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En l'absence de leurs pères partis en voyage, Octave, fils d'Argante s'est épris de Hyacinte, jeune fille pauvre et de naissance inconnue qu'il vient d'épouser, tandis que Léandre, fils de Géronte, est tombé amoureux d'une « jeune Égyptienne », Zerbinette, de passage dans sa troupe. Argante, père d'Octave revient en ville pour le marier. Il ne sait pas que son fils s'est marié pendant son absence. Octave, très inquiet de la réaction paternelle à l'annonce de son union et, de plus, fort à court d'argent, implore l'aide de Scapin, valet de Léandre. Mais cet « habile ouvrier de ressorts et d'intrigues » ne parvient pourtant pas à faire fléchir le vieillard.
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Seitenzahl: 72
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ARGANTE, père d’Octave et de Zerbinette.
GÉRONTE, père de Léandre et d’Hyacinthe.
OCTAVE, fils d’Argante, et amant d’Hyacinthe.
LÉANDRE, fils de Géronte, et amant de Zerbinette.
ZERBINETTE, crue Égyptienne, et reconnue fille d’Argante, amante de Léandre.
HYACINTHE, fille de Géronte, et amante d’Octave.
SCAPIN, valet de Léandre.
SILVESTRE, valet d’Octave.
NÉRINE, nourrice d’Hyacinthe.
CARLE, ami de Scapin.
DEUX PORTEURS.
La scène est à Naples.
Acte I
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Acte II
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Acte III
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
Scène XI
Scène XII
Scène dernière
Octave, Silvestre.
OCTAVE
Ah ! fâcheuses nouvelles pour un cœur amoureux ! Dures extrémités où je me vois réduit ! Tu viens, Silvestre, d’apprendre au port que mon père revient ?
SILVESTRE
Oui.
OCTAVE
Qu’il arrive ce matin même ?
SILVESTRE
Ce matin même.
OCTAVE
Et qu’il revient dans la résolution de me marier ?
SILVESTRE
Oui.
OCTAVE
Avec une fille du seigneur Géronte ?
SILVESTRE
Du seigneur Géronte.
OCTAVE
Et que cette fille est mandée de Tarente ici pour cela ?
SILVESTRE
Oui.
OCTAVE
Et tu tiens ces nouvelles de mon oncle ?
SILVESTRE
De votre oncle.
OCTAVE
À qui mon père les a mandées par une lettre ?
SILVESTRE
Par une lettre.
OCTAVE
Et cet oncle, dis-tu, suit toutes nos affaires.
SILVESTRE
Toutes nos affaires.
OCTAVE
Ah ! parle, si tu veux, et ne te fais point, de la sorte, arracher les mots de la bouche.
SILVESTRE
Qu’ai-je à parler davantage ? Vous n’oubliez aucune circonstance, et vous dites les choses tout justement comme elles sont.
OCTAVE
Conseille-moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces cruelles conjonctures.
SILVESTRE
Ma foi ! je m’y trouve autant embarrassé que vous, et j’aurais bon besoin que l’on me conseillât moi-même.
OCTAVE
Je suis assassiné par ce maudit retour.
SILVESTRE
Je ne le suis pas moins.
OCTAVE
Lorsque mon père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un orage soudain d’impétueuses réprimandes.
SILVESTRE
Les réprimandes ne sont rien ; et plût au Ciel que j’en fusse quitte à ce prix ! mais j’ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui crèvera sur mes épaules.
OCTAVE
Ô Ciel ! par où sortir de l’embarras où je me trouve ?
SILVESTRE
C’est à quoi vous deviez songer, avant que de vous y jeter.
OCTAVE
Ah ! tu me fais mourir par tes leçons hors de saison.
SILVESTRE
Vous me faites bien plus mourir par vos actions étourdies.
OCTAVE
Que dois-je faire ? Quelle résolution prendre ? À quel remède recourir ?
Scapin, Octave, Silvestre.
SCAPIN
Qu’est-ce, seigneur Octave, qu’avez-vous ? Qu’y a-t-il ? Quel désordre est-ce là ? Je vous vois tout troublé.
OCTAVE
Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré, je suis le plus infortuné de tous les hommes.
SCAPIN
Comment ?
OCTAVE
N’as-tu rien appris de ce qui me regarde ?
SCAPIN
Non.
OCTAVE
Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
SCAPIN
Eh bien ! qu’y a-t-il là de si funeste ?
OCTAVE
Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude ?
SCAPIN
Non ; mais il ne tiendra qu’à vous que je ne la sache bientôt ; et je suis homme consolatif, homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens.
OCTAVE
Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirais t’être redevable de plus que de la vie.
SCAPIN
À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m’en veux mêler. J’ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire, sans vanité, qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier : mais, ma foi ! le mérite est trop maltraité aujourd’hui, et j’ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une affaire qui m’arriva.
OCTAVE
Comment ? quelle affaire, Scapin ?
SCAPIN
Une aventure où je me brouillai avec la justice.
OCTAVE
La justice ?
SCAPIN
Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.
SILVESTRE
Toi et la justice !
SCAPIN
Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l’ingratitude du siècle que je résolus de ne plus rien faire. Baste ! Ne laissez pas de me conter votre aventure.
OCTAVE
Tu sais, Scapin, qu’il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon père s’embarquèrent ensemble pour un voyage qui regarde certain commerce où leurs intérêts sont mêlés.
SCAPIN
Je sais cela.
OCTAVE
Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la conduite de Silvestre, et Léandre sous ta direction.
SCAPIN
Oui : je me suis fort bien acquitté de ma charge.
OCTAVE
Quelque temps après, Léandre fit rencontre d’une jeune Égyptienne dont il devint amoureux.
SCAPIN
Je sais cela encore.
OCTAVE
Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son amour, et me mena voir cette fille, que je trouvai belle à la vérité, mais non pas tant qu’il voulait que je la trouvasse. Il ne m’entretenait que d’elle chaque jour ; m’exagérait à tous moments sa beauté et sa grâce ; me louait son esprit, et me parlait avec transport des charmes de son entretien, dont il me rapportait jusqu’aux moindres paroles, qu’il s’efforçait toujours de me faire trouver les plus spirituelles du monde. Il me querellait quelquefois de n’être pas assez sensible aux choses qu’il me venait dire, et me blâmait sans cesse de l’indifférence où j’étais pour les jeux de l’amour.
SCAPIN
Je ne vois pas encore où ceci veut aller.
OCTAVE
Un jour que je l’accompagnais pour aller chez les gens qui gardent l’objet de ses vœux, nous entendîmes, dans une petite maison d’une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c’est. Une femme nous dit, en soupirant, que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes étrangères, et qu’à moins que d’être insensibles, nous en serions touchés.
SCAPIN
Où est-ce que cela nous mène ?
OCTAVE
La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c’était. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d’une servante qui faisait des regrets, et d’une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu’on puisse jamais voir.
SCAPIN
Ah, ah ?
OCTAVE
Un autre aurait paru effroyable en l’état où elle était ; car elle n’avait pour habillement qu’une méchante petite jupe avec des brassières de nuit qui étaient de simple futaine ; et sa coiffure était une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant, faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n’était qu’agréments et que charmes que toute sa personne.
SCAPIN
Je sens venir les choses.
OCTAVE
Si tu l’avais vue, Scapin, en l’état que je dis, tu l’aurais trouvée admirable.
SCAPIN
Oh ! je n’en doute point ; et, sans l’avoir vue, je vois bien qu’elle était tout à fait charmante.
OCTAVE
Ses larmes n’étaient point de ces larmes désagréables qui défigurent un visage ; elle avait à pleure une grâce touchante, et sa douleur était la plus belle du monde.
SCAPIN
Je vois tout cela.
OCTAVE
Elle faisait fondre chacun en larmes, en se jetant amoureusement sur le corps de cette mourante, qu’elle appelait sa chère mère ; et il n’y avait personne qui n’eût l’âme percée de voir un si bon naturel.
SCAPIN
En effet, cela est touchant ; et je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.
OCTAVE
Ah ! Scapin, un barbare l’aurait aimée.
SCAPIN
Assurément : le moyen de s’en empêcher ?
OCTAVE
Après quelques paroles, dont je tâchai d’adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous sortîmes de là ; et demandant à Léandre ce qu’il lui semblait de cette personne, il me répondit froidement qu’il la trouvait assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m’en parlait, et je ne voulus point lui découvrir l’effet que ses beautés avaient fait sur mon âme.
SYLVESTRE