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Un pont pour deux marque le quatrième opus "des enquêtes du capitaine Achard". En déplacement en Haute-Savoie, il reçoit un ordre urgent de son procureur niçois : aider la gendarmerie locale afin d’élucider les circonstances troubles de deux décès. Les victimes sont « tombées » d’un pont. Était-ce des accidents, des suicides ou des meurtres ? Le capitaine Achard pourra-t-il démêler l'écheveau de cette affaire bien complexe ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Germain, professeur émérite agrégé d’histoire, publie depuis 1985 des ouvrages variés, débutant par des études sur la Seconde Guerre mondiale en Haute-Savoie, sa région d’origine, et sur la période 1890-1914. Au fil du temps, il s’est aventuré dans le roman historique, le roman de vie, et depuis une décennie, il explore le roman policier. Michel a également contribué à des productions vidéo et cinématographiques sur l’histoire, ainsi qu’à divers magazines. L’écriture reste pour lui une nécessité vitale qu’il honore quotidiennement.
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Michel Germain
Les enquêtes
du capitaine Achard
Un pont pour deux
Roman
© Lys Bleu Éditions – Michel Germain
ISBN : 979-10-422-4180-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Lundi matin, comme chaque lundi, le capitaine Fernand Achard, responsable de groupe à la Criminelle de Nice, tourne la clé de la porte en bois de son open-space. Comme tous les lundis, au contraire de certains, il a le sourire et il est heureux de retrouver son antre. Le silence qui l’enveloppe ne va pas durer. Dans quelques minutes, toute l’équipe sera là. Et l’open-space deviendra une ruche bourdonnante.
Son équipe ? Tous des femmes et des hommes dévoués au capitaine. Samuel Butlet, dit Sam, grand, plutôt beau gosse, un peu dégingandé, est un lieutenant doué d’un flair remarquable. Il n’a qu’un seul défaut ; c’est un dragueur et parfois il arrive en retard après une nuit agitée. C’est vrai qu’il est beau gosse et il le sait ; il en joue à la moindre occasion. Apparemment en ce moment, il a repris ses activités avec mademoiselle Carbonnel, juge d’instruction, une femme un peu pète-sec que l’équipe tente de « libérer ». Juliette Grange, dit lieutenante Juju, est une infatigable policière, capable de planquer des heures sans se plaindre, douée d’une perspicacité phénoménale et d’une gentillesse à toute épreuve. C’est la reine de la filature. Elle a les pieds sur terre et se montre très pragmatique. Elle vit sa vie entre son métier et ses amours. Il semble cependant, enfin c’est ce que pense Chantal, que sa liaison avec son collègue ne soit pas une toquade. Démétrios, trente-cinq ans environ comme les deux précédents, est fondu d’informatique, capable, tout comme Juju, de craquer les ordinateurs du Pentagone. Récemment arrivé dans le groupe, il vit déjà en couple avec Juju et il poursuit, malgré tout, sa formation pour devenir lieutenant. Ce qui n’est pas le cas de Suzanne Lafarge, majore de police, qui fait partie des meubles et qui gère avec une grande efficacité toute la paperasse et les plannings du groupe.
Le capitaine aime bien arriver avant tout le monde. Il prépare ses interventions matinales, distribuant le travail de chacun. En ce mois de mars, c’est plutôt calme. Tout à coup, le téléphone sonne ; sonnerie aigrelette désagréable. C’est le commissaire Khaled Makhlouf. D’une famille d’origine tunisienne du bled de Matmata, ledit commissaire, que tous appellent Mat, est un policier exemplaire et droit comme un I. Chez lui, tout est carré. Mat est un flic hors pair, à la carrière exemplaire. Ses états de services font pâlir le bizut qui entre dans la Maison Poulaga. C’est lui qui a fait nommer Fernand Achard à la tête d’un groupe de la brigade criminelle, qu’il veut être la plus efficace de tout Nice. De plus, Mat a l’oreille du procureur Virgile Mathusier, un sacré bonhomme celui-là, qui a une aimable tendance à répondre positivement à toutes ses demandes.
Achard se lève pour se rendre dans le bureau de patron. Au moment où il va poser la main sur la poignée de la porte, celle-ci s’ouvre. C’est Suzanne. Fernand embrasse Suzanne comme une vieille amie et l’informe qu’il va voir Mat.
Le bureau du commissaire disparaît sous la paperasse. Un cafoutch invraisemblable ! Derrière lui s’entassent des piles de dossiers ou des bouquins devenus inutiles, mais Mat ne jette rien. C’est ce qui souvent fait râler sa femme et entraîne des querelles courtes et toujours inutiles. Achard reste debout, derrière l’un des deux fauteuils en cuir défraîchi.
— Asseyez-vous, Achard…
Le capitaine s’exécute docilement en faisant le tour de cette antiquité de fauteuil. Il a toujours beaucoup de respect pour celui qui l’a nommé à son poste. Il sait ce qu’il lui doit. Il apprécie son professionnalisme et sa très grande discrétion. Et de plus, le fils du commissaire, avocat de son état, a acheté son ancienne maison. Cela crée des liens un peu privilégiés et de fait, chaque fois, ou presque, que le capitaine demande quelque chose à son patron, il l’obtient.
— Je vous ai fait venir pour vous dire qu’en fin de semaine vous serez à Genève !
— À Genève ?
— Oui, capitaine, à la demande du directeur départemental, je dois vous envoyer participer au colloque qui se déroule dans cette ville.
— Qué colloque ?
— Sur les nouvelles méthodes d’investigations. Vous savez, la technologie évolue sans cesse. Vous êtes jeune et vous êtes notre meilleur élément !
— C’est que… Démétrios…
— Tout est payé, Fernand ! Vous partez mercredi soir à 17 heures. Tout est prévu ; à Genève on vous a réservé une chambre…
— Commissaire, j’espérais prendre quelques jours de congé, cela fait trois ans que…
— Pas de problème, Fernand, vous allez à ce colloque, le directeur départemental sera content et ensuite vous prenez quelques jours… en amoureux avec madame la légiste.
Mat arbore un sourire complice, qui désarme le capitaine. Ce dernier, se ressaisissant, ose :
— Commissaire, il faut que j’en parle à madame la légiste !
— Faites et embrassez-la pour moi…
Fernand sort du bureau du commissaire légèrement déboussolé. Il ne voit pas ce foutu couloir vert sombre et sordide qui le ramène dans son bureau. Les couloirs, les bureaux et les escaliers de cet immeuble sordide semblent à tous de plus en plus vétustes. Et puis, il y a cette odeur de moisi qui court depuis le rez-de-chaussée jusqu’aux combles. L’éclairage vacille, mais réussit à éclairer le chemin du policier, chemin qu’il connaît par cœur et peu lui importe ces fichues ampoules défaillantes. L’administration centrale a promis un nouveau commissariat pour bientôt. Mais ce bientôt s’éternise… Tout le monde est là et attend les ordres du capitaine. Après un bonjour collectif et discret, il s’assoit et prend son temps. Achard n’est jamais muet à ces heures matinales. Cela laisse à penser à tout le monde qu’il se passe quelque chose. Un nouveau cadavre ? Mais personne n’ose questionner le capitaine, qui vient de se saisir du combiné téléphonique.
Finalement, Achard raccroche sans avoir composé de numéro et sort dans le couloir, où vacille toujours une lampe jaunâtre. Encore une qui va rendre l’âme ; même les lampes ne veulent plus voir ce fichu couloir. Il téléphone sur son propre portable à Chantal. Celle-ci n’est pas encore partie pour son travail. Il lui demande de passer Chez Émile, avant d’aller à l’IML.
Après avoir annoncé à son groupe qu’il sortait, le capitaine récupère sa Renault Mégane et fonce Chez Émile, dont le bar est devenu l’arrière-boutique du groupe de la Crim.
Assis à une table, derrière un café allongé, il lit Nice matin en attendant Chantal. Lorsqu’elle arrive, elle commande un café et questionne immédiatement son compagnon sur ce rendez-vous quasi clandestin.
Fernand raconte ce que lui a dit son patron concernant le colloque genevois. Puis il s’empresse d’ajouter que Mat lui donne quelques jours derrière.
— Il est prêt à me donner la semaine. Il a même ajouté « en amoureux avec madame la légiste ».
— Il a dit cela ?
— Je t’assure que je n’invente rien. Est-ce que tu pourrais…
— Je vais voir, mais en ce moment tout est très calme à l’institut et en plus on vient de dégotter un stagiaire, un beau gosse qui a tapé dans l’œil de la directrice. Je vais de ce pas à l’institut et je te téléphone très vite.
De retour à son bureau, le capitaine Achard explique à ses hommes – tous des hommes dans sa tête, même Juju et la majore – qu’il faut tout mettre à jour, car il va essayer de négocier des congés rapidement avec la direction.
— Ça t’a pris subitement ? demande Sam.
— Non, non… mais je pense que vu le peu de boulot qu’on a maintenant… D’accord, on est en mars, ce n’est pas la grosse chaleur de la plage. Mais Sam, tu vas pouvoir aller à Isola avec mademoiselle la juge. Et puis, je pense que quelques jours d’aération ne nous feront pas de mal et je vous en dirais plus quand le commissaire…
À ce moment-là, Suzanne fait de grands gestes derrière sa vitre. Elle veut voir son capitaine. Celui-ci traverse l’open-space et questionne discrètement la majore sur ses grands gestes.
— Je voulais te voir. Tu ne leur dis pas que tu pars cette fin de semaine ?
— J’attends une confirmation. Ce n’est pas parce que le commissaire a décidé que…
— Moi, je ne dis rien, mais j’ai tout pour toi : ton billet électronique d’avion… Tu pars mercredi à 16 heures 55 pour Genève Cointrin, avec Easy Jet.
— Qui paye tout ce tin-tsouin ?
— Les organisateurs…
— Qué organisateurs ?
— Europol. Tous les papiers que je reçois sont à leur en-tête. Apparemment, leur budget est serré ? Ils ont envoyé l’adresse de l’hôtel où les participants doivent descendre. Ce n’est pas le Negresco !
— De toute façon, ce n’est que pour deux nuits. Quoi qu’il arrive, c’est juste pour mercredi et jeudi…
— T’as aussi le vendredi, si tu veux… et pense à ton passeport !
— Garde-moi tout ça au frais, je ne suis pas encore parti !
Le capitaine a du mal à cacher son impatience. Assis à son bureau, il surfe, pour se renseigner, sur le temps de vol et sur son hôtel. Il apprend ainsi que le retour est prévu samedi matin par Swiss à 8 heures 30. Le vol dure une heure. Quant à l’hôtel, il s’agit de l’Hôtel Churchill. « Super, cet hôtel, se dit Achard, avec chambre de style décontracté, petit déjeuner compris et le lac n’est pas loin, super, super… » Il poursuit ses investigations touristiques à la recherche de randonnées dans le coin. Il découvre ainsi le Salève, le plateau des Glières, le Semnoz et le Jura. Il se dit qu’il y a de quoi se balader dans la région. Et Chantal qui ne téléphone toujours pas !
Achard s’apprête à sortir pour tromper son impatience, lorsque la sonnerie le réveille. Ce n’est pas Chantal, c’est une femme qui lui annonce qu’elle a une importante déclaration à lui faire personnellement. Elle insiste pour parler à l’inspecteur Achard en personne, pas à la police !
— C’est personnel, inspecteur. C’est une histoire de famille qu’il faut que je vous explique…
Achard finit par accepter de rencontrer cette femme qui, à la voix, lui paraît quelque peu âgée. Après que la vieille dame lui eut donné son adresse, il lui propose d’être chez elle à 14 heures.
— Non, non, inspecteur, c’est l’heure de ma sieste, venez après 3 heures.
Achard note et remercie la vieille dame. À ce moment-là, entre dans sa tête une foule de questions. Et peut-être la plus importante : qu’est-ce qu’elle a à me dire ?
Après avoir raccroché, il sort dans la cour du commissariat. Il s’assoit sur un banquet. Le dos appuyé au mur, face au soleil, il se réchauffe. Il fait si froid dans les bureaux que, pour des raisons de budget, on ne chauffe que très parcimonieusement. Certaines collègues gardent des pulls pour travailler. Il sort machinalement Nice Matin de sa poche, tout en constatant qu’il l’a « fauché » Chez Émile sans faire attention. Au bout de quelques instants, son portable sonne. C’est Chantal. Elle lui annonce qu’elle a longuement discuté avec sa cheffe et qu’elle a obtenu sa semaine.
— Super, mon amour ! Je fonce voir Mat pour lui dire qu’il me faut la semaine pour que je parte à Genève !
Les deux amants se donnent rendez-vous Chez Émile pour… une salade César.
Tout à son bonheur, Fernand remonte dans les étages et frappe à la porte du commissaire. Il annonce à ce dernier qu’il accepte d’aller à Genève.
— Ah, mais, capitaine, vous ne pouviez pas refuser. C’est un ordre de la direction. Alors ?
— Bin, il faut me donner la semaine…
— J’y avais pensé et j’ai fait le nécessaire auprès de la direction… Et encore ? poursuit Mat amusé.
— Bin, vous pourriez donner quelques jours au groupe… Enfin, à tour de rôle…
— Je vais étudier la question… C’est tout capitaine ?
— Oui, monsieur le commissaire.
— Alors bon voyage. N’oubliez pas : mercredi 17 heures…
— 16 heures 55, commissaire !
Dans l’open-space, c’est le calme plat. Le capitaine prend religieusement la parole. Il apprend à tous qu’il part pour un colloque mercredi soir et que le commissaire lui a donné quelques jours de congé derrière. Il sera absent au moins jusqu’au vendredi suivant. Puis il ajoute dans la foulée :
— J’ai obtenu des jours de congés pour tout le groupe. Mais je crois que vous ne partirez pas tous en même temps. C’est mieux que rien… Bon, cet après-midi, j’ai un rendez-vous avec une vieille dame, qui m’a téléphoné. Elle veut me faire des révélations… qu’elle dit ! J’espère qu’elle n’a pas un cadavre dans un placard !
— C’est un colloque sur quoi ? lance Sam, toujours dans son trip.
— Sur les nouvelles techniques d’investigation, les nouvelles technologies… J’ai dit à Mat que Démétrios serait mieux placé que moi dans cette histoire, mais la direction départementale a décidé que c’était Achard, alors c’est Achard.
S’adressant ensuite à Démétrios, le capitaine lui promet de lui rapporter un maximum de documentation.
Sur le coup de midi moins le quart, le capitaine s’en va à pied Chez Émile. Ce n’est pas très loin et puis il a besoin de se dégourdir les jambes. Il n’aime pas ces moments sans véritable travail policier. Il a l’impression de s’ennuyer. Il en a fini avec sa paperasse. Enfin, c’est surtout Suzanne qui en a fini pour lui. Chantal arrive et gare sa voiture à cheval sur le trottoir devant des échafaudages. Le voisin du bistrot d’Akim Naceur retape sa façade.
— Dis-moi, Akim, ton voisin refait la façade ?
— Quel voisin ?
— Bin ton voisin, l’ancienne boutique de fringues…
— Parti ! Akim acheter boutique. Akim être content !
— Akim riche ! T’as fini de parler comme cela. Tu as acheté ? Tu veux agrandir ?
— Ouais ! Avec tous ces flics qui viennent manger chez moi, il faut que je m’étende un peu… Il faut que mon estanco prenne du galon. Non ?
— Super et tu vas ouvrir quand ?
— Chai pas…
Tandis que Khadija, l’épouse d’Akim, apporte les deux salades César. Akim revient avec deux mousses. Chantal et Fernand se retrouvent seuls dans cette arrière-salle du bar d’Akim. Ils aiment bien cette tranquillité. Fernand espère que sa troupe ne va pas débarquer.
Un peu avant 14 heures, Chantal retourne à l’institut, tandis que Fernand regagne son antre. L’open-space est désert. Le capitaine regarde sa montre. Il se dit qu’il a le temps d’aller place Rossetti à pied. Il fait beau et un peu frais en ce mois de mars. Mais c’est très agréable pour la marche. Le capitaine descend le boulevard Dubouchage, enfile la rue Tonduti de l’Escarène jusqu’à la coulée verte. En cette heure printanière, les jeux d’eau ajoutent au décor enchanteur de ce magnifique espace. Le capitaine trouve que c’est une belle réussite. Des nounous sont assises sur les bancs bien peu confortables cependant. Quelques pitchounes, qui devraient être à l’école, jouent dans les structures en bois –, le capitaine a oublié que la région PACA est en vacances de printemps. Après avoir traversé le boulevard Jean Jaurès, il passe devant chez René, dont le store est descendu, on est lundi ! Pas de socca aujourd’hui, puis il enquille la rue Saint-François. Des odeurs de poissons lui chatouillent les narines. Il entre dans la rue Droite avant de déboucher dans la rue Rossetti. En descendant vers la place, il sort de sa poche un morceau de papier griffonné au bureau, pour y lire le numéro de la montée de la brave dame. Elle habite au 3 de la rue. Sur un montant de la porte brille un très discret digicode. Le capitaine appuie sur le bouton de son rendez-vous. La porte couine. Il grimpe les trois étages, où se faufile un escalier étroit et sombre.
La dame le reçoit très courtoisement. Dans l’embrasure de la porte, elle le toise sous tous les angles. Lorsqu’elle l’appelle inspecteur, Achard ne dit rien, il n’a pas encore compris ce qu’il faisait ici. La vieille dame a préparé du café qu’elle sert délicatement, comme seules les vieilles Anglaises savent le faire avec le thé ! Les tasses, les petites cuillères et la cafetière doivent venir d’un lointain héritage de la reine d’Angleterre.
La vieille dame se lance dans des phrases passe-partout, sur le printemps, sur les travaux du tram, sur la saison à venir… Elle sent que son interlocuteur s’impatiente tout en restant très poli. Elle se lance :
— Tout d’abord, monsieur l’inspecteur, il faut que je vous dise qui je suis.
— Capitaine, chère madame ! Que vous me disiez qui vous êtes est une bonne idée. Cela peut, peut-être, m’aider à comprendre ma présence ici.
— Prenez-vous du sucre ?
— Non, merci.
— Bon voilà, c’est compliqué pour moi de vous dire tout ce je veux vous dire. Certaines choses risquent de ne pas trop vous faire très plaisir. Donc, nous sommes parents…
Fernand écoute, les oreilles grandes ouvertes, cette soudaine parente inconnue. Et la femme d’expliquer :
— Hyacinthe Solvelli, votre arrière-grand-père, qui est né avant 1900, a été mobilisé durant la Grande Guerre. Il était dans un régiment d’infanterie souvent mis en ligne. Vous trouverez tous les détails là-dedans,dit-elle en montrant une boîte à chaussures posée sur la table. Donc je disais que Hyacinthe etson régiment montaient au front, puis étaient ramenés à l’arrière pour un peu de repos, avant de remonter au front. En février 1916, il était à Verdun. Et à la fin du mois, son régiment a été relevé, tant il y avait eu beaucoup de morts. Le caporal-chef Hyacinthe Solvelli n’était pas blessé. L’unité a été ramenée du côté de Saint-Mihiel. Durant ce séjour, le jeune Hyacinthe, je te rappelle qu’il a 20 ans… Je peux te tutoyer, inspecteur ?
— Fernand, je m’appelle Fernand Achard… dit Fernand un peu agacé de ne toujours pas connaître le nom de cette mémé.
— Je sais. Donc je disais qu’en arrière pour quelque temps, il a rencontré une femme un peu plus vieille que lui. Son mari était tombé en 1914. Marie Paule et lui se sont aimés et de cet amour est née une fille Mélanie. Son père, ton arrière-grand-père, est reparti au front sans savoir qu’il avait un enfant. Et il n’est jamais revenu voir cette femme. Elle a vécu avec ses parents, Borderer, agriculteurs à Saint-Mihiel. Marie Paule a élevé Mélanie seule. Elle a toujours espéré qu’il reviendrait. La guerre s’est achevée et Hyacinthe est rentré chez lui à Marseille. Son père conduisait les cars de la ville et sa mère était couturière à domicile. Mais ça, tu le sais ?
Fernand écoute la vieille dame, se demandant par moment où elle veut en venir. Moult idées et souvenirs courent dans sa tête et se bousculent au portillon. Mais il commence à se prendre au jeu. Il flaire l’importance du témoignage : déformation professionnelle. La dame continue son récit imperturbable. Malgré son âge, elle a toute sa tête.
— Hyacinthe, de retour chez lui, a épousé Ernestine Pontasso. Ils ont eu quatre enfants, dont ton grand-père Fernand.
— Ça, je sais. Mon grand-père tenait un bar à Toulon. J’y suis allé plusieurs fois, lorsque j’étais pitchoune.
La vieille dame se tait. On entend le bruit sourd et confus de la place, qui monte jusqu’à l’étage. Il y a déjà la queue, en mars, devant le glacier et des convives achèvent leur bruyant repas au restaurant voisin. Deux chiens se coursent en aboyant.
— Certes, mais tu ne sais pas tout. J’en termine avec moi, pour que tu comprennes bien. Mélanie Borderer, née en 1917 dans la ferme de ses grands-parents, s’est mariée en 1934, à 17 ans car elle était enceinte d’un commis de ferme, Jean-François Müller. Ils ont donc eu un enfant, une fille, Faustine. Je suis Faustine. Autrement dit, je suis une cousine germaine de ta mère… Nous avons le même grand-père Hyacinthe Solvelli ! Paix à son âme !
— C’est compliqué tout ça.