Hassan pacha sut par ses espions qu’André Doria était en vue en mer avec ses cinquante galères et des milliers de soldats. Cette flotte essaya de cerner la flotte algérienne qui réussit à mettre le voile sur Alger. Au bout de rage et de désespoir, Hassan dut battre en retraite en bon ordre et il a pu ainsi limiter les pertes. Il rentra à Alger où sévissait la peste.
Hassan resta presque deux ans à renforcer sa flotte, réorganiser et renforcer ses troupes. Au mois de mars 1565, il reçut une lettre du grand sultan Souliman le magnifique qui lui enjoignait de mettre à voile pour Malte et se joindre à sa propre flotte pour prendre cette île forteresse. Hassan s’y rendit avec vingt-huit galères et une troupe de trois mille10 Turcs les mieux aguerris et expérimentés. Il se conduisit bravement. Souliman enregistra encore un échec cuisant et ses armées regagnèrent leurs ports d’attache. Il nomma Hassan amiral. Celui-ci mourut en 1570 et fut enterré à Constantinople près du tombeau de son feu père.
Prise d’Oran et Mers El Kebir
L’enjeu restait la possession de la ville d’Oran, desservie par son propre port et celui de Mers El Kebir, sur la Méditerranée. À elle seule, elle devait parachever l’unité du territoire du Maghreb central, l’Algérie. Elle avait joué un grand rôle économique avant son occupation par l’empire espagnol, avec la France, en particulier avec la ville de Marseille, et aussi avec l’Espagne, avant le déclin de l’Andalousie musulmane. Elle avait aussi une situation stratégique, du fait de sa proximité avec le détroit de Gibraltar qui lui donnait accès à l’océan Atlantique. Au temps du royaume des Zianide, elle était une province florissante qui comptait vingt-cinq mille habitants, essentiellement marins. Ces avantages géopolitiques n’avaient pas échappé aux gouvernements successifs de la république d’Alger. Il fallait coûte que coûte lui redonner sa fonction vitale.
Les attaques contre les bastions espagnols ne cessèrent pas depuis les expéditions du seizième siècle et depuis 1680, elles redoublèrent d’intensité. Le dey Bektach envoya une forte armée en 1707 à l’ouest dont il confia le commandement à son beau-frère Ouzoun Hassan. Le bey de la province de l’ouest, Bouchelagham, transféra depuis deux ans la capitale de l’Ouest de Mazouna à Mascara11. Il enveloppait les possessions espagnoles et avait soumis la puissante tribu Beni Ameur et d’autres tribus qui étaient tributaires de l’Espagne.
Les troupes du dey Bektach et du bey Bouchlagham se réunirent au début d’août, firent une tranchée devant le fort Saint-Philippe et l’artillerie commença à le canonner. Il fut pris le neuf août, puis repris le quinze septembre par les Espagnols, puis pris définitivement par les Algériens le premier novembre. La ville fut évacuée par les Espagnols, dès les débuts de janvier mille sept cent huit. La garnison et les habitants se réfugièrent à Mers El Kebir. Hassan, le beau-frère du dey, fit le siège de cette dernière place qu’il investit et la réduisit à une famine. Elle se rendit le trois avril. Hassan Ouzoun rentra à Alger le vingt-six mai, emmenant avec lui deux mille prisonniers, dont deux cents officiers ou chevaliers de Malte. Ce fut une joie immense suivie par de grandes réjouissances des populations du Maghreb central. Le bey Bouchlagham transféra le siège de la province à Oran.
La perte d’Oran et de Mers El Kebir créait un sentiment d’impuissance et de désarroi pour l’Espagne qui y était pourtant solidement installée et qui y comptait plusieurs milliers de ressortissants et de soldats. Cette terrible défaite créait un sentiment de vengeance impossible à oublier. Le roi d’Espagne, Philippe V, ordonna à son gouvernement de reprendre les deux places. Ainsi, il aura fallu trois ans de préparatifs avant l’expédition. Une grande flotte était réunie le douze juin 1732 au port d’Alicante12. Elle était formée par douze vaisseaux, deux frégates, deux galiotes et cinq cents bâtiments de transport qui transportaient, outre les vivres, l’artillerie et les munitions, trente mille hommes. Elle parut le 29 juin devant la côte oranaise. La bataille s’engagea le 30 juin avec une furie incroyable. Le bey d’Oran avait sous ses ordres deux mille Coulougli, quarante mille auxiliaires algériens, dont un corps marocain, commandé par le Renégat, Riperda. Les Espagnols avaient emporté la victoire après de durs et sanglants combats, avant l’arrivée des renforts de la milice qui venaient d’Alger, sous le commandement du fils du dey. Le bey perdit son fils au combat et le vengea. Il tua le marquis de Santa Cruz et un grand nombre d’Espagnols. Il fait le siège d’Oran qui dura jusqu’en été de l’année 1735. Oran et Mers El Kebir tombaient le premier juillet aux mains des Espagnols.
Le bey d’Oran n’était pas pour autant vaincu. Il entreprit hardiment de faire un blocus très serré sur la ville d’Oran qu’il tenait étroitement bloqué. La garnison espagnole ne pouvait se hasarder à sortir pour ses approvisionnements en vivres et en bétail en campagne. Les tribus furent interdites de les approvisionner, sous peine de représailles. Bouchlagham entreprit même une attaque furieuse le 12 mars 1734 aux Fontaines. Au mois de mai, une colonne marocaine de trente mille hommes13 parut devant les remparts d’Oran. Elle fut battue et repoussée. Elle dut se replier derrière Oujda. Ces tentatives de reprendre Oran échouèrent. Cependant, le siège cernait très étroitement Oran. Les assiégeants neutralisaient les entrées et les sorties.
Oran, un enjeu espagnol
Les dépenses de garnison et d’entretien des troupes coûtaient énormément au Trésor du royaume de l’Espagne, sans en tirer le moindre profit. Les habitants algériens avaient déserté Oran pour émigrer vers d’autres villes, telles que Mostaganem, Mascara, Tlemcen. En clair les forts espagnols étaient dans une grande prison, à la merci des Algériens. C’était une situation humiliante pour l’Espagne qui ne parvenait pas à récolter les fruits de sa victoire. Le blocus demeurait des années et voyait se succéder les beys de la province d’Oran. Les Espagnols ne pouvaient pas le forcer, au risque évident de mourir par les balles des Algériens. Leur approvisionnement demeurait une vraie équation insoluble. L’assurer par la mer était aussi à risque, les capitaines-marins algériens croisaient et capturaient souvent des bâtiments espagnols, tout comme ils ravageaient les côtes espagnoles.
L’Espagne vint à deux alternatives guerrières qui consistaient à détruire Alger ou à le soumettre. Elle s’armait pour mener une grande expédition, dès les premiers mois de l’année 1775. Le dey d’Alger, Mohamed, était au courant de ces préparatifs. Lui aussi se préparait. Il fortifiait les forts Alger, renforçait la côte de batteries, engageait les trois beys à fournir des renforts le moment venu, faisait proclamer le Djihad par les marabouts confrériques.
Première expédition
Le roi Charles III réunit son armada à Carthagène. Elle était formée de six grands vaisseaux, quatorze frégates, vingt-quatre corvettes ou galiotes à bombes, trois cent quarante-quatre bâtiments14 qui transportaient vingt-deux mille six cents soldats et cent pièces de siège ou de campagne. L’armée était sous les ordres du lieutenant-général O’Reilly, la flotte était sous le commandement de Don Pedro Castejon. Pour l’auteur Hamet Ismail, l’effectif des troupes d’Espagne approchait vingt-cinq mille soldats.15
Cette gigantesque expédition de conquête partit le 23 juin 1775 de Carthagène et arriva le 1er juillet devant la côte d’Alger, laquelle était armée de batteries. Le débarquement de cette armada se fit le 8 juillet sur la plage, à l’ouest d’El Harrache, tandis que les vaisseaux le couvraient par un feu nourri. Les Algériens les attendaient avec une brave détermination et une force importante. Le corps d’armée était évalué à trente-cinq mille hommes16, composé de milice et essentiellement de contingents d’Arabes, de Maures et de Kabyles Zouaoua, venus des trois provinces. L’artillerie était bien installée sur la côte. Aussitôt la riposte des Algériens fut prompte et meurtrière. Certains canonnaient les agresseurs, d’autres, embusqués derrière les dunes, les battaient de balles. En moins de cinq heures, 195 officiers et 2088 hommes furent tués ou mis hors de combat. L’armée espagnole était en déroute et son général O’Reilly dut se rembarquer aussitôt après cette défaite humiliante. Le rembarquement de cette flotte battue se termina le 8 juillet.
Deuxième expédition
Le roi Charles III vécut très mal la défaite cinglante. Il cherchait à conclure un traité de paix et il armait en même temps une expédition contre Alger dont le dey était parfaitement au courant et il refusa dans cette perspective la médiation du sultan ottoman. Le roi mit à exécution sa résolution et une flotte partit de Carthagène le 13 juillet 1783, sous le commandement de Don Antonio Barcelo. Elle était formée de quatre vaisseaux de ligne, six frégates, douze chebeks, trois cutters, dix ou onze petits bâtiments et quarante chaloupes canonnières ou bombardes. La flotte arriva en rade d’Alger le 29 du même mois et le 1er août, à trois heures de l’après-midi, elle ouvrit le feu très nourri. Cependant les Algériens avaient opposé des canons, quelques bombardes, vingt galiotes ou chaloupes qui obligeaient les Espagnols à rester à distance de leurs feux vifs. Il y eut plusieurs attaques espagnoles successives dont chacune durait environ une heure. Le 9 du même mois, la flotte ennemie mit à voile.
Les pertes en vie humaine des Espagnols ne sont pas connues, encore moins pour les vaisseaux. Différents auteurs européens occultent ce fait, alors que les chaloupes canonnières des Algériens bombardaient les vaisseaux espagnols au péril de leur vie. Ils avaient ainsi tenu à distance la flotte ennemie.
Les dégâts matériels dans la ville furent importants. De nombreuses maisons avaient été très endommagées. Les pertes en vies humaines ne dépassaient pas cent, selon Henri de Grammont. Aussitôt, les travaux de remise en état commencèrent. Des esclaves et quelques milliers de contingents, venus en renfort de Médéa, d’Oran et de Constantine, montraient un zèle significatif pour nettoyer les rues des débris de matériaux et reconstruire les maisons qui avaient été détruites. Sur le plan militaire des actions ont été prises : une batterie blindée à l’épreuve des bombardes a été construite sur un écueil, dite La Petite Voûte ; l’entrée du port était protégée par des radeaux armés de mortiers, la Suède, la Hollande et le sultan ottoman avaient livré des munitions.
Les espions algériens avaient informé le dey de la nouvelle croisade qui se préparait contre l’Algérie, qui était bénie par le Pape Pie VI. L’Espagne réunit cent trente bâtiments qui avaient mis à voile le 28 juin 1784 et parut devant Alger le 9 juillet suivant. Le commandant de l’expédition était Don Antonio Barcelo qui ne retrouvait plus les traces de sa première attaque. La flotte de guerre se composait de vingt-six vaisseaux, trente bombardes, vingt-quatre canonnières et vingt et une galiotes17.
La bataille fut engagée le 12 juillet à huit heures du matin. Les canonnières algériennes sortirent bravement à demi-portée de canon et forcèrent les vaisseaux espagnols à se retirer. Les feux cessèrent pendant deux jours en raison de l’état mauvais de la mer. Puis le 15, les capitaines algériens attaquèrent les premiers et restèrent encore maîtres du champ de bataille. De combats de moindre intensité furent livrés toujours en mer jusqu’au dix-neuf. Le vingt-et-un, soixante chaloupes algériennes sortirent du port à huit heures du matin et engagèrent un combat sanglant qui se termina à leur avantage. Deux mille projectiles furent brûlés de chaque côté. Au soir de cette journée, un conseil de guerre de l’armada espagnole se réunit et décida le retour de sa flotte en Espagne qui mit à voile deux jours après.
Ce fut une cuisante défaite pour cette croisade bénie par le Pape, alors que cette flotte avait brûlé sans aucun intérêt des feux immenses : trois mille cent soixante-dix-neuf bombes, dix- mille-six-cent-quatre-vingts boulets, deux- mille-cent-quarante-cinq grenades, quatre cent une boîtes à mitraille18.
L’Espagne essuyait des revers à chaque expédition contre Alger qui restait au fil des siècles une place forte imprenable dont l’invincibilité relevait du courage de ses hommes et de leur génie marin. Son nouveau désastre lui générait une impopularité singulière. Le prestige de son roi était entamé et son armée n’était plus fière d’elle-même. Devant l’impossibilité de concrétiser leur projet de conquête ou de destruction d’Alger s’imposa un autre choix irrémédiable, celui de conclure la paix avec Alger. Cependant, leur guerre perdue ne pouvait pas peser lourd sur le déroulement des négociations pour parvenir à une solution politique.
Le prétendu abandon d’Oran par l’Espagne
Le désastre de la flotte gigantesque d’Espagne, soutenue par le Pape, contraignit le roi Charles III à chercher à conclure la paix avec le gouvernement algérien : le comte d’Expilly, suivi de l’amiral Mazarredo, se présenta le 5 juin 1785 au dey Mohamed pour trouver un arrangement. Les négociations furent âpres et durèrent une année. Du côté algérien, il y eut très peu de flexibilité : ni le Gouvernement ni la population ne voulaient conclure de paix avec l’Espagne, nation qualifiée d’ennemi héréditaire. Enfin, le 14 juin 1786, le traité de paix fut signé et ratifié le 10 juillet suivant. L’Espagne versa vingt millions.19 De plus, le traité stipulait l’abandon d’Oran et de Mers El Kebir par l’Espagne. Charles IV succéda à son père et entama de nouvelles négociations dont le traité fut signé le 9 décembre 1791, lequel stipulait l’abandon de Mers El Kebir et d’Oran, en laissant les fortifications à l’état sans versement de l’indemnité de guerre que réclamait le bey d’Oran Mohamed El Kebir. Le Gouvernement algérien négociait en position de force. Il savait que l’Espagne devait abandonner ses possessions qui lui coûtaient chaque année quatre millions et un millier d’hommes.20
Le tremblement de terre d’Oran en pleines négociations
Le bey Mohamed El Kebir resserrait chaque jour davantage le siège de la ville et menait des assauts rapprochés qui lui permirent d’ouvrir des brèches pour l’entrée de ses troupes et mener la bataille décisive pour forcer l’Espagne à évacuer Oran. Un séisme vint aggraver la situation le 8 et le 9 octobre 1790 à une heure du matin21 et amena peut-être les deux parties à user de souplesse dans les négociations. Le tremblement de terre d’une extrême violence dura trois minutes avec deux secousses aussi violentes. Il dévasta la ville de fond en comble. Il renversa les maisons, les monuments publics, les églises, les cinq forts de la garnison. Les victimes, estimées à plus de trois mille, gisaient sous les décombres. Henri de Grammont cite des actes de pillage, néanmoins limités et commis exclusivement par des brigands.
Cinquante mille Algériens se trouvèrent réunis autour de la ville.22 L’auteur, Ismaïl Hamet, ne dit pas davantage sur leur présence. Tout porte à croire que ces contingents étaient convoqués par le bey Mohamed El Kebir pour un assaut général massif pour s’emparer d’Oran. Les combats furent engagés quelques jours après le séisme. Les troupes de la garnison, estimées à cinq ou six mille hommes23, résistèrent vaillamment. Elles reçurent d’importants renforts venus d’Espagne. La bataille fut acharnée. Puis une suspension d’armes fut décidée. Le roi Charles IV engagea des pourparlers avec le dey. Un traité de paix fut conclu et ratifié par le roi. Il stipulait : les fortifications restaient en l’état, l’Espagne ne payait pas l’indemnité de guerre, l’évacuation de la ville se ferait dans un délai de six mois.24
Avec la prise définitive actée d’Oran et de Mers El Kebir, l’unité du territoire algérien se trouvait parachevée. Les gouvernements algériens successifs s’étaient préoccupés d’unifier un immense territoire, dès les débuts de la fondation de cette nouvelle nation que les chercheurs et historiens imputent à l’Empire ottoman, alors que ce nouvel État avait accédé tôt à son autonomie. Le fait même que douze mille Turcs en formaient la force de frappe, il n’en demeure pas moins que les Algériens mobilisés sur terre ou sur mer se chiffraient à des centaines de milliers, sans lesquels aucune victoire n’eût été possible. Ces Algériens étaient partout aux côtés de la milice turque qui atteignait rarement vingt mille hommes. L’auteur Albert Devoulx réfute carrément que l’Espagne eût abandonné Oran aux Algériens. La ville et ses fortifications ont été prises, les armes à la main.25
Ces gouvernements étaient parvenus à unifier un vaste territoire formé par l’ancien royaume de Tlemcen (les deux provinces de Bejaia et de Constantine qui dépendaient de la Régence de Tunis, les principautés d’Ouargla et de Touggourt), soumis par les tribus du Tell, des Hauts-Plateaux, du Sahara au pouvoir central. Ils avaient libéré des places fortes du joug de l’Espagne et repoussé toutes ses tentatives de conquête. Ils avaient constitué une autorité centrale et de ce fait, ils avaient soumis les tribus ou les principautés indépendantes du Tell, des Hauts-Plateaux, du Sahara. Ils avaient fixé par traités les frontières avec le Maroc et la Tunisie. S’agissant du Sahara, les Turcs avaient poussé leurs incursions jusqu’à Ain Chair, au Maroc. Ils s’étaient en outre emparés de Figuig et d’Oujda. Au-delà des Hauts-Plateaux, la grande tribu maraboutique des Ouled Sidi Cheikh exerçait leur autorité jusqu’au Mali et au Niger, pays limitrophes de l’Algérie.
Le tracé du territoire commence au Nord-ouest par la Moulouya (oued frontalier avec le Maroc) et finit au Nord-est par le cap Roux, frontière avec la Tunisie. Quant au Sahara, l’autorité du pouvoir central était reconnue jusque dans les oasis du Touat au Sud-ouest et au sud de Ouargla jusqu’à la frontière des deux pays subsahariens. Néanmoins, la frontière avec le Maroc a été sujette à des conflits. C’est ainsi qu’elle a été, selon les périodes, reculée dans les terres intérieures de ce pays ou avancée dans les terres de l’Algérie. C’est la fameuse rivière Moulouya dont l’historique suivant permet d’en assimiler la question.
La Moulouya est une rivière qui se jette dans la méditerranée, longue de plus de quatre cents kilomètres. Son nom originel était la Mulcha. Selon Strabon, cité par Stéphane Gsell, elle était la frontière entre le pays des Maures et des Massaeyles :
Ce vaste pays, formé par la Maurétanie Césarienne et la Numidie, est nettement plus élevé sur le plan de la civilisation qui avait donné de puissants royaumes et qui traitait avec les grands empires de Rome et de Carthage. Ils avaient également tôt intégré l’agriculture, l’artisanat, les lettres, la médecine, l’écriture libyque. Il a été aussi un carrefour des civilisations comme cela fut la vocation de la Méditerranée qui avait drainé des migrations importantes de populations qualitatives.
Ceci nous amène à disqualifier certaines prétentions françaises, quant à la création de l’Algérie et de la fixation de ses frontières. Le nom de la capitale « Alger » en arabe « Al Jazair » a été étendu au temps des Turcs à tout le pays qui était appelé depuis la conquête islamique « Al Moghreb Al Awoussat », soit le Maghreb central. Il en était de même pour la capitale Marrakech dont le nom a été étendu par les Espagnols au royaume dit « Al Moghreb Alaksa », soit le Maghreb extrême qu’ils avaient dénommé « Morrocco ». L’allégation de certains penseurs et politiciens français, dont le maréchal Soult en 1837, que l’Algérie est de création française26 est purement négative et attentatoire à une nation dont la naissance remonte à deux ou trois siècles avant notre ère.
Les Grecs dont la civilisation était nettement en avance sur les autres peuples du pourtour de la Méditerranée identifiaient les autres nations par rapport à leur identité propre, comme des « étrangers ». Le terme qu’ils employaient était « Barbarus ». Ils donnèrent ce nom aux habitants de l’Afrique du Nord. Ce nom prit le nom de Barbarie pour ce vaste pays de la Cyrénaïque à l’est jusqu’à l’océan atlantique à l’ouest et les habitants comme « Barbares ». Il faut dire que ce terme était dédaigneux et désignait un état d’infériorité dans lequel étaient catégorisés les habitants de cette Afrique du Nord.