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La saison estivale approche au port de pêche du Conquet, les premiers touristes arrivent tandis qu'un homme, connu et apprécié dans la région, est retrouvé assassiné...
Au bout du monde, dans le petit port de pêche du Conquet, la saison estivale approche à grands pas et attire les premiers touristes, impatients de séjourner sur ce littoral sauvegardé. Pourtant, alors que les estivants s’adonnent au farniente, une sommité locale appréciée de tous est assassinée, noircissant le tableau bucolique des vacances. Qui peut bien en vouloir à cet homme, discret et taiseux et à sa famille ?
Le lieutenant Darcival est dépêché sur les lieux pour résoudre cette affaire mais la machine meurtrière s’emballe, la haine se déverse, meurtrissant les âmes et les corps, mettant à rude épreuve le calme de ce si joli coin de Bretagne.
Le calme des vacances ? C'est de l'histoire ancienne à Conquet, où le lieutenant Darcival doit résoudre cette enquête au plus vite alors que les meurtres s'enchaînent. Découvrez sans tarder ce polar régional sombre et inquiétant !
EXTRAIT
"— Eh Jo ! Qu’est-ce que tu fous ? Le patron ne tenait plus la barre quand il entra dans la timonerie mais c’est elle qui supportait son poids. Affalé dessus, les bras pendant le long du corps, sa tête avait explosé. À l’intérieur, les cloisons sanguinolaient d’éclaboussures anarchiques. Yann actionna la manette de commande et coupa la vitesse freinant ainsi la course du bateau. Alertés par la manœuvre subite, Kévin et le chef mécanicien accoururent.
— Merde ! lâcha dans un souffle Kévin. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Incapable de répondre, encore sous le choc, Yann ne bougeait plus, le regard fixe, hébété. Précipitamment, il se jeta à la fenêtre pour vomir dans la nuit. Plus calme, Michel, le chef mécanicien, prit le temps de détailler la scène. C’est ainsi qu’il vit un impact dans la vitre latérale droite, probablement occasionné par le tir d’une balle, pensa-t-il. Il se saisit de son portable et composa le numéro de la police. Dernier signe de vie dans la timonerie, le ballet de l’image radar sur l’écran qui tournait sur son axe."
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Lourdement appuyé sur la table, les coudes supportant un corps fatigué par des journées éprouvantes de travail, Jo Le Mestrel tournait machinalement sa cuiller dans un bol de café fumant. La pendule de la cuisine affichait 2 heures 30 du matin. Un bruit dans l’escalier lui fit lever la tête.
— T’es pas couchée ? marmonna-t-il.
Sa femme ne prit pas la peine de lui répondre et vint s’asseoir en face de lui. En silence, elle lui adressa un petit sourire, le regard perdu dans le visage taillé à la hache de son mari.
Elle s’attarda sur ses yeux par lesquels il s’exprimait davantage que par la parole et à cet instant, elle y lut comme un reproche. Aussitôt, elle s’appliqua à lui resservir du café.
— Tu en as assez ?
Il ne répondit pas, se contentant de se redresser un peu, prit une profonde inspiration sonore et finalement lâcha :
— Tu l’as encore vu hier ?
— Qui ?
— Tu sais bien de qui je veux parler ! dit-il en baissant les yeux sur son petit déjeuner tout en tambourinant de ses doigts épais et musculeux la toile de la nappe cirée.
— Tu es ridicule !
En disant cela, elle s’éloigna vers le réfrigérateur au fond de la pièce et ajouta :
— Tiens ! N’oublie pas ce que je t’ai préparé ! J’en ai rajouté pour tes gars !
Et elle posa devant lui une glacière avec le repas et les casse-croûte de la journée. Elle aimait savoir qu’il mangeait bien quand il se trouvait en mer. Sans se l’avouer, c’était pour elle une façon de se rassurer quant aux dangers qu’il courait, l’illusion de garder le lien avec lui. Du coup, elle agissait de même avec les deux matelots en les gratifiant quotidiennement de petites attentions qui prenaient la forme de charcuterie, de gâteaux et autres douceurs censées leur rendre le métier plus supportable.
Jo recula vivement sa chaise, se releva et se dirigea vers l’évier où il alla rincer son bol. Tout en l’essuyant, il regardait Valérie, sa femme, sans mot dire. Au même moment, un bruit de moteur se fit entendre juste devant la maison.
— C’est Yann ! Il est en avance ! dit-elle en écartant doucement les rideaux.
— Ah oui ! Bon, j’y vais ! Tu ne me caches rien ?
— Mais non voyons ! Tu te fais des idées ! Tu sais bien pourquoi on se voit !
Prenant sa femme par la taille, il la serra contre lui à l’étouffer et l’embrassa violemment. Quand il reprit haleine, d’une voix basse, il lui glissa dans l’oreille : « Je t’ai dans la peau, ne me trahis pas ! »
Pour toute réponse, Valérie passa les mains dans la tignasse sauvage de son mari, le regarda droit dans les yeux pour finalement lui appliquer un baiser sur le front.
— Allez, vas-y gros bêta, Yann t’attend ! Et ne tarde pas ! Ce soir il y aura une surprise… susurra-t-elle en prenant une pose lascive.
Dans la cour, juste devant la maison, la camionnette crachait son haleine de gas-oil dans le froid matinal. Sur le plateau arrière du véhicule, des filets et des casiers s’entassaient, prêts à être embarqués. Par la fenêtre avant, Yann fit un signe à Valérie qui les observait depuis la fenêtre de la cuisine.
Jo prit place sur le siège passager, se saisit de la cigarette allumée que lui tendait Yann et d’un hochement entendu de la tête lui donna le signal du départ. Le véhicule s’ébroua dans un concert de grincements et de respiration spasmodique pour prendre la direction du port.
Les rares réverbères éclairés balisaient la solitude matinale des deux pêcheurs comme une haie d’honneur dévolue à ces travailleurs de la mer. Les pétarades du moteur mal réglé éclaboussaient le sommeil de leurs congénères.
Il faudrait que je prenne le temps de le réparer, pensa Jo Le Mestrel en propulsant son mégot par la fenêtre d’une chiquenaude bien ajustée alors qu’ils abordaient la descente vers les quais où régnait déjà une certaine activité.
Alignés le long du bord, les fileyeurs caseyeurs dansant sur leurs amarres piaffaient d’impatience, laissant entendre la sourde rumeur de leurs gros moteurs diesel.
Yann vint se garer devant l’un d’entre eux “l’Albatros”, sur lequel Kévin Dourduff, le second matelot, s’activait déjà. Les deux ponts du bateau, l’avant et l’arrière, y disparaissaient littéralement sous un entassement très organisé de casiers bleus et noirs, 500 au total. Pour couronner l’ensemble, à la façon d’un sapin de Noël, des bouées roses dépassaient çà et là.
Péniblement, encore engourdi de sommeil malgré le café, Jo s’extirpa du véhicule et marqua un temps d’arrêt. Une bruine soudaine, portée par un vent d’ouest lui cingla le visage. À dix mètres sur sa gauche, il aperçut le patron du “Pen Kalett” qui lui faisait signe. Plus de vingt ans déjà que l’un et l’autre sillonnaient leur mer du bout du monde.
Tout en lui répondant de la main, il rejoignit son bord, le sac sur l’épaule et se rendit directement dans la timonerie où la VHF crachotait des mots inaudibles sur fond de parasites. Après avoir enlevé sa veste, il passa la tête au-dehors et interpella son équipage composé des deux matelots et du chef mécanicien qui dormait déjà dans le poste :
— Alors ?
— C’est bon ! répondit Yann, posté devant la table de filage. Tout est à bord, on est prêt !
— Larguez tout ! cria Jo, tout en posant sa main droite sur la barre, s’apprêtant à manœuvrer pour l’appareillage.
Yann et Kévin libérèrent l’Albatros des haussières qui le retenaient prisonnier et aussitôt, le bateau se mit en mouvement, fort de ses 600 CV.
Dans dix minutes tout au plus, toute la flottille aurait quitté le port et la petite ville côtière retrouverait le calme. Comme à la parade, les caseyeurs chamarrés quittaient un à un l’enceinte du port abrité, mettant les gaz sitôt passée la pointe de Kermorvan où le phare les saluait de son éclat. Les uns après les autres, la nuit les avalait, distillant de temps à autre l’éclat de leur éclairage de bord.
L’Albatros quitta le port le dernier. Moteur au ralenti, il se fraya un passage entre les bateaux au mouillage pour doubler enfin le bout de la jetée qui faisait face au large. À la barre, Jo s’allumait une cigarette pendant que Yann nettoyait le pont ; Kévin, lui, se reposait dans sa bannette. C’était ainsi tous les jours, le patron assurait le quart à la barre pendant que les autres membres d’équipage se reposaient en attendant d’arriver sur la zone de pêche. Alors seulement, ils attaquaient le travail après un petit déjeuner pris à bord, vers 5 ou 6 heures du matin. Aujourd’hui, ils allaient au-delà de la chaussée des Pierres Noires, à l’ouest-sud-ouest de la pointe Saint-Mathieu, à une vingtaine de milles du Conquet, leur port d’attache.
Brusquement, Yann interrompit le lavage du pont. Il se passait quelque chose d’inhabituel. Sur le coup, il lui sembla que le bateau avait perdu son cap. Inquiet, il laissa tomber son tuyau et se précipita à la timonerie. L’Albatros semblait tournoyer sur lui-même.
— Eh Jo ! Qu’est-ce que tu fous ?
Le patron ne tenait plus la barre quand il entra dans la timonerie mais c’est elle qui supportait son poids. Affalé dessus, les bras pendant le long du corps, sa tête avait explosé. À l’intérieur, les cloisons sanguinolaient d’éclaboussures anarchiques. Yann actionna la manette de commande et coupa la vitesse freinant ainsi la course du bateau. Alertés par la manœuvre subite, Kévin et le chef mécanicien accoururent.
— Merde ! lâcha dans un souffle Kévin. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Incapable de répondre, encore sous le choc, Yann ne bougeait plus, le regard fixe, hébété. Précipitamment, il se jeta à la fenêtre pour vomir dans la nuit. Plus calme, Michel, le chef mécanicien, prit le temps de détailler la scène. C’est ainsi qu’il vit un impact dans la vitre latérale droite, probablement occasionné par le tir d’une balle, pensa-t-il. Il se saisit de son portable et composa le numéro de la police. Dernier signe de vie dans la timonerie, le ballet de l’image radar sur l’écran qui tournait sur son axe.
— On ne touche plus à rien, ils arrivent !
Ils jetèrent l’ancre pour stabiliser l’Albatros et attendirent à l’extérieur en silence, tirant en rythme sur leurs cigarettes.
À l’autre bout de la pièce, la sonnerie du téléphone retentit. Enfoui sous des vêtements épars sur la table du salon, le combiné laissait entendre un signal régulier, strident, obsédant. Ne laissant pas le temps à la quinzième litanie électronique de s’achever, une main rageuse se saisit du perturbateur de sommeil. Même pas fichus de respecter le repos nocturne ! pesta Tugdual Darcival en s’asseyant laborieusement sur le bord du lit. Tout en écoutant son interlocuteur à l’autre bout du fil, il jeta un coup d’œil furtif à la pendule. « Merde ! Déjà 5 heures 45 ! » Les volets clos et bien opaques ne laissaient filtrer aucune lumière dans la pièce. À peine réveillé, assis sur le bord du canapé, il parcourut des yeux son environnement, un petit appartement mal tenu où aucune fille ne viendrait s’aventurer d’elle-même. Des cadavres de bouteilles vides, des emballages graisseux de chips et gâteaux divers et variés jonchaient le sol, impudiques. À l’autre bout du fil, le parquet de Brest l’avisait qu’un meurtre avait eu lieu sur la commune du Conquet et on lui donnait pour mission de conduire l’enquête sur place.
Le Conquet ? Il ne se souvenait pas y être déjà allé. Au moins deux heures de route, se dit-il. Il situait la localité au bout du monde, pas très loin de Brest, ce qu’on ne tarda pas, par ailleurs, à lui confirmer en lui signifiant qu’un train partait dans une heure de Rennes qui le ferait arriver à Brest vers 9 heures. On viendrait l’y chercher. L’appel ne dura pas longtemps et quand il eut raccroché, il se releva sans entrain pour se diriger vers la salle de bains faisant halte devant la glace. Chef-d’œuvre en péril ! pensa-t-il en détaillant les affres que le temps imprimait sur son visage. Le temps, certes mais aussi et peut-être surtout le résultat d’une vie déréglée et sans boussole. Depuis quelques mois déjà, il faisait n’importe quoi, il le savait bien mais peinait à sortir de cette spirale infernale.
Son histoire sentimentale passée, avec ses déboires et ses souffrances, se lisait sur les rides récentes, sur la barbe grisonnante de trois jours et sur les poches d’où semblaient s’évader deux yeux hagards. L’enterrement de son père, trois mois auparavant, avait contribué à l’achever. Il prit son visage à deux mains, laissant courir les doigts sur la rugosité de la pilosité. Puis, mû par une énergie soudaine, il s’empara de la bombe de mousse à raser, et s’appliqua à dissimuler les stigmates. Tenant fermement le rasoir deux lames de la main droite, il entreprit alors une certaine forme de résurrection. Il en était sûr, chaque passage de l’outil, en fauchant les poils hirsutes, le ramènerait à la jeunesse et au bien-être. Faire peau neuve, se persuada-t-il en s’appliquant à la tâche, ce n’était pas plus difficile que ça… Méthodiquement, lentement, le métal lui rendit un aspect plus présentable. Il s’aspergea d’eau des deux mains, s’appliqua de l’après-rasage au parfum mentholé et seulement ensuite consentit à se regarder. Acceptable, se dit-il, en faisant une moue dubitative, on va pouvoir y aller.
À la hâte, il s’habilla et prépara son barda pour le bout du monde. Négligemment, il fourra son sac de tout ce qui traînait à proximité : slips, caleçons, chaussettes dépareillées, pantalons et chemises froissées… Le temps de récupérer son arme de service et ses papiers, d’attraper sa veste au passage et il descendit au rez-de-chaussée.
En bas de l’immeuble, il prit le temps de boutonner son blouson de cuir, et son sac en bandoulière, se dirigea vers la gare, à l’image d’autres piétons qui y convergeaient déjà tout comme lui. Il avait encore du temps avant le départ du train mais pour autant il adopta quand même une marche rapide. Histoire de tempérament probablement, comme on le lui avait souvent dit. De toute façon il ne savait pas faire autrement. De sa main libre, tout en marchant, il alluma une cigarette et cracha d’aise la première bouffée de fumée de la journée. Il repensa à l’appel reçu plus tôt, on ne lui avait donné aucun détail concernant l’homicide sur lequel il allait enquêter. Il savait seulement que cela avait eu lieu dans un petit port de pêche et pour qu’on ait fait appel à ses services, le cas méritait sûrement qu’on marchât sur des œufs. À la section de recherche de la gendarmerie de Rennes, Tugdual se distinguait de ses collègues par une grande expérience du terrain et un sens aigu de la discrétion.
Depuis sept mois, toutefois, il avait changé et alors qu’il approchait de la gare, il se demandait s’il serait encore à la hauteur. Le décès soudain de son père l’avait brisé et il peinait à remonter la pente.
Il jeta un coup d’œil à sa montre et au tableau d’affichage des départs. Il disposait d’un peu plus d’une demi-heure, juste le temps de prendre un café. Il s’installa à une table dans le hall de gare. Abruti par la rumeur ambiante ponctuée des annonces impersonnelles de la SNCF, Tugdual Darcival tournait machinalement sa cuiller dans le café. À sa droite, une femme mangeait un croissant. Du coin de l’œil, il l’observait, attentif au mouvement de ses mâchoires et à la hargne qui l’animait à chaque fois qu’elle portait la viennoiserie à la bouche, comme si sa vie en dépendait. La pointe de feuilletage disparaissait alors dans le gouffre avide où des dents bien blanches sectionnaient ce qui allait devenir plaisir. Se sentant observée, l’inconnue le regarda soudain et, gêné, il lui sourit avant de fixer les tourbillons noirs de son breuvage matinal.
Les vibrations de son téléphone portable le tirèrent de sa rêverie. La consultation de ses messages lui apprit qu’on lui communiquait des informations au sujet du meurtre. Il fit ainsi connaissance avec celui qui allait devenir son compagnon de tous les jours à venir. Hier encore inconnu au bataillon, Jo Le Mestrel, marin pêcheur de son état, n’aurait bientôt plus de secret pour lui. Petit à petit, il allait s’immiscer dans la vie de cet homme, ou plutôt ce qui était devenu son passé maintenant, et contribuer ainsi à le maintenir encore un peu dans le monde des vivants. Sa tête lui plut. Elle correspondait bien à l’idée qu’il se faisait des hommes de mer et il tomba sous le charme du physique sans complaisance, brut, anguleux, dur. Vivant, ils auraient peut-être pu s’entendre mais en l’état, il ne le connaîtrait qu’au travers de ce qu’on voudrait bien lui en dire et de ce qu’il avait fait. Comme d’habitude, il le savait, il irait de surprise en surprise.
Un moineau, à ses pieds, picorait frénétiquement et sans crainte les miettes du croissant de sa voisine. Instantanément, il se revit à la sortie de l’église, trois mois plus tôt. L’image du cercueil porté à dos d’hommes par lui et les amis de son père s’imposa à son esprit de même que le goéland qui avait piqué doucement sur eux d’un vol ample et majestueux, comme sorti de nulle part, poussant sa plainte dans le crachin. Sur le moment, il avait eu la certitude qu’il s’agissait de son père, revêtu du costume de l’oiseau pélagique. Aujourd’hui, il le croyait encore. Il voulait y croire.
« Brest, Brest, terminus de ce train, tous les voyageurs descendent de voiture. Assurez-vous que vous n’avez rien oublié derrière vous ! »
Il n’aurait su dire à quand remontait son dernier passage dans la ville du Ponant mais à chaque fois il éprouvait ici des sensations particulières. Cette ville au bout du monde avec sa rade immense ouverte sur l’océan Atlantique le comblait. À chaque trajet en TGV, les derniers kilomètres l’absorbaient tout entier et quand, du serpent d’acier glissant sur son fil d’Ariane le long de la rivière l’Élorn, il apercevait les vasières et les herbus baignant dans la lumière océanique, il jubilait. Intimement, comme au terme d’un pèlerinage, il savait alors qu’il était arrivé. Pas seulement à destination, non, davantage, sur un plan plus métaphysique son esprit trouvait ici un embarcadère idéal pour s’extraire du monde des vivants et approcher une autre dimension, plus intérieure celle-là.
À sa descente du wagon, il aperçut sur le quai une consœur en tenue. Le sac sur l’épaule il se dirigea vers elle et cette dernière l’apostropha :
— Lieutenant Darcival ? Sous-lieutenant Després ! se présenta la jeune sous-officier en arrivant à ses côtés. Vous avez fait bon voyage ?
Darcival prit le temps de détailler son vis-à-vis avant de répondre à la belle trentenaire qui se tenait devant lui, une métisse à fière allure et à la tenue impeccable.
— On m’a désignée pour vous assister dans l’enquête. Je vais vous conduire au Conquet d’où il est prévu que nous conduisions les opérations, reprit Valentine Després d’une voix chaude et enjouée.
À leur sortie de la gare, la rade se déroulait sous leurs yeux et Darcival fit quelques pas pour mieux la voir. D’un regard, il embrassa ce que la ville offrait à la mer : grues multicolores aux formes d’insectes, pétroliers en carénage, bateaux de commerce, flottille de pêche et un peu plus à droite les bâtiments de la Marine nationale, la Royale comme on l’appelait ici.
— Si vous le désirez je peux emprunter un itinéraire qui longe la côte, on profite alors d’une vue imprenable et cela ne rallonge pas le trajet.
— Va pour l’itinéraire bis, répondit, surpris, Darcival.
Ils prirent place dans le véhicule banalisé, une Kangoo grise, et descendirent la rampe du port pour remonter ensuite vers le château de Brest. Les vieilles fortifications Vauban témoignaient seules du passé de la ville tant les bombardements alliés de la deuxième guerre mondiale avaient meurtri alors la cité. Aujourd’hui, les jours de pluie, la ville de Brest reconstruite exhalait des parfums des pays de l’Est par le gris des immeubles rangés suivant une logique de plan de rue à l’américaine. De la mer, c’était différent, Darcival le savait pour l’avoir vue sous cet angle à l’occasion d’une régate dans la rade. Ce jour-là, le soleil arrosait littéralement la ville, lavant ses murs, n’en gardant que le blanc immaculé pour lui donner des airs de Tanger.
— Vous êtes ici depuis longtemps ? demanda Darcival.
— Je suis arrivée l’année dernière. Avant, j’étais à La Réunion.
— Alors, vous connaissez peut-être le commandant Jean-Marc L’Hostis ? Il est en poste au commissariat de Brest.
— Si vous voulez parler de celui qui a permis l’arrestation du serial killer il y a deux ans, il a quitté la région. Sa compagne, fortement éprouvée par cette affaire* est allée s’installer en Polynésie pour se reconstruire et L’Hostis a posé un congé sans solde pour la suivre. Vous le connaissez personnellement ?
— Pas vraiment mais je sais que les juges de Brest lui confiaient souvent les affaires du bout du monde en raison de sa bonne connaissance du pays.
Ils se turent ensuite, absorbés par le trajet, jusqu’à ce qu’ils arrivent à la hauteur de la plage de la Maison Blanche où Darcival demanda à Després de s’arrêter.
— Pourquoi est-ce qu’on s’arrête ?
— Pour fumer, répondit-il laconiquement tout en sortant une cigarette de son étui.
Tout en l’allumant, il se dirigea vers la cale que la mer recouvrait déjà à mi-hauteur. Posté à deux mètres des vagues qui venaient mourir à ses pieds, il fumait, silencieux, expulsant bruyamment la fumée. Derrière lui, se tenant à une distance respectable, Després attendait. De sa place, sans se retourner, Darcival lança à l’adresse de sa subordonnée :
— Qu’est-ce qu’on sait de ce Jo Le Mestrel ?
— 42 ans, marié, deux enfants, profession marin pêcheur.
— OK pour l’état civil et le reste, ce qui nous intéresse… s’impatienta Darcival.
— On a encore peu d’éléments sinon qu’il était propriétaire de son bateau, qu’il était adjoint au maire et qu’il avait des responsabilités au sein du syndicat des marins pêcheurs. C’est une figure de la commune et des environs. Sa mort fait désordre dans le paysage et le parquet fait pression à ce qu’on m’a dit.
— Et les circonstances de la mort ?
Un goéland arriva en couinant, qui se posa fièrement au sommet de la balise rouge signalant l’extrémité de la cale. Il guettait de son œil torve et charognard une embarcation qui se dirigeait vers eux pour accoster et débarquer le produit de la pêche, à l’affût de tout ce qui pourrait améliorer son ordinaire. Darcival observait attentivement le volatile tandis que Després apportait des détails sur l’homicide :
— Une vraie scène de guerre. Une balle en pleine tête alors qu’il sortait du port, il était 3 heures et demie du matin. Tué alors qu’il se trouvait à la barre. D’après les premiers constats, il semblerait que la balle ait été tirée depuis la terre. Pour le reste, il faudra attendre les résultats de la balistique et de la scientifique.
— On va avoir du pain sur la planche, tant mieux. Allez, on y va.
Il ponctua la fin de sa phrase en écrasant son mégot. Devant eux le goéland avait quitté sa vigie, tout affairé à en découdre avec des congénères bruyants, venus tout comme lui participer au festin des entrailles de poissons fraîchement jetées à l’eau par les pêcheurs.
Les trente premières minutes du trajet jusqu’au Conquet se déroulèrent dans le silence. La sous-lieutenant Després, concentrée sur sa route et toute à l’étude de son nouveau compagnon, jetait régulièrement des coups d’œil sur sa droite, guettant une réaction de son passager de nature à lancer une conversation. Peine perdue, Darcival regardait le paysage défiler, l’air absent, les mains croisées devant lui. De temps en temps, il promenait la main sur son visage comme pour en apprécier la qualité du rasage. Ils venaient tout juste d’arriver en vue de la ria quand il sortit de son mutisme :
— Vous me laisserez déposer mes affaires à la gendarmerie et vous m’emmènerez sur les lieux du crime. Je voudrais voir le bateau dans un premier temps puis me rendre à l’endroit d’où aurait pu être tiré le coup de feu.
— Bien mon lieutenant !
Le bref échange conclu sur ces mots, Darcival se replongea dans la lecture du paysage qui défilait sous ses yeux. La mer découvrait çà et là quelques bancs de vasières au milieu des herbus. Une aigrette blanche, élégante sur ses fines pattes, pataugeait dans l’eau saumâtre, jetant des coups de bec à droite, puis à gauche. Une attaque en règle de micro-gouttelettes venues du large vint subitement s’écraser sur le pare-brise, accompagnée d’une rafale de vent qui fit trembler le véhicule. Ils n’étaient plus très loin du port.
* Voir La martyre du Conquet, même auteur.
L’Albatros, amarré à la cale Saint-Christophe, semblait sur le point de partir pour la pêche avec ses ponts avant et arrière encombrés d’un amoncellement de casiers bleus. Sur la vitre latérale de la timonerie, on voyait nettement l’impact laissé par la balle, petit trou ceint d’une constellation d’éclats blancs. Un homme assis sur le parapet de pierres, côté mer, une bière à la main, quitta laborieusement sa place à l’approche des deux gendarmes et vint se poster près d’eux. De taille moyenne, l’individu portait des cheveux mi-longs blonds qui le rendaient sympathique, un peu le genre hippie, pensa Darcival.
— Yann Le Dorsec ! se présenta-t-il aux deux hommes. Je suis matelot sur l’Albatros, j’ai été entendu ce matin à la gendarmerie.
Il n’en dit pas plus et, mutique, fixa le bateau. Darcival vint se poster sur sa droite et adopta la même attitude. Ils restèrent ainsi une ou deux minutes pendant que Després, restée à distance, dansait d’un pied sur l’autre.
— C’est traumatisant comme épreuve n’est-ce pas ? s’inquiéta Darcival auprès du matelot.
Le jeune homme tourna lentement la tête vers lui, avec au fond des yeux la scène que le lieutenant cherchait à y voir. Tour à tour, il regarda le gendarme puis à nouveau la timonerie de l’Albatros. Finalement, il lâcha dans un souffle :
— Pourquoi, mais pourquoi ?
Le choc traumatique se lisait encore sur son visage.
Agité, il tourna sur lui-même en répétant ses questions puis ajouta :
— Vous vous rendez compte ! Je suis rentré dans la cabine… c’était plein de sang partout ! Jo, il avait plus de tête, de la bouillie… Oh putain merde ! lâcha-t-il, très affecté.
— Vous vous trouviez où quand c’est arrivé ? demanda Darcival en posant sa main sur son épaule.
— Vous voyez la sortie du port là-bas ? dit-il en l’entraînant vers le parapet de la jetée qui donnait sur le large à trois ou quatre cents mètres.
— Oui…
— Le bateau a montré des signes de dérive juste après le passage, du côté du phare de Kermorvan ! finit de dire Yann, le doigt pointé vers l’ouest.
Le port s’étirait le long d’une ria ouverte à la mer après une jetée qui la protégeait des assauts de l’océan. « La passe doit faire tout au plus cinquante mètres ! », se dit Darcival en l’estimant de l’endroit où il se tenait.
— Vous n’avez rien entendu ?
— Vous parlez du coup de feu ? Non, rien du tout. Moi, je passais un coup de jet sur la table de filage. C’est quand l’Albatros a perdu son cap que je me suis inquiété ! Y’a des roches partout ici !
— La table de filage ?
Yann Le Dorsec lui montra la surface plane en aluminium, sur laquelle il lui expliqua qu’ils faisaient glisser les casiers quand ils les remontaient où quand ils les jetaient à l’eau une fois boettés.
Darcival remarqua que le matelot portait autour du cou un casque de baladeur.
— L’aviez-vous sur les oreilles ? lui demanda-t-il en le lui montrant du doigt.
— Oui, les matins sont difficiles parce que les nuits sont courtes, alors un peu de hard-rock ça tient éveillé.
S’ensuivit un moment de silence pendant lequel chacun regardait dans une direction opposée, Després, absorbée par un goéland qui marchait sur le pavement du quai à deux pas d’eux et le matelot, figé, fixant l’Albatros d’un regard vide. Les yeux de Darcival, eux, allaient successivement de la sortie du port aux deux personnes près de lui et il fut le premier à sortir de cette léthargie collective. Il s’adressa à la sous-lieutenant Després :
— La scientifique en a fini avec le bateau ?
— Dans une heure il est prévu de ramener le bateau sur la zone du crime pour la balistique.
— C’est pour ça que je suis là et que j’attends, ajouta le matelot. On m’a demandé d’être présent.
— Ça nous laisse le temps d’aller voir en face là-bas ! dit-il en désignant la presqu’île qui encadrait le port, de l’autre côté.
Ils durent contourner la ria pour y accéder, le premier pont se trouvant à quelques kilomètres. Yann le Dorsec prit place dans la voiture pour les aider à déterminer au plus juste d’où le coup de feu avait été tiré.
Après une quinzaine de minutes, ils atteignirent l’isthme qui annonçait qu’ils n’étaient plus très loin du petit phare de Kermorvan, celui-là même en face duquel le drame avait eu lieu.
Ils se garèrent tout près de l’édifice de granite et parcoururent à pied le petit sentier qui les mena juste en face de l’entrée du port.
— Vous voyez la Maison Blanche, juste en face ? désigna Yann de la main droite. Imaginez une ligne imaginaire qui la rejoint. Ensuite, prenez le bout de la jetée et reliez-la à la balise rouge qu’on voit là, au large. L’albatros se trouvait à la croisée de ces deux lignes.
Darcival n’eut aucun mal à localiser la position du bateau. Le point que le matelot leur indiquait se trouvait tout au plus à une centaine de mètres de l’endroit où ils se tenaient. Le tireur avait en plus le recours possible de rochers pour s’y appuyer et ajuster son tir, pensa-t-il.
— Le coup de feu a été tiré d’ici, c’est presque certain. Després, appelez du renfort pour boucler la zone et faites appel à la scientifique, il faudra ratisser large. Dans l’immédiat, on retourne au port et on accompagne la balistique. Après la vue de la terre, la vue de la mer. Il y a des cartes marines dans l’Albatros ?
— Bien sûr ! s’étonna Yann. Et on a aussi le GPS !
— On en aura besoin pour localiser précisément l’endroit précis de l’impact si j’ose dire.
***
Comme prévu l’Albatros appareilla pour une reconstitution en mer avec à bord, les trois marins présents au moment du meurtre et deux balisticiens. À la barre, Michel, le chef mécanicien du bateau de pêche les emmena sur zone. Après le passage de la jetée, Yann fit signe de stopper et avec quelques manœuvres d’ajustement, ils stabilisèrent l’embarcation à l’aide de deux ancres, une à l’avant et une à l’arrière. À une encablure de là, des curieux s’étaient massés sur la digue.
L’albatros dansait doucement sur ses amarres pendant que les deux hommes de la balistique prenaient des mesures et des photos. Comme Darcival l’avait pressenti, le coup de feu était bien parti de la pointe de Kermorvan, sur laquelle, au même moment, une autre équipe de la scientifique s’affairait à ratisser le terrain. Le tireur avait probablement fait usage d’un silencieux et d’une lunette à infrarouge, personne n’ayant entendu de déflagration. D’un autre côté, pensa Darcival, à 3 heures du matin les gens dorment, et sur la pointe, il n’y a pas âme qui vive, les premières habitations se trouvant à cinq cents mètres environ.
À l’aide de jumelles, de la carte marine et de la carte IGN du secteur, les balisticiens parvinrent à circonscrire avec assez de précision l’endroit d’où le meurtrier avait tiré. Dans la journée, l’étude de la balle permettrait d’en savoir plus sur le type d’arme utilisée.
Yann donna à Darcival des précisions sur leur métier. Le guidant à bord, il lui expliqua comment, quand il était sur zone de pêche, le bateau mettait à l’eau ses filières. Deux hommes se tenaient alors devant la table de filage où l’un boettait les casiers pendant que l’autre les laissait glisser à l’eau, entraînés par l’ancre et la vitesse du bateau.
Chaque filière comprenait 70 casiers reliés à une ligne mère de mille quatre cents mètres environ par des “bras” d’une longueur de deux mètres. Une fois au fond, l’ensemble est stabilisé à chaque extrémité par deux ancres de type “Marrel”. Darcival fit un rapide calcul, entre deux casiers on avait un intervalle de vingt mètres. Les deux mains appuyées sur la table de filage, Yann mima la manœuvre qu’il exécutait tous les jours.
— Vous voyez, on se met face au courant à une vitesse de huit nœuds et au signal, je largue l’orin qui entraîne l’ancre. Ensuite, je pose les casiers les uns à la suite des autres sur la table et ils filent à l’eau au rythme d’un toutes les six secondes environ. En fin de filage, je pose l’ancre Marrel sur la table, puis l’orin et les ballons qui serviront à repérer et récupérer la filière.
Le temps d’une seconde, Darcival se représenta les travailleurs de la mer bravant le froid matinal pour prendre à l’océan ses trésors.
« Comment font-ils pour enchaîner ainsi les prises de casiers chargés de crustacés ruisselants d’eau ? » se demanda-t-il. Curieux, il s’adressa à Yann :
— Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce métier ?
Le matelot s’appuya au bastingage et porta son regard loin sur l’horizon avant de répondre. Au-dessus d’eux, des goélands tournoyaient en criant, emplissant l’air de leurs plaintes.
— Un dépit amoureux…
Sur ces mots, il sortit un paquet de cigarettes de sa poche, en proposa une à Darcival et de concert, ils tirèrent sur le tabac grésillant après que le briquet eut circulé entre les deux hommes.
Le matelot reprit :
— … j’ai voulu prendre le large, au sens propre comme au figuré, depuis ma rupture, il y a trois ans. Finalement, je suis tombé amoureux du métier, je vis célibataire et ça me convient très bien. Une nana de temps en temps mais plus d’attaches…
— D’habitude quand on dit qu’on prend le large on s’attend à la marine au long cours qui vous fait partir autour du monde mais là, pour le coup, vous rentrez tous les soirs !
— C’est tout ce que j’avais trouvé et ce dont vous parlez ce sont des clichés ! La marine marchande ce n’est plus comme avant, pavillons de complaisance, équipages étrangers sous-payés, moi, n’ayant pas les diplômes requis c’était Le Conquet ou la Légion étrangère… pour rester dans les clichés. Un soir où je noyais ma misère affective dans un bar, Jo m’a proposé cette place, il cherchait un matelot. Sur le coup, je n’ai su que répondre mais le lendemain matin je me suis présenté au bateau avant son départ pour la pêche, à 2 heures 30 du matin. La démarche lui a plu et il m’a fait monter à bord pour un essai.
— Quels étaient vos rapports avec Jo Le Mestrel ?
Yann le regarda, surpris, et dit :
— Ça y est vous me suspectez ? demanda-t-il, soudain méfiant.
— Pas du tout, n’allez rien vous imaginer ! Je veux juste en savoir plus sur votre patron pour mieux cerner sa personnalité, le rassura Darcival en posant la main sur son épaule, le coup de feu a bien été tiré de la terre, aucun de vous trois ne sera mis en cause. Vous vous êtes trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment.
Darcival tourna la tête au bruit des ancres qu’on s’activait à remonter et rassura Yann comme il put. Une scène de meurtre laissait des traces indélébiles. On croyait s’en défaire et un beau matin elles ressurgissaient, tenaces, prégnantes, insoutenables. Darcival en savait quelque chose mais pour autant on apprenait à vivre avec, de toute façon on n’avait pas le choix…