Le chant de l’oiseau - Hugues Lancry - E-Book

Le chant de l’oiseau E-Book

Hugues Lancry

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Beschreibung

"Le chant de l’oiseau" vous entraîne dans un voyage fascinant à travers un pays de marchands, à la découverte d’un oiseau qui murmure des secrets à l’oreille de Milka. Mais dans le tumulte du quotidien, entendre cet oiseau ne sera pas une tâche aisée. Le vacarme du monde se dresse comme un obstacle imposant. Au travers de ses pérégrinations, Milka devra affronter un adversaire aussi redoutable que puissant, dans une quête où chaque chuchotement de l’oiseau devient une clé vers la vérité.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Hugues Lancry considère l’écriture comme un lieu d’évasion et de transcription du réel avec lequel tout peut être créé dès lors que l’on ouvre son espace intérieur à un ailleurs et à l’inconnu. "Le chant de l’oiseau" est le résultat de ce cheminement et du dialogue entre la petite voix intérieure et la réalité.

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Couverture

Page de titre

Hugues Lancry

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le chant de l’oiseau

Conte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Hugues Lancry

ISBN : 979-10-422-3432-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En mémoire d’Abdou

 

 

 

 

 

I

 

 

 

Dans un pays où les hommes et les femmes dépensaient leur énergie sans compter pour apporter de quoi faire vivre leur famille, les enfants étaient libres de courir dans les champs. Mais le soir, quand tout le monde rentrait à la maison, la vie devenait très compliquée pour Milka. Disputes, gronderies, cris, coups, brimades, punitions. C’était le quotidien du dernier-né d’une famille de six enfants que son papa avait pris en grippe et qui était battu, fouetté, attaché dans la cour.

Sa maman n’osait rien dire, mais le déliait chaque matin dès que son mari quittait la maison.

Alors, il oubliait toutes les roustes reçues et partait courir dans la montagne en boitillant, espérant ne jamais revenir. Mais il avait peur de la nuit et, chaque soir, préférait affronter les rossées de son père plutôt que les monstres qui devaient assurément peupler la montagne. Les années passant, son corps restait chétif de n’avoir pas reçu beaucoup d’amour, mais devenait résistant comme du chêne. Il était persuadé qu’un jour son père le tuerait. Toutes les nuits, attaché dans la cour, les « pourquoi » restaient coincés au fond de sa gorge sans un son. Qu’avait-il bien pu avoir fait pour mériter cela ? Il voulait mourir. Il voulait s’enfuir dans la montagne et mourir.

Milka avait maintenant près de dix-huit ans et n’aspirait qu’à mettre fin à ses jours. Dix-huit ans à entendre dans ses oreilles et sur son corps qu’il n’était rien, un bon à rien, un inutile, une bouche de trop et bien d’autres choses plus cruelles encore.

Lorsque sa mère le détacha le lendemain, il se décida, à passer à l’action, à ne plus revenir et à dépasser sa peur de la nuit. Il courut dans la montagne prendre le plus de forces possible et repérer les lieux qu’il connaissait par cœur. Mais la nuit, la peur déformait tout et il ne reconnaissait rien. Il dut se maîtriser quand la pénombre enveloppa les bosquets et les arbustes. C’était si difficile d’affronter ces énormes formes noirâtres, bruissantes qui le perçaient de leurs yeux noirs pour se persuader qu’il ne s’agissait que de rochers, branches d’arbres et autres feuillus. Mais il y avait aussi ces murmures et chuintements terribles. Son cœur battait si fort qu’il croyait entendre un bruit de tam-tam à l’extérieur. Il avança vers le promontoire assez haut d’où il avait décidé de s’élever à jamais dans le vide de toujours. Par inadvertance, en montant sur le monticule, une branche d’arbre l’effleura. Il sursauta, sa cheville gauche se tordit. Milka glissa, sa tête heurta violemment un rocher et il déboula plusieurs mètres plus bas, inanimé.

 

 

 

 

 

II

 

 

 

Allongé sur le dos, la tête de côté, il respirait faiblement quand un mouvement ample lui souleva les épaules à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’un oiseau de taille moyenne au pelage vert s’extirpe de sa poitrine et vienne se placer en face de lui.

— Milka, Milka, chuchota l’Oiseau.

 

Il souleva une paupière, puis l’autre.

— Suis-je mort ?
— Pas encore, répondit l’Oiseau.
— Est-ce toi qui me parles ? Est-ce toi, un oiseau ?
— Je te parle depuis très longtemps, mais tu n’écoutes pas vraiment.
— Qu’est-ce que je n’écoute pas ?
— Les réponses aux questions que tu me poses.
— Mais qui es-tu ?
— Je suis la Voix que tu as en toi, qui est là pour te guider, mais comme tu allais prendre vraiment un mauvais chemin et que tu ne m’écoutais pas… Il a fallu que je sorte.
— Tu es sorti d’où ?
— De toi.
— Tu étais en moi ?

Toute cette conversation faisait oublier la triste vie de Milka, et comme son corps lui faisait mal, il se rappela soudainement pourquoi il était là.

— Alors, tu m’as empêché de mourir !
— …
— Pourquoi as-tu fait ça ?
— Parce que même si ta vie te paraît difficile, très difficile, tu ne connais pas ton avenir et moi je sais qu’à un moment donné tu seras très utile et que pour cela il te faut vivre. Ta vie ne t’appartient pas.
— Oui, mais elle n’est pas drôle ma vie, je la déteste.
— Je te comprends, mais rien ne dure vraiment. Il faut toujours garder en soi de l’espoir en l’avenir que tu ne connais pas. Regarde, jamais tu n’aurais imaginé me rencontrer, jamais tu n’aurais imaginé entendre ce que tu as entendu sur toi, n’est-ce pas ?
— Mmm…
— Eh bien, si tu le veux, à partir de ce soir, ta vie peut changer. Ce matin, tu te pensais sans avenir et maintenant je t’en offre un. Et cet avenir c’est toi qui vas l’écrire.
— Que faut-il que je fasse ? demanda Milka qui s’était assis en grimaçant.
— Faisons d’abord un petit exercice. Veux-tu bien penser à ton cousin Kalef ?

Kalef était le cousin que Milka haïssait, car il avait dénoncé sa cachette à son père un jour où il essayait d’échapper aux tortures quotidiennes. Il se souvenait encore de son sourire méchant. En pensant à lui et à sa méchanceté, tout le corps de Milka s’était durci, contracté, ses muscles et son intériorité aussi.

— Aïe ! cria Milka dont les douleurs venaient de se réveiller.
— Tu vois, lui dit l’Oiseau, comme les sentiments de colère et de haine même justifiés te crispent et ne sont pas bénéfiques à ton corps. Tu as crié parce que tes muscles sont endoloris, mais sache qu’il en est de même avec ce qu’il se passe en toi. Ces évocations sont aussi douloureuses. Les muscles de la colère et de la haine nous empêchent d’être aimant et doux même quand on le désire, ajouta-t-il.

 

Tant de choses nouvelles pour Milka. Depuis sa naissance, c’était la première fois que l’on s’intéressait vraiment à lui pour lui parler de ce qu’il comprenait. Il n’était peut-être pas aussi bête que son père le lui avait asséné. Peut-être pouvait-il s’imaginer un avenir après tout. Et il commença à penser à ce que lui avait dit l’Oiseau : il deviendrait enfin utile. Il essayait de s’imaginer en situation. Il avait suffi de recevoir des paroles positives, des paroles de confiance pour inverser un processus.

— Je compte pour cet oiseau, s’était-il dit et il se sentait exister.

Cela suffisait pour se projeter dans un ailleurs qui serait le sien et pas forcément celui dicté par un autre. Il y avait quelqu’un pour qui il comptait vraiment à présent et cela avait de l’importance à ses yeux.

Plus il se laissait habiter par tous ses sentiments positifs, plus il se sentait confiant et plus, curieusement, il considérait l’histoire avec son cousin avec davantage de distance. En l’évoquant, il la voyait toujours, mais le sourire de Kalef se transformait en une mimique exprimant plus de pitié que de colère. Dans le cœur de Milka, les choses changeaient.

— N’est-ce pas mieux ainsi ? demanda l’Oiseau.
— Je me sens plus léger, plus libéré, confia Milka.
— Crois-tu pouvoir faire pareil avec ton père ?

Le cœur de Milka ne put s’empêcher de se serrer au point de lui faire mal, il devint blême.

— Ne t’inquiète pas, c’est une bonne occasion de te délivrer de cette entrave, je suis avec toi.

Il décida de s’allonger par terre et de fixer les yeux sur l’Oiseau tout en pensant à son père. Le fait de garder les yeux sur le volatile rendait les évocations du passé acceptables, il maintenait une certaine distance. Le souffle, un instant rapide à cause de l’inévitable peur, retrouva un rythme paisible et la voix de l’Oiseau accompagna le voyage de Milka, là où les souvenirs étaient trop pénibles. Il se vit à plusieurs reprises, attaché, meurtri, ensanglanté, mais toute la force que lui donnait l’Oiseau lui permettait de regarder cet autre Milka sans trop d’émotions, comme quelqu’un du passé dont il se sortait vainqueur et sans esprit de vengeance. Il traversait des scènes où son père le fouettait, et ressentait une sensation d’étouffement pour cet homme qui, en face du petit garçon qu’il avait été, n’avait d’autre comportement possible que celui de le battre et de le torturer. Il découvrait à quel point cet homme était prisonnier de lui-même. Il ne pouvait rien pour lui. Milka s’était défait du lien négatif et se sentait apaisé.

— Je me sens plus libre maintenant, dit-il en tournant la tête vers l’Oiseau.

Celui-ci s’était posé sur sa poitrine.

— Désormais, tu vas pouvoir suivre ton chemin, je vais reprendre ma place, ajouta-t-il, tu es devenu un homme.
— Tu t’en vas ?
— Non, je retourne d’où je viens. Tu es maintenant capable de m’écouter.

 

Milka plongea dans un sommeil, libéré. Il y eut un battement d’ailes et l’Oiseau disparut au cœur de sa poitrine.

 

 

 

 

 

III

 

 

 

C’était le petit matin. Une chenille lui grimpait ostensiblement sur le nez et les chatouilles le tirèrent de ses rêveries. Milka ouvrit les yeux sur un monde nouveau. Il se passa la main dans les cheveux et sentit la croûte de sang séchée, reliquat de sa chute de la veille. Et puis, il y avait ce rêve incroyable. Il ne put s’empêcher de porter la main à sa poitrine. Il se sentait léger, plus de liens entravant ses mouvements, enfin libre. Il allait pouvoir écrire sa vie maintenant. Tout d’abord, quitter sa région, partir loin de ce qu’il connaissait, de sa parenté, de tous ceux qui pouvaient le ramener vers cet horrible passé et vers cet autre lui-même qu’il avait abandonné dans son rêve pour une promesse d’avenir merveilleux, ainsi que le lui avait annoncé l’Oiseau Vert. Quand il se redressa, il eut l’impression d’être plus grand. Il était persuadé que le monde ne pouvait pas être pire que ce qu’il avait connu et qu’il y avait forcément de belles choses à découvrir et d’authentiques personnes à rencontrer. Il n’avait d’autre solution que de s’enfoncer à travers bois et suivre le sentier qui l’écartait à tout jamais de son village.

Au bout de plusieurs heures de marche sous une belle journée de soleil, la soif et la faim se firent sentir. Il avait quitté la forêt pour traverser une grande zone sablonneuse à perte de vue parsemée çà et là par quelques rochers. Il se reposa un instant, adossé à l’un d’eux, se demandant comment il pourrait s’alimenter. Il avait beau regarder de tous côtés, il n’y avait rien de comestible. Seules quelques fourmis se nourrissaient d’anciennes traces d’un chameau quelques centaines de mètres plus tôt.

— Milka, va t’asseoir là-bas à côté et attends.

Milka se retourna brusquement.

— Qui me parle ?

 

Il n’y avait personne. Il n’avait pas rêvé, il avait bien entendu une voix. Elle lui avait dit quelque chose. Mais qu’avait-elle dit ? Pourtant il n’y avait personne. Milka commença à faire des cercles autour du rocher de plus en plus grands jusqu’à atteindre une cinquantaine de mètres sans trouver âme qui vive. Il revint s’asseoir près du rocher et se laissa glisser sur le sol tant pour prendre son souffle que pour retrouver ses esprits.

— Suis-je en train de devenir fou ? se demanda-t-il.

Son cœur s’était à ce point apaisé après sa course qu’il semblait ne plus le sentir. Il posa sa main droite dessus. C’est alors qu’il entendit de nouveau :

— Milka, va t’asseoir là-bas à côté et attends.

Tout à coup, il eut une illumination :

— C’est toi, l’Oiseau ?
— …

Milka ressentit une chaleur le traverser, mais il n’eut pas de réponse. Il regarda de nouveau dans la direction, là où il lui était indiqué de s’asseoir. Cela n’avait pas de sens. S’il commençait à écouter toutes les voix qu’il entendait à l’intérieur de lui, il ne s’en sortirait pas. Milka se posait mille questions fusant de toute part. Il se leva, grimpa sur le rocher et aperçut une caravane qui, se dirigeant vers le point où Milka était censé attendre, allait l’atteindre d’ici peu. Une caravane, c’était l’assurance d’avoir un peu de quoi boire et manger.

Sa faim le rappela aussitôt à l’ordre, une crampe lui tordit l’estomac. Il détala aussi vite qu’il put afin de couvrir les centaines de mètres qui le séparaient du point où il devait s’asseoir. Mais il se tordit le pied dans le sable. Alors qu’il se relevait, les premiers arrivants atteignaient le point de rendez-vous et le dépassaient. Milka ne put reprendre sa course qu’en boitillant, il y avait encore une grande distance à parcourir et la caravane continuait son chemin. Arriverait-il quand même à arrêter l’un des hommes ?

Tout en avançant, il voyait défiler des chameaux et des dromadaires en une colonne interminable au point qu’il n’en voyait pas la fin. Il venait d’atteindre le tas de fourmis et bien qu’il tournât la tête de droite et de gauche, les chameaux s’étendaient à perte de vue.

Les marchands le remarquaient bien, mais personne ne s’arrêtait pour autant. Milka avait l’impression que nombre d’entre eux semblaient dormir sur leur monture, bercés par le balancement. Fatigué, il alla s’asseoir par terre, juste à côté, ne sachant plus quoi faire et se prit la tête dans les mains.

— Tu devrais te pousser de là, lui dit l’homme du haut de son chameau, c’est l’endroit où cette bête vient se soulager à chaque passage.

Milka se redressa vivement, mit sa main en visière pour mieux voir à qui il avait à faire.

— Vous n’auriez pas une place dans votre caravane pour moi ?
— Que fais-tu si loin au milieu de nulle part ? Tu me sembles bien désemparé, lui dit l’homme qui fixait sur lui un regard pénétrant.
— C’est une longue histoire, répondit Milka qui ne voulait pas s’étendre.
— Parfait, répondit l’homme, j’espère que tu trouveras ton chemin. Et il donna un coup de collier pour reprendre sa route.
— Attendez, attendez, vous n’avez pas une place pour moi ?
— Je ne peux pas prendre quelqu’un dans ma caravane pour un si long chemin si je ne connais pas son histoire.
—  
— N’en dis pas trop, lui conseilla la Voix.
— Eh bien, je suis parti de chez moi ce matin, répondit Milka qui n’avait peut-être pas entendu.
—