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Meurtres mystérieux au large des côtes bretonnes...
La découverte, à la pointe Saint-Mathieu, du cadavre d’un pêcheur du Conquet, agite la vie tranquille du petit port de pêche. Le mystère plane au Bout du monde. Qui avait intérêt à voir disparaître ce professionnel respecté dans la région ? Un deuxième meurtre, perpétré à Brest, vient obscurcir encore cette affaire.
Le commandant L’Hostis, policier original et perspicace, devra dénouer les fils d’un passé et d’un présent agités de vieux démons…
Plongez sans attendre en compagnie du commandant L'Hostis dans cette enquête policière au suspense haletant !
EXTRAIT
La victime était telle que le joggeur l’avait trouvée, adossée contre un mur du transept de ce qui fut l’église abbatiale. Prostrée, les mains jointes sur le manche du couteau fiché dans son cœur, le mort fixait le vide avec un regard interloqué.
— D’après les témoins présents quand nous sommes arrivés, il s’agirait de Mathieu Creisméas, marin pêcheur au Conquet, leur annonça le commissaire Duval.
Quand ils eurent déplacé le corps et que le médecin légiste eut examiné le cadavre, ils firent l’inventaire des poches de la victime. Ils constatèrent alors que la lame du couteau avait transpercé le contenu de la poche gauche intérieure du caban que portait la victime.
Dans le sachet plastifié prévu pour y déposer les pièces à conviction, ils mirent un petit protège-document plastifié dans lequel se trouvaient une photo et un bulletin de Loto. La photographie représentait la victime, plus jeune, en compagnie d’un autre homme. Au dos on pouvait lire 1983. La lame était passée juste sur la silhouette de Creisméas. Comme si on avait voulu le faire mourir deux fois. La grille de Loto était remplie, six numéros y avaient été cochés au stylo à bille noir.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Éditions Bargain, le succès du polar breton. -
Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né à Morlaix,
Gérard Croguennec vit avec sa famille dans le Beaujolais où il travaille comme formateur dans un CFA. Brestois d’origine, la Bretagne l’inspire et lui évoque grandeur, mystère et magie. Il signe ici son premier roman policier.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À Annie, mon épouse, et à mes quatre enfants,Erwan, Tanguy, Joris et Solenn.
Le parking de la pointe Saint-Mathieu était désert à cette heure. Les rares réverbères peinaient à éclairer les lieux tant la bruine était dense et malmenée par le vent. L’ombre des ruines de l’abbaye se découpait dans la nuit.
Une voiture qui venait de la grande route toute proche s’engagea sur la route de Lochrist et alla se garer tout près, à l’entrée du hameau. Un homme en descendit, qui se dirigea vers l’Hostellerie de la pointe Saint-Mathieu, établissement réputé pour ses préparations de poissons et de fruits de mer.
Alors qu’il était en vue du restaurant, il remonta le col de son pardessus et progressa, légèrement courbé en avant, comme pour se protéger des rafales qui lui cinglaient le visage. Au-dessus de sa tête, les lignes électriques jouaient leur partition en des sifflements aigus, épousant le rythme imprimé par les vents d’ouest.
Avant de pénétrer à l’intérieur de l’Hostellerie, il se retourna et leva les yeux vers le sommet du phare tout proche. Celui-ci se dressait dans la nuit, adossé aux ruines de l’abbaye, jetant son éclat blanc dans la pénombre. Il resta ainsi une bonne minute, comme hypnotisé par la rotation de la lanterne, s’amusant à compter les secondes entre deux éclats. Fasciné par le spectacle de ce “feu sur la mer”, il en oublia l’espace d’un instant le motif de sa présence en ces lieux, jusqu’à ce que le passage d’un véhicule, juste devant lui, ne le ramène sur terre. Il tenta de distinguer le conducteur pour s’assurer qu’il s’agissait bien de son rendez-vous, mais les vitres teintées ne le lui permirent pas. Il suivit du regard la voiture qui se garait sur le parking et attendit.
Il n’eut pas à attendre longtemps, sitôt le véhicule garé, les phares s’éteignirent et quelqu’un sortit de l’habitacle. À cette distance, la silhouette ne lui apparut que grossièrement dans ses contours et il dut attendre qu’elle se rapproche pour voir un homme d’une cinquantaine d’années, large d’épaules, de taille moyenne et vêtu d’un caban.
« C’est mon homme », pensa-t-il. Il se dirigea vers lui.
— Bonjour, vous êtes bien Mathieu Creisméas ?
— Oui, c’est moi, bonjour !
— Je suis Lucas Borderie, le jour de cette rencontre vous convenait-il ?
— Oui, oui, pas de problème.
Les deux hommes pénétrèrent dans l’établissement et se présentèrent à la réception. On les installa à une table près de la grande cheminée. Lucas était journaliste et Mathieu était un personnage atypique de la région. Barbe de deux jours, cheveux grisonnants marqués d’ondulations, Creisméas était encore un séducteur, et ses yeux d’un bleu délavé ne devaient pas laisser insensible la gente féminine. Toutefois, derrière le regard azur, on lisait des fortunes diverses et variées, voire une souffrance en latence. Depuis 2008, il était installé au Conquet, commune toute proche où il était marin pêcheur.
Lucas avait su l’attirer ici ce soir au prétexte d’écrire un article sur son métier. Les lecteurs de son journal étaient friands de ces tranches de vie de gens qui exerçaient des professions insolites ou qui, tout simplement, menaient des existences peu communes. On avait alors l’impression, à la lecture du récit de leur vie, d’avoir soi-même échappé à son quotidien et d’avoir, l’espace d’un instant, enfilé le costume de vie d’un autre.
Mathieu Creisméas correspondait bien à ce profil, il n’était pas simple marin pêcheur, il était plus que ça, car il prenait des risques insensés pour aller pêcher le bar à la ligne. Par tous les temps, il sortait en mer et il allait là où il savait trouver le seigneur de ces eaux, près des rochers, dans les brisants, au milieu des courants. Cela lui avait valu d’être connu dans la région et il approvisionnait en poisson les tables les plus prestigieuses de la côte, dont “L’Hostellerie de la pointe Saint-Mathieu”.
Mais Lucas était là pour autre chose que pour retranscrire ces exploits. Il voulait entendre Mathieu lui dérouler le récit de son existence, comme celui qui est sur le point de mourir voit défiler sa vie devant ses yeux.
— Que faisiez-vous avant de vous installer au Conquet ?
— À 25 ans j’ai acheté un voilier de 15 mètres en alu, “Le Brocéliande”, et je suis parti droit devant. C’était un rêve de gosse.
— Sans être indiscret, comment vous êtes-vous payé un tel bateau à cet âge-là ?
— Un héritage. Un grand-oncle brasseur dans le Nord est mort sans héritier direct, il m’a légué sa fortune, mais n’en parlez pas dans votre article, je n’y tiens pas.
— Comme vous voulez. Qu’avez-vous fait au cours de ce tour du monde ?
— Je suis allé dans tous les pays auxquels je rêvais, l’Islande, le Brésil, l’Île de Pâques… je vivais de petits boulots là où je débarquais, c’était le meilleur moyen de communiquer avec les gens, une fois sur place. Et je voulais comprendre les hommes au-delà de leurs cultures.
À la fin du repas, Lucas avait eu toutes les informations qu’il était venu chercher et Mathieu n’avait pas rechigné à se raconter. Toutefois, il lui fallait encore vérifier un détail. Il profita de l’absence de Mathieu, qui était allé fumer à l’extérieur, pour attirer jusqu’à lui la sacoche de Creisméas, et il en extirpa du portefeuille la carte d’identité. Il y lut : Mathieu Creisméas, né le 13 novembre 1961 à Brest. Maintenant il était sûr de lui, c’est bien l’homme qu’il cherchait.
D’un naturel méticuleux, il ne laissait rien au hasard et tâchait de maîtriser la situation jusque dans ses moindres détails, d’autant que le plan qu’il avait échafaudé était trop important pour qu’il laisse un grain de sable s’y glisser.
Dans la salle, le garçon desservait la seule tablée qui avait dîné en même temps qu’eux. Le feu qui crépitait dans la grande cheminée, renforçait la sensation de bien-être qu’il éprouva, alors qu’au-dehors le vent sifflait avec vigueur. Il lui sembla qu’il était arrivé au terme de sa quête – il pensa même de sa chasse, ou de sa pêche ! – qu’il était récompensé de ses efforts et que, désormais, l’ordre et la justice allaient pouvoir réoccuper un espace qu’ils n’auraient jamais dû quitter.
— Ça remue dehors, dit Mathieu, en revenant de sa pause cigarette, force 9 à 10 ! je ne sortirai pas demain, trop dangereux !
Lucas se fit la réflexion que même les forces de la nature le supportaient et l’encourageaient à aller jusqu’au bout, elles l’aideraient à brandir le glaive de la vengeance. Lui revint la fameuse tirade de Chateaubriand : « Levez-vous, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie…»
Il ne croyait pas si bien dire, pensa-t-il, mais ce soir, ce ne serait pas René… Alors que Mathieu lui racontait ses pêches dans le détail, il regarda discrètement l’heure sur l’horloge franc-comtoise, dont le son du balancier ajoutait encore à l’atmosphère des lieux. « Dix heures et quart, il va falloir que j’y aille », pensa-t-il.
Il prit congé de Mathieu après que celui-ci lui eut expliqué qu’il savait qu’il fallait mettre ses lignes à l’eau quand les fous de Bassan se rassemblaient au-dessus des vagues et y plongeaient, signe que des sardines, maquereaux ou chinchards étaient sous la surface… et derrière eux, leurs carnassiers prédateurs… les bars.
La nuit enveloppait de son épais manteau la pointe Saint-Mathieu, balayée par les vents d’ouest. La pleine mer pour accompagner l’air en furie venait s’écraser au pied des falaises, ajoutant au vacarme ambiant une dimension tragique. Les rafales chargées d’embruns et de pluie sifflaient dans les ruines de l’abbaye. Les colonnes et les ogives granitiques, tels les gréements d’un navire, faisaient jouer au vent une symphonie empreinte de pathétique et de violence. Au détour d’une allée, dans ce “bateau de pierre”, une ombre, furtive, glissa le long d’un mur. Par l’ouverture du toit, béante, livrée aux étoiles, on voyait le faisceau du phare habiller la nuit de ses rayons. Sur le parking tout proche, une voiture se gara…
Acculé contre le mur, le poids de l’agresseur immobilisa Mathieu qui ne put dévier la trajectoire de l’arme. Il ressentit la douleur, sentinelle de son enveloppe charnelle, aiguë, violente, intrusive. Il aurait voulu dire quelque chose, que la vie était injuste, que…
Quand il sentit la lame du couteau contre sa poitrine, il sut sa dernière heure arrivée, pas d’échappatoire possible. L’espace d’un instant, alors que la lame se frayait un chemin vers le cœur, il vit sa vie, sans rien en omettre, et surtout il vit sa mort…
Dans ce tourbillon de pensées discordantes, acteur principal de sa propre fin, dans un décor grandiose, décor qui fut un peu celui de sa vie ces dernières années quand il allait pêcher aux abords d’Ouessant, il joua son dernier rôle, celui de sa mort…
Le café coulait dans la cafetière électrique avec ces gargouillis rassurants qui sentaient bon le matin. Les arômes d’arabica se diffusaient dans la petite cuisine. Pour un amateur de café c’était le meilleur ancrage dans la journée qui allait suivre, comme une façon de se retrouver, la promesse d’une journée réussie. Par la fenêtre, le jour se levait derrière les rideaux gris d’une tempête océanique. Par intermittence, des coups de vent cinglaient les vitres de gouttelettes, perles de pluie venue du large…
Le petit appartement, sis au 3e étage du 15, quai de la Douane, faisait face à la rade, et surplombait le bassin du quai Malbert. Jean-Marc L’Hostis aimait cette atmosphère portuaire. Le port était une ville dans la ville avec ses codes, son rythme particulier. Vivre sur les quais du port de commerce était une invitation au voyage permanente. Il soufflait comme un vent d’aventure dans les gréements de “La Recouvrance”, goélette amarrée juste sous ses fenêtres. Quand il avait su qu’une location se libérait à cette adresse, il avait sauté sur l’occasion !
Il achevait de se raser et il se regarda dans la glace, sans complaisance, comme il passerait un examen de passage, passage pour quoi il n’en savait rien, mais il tenait à cette autocritique. Il voulait rester lucide sur l’image qu’il offrait de lui aux autres, et c’était peut-être une façon de se rassurer sur ses capacités à séduire…
« Hum, pas trop mal ! » se jugea-t-il, « la belle quarantaine, l’emballage n’est pas trop abîmé et le regard reflète l’expérience et l’assurance propre aux quadras. » Le sport auquel il s’astreignait portait ses fruits, le ventre était plat et la mine resplendissante. Après s’être aspergé d’eau de toilette il enfila son peignoir et se dirigea jusqu’à la cuisine. Il se servit un bol de café et colla son front à la fenêtre.
« Putain de temps », se dit-il, « ça doit brasser en mer ! »
Il chercha des yeux l’Abeille Bourbon, le fameux remorqueur de haute mer, mais il n’était plus amarré au quai Malbert, il avait appareillé hier probablement, et Jean-Marc ne s’en était pas rendu compte. Comme chaque fois que le temps se gâtait, le bateau allait dans les parages d’Ouessant, se tenant prêt à intervenir et à porter assistance à tout navire en détresse. Il imaginait le 80 mètres d’acier écrasant sa proue dans les déferlantes, fort de ses 21 000 CV. Il en admirait les 14 membres d’équipage qu’il savait prêt à tout pour réussir leur mission.
La sonnerie du téléphone le tira de sa rêverie.
— Bonjour Commissaire !
— Bonjour L’Hostis, on a du pain sur la planche ! Une sale affaire du côté du Conquet, à l’abbaye de Saint-Mathieu, un joggeur y a trouvé un homme poignardé. La scientifique est en route, on s’y retrouve dans une demi-heure !
— OK, à tout de suite.
— Au fait, passez prendre Le Meur chez lui et allez-y ensemble !
— Pas de problème.
À chaque fois que le commissaire Duval l’appelait par son nom de famille cela lui rappelait les bancs de l’école où un de ses anciens instituteurs faisait de même avec tous les élèves. Mais dans la bouche de son supérieur, cette pratique conférait de la virilité, lui semblait-il, à leurs relations et contribuait à atténuer la distance imposée par la hiérarchie.
« Saint-Mathieu ! Original pour aller se faire poignarder, surtout par le temps qu’il fait ! Et qu’est-ce qui peut bien pousser un joggeur à courir sous la tempête ? » L’Hostis aimait le sport, mais il y avait quand même des limites ! Lui qui serait resté bien tranquille au chaud en était pour ses frais.
L’horloge de bord affichait 8 heures 30 quand il mit le contact et démarra. Sur le trajet, il croisa ses alter ego au volant de leur voiture, contraints comme lui de se rendre à leur travail. Il y a des jours comme cela où on resterait bien chez soi, sous la couette, ou devant la cheminée, ou les deux…en tous les cas, ce devait être le programme de certains aujourd’hui, car les trottoirs étaient vides et tous ceux qui n’avaient pas une impérieuse raison de sortir étaient restés calfeutrés chez eux. Quand il déboucha sur la route de la Corniche, il vit à nouveau la rade ; à présent, en contrebas, l’arsenal militaire s’offrait à ses yeux. Les bâtiments de guerre ajoutaient leur gris à la grisaille ambiante. La mer, couleur de plomb, moutonnait. Arrivé à la hauteur de l’Hôtel de la Rade, il vit Patrick Le Meur qui l’attendait, s’abritant sous le porche de sa maison.
— Salut ! Le boss t’a appelé ? Il t’a dit ce qu’il en était ? demanda l’Hostis.
— Oui, oui, un cadavre à Saint-Mathieu.
— Étonnant, non ?
— L’endroit est étonnant, le moment est étonnant ! Remarque, pour mourir on peut toujours trouver l’endroit incongru. Mais quand même avec le temps qu’il fait dehors ! Et le mode opératoire ! Poignardé !
— Oui, c’est curieux.
Ils en restèrent là, absorbés par le va-et-vient des essuie-glaces sur le pare-brise, l’attention captée par le paysage qui défilait. Alors qu’ils passaient devant l’anse de Sainte-Anne du Portzic, L’Hostis se surprit à penser à Natacha. Ils ne s’étaient pas vus depuis quinze jours. Leur relation durait ainsi depuis deux ou trois ans, il ne le savait plus très bien. Ce qu’il en retenait c’était la singularité de leurs rapports. Farouchement indépendants l’un et l’autre, lui avec sa peur de s’engager et son besoin de solitude, elle toute à sa passion de la peinture. Mais quand ils éprouvaient tous les deux le besoin de se retrouver, c’était le feu d’artifice, la symbiose d’un instant, l’accord parfait. Cela ne durait jamais longtemps et il fallait toujours qu’ils repartent chacun de leur côté, jusqu’à la prochaine fois.
« C’est quand même dingue, se dit-il, cette légèreté de l’esprit, on a un meurtre sur le dos et j’en suis à penser à Natacha, à me laisser distraire par le paysage ! Notre esprit est flottant, inconstant…»
— Tu m’as l’air un petit peu à l’ouest ! Il y a du Natacha dans l’air ? s’enquit Patrick.
— Bonne pioche ! j’étais en train de me dire qu’on ne s’était pas vus depuis un moment.
— Avec l’affaire qui nous attend, ton temps sera compté ! Un crime à Saint-Mathieu, on va avoir la pression pour boucler le dossier rapidement.
Les deux collègues de travail s’estimaient mutuellement, mais beaucoup de choses les distinguaient. Au niveau professionnel, si L’Hostis fonctionnait plutôt à l’instinct et à l’intuition, Le Meur agissait après mûre réflexion. De même, alors que Patrick menait une vie privée tout ce qu’il y a de plus conventionnel avec sa femme et ses trois enfants, Jean-Marc lui, menait une vie de célibataire, sans réelle contrainte. Cela faisait maintenant cinq ans qu’ils faisaient équipe et ils s’en portaient plutôt bien. Leur association leur permettait de trouver un équilibre et ils obtenaient de bons résultats. Le commissaire Duval l’avait bien compris quand il avait promu Le Meur capitaine et qu’il lui avait proposé de faire équipe avec L’Hostis.
Les conditions météo n’avaient pas changé depuis leur départ de Brest et empiraient même à mesure qu’ils se rapprochaient de la pointe Saint-Mathieu. Maintenant qu’ils n’en étaient plus qu’à un ou deux kilomètres, le vent se faisait davantage sentir balayant sans retenue l’éperon granitique de ce bout de terre. Le phare leur apparut, sentinelle solitaire pour les gens de mer, et ils avancèrent jusqu’à sa base où ils se garèrent. Plusieurs véhicules de police y étaient déjà stationnés, gyrophares allumés. Le temps d’enfiler leur brassard et de passer le cordon de protection, ils purent voir la dépouille. La scène de crime était protégée par une tente, dressée par la police scientifique, pour que leurs hommes puissent travailler dans de bonnes conditions à l’abri et surtout pour tâcher de recueillir le maximum d’indices. La pluie avait déjà suffisamment abîmé les lieux.
La victime était telle que le joggeur l’avait trouvée, adossée contre un mur du transept de ce qui fut l’église abbatiale. Prostrée, les mains jointes sur le manche du couteau fiché dans son cœur, le mort fixait le vide avec un regard interloqué.
— D’après les témoins présents quand nous sommes arrivés, il s’agirait de Mathieu Creisméas, marin pêcheur au Conquet, leur annonça le commissaire Duval.
Quand ils eurent déplacé le corps et que le médecin légiste eut examiné le cadavre, ils firent l’inventaire des poches de la victime. Ils constatèrent alors que la lame du couteau avait transpercé le contenu de la poche gauche intérieure du caban que portait la victime.
Dans le sachet plastifié prévu pour y déposer les pièces à conviction, ils mirent un petit protège-document plastifié dans lequel se trouvaient une photo et un bulletin de Loto. La photographie représentait la victime, plus jeune, en compagnie d’un autre homme. Au dos on pouvait lire 1983. La lame était passée juste sur la silhouette de Creisméas. Comme si on avait voulu le faire mourir deux fois. La grille de Loto était remplie, six numéros y avaient été cochés au stylo à bille noir.
— Si le billet est gagnant, il n’en profitera plus maintenant, dit L’Hostis.
— À quelle heure remonte la mort ? demanda le commissaire Duval au médecin légiste.
— Approximativement vers 22 heures, peut-être 23 heures. Je vous rendrai une réponse plus précise quand je l’aurai examiné à l’IML. Au vu des premières constatations, il est mort de ce coup de couteau. La lame est allée droit au cœur. Il n’y a pas d’autres traces de violence apparentes
— L’inventaire du portefeuille confirme bien qu’il s’agit de Mathieu Creisméas, né le 13 novembre 1961 à Brest, dit Le Meur. Pour le reste, des cigarettes, un briquet tempête, l’annuaire des marées et des clefs de voiture. Le porte-clefs du trousseau indiquerait qu’il puisse s’agir d’une Peugeot, vu le logo… Mais j’ai la carte grise du véhicule, je vais donc aller sur le parking devant le restaurant pour voir s’il s’y trouve.
L’Hostis, comme à son habitude, s’imprégnait des lieux. Tout selon lui avait son importance et ses cinq sens étaient en éveil. Comme si l’odeur de terre mouillée, mêlée à l’odeur des algues que la tempête avait arrachées aux fonds marins et rejetées sur les rochers en bas des falaises, allait lui fournir des indices. Comme si les pierres de l’édifice en ruine, sur lesquelles il passait la main, au travers de leur rugosité et de l’humidité qui s’en dégageait, pouvaient lui raconter la scène d’hier soir. Son regard parcourut le transept, d’ogive à ogive, entre lesquelles le vent, par sa plainte, semblait faire revivre les chants grégoriens qui y furent chantés naguère. Il se disait que si la victime gisait là, ce n’était pas par hasard et tout ce qui faisait les lieux méritait qu’on y attache de l’importance. Cependant, son approche était toujours floue et se résumait à une somme d’impressions, de sensations et d’informations. Ainsi, tout bêtement, le fait que la victime porte le même prénom que le saint protecteur des lieux, était-ce un hasard ou une préméditation ?
Quand Le Meur revint du parking, il n’apporta pas d’éléments nouveaux sinon qu’il avait retrouvé la voiture, une 406 grise. Il fallait désormais attendre qu’elle soit passée au peigne fin par la police scientifique.
Le commissaire Duval les interpella :
— Bon, nous, on rentre, je vous laisse faire l’enquête de voisinage, la routine quoi. On se retrouve demain pour faire le point !
— Ça marche, répondit l’Hostis, mais l’enquête de proximité risque d’être vite menée, il n’y a personne ici. Si, il y a le sémaphore juste à côté et le restaurant… peut-être aussi les occupants des 2 ou 3 maisons du hameau…
— J’entends bien, mais ne laissez rien au hasard, je veux des résultats rapidement. Je vois déjà les titres de la presse de demain !
Leur visite aux marins du sémaphore ne donna rien. Hier soir, ils étaient tout à leur surveillance de l’entrée du goulet de la rade de Brest et des abords de Saint-Mathieu et, de ce fait, n’avaient rien vu ni entendu d’anormal. Les maisons près du parking ne donnèrent rien non plus, les occupants étaient absents, peut-être en vacances. Ils se rendirent alors au restaurant “L’hostellerie de la pointe Saint-Mathieu”. Là, ils n’eurent pas de mal à trouver quelqu’un car l’établissement ouvrait pour le service de midi et l’équipe de serveurs et de cuisine était à pied d’œuvre.
Ronan Salaun, le propriétaire des lieux et aussi chef cuisinier, les accueillit à la réception.
— Bonjour Messieurs !
— Bonjour monsieur Salaun, répondit L’Hostis en montrant sa carte de police, nous sommes là dans le cadre d’une enquête.
— Je suis concerné directement ?
— A priori non. On aimerait vous poser quelques questions en qualité de témoin.
— Ah ! Et j’aurais pu être témoin de quoi ?
— Hier soir, un homme a été poignardé dans les ruines de l’abbaye, c’est un habitant du Conquet, peut-être le connaissiez-vous car il s’agit de Mathieu Creisméas.
— Non, ce n’est pas possible !Mathieu, mais que diable s’est-il passé ?
Patrick Le Meur lui montra alors la photo de la victime qu’il avait prise avec son portable.
— C’est mon principal fournisseur de poisson. Il a mangé ici hier soir.
— Ah ? Vous pouvez m’en dire plus ?
— Il est arrivé vers 19 heures 45 en compagnie d’un autre homme que je ne connaissais pas, ils ont dîné ensemble et sont partis en même temps vers 22 heures 15.
— Avez-vous observé quelque chose d’anormal ?
— J’étais en cuisine, je n’ai pas assisté au repas, je suis venu à la fin du repas les saluer, mais j’étais pressé et Mathieu ne m’a pas présenté celui qui l’accompagnait. Il faudrait demander à Pierre. Pierre ! Tu peux venir s’il te plaît !
Pierre était le serveur, présent la veille au soir. Il interrompit la mise du couvert dans la salle de restaurant et se dirigea vers les trois hommes.
— Pendant le service d’hier soir, est-ce que tu as remarqué quelque chose d’inhabituel à la table de Mathieu ?
— Non, pas spécialement, je ne connaissais pas l’homme avec qui il était, je ne l’avais jamais vu. Ils avaient l’air de bien s’entendre. Ah si ! Il prenait des notes et avait comme un enregistreur posé près de ses couverts.
— Lequel des deux ? s’enquit L’Hostis.
— Pas Mathieu, l’homme avec qui il était.
— Qui a réglé le repas ?
— Ils ont payé chacun leur part, Mathieu a payé par carte bancaire et l’autre a réglé en espèces.
— Vous avez remarqué la voiture ?
— Non, vous savez, on ne peut pas se garer devant le restaurant, et avec le temps qu’il fait, on ne voit pas grand-chose, surtout la nuit !
— Vous disiez tout à l’heure que Mathieu Creisméas était votre principal fournisseur de poisson ?
— Oui, répondit Ronan Salaun, il a son bateau au Conquet. Je pouvais compter sur lui pour me livrer du bar de ligne presque tous les jours et durant toute l’année, sans compter le reste de sa pêche, toujours irréprochable.
— Vous étiez liés ?
— Liés, c’est beaucoup dire, on s’entendait bien, mais pour le reste il avait son caractère. J’en parle déjà au passé ça me fait drôle…
— Vous lui connaissiez des ennemis ?
— Personnellement non, mais je sais qu’il a eu des histoires au Conquet, notamment avec les autres marins pêcheurs. Mais vous dire quoi, ça, je ne sais pas.
— Bon, merci monsieur Salaun, si nous avons besoin d’autres informations, nous vous recontacterons.
— Au fait, vos voisins sont absents ?
— Sur les trois maisons, il y a deux résidences secondaires, et l’autre appartient au couple Le Berre, mais ils sont en vacances.
Les deux policiers ne rentrèrent pas directement, ils continuèrent leurs investigations dans les habitations un peu plus éloignées mais n’obtinrent pas plus de renseignements. Avant de rentrer sur Brest, ils allèrent jusqu’au bout de la pointe Saint-Mathieu pour jouir du climat ambiant. Ils étaient au bord de la falaise et, sous leurs pieds, l’océan s’écrasait avec fracas contre les rochers dans une démesure d’écume. Les vagues en se retirant avant l’arrivée des suivantes râlaient, la mer respirait bruyamment. Le vent en rafales soufflait bien force 10.
L’Hostis crut voir un bateau et il se dit qu’il fallait vraiment être obligé ou forcé pour sortir par des temps pareils.
« L’homme est en mer. Depuis l’enfance matelot,
Il livre aux hasards sombres une rude bataille.
Pluie ou bourrasque, il faut qu’il sorte, il faut qu’il aille,
Car les petits enfants ont faim… »
Les vers de Victor Hugo s’imposèrent à lui, et d’autres suivirent :
« …lui, seul, battu des flots qui toujours se reforment,
Il s’en va dans l’abîme, il s’en va dans la nuit.
Dur labeur ! Tout est noir, tout est froid, rien ne luit… »
« Quand il a écrit Les pauvres gens et décrit les conditions des gens de mer, Hugo a certainement éprouvé ce qu’on ressent en ce moment dans la tempête, se dit-il. L’homme est seul et démuni face aux forces obscures de la nature. » De la même façon Mathieu Creisméas se trouva souvent seul face aux éléments, mais ce sont les forces obscures de la nature humaine qui eurent raison de lui. Drôle de destin !
Ils rentrèrent sur Brest.
Le lendemain matin, L’Hostis se réveilla d’humeur maussade. La veille, Le Meur et lui avaient passé l’après-midi à faire des recherches sur Creisméas, et ils feraient un débriefing avec Duval dans la matinée. Après le travail, il était allé dans sa résidence secondaire, c’était comme ça qu’il appelait le bar “Le Ratafia” à 200 mètres de chez lui. L’estaminet était la vitrine vivante de la ville, du port, des habitants et de leurs activités. Tôt le matin, on y croisait des artisans, des employés de la criée toute proche, puis aux alentours de midi, les cadres et les chefs d’entreprise venaient prendre l’apéritif. Quand on y arrivait dans la soirée, le ton commençait à changer. Avant le repas du soir, les employés des entreprises toutes proches y jouaient aux fléchettes. Des parties endiablées s’engageaient alors, qui pouvaient durer jusqu’à 21 heures. Des assiettes de cacahuètes tenaient lieu de repas pour les joueurs invétérés. Puis jusqu’à 2 heures du matin, une autre strate de la population locale, plus jeune cette fois, les étudiants, investissait les lieux. Le ton changeait alors radicalement, le juke-box alimenté par les noctambules colorait la nuit de rythmes de reggae et de rock des années soixante-dix.
L’Hostis pour sa part était un abonné du créneau 19/21 heures. Il y retrouvait ses copains avec qui il prenait l’apéro et jouait aux fléchettes. En guise d’apéritif, ils avaient “passé un contrat” avec la tireuse à bière ; les Carlsberg, Spaten, Leffe et autres bières locales telle la Coreff avaient la lourde tâche de les délasser et de générer entre eux l’esprit de franche camaraderie qu’ils recherchaient tous.
La veille donc, il n’avait pas dérogé à son rendez-vous quotidien, puis il était sagement rentré chez lui. Si la première partie de soirée s’était bien passée, l’échange téléphonique qu’il eut ensuite avec Natacha le laissa sur sa faim. C’était ce qui expliquait son manque d’entrain au réveil. Depuis hier, il ressentait l’impérieux besoin de la revoir et de passer du temps avec elle. La réciproque ne fut malheureusement pas au rendez-vous. Natacha finissait une série de tableaux, et comme elle disait, elle “surfait” sur la vague de l’inspiration. Dans ces moments-là rien ne pouvait la distraire de ce qu’elle avait entrepris. Il fallait coûte que coûte qu’elle finisse ce qu’elle avait commencé. L’Hostis ressentait une frustration dont il avait conscience qu’elle était infantile et égoïste, mais il avait le plus grand mal à se raisonner. Sa journée débutait sur un mode grognon.
Dehors, alors qu’il se rendait vers le bar-tabac en dessous de chez lui, il constata que le temps avait radicalement changé. La température remontait et surtout le vent était tombé. Comme il s’en doutait, sur la première page du journal s’étalait en gros caractères : « Meurtre à Saint-Mathieu. »
Il l’acheta et se rendit à pied au commissariat, distant d’un kilomètre environ. C’est le quotidien sous le bras qu’il pénétra dans le bâtiment. L’équipe au grand complet l’attendait dans la salle de réunion pour commencer le débriefing sur Le Meurtre de Saint-Mathieu.
Duval demanda à L’Hostis de rendre compte de leur travail de la veille.
— On a peu d’éléments. Les seules infos tangibles, on les a eues à L’Hostellerie de la pointe Saint-Mathieu. Là, on a appris que Creisméas avait déjeuné le soir du meurtre avec quelqu’un. Problème, personne au resto ne le connaît, et de plus, il a payé sa part en espèces, donc pas moyen de l’identifier avec le chèque ou avec un paiement carte bleue. Un point toutefois pourrait nous aider à le retrouver, le serveur a observé qu’il prenait des notes et enregistrait la conversation sur un petit enregistreur. Est-ce un journaliste ? On ne sait pas.
— C’est une piste à creuser effectivement. Mettez le paquet là-dessus.
— On peut aussi visionner les bandes vidéo des axes principaux qui mènent vers Saint-Mathieu, ajouta Le Meur.
— Oui, on pourrait croiser toutes les infos entre elles, dit le commissaire Duval. Quoi d’autre ? Qu’est-ce que vous proposez, L’Hostis ?
— Je pense que la piste d’un journaliste est à prendre au sérieux, il faut chercher de ce côté-là. Mais Salaun, le restaurateur, a aussi parlé de problèmes que Creisméas aurait eus avec les marins pêcheurs du Conquet, il faut en savoir plus. Ce qu’on cherche c’est un mobile aussi !
— Et vous, Le Meur ? demanda Duval.
— Il faut enquêter sur le passé de la victime, j’ai déjà mis des gars là-dessus.
— Bon, moi, je vais faire accélérer l’IML et la scientifique pour qu’on en sache davantage ; J’espère que ça apportera des éléments nouveaux, parce que pour l’instant, on n’a pas grand-chose. Allez, on se met tous au boulot !
— Patrick et moi on file au Conquet, dit L’Hostis.
Pendant le trajet, ils ne se parlèrent pas. Le Meur avait bien vu que son collègue n’était pas à prendre avec des pincettes. L’Hostis, quant à lui, pour se changer les idées et ne plus penser à Natacha, se concentra sur l’enquête en cours. Il passa en revue les éléments dont ils disposaient jusqu’à présent.
Deux pistes s’opposaient, celle du journaliste supposé et celle des marins pêcheurs. Mais pour le mobile, il n’avait rien, aucune idée. Il envisagea l’hypothèse de la préméditation. Laisser le couteau dans le corps de la victime pourrait signifier une volonté affichée de revendiquer son crime. Cet acte lui paraissait comme la signature de celui qui veut manifester sa rage, sa détermination. « En tout état de cause, ce meurtre est l’œuvre d’un homme en colère », pensa-t-il.
La position dans laquelle gisait la victime, et le fait que, d’après le médecin légiste, il n’y avait pas eu de violences autres, semblerait indiquer que Creisméas avait été surpris ou qu’il avait eu affaire à quelqu’un qui serait plus fort que lui physiquement. Ou les deux !
Quand Salaun viendra déposer au commissariat, il faudra lui demander des précisions sur le physique du “journaliste” et en faire un portrait-robot.
Au détour d’un virage, la ria se révéla à eux. La mer l’avait envahie et on apercevait au loin la passerelle qui permettait de rejoindre la grande plage des Blancs-Sablons quand on venait du bourg du Conquet. L’Hostis s’adressa à Le Meur qui conduisait :
— Tu sais quoi, on va aller voir un gars que je connais ici et qui sait tout sur tout le monde ! Je pense que ça peut faire un bon début pour notre enquête.
— Tu parles ? Je croyais que tu avais perdu ta langue ! Pas de bon poil aujourd’hui, hein ?
— Ça va ! Tiens, prends à gauche et continue tout droit sur un kilomètre environ.
Quand ils arrivèrent en vue d’une maisonnette aux volets bleu ciel, L’Hostis fit signe à son collègue de s’arrêter. Ils étaient arrivés chez Henri Lavanant que Jean-Marc avait rencontré dans des circonstances pour le moins insolites.
— Tu te souviens qu’il y a une dizaine d’années j’ai habité ici ? demanda L’Hostis à Le Meur.
— Oui, oui.