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Belle, intelligente, talentueuse et puissante, Tory déteste son statut de princesse. Alors, cette dernière n’a qu’une hâte, celle d’abdiquer en faveur de son frère et de mener sa petite vie de troubadour tranquille. Malheureusement, toutes ses ambitions tombent à l’eau lorsque sa famille se fait massacrer et qu’elle est forcée de fuir afin de survivre. Au cours de son périple, elle rencontrera joie, amitié et amour, subira trahison et déception. Surtout, elle découvrira enfin qui elle est vraiment : la dernière des Lilandriennes. Après cette nouvelle, plus rien ne sera comme avant…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Depuis toujours, le lieu de plaisance de
Cami L. J. Engel fut les bibliothèques. Grâce à ses lectures variées, elle a développé et enrichi son imagination.
La dernière Lilandrienne est son premier ouvrage publié.
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Seitenzahl: 290
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Cami L. J Engel
La dernière Lilandrienne
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Cami L. J Engel
ISBN :979-10-377-6382-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Toriyanna
Dans mon rêve, je cours. Je cours pour ma vie, je cours plus vite que jamais. La terreur me comprime la poitrine, les larmes coulent à flots sur mes joues, mes jambes s’emmêlent dans les pans déchirés de ma robe bleue et mes pieds nus sentent la brûlure cruelle des pierres qui s’enfoncent dans ma peau. Une odeur de fumée embaume l’air de la nuit, comme celle d’un brasier. Sous l’odeur de fumée, une autre fragrance se détache subtilement, douloureusement familière : l’arôme du sang. Un silence surnaturel règne dans l’ambiance nocturne, et chacun de mes battements de cœur affolé, chacun de mes pas douloureux, chacune de mes inspirations terrifiées résonnent de façon disproportionnée. Un bruit retentit derrière moi, et bien qu’il soit assourdi par le son de ma respiration sifflante, je sursaute et me retourne instinctivement. En découvrant la personne qui se trouve face à moi, mon souffle se coupe, mes larmes redoublent et je supplie d’une voix tremblante, suffoquée par l’angoisse :
« Non… S’il vous plaît… Je vous en prie… Arrêtez… Ayez pitié… »
Manifestement, ma pathétique supplique n’a pas d’effet puisque l’inconnu continue d’avancer. Les émotions explosent dans ma poitrine, et je me mets à hurler.
Je suis dans mon lit, je réalise. Mon lit. Ma chambre. Ma maison. Mon hurlement s’éteint dans ma gorge et je bats des cils, m’acclimatant à la lumière ambiante et chassant les larmes et la sueur qui y perlaient.
« Ce n’était qu’un rêve, je soupire. Un rêve très réaliste, certes, mais qu’un rêve. Qu’un rêve… »
Et pourtant, j’ai crié à m’en briser la voix, ma gorge m’a brûlée lorsque j’ai parlé. Et pourtant, alors que mon cœur commence à retrouver un rythme normal, je n’arrive pas à chasser cette horrible sensation ni à ignorer la sueur qui me recouvre et qui trempe mes draps. Portant la main à ma bouche en grimaçant, j’y découvre mes crocs, complètement sortis et qui m’ont apparemment ouvert la lèvre inférieure. Enfin bon, pas besoin d’en faire un drame, ça pique un peu, mais je serais comme neuve dans vingt petites secondes. Ah, les intérêts d’être un vampire ! Baissant la tête, je grimace de plus belle : des traces de brûlures parsèment mes couvertures, et elles ont une forme bien précise ; celles de mes mains. Décidément c’était assez réaliste pour me faire sortir les flammes, et donc émousser des années de self-control, ce qui en dit long sur l’angoisse que j’ai ressentie. Bien décidée à me changer les idées, je me lève d’un bon et passe devant l’immense miroir à pied placé au centre de ma chambre, ne daignant même pas jeter un regard à mon reflet. À quoi bon ? je sais parfaitement à quoi je ressemble : moins d’un mètre soixante, un corps parfait, une peau blanche et lisse, pratiquement sans défauts, un visage aux traits délicats et exotiques, de grands yeux d’un bleu qui n’existe pas, bordés de longs cils noirs, des lèvres pleines et rouges, un petit nez, de longs cheveux dorés plus ou moins bouclés et en pagaille. Je suis belle. Je sais, je sais, cela peut sembler assez présomptueux de dire cela de soi-même, mais tout de même, je ne suis ni aveugle ni sourde, et je ne vais certainement pas faire semblant d’être faussement modeste. Et après tout, mon espèce est largement réputée pour sa beauté, ce n’est un secret pour personne. Il y a des jours, je trouve toute cette perfection horripilante, bien que ce soit assez utile le reste du temps. Et aujourd’hui, je n’ai qu’à me faire admirer, sourire de temps à autre, puisque personne ne s’attend à ce que Son Altesse Toryianna Éva ait du répondant, ou n’aurait ne serait-ce qu’un cerveau. Donc pas la peine de faire la conversation, je n’aurai qu’à jouer l’imbécile, le stéréotype terriblement agaçant de la petite blonde, splendide mais stupide, et espérer qu’on me laisse tranquille. Mais malheureusement, à peine ai-je posé le pied dans la salle de bain attenante à ma chambre que la sonnerie de mon téléphone retentit. Mes dieux, pourquoi ? Est-ce trop demander que la paix ? En soupirant, je vais jusqu’à mon bureau, attrape l’objet hurlant et décroche d’un geste agacé.
« Allo ? »
« Tory ? Je suis content que tu répondes. Joyeux anniversaire ! »
Et merde. Merde, merde, MERDE ! j’aurais dû vérifier qui m’appelait ! À quoi donc peut bien servir le soi-disant service de renseignement et de protection si tout le monde peut appeler une princesse ?
« Écoute, Tory, je voulais te parler. Je sais que j’ai fait une bêtise. Mad aussi. Mais on voulait d… »
« Non. »
Mon ton est ferme, et je ne suis pas peu fière d’arriver à maintenir ma détermination.
« Non ? Mais si tu pouvais simplem… »
« Non. Non, je ne veux pas t’écouter, Wesley. Oui, tu as fait une belle bêtise et je suis sûre que tu t’en veux, mais peu m’importe ce que tu veux dire. Tu sais pourquoi ? Parce tu ne pourras rien dire qui justifiera le fait que tu m’as brisé le cœur ou que j’aie perdu ma meilleure amie. En plus tu ne t’en veux pas parce que tu l’as fait, mais parce que tu t’es fait choper. Alors tu vas gentiment aller te faire foutre, et tant que tu y es, emmène Madyssan avec toi, ce ne sera pas une première après tout. Maintenant, je vais raccrocher et tu vas me laisser tranquille. Au revoir Wesley. »
En raccrochant, je sens une larme rouler sur ma joue, que j’essuie rageusement. Je ne vais pas le laisser gâcher cette journée importante, même si mon cœur est toujours douloureux. Me déshabillant prestement, j’entre dans la douche et règle la température sur brûlant. L’eau chaude semble emporter avec elle les restes de mon rêve, désincruster toutes les émotions négatives apportées par ce dernier et ma conversation téléphonique et dissoudre dans le siphon toutes les horribles images des mains de mon ex-petit ami glissant sous la jupe de mon ex meilleure amie, de leurs bouches qui se touchaient, de leur corps qui s’emboîtaient. M’appuyant sur le mur en marbre, j’essaie de trouver la motivation (ô combien désirée et pourtant, enfuie très, très profondément) de sortir de mon cocon humide et d’affronter ma famille – dont mes parents, fraîchement (et temporairement) revenus au palais –, ma cérémonie de présentation au peuple, et la vie en général. Au prix d’un immense effort, pour lequel je mériterais un trophée, je m’avance hors du jet d’eau, l’éteins, me sèche et m’habille en un temps record. Toujours pieds nus, je m’aventure hors de mes appartements pour aller jusqu’à une des salles à manger de l’aile réservée à la famille royale. En y entrant, quelle ne fut pas ma surprise en découvrant ma famille au grand complet prenant son petit déjeuner, rare spectacle auquel je n’avais pas assisté depuis au moins cinq mois !
« Toryianna. Toujours aussi matinale et soignée à ce que vois. »
Ma mère, ce rayon de soleil, chaud et accueillant. Elle est toujours comme ça. Froide. Superficielle. Sans aucune tolérance pour aucun défaut. Agathe dit qu’elle nous aime, que c’est ça sa façon d’aimer. Qu’elle nous veut parfaits afin que nous puissions affronter le monde tout en protégeant les intérêts de la couronne. Et moi, sa plus jeune fille, l’héritière (par défaut), je suis sa plus grande déception. Fière et indisciplinée, je refuse de cultiver mes pouvoirs étranges et inhabituels afin de devenir une arme politique et, pire encore, j’exerce en tant que « troubadour » sur mon temps libre. Décidée à ne pas me laisser démonter, j’affiche un grand sourire et lance joyeusement :
« Bonjour à toi aussi Maman ! Ravie de te revoir moi aussi ! Oui, en effet, c’est une matinée enchanteresse, merci. (Ma mère pince les lèvres) Bonjour Papa ! Bonjour tout le monde ! »
Faisant le tour de la table, je les embrassais tous sur la joue avant de m’asseoir sur la dernière chaise de libre, en bout de table près de mon frère et de mon père et en face d’Émeraude. Mon père me prend la main et me sourit.
« Joyeux anniversaire, mon cœur ! Tu m’as manqué. Vous nous avez tous les cinq manqués. Je n’arrive pas à croire que cela fait quatre mois que je ne vous ai pas vu ! »
Je lui rends son sourire, mais avant que j’aie pu ouvrir la bouche, je suis interrompue.
« Moi je n’arrive pas à croire que ma petite sœur a seize ans ! Le minuscule bébé qui me sert de frangine est majeur ! » s’exclame mon frère Ash.
« Mais… »
J’étouffe mon exaspération, sachant qu’il adooore me faire marcher et que ça ne fera que l’encourager. Mais tout de même, bébé ? Minuscule ? Je ne suis pas si petite que ça ! Quant à me traiter de bébé je peux convenir que du haut de mes seize ans, je suis beaucoup plus jeune que toutes les personnes à cette table, mais le terme – bien qu’affectueux – est légèrement humiliant.
« Joyeux anniversaire, petite sœur ! » renchérissent mes grandes sœurs en me tendant un minuscule gâteau d’anniversaire multicolore et surmonté de bien trop de bougies pour sa petite stature. Bien sûr, ma mère ne dit rien, mais un très léger sourire semble s’épanouir sur ses lèvres toujours pincées par l’agacement. Je leur souris, rouge d’embarrassement, les remercie puis me plonge dans mon gâteau. Cela fait bizarre de me dire qu’à partir d’aujourd’hui, je suis majeure. Seize années, cela semble bien peu, surtout dans une vie d’immortel telle que celle des vampires et loups-garous. Même pour les humains cela reste jeune. Cependant, pour mon espèce, la majorité, c’est lorsque le corps commence à lentement arrêter de vieillir pour rester figé dans le temps, éternellement jeune. Pour moi, cet âge, c’est maintenant. Bien que mon corps va juste ralentir le vieillissement, pas le stopper complètement. Et oui, dans 100 ans j’aurais l’air d’en avoir à peine cinquante, peut-être quarante-cinq ou peut-être cinquante-cinq. Ce qui est un peu dérangeant quand on y pense, puisque la moitié des gens que je connais maintenant auront l’air d’avoir à peine entre dix-huit et vingt ans, voire vingt-cinq, pour les plus âgés, et l’autre moitié sera simplement morte. Absorbée par ces pensées, je n’avais pas remarqué que je raclais mécaniquement et inutilement mon assiette désormais vide avec ma fourchette depuis dix bonnes minutes maintenant. Lorsque je relève la tête, ils sont tous absorbés par de grandes conversations et j’en profite pour tous les observer, c’est tellement rare d’être tous ensemble que j’ai envie le graver dans ma mémoire pour toujours, comme si je n’allais plus jamais y assister. La première chose que l’on remarque lorsque l’on nous voit, c’est que l’on ne se ressemble pas vraiment. Oh il y a bien un air de famille, des traits communs, mais en dehors de cela… eh bien nous pourrions tout à fait être tous des étrangers avec une légère ressemblance. Ma mère, la reine Éva, a de longs cheveux roux, des prunelles violettes, une beauté glaciale et une longueur de jambe tout à fait injuste, considérant que ni moi, ni Émeraude n’en avons hérité. Mon père, le roi Onyx, a des cheveux et des yeux noirs et scintillants, et dès qu’il sourit, la pièce semble s’illuminer avec lui. Ash, avec ses yeux multicolores, ses cheveux blond cendré, son sourire ravageur et son esprit pragmatique et sarcastique, aurait fait un bien meilleur prince héritier que moi, mais, à mon grand dam, c’est un poste qui ne l’intéresse pas beaucoup plus que moi. Mes yeux glissent ensuite sur Agathe, l’aînée de mes sœurs. Ce qui frappe le plus chez elle, ce ne sont pas ses yeux verts mousse ou ses longues mèches auburn, et ce n’est pas non plus son perpétuel sourire, mais l’expression d’incroyable douceur qui émane d’elle, si puissante que l’on a immédiatement envie de la protéger et de se confier à elle (ce que personne n’a jamais regretté pour l’instant). Passant à Ambre, c’est le changement d’ambiance total : je ne dirais pas que ma sœur fait peur, mais plutôt qu’elle arbore un air destiné à montrer explicitement que s’approcher d’elle est une mauvaise idée. Sa palette d’émotions étant légèrement moins étoffée que la moyenne, elle n’en reste pas moins farouchement aimante et loyale, bien que terrifiante avec ses courtes boucles aussi ambrées que ses yeux. La dernière et la plus éloignée de moi, Émeraude, est la voix de la raison et la seule qui possède le même gabarit que moi. Toujours cachée derrière ses très longs cheveux blancs aux pointes vertes, elle dévore avec ses grands yeux verts des dizaines de livres, sur tous les sujets chaque semaine. Je les aime tous, bien que je sois beaucoup plus proche de mon frère et de mes sœurs, ce qui est normal puisque ce sont eux qui m’ont élevée ces quatorze dernières années. Je souris distraitement, heureuse de les avoir tous autour de moi. C’est pile à ce moment que mes yeux tombent sur l’énorme horloge. Réalisant l’heure qu’il est, mes yeux s’agrandissent et s’écarquillent. Je me lève et sors de la pièce en courant sous les regards incrédules de ma famille.
Je débarque dans ma chambre deux minutes plus tard, mes pieds nus dérapant sur le sol de marbre veiné d’or, effrayant le personnel qui m’attendait. Au milieu de l’attroupement (je savais ma chambre large, mais j’ignorais qu’elle pouvait contenir autant de gens à la fois) se trouve Della, la couturière royale visiblement mécontente.
— Je suis désolée, vraiment, vraiment désolée du retard ! Veuillez m’excuser, Miss Della !
La femme m’observe, puis hoche la tête en grommelant quelque chose de pas très flatteur à propos des princesses et de ce qu’il y a dans leur tête et commence son travail. Théoriquement, je devrais la réprimander mais je dois dire que non seulement je suis un petit peu effrayée à l’idée de lui faire une remarque (elle est terrifiante, bien qu’extrêmement douée) mais aussi que je peux comprendre la nervosité ambiante. Aujourd’hui, je vais être présentée officiellement en tant que princesse héritière d’Elrena. Ce qui signifie que le monde entier (constitué d’un vaste continent unique et d’îles, dont la grande majorité est gouvernée par ma famille) va avoir les yeux rivés sur le palais et ses habitants. Et sur moi. Ce qui ne m’enthousiasme pas outre mesure dans ces circonstances. Peu de gens comprennent réellement pourquoi c’est moi qui ai été choisie pour hériter du trône. Et je les comprends, il faut dire que je suis l’anomalie de l’espèce vampire. Premièrement, je n’ai besoin de boire du sang qu’une fois par mois, contrairement à mes pairs qui ont besoin de leur dose quotidienne, afin de ne pas mourir, ce qui serait triste. Deuxièmement, j’ai des pouvoirs bizarres et puissants, qui n’ont rien à voir avec ma condition de vampire et je crains trop de prendre des cours, de peur qu’ils soient encore plus bizarres que je le pensais ou qu’un incident mineur arrive. Et par incident mineur, je veux dire cramer quelqu’un. Si, si, je vous jure, c’est déjà arrivé. Et troisièmement, je ne suis pas immortelle. Enfin je veux dire, comme toute personne naissant dans la famille royale, parce que c’est le prix à payer pour la couronne, mais bon quand même, c’est bizarre.
Cinq heures plus tard, maquillée, coiffée et habillée, je suis dans un intense concours de regard avec ma couronne, n’ayant pas très envie de la porter, parce que cela voudra dire que je suis coincée avec le trône et, ce qui est encore plus triste, que le peuple sera coincé avec moi comme souveraine. Du coin de l’œil, je suis distraite par l’éclat de mon bracelet en toriyanna. Même si je suis née avec, et que l’ai porté tous les jours depuis, je suis toujours émerveillée en le voyant. C’est un bracelet d’or solide qui entoure mon poignet avant de s’enrouler autour d’une étoile à cinq branches en toryianna. Le cercle d’or qui le compose grandit avec moi, ce qui est fichtrement pratique car il aurait été fâcheux qu’il reste de la taille d’un poignet de bébé. La toryianna est la pierre dont je tire mon prénom. C’est une pierre transparente et incolore, un peu comme un diamant, mais qui est parcourue de milliers de reflets multicolores, et qui est pleine d’énergie magique. Jetant un œil à mon horloge, je constate que non contente d’avoir perdu une bataille de regards avec un objet inanimé, je suis encore en retard. À ma propre fête. Tu parles d’une princesse ! Mère va être furieuse. J’attrape ma couronne, la place maladroitement sur ma tête et fonce vers la salle de réception, tentant comme je peux de ne pas trébucher sur ma longue robe bleue. Lorsque j’ai vu la couleur de ma tenue tout à l’heure, j’ai bien failli m’évanouir, parcourue par des frissons d’horreur. Au bout du couloir, j’aperçois la lumière perçant par la porte qui donne sur l’estrade située dans la salle de réception, et je perçois déjà les esprits de toutes les personnes qui y sont, comme des présences faisant pression contre mes boucliers mentaux. Heureusement, j’arrive juste à temps pour l’appel de la famille royale :
« Saluons le roi Onyx Solarion Redfern ! Saluons la reine Eva Lyrra Redfern ! Saluons la princesse Héra, sœur du roi, et son fils le duc Green ! Saluons la princesse Agathe Rose Redfern ! Saluons le prince Ashonyx Opal Redfern ! Saluons la princesse Emeraude Maya Redfern ! Saluons la princesse Ambre Seera Redfern ! Saluons la princesse héritière ! Tous à genoux pour la princesse Toryianna Eva Redfern, l’Étoile Dorée d’Elrena ! »
Je m’avance au milieu de ma famille, les mains moites et tremblantes, les joues légèrement rosies, affichant tant bien que mal un sourire rayonnant, les épaules en arrière, le dos droit, la démarche gracieuse. Mais lorsque j’arrive finalement ma place, au milieu de l’estrade, la baie vitrée qui nous fait face explose.
Lucas
Deux années de mission vont arriver à leur conclusion ce soir. Deux années d’espionnage, deux années à vivre entre deux feux. Nous sommes postés à l’extérieur de la baie vitrée, avec une vue imprenable sur l’estrade et ses occupants. La famille royale. Une petite famille parfaite. Si je me laissais à ressentir des émotions pour eux, je dirais que je me sens coupable pour ce qui est sur le point de leur arriver. Surtout vis-à-vis d’Elle. Elle, dont j’ai observé les moindres mouvements durant ces dernières années, sans jamais pour autant avoir aperçu son visage de près. Elle, qui représente l’ombre blonde qui hante la plupart de mes rêves. Et soudain, Elle est là. Toryianna. Elle s’avance avec grâce et légèreté, splendide, laissant entrevoir les prémices de la reine qu’elle aurait pu devenir, si on lui en avait laissé la chance, ce qui ne sera pas le cas. Je secoue la tête, me reconcentrant. Oui c’est ça. Surtout, rester concentré sur l’objectif. Sur la mission. Faire en sorte que justice soit faite et que tous ces sacrifices n’aient pas été faits en vain. C’est l’ennemi, et ils représentent tout ce que je hais. Même elle. Surtout Elle, si je suis tout à fait honnête. Une vie facile de luxe et de pouvoir sans aucun effort ou mérite. Je lève la main et, donnant le signal, mets la roue du destin en marche. Une seconde plus tard, la structure de verre explose, changeant le cours des choses.
Toryianna
De la fumée. De la fumée partout. Ça rend ma vision toute trouble. À moins que ça soit l’effet du coup que j’ai reçu sur la tête quand je suis tombée sur le sol. Aïe ! Ouais, c’est ma tête. Mes oreilles bourdonnent et j’entends vaguement des gens crier, peut-être même que l’on m’appelle, mais tous les sons me parviennent comme étouffés. Me forçant à me relever, je manque de retomber sur le sol tant les vertiges sont violents. Je passe alors la main dans mes cheveux et trouve la plaie. Comme elle ne guérit pas, je suppose qu’il doit y avoir un corps étranger encore enfoncé dans mon crâne. En grimaçant de douleur, j’enfonce mes doigts dans la blessure et en ressors un éclat d’une matière noire et brillante, grand comme l’ongle de mon pouce. Mes doigts se mettent à brûler et à fumer sous son contact, et je le lâche dans un cri, sentant le sang quitter mon visage. Du cristal noir. Comment, aux noms de tous les dieux, ont-ils pu s’en procurer une quantité suffisante pour une bombe sans que nous le remarquions ? L’unique mine en produisant, Stelène, est pourtant sous haute surveillance. Et surtout, pourquoi faire une bombe, puis la faire exploser tout court ? Toutes mes pensées se mêlent et se bousculent, mon cerveau est toujours brumeux, je ne saisis rien de ce qui est en train de se passer. Je suis tellement confuse que je sens à peine que l’on me pousse, même si cela me fait baisser la tête. La vision de la robe bleue déchirée et couverte de sang me fait l’effet d’un électrochoc et des bribes de mon rêve me reviennent en mémoire, faisant monter mon anxiété à un tout autre niveau. Réalisant que je me trouve au milieu des décombres de l’estrade, je me décide enfin à bouger. Autour de moi, il y a principalement de la fumée résiduelle due à l’explosion, des morceaux de bois, de pierre et… de… des corps. Des frissons de peur me parcourent tandis que je note mentalement le nombre de morts autour de moi. À vue de nez, il y en a au moins une cinquantaine, dont certains ont été violemment piétinés. Je sens la nausée monter mais j’essaie de la réprimer et de ne pas penser au fait que j’ai probablement des bouts de cadavres sur moi. L’angoisse prenant le pied sur l’horreur, je scanne la pièce à la recherche de ma famille. Mais non, pas de trace de mes sœurs, ni de mon frère et encore moins de mes parents dans le chaos ambiant. Non, ni les pointes vertes d’Émeraude ni les mèches couleur feu de ma mère ne sont visibles, pourtant ce sont les traits les plus voyants parmi eux, ceux que j’aurais pu remarquer le plus facilement. Effectuant un autre scan, mental cette foi, je me concentre sur chacune de leur signature psychique. Je peux le faire. Je les connais aussi bien que la mienne. S’ils sont présents, je les sentirais. Blanc, doux et cotonneux. Rouge, jaune, rose, et violet vif, intense et extravagant. Vert Émeraude, pointu, piquant et ordonné. Or intense, chaleureux et scintillant. Rouge Bordeaux, empreint de pouvoir, confiant et victorieux. Argenté, délicat, froid et noble. Pétillant, violet et extravagant. Majestueux, soyeux et pastelle. Nuances de vert, force, courage. Agathe. Ambre. Émeraude. Ash. Papa. Maman. Tante Helvétia. Tante Héra. Green. J’ai beau me concentrer, mettant tant de force dans la recherche que mon esprit est à deux doigts de se disloquer, je ne les trouve pas. Je sens cette fois le désespoir m’envahir, brûlant et dévastant. Non, je me rassure, ils ne sont ni morts ni disparus. On a dû les emmener ailleurs. Oui c’est ça, ils ont été évacués ! Maintenant il faut réfléchir. Réfléchis Toriyanna. Malgré mes propres vociférations mentales, je me suis dirigée sans y penser jusqu’à l’entrée du jardin, là où une vitre aurait dû se trouver. Ô mes dieux. Je suis complètement, ridiculement, stupide. Si la bombe et les connards qui l’ont déclenchée étaient quelque part, c’est peut-être à l’endroit du trou béant se trouvant à présent dans la baie vitrée. Comme une imbécile, je me suis jetée dans la gueule du loup. Une pointe de douleur venant de mes pieds, apparemment nus, m’envoie de nouveaux pics d’angoisse le long de l’échine. Dans mon rêve, j’étais dehors. Si je veux qu’il ne se réalise pas complètement, je dois impérativement retourner à l’intérieur. Mes pieds me font un mal de chien car à chaque pas, je marche sur du verre : les coupures se referment juste à temps pour que d’autres apparaissent dès que je pose le pied sur le sol. Et malgré tout, je persévère. Malheureusement, a peine ais je retraversé le portail de verre improvisé qu’une main m’agrippe le poignet. Que la déesse soit bénie pour le flot d’adrénaline qui parcourt mes veines lorsque je me retourne, bien décidée à en découdre. Mais là, je reste figée à observer l’inconnu, brun aux yeux bleus sous son masque noir et qui, par miracle, semble aussi paralysé que moi. Trois longues secondes passent, pendant lesquelles nous restons, les yeux dans les yeux, bizarrement immobiles. Le coup que je me suis prise sur la tête devait être plus sérieux que ce que je pensais. Grâce aux dieux, la seule partie de mon cerveau encore utile se met à agir, bien que je n’aie aucune foutue idée de ce que je suis en train de faire. Et c’est comme ça que, comme si j’assistais à la scène de l’extérieur, prisonnière de mon propre corps, je me vois l’embrasser et passer les mains autour de son cou et dans ses cheveux. Encore plus bizarre, il ne se tend qu’un dixième de seconde avant de me rendre mon baiser. Sans perdre une minute, j’agrippe ses mèches courtes et éclate sa tête sur le sol, l’assommant. Oh merci, cerveau en étrange pilote automatique ! OK. D’accord. J’ai assommé le méchant. Maintenant il faut que je bouge parce que vu son odeur – délicieuse, à mon grand regret – c’est un loup-garou, et je n’ai que quelques précieuses minutes dans le meilleur des cas avant qu’il ne reprenne connaissance. Il faut vraiment que je me mette en mouvement. Que je trouve ma famille. Et une paire de chaussures. Je retourne vers l’estrade détruite, évitant les gens qui fuient, ayant vaguement conscience des gardes royaux se battant contre d’autres hommes masqués dans le fond de la salle. Et là, je bute contre quelque chose, mes pieds se couvrant d’un liquide visqueux. Un pressentiment affreux me prend aux tripes et tremblant de tout mon corps, je baisse les yeux. Mon cœur sombre dans ma poitrine. Des cheveux roux, des yeux violets mais pas ma mère. Non le cadavre à mes pieds est celui de ma tante, Helvétia, la sœur de ma génitrice. Une larme coule le long de ma joue, me laissant une sensation brûlante. Je secoue la tête : il faut que je garde la tête froide. J’aurais tout le temps de pleurer plus tard. Malgré ma poitrine lourde et les fissures qui s’agrandissent dans mon cœur, une lueur d’espoir y rejaillit lorsque je capte une signature psychique. Or intense, chaleureux et scintillant : Ashonyx. Je redresse immédiatement la tête et l’oriente dans le sens de la trace psychique. Et la lueur d’espoir disparu.
Toryianna
Ils sont morts. Tous morts. Ils ne peuvent pas avoir survécu, il y a tellement de sang et ils ne bougent plus… Je ne perçois plus leurs esprits, juste quelques relents de l’empreinte psychique d’Ash. Ils ne sont plus perceptibles. Je ne les ressentais plus parce qu’ils sont morts. Mon souffle se bloque dans ma poitrine et mes jambes refusent de bouger. Comment ? Pourquoi ? Qui ? Je… Il n’y a pas de mot pour décrire ce qu’il se trouve devant moi. Leurs corps brisés, mutilés et en sang sont empilés les uns sur les autres, comme de vulgaires bouts de bois. Ma tête se remet à tourner violemment, de même que la nausée me reprend. Ce n’est pas possible… Soudain les yeux de mon frère s’ouvrent, dévoilant ses prunelles multicolores, nos regards se rencontrent et mes jambes se débloquent d’un coup. Je me précipite à ses côtés, alors qu’il se traîne hors de la pile que forment les restes de notre famille et s’appuie dessus, la main pressée contre sa poitrine, d’où s’échappe un flot de sang assez épais. Je tombe à genoux à côté de lui en sanglotant, priant pour ne pas être arrivée trop tard.
« Ash ! Ash, Ash, Ash ! Ça va aller, d’accord ? Je vais t’aider, je vais te guérir, je te promets. Surtout, surtout tu ne bouges pas trop et tu ne fermes pas les yeux ! s’il te plaît… Je t’en supplie ne ferme pas les yeux. Reste avec moi. Ne me laisse pas toute seule, OK ? »
Mon frère me regarde tristement, les yeux remplis de douleur, et esquisse un pitoyable sourire en laissant éclater un rire sans joie :
« Tory… Je crois qu’on sait tous les deux que c’est trop tard, Chaton. Alors il va falloir que tu m’écoutes très, très attentivement. Ce que je vais te dire va décider de ton avenir, et de celui de beaucoup de gens, OK ? Il ne me reste pas beaucoup de temps… »
Mes sanglots redoublent, et je pose mes mains sur son cœur, appelant de toutes mes forces la lumière guérisseuse dans mes mains. J’ai déjà guéri des blessures. À quoi servent ces foutus pouvoirs si je ne peux pas m’en servir dans des moments comme ceux-là ? Mais la magie ne semble pas se décider à fonctionner et mon bracelet me brûle le poignet. Une plainte s’échappe de mes lèvres alors que je regarde désespérément mes mains, encore plus désespérément vides de toute lumière.
« Pourquoi ça ne fonctionne pas ? Ne me laisse pas ! Ça ne peut pas se finir comme ça ! S’il vous plaît, aidez-moi, n’importe qui ! » je hurle.
« Chaton, ça ne sert à rien. C’est comme si j’étais déjà mort. Il faut que… »
« Non, non, NON ! Tu vas vivre ! Ash ! »
Mon frère m’a attrapé le bras, sa main laissant une empreinte ensanglantée sur ma peau.
« Écoute-moi maintenant. Ça va être dur pour toi, alors il faut que tu m’écoutes. Tu dois trouver Léro. Pas de nom de famille. Green s’en est sorti. Il te donnera le nom de sa ville. Un plan d’exfiltration a déjà été planifié. Il faudra que tu le suives et que tu sois courageuse. D’accord ? Tes pouvoirs… Tes pouvoirs sont très précieux et très convoités… Par de mauvaises personnes. Ceux qui ont fait ça… Ceux qui ont fait ça… On les appelle la Guilde d’Ealaa. Leur chef s’appelle Valentin. Il… ne faut pas qu’il mette la main sur toi. À aucun prix, tu m’entends ? »
« Quoi ? Je ne comprends pas ! Ça n’a pas de sens ! Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Tout va trop vite, tout s’embrouille et pourtant, au milieu de toute cette confusion, ses mots se gravent dans un recoin de mon esprit, comme au fer rouge. Il maintient mes mains contre la bouillie sanguinolente qu’est devenu son plexus solaire. Sa voix devient de plus en plus faible, sa respiration de plus en plus laborieuse mais il continue à parler :
« Je sais… On pensait avoir plus de temps… Du temps pour t’expliquer tout ça… Pour… Pour te préparer… Et te convaincre de t’entraîner… »
« Quoi ? Mais pourquoi ? Expl… »
Il embrasse ma main et y glisse quelque chose de froid en m’adressant de nouveau un sourire triste.
« Je t’aime, petite sœur. Je suis fier de toi. N’oublie jamais qui tu es, ou combien tu as été aimée. Je t’aime… »
Et juste comme ça, l’être incroyable qu’était mon frère rend son dernier soupir, mes mains pressées contre ses lèvres. Le vide se fait dans mon esprit, percé par un hurlement inhumain résonnant dans l’espace. Il me faut quelques secondes pour me rendre compte qu’il est sorti de ma propre gorge. Et au son de ce cri de bête blessée, l’atrocité de la situation me saute aux yeux du fond de mon brouillard teinté de rouge : je suis orpheline. De père, de mère, de sœurs et de frère. Ils ont été assassinés. Mes sœurs, si aimantes, qui ont partagé ma vie et qui m’ont élevée pendant quatorze années, disparues. Mon père et ma mère qui, même à l’autre bout du continent, étaient en contact avec nous et s’assuraient que nous ne manquions de rien, évanouis dans le néant. Et là, là dans mes bras, me trempant de sang, se trouve le corps de mon Ash. Ash, mon frère adoré, celui qui a rempli le rôle de père bien plus que mon actuel géniteur. Celui qui m’a encouragée, qui a soufflé sur mes paupières pour chasser mes cauchemars, celui qui était toujours là pour moi, pour me réconforter ou pour m’aider à faire des bêtises. Me penchant, je le sers contre moi et le berce, pleurant et poussant des lamentations. Mon monde vient de s’écrouler. Je ne vais pas y arriver. Faites que je meure. Pitié. Tuez-moi et laissez-moi prendre leur place. Je ne peux pas être reine. Je suis trop irresponsable. Pitié. Je me détruirais, je laisserais le monde me piétiner et je m’arracherais volontiers le cœur si cela peut les ramener. Pitié. Je ne veux pas être seule. Pitié. Ne me laissez pas…
Une main sur mon épaule. Il y a une main sur mon épaule. Et quelqu’un me parle. Gentiment. Doucement. Comme à un animal blessé qu’on essaie d’approcher sans se faire arracher la tête. Et on me secoue légèrement. Une voix familière transperce le brouillard régnant dans mon esprit. Green.
« Cousine ? Tory ? Toryianna ? C’est fini maintenant… Il faut que tu le lâches, tu comprends ? Viens avec moi, Tory-jolie. Lâche-le. Allez, suis-moi. »