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L'Histoire fait des vagues et le commandant l'Hostis doit bien se tenir aux bastingages...
Deux secrets bien gardés, dans lesquels se mêlent corsaires et chimères, remontent à la surface de la pointe bretonne. Entre Brest et Morlaix, sur terre comme sur mer, les passions font rage, semant la mort dans leur sillage. Que viennent faire ici les Kergalen, membres d’une famille respectée et bien ancrée dans l’histoire locale ?
Les fils de l’écheveau ne sont pas faciles à dénouer, mais le commandant L’Hostis ne reculera devant rien pour y parvenir, dût-il pour cela faire appel aux esprits…
Un polar captivant qui nous fait voyager dans un univers maritime au fur et à mesure que les secrets se dévoilent
EXTRAIT
Les deux lames des ciseaux pénétraient la chair du papier glacé, laissant entendre un déchirement net et précis. Habilement, elles suivaient un tracé à angles droits, guidées par des doigts fins et agiles. Les uns après les autres, des petits carrés de cellulose tombaient sur le sous-main en cuir, dessinant en tombant des formes géométriques presque parfaites. Si on se penchait davantage, on pouvait lire sur certains d’entre eux des mots, habillés de majuscules ou de minuscules. Mélangés ainsi, sans lien, ils composaient une joyeuse cacophonie.
Les mains adroites, protégées de gants chirurgicaux en latex, rangèrent les outils de métal dans un tiroir du bureau, puis s’appliquèrent à manipuler les petits bouts de papier.
A PROPOS DE L’AUTEUR
Né à Morlaix,
Gérard Croguennec vit actuellement dans le Beaujolais avec son épouse et leurs quatre enfants. Brestois d’origine, il reste attaché à la terre qui l’a vu naître et aime y planter le décor de ses intrigues. Le temps changeant, la présence de la mer, les couleurs et les odeurs de ce pays ne s’oublient pas. Passionné de la vie sous toutes ses formes, il signe ici son troisième roman policier.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Ce roman se déroule en 1979, dans l’ancien Centre Hospitalier de Saint-Nazaire, désormais désaffecté. Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Les deux lames des ciseaux pénétraient la chair du papier glacé, laissant entendre un déchirement net et précis. Habilement, elles suivaient un tracé à angles droits, guidées par des doigts fins et agiles. Les uns après les autres, des petits carrés de cellulose tombaient sur le sous-main en cuir, dessinant en tombant des formes géométriques presque parfaites. Si on se penchait davantage, on pouvait lire sur certains d’entre eux des mots, habillés de majuscules ou de minuscules. Mélangés ainsi, sans lien, ils composaient une joyeuse cacophonie.
Les mains adroites, protégées de gants chirurgicaux en latex, rangèrent les outils de métal dans un tiroir du bureau, puis s’appliquèrent à manipuler les petits bouts de papier. Chacun d’entre eux, déplacé par des gestes lents et précis, trouva sa place dans une des phrases qui remplissaient peu à peu une feuille blanche. Le buste droit, légèrement penché en avant, l’artisan de ce travail minutieux respirait doucement, tout à sa tâche, s’appliquant à donner du sens au texte qui s’étalait sous ses yeux. À mesure que ses idées se matérialisaient dans un joli désordre de couleurs, de tailles et de caractères d’imprimerie différents, ses traits se durcissaient. Abandonnant un instant sa besogne, ses yeux se portèrent alors sur un cadre posé là, juste devant, sur une étagère fixée au mur. Sur la photo qui s’y trouvait, un couple le regardait, souriant dans sa direction. L’homme, en tenue de chirurgien, y tenait par la taille une belle femme. Son regard exprima de la haine.
Par la grande baie vitrée, légèrement entrebâillée, on sentait l’air frais du soir. Des odeurs de rosée lui parvenaient, agréables, contribuant à alléger ses tensions. Le travail entrepris put reprendre, par le collage des différentes pièces du puzzle. Maintenant que ses émotions, ses rancœurs vivaient là, sous ses yeux, sur cette lettre, le sentiment de tenir une arme dans la main l’envahit. Écrire à l’aide d’un ordinateur aurait été plus facile et tout aussi discret, mais se livrer à ce petit exercice lui procurait davantage de plaisir et donnait plus de gravité, de solennité, lui semblait-il, à son entreprise. Ses mains, toujours gantées, glissèrent la lettre dans une enveloppe sur laquelle l’adresse était rédigée avec le même procédé, des mots découpés dans des revues et des magazines. Le timbre fut collé, après avoir été passé sur une éponge mouillée, et le courrier rangé dans la poche du pardessus accroché au portemanteau.
Au fond de la pièce, une cheminée de facture moderne laissait entendre des crépitements. Les restes du découpage, les supports qui avaient servi à la rédaction du message y furent jetés, ravivant les flammes, habillant de jaune orangé la statuette de trois petits singes posée dans un coin de l’âtre. Posté devant la flambée, il se défit des gants qui protégeaient ses mains et les déposa dans le feu.
Peu après, une silhouette s’enfonça dans la nuit qui tombait, furtive. Le col du manteau relevé, une écharpe enroulée autour du cou, elle se déplaçait d’une démarche souple et alerte. Levant la tête vers le faîtage, la fumée lui apparut, claire, distillant dans la pénombre les mots qui n’avaient pas été utilisés, à l’état de cendres volatiles. À cette heure, l’ombre dans la nuit ne croisa pas âme qui vive. Les gens mangeaient chez eux probablement.
En chemin, des émotions l’envahirent. Relâchant une part de sa colère dans la marche, ses pensées étaient celles du guerrier avant le combat. L’enveloppe, que sa main gantée de cuir tenait, devenait le glaive vengeur. Alors que la missive était glissée dans la fente de la boîte aux lettres, on aurait pu entendre, pour peu qu’on y prêtât attention, les lèvres murmurer : « Alea jacta est. »
La canne à pêche se plia en deux. Bien fichée dans le sable sur une pique métallique, elle supporta, seule, une brusque traction. La petite clochette fixée à son embout égrena un petit son cristallin qui se perdit dans le vacarme assourdissant des vagues. À l’autre bout, relié par une centaine de mètres de fil de nylon, un poisson de quatre livres se débattait, cherchant à se soustraire à l’hameçon qui le retenait prisonnier. Par à-coups, la gueule et les ouïes bien ouvertes, le corps argenté du bar entamait une danse funèbre.
Qu’est-ce qui l’avait poussé, dix secondes auparavant, à se jeter goulûment sur le crochet habillé d’un ver noir ? Lui qui s’était gavé, l’heure précédente, de sprats, avait-il encore réellement faim ? Gourmandise, instinct de chasseur, curiosité ? À cette heure, il n’aurait su le dire, tout occupé à ralentir cette force qui le menait irrémédiablement de l’autre côté de la surface, là où on suffoquait. Épuisé à lutter contre le fil invisible, la hauteur qui le séparait du plafond de l’océan se réduisait. L’eau, tout à l’heure claire et limpide, se troublait sous les assauts des rouleaux. Chaque vague qui se brisait, arrachait au lit de la mer le sable qui la tapissait, gênant le passage de la lumière.
Maintenant que le poisson se rapprochait de “l’autre monde”, il peinait à freiner son ascension. Avec l’énergie du désespoir, il se cambra, appuyant de toutes ses forces sa queue musclée sur la mer. Cela le projeta un instant hors de l’eau. Il en sentit l’inhospitalité sur sa cuirasse d’écailles et replongea aussitôt, se collant au sable, bien décidé à se battre. Accroché à la vie comme tous les êtres vivants, il cherchait par tous les moyens à la prolonger au maximum. Le fil qui le retenait prisonnier l’obligea soudain à sortir la tête à l’air. Il vit alors, à dix mètres de lui, celui dont il avait aperçu les bottes dans l’eau trouble. Le commandant L’Hostis, policier en vacances, moulinait fermement, le soustrayant peu à peu à son monde du silence, pour le livrer à la pesanteur.
Inexorablement, il fut ramené à terre, trop loin du liseré d’écume, pour qu’il pût songer à une quelconque évasion. Engourdi, cherchant désespérément l’eau qui lui faisait défaut pour respirer, il sentit une main caresser ses flancs et relever sa nageoire dorsale. Alors qu’il se sentait tomber dans le dernier sommeil, la main du pêcheur le saisit tout entier par les ouïes et le libéra de la morsure du métal. Il se débattit une dernière fois, recherchant sa liberté, mais le crochet, fermement, le retint. Le manque d’oxygène l’engourdit, le privant d’informations sur son environnement. Peu à peu, il lâcha prise. Soudain, le froid et la douceur satinée de l’eau le sortirent de sa torpeur, enveloppant son corps d’espérance. Le bar, que la vie commençait à quitter, se tenait entre deux eaux, reposant sur les mains du pêcheur. Timidement, il reprit sa respiration, ouvrant et refermant ses branchies. Lentement, l’énergie vitale le réinvestit. Il déploya alors ses nageoires dorsales et ventrales et, se propulsant sur sa nageoire caudale, rejoignit son royaume sous-marin.
— Mais qu’est-ce que tu fous, bon Dieu !
Armé d’une épuisette, Jacques Le Doaré cherchait vainement à récupérer le fugitif. La casquette de marin bien vissée sur la tête, l’homme, dépité, se planta devant son ami et, caressant sa barbe blanche, rajouta :
— Alors là, je ne comprends pas !
Jean-Marc l’Hostis, commandant au commissariat de Brest, le regarda en souriant. Les deux hommes entretenaient une amitié depuis qu’une affaire* leur avait permis de se rencontrer. Une passion commune pour la pêche et un même intérêt pour la bonne table les amenaient à se voir autour d’un repas ou au pied d’une canne à pêche.
— Écoute ! C’est mon dernier jour de vacances ! J’en ai déjà attrapé deux comme lui, alors je me suis dit qu’en le relâchant, je mettais cette nouvelle année de travail sous la protection de la chance.
Depuis toujours, il considérait que la nouvelle année commençait en septembre, après les congés d’été, et non au premier janvier. Il naviguait sur les saisons qui se suivaient, attendant avec impatience la dernière, l’été, pendant laquelle il savourait sa liberté retrouvée.
Le Doaré le regarda, interloqué.
— Ah ! Eh bien, on ne me l’avait jamais faite, celle-là ! Y’a des fois, je me demande si t’es pas un peu perché !
En lui montrant les deux poissons argentés qui occupaient le fond de son panier de pêche, L’Hostis lui répondit :
— On en a assez, regarde ! Celui que j’ai relâché, je le repêcherai l’été prochain ou avant !
On était fin août et, à 21 heures, il n’y avait plus grand monde sur la plage des Blancs-Sablons. Pour ainsi dire, hormis un couple avec leur chien, ils y étaient seuls. La mer finissait de monter. Devant eux, le soleil, bas sur l’horizon, explosait le ciel de ses rouges orangés, qu’il mêlait aux nuages lointains. Les vagues s’écrasaient bruyamment en rouleaux, inlassablement, comme une armée en marche. Sur l’estran, le spectacle vous saisissait, vous submergeant d’odeurs d’algues et d’iode.
Un léger vent fit frissonner L’Hostis. Il enfila sa veste.
— C’est bon pour aujourd’hui ? demanda-t-il à Le Doaré.
— C’est ce que j’ai cru comprendre quand je t’ai vu relâcher le bar. OK, on y va ! Tu passes à la maison ?
— Pas de problème.
Les deux hommes se mirent en chemin, lourdement chargés de leur matériel. L’Hostis marchait devant. Le pas énergique, ils gravirent la dune pour rejoindre le parking juste derrière. Ils traversèrent la route menant à la pointe de Kermorvan et suivirent un sentier jusqu’à la passerelle. Cette dernière permettait de rejoindre la ville du Conquet quand on venait de la plage des Blancs-Sablons. Elle enjambait la ria qui se terminait par le port de pêche. Le Doaré habitait une vieille maison juste à côté. De plain-pied, elle ne comportait qu’un étage mansardé. Sur le linteau en granite de la porte principale, on pouvait lire : « 1563. » Des roses trémières, des hortensias et une multitude de fleurs disparates jetées là à tous vents complétaient le décor de cette petite demeure de pêcheur. Accrochés au mur, des filets de pêche voisinaient avec des casiers à crabes.
La porte d’entrée ouvrait sur un couloir étroit qui se terminait par l’escalier menant à l’étage. Le Doaré invita L’Hostis à entrer dans la pièce de gauche, la cuisine.
En face, la salle à manger ne servait que pour les grandes occasions. Depuis que son épouse était décédée, rechignant à faire le ménage, il s’arrangeait pour salir le moins possible et se cantonnait à vivre dans une ou deux pièces. Déposant un verre devant son compagnon, il le remplit de vin.
— Qu’est-ce que tu me sers ? demanda L’Hostis.
— C’est de l’Irouléguy, un vin basque !
— Je n’en ai encore jamais goûté, c’est la première fois qu’on m’en sert.
— Tu vas m’en dire des nouvelles !
Faisant tourner le vin dans leurs verres, ils les portèrent ensuite au nez pour en sentir les arômes. Puis, quand il fut suffisamment aéré, ils le goûtèrent. Alors que L’Hostis en admirait le grenat et les reflets mauves, Le Doaré le tira de sa rêverie :
— Pas mal, hein ?
— Sans commentaire ! Un nectar !
— Pas trop fâché de reprendre le boulot demain ?
— Tu sais, si je le pouvais, je crois que je passerais ma vie en vacances. J’aurais aimé mener une vie de bohème, aller d’hôtel en hôtel, faire des nouvelles rencontres tous les jours, mais c’est ainsi, il faut gagner son pain quotidien, fit L’Hostis en regardant par la fenêtre.
Dehors, la nuit était tombée. Si on tendait l’oreille, dans le silence de la maison, on pouvait entendre les vagues sur la plage des Blancs-Sablons.
— Ton boulot ne te plaît pas ? s’étonna Le Doaré, pensant aux dernières affaires que son ami avait résolues.
— Si, mais c’est juste que j’ai peur de m’ennuyer, de ne gérer que le menu fretin, le quotidien. Je ne veux pas ajouter du malheur au malheur, mais j’ai besoin d’affaires qui me tiennent éveillé la nuit, qui m’obsèdent. Je suis alors comme un chasseur qui traque sa proie. Les méandres de la pensée humaine me fascinent. Les mobiles qui poussent l’assassin à commettre l’irréparable, les stratégies qu’il peut être amené à mettre en œuvre pour masquer ses méfaits, tout cela me passionne. En bref, tant qu’il y a des morts, moi je vis, c’est cruel mais c’est ainsi.
— Eh ben...
— Oui, comme tu dis, eh ben !
Le Doaré s’attarda sur le visage de son ami. Le regard bleu délavé de celui-ci laissait entrevoir les plus belles éclaircies comme les plus belles tempêtes. Passionné, poète à ses heures, il menait une vie de célibataire, entretenant toutefois une liaison pour le moins singulière avec Natacha. Leur relation reposait sur le jeu amoureux, chacun s’évertuant à étonner l’autre à coups de mises en scène élaborées. Leur imagination était sans limite. C’était sans doute pour eux une façon de conjurer l’ennui. Par ailleurs, l’un et l’autre tenaient trop à leur liberté pour envisager une quelconque union officialisée. Il arrivait ainsi qu’ils puissent rester de longues périodes sans se voir.
L’Hostis resta dîner. Ils mangèrent un bar pêché la veille avec une fricassée de pommes de terre.
*Voir : Voile épais au Conquet, même auteur, même collection.
On était début septembre. L’Hostis avait repris le travail depuis maintenant quinze jours. Après l’été, la rentrée avait eu lieu pour les scolaires. De la même façon, faisant suite à deux mois de calme au commissariat, le crime reprenait ses droits. Au 15, de la rue des Trépassés à Brest, on avait découvert le corps sans vie de Serge Bancien. Une voisine, s’étonnant de ne pas l’avoir vu depuis deux ou trois jours, elle qui connaissait bien ses habitudes, alerta les pompiers. Ils n’eurent pas à se servir de la grande échelle dans la mesure où la porte d’entrée n’avait pas été verrouillée. Ainsi ils pénétrèrent aisément dans son logement situé au troisième étage. Sur place, ils constatèrent la mort de l’occupant des lieux. Ce dernier gisait dans son salon, probablement décédé après avoir heurté l’angle de la table de marbre dans sa chute. Mais cela, les enquêteurs et l’autopsie le diraient plus tard. Les policiers, avertis immédiatement, furent sur place dans le quart d’heure suivant. Le commandant L’Hostis, encore bronzé de ses vacances, arriva en compagnie de Le Meur. Tous les deux travaillaient en binôme depuis trois ans.
— Accident ? demanda L’Hostis au médecin légiste qui examinait le corps.
— Si ce devait en être un, il aurait fallu un malaise quelconque qui le fasse tomber ainsi en arrière... pour heurter finalement l’angle de la table. Personnellement, je n’y crois pas trop, je vous le dirai après l’autopsie.
— Quand même, habiter au 15 de la rue des Trépassés ! Il y en a qui n’ont pas peur ! fit remarquer Le Meur.
— Dans son malheur, il a de la chance, il aurait pu habiter au numéro 13 ! répondit L’Hostis.
La tête baignant dans une mare de sang séché, Serge Bancien regardait de ses yeux fixes le plafond. Autour de lui, on s’affairait à chercher le maximum d’indices. Les hommes de la police scientifique se déplaçaient sans bruit, appliqués et méthodiques. De la petite table en marbre, deux verres étaient tombés. À l’odeur, ils avaient dû contenir du whisky. Dans le bar encore ouvert, la bouteille qui avait peut-être servi à les remplir, attendait son bouchon. Ils le retrouvèrent par terre, près du corps. Le cordon électrique d’un ordinateur, encore branché sur la prise du secteur, traînait par terre, à vingt centimètres du cadavre. Dans sa main droite, il tenait un stylo.
— Je daterais la mort à environ deux jours et demi, dit le médecin en montrant une tache verte sur l’abdomen du mort. Je vous ferai passer l’heure approximative dans la journée.
L’Hostis le remercia d’un hochement de tête. Regardant le mort, il réalisa combien il s’habituait difficilement à ces scènes de violence. Voir ainsi ces dépouilles privées prématurément de vie le renvoyait à l’éphémère de l’existence et plus largement à la fragilité de l’instant. Se relevant, il se tint au milieu de la pièce et s’imprégna des lieux en laissant errer son regard. Une grande bibliothèque occupait l’espace entre la porte donnant sur le couloir et la fenêtre donnant sur la rue. En face se trouvait un tableau figurant un voilier aux prises avec une tempête océanique. Il s’en approcha. C’était une reproduction, une photo du tableau original. À coups de vert émeraude et de bleus passés, le peintre donnait à la mer une force impressionnante. Juste à côté, dans un cadre sous verre, la généalogie des rois de France s’étalait sur un arbre stylisé. Le Meur qui se tenait derrière, lui fit remarquer :
— Serge Bancien est généalogiste, je l’ai lu sur sa plaque dans le hall d’entrée.
Les livres, bien rangés sur les étagères en merisier, traitaient surtout d’histoire et de géographie. Toutefois, rompant un certain équilibre dans les tailles et les tranches des ouvrages, un rayonnage semblait être consacré à ses recherches. L’homme, très organisé, avait noté au dessous : arbres. Probablement le résultat des travaux qu’il conduisait pour ses clients. Dans une petite niche, L’Hostis se saisit d’un répertoire téléphonique.
— Voilà quelque chose d’intéressant, fit-il.
Tous les deux se serrèrent contre le mur pour laisser passer le cadavre habillé de sa housse mortuaire. Dans un coin de la pièce, une petite femme observait la scène sans rien dire. De sa place, elle jouissait d’une vue imprenable sur les va-et-vient des policiers. Discrètement postée derrière la porte qui communiquait avec la cuisine, personne ne l’avait vue. Arrivée en même temps que les pompiers, tout le monde l’avait oubliée. L’Hostis la vit et se rappela que ce devait être la voisine dont on lui avait parlé.
— Vous ne vous êtes pas présentée, lui dit-il.
— Je suis la voisine, madame Duteil, c’est moi qui ai alerté les pompiers. Monsieur Bancien n’était pas sorti de chez lui depuis trois jours, j’ai trouvé ça inquiétant ! On se croise tous les jours dans l’escalier.
— Vous habitez sur le même palier ?
— Non, moi je suis au quatrième, juste au-dessus de chez lui.
— Vous le connaissiez bien ?
— Il vivait seul, recevait peu, sinon les clients pour lesquels il travaillait. Pour le reste, un homme sans histoires, poli, serviable.
— Pas de femme dans sa vie...
— Pas à ma connaissance !
— On peut vivre de la généalogie ?
— A priori oui, car il est propriétaire de son appartement et il n’y a jamais eu de problème avec le syndic de l’immeuble. Je vous dis, quelqu’un de très respectable, c’est incompréhensible.
Ramassant un agenda posé sur un petit guéridon, L’Hostis demanda en le feuilletant :
— Vous voyiez les gens qui montaient chez lui ?
— Il recevait ses clients à toute heure, ou se déplaçait chez eux, mais à vrai dire, tout se faisait dans la discrétion. Et puis vous savez, je travaille dans la journée donc je ne sais pas...
Ils la laissèrent repartir et continuèrent l’inspection des lieux. L’agenda, et les rendez-vous qui y étaient notés, constituaient un bon début, de même que le répertoire téléphonique. Les deux policiers semblaient plutôt satisfaits de la tournure que prenait l’enquête. Rien de pire que de commencer une investigation alors qu’on n’a rien à se mettre sous la dent. Aujourd’hui, ce sur quoi ils comptaient le plus, tenait dans leurs mains : les deux verres laissés sur la table du salon et le câble resté branché de l’ordinateur. Les traces d’ADN sur les verres parleraient, de même que les empreintes. Pour ce qui était de l’ordinateur disparu, cela semblait accréditer qu’il s’agissait probablement d’un meurtre.
— Il a une sacrée vue de sa fenêtre, dis donc ! La Tour Tanguy, le château, la rivière de la Penfeld ! Y’a plus moche ! dit Le Meur.
— Oui, moi qui trouvais pas mal mon appartement au port de commerce, je dois avouer que c’est bien ! répondit L’Hostis en rejoignant son collègue.
À une centaine de mètres en dessous, la Penfeld déroulait ses méandres sous les murailles des fortifications Vauban. Les deux hommes se désolèrent du peu de bâtiments de guerre qu’il restait à voir dans la cité du Ponant. La vue du Mutin et de l’Étoile, deux voiliers de la Marine Nationale qui étaient à quai, les consola un peu et ils prirent le temps d’en admirer l’élégance. Avec un peu d’imagination, on se retrouvait transporté à la grande époque de la marine à voile. Drôle d’atmosphère ici, pensa L’Hostis en retournant dans le salon. Les circonstances de la mort, la physionomie de Bancien ! On a la tête qu’on a, mais quand même, il a un drôle de physique, se dit-il.
— On y va ! lança-t-il à Le Meur, éprouvant soudain le besoin de se retrouver dehors, comme s’il voulait se débarrasser de mauvaises ondes.
Le lendemain matin, la photo de Serge Bancien occupait le centre du panneau de liège, celui dévolu à tous les aspects visuels des enquêtes en cours. À sa façon, il étrennait la nouvelle année. Tout au moins, au sens où l’entendait L’Hostis. Précautionneusement, Le Meur s’appliqua à punaiser près du portrait un cliché des deux verres ainsi qu’un autre du stylo que Bancien tenait dans la main.
— Voilà, l’année commence par son premier homicide !
— Ce n’est pas encore officiellement un meurtre, fit remarquer Le Meur, il a peut-être fait un malaise...
— Je n’ai pas dit meurtre, j’ai dit homicide ! Après, tu as la nuance de volontaire ou involontaire. Ceci dit, tomber comme ça en arrière sur sa table de salon, ça n’arrive pas tous les jours. On a dû l’y aider un peu...
— Serge Bancien a 41 ans, lut Le Meur sur ses papiers d’identité et, accroche-toi, il est né un 29 février ! C’est rare ! Au départ, on a une chance sur 365 de naître un jour ou l’autre de l’année, et tu y ajoutes une chance sur quatre de naître une année bissextile !
— Habiter rue des Trépassés, naître un 29 février, il cumule, dit-il.
Dans son agenda, on retrouva le nom et le numéro de téléphone de la dernière personne avec qui il avait eu rendez-vous. Malheureusement, il s’agissait d’un téléphone portable, cela ne permit donc pas de disposer de son adresse tout de suite. En le contactant, on tomba sur sa messagerie. L’Hostis y laissa un message lui demandant de le rappeler d’urgence. En étudiant le fichier clients et les travaux en cours du généalogiste, ils ne retrouvèrent ce nom nulle part. Pierre Tournon devait être un nouveau client, mais on ne pouvait en être sûr, dans la mesure où l’ordinateur portable de Bancien avait disparu.
Dans l’attente des résultats du labo et de l’IML, Le Meur se rendit à nouveau rue des Trépassés pour une enquête de voisinage, alors que L’Hostis prit rendez-vous avec un confrère de Bancien qui le connaissait. Il voulait mieux connaître ce métier pour déterminer si le mobile pouvait être d’ordre professionnel.
Il s’y rendit en fin de matinée. La circulation était fluide, et il put sortir de Brest facilement. En route, il repensa à sa dernière partie de pêche de l’été avec Le Doaré. Il bénissait le ciel que les hasards d’une enquête l’aient amené à faire sa connaissance. De trente ans son aîné, ce pêcheur à la retraite lui apportait calme et sérénité. Le vieil homme, à son insu, était devenu son port d’attache. Au fil de leur relation, il lui sembla qu’il trouvait en lui un père ou, pour mieux dire, un grand frère. Désormais, il éprouvait la nécessité de le voir au moins une fois tous les quinze jours. C’était alors l’occasion de refaire le monde autour d’une bouteille de vin ou d’aller à la pêche ensemble. L’Hostis lui confiait même ses histoires de cœur. Maintenant que Le Doaré connaissait Natacha, son amante, pour l’avoir rencontrée à plusieurs reprises, ce dernier tenait à être informé de leur relation. Il vivait cela comme un roman, tant leur histoire regorgeait de péripéties en tous genres et de passion. Mais il se gardait toujours de juger, se contentant de l’écouter. Le panneau routier, indiquant qu’il arrivait au terme de son trajet, le tira de ses pensées. Il sortit de la voie express et entra dans la petite bourgade de Ploujean, paisible paroisse au-dessus de Morlaix.
Il gara sa voiture sur le parking en face de l’église et se rendit à pied chez Louis Postic, le généalogiste qui devait le recevoir. Quand il arriva devant son domicile, il fut accueilli par les jappements d’un chien. Se saisissant d’une chaînette, il fit sonner la cloche qui se trouvait devant le perron. Aussitôt, il entendit une voix forte et grave intimer à l’animal de se taire. La grille s’ouvrit alors sur un homme d’une soixantaine d’années, vêtu d’un pantalon et d’une veste en velours côtelé marron. Les lunettes en équilibre instable sur le bout du nez, l’homme l’invita à pénétrer dans le jardin. Ils se dirigèrent alors vers une terrasse ombragée entourée d’hortensias bleus et roses.
— Asseyez-vous, je vous en prie !
— Vous êtes bien installé, fit L’Hostis en regardant le corps de bâtiment.
— Oui, on y est bien. C’est une maison de famille dont j’ai hérité du côté de ma mère. Alors, dites-moi, vous vouliez en savoir davantage sur Serge Bancien, c’est bien cela ? Au fait, c’est un accident ?
— Il est trop tôt pour le dire, mais on aura la réponse sous peu. Vous le connaissiez ?
— Oui, bien sûr que je le connaissais, j’ai eu l’occasion d’aller chez lui ! Pas en tant qu’intime, mais au titre de confrère à qui on demande des tuyaux ou qu’on rencontre dans des congrès. Il était célibataire, je crois... Les femmes ce n’était pas son truc, il se donnait entièrement à son travail.
— Justement, en quoi consiste ce travail ?
— Le métier remonte aux années 1830 environ. Au XIXe siècle, la société était en pleine mutation, l’exode rural, l’immigration massive ont éclaté les familles et ont contribué à brasser les populations, ce que l’explosion des transports a soutenu. Sans compter les grands conflits meurtriers au cours desquels on ne retrouvait pas les corps ! Bref, des difficultés sont apparues pour transmettre aux héritiers le patrimoine de ceux qui décédaient au loin. Le métier de généalogiste successoral est né. Charge à lui de reconstituer le trajet suivi par la personne décédée, pour retrouver des héritiers potentiels. Leurs principaux prescripteurs sont les notaires, pour eux, ils recherchent les héritiers inconnus, vérifient les droits des légataires. Mais on peut aussi être mandaté par le milieu immobilier, pour retrouver les héritiers du dernier propriétaire connu d’un terrain par exemple.
Après avoir rééquilibré ses lunettes sur le nez, Postic marqua une pause et se saisit d’une pipe dans la poche de sa veste. Puis, il reprit le fil de la conversation tout en la bourrant d’un tabac hollandais dont l’odeur épicée se diffusait alentour.
— Je pensais que son travail consistait essentiellement à faire les arbres généalogiques, dit L’Hostis.
— Là, il s’agit de généalogie familiale, ça fait aussi partie de notre travail.
— Et ce sont les notaires qui vous paient ?
— Non, on se paie sur l’héritage. En général on prend quinze à vingt pour cent, mais certains sont plus gourmands.
— Ça veut dire qu’on peut avoir un héritier qui gagne moins que le généalogiste ?
— C’est possible, mais pas courant.
— Bancien travaillait sur un dossier sensible ?
Postic se raidit un peu sur sa chaise et alluma le foyer de sa pipe. Aspirant avec application, il s’entoura d’un halo de fumée bleue fortement aromatique, puis regardant L’Hostis par-dessus les verres de ses lunettes, il répondit :
— Je ne sais pas, vous savez, on garde nos sources et, dans notre métier, le carnet d’adresses est important, c’est le moyen principal de se voir confier des affaires rémunératrices.
— Quand j’y pense, on fait un peu le même métier, à ceci près que je suis salarié. Tous les deux, nous fouinons pour reconstruire une vérité.
— On peut voir ça comme ça.
— Bancien avait des ennemis ?
— Pas que je sache.
— Quel type de généalogie l’occupait le plus, la familiale ou la successorale ?
— Je ne saurais vous dire ; c’est variable, vous savez !
— On pourrait tuer pour une affaire en cours ?
— Non, je ne pense pas... ou alors il faudrait que le jeu en vaille vraiment la chandelle, mais je ne vois vraiment pas pour quelle raison.
N’en apprenant pas davantage, L’Hostis prit congé de son hôte. Mais il ne put partir sans aller voir les arbres généalogiques célèbres sur lesquels ce dernier avait enquêté. Ils quittèrent la terrasse et entrèrent dans la maison. Le chien, un épagneul breton probablement dressé à rester à l’extérieur, se coucha au travers de l’entrée quand ils eurent passé le seuil. La pièce de travail de Louis Postic, entièrement lambrissée de merisier, donnait sur la partie fleurie du jardin. Une odeur agréable s’en dégageait, du jasmin crut-il identifier, mêlée à celle de tabac à pipe. Sur le bureau, un arbre généalogique montrait les neuf générations d’une famille.
Le généalogiste se montrait intarissable sur les anecdotes en tous genres qui avaient émaillé ses recherches. Un vrai travail de limier qui l’avait amené à se déplacer beaucoup : des salles d’archives aux cimetières, des mairies aux études notariales. Quand ils eurent fini, alors qu’ils regagnaient la sortie, L’Hostis tomba en arrêt devant un tableau qui ornait l’un des murs. Étrangement, il ressemblait à celui qu’il avait vu chez Serge Bancien, la reproduction qui était au mur vers la bibliothèque.
— Vous vous intéressez à la peinture ? lui demanda le généalogiste.
— Depuis que je suis sur cette enquête, oui. Il se trouve que ce tableau ressemble beaucoup à un autre que j’ai vu chez votre défunt confrère.
— Plaît-il ?
— Serge Bancien avait chez lui une reproduction de ce tableau.
— Ah !
— Il a de la valeur ?
— Pas vraiment, je l’ai acheté dans une salle des ventes à Brest, il y a trois ans environ. Un coup de foudre que j’ai eu ce jour-là. D’ailleurs, lui-même en a un dans son hall d’entrée, je veux dire un du même peintre.
— Ah bon ? fit L’Hostis surpris, je ne me souviens pas l’avoir vu.
Or, aimant ce genre de peinture, il ne l’aurait pas raté. Où était passé ce tableau ?
— Le sien ne représente pas un voilier dans une tempête comme celui-ci mais une sirène sortant des flots.
— Quel est le nom du peintre ?
— On le lit difficilement, fit Postic en s’approchant de la signature pour la déchiffrer, mais il est écrit Manac.
— Tenez, je vous laisse ma carte ! N’hésitez pas à m’appeler si vous vous souvenez de quelque chose de particulier en lien avec votre confrère.
Quand il regagna sa voiture, les cloches de l’église sonnaient joyeusement l’angélus. S’arrêtant un instant il ferma les yeux et se sentit bien. Depuis l’enfance, ce carillon l’enchantait, passerelle quotidienne entre le bonheur passé et à venir.
La machine à café ne voulait rien savoir. Voilà que, par deux fois, L’Hostis introduisait une pièce dans la fente et qu’immanquablement, elle retombait sans lui donner le café qu’il attendait. De dépit, il tapa du poing sur le monnayeur, mais rien n’y fit. Ce matin, il ne boirait pas le breuvage immonde. Il regagna son bureau. Le Meur l’y attendait, tenant à la main les résultats de l’autopsie.
— Bancien n’est pas mort tout seul, on l’a aidé !
— Mon intuition était la bonne.
Le Meur lui raconta par le détail le résultat de son enquête de voisinage dans la rue des Trépassés. Les voisins de l’immeuble où il résidait n’en dirent que du bien. Poli, serviable, un peu en retrait, Bancien laissait un souvenir positif. Il recevait peu, si ce n’étaient les clients pour lesquels il travaillait, mais toujours à des heures de bureau. Il lui arrivait souvent de s’absenter pour ses recherches sur le terrain. Il pouvait ainsi disparaître pendant quatre ou cinq jours, voire davantage. L’heure de la mort, déterminée par le médecin légiste, fut établie aux alentours de minuit. En dehors, donc, des horaires auxquels il recevait habituellement.
— Les voisins ont vu quelqu’un à cette heure-là ? demanda l’Hostis.
— Non, personne. Dans l’immeuble, il y a dix logements. Quatre sont inoccupés pour des raisons diverses et variées et les six autres, que j’ai pu rencontrer, n’ont rien vu, rien entendu. C’est plutôt le profil retraité et pantoufles là-bas, un peu le genre de Bancien, en fait. Madame Duteil, tu sais, la voisine du dessus... Elle a bien entendu un bruit sourd après onze heures du soir, mais elle n’y a pas plus accordé d’importance que ça. Son voisin se couchait tard de façon habituelle. Elle s’est dit qu’il avait fait tomber un petit meuble ou que sais-je encore.
Quand l’Hostis eut informé son collègue des renseignements qu’il avait appris du généalogiste de Ploujean, ils s’isolèrent chacun à leur bureau. Les relevés bancaires, le contenu de l’agenda, le répertoire allaient certainement leur apporter des éléments nouveaux. Patiemment, ils commencèrent le dépouillement et l’analyse des documents. L’Hostis, qui s’occupait des rentrées et sorties d’argent de Bancien, fut surpris. La colonne des crédits faisait apparaître des sommes importantes. Deux, notamment, attirèrent son attention : une somme de 6457, suivie d’une autre de 3000.
Il appela aussitôt la banque pour connaître l’identité de celui qui avait fait les chèques. Il s’agissait d’un certain Tugdual de Kergalen, chirurgien à Brest. Pour ce qui était de la colonne des débits, peu de sorties d’argent y figuraient, sinon celles liées à sa profession et à son train de vie habituel.
— Tu connais Tugdual de Kergalen ? demanda L’Hostis.
— Le chirurgien ?
— Oui.
— Il a une bonne réputation sur la place, il bosse dans une clinique. La Clinique de l’Ouest, à Brest.
— Ah !
— Parce que ?
— Parce qu’il a été client de Bancien, ou tout au moins, il lui a fait deux chèques importants.
— Pas forcément client, ça peut être pour autre chose ! Je ne sais pas, il aurait pu lui vendre une voiture...
— Oui, mais là il y a deux chèques, à même pas une semaine d’intervalle ! Tu ne vas pas me dire qu’un chirurgien serait à sec, pour la payer en deux fois ?
— Ou alors il lui a rendu un service...
— Je vais aller le voir, comme ça, j’en saurai plus.
— Prends rendez-vous ! Il est très pris. On dit qu’il opère à tour de bras !
— J’irai à son domicile privé, comme ça, je verrai Madame, s’il y en a une, en même temps.
Il n’eut pas trop de mal à obtenir un rendez-vous, mais, comme le lui avait dit Le Meur, il dut composer avec l’emploi du temps surchargé du praticien. En soirée, il se rendit donc au domicile des Kergalen. Le couple résidait à Plouzané, près du “technopole”, non loin de la Pointe du Diable, juste au-dessus de la mer. Juché en haut de la falaise, ils surplombaient la rade de Brest et jouissaient d’une vue imprenable sur le goulet et la Pointe des Espagnols. Un portail électrique, commandé à distance, obligea L’Hostis à descendre de sa voiture pour se signaler. Il sonna. Peu de temps après, une voix féminine lui répondit. Sur le coup, subjugué par le timbre de son interlocutrice, il en éprouva presque des difficultés à se présenter. Il ne s’attendait pas à ce que cela lui fit autant d’effet.
— Commandant... L’Hostis, réussit-il à articuler.
— Je vous ouvre. Suivez l’allée jusqu’au bout !