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Sur une île touristique éloignée, Philippe Boismorin, âgé de six ans, est accueilli par le Club des Petits Dauphins, pendant ses vacances avec son père. Des événements inattendus l’amènent sur une petite île inhabitée du Pacifique. Il s’y trouve livré à lui-même, avec sept petits enfants plus jeunes que lui qu’il décide de prendre en charge. Dès lors, ils doivent apprendre à survivre, en entretenant leur feu, en pêchant, et en affrontant de nombreux dangers, y compris la venue de redoutables pirates. Ensemble, malgré leurs moyens limités, ils vivent des aventures épiques et pleines de mystère, et rencontrent même un jour les vrais dauphins.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Fasciné par l’action et la nature,
Yves Terrasse cumule les expériences : instructeur de planeur, plongeur sous-marin parcourant les mers du globe. Son cheminement entre l’action et la réflexion intellectuelle de sa profession d’avocat l’a finalement conduit à l’écriture. Ses romans trouvent leur source dans ses voyages, ses compétences et ses rencontres dont sont inspirés ses personnages.
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Yves Terrasse
L’île des dauphins
Roman
© Lys Bleu Éditions – Yves Terrasse
ISBN : 979-10-422-3204-7
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Pour Philippe Boismorin, l’aventure commença de manière particulièrement anodine. Sa tante Sophie, la sœur de son père, qu’il aimait beaucoup, l’accueillait fréquemment depuis que sa mère n’était plus là, et lui témoignait autant d’affection qu’à chacun de ses trois enfants. Philippe était âgé alors de cinq ans et demi, mais ses trois cousins étaient bien plus petits que lui ; trois ans, deux ans, et un bébé. Vu la différence d’âge, ces trois enfants ne l’intéressaient en général pas beaucoup. Seule l’aînée, Babeth, pouvait parfois jouer avec lui. Cependant, ce mercredi, après le repas de midi qu’il prenait chez ses oncle et tante, se produisit un événement inhabituel. Après un appel téléphonique, sa tante se montra tout affolée.
— Mon Dieu, Philippe, ton oncle a eu un accident, il est aux urgences, on me dit que ce n’est pas grave, mais il faut absolument que j’y aille tout de suite. Je prends Nicolas, et te confie Babeth et Florian.
— Tonton a eu un accident ?
— Oui. Il faut que je le voie. Écoute, je ferme la cuisine, et tu les surveilles. Tu sauras faire ?
— Qu’est-ce que je dois faire ?
— Tu vois, Philippe, les grands doivent s’occuper des petits. Alors tu vas jouer avec eux dans le salon, jusqu’à ce que je revienne.
— D’accord.
Philippe se retrouva ainsi, pour quelques heures, en charge de deux de ses cousins. Il prit sa mission au sérieux, comprenant fort bien qu’en l’absence de leur mère, ils ne pouvaient rester seuls. Ils firent des constructions avec des cubes que Florian renversait ensuite à grands coups de pieds, puis ils recommençaient un empilement plus haut. Ce fut plutôt amusant.
Au bout d’un moment Florian s’endormit par terre, et quand sa mère fut de retour, Philippe faisait paisiblement parcourir un livre d’images à sa cousine. Il fut félicité, et rassuré sur le sort de son oncle. Ensuite sa tante lui expliqua qu’on doit le soir donner le bain aux petits enfants, ce qui fut fait, puis leur donner à manger, et il participa activement à l’opération consistant à nourrir son cousin Nicolas cuillère par cuillère. Enfin il aida à les coucher, puis son père vint le chercher.
— Philippe s’est occupé de mes petits comme une vraie nounou.
— C’est sûrement sa vocation, plaisanta son père.
Philippe était un enfant sympathique, mais assez peu communicatif. Il s’était refermé sur lui depuis le décès de sa mère, trois ans avant. À l’école, il restait à l’écart, et se montrait craintif et passif. Il traversait la cour de récréation avec appréhension, et ce n’est que tardivement qu’il avait quand même noué des relations amicales avec certains de ses camarades. Un ami de son père l’avait même qualifié « d’un peu autiste ». André, son père, en avait été offusqué, et avait fait remarquer que son fils n’était pas si attardé que cela. Il avait certes appris à lire d’abord difficilement, et en retard par rapport à ses camarades, mais il s’était finalement rattrapé, et il lisait plus aisément à présent que la plupart des enfants de son âge, éprouvant du plaisir à se plonger seul dans un ouvrage destiné aux enfants, pour en admirer les images, mais aussi pour lire et comprendre l’histoire.
Il ne lui était donc pas a priori naturel de s’occuper des autres, mais précisément comme il avait une certaine crainte des enfants de son âge, et encore plus des enfants plus âgés, les petits le rassuraient. Il n’avait rien à craindre d’eux, et même pouvait exercer sur eux un certain ascendant. De ce fait, dans les mois qui suivirent, alors qu’antérieurement, il en restait à l’écart, il s’occupa volontiers de ses cousins, et il s’en montra très fier.
Sa tante prit l’habitude de lui demander de surveiller et distraire ses petits, remarquant qu’il avait de plus sur eux un véritable effet calmant. Philippe qui d’ordinaire se satisfaisait de la solitude en venait à regretter de ne pas avoir de petit frère ou de petite sœur bien à lui.
Le jour de son sixième anniversaire fut une grande fête. Philippe demeurait avec son père dans la maison qu’avaient fait construire ses parents, dans un petit village drômois. La maison était vaste, car André et son épouse avaient espéré plusieurs enfants, mais un drame avait mis un terme à cet espoir.
Ainsi, pour cet anniversaire, alors que la maison était d’ordinaire peu animée, outre son père, ses grands-parents, ses deux oncles, ses deux tantes, et ses cinq cousins étaient là. Il souffla les bougies d’un gros gâteau, et s’en régala avec les autres convives.
— Six ans, déjà, Philippe, te voilà un grand garçon maintenant, lui dit son oncle Jean Paul, celui qui avait eu un accident. Tiens, voilà notre cadeau. Il paraît que tu aimes les livres.
— Merci tonton.
Il ouvrit le paquet sans attendre. C’était en effet un beau livre, avec des illustrations, qui pesait un bon poids entre ses mains. Il déchiffra le titre.
— L’ÎLE AU TRÉSOR. Ça a l’air long, comme livre.
— C’est vrai, mais tu auras le temps de le lire en vacances.
— Mon frère a raison, dit André, dans quinze jours, on part en vacances, et là, repos. Un peu d’avion aussi.
— Ce sera le premier voyage pour Philippe, remarqua sa tante Sophie.
— En effet, mais pas le dernier, je pense.
— On va où ?
— Sur une île, mais une grande île. On sera dans un hôtel près de la mer, avec plusieurs piscines, dans un club de vacances qui accueille beaucoup de français. Il y a des activités pour les enfants, des jeux, et plein de belles choses à voir. Il y a même un volcan, tu verras.
— C’est quoi, un volcan ?
— C’est une sorte de montagne pointue, et en haut, il y a un grand trou dont parfois il sort de la fumée.
Cette description succincte le laissa rêveur.
— Là-bas, reprit son père, les fonds marins et les poissons sont magnifiques, et, à ce sujet, voilà mon cadeau.
Le paquet était léger, mais volumineux. Philippe l’ouvrit impatiemment. Il en sortit des palmes, un masque et un tuba.
— Ho, c’est quoi ?
— On met le masque sur la figure, le tuba dans la bouche pour respirer, et les palmes aux pieds, et avec ça, on peut voir les poissons, et avancer sur l’eau, et même sous l’eau.
— Comme, comme, un cachalot.
— Oui, mais en plus petit.
— Ça va être super. Je peux essayer ?
— Où ?
— Dans la baignoire.
— Oui, ou plutôt non, Il vaut mieux attendre les vacances.
— D’ailleurs, reprit Jean-Paul, il n’y a pas de poissons tropicaux dans la baignoire.
Au jour prévu, André et son petit garçon embarquèrent pour un long vol qui les fit parcourir une bonne partie de la planète, et après un changement pour un plus petit avion, ils arrivèrent à destination. L’hôtel avait tout le confort et tous les agréments des grands établissements, chambres confortables, piscines, plusieurs bars, buffet à volonté, spectacles le soir, et la première semaine fut un enchantement.
André était généralement avec son fils, à la plage ou à la piscine, pour toutes sortes d’activités ludiques. En compagnie de son père, l’enfant put admirer des poissons aux couleurs et formes incroyables, près des rochers bordant la plage, à quelques mètres des baigneurs, nageant autour d’eux sans qu’ils s’en doutent.
Parfois Philippe était laissé au club des petits, qui s’appelait Les Petits Dauphins, ou en compagnie d’autres enfants, il était initié à des jeux souvent aquatiques, ou des sports nouveaux pour lui, pendant que son père retrouvait des amis à l’aéro-club local. Comme aux autres enfants, on lui offrit une casquette rouge à l’emblème du club, avec un beau dauphin bleu et blanc dessus, et chacun des enfants était très fier de sa casquette sur laquelle était inscrite en grosses lettres bleues « PETIT DAUPHIN ».
André Boismorin, ingénieur aéronautique de métier, était pilote amateur, et disposait de qualifications internationales lui permettant de louer des avions légers même en dehors de France, et ce voyage était l’occasion pour lui de retrouver des amis partageant sa passion. C’est d’ailleurs au cours d’un vol avec son camarade Alain Lemaire qu’il eut ses premières inquiétudes. À l’évidence, le volcan qui dominait l’île, d’ordinaire calme, crachait un panache de fumée inhabituel.
— Tu savais, toi, dit Alain, que le Pakamobo s’est réveillé ?
— Non, à ma connaissance, la dernière éruption remonte aux années cinquante.
— Bon, ça n’a pas l’air trop méchant. À la Réunion, les éruptions sont fréquentes, et ça n’a jamais fait pire que de couper quelques routes.
— Sûrement. Il faudra se renseigner. Le service météo doit être au courant. J’aimerais bien montrer ça à mon fils. Demain, je lui proposerais.
Le soir, le père et le fils mangèrent paisiblement au restaurant de l’hôtel, à côté d’une piscine. On pouvait avoir du dessert à volonté, et Philippe dévorait à grands coups de cuillère sa deuxième part de gâteau au chocolat.
— Si tu veux, demain matin, je t’amène en avion voir le volcan Pakamobo.
— Ha oui, merci papa.
— Ne mange pas si vite, si tu es malade, pas d’avion.
— Bon, juste encore un petit morceau.
Le lendemain, Philippe fut attaché à l’arrière du piper, sur un gros coussin, à côté de Madame Lemaire, Alain et André occupant les places pilote. Philippe aimait bien l’instant où on sent l’avion vibrer de plus en plus vite, jusqu’au moment excitant où cette vibration cesse, et où on voit le sol s’éloigner, les maisons se réduire, et le paysage s’agrandir. L’avion prit de l’altitude au-dessus de la mer, puis fit un large virage à droite.
Le volcan Pakamobo était bien là, au centre de l’île, crachant de la fumée dans le ciel. Philippe fut impressionné. C’était beau, mais aussi menaçant. Cette fumée grise lui faisait un peu peur. Il remarqua qu’il y avait un cratère principal au sommet, comme le lui avait expliqué son père, mais que la fumée s’échappait plus bas, d’un cratère plus petit, qui se trouvait du côté de la ville et de l’aérodrome, séparé cependant par une vaste forêt, des champs cultivés, et des habitations. Il se dit que cette distance devait protéger les vacanciers, comme son père et lui, de tout danger. Il aurait voulu poser des questions, mais le bruit du moteur l’empêcha de commenter ce qu’il voyait et d’entendre la conversation des pilotes.
— Il y plus de fumée qu’hier, constata son père.
— C’est vrai. Pourtant les autorités n’ont pas l’air inquiètes. Il paraît que ça va se calmer en quelques jours.
— Pour l’instant, ça ne se calme pas, on fait le tour ?
— À distance prudente, ils firent un tour complet du volcan. Philippe trouva vraiment très belle l’île entourée de la mer très bleue. Il en oublia le volcan. Enfin, ils revinrent se poser. Les adultes se dirent qu’ils seraient de retour en France dans moins d’une semaine, et que cette éruption ne les concernerait plus.
L’après-midi, ils se promenèrent paisiblement sur le port.
— Regarde Philippe, ces pécheurs ont attrapé tous ces poissons dans leurs filets.
— C’est quoi les filets ?
— C’est ça, les pêcheurs jettent leur filet à la mer, et les poissons se prennent dedans, il n’y a plus qu’à ramener le filet, et les poissons avec.
— Les pauvres poissons.
— C’est vrai, mais beaucoup de gens vivent de la pêche, et nous, on est bien content d’en manger, et puis les poissons les plus malins s’échappent.
Philippe regarda tout cela avec intérêt, puis admit qu’il aimait bien manger du poisson. André prenait beaucoup de plaisir à expliquer à son fils tout ce qu’ils pouvaient rencontrer dans leurs pérégrinations. Ensemble, ils étaient heureux et en confiance.
Ils dînèrent le soir paisiblement.
— Dis papa, pourquoi la fumée du volcan Pakamobo, elle ne sort pas par le sommet ?
— C’est bien observé. On m’a expliqué qu’il s’est ouvert un cratère secondaire totalement nouveau, par lequel le volcan crache toute cette fumée. Tu sais, je ne sais pas si on ne va pas devoir écourter notre séjour. Beaucoup de vacanciers sont inquiets, et moi aussi.
— Ha zut !
— Nous verrons demain.
Au matin, Philippe fut laissé au club des Petits Dauphins, tandis que son père allait aux nouvelles, au terrain d’aviation. Il avait pris avec lui son livre qu’il n’avait pas encore eu le temps et la curiosité de commencer, dans un sachet en papier, et le cadeau de son père, dans un sac de toile. Il connaissait déjà certains enfants pour les avoir déjà vus les jours précédents. Parmi les plus jeunes que lui, il avait remarqué Kevin et sa petite sœur ; deux beaux enfants blonds aux yeux bleus, car Kevin était toujours un des plus actifs dans les jeux, et ils avaient parfois échangé un sourire en se relançant un ballon.
Alors que les enfants jouaient, des grondements de plus en plus forts se firent entendre. Les animatrices étaient manifestement inquiètes. L’inquiétude redoubla quand une sorte de neige se mit à tomber du ciel, et à tout recouvrir. Les enfants cessèrent de jouer, et Philippe se rendit compte que les gens quittaient l’hôtel, emportant leurs bagages. De nombreux parents étaient venus chercher leurs enfants. Il se dit que son père allait sûrement venir le chercher lui aussi. Au bout d’un moment, un Monsieur qui était le directeur de l’hôtel, accompagné d’un policier, arriva en courant.
— Mesdemoiselles, on évacue les enfants vers l’aéroport, le car vous attend à la sortie.
En fait, toute une foule de vacanciers prenait d’assaut un bus, déjà chargé à ras bord. Philippe, déjà près de la portière, vit le petit Kevin emporté dans le bus par le flot des voyageurs, mais il l’entendit aussitôt protester bruyamment, et le vit redescendre en passant entre les jambes des adultes. Il alla chercher sa petite sœur, mais quand il voulut remonter, le car était bondé, et les deux enfants se retrouvèrent sur le trottoir, au côté de Philippe qui ne savait trop que faire. Le bus s’éloigna sans plus embarquer personne, les quelques adultes restants s’entassèrent avec leurs propres enfants dans un taxi qui disparut à son tour, mais un groupe de huit jeunes enfants des Petits Dauphins, dont Philippe, s’était réfugié sur les marches de la grande entrée, avec deux animatrices. L’une d’elles courut vers le directeur qui arrivait.
— Monsieur, le car est parti, il était plein, et j’ai encore huit petits enfants.
— Bon, je vais chercher ma voiture.
Tous, adultes et enfants, se serrèrent à l’abri de la cendre qui tombait, sous le grand porche de l’hôtel Un bon moment passa, et on y voyait de moins en moins, tandis que les grondements étaient de plus en plus forts.
Enfin, une grosse voiture noire arriva.
— On ne pourra pas tous entrer, Monsieur le Directeur.
— Mais si, ils sont tout petits. Vous deux à l’avant avec un des petits, le reste à l’arrière.
Les enfants furent donc entassés sur la banquette arrière, les plus petits sur les genoux des plus grands, puis la voiture démarra. Elle progressait au ralenti. Heureusement le directeur connaissait bien sa route. Progressivement, le paysage s’éclaircit, et au bout d’une heure, l’auto arriva à l’aéroport. Philippe espérait voir son père, mais il fut entraîné avec le petit groupe dans l’aérogare. À nouveau, ce fut un moment d’attente. Autour, cela s’agitait beaucoup, et Philippe n’y comprenait rien. Il entendit cependant le directeur converser à proximité.
— Mais, est-ce que c’est vraiment dangereux ?
— Vous savez ce que c’est une nuée ardente, si elle descend, on y passe tous, ce sera un nouveau Pompéi.
— D’accord, il faudrait au moins évacuer ces gamins qui sont à des clients de mon hôtel. Il ne reste pas un avion ?
— Si, je crois, venez.
Les deux hommes s’éloignèrent, des enfants, puis après une nouvelle attente, on vint les chercher. On les fit courir au long des hangars, jusqu’à un petit avion monomoteur, et on les regroupa devant la portière. Là, le directeur de l’hôtel leur donna des instructions :
— Écoutez, les enfants, le Monsieur pilote qui est ici, il va vous amener hors de danger dans son avion. Vous retrouverez vos parents après, allez, embarquez.
Les autres enfants étaient tous plus jeunes que Philippe, ils pleuraient et appelaient leurs parents. Le pilote qui s’affairait autour de l’avion les rejoignit, puis les fit monter un à un en les soulevant. Il installa les sept plus jeunes sur les deux banquettes arrière, et Philippe à la place avant, il les attacha, puis il leur dit.
— Maintenant, ne bougez plus, je mets vos bagages dans les filets.
Il mit les quelques affaires qu’ils emportaient dans les filets à bagage. Philippe était ainsi à l’avant à côté du pilote, et les sept autres sur les deux banquettes arrière, certains sanglés ensemble par les ceintures de sécurité. Énervé par leurs pleurs et leurs cris, le pilote se tourna vers Philippe.
— Occupe-toi des petits, dis-leur de se calmer.
Philippe hésita un instant. Il fallait donc qu’il s’occupe des petits qui avaient peur de l’avion ? Il se tourna vers eux, et cria :
— Le monsieur pilote, il va conduire l’avion, faut pas avoir peur.
— Le monsieur pilote, il va conduire l’avion, répéta un petit garçon.
Le pilote, pour sa part, était en train de déployer des cartes sur ses genoux tout en cherchant à obtenir des instructions de la tour de contrôle, ou l’on était manifestement dépassé par la situation. Quand il eut enfin obtenu une destination, il se replongea un moment dans ses cartes, mais les cendres commençaient à tomber sur l’aéroport, et on le pressa de décoller. Il démarra le moteur, roula vers l’entrée de piste, s’aligna, et décolla.
Dès le départ, ce vol commença mal, le panache de cendre était tel, que quand l’avion voulut prendre sa direction, il pénétra à l’intérieur, le moteur hoqueta, le pilote vira précipitamment en piqué, et revint en arrière. Se trouvant à nouveau dans un ciel clair, il mit le pilote automatique, et se replongea dans ses cartes. Il essaya de joindre la tour de contrôle, mais le contact était haché, et il ne parvint pas à converser. Il arrêta donc une nouvelle destination, prit son cap, et remit le pilote automatique.
Le temps passa, l’avion ronronnait régulièrement. Philippe contemplait une mer vide, les petits enfants à l’arrière s’étaient endormis. À un moment, des pyramides de nuages apparurent devant. Le pilote reprit les commandes. Il fallut encore se dérouter pour éviter les orages. La nuit arriva, et on voyait des éclairs illuminer le ciel. L’avion était secoué, et parfois la pluie battait la verrière. Philippe se rendait bien compte que le pilote avait des difficultés, il jurait, cherchait des contacts radio, consultait ses cartes à la faible lueur du plafonnier, et tapotait la jauge à essence.
À présent, la nuit était totale, illuminée parfois par les seuls éclairs des orages. À un moment, ils virent sous l’avion une terre, brièvement éclairée par la foudre, puis un moment après, la mer à nouveau. La jauge à essence était à zéro. Le pilote consulta son compas, et fit faire un demi-tour complet à l’avion. Philippe comprit qu’il voulait retrouver la terre. Dans un éclair, ils l’aperçurent devant eux, puis le moteur hoqueta et coupa. Le pilote mit l’avion en léger piqué pour conserver de la vitesse. On ne voyait rien, on n’entendait que le sifflement de l’air, la pluie qui frappait la verrière, et le tonnerre parfois.
— Baissez-vous les enfants, baissez-vous !
L’instant d’après, il y eut un énorme fracas. Philippe, qui s’était recroquevillé sur son siège, se sentit bousculé sur le côté et il eut l’impression de tournoyer, puis il y eut à nouveau un bruit de déchirement et de cassure, accompagné d’un grand choc douloureux, et le silence se fit. Il se redressa difficilement, car il était tout endolori, et des branches se trouvaient au-dessus de lui, avec de la tôle déchirée. Il sentait quelque chose de chaud sur lui. Il regarda du côté du pilote, et il le vit, à la lueur d’un éclair. Il poussa un hurlement de terreur, la tête du pilote avait été fracassée, et c’est de son sang que Philippe était en partie éclaboussé.
À tâtons, Il détacha sa ceinture, passa entre les deux sièges, vit à la lueur d’un nouvel éclair qu’il n’y avait plus de portière. Il sortit précipitamment et courut en aveugle. Il se trouva sous une pluie tiède et battante qui tombait comme une douche. Trempé, et n’y voyant rien, il s’arrêta, et il enleva ses vêtements souillés, ne gardant que son maillot de bain, repartit en courant, heurta une racine, et tomba par terre. Il y resta un moment, à sentir sur lui la pluie chaude. Cela lui fit du bien.
Au bout d’un moment, il réalisa qu’il entendait, déjà assez loin, des cris plaintifs, et il comprit que les petits étaient restés dans l’avion. Il ne bougea pas, pensant que certainement, des adultes allaient arriver, et prendre les choses en mains, et il ne voulait surtout pas retourner à cet avion, après l’horrible vision qu’il avait eue du pilote. Du temps passa, et la pluie tomba moins fort. Les pleurs et les appels s’étaient affaiblis, mais persistaient. Manifestement aucun adulte n’était encore arrivé. Surmontant sa répulsion, Philippe retourna à l’épave, guidé par les plaintes des petits.
À l’intérieur, on entendait pleurer, et crier « maman, maman ». À nouveau, il fut tenté de fuir, mais il se sentait seul, et il ressentait que la compagnie des petits lui ferait du bien. Il se décida enfin, passa par l’ouverture, et avança à tâtons. Il toucha d’abord une jambe, et remonta jusqu’à une ceinture de sécurité, qu’il parvint à défaire.
— Allez, viens avec moi. Il tira un bras, et extrait Kevin de l’avion. Les autres s’étaient mis à appeler de plus belle, ayant compris que quelqu’un était venu.
— Attendez, je vais vous détacher.
Bien qu’une grosse branche ait arraché sur l’avant le haut de l’habitacle, les sept enfants étaient presque indemnes, ayant été protégés par leur petite taille, et les ceintures de sécurité. Tous n’avaient que quelques contusions et des égratignures. Toujours en tâtonnant et en commençant par les plus accessibles, il les libéra de leurs ceintures, les tira à l’extérieur, et ils se retrouvèrent au complet, dehors sous la pluie. Ils se regroupèrent sous un gros arbre aperçu à la lueur d’un éclair. Progressivement, ils se calmèrent, puis s’endormirent serrés les uns contre les autres, quand la pluie cessa.
Philippe se réveilla à la lueur du jour naissant. Il se leva et regarda l’avion sans s’en approcher. Une aile avait été totalement arrachée lors du choc initial avec un gros arbre, et elle restait accrochée verticalement. Ce choc avait fait pivoter l’avion, qui avait terminé sa course en marche arrière. En se séparant du fuselage, l’aile gauche avait démantibulé la base de la cabine, détachant en partie les sièges passagers, qui par chance avaient quand même tenu, préservant les petits. Le haut de l’habitacle était à moitié arraché, une grosse branche étant passée en travers du pare-brise, celle qui avait tué le pilote. L’hélice était partie, et sa casserole gisait au sol, de même que la portière. La dérive était également tordue. Divers morceaux traînaient autour.
— Le Monsieur pilote est mort, et son avion aussi, se dit Philippe.
Il était encore traumatisé par ce qui était arrivé, et il s’éloigna dans la direction qui lui parut la plus claire. À un moment, il entendit le ressac de la mer, et peu après, il arriva à une grande plage de sable en bordure de forêt. Il s’avança vers l’eau, puis s’assit, avec les vagues qui venaient lui lécher les orteils. Au bout d’un moment, il regarda attentivement autour de lui, mais il n’y avait personne, alors qu’il aurait dû y avoir, à son avis, des vacanciers avec des parasols et des serviettes de bain. Ne voyant ni adulte, ni même enfant, il réfléchit, et décida de rejoindre les petits.
Il aurait eu du mal à retrouver l’épave, s’il n’avait été à nouveau guidé par des cris et des pleurs. Les sept petits à leur réveil avaient voulu demander de l’aide au pilote, et l’avaient trouvé à moitié affalé sur le siège de droite, la tête n’ayant plus rien d’humain. Ils avaient hurlé de terreur et s’étaient enfuis. Philippe les retrouva, pleurant sous un arbre, d’autant plus fort que tous étaient contusionnés, et plusieurs avaient des coupures qui avaient dû saigner. Les petits connaissaient Philippe au moins de vue, et ils furent apaisés de le voir arriver. Pour eux, c’était un grand, à défaut d’un adulte, alors qu’en fait, Philippe n’était encore qu’un petit enfant.
— Je veux ma maman, fit un petit garçon.
— Venez avec moi à la plage, comme ça on verra arriver nos parents.
Un peu apaisés, ils le suivirent, certains se tenant par la main. Une fois à la plage, ils se retrouvèrent en plein soleil, car elle faisait face au sud. Philippe avisa à quelques centaines de mètres à sa droite un arbre énorme, dont l’ombre s’étendait sur une grande surface. Il y conduisit ses compagnons. Un petit ruisseau coulait à proximité, et il alla y boire. Certains enfants l’imitèrent, mais d’autres ne savaient pas comment s’y prendre, et ils restèrent à regarder l’eau sans savoir quoi faire.
L’après-midi s’écoula, personne ne vint, il se remit à pleuvoir, et la nuit tomba. Ils dormirent tant bien que mal. Au matin, ils avaient tous très faim et soif parfois. Les plus jeunes se remirent à pleurer et à appeler leurs parents, et bientôt, tous en faisaient autant.
Philippe n’en pouvait plus de supporter les gémissements et les pleurs de ses cadets. Il ressentait le désir d’un peu de solitude, et il décida de partir dans la forêt, dans l’espoir de trouver quelqu’un qui le ramènerait à son père. Il s’avança sous les frondaisons. La forêt était dense, faite d’arbres parfois très grands et couverts de lianes. On entendait les chants des oiseaux, et des cris mystérieux. L’atmosphère était lourde et moite. Il semblait que personne ne venait jamais ici, il n’y avait ni sentier ni chemin, et la progression n’était pas facile, si bien qu’il décida de suivre le ruisseau.
À un moment il trouva un bassin naturel dans lequel il se trempa les pieds, puis il quitta le ruisseau pour remonter la pente à sa gauche. Il arriva très vite à une barrière rocheuse, d’environ trois mètres de hauteur, sur une faible pente boisée. Sur plusieurs mètres de longueur, il y avait une faille horizontale dans la roche, si bien qu’il existait ainsi un espace protégé d’environ un mètre cinquante de profondeur, dans sa partie la plus profonde, sur une hauteur d’environ un mètre, se prolongeant sur plusieurs mètres de part et d’autre en se rétrécissant. Il y pénétra, il s’assit, et il constata qu’il avait ainsi un toit sur la tête. Il se dit qu’il y avait là un abri naturel qui pourrait être bien utile si la pluie revenait, et qu’il suffirait de le nettoyer pour pouvoir même y dormir. Il redescendit vers le ruisseau, le traversa et continua à se frayer un chemin dans la végétation. Au bout d’un moment, il arriva à l’épave de l’avion.
Devant ce spectacle sinistre, à la pensée du pilote encore dedans, il resta immobile un moment, revint sur ses pas vers le ruisseau, puis il s’enfonça plus avant dans la forêt. La faim le tenaillait, et il énumérait machinalement par la pensée, les frites, le chocolat, les glaces, les gâteaux, le gratin, le poisson frit, les bonbons, le poulet, les crêpes à la confiture. Tout cela se bousculait dans son esprit.
À un moment il s’arrêta. Quelque chose à sa droite avait attiré son attention. Parmi d’autres plantes, il y avait un arbre pas très haut, doté des larges feuilles, avec, proches du sommet, des choses jaunes en grappes, de petite taille. Il regarda avec attention. On dirait des bananes, se dit-il, mais en plus petit. Ce sont peut-être des petites bananes ? Il n’y croyait pas. Des bananes, ce serait trop beau, se dit-il. Il faut que j’aille voir. Il entreprit d’escalader l’arbuste. L’accès était difficile. Il put s’aider des branches d’un arbre voisin, et enfin il parvint à toucher un des fruits, à le tirer, et redescendre avec.
Les bananes qu’il connaissait étaient beaucoup plus longues, et il avait encore un doute, il l’éplucha, et mordit dedans. Que c’était bon ! En trois bouchées, il avait tout avalé. Vite une autre. Il grimpa à nouveau, ramena une banane et la mangea aussitôt. Après la cinquième, il s’assit et réfléchit. La chose lui apparut évidente, puisqu’il devait s’occuper des petits, il fallait donc leur donner à manger des bananes. C’était à lui, le plus grand de s’occuper des petits Il s’essaya à imaginer la scène. Il leur apporte des bananes, ils les mangent, et ils restent sur la plage à attendre. Ce n’est pas la bonne solution. Il faut une maison pour dormir quand on a mangé. Et de fil en aiguille il se dit qu’il fallait installer une sorte de chambre. Si je leur donne des bananes, et c’est tout, ils ne feront rien, alors je vais faire comme Tatan, quand elle me dit : mange ta soupe si tu veux voir la télévision, ils auront les bananes quand ils feront ce que j’ai dit. D’abord, il me faut d’autres bananes, et je les cacherai, pour les donner après.
Il grimpa à nouveau, et réussit à en prélever une trentaine. Après un moment de réflexion, il arracha une grande feuille du bananier, et y rangea sa récolte, puis il revint chargé à la grotte en suivant d’abord le cours du ruisseau. Il passa par-derrière, et il se retrouva au-dessus de la grotte, sur le surplomb. Il posa les bananes au pied d’un arbre, et les dissimula sous des feuilles. Ensuite, il réfléchit. Pour faire comme une maison pour nous, se dit-il, il faut qu’on ait nos affaires, qui sont restées dans l’avion, et puis je veux avoir mon livre que m’a donné tonton, et le cadeau de papa. Résolu, il retourna vers l’avion, dont il situait à présent plus facilement l’emplacement par rapport au ruisseau. Ayant refait le trajet, il s’arrêta longtemps devant l’épave. Allez Philippe, se dit-il, il faut absolument prendre nos affaires dans cet avion.
Lors de l’accident, la portière avait été arrachée, et gisait à quelques mètres. Il lui fut donc aisé de pénétrer dans la carlingue. Il se mit debout sur les sièges, et il préleva tout ce qui se trouvait dans les filets porte-bagages qui étaient fixés de part et d’autre de l’habitacle, et le déposa dehors. Il se rappelait qu’à l’avant, il y avait notamment la gourde du pilote, un gobelet, une sacoche, et quelques autres objets dans le vide-poche. Il n’avait vraiment pas envie de s’approcher du pilote, mais il convoitait très fort ces objets, surtout la gourde.
Il hésita un moment, et se décider lui demanda un effort considérable. Surtout, se dit-il, il ne fallait pas qu’il porte les yeux sur le pilote. Il se glissa entre les deux sièges, et s’assit là où il se trouvait pendant le vol. Frénétiquement il attrapa tout ce qui était à sa portée, et jeta le tout derrière lui, puis il revint sur les banquettes-passager, et jeta les objets dehors, puis il sortit, soulagé d’avoir fini, et il regroupa l’ensemble à une bonne distance de l’épave.
Il regarda ce qu’il avait ainsi récupéré. Il y avait son masque de plongée avec le tuba et les palmes, divers magazines, qui étaient destinés à distraire les passagers, son livre, une sacoche, contenant le livre de bord et des cartes, le carnet de vol, et les lunettes de vue du pilote, ses lunettes de soleil, sa casquette, une gourde et un gobelet, un paquet de cigarettes entamé, un briquet, une boîte d’allumettes, quelques vêtements, un nounours, une poupée, plusieurs casquettes dont la sienne, et deux serviettes de bain, au total, pas grand-chose. Il n’y avait pas même un couteau, et rien à manger.
Il y avait cependant une boîte marquée d’une croix rouge, que le choc avait détachée d’un montant de la cabine, et projetée devant le siège avant droit. Il l’ouvrit, et reconnut une petite pharmacie, similaire à celle qui se trouvait dans la salle de bains de sa maison. Cet objet avait quelque chose de rassurant. Il referma soigneusement la boîte.
Il chercha ses vêtements qu’il avait jetés dans la nuit, et ne les retrouva pas, mais n’y attacha pas une grande importance, car il faisait très chaud. Se déplacer dans la forêt n’était pas facile, si bien que ces pérégrinations avaient occupé la plus grande partie de la journée, et il était temps de retourner à la plage, mais il commença par aller au bassin, se laver et remplir la gourde. Il en avait à présent la conviction, il fallait qu’il s’occupe des autres enfants, et sans tarder, puisqu’on le lui avait demandé. Il se rappelait les paroles de sa tante. Les enfants, il faut leur donner à manger, leur donner le bain, puis les coucher. Voilà ce qu’il fallait faire !
Il les trouva assis ou couchés, regroupés sous les mêmes grands arbres en bordure de la plage, l’air plus ou moins désespéré, et ayant visiblement beaucoup pleuré pour certains. Il allait falloir les faire bouger. Il était le plus grand, il devait y arriver. Grâce à la gourde et au gobelet, il put commencer par désaltérer ceux qui n’avaient pas réussi à boire par eux même, puis il fit preuve d’autorité.
— Debout tous, allez, levez-vous, alignez-vous là, à l’ombre de l’arbre. Moi je m’appelle Philippe, et j’ai six ans, et vous, comment vous vous appelez, et vous avez quel âge ?
Après un moment de confusion, ils répondirent chacun à leur tour.
— Je m’appelle Kevin, fit l’enfant aux beaux cheveux blonds, aux yeux bleu clair, et à l’air décidé, qui était le plus grand de la troupe, et que Philippe connaissait déjà ; j’ai quatre ans et demi.
— Lisa répondit une petite fille aux cheveux châtains, j’ai quatre ans.
— Olivier, quatre ans, se présenta un garçonnet à la coiffure et aux yeux sombres.
— Julie fit timidement une petite blonde, et j’ai quatre ans comme Olivier.
— Je suis Thibaud et j’ai trois ans énonça un petit garçon fluet aux cheveux frisés, d’une toute petite voix.
— Moi c’est Chloée, j’ai trois ans aussi. Elle était aussi blonde que Kevin, avec les mêmes yeux bleus.
— C’est Antonin, moi, fit enfin le plus petit de tous, et je sais pas.
— C’est mon petit frère, fit remarquer Lisa, il a trois ans.
Comme sa sœur Lisa, Antonin avait les cheveux en bataille, et de bonnes joues émaillées de taches de rousseur.
— Chloée est ma petite sœur, précisa Kevin, elle a aussi trois ans, je crois.
Philippe était ému. Il avait bien conscience de n’être encore lui-même qu’un petit enfant, mais ceux-là, à l’évidence, étaient encore bien plus petits que lui, ils avaient à peu près l’âge de ses cousins d’ailleurs. Comment allait-il faire ? Il reprit.
— Bon, on va tous aller chercher nos affaires à l’avion.
Il y eut un recul général.
— Non, je veux pas, hurla Antonin, et il se mit à pleurer, imité par Chloée et Thibaud. Il fallait réagir.
— Silence, vous tous. J’ai sorti nos affaires de l’avion. Il n’y a qu’à les prendre, et les porter là où on va dormir ce soir, et là vous aurez une surprise. Allez en route, Kevin, tu es le plus grand, tu passes en dernier, pour qu’il ne reste personne derrière.
Subjugués, et alléchés par la promesse d’une surprise, les enfants se mirent en route. Il est vrai, ce qui était une chance pour Philippe, que tous les huit se connaissaient déjà un peu, pour avoir séjourné et joué au Club des Petits Dauphins, et il existait déjà au moins entre les sept petits une certaine familiarité. Ils cheminèrent en file indienne, et il fallut retrouver l’avion, ce qui était moins facile, sans passer par le ruisseau. Une fois sur place, ils n’osèrent pas l’approcher, mais récupérèrent leurs biens.
— Y a ma poupée, s’exclama Julie, en la ramassant puis la serrant dans ses bras. Elle s’appelle Margritte.
C’était une jolie poupée, bien habillée d’une petite robe et d’une chemise colorées, qui avait l’air tranquille et confiante.
— C’est Micky, c’est Micky, s’exclama Antonin, en récupérant un beau nounours souriant, habillé d’une veste rouge.
— Très bien, garde-le. On va aussi prendre des morceaux de l’avion, on en aura besoin. Il ramassa et distribua des morceaux de métal provenant du haut de la cabine qui avait éclaté lors du choc avec l’arbre, et il prit lui-même la casserole d’hélice, qui était tombée du nez de l’avion lors du choc. Ensuite, chacun dut reconnaître sa casquette, et à défaut de reconnaissance sûre, chacun en mit une sur la tête, puisqu’aucune ne manquait, et il y avait même en plus, celle du pilote.
— Et la surprise, gémit Chloée ?
— Bientôt, c’est promis, suivez-moi, je vais vous montrer ou on pourra dormir à l’abri de la pluie. Ça sera notre maison en attendant nos parents, et là, vous aurez votre surprise.
Transportant leurs quelques affaires et tout ce que Philippe avait sorti de l’avion, la petite troupe, qui se doutait que la surprise serait alimentaire, suivit Philippe qui, après des détours divers, retrouva le ruisseau qui les mena à proximité de l’abri. Il demanda aux sept enfants de s’asseoir devant, et de l’attendre pour recevoir la surprise. Il monta derrière le rocher, compta sept bananes, et redescendit.
— Voilà la surprise. Une banane pour Chloée, une pour Antonin…
Chacun eut la sienne. Les bananes furent promptement épluchées, puis avalées. Il leur servit aussi de l’eau fraîche tirée de la gourde, dans le gobelet trouvé dans l’avion.
— Bien, maintenant pour qu’on puisse dormir ici, il faut enlever tout ça.
Il désigna tous les débris végétaux accumulés sous le surplomb. Faites comme moi, enlevez vos vêtements, sinon ils seront trop sales, après.
Les enfants rechignèrent, mais ils se mirent au travail quand Philippe leur promit une autre banane. Tous les huit s’activèrent, et bientôt, cela ressembla à un jeu. Ils jetèrent la végétation, puis raclèrent la terre, là où l’abri était le plus profond, dégageant un espace assez vaste pour les accueillir. Le soir approchait et la lumière baissait.
— Maintenant, on va se laver.
— Et les bananes ? réclama Olivier.
— On les mangera après. Maintenant, c’est l’heure du bain. Allez, suivez-moi.
À quelques dizaines de mètres, il existait en effet dans le cours du ruisseau une retenue naturelle, profonde d’une cinquantaine de centimètres, ou s’était déjà baigné Philippe, et ils s’y lavèrent tous ensemble, puis, ils coururent vers leur abri, Philippe leur fit passer une serviette, et les aida à se sécher. Ensuite il remonta au-dessus de l’abri, mit de côté huit bananes pour le petit déjeuner, et descendit le reste. Il donna une banane à chacun et en mangea une lui-même.
— Bon, il en reste quatre. Qu’est-ce que je fais ?
— Pour moi, pour moi, firent les enfants.
Kevin avait déjà du bon sens, et était habitué à partager avec sa sœur. Il conseilla de les couper, ce qui fut fait. Un morceau de métal servit de couteau. Une moitié pour chacun. Un peu rassasiés, ils étendirent leurs vêtements dans leur abri, et installèrent à une extrémité l’ours Micky et la poupée Margritte. Philippe veilla à mettre également à l’abri son livre, la sacoche du pilote, la trousse de secours, et les journaux rapportés de l’avion. La nuit était tombée. Ils se serrèrent les uns contre les autres. Pour la première fois depuis l’accident, le monde leur parut moins hostile.
— Bonne nuit, fit Philippe.
— Bonne nuit, fit Kevin.
— Tout le monde doit dire bonne nuit, reprit Philippe.
— Chacun à son tour souhaita bonne nuit, et bientôt tous dormaient.
Philippe fut réveillé par un cri perçant, suivi de pleurs. Malgré l’obscurité, il comprit que c’était Thibaud qui avait crié, et qui à présent pleurait, imité ensuite par Julie.
— Qu’est-ce qu’il y a Thibaud ?
— J’ai vu un Monsieur, sans bouche et sans yeux, il voulait m’attraper avec de grandes mains.
— Moi aussi, j’ai vu un monsieur comme ça, dit Julie, j’ai peur.
— Moi j’ai vu qu’on tombait dans le noir, dit Lisa, j’ai peur aussi, il fait tout noir ici.
— Oui, il faut de la lumière, ajouta Olivier, j’ai peur dans le noir.
Philippe réfléchit :
— Ma Tatan appelle ça des cauchemars. Mais là, ils sont partis. C’est vrai qu’on n’a pas de lumière, c’est comme ça, mais moi je suis là, et puis il y a aussi, Micky et la poupée Margritte qui vont faire partir les cauchemars, Hein Micky ? Il changea de voix, et ajouta, moi Micky, et la poupée Margritte, on va faire peur à tous les cauchemars, alors dormez bien. Il reprit sa voix ordinaire.
— Vous avez entendu, si vous avez encore un cauchemar, vous vous réveillez, et ils seront là pour faire partir le cauchemar. Allez, bonne nuit.
Le fait est qu’aucun des enfants n’eut plus de cauchemar cette nuit-là.
Au matin, il pleuvait. Ils s’éveillèrent un à un, puis restèrent serrés dans leur abri, jusqu’à ce que Philippe ait le courage, poussé lui-même par la faim, d’aller chercher de l’eau avec la gourde, et les bananes restantes, qu’il distribua. Ils échangèrent quelques paroles.
— Mon papa et ma maman, est-ce qu’ils vont bientôt venir ? interrogea Antonin.
— Je crois, répondit Philippe, peu sûr de lui. Ils vont sûrement venir en bateau avec mon papa.
— Ou en hélicoptère, remarqua Olivier.
— Peut-être, mais ici, il y a trop d’arbres, on ne peut pas nous voir du ciel. Comme il pleut moins, on va aller à la plage, et on va attendre.
Ils rejoignirent la plage alors que le soleil était de retour, et attendirent, silencieux sous le grand arbre, scrutant le ciel et l’horizon, jusqu’à ce que Lisa mette fin à ce mutisme.
— J’ai faim.
Tous avaient faim.
— Est-ce que tu as encore des bananes Philippe ?
— Non Kevin, on a tout mangé.
— Il faut aller en chercher d’autres, on t’attend.
— Ho là, pas question, on y va tous, compris ? Allez, plus vite que ça.
Ce fut leur première expédition banane.
Ils partirent en file indienne, et quand ils eurent repéré des fruits mûrs, Philippe mit Antonin sur ses épaules, et il attrapa les premières bananes, puis tous se démenèrent selon leurs moyens pour poursuivre la cueillette. Philippe avait l’esprit ordonné. Pour lui, il n’était pas concevable de manger ailleurs qu’à leur maison. D’autorité, il rassembla la récolte dans des feuilles de bananier et, suivi des sept petits, impatients, il transporta le tout jusqu’à l’abri, où il fit une distribution équitable.
Ils mangèrent en silence, car ils avaient très faim, puis d’un commun accord, retournèrent à la plage. Philippe avait eu le temps de s’intéresser à ce qu’il avait ramené de l’avion. Il se munit de son masque de plongée, du tuba, et des palmes.
— Je vais aller dans la mer, commenta-t-il. Suivi de Kevin et Olivier, il rejoignit un rocher, s’équipa comme son père le lui avait appris à le faire, près de la piscine de l’hôtel, et entra prudemment dans l’eau. Il s’étala à la surface, respirant par le tuba, et regarda sous lui. Là, à portée de la main, nageaient en quantité des poissons colorés comme des bijoux. Des formations coralliennes aux formes fantastiques s’accrochaient aux rochers avec une telle abondance que le sol sous-marin n’était pas discernable. Il en avait le cœur battant. Il palma lentement le long du rocher, ne cessant de découvrir des splendeurs. Ce n’est que quand il fut à l’aplomb de la plage, qu’il arriva au-dessus d’un fond sablonneux. Il en profita pour revenir vers le rivage, et sortir de l’eau.
— Alors, qu’est-ce que t’as vu, demanda Kevin ?
— J’ai vu plein de poissons, de toutes les couleurs.
— Ha oui, on pourrait en manger.
— Heu, tu crois ? Ils ne doivent pas être faciles à attraper.
Il réfléchit, et reprit :
— C’est vrai que si on reste ici plusieurs jours, on va en avoir marre de ne manger que des bananes. Je vais essayer.
Il retourna dans l’eau, palma vers le rocher, et essaya de saisir des poissons, ce qui échoua évidemment. Il ressortit dépité.
— Ils vont trop vite.
— Il n’y a rien d’autre à manger interrogea Olivier ?
— J’ai vu des coquillages, d’ailleurs on en voit ici, accrochés sur le rocher. Il me semble que les coquillages, ça se mange.
— Ha oui, j’ai mangé des moules frites, déjà. Il y a peut-être des moules ?
— Ou des frites, renchérit Kevin.
— Ça, non. Mais on va essayer de prendre des coquillages.
Cependant, malgré plusieurs tentatives, ils n’y arrivèrent pas.
— Il faudrait un couteau, ou peut-être qu’un morceau de l’avion ça pourrait faire. Venez.
Suivi des deux garçons, il courut à leur campement, et ils revinrent tous trois équipés d’un morceau de métal. Cette agitation avait attiré l’attention des autres enfants, qui les rejoignirent vers les rochers. Effectivement, ils parvinrent à récupérer des coquillages, ils les brisèrent avec des pierres, mais le contenu ne paraissait guère mangeable. Ils s’assirent dépités. Kevin reprit :
— Les frites, on les cuit, alors les coquillages aussi.
— Tu as raison, mais on n’a pas de feu.
— On n’a plus qu’à chercher des bananes pour ce soir, conclut Olivier.
Ils y retournèrent donc. Ils étaient affairés à leur tâche, quand le bruit caractéristique d’un avion se fit entendre. Il volait bas, et ils l’aperçurent brièvement à travers les feuillages, se dirigeant vers l’intérieur de l’île. Abandonnant leur occupation, les enfants se ruèrent dans la direction de l’avion, en poussant des cris. On est là, on est là ! Ils comprirent quelques minutes après que l’avion repassait, mais sans qu’ils puissent le voir. Ils coururent à nouveau, mais cette fois dans l’autre sens. Le bimoteur fit plusieurs passages au-dessus de l’île, puis on entendit le bruit s’éloigner, et le silence revint. Ils restèrent immobiles quelques instants, tendant vainement l’oreille.
— Il ne nous a pas vus, commenta Philippe.
Olivier perdit soudainement son calme.
— Je veux rentrer chez moi, je veux mon papa et ma maman, je veux partir d’ici !
Il se mit à crier, à pousser des hurlements puis à donner des coups de pied dans ce qui était à sa portée, y compris à Philippe qui tentait de le calmer. Ensuite toujours en hurlant, il piétina les bananes qu’il avait ramassées. Quand il ne trouva plus rien à piétiner, il resta immobile à pleurer bruyamment, et en hoquetant :
— Je veux rentrer à la maison, je veux mon papa et ma maman.
Les sept autres le regardaient stupéfaits. Progressivement, il se calma, et Philippe ramena tout le monde à leur campement, avec les bananes qui avaient échappé à la fureur d’Olivier. Ils s’assirent, mais le calme ne dura pas.
— Où est Micky ? fit Antonin. Je ne l’ai plus.
— Ton nounours, je ne sais pas où il est.
— Il l’avait avec lui quand on cherchait des bananes, remarqua Lisa. Il a dû le faire tomber quand l’avion est passé.
Antonin partit en courant dans la direction des bananiers. Les autres suivirent, et bientôt tous cherchaient le nounours. Les recherches restèrent vaines, d’autant qu’il se mit à pleuvoir, et Philippe ramena tout le monde, y compris Antonin qui pleurait, à l’abri de leur rocher, puis il alla remplir la gourde au ruisseau. Kevin et Olivier l’accompagnèrent malgré la pluie battante. Olivier était redevenu parfaitement normal, et il aida ensuite au partage des bananes.
Ayant mangé, les enfants se serrèrent à l’abri de la pluie. Le moral était au plus bas, Antonin continuait à pleurer, et Thibaud dit que sans Micky le cauchemar allait revenir. Les regards se tournaient vers Philippe.
— Bon, on va dormir, puisqu’il va bientôt faire nuit. Demain, on cherchera tous Micky, et on n’arrêtera que quand on l’aura trouvé, sinon la poupée Margritte, elle va s’ennuyer toute seule. Allez, couchez-vous.
Il resta songeur un petit moment. Peut-être que le pilote de cet avion les avait vus, et qu’on allait venir les chercher ? Peut-être même que c’est son père qui le pilotait ? Ayant un peu repris espoir, il se serra contre ses camarades, et leur souhaita bonne nuit.
Celle-ci fut agitée, émaillée des pleurs et des cauchemars des uns et des autres, et Philippe ne put que consoler ceux qui s’éveillaient. Finalement tous se rendormirent.
Le lendemain, le soleil brillait, et Philippe conduisit sa troupe à la recherche du nounours. Ils fouillèrent d’abord près des bananiers, puis se rapprochèrent du ruisseau. Le découragement pointait, quand Lisa qui s’était éloignée en direction du campement cria.
— Je l’ai trouvé, il est là.
Tous accoururent, et Antonin récupéra son bien.
— Il est tout mouillé, Micky. Je croyais qu’il était vers les bananes.
— Il a dû commencer à rentrer tout seul, remarqua Lisa.
— Peut-être, dit Philippe troublé. Il n’avait jamais vu un animal en peluche ou une poupée se déplacer seuls, mais peut-être le faisaient-ils quand on ne les voyait pas ?
— Bon, Antonin, tu laisseras Micky dans notre chambre à l’abri, avec Margritte, comme ça il séchera, et ils garderont notre maison quand on ne sera pas là, d’accord ?
— D’accord.
— Pour l’instant, on ramasse des bananes, puis on va les manger, après on ira à la plage voir s’il vient quelqu’un. Peut-être que l’avion nous a vus quand même.
Le retour à la plage fut plein d’espoir, mais rien n’apparut, ni avion, ni bateau.
— On va encore devoir manger des bananes, constata un des enfants.
— Je mangerai même des épinards plutôt qu’encore des bananes, remarqua Kevin.
— Ou même des choux de Bruxelles, ajouta Lisa. T’as rien d’autre à manger Philippe ?
— Il y a des allumettes et un briquet dans les affaires du Monsieur pilote, on pourrait faire cuire des coquillages.
— Ha oui.
Ils allèrent au rivage. Ceux qui portaient des vêtements les enlevèrent, et tous se mirent à l’eau près des rochers, restant en eau peu profonde, là où ils avaient pied. Ils ramenèrent des coquillages transportés dans de grandes feuilles jusqu’à leur campement, et du bois ramassé en lisière de forêt. Philippe avait vu son père allumer le feu dans la cheminée de leur maison. Il réussit à enflammer une allumette après quelques essais, mais ne réussit pas à enflammer les branches d’arbres.
— Je n’y arrive pas. Mon papa disait qu’il faut du bois sec.
Personne ne fréquentant l’île, beaucoup d’arbres morts s’y trouvaient, et ils ramenèrent des branchages qu’ils entassèrent sur des pierres à gauche de la chambre à coucher de leur abri. Philippe se remémorait la méthode employée par son père, il l’avait vu chiffonner des journaux, entasser du bois dessus, puis enflammer le tout. Il déchira la page d’un magazine, refit les gestes de son père, et le miracle s’accomplit. Antonin qui s’était trop approché sauta en arrière en criant, puis il se mit à rire, manifestant ainsi pour la première fois son tempérament joyeux et optimiste. Les huit enfants entouraient le feu, émerveillés. Les flammes furent d’abord trop grandes pour qu’ils s’approchent, puis le feu se calma. La cuisson paraissait possible.
Philippe se dit qu’une cuisson supposait une casserole. Par chance, ils avaient ramené un morceau de métal en creux, provenant du dessus de l’habitacle de l’avion qui avait éclaté dans le choc de l’accident. Ils y posèrent les coquillages, puis calèrent laborieusement leur casserole sur le feu avec trois grosses pierres.
— Avec de l’eau, ça cuira mieux, remarqua Lisa.
On versa de l’eau. Au bout d’un moment, l’eau s’était évaporée, et ils retirèrent leur plat. Philippe cassa les coquillages sur une pierre plate, et goûta le contenu.
— C’est pas mauvais.
Tous s’y mirent, et bientôt il ne resta que les coquilles brisées. Ils s’accordèrent pour dire que cela changeait des bananes. À nouveau, la nuit tombait, mais pour la première fois, ils ne se trouvèrent pas dans la nuit totale, car ils prolongèrent leur feu en y ajoutant des brindilles.
— Vous croyez qu’on va rester longtemps ici ? dit Philippe songeur.
Philippe ne voulait pas qu’on croie qu’il avait réponse à tout, c’est pourquoi il demandait aux autres leur opinion sur ce sujet délicat. Ils étaient trop jeunes pour avoir des raisonnements bien compliqués, mais ils pensaient que leurs parents les cherchaient, et que donc ils les trouveraient. Philippe était contraint d’analyser constamment les choses, depuis qu’il avait la charge de ses cadets, et il leur livra sa réflexion.
— Je pense que nos parents nous recherchent, et c’est sûrement eux qui ont envoyé l’avion qui est passé, mais notre avion a volé très longtemps avant de tomber ici. Ils doivent nous chercher dans plein d’endroits. Peut-être qu’ils pensent que notre avion est tombé dans la mer, et qu’on est tous morts noyés.
— Alors tu crois qu’on ne va plus nous chercher, dit Kevin soudain très inquiet.
— Si si, sûrement, mais cela va peut-être durer longtemps. Il faudra qu’on trouve à manger tous les jours. T’en penses quoi Olivier ?
Il interrogeait Olivier, car il lui paraissait plus réfléchi que les autres, en dehors de ses crises de colère.
— Tu as raison, Philippe. Il faut qu’on trouve à manger. Une fois, avec mes parents, on a mangé des noix de coco. J’en ai vu dans les arbres, mais c’est très haut. Il y en a peut-être par terre ?
— Ha oui, c’est une idée, et surtout, on pourrait manger des poissons. C’est bon le poisson. On le ferait cuire comme les coquillages. Le problème c’est de le pêcher. On fait comment ?
— Avec une canne à pêche, j’ai déjà pêché des poissons, avec mon papa.
— Je ne sais pas faire ça, remarqua Philippe, à mon avis, il faut un filet. Mon papa m’a montré qu’on peut pêcher avec un filet.
— On n’a pas de filet.
Cette fois-ci, c’est le plus jeune, Antonin, qui fit remarquer :
— Des filets, il y en a dans l’avion.
— J’ai tout ramené, il n’y a pas de filet.
— Si, le Monsieur pilote, il a dit, je mets vos affaires dans les filets.
Philippe regarda le petit Antonin avec perplexité, comment un si petit garçon, qui ne sait même pas dire son âge, pouvait-il savoir des choses que lui ne savait pas ? Pourtant, il se rappela qu’effectivement, leurs modestes bagages s’étaient trouvés dans deux filets à bagages, de part et d’autre de la cabine. Cela pourrait peut-être permettre de pécher. Cependant, la perspective de retourner dans l’avion ne lui plaisait pas du tout.
— Ça ne marchera pas, c’est pas des filets pour la pêche.
— Tu as dit qu’il faut un filet pour attraper des poissons, reprit Olivier, alors il faut faire comme ça, et puis j’aime bien pécher.
— Bon, on va dormir, on verra demain. Au dodo tout le monde.
Ils se serrèrent sous leur abri, et se souhaitèrent bonne nuit, pleins d’espoir pour le futur. Peut-être était-ce dû au retour du nounours Micky, mais Philippe ne fut réveillé par aucun cauchemar de ses petits compagnons.
Le lendemain, Philippe tergiversa, la présence du Monsieur pilote dans l’avion l’effrayait sans qu’il ose l’avouer aux autres. Du coup, ils se contentèrent le matin de chercher des bananes, puis de chercher des coquillages, qu’ils firent cuire. Lorsqu’ils retournèrent sous le grand arbre de la plage, Philippe emporta le livre qu’on lui avait offert pour ses six ans. Il l’ouvrit pour la première fois, après s’être assis dans le sable, et il commença à lire à haute voix.
— L’ÎLE AU TRÉSOR. Première partie. Le vieux flibustier. Le vieux loup de mer à l’amiral Benbow.
Certains mots lui parurent inintelligibles, car il s’agissait de noms anglais qu’il n’arrivait pas à prononcer. Il pensait renoncer quand il arriva aux mots « les détails concernant l’île au trésor ». Le texte devenait un petit plus compréhensible, bien qu’il y ait beaucoup de mots qu’il ne connaissait pas. Les sept autres s’étaient assis en demi-cercle devant lui, l’encourageant par leur attention, à poursuivre sa lecture. Quand il avait ânnoné difficilement une phrase, il revenait en arrière, approuvé par ses camarades, pour la relire plus aisément. La description du vieux flibustier était très différente de tout ce qu’ils connaissaient, et ils étaient plutôt fascinés par cette histoire.
Au bout d’une heure de lecture, Philippe fut fatigué, et l’attention se relâchait. Il referma le livre, et promit de continuer sa lecture le lendemain. Le silence se fit.
— En attendant, on n’a toujours pas de poisson, dit Kevin.
— Je n’irai pas dans l’avion. Il y a le monsieur pilote qui est encore dedans, et je ne veux pas le voir encore.
— Et si Kevin et moi, on t’accompagne ? interrogea Olivier.
— Jusque dans l’avion ?
— Non, mais tout près.
Philippe n’était pas chaud du tout, mais si Olivier et Kevin l’accompagnaient, il ne pouvait refuser, et il ne protesta plus. Olivier et Kevin avaient déjà pris l’habitude de faire équipe avec leur aîné, et celui-ci ne voulait pas décevoir les deux enfants dont il était le plus proche. Il accepta donc, à contrecœur.
— Bon, d’accord, on y va. Vous autres, vous nous attendrez à notre maison.
Tous rentrèrent à leur campement, Philippe mit son livre à l’abri avec les magazines, puis les trois garçons partirent en direction du site de l’accident d’un pas hésitant.
— Peut-être que le Monsieur Pilote, il ne veut pas qu’on rentre dans l’avion ?
— Tais-toi, Kevin.
Bien qu’ils aient avancé en traînant les pieds, ils finirent par arriver à proximité de l’épave. L’endroit était sinistre à présent.
— Ça ne sent pas bon, remarqua Kevin.
— Non. Il faudra pouvoir couper les filets, je crois. Trouvez-moi un morceau d’avion coupant.
Le reste de l’opération se déroula dans un silence pesant. Lorsqu’il fut muni d’un morceau de métal tranchant, Philippe pénétra dans la carlingue. Il se contraignit à ne pas regarder vers le poste de pilotage. Debout sur les sièges, et non sans mal, il trancha les extrémités des deux filets à bagages, puis sortit avec aussi vite que possible, et courut à toute vitesse suivi par ses deux compagnons. Ils s’arrêtèrent très essoufflés, à proximité de leur abri.
— Le Monsieur Pilote n’a rien dit ? interrogea Olivier.
— Non. Vous savez, je crois qu’il est mort, vous comprenez ?
— Une fois, j’ai vu un oiseau mort, dans la rue, en allant à l’école. Il ne bougeait plus.
— Eh bien c’est pareil, je crois.
— Nous, on aurait pu être morts aussi, quand l’avion est tombé.