Les Tribulations de Madame Palissy - Anne Manning - E-Book

Les Tribulations de Madame Palissy E-Book

Anne Manning

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Beschreibung

Bernard Palissy brûlant ses meubles et son plancher, pour découvrir le secret de la fabrication de l'émail, est une image d'Épinal que nous gardons tous des livres scolaires de notre enfance. Cet inventeur-artiste n'a pas seulement été une gloire de la Renaissance, mais encore une figure emblématique de la Réforme française, puisqu'il est mort en prison plutôt que de renier sa foi. C'est pourquoi sa biographie a par la suite suscité diverses petites fictions littéraires, destinées à la jeunesse, dans le but de lui enseigner les vertus de la persévérance et de la confiance inébranlable en Dieu. Celle d'Anne Manning (1807-1879), romancière anglaise spécialisée dans l'histoire huguenote, est certainement la plus spirituelle et la plus originale d'entre elles. Traduites par Victorine Rilliet de Constant (1822-1895), The provocations of Madame Palissy se laissent lire à tout âge, avec amusement, et finalement émotion. La préface est du pasteur Paul Chatelanat (1831-1899). Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1859.

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Mentions Légales

Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322484478

Auteur Anne Manning. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
Les Tribulations
de
Madame Palissy
Anne Manning
1859
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2019 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Préface
I. La robe vert tendre
II. Le premier fourneau
III. Déception et délivrance
IV. Nouvelles épreuves
V. Le deuil
VI. Consolation et espérance
VII. L'émail trouvé
VIII. Un ami dans le besoin
IX. Nouvelle lutte
X. Le rêve
XI. Le martyre
XII. Regard en avant
XIII. L'épreuve bénie
◊Préface

Le titre de cet ouvrage en indique déjà l'intention : l'auteur n'a nullement voulu écrire une biographie complète de Bernard Palissy, ni entreprendre une étude savante sur les découvertes de ce grand artiste. Il nous raconte simplement l'histoire de son héros pour nous faire comprendre les difficultés sans nombre contre lesquelles il eut longtemps à lutter. En même temps que Palissy dépensait pour sa découverte son temps, ses forces, ses modiques ressources, tout ce qu'il possédait en un mot, sa femme murmurait toujours de ce qu'elle appelait une étrange folie, se plaignait de la misère où la réduisait son mari. Tourmentée elle-même, elle le tourmentait à son tour. De là le titre de l'ouvrage : Les tribulations de Madame Palissy.

L'auteur a donc cherché à nous donner une histoire vivante, animée, souvent entremêlée de dialogues et parfois de digressions.

Autour du héros principal viennent se grouper plusieurs autres figures qui illustrent la scène et donnent du charme à la narration.

Ici c'est Victorine, la femme de Bernard, bonne au fond malgré ses accès de mauvaise humeur, mais incapable dans son ignorance de comprendre les vastes projets de son mari et de supporter tant de sacrifices dans l'espérance d'un lointain succès. Là c'est la gentille Fleurette, dont l'affection et les tendres prévenances consolent son père abattu. Ailleurs, c'est Marguerite, bonne femme un peu bavarde, mais toujours disposée à venir en aide à ses voisins ; plus loin encore, voici le compatissant Gaspard ; là, enfin, l'austère et grave figure de maître Philibert, le ministre réformé.

Tous ces personnages, toutes ces scènes diverses passent tour à tour sous nos yeux, pour nous transporter à l'époque de Palissy et changer ainsi de lointains souvenirs en une vivante réalité. L'auteur respecte toujours dans ses grands traits et souvent dans ses moindres détails la vérité historique. Les développements ou les embellissements qu'il ajoute n'ôtent rien à la fidélité du tableau. Nous rappelons simplement ici les principaux traits de la vie de Bernard pour combler certaines lacunes de l'ouvrage, en faciliter au lecteur l'intelligence et rétablir parfois l'ordre des faits.

Aucun des contemporains de Palissy ne nous ayant raconté sa vie, la date et le lieu précis de sa naissance nous sont inconnus.

Son seul biographe c'est lui-même, et encore parle-t-il habituellement de sa personne avec une modestie qui nous empêche parfois de le bien juger. Il appartenait à une famille obscure, et naquit probablement vers 1510 dans un pauvre village du Périgord, la Chapelle-Biron.

De bonne heure il s'occupa des travaux de poterie, tout en cultivant avec ardeur plusieurs sciences, la verrerie ou la préparation des vitraux coloriés, le dessin, la sculpture, la peinture et la géométrie.

Ses talents attirèrent bientôt sur lui l'attention, et les commissaires du roi le chargèrent, lors de leur tournée dans la Saintonge, de lever la carte topographique du pays.

Palissy tenait cependant à étendre le cercle de ses connaissances. Dévoré du désir de voir et d'apprendre, il fit son tour de France, le bâton à la main, parcourant tout le royaume, de Marseille en Flandres et des Pyrénées aux bords du Rhin.

De retour de ses voyages, il vint à Saintes sur la Charente, pour s'y marier et s'y établir définitivement. Tout en continuant ses travaux de poterie, il en faisait non un métier, mais un art.

Il se sentait appelé à autre chose qu'à un simple travail manuel. Il songeait moins à subvenir à l'entretien de sa famille qu'à acquérir de la gloire, à s'illustrer par quelque grande découverte, à sortir de l'obscurité. Une circonstance en apparence peu importante vint lui révéler son génie et ouvrir à son âme des horizons tout nouveaux. Une coupe de terre émaillée de Faënza tomba entre ses mains ; il l'admire, il cherche à l'imiter, et dès ce moment la grande pensée de sa vie, c'est de trouver le moyen d'émailler les poteries, c'est de découvrir l'émail blanc. Pendant plusieurs années il y travaille sans relâche, luttant avec une énergie infatigable contre des difficultés incessantes, jusqu'à ce que le succès couronne enfin ses efforts.

Il faut lire dans son livre sur l'Art de terre le récit de ces obstacles sans cesse renaissants. Il faut l'entendre nous raconter lui-même, avec une simplicité touchante, ces années de labeur et de fatigue qui usaient les forces de son corps sans abattre le courage de son âme.

Quels étaient ces obstacles ? D'abord le manque d'argent. A peine possède-t-il les ressources nécessaires à l'entretien de sa famille ; aussi quand il s'agit de poursuivre ses expériences s'adresse-t-il à la complaisance de ses voisins, ou dans son désespoir arrache-t-il, pour se procurer du bois, le plancher de sa maison et le treillis de son jardin.

Il est ensuite aux prises avec une matière rebelle et des fourneaux récalcitrants. Chaque nouvelle tentative doit, pense-t-il, le conduire à la gloire, et souvent il ne trouve pour récompense de ses peines que de nouveaux mécomptes et de nouveaux insuccès. Il lutte encore contre l'ignorance ou la mauvaise volonté des potiers chargés de surveiller ses ouvrages, contre les moqueries et les insultes de grossiers voisins. On l'accuse d'être un faux-monnayeur, on le traite d'insensé ou de visionnaire ; on se rit impitoyablement de tous ses efforts. Parfois il résiste jour et nuit aux éléments déchaînés sur l'humble réduit qui lui sert de laboratoire ; il endure sans relâche les plaintes et les amers reproches de sa femme, dont la mauvaise humeur le poursuit partout.

Parfois enfin, en proie à une sombre mélancolie, il erre seul dans la campagne et son courage est près de faillir.

Mais bientôt l'espérance le soutient et le console ; il compte avec assurance sur le succès. « L'espérance que j'avais me faisait procéder à mon affaire si virilement que plusieurs fois, pour entretenir les personnes qui me venaient voir, je faisais mes efforts de rire, combien que intérieurement je fusse bien triste. » — Il sait que Dieu le soutient et travaille avec lui ; il attend le secours d'en haut avec une parfaite confiance ; il croit que rien n'est impossible au Tout-Puissant. N'est-ce pas là le propre du génie de travailler avec une humble persévérance sous le regard du Seigneur ?

D'autres préoccupations que celles de la science agitaient cependant l'âme de Palissy. La réforme étendait partout ses conquêtes, et gagnait dans la Saintonge comme ailleurs de nombreux et zélés partisans.

Palissy fut un des premiers à embrasser les idées nouvelles, et, du moment où il eut ouvert son cœur à l'influence du pur Évangile, il demeura ferme dans sa foi, confessant jusqu'à la fin son Dieu sauveur. Ce qui l'attira vers la réforme, ce fut d'abord la prédication de l'Évangile, qui répondait à tous les besoins de son âme en lui donnant la lumière et la paix. C'était aussi l'austère simplicité du culte ; le chant des cantiques réformés, en particulier, eut toujours pour lui un puissant attrait : « En les écoutant, il me semblait, dit-il, que je me promenais le long des rideaux d'aunes et de frênes qui voilent le lit des eaux des ruisseaux et que j'entendais un peu murmurer les eaux courantes du ruisseau qui coulait au pied de ces rideaux d'arbres ; et, d'autre part, j'entendais la voix des petits oiseaux qui étaient sur les dits aubiers, et lors me venait à souvenir du Psaume cent quatrième, où le prophète dit que les ruisseaux passent et murmurent aux vallées au bas des collines, et où il dit aussi que les oiseaux font résonner leurs voix sur les arbrisseaux plantés au bord des eaux courantes. »

La transformation partout opérée sous la bienfaisante influence de la réforme remplissait Palissy d'étonnement et d'admiration. Il aimait surtout à voir la vie héroïque et sainte des conducteurs spirituels de ces petits troupeaux protestants : il admirait ces vieillards qui n'avaient point d'épée à leur ceinture, mais un simple bâton à la main, et s'en allaient ainsi seuls et sans crainte selon cette parole du Maître : « Vous annoncerez ma loi allant, venant, mangeant, buvant, couchés, levés, assis sur le bord des chemins. »

L'attachement de Palissy à l'Évangile et à la réforme devait être pour lui la source de nouvelles persécutions. Voici comment il nous dépeint lui-même cette époque de violences, de troubles et de sang : « Je me retirais secrètement dans ma maison pour ne pas voir les meurtres, les reniements, les pillages qui se faisaient dans les villes et dans les campagnes. Cependant, deux mois que j'y restai, il me sembla que l'enfer était défoncé et que tous les démons étaient sortis pour ravager la terre. »

La réputation de Palissy commençait alors à se répandre tout autour de lui. Plusieurs seigneurs, charmés de la beauté de ses œuvres, lui confièrent divers travaux. Le connétable de Montmorency, en particulier, se prit d'affection pour l'artiste et l'employa à décorer son château d'Ecouen. La protection de ce puissant seigneur et d'autres illustres personnages ne put toutefois le défendre contre la fureur de ses ennemis.

Enveloppé à son tour par les proscriptions qui frappaient les réformés, il fut traîné dans les prisons de Saintes et de là à Bordeaux. En même temps qu'il souffrait en sa personne pour la cause de l'Évangile, son atelier était dévasté, et ses ouvrages détruits par une bande de furieux. Le connétable intercéda alors en faveur de son protégé ; Palissy est enlevé à la juridiction du Parlement de Bordeaux, rendu à la liberté et appelé à la cour de Catherine de Médicis avec le titre de « gouverneur des Tuileries » et « d'inventeur des rustiques figulines du roi et du connétable. »

Dès ce moment commence une nouvelle période de sa vie. Nous n'avons plus devant nous un humble ouvrier, mais un grand artiste. Palissy poursuit avec ardeur de nouvelles découvertes, il explore le champ de la science, et travaille à mille chefs-d'œuvre, dont quelques-uns se voient aujourd'hui encore dans l'une des salles du Louvre et dans des collections d'amateurs ; il est honoré de l'amitié de plusieurs illustres personnages ; il ouvre des cours dans un petit appartement de la rue Saint-Jacques, et y voit accourir de nombreux savants, auxquels il a promis d'apprendre en trois leçons « tout ce qu'il a découvert sur les fontaines, les pierres et les métaux. »

« Mes bons maîtres, leur dit-il en forme d'exorde, vous le savez, sans qu'il soit besoin que je vous le dise, je ne suis ni Grec, ni Hébreu, ni poète, ni rhétoricien ; mais un simple artisan bien pauvrement instruit dans les lettres. Sans doute j'eusse été fort aise d'entendre le latin et de lire les livres des philosophes, pour apprendre des uns et pouvoir contredire les autres. Cependant j'aime mieux dire vérité, en mon langage rustique, que mensonge en un langage rhétorique. Souvenez-vous d'un passage qui est en l'Écriture sainte, où St Paul dit : « Que chacun selon qu'il aura reçu des dons en distribue aux autres. »

Palissy échappa comme par miracle aux massacres de la Saint-Barthélemy ; mais la haine des ligueurs n'en devait pas moins l'atteindre. Dénoncé par Matthieu de Launay, l'un des Seize, il se vit conduit à la Bastille, où il rencontra plusieurs compagnons d'infortune et de captivité. C'est là qu'il se lia d'une amitié profonde avec deux jeunes prisonnières, les filles du président Foucaut, bientôt traînées au supplice et qu'il consola jusqu'à la fin.

Au fond de sa prison il eut aussi avec le lâche et indigne Henri III l'entretien pendant lequel le prince lui offrit la vie, mais au prix d'une abjuration. Palissy repoussa noblement une offre pareille et ferma la bouche au roi par ces courageuses paroles : « Sire, je sçais mourir. »

Transféré dans la prison du Petit-Châtelet, le vieillard se vit quelque temps encore exposé à la mort, puis il s'éteignit à l'âge de quatre-vingt-dix ans dans les cachots delà Bastille, calme et paisible jusqu'à son dernier soupir.

Tel fut Palissy, dont la belle et noble vie peut nous servir de modèle à plus d'un égard.

En lutte avec mille obstacles il les surmonte tous par la persévérance de son génie, nous montrant ainsi ce que peut une volonté énergique et forte jointe à un travail soutenu. Palissy s'éleva par lui-même, par ses propres efforts, par son infatigable patience. Il ne dut ses succès après Dieu qu'à lui seul. Son humble naissance, sa modeste position de fortune, les nombreuses difficultés qu'il rencontra plus tard sur sa route, tout semblait devoir le retenir dans l'ombre ; mais il sut sortir de l'obscurité et se faire un nom glorieux.

Toutes ses recherches, toutes ses découvertes, tous ses écrits portent l'empreinte d'un bon sens rare en tout temps, mais surtout dans une époque comme la sienne. Il s'instruisit par une observation lente et patiente des phénomènes de la nature bien plus que par des livres. Fort du témoignage de l'expérience, il combattit victorieusement les préjugés et les erreurs populaires, et souvent avec un mélange de bonhomie et de malice bien propre à disposer en sa faveur. Quand il parle des médecins charlatans et de leurs crédules pratiques, c'est pour se moquer très plaisamment de la supercherie des uns et de la folie des autres. Les alchimistes ne sont pas davantage épargnés.

Ce n'est point cependant que Palissy dédaignât l'étude des secrets de la nature : « Je n'ai pas eu d'autres livres, nous dit-il, que le ciel et la terre ; il est donné à tous de pouvoir lire dans ces beaux livres-là. »

Loin de mépriser la nature, il l'étudie avec délices, il s'identifie avec elle, il en admire les magnificences ; il s'inspire de ses beautés, il lui demande des modèles pour ses inimitables chefs-d'œuvre, il la fait revivre et lui prête sa propre sensibilité.

Mais l'amour de la nature ne suffira jamais à une âme : elle a besoin de connaître son divin auteur. Combien d'hommes qui ont aimé les merveilles de la nature, et les ont même admirées sans se laisser conduire à l'Éternel, sans discerner la main toute-puissante qui a semé ces magnificences sous leurs pas ! Ils se faisaient une idole de la création, ils lui adressaient tous leurs hommages, ils allaient parfois jusqu'à la diviniser dans leur poétique enthousiasme, mais ils oubliaient dans leur folie et dans leur ingratitude le Dieu béni éternellement.

Palissy sut se garder de cette insensée et coupable idolâtrie, car dans la nature il vit toujours le Dieu Créateur, celui qu'il appelle le grand Constructeur, le grand animateur des mondes, le vivant des vivants. C'est Lui qu'il cherche, Lui qu'il contemple, Lui qu'il adore dans les beautés de la création.

Ecoutons-le nous raconter ses impressions de voyages : « J'y pris grande occasion de glorifier Dieu en toutes ses merveilles. J'y trouvai des choses qui me rendaient tout confus à cause de la merveilleuse Providence qui avait eu ainsi soin de ses créatures. Quand je contemplais les natures, je tombais sur ma face, et, adorant Dieu, je m'écriais en mon esprit : O bon Dieu ! je puis à présent dire comme le prophète : Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne gloire et honneur. »

Palissy connut l'amour du Tout-Puissant ; il chercha son regard, il trouva sa paix, il put l'appeler son Sauveur. A mesure que s'enfuyait pour lui la vie présente, il se préparait à la vie éternelle, et c'est là ce qui le rend vraiment grand. Nous admirons sans doute sa science, ses talents, sa persévérance, son génie, mais nous aimons plus encore à retrouver chez lui le chrétien. Bien loin de rien enlever à sa gloire, cette humble et simple piété de l'homme de génie la fait briller à nos yeux d'un plus vif éclat.

Paul Chatelanat
◊  ILa robe vert tendre.

— Victorine ! Ma chère Victorine ! dit brusquement Bernard Palissy à sa femme, qui travaillait à ses côtés avec son enfant sur les bras.

— Que veux-tu, Bernard ? répondit sa femme sans tourner la tête.

— Ne m'as-tu pas dit, chère amie, que tu avais grand besoin d'une robe neuve ?

— Oui, certainement, s'écria Mme Palissy du ton le plus animé, et je t'ai dit encore qu'un camelot vert tendre….

— Ma chère Victorine, peu m'importe le camelot vert tendre. Je voulais seulement te faire observer qu'il n'y a pas de couleur ou d'étoffe en France avec lesquelles tu puisses paraître, à mes yeux, la moitié aussi jolie que dans ta vieille robe.

— Mon pauvre mari, que tu es ennuyeux ! s'écria-t-elle en reprenant son ouvrage ; n'avais-tu rien de plus intéressant à m'apprendre.

— Mes raisons, continua Palissy, en prenant le bras de sa femme pour réveiller son attention… Mes raisons, ma bien-aimée Victorine, pour te trouver si charmante dans ta robe de serge cramoisie avec ses trois rangs de dentelle de laine au bas de la jupe ?… plus jolie que lorsqu'elle était toute neuve, le jour de ton mariage, si tu te le rappelles….

— Oui, certes, je me le rappelle bien, dit Mme Palissy d'un ton aigre. Mais, au nom de tous les saints, pourquoi dois-je m'en souvenir en ce moment ?

— Quant aux saints, répliqua Palissy, sans oublier le but qu'il se proposait, tu sais, ma chère Victorine, que cette exclamation qui t'est familière, n'a aucune valeur à mes yeux, pas plus que le reste du calendrier sur lequel j'ai de toutes autres idées que toi ; … mais pour en revenir au jupon rouge…

— Oh ! il a grand besoin d'être retourné, s'écria la pauvre Victorine, si je dois le porter plus longtemps ; … il a été tourné maintes fois déjà, le dedans en dehors, le haut en bas, le derrière devant, il a été bordé et rebordé ; … je devrai, probablement, mettre les côtés devant ; et tout cela pourquoi ?

— Tout cela, mon ange, répliqua Bernard, du ton le plus caressant,… très caressant, en vérité, afin que l'argent que nous devions mettre à cette robe neuve reste à ma disposition pour un besoin particulier.

— Un besoin particulier, en vérité ! s'écria Mme Palissy exaspérée. Si je t'exposais tous les besoins particuliers de tes enfants et les miens, j'aurais à parler jusqu'au soir.

— C'est précisément pour que nos chers enfants et toi vous ayez le nécessaire et plus encore, ma bien-aimée Victorine, que j'ai besoin de cette petite somme immédiatement.

— Et pourquoi immédiatement ? répondit-elle vivement.

— Mais, dit-il en rougissant, quoique sa femme n'aperçut pas cette subite rougeur,… il faut que j'achète un peu de borax et de palladium.

Indignée de ces dernières paroles, Mme Palissy donna sans sourciller un soufflet à son mari : non point pour badiner, notez bien, mais un soufflet appliqué avec un effort désespéré qui fit pleurer son enfant en le réveillant. Et celle qui se laissait aller à cet emportement n'était pas une virago de quarante à cinquante ans, mais une jeune et belle femme de vingt-quatre.

Bernard se frotta la joue en partant d'un éclat de rire. — Allons, dit-il, tu ne m'as pas fait grand mal, pas la moitié autant que tu le désirais. Maintenant nous sommes quittes, tu me pardonnes, et je te pardonne aussi.

— Me pardonner, en vérité ! s'écria Victorine vivement offensée, et tout en consolant son enfant en pleurs. Je voudrais bien savoir ce que tu as à pardonner. C'est à moi, à moi…, pauvre infortunée créature, traitée comme jamais femme ne le fut. Est-ce pour cela que je t'ai épousé, Bernard Palissy, et que j'ai quitté ma paisible demeure ?

— Ta paisible demeure ? répliqua Bernard un peu ironiquement ; tâche donc d'apaiser ce petit braillard afin que je puisse m'entendre parler, et je te raconterai le tout.

— Que m'importe tes histoires, répondit Victorine en commençant à pleurer ; je ne les connais que trop bien.

— Toujours la même, reprit Bernard en soupirant. Et j'aurais à te dire tant de choses qui pourraient cependant te tenir éveillée !

— Eh bien, qu'est-ce donc ? Oh ! que tu m'ennuies ! ajouta Victorine, qui avait aussi sa part de curiosité féminine, et commençait à penser qu'il pouvait avoir quelque secret important à lui révéler.

— Calme-toi donc, et écoute-moi attentivement, répliqua-t-il, ou je sors immédiatement, et tu ne sauras jamais mon secret.

— Eh bien, cher Bernard, je suis calme, j'écoute, je suis tout oreilles, commence donc.

— Je vois le chemin de la fortune ! dit-il d'un ton décidé et en frappant du poing sur la jambe.

— Vraiment ? répondit Victorine… Je voudrais bien le voir aussi. Qu'est-ce donc ?

— Je vois le chemin de la gloire ! continua Bernard sur le même ton.

— Qu'est-ce donc ? demanda Mme Palissy d'un ton singulier ; est-ce quelque chose qui rapporte de l'argent ?

— Quelquefois ; et presque toujours mieux encore que de l'argent, répliqua Bernard.

— Ah ! j'en doute, dit Victorine.

— Oui, ma chère femme, je pensais bien que tu en douterais ; quoique tu sois une excellente créature, tu as l'esprit tant soit peu étroit ; mais il est des choses que tu dois accepter sur mon autorité, parce que tu sais que je suis un homme sérieux et sensé,… et c'est d'une chose pareille qu'il est question maintenant.

— Bien, répondit Victorine ; mais rappelle-toi ce que tu m'as dit, que tu voyais le chemin de la fortune,… tu t'en souviens ?

— Oui, sans doute. Maintenant, écoute-moi. Il y a quelque temps, j'allai au château remettre une nouvelle joue au visage de St Martin.

— Au visage de St Martin !

— Oui, le petit Henri avait lancé une flèche contre les vitraux peints du grand vestibule ; une seule petite vitre en losange fut brisée, et je dus réparer cet accident ; Mme la comtesse se trouvait dans le vestibule, surveillant des domestiques qui défaisaient une caisse arrivée tout droit de la cour de Toscane, et que des parents lui envoyaient… De riches soieries, des bracelets, des ciselures d'or et d'argent, des curiosités enfin que je ne saurais nommer ; mais surtout, chère Victorine, un vase ! mais un vase !

— Eh bien !

— La beauté de ce vase, d'une poterie qu'on appelle majolica, dépasse toute idée. Il est orné de peintures exquises, de fruits, de fleurs, le tout d'un émail si parfait que j'en restai stupéfait d'admiration. Tandis que j'étais occupé à le contempler, je réfléchis que si je parvenais à faire des émaux (art inconnu en France), je pourrais fabriquer de fort jolies choses, puisque Dieu m'a doué d'un certain talent pour le dessin. Pendant que j'étais ainsi absorbé dans mes pensées, l'outil que je tenais me glissa des mains. La comtesse se retourna vivement, et remarquant ma confusion, elle me demanda avec bonté la cause de mon trouble. Je lui répondis que la vue de ce vase m'avait mis hors de moi. Elle m'invita alors à m'approcher pour l'examiner plus attentivement. « Cette poterie peinte, mon bon Palissy, ne se trouve qu'en Italie, me dit-elle. Nous l'appelons majolica, parce qu'elle nous vient de Majorque, île où les pèlerins abordaient en revenant de la Terre-Sainte, et d'où ils rapportaient de riches ornements pour nos églises. » — « C'est bien dommage, Madame, lui dis-je, que nous n'ayons pas le secret de cette poterie. » — « Oh ! vous ne l'aurez jamais, répliqua-t-elle ; on y tient trop pour le céder ; et ce n'est pas étonnant, car lorsque les objets d'art deviennent communs, ils perdent la moitié de leur valeur. » — « Pas toujours, répondis-je. » Elle me regarda avec surprise, comme si ma réponse était quelque peu impertinente. Posant alors le vase, elle le couvrit d'une mousseline, en disant que le chérubin de cette délicieuse peinture était de Raphaël d'Urbino.

Là-dessus je me retirai, et bientôt après, Mme la comtesse partit pour Paris emportant sans doute le fameux vase, car je ne l'ai plus revu. Mais ce souvenir me suit partout ! Je vois ce vase dans mes songes.

— Quelle bêtise ! s'écria sa femme.

— Là, il n'y a pas de bêtise, dit Bernard ; je voudrais seulement trouver, tout en rêvant, le secret de cette fabrication.

— Tes rêves auraient au moins quelque utilité, répondit Victorine.

— J'y pense constamment quand je suis éveillé, continua Palissy ; mais je suis si peu au fait des plus simples applications de la science à l'art de la poterie, que je fais bien peu de progrès.