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Une explosion de sentiments négatifs assaillent Bruno lorsqu'il commence sa cure sans alcool... Dépression, angoisse, colère vont ponctuer ses jours.
« L’alcool est à double tranchant », Bruno Raillard ne le sait que trop bien.
Quand le médecin lui révèle l’état de son foie, il prend un choix radical : arrêter l’alcool pendant un mois.
Sans rompre définitivement avec ses liens éthyliques étroits, il doit se reconstruire dans une société où l’alcool est omniprésent.
Bourré d’incertitudes, contradictoire, anxieux, largué dans un monde qu’il déteste, Bruno décide de passer son permis de conduire, de se lancer dans un projet ambitieux avec des amis, de peut-être même se trouver une femme, de vivre tout simplement, sans « l’aide » de l’alcool, bouée de sauvetage trouée à son manque de confiance et sa timidité maladive.
Entre famille, amis, bars, anniversaires, manque de sommeil, il n’attendra qu’une chose : que la nuit tombe enfin…
Un roman poignant sur la réinsertion et la reprise en main d'un jeune homme tombé dans l'alcool.
EXTRAIT
Quand j’ai fini la dernière bière, je me suis senti effroyablement triste. J’avais envie d’aller m’en racheter. Mais j’ai fait mon premier effort : j’y suis pas allé.
1,5 litre pour adieu. C’était pas assez. Mais juste de quoi passer la soirée et me réveiller tout frais le lendemain, prêt – plus ou moins – pour affronter une nouvelle période de chasteté. Mais cette fois, il ne s’agissait pas de sexe. Non. Il s’agissait d’une exaltation dont je dépendais nettement plus. Le sexe, je pouvais m’en passer, j’avais jamais été très doué avec les filles… Les périodes de vaches maigres, je connaissais.
La larme à l’œil, déjà dégoûté de tout, j’ai éteint la lumière et ai essayé de dormir. Il était un peu plus de vingt-trois heures.
La dernière fois que j’ai regardé la montre, il était trois heures du matin.
Ça commençait mal.
À PROPOS DE L'AUTEUR
ALIOCHA est né en 1991, il a grandi à Corsier, Genève. Dès douze ans, il écrit ses premières chansons, puis des poèmes, des chroniques, des nouvelles, jusqu’à ce roman. C’est grâce a des auteurs comme Bukowski dans
Contes De La Folie Ordinaire qu’il a eu l’amour pour la littérature. Malgré les aléas de la vie, l’écriture lui a donné un sens à la sienne.
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Aliocha
La nuit finira bien par tomber
Roman
© Lys Bleu Éditions – Aliocha
ISBN : 978-2-85113-865-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants causes, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
J’ai grandi avec l’alcool.
Tout au long de ma vie, à part peut-être à l’école, l’alcool était omniprésent. Dans la bière de ma mère qui rentrait du boulot. Dans le verre de vin rouge que mon père buvait en se réveillant. Dans le frigo. Dans les placards. Caché quelque part dans la baraque. Dans les bars. Chez l’épicier du coin. À la télé. Aux fêtes. Aux enterrements. Partout.
Mon père a fini par en mourir. C’était quelque part un choix comme un autre quand on ne désire plus sincèrement vivre.
Il nous en avait fait baver avec ses bouteilles, ma mère, ma sœur et moi. Des scènes, j’en ai vu dès tout petit. Aussi, un des rares souvenirs que je conserve de mes parents est celui de ma mère cassant une bouteille de rouge dans l’évier, excédée. Mon père, lui, est éteint, le visage rouge et les yeux déjà morts. Et je comprends comme comprend un gosse, je comprends tout mais suis incapable d’y poser des mots, d’analyser la situation. Je comprends sans comprendre.
Arrivé à l’adolescence, il était clair pour moi que je ne boirais jamais d’alcool. Ç’avait foutu bien des choses en l’air dans ma vie, et dans celles de ceux que j’aimais profondément. Jamais je ne fumerai non plus, vu comme maman tousse, non, merci, les gars, très peu pour moi.
Ouais, ouais…
Et puis un jour qu’on était à traîner avec des potes comme ça, vers mes quinze ans – enfin plutôt un soir –, on m’a tendu un joint. L’odeur m’avait toujours intriguée. Pourquoi pas ? Je ne savais pas ce qui me poussait à le prendre, mais je l’ai pris.
Je dus attendre le troisième joint de ma vie pour être défoncé.
Sympathique tout ceci. Je ne boirai pas mais je fumerai de temps en temps avec vous les gars.
Ouais, ouais…
Trois mois plus tard, je m’achetai un pack de bière. J’en bus une, deux, trois, puis le pack entier. C’est nettement plus sympa c’t’effet-là !
Mais ce ne sera que de temps en temps, le week-end comme ça, quand j’aurai quelques thunes.
Un peu de joints, un peu d’alcool, mais les cigarettes : non ! Et puis ça sert à quoi une cigarette ? Ça pue et ça défonce en rien, si ce n’est tes poumons… Faut être con…
Et un jour alors que j’avais la pause de midi, que je rentrais chez moi manger après le collège, j’étais seul et m’ennuyais. Je vis le cendar plein à craquer et me dis : « Tiens, on a rien foutre, pourquoi pas essayer ? » J’ai toussé en allumant le premier mégot, et plus je fumais moins je toussais. Par contre, les premières bouffées me faisaient tourner la tête. C’était agréable.
Quelques mois plus tard, je fumais et buvais, en cachette de maman, bien sûr – papa aurait simplement dit que c’était mal, mais ne m’aurait fait aucune remontrance. Quand elle le découvrit, je continuai, mais de façon modérée – après une bonne engueulée.
C’est à la fin de l’ECG, à mes dix-huit ans, que j’ai commencé à picoler sévère. Sévère veut dire : tous les soirs. J’avais la gueule de bois à tous mes examens de fin d’année. Parce qu’on se torchait sympathiquement avec les potes, voyant les vacances venir et voulant déjà y être. C’était d’ailleurs là deux mois de beuveries qui s’annonçaient.
Et puis au bout de deux ans, c’était le lot quotidien. Je me biturais pas tous les soirs, mais régulièrement, et buvais un peu tous les jours.
Avant de découvrir l’alcool, j’étais un gamin timide et sérieux. J’avais peur des autres, acquiesçais sans cesse, ne pipais pas mot… L’alcool m’a désinhibé. De l’enfoiré qui rendait mon enfance si malheureuse, il devint celui qui me fit déconner, prendre les choses avec légèreté, oser.
Il me faisait aussi faire des conneries. Soyons honnête, l’alcool c’est à double tranchant. Il pouvait me pousser vers une certaine folie, me faire dire des saloperies, me montrer sous mon pire aspect, me faire dégueuler sur les plantes d’un restau chic, tomber dans le caniveau, dormir sur des containers, et pire : ne plus avoir aucune limite et prendre la première substance capable d’accroître ma défonce. C’est dur le lendemain quand on se réveille empli de culpabilité. Un verre et on assume…
Mais malgré ça, j’avais l’ultime sensation de vivre, de me révéler. C’était intense. Profond. Bon. Je ne m’imaginais pas pouvoir m’en passer, sans ça tout redeviendrait si terne…
Je ne trouvai donc plus mon pareil sans alcool. C’était dit. C’était fait. Lui et moi vivrions le restant de nos jours ensemble, pour le pire et le meilleur.
La veille, qui finalement n’en était pas une, mais vous saurez bien assez vite pourquoi, je me retrouvai avec deux amis au stade de la Praille à regarder le match du Servette F. C., à picoler et à gueuler pour s’échauffer les cordes vocales. On riait bien et buvait bien. Tout roulait. Sauf que Servette perdit le match. Mais bref, ceci n’avait et n’a toujours pas d’importance…
Après le match, on était déjà bien entamés, bien pétés, dites comme vous voulez. Et on avait encore soif.
Alors on s’est pas arrêtés là, on s’est pas dit :« Le match était pourri, merde ! Autant rentrer et penser à autre chose… » Non. On était de faux supporters. On allait au stade pour picoler un coup et profiter de l’ambiance ; des cris stupides, de la testostérone ambiante, et tout ça. Je sais pas si on profitait vraiment, mais on picolait, ça oui. Ça occupait… Je crois que c’était la raison de notre présence tribune Nord.
On a plus du tout pensé à la défaite une fois la sortie du stade franchie. Ce qu’on avait en tête, c’était trouver un bar, boire, puis chercher un autre bar.
« On », c’est Oscar, Cosimo et moi – Bruno Raillard.
Oscar est un malin, Cosimo un peu moins mais ce dernier n’est pas si con pour autant – loin de là. L’Oscar est un joueur de cartes, et pas un mauvais. Il est souvent attifé de vieilles sapes et porte de temps en temps une sorte de Panama. Il est blond, a du bide, un nez crochu avec une verrue, les yeux bleus et de bonnes joues bien rondes bien grassouillettes, d’où sa fine couche de barbe ne disparaît jamais. En plus de ça, voyez-vous, c’est une sorte d’obsédé. Oh ! c’est pas qu’il pense plus au cul qu’un autre, c’est plutôt qu’il est capable de tirer n’importe quoi… Enfin, n’importe qui. Et y a pas que ça, il voue un culte aux prénoms et aux noms. Le mec veut toujours connaître votre identité tout entière, à la lettre près. Allez savoir pourquoi…Quand il dispose de toutes les informations, il se marre en poussant des petits shhhhhh, shhhhhh, ses grosses joues lui remontent aux yeux et son bidon se contracte et se décontracte. Sans lui donner la beauté, faut lui laisser qu’il a fière allure quand il rit.
Quant à Cosimo, c’est un grand rital qui fait souvent mine d’avoir un ego surdimensionné. Mais je pense pas qu’il en ait autant, au fond. C’est plus le genre à jouer en société, à rouler les mécaniques et tout ça. Quand on le connaît, il est différent, il devient plus vrai, moins irritant, il joue moins de sa carrure, qui est, faut le dire, plutôt costaude. Quand on le connaît Cosimo, on y découvre une grande sensibilité, presque crédule, mais c’est pas le mot. En tout cas, il est très attentionné, on peut compter sur lui. Un vrai pote. Mat qu’il est ce con. Les cheveux comme de la paille noire. Des yeux noisette. Son défaut physique préféré c’est ses tétons, pointus comme des poinçons. Faut pas les mentionner, sinon il s’énerve en dedans, rit jaune, se rétracte, profère des menaces, mais c’est lui qu’est déjà blessé, et ça se voit.
Moi ? Bruno Raillard ? Oh ! y a pas grand-chose à dire… Passons pour le moment, trop de descriptions tuent le fil de l’histoire. Si ça vous fait plaisir, imaginez-moi comme vous voulez. Me donner pas trop de beauté, par contre. N’allons pas trop loin dans l’imaginaire. (Je ris. Pas vous ? Tant pis.)
Donc on s’est fait la Rue De L’École De Médecine. Pour ceux qui ne connaissent pas Genève, c’est une rue où y a que des bars – ou presque. Le soir, c’est peuplé d’étudiants en quête d’ivresse. Pour un amateur de femmes, le passage féminin peut y être intéressant. Pour un buveur, les prix sont « raisonnables ». Je réunissais amateur de femmes – surtout pour le mot amateur – et buveur. Je passai une bonne soirée. Mais, les bars c’est comme tout établissement : arrivé une heure, ça ferme.
Quand on s’est retrouvés sur le trottoir et que peu à peu la rue se vidait, Cosimo a demandé à Oscar s’il voulait rentrer, mais n’a guère cherché à connaître mon avis. Il devait savoir qu’en aucun cas j’avais mon compte.
Alors on a marché en direction des Pâquis. Sauf que sur le chemin on a fait un arrêt. Une sorte de léger détour sur le parcours. On a croisé des noirs vers l’Usine – une boîte alternative qu’ils appellent ça – et deux minutes après j’avais une boulette blanche dans la poche.
On s’est arrêté dans une ruelle noire et déserte, puis on a pris nos clés pour couper le sachet. C’était pas emballé, c’était cadenassé ! On a ramé un p’tit moment pour ouvrir cette merde. Et quand un peu de poudre est tombée, j’ai sorti ma carte d’identité et ai tout foutu dessus. J’ai arraché deux bouts de papier de mon bloc-notes de super écrivain, en ai pris un et donné l’autre à Oscar pour en faire des pailles. Cosimo touchait pas à cette merde et il avait bien raison. Oscar et moi c’était occasionnel, quand on était pétés et qu’on en voulait encore plus. Et finalement, c’était plus des « essais » répétés qu’autre chose, puisqu’on en avait pris si rarement. On savait pas vraiment pourquoi on en prenait… Sur le moment, ç’avait l’air d’être la chose bienvenue, mais le lendemain tu regrettais… Du pognon et de la santé foutus en l’air… De la connerie pure…
À chaque trait, je me demandais pourquoi je sniffais… C’est vrai, pourquoi ?... La coke ne me défonce pas à proprement parler, c’est-à-dire qu’elle n’obstrue pas ma pensée, que je ne divague pas comme je peux divaguer sous joint ou sous alcool. Non. Ma tête reste « clean ». Mais y a tout de même un sentiment de bien-être, une motivation et de l’énergie qui s’immiscent en moi. Étrange sensation. Éphémère sensation surtout. Pis sans compter qu’on a envie d’en reprendre toutes les cinq minutes une fois qu’on a tiré le premier trait. Tout ça pour pas grand-chose, au final. Si ce n’est la « goutte », le goût d’essence dans la bouche, le nez qui coule et les palpitations au cœur. Le seul point positif, peut-être, c’est de pouvoir boire jusqu’à pas d’heure, et des doses monumentales !...
Après ça, j’avais plus une thune. Mais c’était pas grave, Oscar m’avança cinquante balles.
Une fois dans le cabaret, je commandai une bière puis allai tirer un trait aux chiottes. Et les chiottes sont tout ce dont je me souviens du cabaret. Elles étaient basiques mais demeurent mon seul souvenir. Enfin presque. Je me souviens également d’une des putes qui y travaillait. Tenue et brune, les yeux verts en amandes, des seins qui ne demandaient qu’à sortir de son soutif. On a échangé deux mots et quand je dis deux mots, ce n’en est que quelques-uns de plus. Elle m’a demandé de lui offrir un verre et je lui ai dit que j’avais pas une thune, après quoi elle s’en est allée vers un autre branque. J’ai souri et ai pensé à autre chose. J’avais l’ivresse et ça suffisait. Je ne dépensai les cinquante balles que pour ma gueule.
Pourquoi en aurais-je eu quelque chose à foutre ? Payer verre sur verre en échange de banalités dans un anglais mal maîtrisé ? Des discours de convention ? Une femme qu’on paye pour qu’elle nous dise ce qu’on veut entendre, comme quoi on est beau, drôle, intelligent ? Payer pour ce genre de mensonges éhontés ? Et se prendre au jeu, se faire avoir jusqu’à croire qu’elle est différente avec nous ? Qu’on a peut-être une chance de lui plaire ? En voilà une qui sait que je suis pas un de ces connards lubriques ! J’ai du cœur, moi ! Ça ouais ! Un trop gros, un qui est à l’étroit dans c’te foutue cage thoracique…
Croire à ces foutaises, se laisser illusionner par un joli minois qui nous extorque ? Non, merci. Le monde débloquait déjà assez comme ça pour que j’en rajoute une couche… La défonce. Mmmmmmh ! La défonce !... J’avais que ça en tête. Y avait certainement chose plus intelligente, mais j’avais besoin de planer. Je ressentais ça bien profond en moi. Comme une évidence. Une évidence, oui. Arrivé à un stade, on se pose plus de questions. On démarre par une bière et on embraille par dix, vingt autres. Les dégâts ? On y pensera un autre jour. On y pensera en buvant un verre, histoire de prendre ça avec légèreté. Et tout recommencera jusqu’à ce qu’on ne puisse plus…
Et on s’est encore retrouvés sur le trottoir. Rien ne semblait s’être passé… J’avais tiré des traits aux gogues, parler trois secondes vingt-six millièmes avec une prostituée et je me retrouvais sur le trottoir. Y avait du monde. Les autochtones noctambules de Genève – putes, dealers, drogués, jeunes en recherche d’ivresse, vieux sur le retour cherchant une quinzaine de minutes de plaisir charnel… On voyait jamais ça sur les cartes postales, on voyait pas ces rues crades, mortes ; où, pourtant, respirait quelque chose de vivant, de palpable, de beau (presque), malgré la tragédie humaine.
Quand j’ai arrêté de gamberger et que j’ai éteint ma clope en l’écrasant contre le goudron sale, j’ai aperçu Oscar qui dansait devant une vitrine – parce que maintenant y avait des vitrines comme à Amsterdam, à peu près.
Deux putes à moitié à poil le regardaient de l’intérieur. Une était vraiment laide, l’air maussade. Amère qu’elle semblait être. L’autre était plus jeune, blonde et élancée. Elles percutaient pas vraiment ou alors elles snobaient Oscar volontairement.
Alors que Cosimo, complètement bourré, se marrait en observant Oscar, je pris ce spectacle pour une terrible insulte envers les prostituées. Elles en avaient vu d’autres, et des bien pires, mais je trouvai ce comportement inadmissible. Pourtant aucune méchanceté n’émanait d’Oscar… Mais tout de même ! Il me révoltait !...
Il a commencé à marcher vers le bord du lac et on l’a suivi machinalement, sans réfléchir, comme des automates.
Mais on continuait à discourir sur le sujet avec Oscar. Bien sûr que je ne pensais pas que sa mère était une pute, en plus je ne l’avais même jamais rencontrée. Et même si ça en avait été une, j’en aurais rien eu à foutre…
Comme quoi la défonce mène parfois à des incompréhensions énormes, des malentendus fiévreux…
Le ton montait et on se balançait quelques insultes par-ci par-là. On défendait nos positions sans plus trop savoir ce qu’elles étaient… On s’entêtait, on voulait pas lâcher l’affaire. D’une mauvaise foi totale qu’on était…
On voulait pas dire grand-chose… Et on s’en est aperçus une fois arrivés à hauteur de Rive. On s’est mutuellement excusés, serré la main, puis on a ri. Ce qu’on pouvait être con par moment…
On a remercié Cosimo et on est montés.
Arrivé chez moi, il était cinq heures du matin. J’ai allumé une dernière clope et mis le réveil à midi. Le lendemain, j’avais rendez-vous chez le médecin pour le résultat de mes analyses sanguines. En temps normal je me serais inquiété, mais dans cet état, la foudre aurait pu me tomber dessus que je me serais moins préoccupé de mon sort que de celui des putes qu’on maltraitait. Pour autant, ce n’était pas par altruisme… D’ailleurs, je ne savais même pas pourquoi je me souciais plus d’elles que de moi…
Mais bon, l’effet de la coke était retombé et l’ivresse m’aida à sombrer dans une légère forme de coma.
Je laissai les emmerdes au lendemain. Pour l’instant, quelques heures de sommeil précieux m’attendaient. Là était l’important.
Mon réveil sonna. C’était censé être le jour J.
J’ai ouvert les yeux et ai tapé sur le portable pour que la sonnerie s’arrête. J’avais légèrement la gueule de bois mais ça allait. Une douche et je serai au top.
J’avais le dos enfoncé dans les coussins du canapé. J’y dormais tous les soirs, sur ce canapé. Bleu foncé qu’il était, avec des nuances de gris, comme le tapis. J’ai pris mon paquet de clopes sur la table basse et l’ai fourré dans une poche de mon jean – jean avec lequel j’avais dormi. Je toussai et le cendrier plein à craquer en confirma la raison.
Les pompes aux panards, la porte du local ouverte, ébloui par la lumière du jour, je me suis dirigé chez ma mère. Elle habitait l’immeuble, moi le local au fond du jardin, une sorte de cabanon en bois que je m’étais aménagé en studio. Le confort et l’intimité, plus la tranquillité, quoi de mieux ? Manquait qu’une chiotte et de la flotte, sinon j’étais verni.
L’immeuble comprenait quatre étages, trois familles – dont la nôtre – et une jeune au dernier. Ma mère m’avait dit qu’elle était bien faite, mais je ne l’avais jamais vraiment vue. Et je m’en foutais bien de cette voisine. De ce que j’avais entrevu, c’était une fille BCBG, le genre à trémousser du cul comme si c’était une œuvre d’art, le genre à passer trois heures à la salle de bain, à pestiférer contre le réchauffement climatique, pépère assise clope au bec dans son 4x4. Tout de la salope chic, quoi.
L’appartement était vide. Ma mère et son conjoint au boulot, ma sœur à l’école. Tant mieux. C’est préférable les réveils solitaires. Pas de blabla incongrus dès le réveil, pas d’autres êtres vivants à affronter, à singer, avec qui faire les convenances, le sourire obligatoire… Parce que la mauvaise humeur on n’en veut pas… Faut le « smile », le sifflotement et l’air niais des gens heureux quand on croise un congénère. D’autant plus s’il partage un peu de notre ADN. Sinon c’est l’avalanche de questions, la neige dans les idées et dans la bouche, les poumons obstrués et l’oppression brutale du cercueil qui se referme. Non, vraiment, j’suis pas du matin. Même si mon matin c’est l’après-midi.
La compagnie d’un chat, en revanche, est rafraîchissante. Bandini qu’il s’appelait le nôtre. Tout blanc, sauf la queue et les oreilles noires – gris foncé plutôt. Les yeux bleus, tels des perles. Le minois qui se rapproche de vous avec curiosité, qui miaule on ne sait pourquoi, c’est nettement plus sympa qu’un être humain.
Quand j’ai allumé ma cigarette après la première gorgée de café, j’ai regardé par la fenêtre. Il faisait beau, pas un nuage. D’ailleurs pourquoi réserve-t-on le « beau temps » au ciel azuré ? Personne n’a jamais vu les nuances magnifiques d’un ciel en plein orage ? Du gris, du noir, du jaune, de l’orange, du rouge, du bleu clair et foncé ; le ciel qui montre enfin un peu de personnalité en gueulant… ça les laisse de marbre les pékins ? Il n’avait rien à offrir, ce jour-là, le paysage. La banalité d’un top model anorexique. J’aurais préféré une putain sur le retour. C’est plus expressif. Question de caractère…
J’avais le cafard et aucune envie de me rendre chez le médecin. Après tout, mon foie était peut-être foutu ? J’avais vingt-deux ans et avais passé quatre années à boire comme un trou…
J’y ai réfléchi, aux probabilités, moi, sous la douche. À raison d’au minimum trois litres de bière par jour, et en faisant des efforts, mon foie il devait broyer du noir. Une éponge visqueuse, recrachant de l’huile de moteur, que ce devait être… Un truc ignoble, morose, abject, dégueulasse… Doublé d’une enflure de feignasse, comme son proprio… Ne faisant plus son sale travail correctement…
Le foie foutu… Vingt-deux printemps comme ils appellent ça. J’étais né en automne. La nuit. Leur printemps ils pouvaient se le carrer profond et avec hargne.
Mais on allait sur le mois d’octobre, ça allait. Le temps bientôt virerait au gris et à la pluie, et je ne m’en sentirais que mieux. Finis les gros culs au soleil, les seins flasques rebutant même leur soutif, les vergetures apparentes, les pectoraux des machos plus cons qu’un type cherchant le bouchon d’eau tiède… Maintenant, la pluie et les gens qui se risquent à sortir ! Ah ! La tranquillité !...
Le miroir m’a fait de la peine quand je suis sorti de la douche. Je m’y trouvais pâle, mes yeux bleus verts manquaient d’éclat, j’avais une légère barbe éparse et en étais complexé – j’en voulais une entière, une vraie, une bien robuste et noire. Je peinais à coiffer mes cheveux châtains, une chiée d’épis que j’avais ! Insoumis ces cons-là… Impossible à mettre en ordre. J’aurais pu mettre du gel… Mais je déteste l’air « je sors de la douche ». J’ai abdiqué, ma gueule était ce qu’elle était et puis je ne la reverrai plus de la journée. Rien de grave. Un agacement superflu en somme.
Habillé sobrement – un t-shirt blanc, une chemise grise, des jeans et des baskets noires –, voilà que j’étais tout frais devant la porte du cabinet. J’ai failli ne pas entrer, partir et m’en foutre de ma santé. Mais ma mère et ma sœur m’aimaient, les potes aussi. Quand ils seront plus là, je les rejoindrai, mais pour l’instant faut que je vive, je me suis dit. C’était terrible comme sentiment… « Devoir vivre »…
J’attendais dans la salle d’attente et elle portait bien son nom. Dieu qu’y avait du monde ! Des vieux surtout. Moroses en plus. De quoi donner l’envie de trisser vite fait. Ce que j’ai fait. Mais je suis pas allé bien loin, seulement derrière la porte, dehors, fumer une cigarette. J’avais tout de même prévenu l’infirmière qui servait de réceptionniste. J’étais pas loin, y avait qu’à ouvrir la porte et on m’y trouverait la tête dans un nuage bleu et gris, soufflant ma pollution interne.
En revenant, un type, la soixantaine, quelques cheveux ayant échappé au génocide, des lunettes, une tête de patron pas de celui qui a trimé sous les ordres, m’a adressé la parole.
Je lui avais rien demandé…
Je restais dans mon mutisme. Mais au lieu de le résoudre à se taire, ça semblait l’encourager. Beaucoup de gens n’aiment que s’entendre. Encore plus quand ils peuvent parler de leur vécu à des jeunes… L’air de dire : « Tu verras, en grandissant, la raison te viendra. » À mots couverts : « Pour l’instant, t’es qu’un p’tit con, écoute-moi bien et tires-en des leçons ! »
Il continuait et continuait… continuait ce discours banal… entendu et réentendu à outrance…
Je ne lui avais toujours rien demandé…
Il semblait si fier que je n’osais l’interrompre. Il se sentait sage le con !... Il croyait vraiment m’apprendre quelque chose !... En maître spirituel il s’inventait, façon fantasmagorique !... Un film tourné trois cents milliards de fois… Avec les mêmes discours éculés… Encore, et je dis bien encore, s’il y donnait du ton, un brin d’humour ou quelque chose de la sorte, encore ç’aurait peut-être pu, et je dis bien peut-être, être intéressant. Mais non ! Un rébarbatif ! Un pompeur de mauvais contes moraux ! Une saloperie !...
J’espérais qu’il ait le cancer des poumons quand le docteur m’invita à le suivre dans son bureau. Il m’avait rendu méchant, tronche de patron…
C’était bien ça.
Il m’a tendu la feuille des résultats. Tout allait bien sauf le foie. Pancréas nickel, reins solides, taux de mauvais cholestérol OK, bon cholestérol un peu en dessous mais rien d’inquiétant. Le foie, tout était dans le rouge. Enfin moi je comprenais rien à ces données, mais tout était dans le rouge. Y avait des chiffres représentant les enzymes, me semble-t-il, et certains faisaient le double du taux dit normal. Tout ceci n’est pas clair et fait franchement désordre, je l’avoue, désolé lecteur, lectrice. L’important était que mon foie se dégradait. Mais, plus important encore, je n’avais pas la cirrhose. Fallait juste que je diminue FORTEMENT la picole. Jeune, le problème devait se résoudre facilement.
Bon sang ! Diminuer !... Arrêter les conneries… « Être normal »… Ou du moins, vivre en tant que tel… Prendre le train-train quotidien de monsieur tout le monde… Finies les grandes cuites à finir à l’aube ! À plus savoir où qu’on a dépensé tout ce pognon ! Les rires sans se forcer !... Les choses qu’on aurait jamais faites sobre… Et le reste… Attention : tous les désagréments, les tortures quotidiennes vont vous revenir en pleine gueule, mon petit Bruno !
Attention !
ATTENTION !
Attention…
En sortant, j’ai appelé Cosimo qui habitait tout à côté et il m’a invité à boire le café sur sa terrasse.
J’ai rien répondu et on a rien dit pendant un court instant. Je me sentais vraiment mal, triste, déchu… Le foie n’en était pas la cause, mais l’arrêt d’alcool que j’avais décidé de m’imposer.
Puis son portable a sonné, à Cosimo, lui qui était déjà dessus depuis cinq minutes à « tchater ». Oscar à l’autre bout du fil. Il arrivait. Ça voulait certainement dire partie de cartes. Je penserai à autre chose que boire en jouant, tant mieux.
Il est arrivé et je lui ai expliqué la situation. Il m’a demandé si j’arrêtais dès aujourd’hui et je lui ai répondu par la positive, ce qui me rendit terriblement négatif quant aux jours à venir…
On a commencé à jouer et j’étais au Schwepps Agrum. Breuvage pas assez corsé… Le jeu c’était le ching-chong,