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Dans les profondeurs de la mystique forêt de Brocéliande, Gwendoline, une jeune fée adolescente, mène une vie paisible. Cependant, le calme de cette existence idyllique est sur le point d'être rompu. Les luttes de pouvoir en Bretagne et les appétits du roi des Francs se dessinent à l'horizon, menaçant de bouleverser son monde. Pourtant, ce n'est que le prélude à un cataclysme encore plus terrifiant : l'arrivée imminente des redoutables Vikings. Plongeons dans un récit captivant où la magie, l'intrigue politique et l'invasion viking se mêlent pour forger le destin extraordinaire de Gwendoline.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Passionné par les romans historiques,
Michel Raboteau prend la plume pour partager avec nous le fruit de son imagination. Cette grande aventure littéraire fait également l’hommage de ses deux régions d’adoption, la Bretagne et la Normandie.
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Michel Raboteau
Les Vikings
Tome I
Brocéliande
Roman
© Lys Bleu Éditions – Michel Raboteau
ISBN :979-10-422-1442-5
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La grande histoire que chacun retient plus ou moins bien, plus ou moins faussée par ce que l’on a envie de croire, ou de faire croire, est toujours imbriquée de petites histoires, plus ou moins vraies que personne ne prend vraiment la peine de se souvenir ou qui s’oublie dans le temps, génération après génération.
Nous sommes en 816, Charlemagne est mort depuis deux ans, Louis le Pieux, son fils, règne sur le pays Franque, ce grand pays voisin si puissant, Morvan, premier roi d’une Bretagne pas encore unifiée, administre une partie de cette région dont fait partie la forêt de Brocéliande. Une petite famille de fées, de la lignée de Viviane vit paisiblement dans une clairière entourée de cette forêt si mystérieuse, protégée par des korrigans, non moins inquiétants.
Mais le temps passe vite et bientôt les premières incursions vikings vont frapper la Neustrie, cette région Franque qui leur devra bien plus tard son nom, la Normandie…
Mais quel rapport avec ces fées de la forêt de Brocéliande ?
Bretagne et Neustrie ouest
Les raids de Jörgen
Rois de France
Charlemagne
742 / 768/814
Louis le Pieux
778 / 814/840
Rois de Bretagne
Morvan (Murman)
750//818
Année
802
808
816
817
818
Tome1 – Brocéliande
Événements
Naissance de Gwendoline
Naissance de Nominoë
Gwenaëlle à Roazhon.
Raid sur l’île aux Bretons
Gwendoline à Barfleur.
Nominoë à Brocéliande
Attaque de Barfleur par Jörgen.
Rois de France
Louis le Pieux
778 / 814/840
Rois de Bretagne
Morvan
750//818
Wiomarc’h
/822/825
Année
818
819
820
824
Tome 2 – Ribe
Événements
Gwendoline à Ribe
Raid sur Caen
Naissance de Rolf
Vengeance de Gwendoline
Négociations pour la délégation de Bretons
Rois de France
Louis le Pieux
778 / 814/840
Charles II le chauve
823 / 840/877
Rois de Bretagne
Wiomarc’h
/822/825
Nominoë
808 / 830/851
Année
825
826
829
835
845
845
Tome 3 – Aachen
Événements
Délégation des Bretons à Aachen
Retour de Gwendoline à Brocéliande
Nominoë représentant de l’empereur
1er raid de Rolf
Retour de Gwendoline à Ribe
Naissance de Rolf-Göngu Rollon
Noms de localités de Bretagne
Roazhon…………………………………...……………….Rennes
Gwened……………………………….………..………….Vannes
Prizieg…………………………………………..………….Priziac
Gazilieg…………………………….……….………….La Gacilly
Gwenrann………………………..………..…………….Guérande
Sant Briec………………...……..…………..……….Saint-Brieuc
Dinarzh………………………………………….………….Dinard
Ponti……………………………………………………….Pontivy
Jossilin…………………………………………………….Josselin
Noms divers
Aachen………………………………………… Aix-la-Chapelle
Neustrie…………………….Partie occidentale du royaume franc
Un langskip……………………………Drakkar, terme générique.
Un karv………..….….Drakkar de 10 jeux de rames, 35 guerriers.
Un snekkja…………...Drakkar de 20 jeux de rames, 80 guerriers.
Un ferja………………………………………….Bateau de pêche.
Un knörr……………………………………..Bateau de commerce
Skàli………………………………………Grande demeure viking
La scalde……………………Chanteuse d’un groupe de musiciens
Jarl…………………………………………………Chef de guerre
Træl………………………………………………………..Esclave
Le soleil venait de se lever, il n’était encore qu’une lueur pâle dans le ciel du côté de l’est. La source gargouillait en tombant dans ce basin naturel. La rosée du matin était partout, des gouttes nombreuses tombaient des feuilles des arbres, la sensation d’être dans un monde humide était totale, on pouvait ressentir cette sensation étrange de respirer l’eau. Le sol d’humus était gorgé d’humidité, la mousse qui s’étalait un peu partout sur les troncs d’arbres, sur le sol, mais surtout sur les nombreux rochers, était comme autant d’éponges. En ce début de printemps, le vert dominait, le vert tendre et clair des jeunes feuilles était omniprésent, des plus petits arbres aux plus grands, tout l’espace était pris par la couleur de la nouvelle frondaison, plus bas, les fougères et les mousses apportaient un vert plus soutenu, le vert le plus sombre était dû à la mousse, principalement sur les troncs du côté le plus au nord, mais aussi sur la multitude de rochers granitiques qui étaient disséminés ici où là dans cette forêt majestueuse.
Le chêne plusieurs fois centenaire, au tronc légèrement tordu, était là, trônant littéralement dans cette petite clairière, baignée de la lumière matinale. Son tronc sortait d’un amas rocheux qui lui avait donné cette forme particulière, où les racines se disputaient le passage entre les blocs de roches granitiques, deux de ses puissantes racines tombaient dans la fontaine, comme pour y puiser l’eau dont il avait besoin. Les autres arbres autour ne poussaient pas, ils semblaient avoir laissé la place au vieil arbre, comme par respect. Ses longues branches formaient une protection circulaire à tout cet espace.
Le bassin d’eau d’une bonne taille, presque rond, était alimenté par un petit ru qui venait de l’amont et par cette petite cascade qui sortait de la frêle muraille de pierres. L’eau jaillissait avec force en plusieurs endroits, mais surtout elle suintait de toute la surface de ce muret de granite, recouvert d’une importante couche de mousse. Le flan rocheux partait vers le contrebas en s’abaissant progressivement, pour se faire avaler par la terre à une petite centaine de mètres de la source. Le bassin était fermé par une succession de pierres plates usées par le temps, elles formaient à l’endroit le plus large, comme une petite plage où il devait faire bon s’y reposer. Sur la gauche, la plate-forme de pierre s’abaissait pour laisser passer le trop-plein d’eau de la source, la rivière reprenait son départ pour sa promenade dans la forêt, d’où elle sortirait bien plus loin, près d’une modeste ferme, où vivaient des fées. Puis un peu plus loin elle se jetterait dans un petit lac.
Le tronc du vieux chêne était immense, deux hommes auraient à peine pu en faire le tour avec leurs bras. Au pied de l’arbre, du côté opposé au bassin, il y avait un creux qui s’enfonçait dans le sol, comme un terrier de quelques lapins, mais pas de crottes pour en indiquer l’usage, et la hauteur du trou était un peu trop importante pour des lapins. Une oreille attentive aurait pu en s’approchant de l’ouverture, déceler de petites voix, comme des chuchotements.
Le farfadet en sortit presque en courant, il s’arrêta net à l’entrée, il tenait debout dans le terrier, tellement sa taille était petite, il observa l’environnement, puis il fit tranquillement le tour du chêne pour venir sur les pierres qui fermaient le bassin. Ses petits yeux ronds et légèrement rougeoyants étaient vifs, ils étaient rieurs, il s’approcha de l’eau qui débordait de la source, pour y puiser l’eau dans ses deux petites mains jointes, il but avec délice cette eau fraîche. Il entreprit ensuite une toilette sommaire qui ne dura que quelques secondes. Il était fluet, presque maigre, ses jambes étaient si fines qu’elles semblaient fragiles. Ses bras, pas plus gros, étaient plus longs, tout son corps était recouvert d’une petite fourrure marron clair. Le farfadet pouvait toucher le sol de ses mains sans se baisser. Sa petite tête était recouverte d’une épaisse chevelure noire qui cachait presque entièrement ses oreilles, seules les deux petites pointes en sortaient. Son petit nez en trompette ajoutait à son air enjoué. Il fut rapidement rejoint par trois autres farfadets, deux avaient sa corpulence et son aspect général, au premier coup d’œil on aurait pu les confondre, mais leurs visages étaient différents, l’un était plus fermé, un peu austère, avec un nez recourbé vers la bouche, ce qui lui donnait un air sévère, voir méchant lorsqu’il fronçait les sourcils qui était bien plus volumineux que chez le premier lutin. Le troisième leur ressemblait, mais ses yeux rouges étaient plus mystérieux, comme calculateur, toujours en inspection approfondie. Le quatrième était très différent, ses jambes étaient aussi fluettes, mais son corps était plus rond que les autres et ses bras bien plus courts, son visage également était tout autre, plus rond, comme son nez en patate, il donnait une impression de timidité maladive, malgré sa rondeur il pouvait paraître plus fragile que les autres.
Les quatre frères se mirent à s’éclabousser, poussant de petits cris à peine perceptibles à l’oreille humaine. Le jeu dura un moment, le plus timide après avoir participé au jeu se lassa le premier, il tentait maintenant de s’écarter et de se protéger de ses frères un peu trop remuants.
— Il est temps d’arrêter ce jeu, vous n’êtes pas des farfadets, comportez-vous comme des korrigans, dit une voix autoritaire et féminine, venant des racines de l’arbre majestueux.
Un korrigan en sortait, il n’était pas comme les quatre autres, non, c’était un korrigan femelle, pas plus grande, mais plus charpentée, ses traits féminins étaient évidents.
— Oui, Mam Gyams répondit le plus timide.
— Grums, tu es tout mouillé, tu vas encore prendre froid, je vous ai déjà dit de faire attention à lui, Grums est d’une santé plus fragile, vous devez y faire attention, dit-elle sur un ton de réprimande en se tournant vers les trois autres. Va te sécher au soleil, là sur la pierre, vous aussi, ça ne vous fera pas de mal.
La mère s’approcha du bassin. Elle profita de faire une courte toilette, un peu d’eau dans le creux des mains, elle s’aspergea le visage, c’était fini.
— Je vois que Gwams est le seul à avoir fait sa toilette, vous devez la faire aussi. Gluims, tu es d’ordinaire plus sérieux, lui reprocha la mère korrigan.
Tous arrivèrent pour faire une ablution rapide. Mam Gyams sortit comme par magie de derrière son dos de quoi manger, des baies et du pain. Les quatre frères arrivèrent pour en avoir, le premier fut Gnoums.
— Tu es toujours le premier, tu ne résistes pas aux fraises des bois, je n’ai jamais vu un korrigan aussi gourmand, fait attention ce défaut pourrait te jouer des tours.
— Oui, oui, dit-il en engouffrant une fraise des bois entière dans sa petite bouche.
Le silence se fit, tous mangeaient. Mais au loin un faible bruit attira rapidement leur attention, c’était comme des coups, oui, des coups de hache dans du bois. Mam Gyams tendit un peu plus l’oreille. Elle fronça les sourcils, ça se voyait, elle n’était pas contente, mais pas contente du tout.
— Un homme s’approche un peu trop, il faudra aller lui faire peur, il n’est pas bon qu’il vienne ici couper nos arbres.
— Les humains ne doivent pas être dans notre forêt, ajouta Gluims en fronçant les sourcils, ce qui lui donnait un air terrifiant, diabolique !
— Il y a déjà la famille de fées, qui vit là, pas très loin, c’est largement suffisant, je trouve, surenchérit Gnoums.
— Les fées ne sont pas gênantes, elles sont comme nous, elles n’aiment pas trop les humains, je crois, reprit Gwams.
— Je ne suis pas d’accord, ce sont des humains comme les autres, il nous faut les chasser plus loin, l’une d’elles s’approche de plus en plus de notre source, elle fouine partout dans la forêt, elle cherche à nous nuire, c’est sûr, reprit Gluims.
— Non, elle est belle, moi j’aime la regarder, souligna Gwams, la tête déjà dans un rêve délicieux.
— Sa beauté est un maléfice pour nous amadouer, ce n’est pas normal qu’elle vienne de plus en plus dans notre forêt, je me demande ce qu’elle veut, il faut se méfier.
— Ce n’est qu’une enfant humaine, elle est adorable, moi j’aime la regarder, lorsqu’elle se promène dans la forêt, plusieurs fois elle à sentit ma présence, elle s’est retournée, mais elle ne m’a pas vu.
— Gwams, elle t’a peut-être déjà ensorcelé, tu es amoureux d’elle, c’est le pire des sortilèges, c’est comme ça que la fée Viviane a emprisonné notre maître Merlin.
— Vous avez tous raison, coupa Mam Gyams, elle est belle, ce peut être une ruse, les fées sont des humains, mais pas comme les autres, elles sont douées de magie, et parfois leurs pouvoirs sont plus grands que les nôtres. Il faudra l’avoir à l’œil, ça fait des siècles qu’une fée n’est pas venue jusqu’ici, la dernière était la fée Viviane, je m’en souviens, elle était très belle, sa magie était ensorcelante, mais elle ne nous a jamais causé de tors. Je vous demande de la surveiller de prés. Mais ce n’est pas le sujet du jour, aujourd’hui il faut faire partir ce bûcheron, il est trop près de chez nous. En revenant, il faudra passer nettoyer le tombeau de Merlin, notre père à nous les korrigans.
— On y va, Mam Gyams, dirent-ils en se levant d’un bon pour disparaître dans la forêt.
Les petits korrigans couraient à même le sol, contournant à toute vitesse les arbres, il ne leur fallut que quelques minutes pour se retrouver en lisière de ce bois, ils s’arrêtèrent, juste en dessous d’une fougère. L’homme était là, il avait une lourde hache, qu’il levait bien haut avant de l’abattre sur l’arbre, l’entaille était déjà bien visible, dans l’écorce de l’arbre. Les korrigans s’approchèrent en prenant soin de se trouver derrière le bûcheron. Celui-ci décida que le moment était venu d’aiguiser son outil, il s’assit sur une souche, sortit une pierre longue et effilée de la poche de sa veste qu’il avait posée, et commença à frotter patiemment la lame de la hache. Ce travail retint son attention durant de longues minutes. Il passa le doigt sur le fil de la lame, et jugea que cela suffisait, il remit la pierre d’affûtage dans la poche de sa veste, il se releva pour reprendre la coupe du chêne, mais là il avait beau regarder, il ne trouva plus l’entaille qu’il avait commencée, l’arbre était comme avant qu’il arrive, il douta, se retourna pour voir s’il ne se trompait pas d’arbre, mais il n’y en avait pas d’identique autour. L’homme se gratta la tête, et après un bon moment à chercher une réponse, il fut obligé d’admettre qu’il n’avait peut-être pas commencé, il avait rêvé. Il décida de reprendre son ouvrage, il campa ses deux pieds dans le sol et prit le manche de la hache, mais il n’arriva pas à la soulever, il se reprit, rien à faire, la hache était trop lourde. L’homme regarda autour de lui, il ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait. Il reprit son effort pour prendre la hache, mais elle était comme clouée au sol, c’est là qu’il entendit un bruit sourd, comme un énorme « craque » au-dessus de lui, il n’eut pas le temps de bouger, qu’une branche de l’arbre lui tomba sur la tête. Il cria de douleur, son crâne saignait, il se rendit compte qu’il avait mis un genou à terre. La tête lui tournait bien un peu, mais ça allait, il voulut se relever, mais il arrêta son mouvement, là devant lui, au pied de l’arbre qu’il voulait couper, quatre horribles petites bestioles le regardaient d’un air mauvais. D’abord pris de panique, il se releva et fit deux pas en arrière, puis il se ravisa et tenta de les écraser avec le pied, mais les korrigans étaient rapides, ils s’échappèrent avant que le pied arrive sur eux, l’un fit le tour pour lui mettre un coup de pied dans les fesses, pendant que deux autres lui mordaient les mollets. Le bûcheron cria, il ne comprenait pas que des êtres si petits puissent lui faire aussi mal, il se débattait en tentant de leur mettre des coups de pied, mais il n’avait que le vent sous ses chaussures, les korrigans le harcelaient, le mordant ici où là, puis sautaient plus loin, l’homme était maintenant pris de panique, il attrapa sa veste, abandonnant sa hache, et courut aussi vite qu’il pouvait pour sortir de la forêt. Les affreuses bestioles le suivaient et continuaient de lui infliger des blessures, aux bras, aux jambes, et même aux oreilles qu’ils lui avaient mordues plusieurs fois, elles étaient en sang.
Dès qu’il fut hors du sous-bois, les attaques cessèrent, après quelques pas il se retourna, pour tenter de comprendre. Il vit les quatre affreuses bestioles assises sur une petite branche qui était tombée au sol. Leurs yeux rougeoyants lançaient des éclairs dans sa direction, il ne s’attarda pas, il reprit sa course pour s’écarter de cette forêt maléfique.
Les quatre korrigans, retournèrent dans la forêt, ils discutaient et riaient du bon coup qu’ils avaient joué à cet humain. Ils cheminaient tranquillement, sans se presser, mais au bout d’un moment ils prirent un autre chemin. La forêt était toujours aussi belle, mais on pouvait voir qu’elle était de plus en plus serrée, bien plus dense, la lumière pénétrait un peu moins, l’ambiance y était maintenant différente, plus obscure, plus inquiétante. La végétation devenait si épaisse qu’un humain aurait eu toutes les peines du monde à avancer dans cet entrelacement de végétaux.
Les petits korrigans, eux n’avaient aucun mal à trouver leur chemin, leurs petites tailles leur permettaient de passer sous les fougères et les buissons épineux. Ils arrivèrent devant une sorte de mur fait par les troncs d’arbres, qui poussaient si serré, que par endroit ils se touchaient. Ils passèrent par une trouée naturelle et se retrouvèrent d’un coup dans une autre atmosphère, bien plus lumineuse. C’était une petite clairière, presque circulaire, qui devait avoir une bonne douzaine de mètres de rayon. Ce cercle un peu ovalisé était baigné de lumière, au centre se trouvait un amas rocheux, composé de trois rochers, enfin, plutôt deux rochers et un gros caillou. L’herbe dans cet espace était rase, comme entretenue par quelques jardiniers, il n’y avait que peu de feuilles sur le sol, tout était net et propre. Autour de la stèle naturelle faite par ces rochers, se dessinait sur le sol un cercle presque parfait de trois bonnes mères de diamètre, il était matérialisé par des dalles de pierres plates, totalement incrustées dans le sol herbeux. Au premier regard il était impossible de savoir si cet ensemble était naturel, ou crée par quelques humains ou korrigans. Mais en y regardant de plus près, il devenait évident que tout ceci avait été réalisé pour honorer la mémoire de l’homme, qui avait ici son tombeau.
Sans un mot les quatre korrigans se mirent au travail, l’un ramassait les feuilles et les branches de bois mort, un autre nettoyait les rochers, mais il prenait soin de ne pas enlever la mousse qui s’amassait dessus. Gwams coupait les herbes qui avaient eu l’audace de pousser en ces lieux, Grums, lui, discutait avec des lapins pour leur demander d’aller faire leur terrier un peu plus loin. Après plusieurs minutes, l’endroit était en ordre, ils se dirigèrent vers une sorte de porte un peu plus large entre les troncs de deux arbres. Ils se retournèrent pour admirer le site, ou leur travail et sortirent. Ils cheminèrent en zigzaguant dans un petit sentier, qui semblait être un labyrinthe. Leur discussion était joyeuse, les éclats de rire étaient fréquents, c’était un peu la norme entre eux, ils s’entendaient parfaitement sur tous les sujets, sauf celui des humains, là il y avait clairement deux camps.
Gluims et Gnoums ne les aimaient, ils ne leur trouvaient rien de bon, ils étaient violents, menteurs, égoïstes, humains quoi !
Gwams et Grums étaient plus nuancés, ils leur reconnaissaient de mauvais penchants, mais ils considéraient qu’il pouvait aussi y avoir des humains plus sympathiques que les autres, surtout si ces humains étaient des fées, de jolies fées. Mais même lorsqu’ils se chamaillaient sur ce sujet, ils ne se fâchaient pas pour longtemps, la rancune n’existait pas entre eux, ils se pardonnaient tout, très rapidement. Ils rentraient donc à leurs habitudes, en rigolant de ce qu’ils se racontaient. La conversation concernant le bûcheron avait repris dès qu’ils étaient sortis de la petite clairière, et promettait de durer jusqu’à leur retour à la source, et à leur vieux chêne.
Comme elle en avait l’habitude, Gwendoline se leva de bonne heure, sa mère Izild devait déjà être à la cuisine, elle l’avait entendu. Elle sortit de son lit sans faire de bruit pour ne pas réveiller Gwenaëlle qui aimait dormir plus longtemps le matin. Les deux filles s’étaient entendues depuis déjà un bon moment pour que Gwenaëlle dorme du côté du mur, et Gwendoline de l’autre côté, elle pouvait ainsi se lever sans la réveiller. Elle enleva sa chemise de nuit, pour enfiler sa robe, faite dans une toile écrue, sans manches et bien plus fine que celle d’hiver. Elle passa une fine cordelette autour de sa taille, qu’elle noua délicatement. Elle sortit de la chambre, en poussant le lourd rideau, pour se retrouver sur le palier, le petit escalier de meunier donnait directement dans la pièce à vivre.
— Bonjour Izild, dit-elle en l’embrassant.
Sa mère la prie par la taille pour l’embrasser dans les cheveux.
— As-tu bien dormi, ma chérie ?
— Oui j’ai refait ce rêve avec les Korrigans, il est rare que je ne pense pas à eux, une à deux fois dans la nuit.
— Tu le sais, tes rêves t’apportent des réponses, entraîne-toi à les déchiffrer, tu y verras l’avenir.
— Je m’y emploie maman, je sais qu’une rencontre est imminente, je suis rentrée plusieurs fois dans une partie de la forêt où ils habitent, ils me suivent et m’épient, je vais bientôt les rencontrer, je le sens.
— Fais attention tout de même, ils peuvent être particulièrement méchants, ça fait bien longtemps que nous n’avons pas été en contact avec eux, pour ma part je n’y vois pas d’intérêts, mais c’est toi qui vois.
Gwendoline repassait son rêve dans sa tête, elle avait porté assistance à un Korrigan, celui-ci lui avait permis de rencontrer sa communauté, et d’établir une relation durable.
Izild avait posé un morceau de pain avec un pot de beurre devant elle, machinalement elle se servit, étala le beurre sur le pain et croqua dedans. Elle rêvait en mangeant, Izild la regardait discrètement, elle n’avait qu’une fille, mais elle était fière d’elle, elle était particulièrement douée et précoce. Elle la regardait de ses yeux qu’une mère a pour son enfant unique. Elle est belle, pensa-t-elle pour elle-même, de plus en plus chaque jour, c’est un don appréciable, mais tellement difficile à assumer dans certaines situations. Elle est femme depuis quelques mois, je vois son corps se transformer, sa taille s’affiner, ses hanches s’élargir, et sa poitrine gonfler un peu plus chaque jour. Oui ce sera une très jolie femme. Elle avait les mêmes taches de rousseurs qu’elle sur le visage et sur tout le corps, mais plus marqué qu’elle, sa chevelure cependant était parfaitement identique à la sienne, totalement rousse, légèrement ondulée. Gwendoline ne coupait pas ses cheveux, elle les portait long, ils descendaient jusque dans le creux de ses reins. Elle aimait être belle, ça se voyait, elle prenait soin de son allure et de sa coiffure. Elle était à cet âge où les jeunes femmes commencent à tester leur pouvoir de séduction, sa première victime était son cousin Corentin qui était plus vieux d’une année, elle se plaisait à le voir la regarder et s’amusait à lui faire envie. En fait elle exerçait principalement son pouvoir de séduction sur lui. Le second qu’elle aimait voir réagir à sa beauté était Aodrene, le maître d’arme, il était bien plus vieux, il était même plus âgé qu’Izild, mais le plaisir de surprendre son regard sur elle, n’en était pas moins grand.
— Maman, quel âge à Aodrene ? demanda-t-elle soudain.
— Je pense qu’il approche des cinquante ans, pourquoi ?
— Il semble vieux comme ça, mais parfois il est pétillant, comme rajeuni. J’aime bien lorsqu’il me combat pour me montrer une nouvelle technique, c’est là qu’il est le plus jeune.
— Aodrene a toujours aimé, le maniement des armes, j’aime aussi son talent et sa façon de l’enseigner, c’est un bon maître d’armes, et il me protège depuis de nombreuses années.
— Depuis combien de temps ?
— Environ treize ans, je crois.
— À quelle occasion vous êtes-vous rencontré ?
— Tu es bien curieuse ce matin, je ne me souviens plus, dit-elle après une courte réflexion.
— C’est amusant que tu te souvinsses si bien d’une date aussi futile, mais pas du tout des circonstances.
Izild regarda sa fille, elle savait que lorsqu’elle était comme ça, elle cherchait à deviner un point, qui lui échappait.
— On en reparlera plus tard, l’heure n’est pas venue.
Gwendoline sourit, laissant penser qu’elle en savait plus que sa mère n’avait voulu lui dire.
— Je vais aller traire la vache, ça laissera le temps à Corentin de se lever, car nous avons entraînement avec Aodrene justement ce matin.
— Que vous apprend-il en ce moment ?
— Le maniement de la dague, comment masquer ses coups, et les attaques, mais aussi comment réagir en cas d’agression, je me débrouille pas mal, c’est ce qu’il dit.
— Pauvre Corentin il va avoir une dure matinée.
— Oui et non, il aura le plaisir d’être avec moi et il pourra regarder mon décolleté, ça lui fera passer un bon moment, mais au combat, je vais gagner, dit-elle en riant.
— Tu es une chipie Gwendoline, mais je ne peux pas te blâmer, c’est moi qui t’ai appris ces choses-là. La séduction fait partie du pouvoir des femmes, c’est très difficile à maîtriser, et très dangereux si tu es démasquée, c’est bien, entraîne-toi, ma fille, mais s’il te plaît, ne fais pas trop souffrir Corentin, c’est ton cousin !
— Oui, dit-elle distraitement.
Gwendoline prit un seau en bois et sortie pour se diriger vers l’étable, où se trouvait l’unique vache qu’ils possédaient. Là elle retrouva Yseult, la sœur de sa mère.
— Bonjour Yseult !
— Déjà debout Gwendoline ?
— Oui, dit-elle en prenant le tabouret pour se mettre à l’aise pour traire la vache.
— Est-ce vrai qu’Aodrene a été l’amant de maman ? demanda-t-elle sans détour.
— Qui te l’a dit ?
— Maman !
— Je vois vous avez eu une conversation entre mère et fille ?
— Oui, j’aime bien l’idée qu’Aodrene soit mon père.
— Soit discrète Gwendoline, personne n’a besoin de le savoir. Le mieux et de ne pas en parler.
— Oui, je voulais juste te dire que j’étais heureuse. Elle lui sourit et commença à traire la vache.
Aodrene est donc bien mon père, se dit-elle, je m’en doutais depuis un moment, mais j’aime être sûr. Elle avait un large sourire de satisfaction. Satisfaction de savoir cette vérité, ou d’avoir réussi à piéger Yseult, elle n’aurait su le dire.
Après avoir rempli le seau de lait, elle passa par le poulailler, elle ramassa trois œufs, il était tôt, la plupart des poules n’avaient pas encore pondu.
En arrivant dans la pièce à vivre, elle constata que Gwenaëlle et Corentin prenaient leur repas.
— Tu viens t’entraîner avec nous Gwenaëlle, aujourd’hui on travaille la dague.
— Non j’ai déjà fait ces exercices.
— Il est bon de continuer à se perfectionner, tu devrais venir.
— Non pas ce matin !
Gwenaëlle était un peu triste depuis quelque temps, elle n’avait plus cette gaieté habituelle, elle savait que son départ approchait, Gwendoline tentait par tous les moyens de la distraire.
C’était le destin des fées de devoir partir pour assurer la mission qui leur serait dévolue. Gwenaëlle était prévue de partir d’ici quelques mois pour rejoindre une dame importante à la cour de Gwened, cette importante cité de la Bretagne, être au plus près du pouvoir de ce roi qui tentait de fédérer toute la province. Elle devrait sans doute surveiller ce qui se passerait là-bas pour en avertir sa mère.
Pour elle ce serait dans deux ans, peut-être plus, elle ne savait pas où, ce n’était pas encore décidé, elle était encore jeune, elle devait progresser. Contrairement à sa cousine, Gwendoline se sentait prête, elle avait hâte de partir, elle songea un moment qu’elle pourrait peut-être partir à sa place, il faudra voir, se dit-elle.
— Arrête de rêver, petite cousine, il nous faut y aller, lui dit Corentin en la prenant par la taille.
Gwendoline se laissa faire, elle savait le bonheur qu’elle lui faisait en restant quelques précieuses secondes dans ses bras.
Les deux cousins descendirent vers le pré où se déroulaient tous les enseignements d’Aodrene. Le vieux maître d’armes était là à son poste, il les attendait et les entendit arriver par leurs rires sonores.
— Bonjour, les enfants, je crois qu’il n’y a jamais eu une fois où vous êtes arrivé triste à mes enseignements.
— Nous sommes bien avec toi, lui dit Gwendoline, en lui posant un baiser sur la joue, comme à son habitude, mais cette fois-ci elle força un peu plus sur le baiser, Aodrene le nota et se demanda quelle en était la raison. Corentin lui serra le poignet, comme il était d’usage de faire entre hommes.
— Commençons par préparer notre corps, par les mouvements que vous connaissez.
Ils étaient en cercle, répétant les mouvements du maître, mais ils n’avaient pas besoin de le regarder, ils connaissaient tous deux cette préparation, Corentin jetait de fréquents coups d’œil à sa cousine, voir son corps bouger, se tordre, se pencher était un délice pour lui, il ne se privait pas de ce bonheur simple. Gwendoline le savait et s’en amusait, Aodrene trouvait ça naturel. Il regardait bien aussi Gwendoline, mais avec un regard plus paternel. Ça faisait longtemps qu’il n’avait plus besoin de les reprendre sur ces mouvements.
— Je vais vous parler un peu durant la préparation.
Il fit une pause.
— Si vous vous trouvez attaqué par quelqu’un vous ne pourrez pas lui demander d’attendre pour faire votre échauffement, mais vous vous appliquerez à repousser le combat par des gestes d’esquives comme ceux que vous faites, maintenant, si le combat s’engage trop vite, vous vous appliquerez à le rompre, pour gagner du temps, ça vous évitera de vous blesser tout seul, et ça énervera votre adversaire, de plus vous utiliserez ce temps à réfléchir à la situation, lorsque vous serez au cœur du combat, votre esprit sera occupé à parer les coups et à en donner, vous ne pourrez plus analyser. C’est bien, commençons !
Aodrene donna une dague en bois à chacun.
— Gwendoline tu seras tout d’abord l’assaillante, Corentin tu mets ta dague dans son fourreau, tu devras parer puis te saisir de ton arme, aussi vite que possible.
Les deux élèves répétaient à l’envi les phases de combat, attaque par derrière, ou par quelqu’un qui vous croise dans la rue, ou bien lorsque vous êtes étendu sur le dos, ou monté sur le dos d’un cheval, pour cela, il y avait un cheval en bois. Souvent Gwendoline prenait le dessus, mais il arrivait que Corentin s’en sorte bien, il aimait contrer sa cousine et finir au corps à corps, en roulant dans l’herbe. Après une bonne heure de combats répétés, ils firent une pause pour se désaltérer, puis ils recommencèrent, dans des rôles inversés. Lorsqu’Aodrene arrêta les exercices, les deux adolescents étaient en sueur, épuisés. Ils venaient de finir au corps à corps, Corentin avait gagné ce dernier combat, ils étaient tous deux étendus dans l’herbe, à reprendre leur souffle.
— Je suis fier de vous, vous progressez rapidement, Gwendoline tu as déjà plus de résistance, mais tu as vu, tu as perdu beaucoup plus de combats sur la fin qu’au début, il te faudra t’en souvenir, tu ne pourras jamais avoir la résistance d’un homme, apprends à gagner vite ton duel, sinon il te faudra t’échapper. Pour cela choisit de blesser ton adversaire, plutôt que de vouloir gagner le combat, ce sera souvent une bonne solution. Corentin, ne te laisse pas distraire par autre chose que le combat, ta technique est très efficace, mais Gwendoline s’amuse à détourner ton attention, elle a gagné plusieurs combats de cette façon.
— Ce sera facile, je ne me battrais pas contre une jolie fille, dit-il en jetant un regard à Gwendoline.
— Je parlais de toutes distractions, en général, ici c’est la beauté de ta cousine, son décolleté, ou sa cuisse qu’elle laisse bien volontiers apparaître juste avant de passer à l’attaque, mais dans d’autres circonstances ce pourra être autre chose, tu devras être vigilant.
— Merci, Aodrene, je me sens de plus en plus forte avec tes enseignements, je n’oublierais jamais ce que tu m’apprends.
— Je le sais, tu es une élève que tout maître d’armes aimerait avoir. Avec toi, Corentin, je peux dire que je suis gâté. Vous êtes d’une force équivalente, toujours appliqués. Vous êtes mes derniers élèves, et les meilleurs que j’ai eus, même vos mères n’étaient pas aussi expertes que vous, et il vous reste encore un peu de temps, une à deux années. Je sais déjà que vous serez correctement armés pour vos vies.
— Aodrene, est-ce que je pourrais devenir le protecteur de Gwendoline, comme toi tu l’es pour Izild et Yseult ?
— C’est possible ça dépendra des circonstances, sois patient et prends les opportunités lorsqu’elles se présenteront.
— Mais comment pourrais-je faire si elle est envoyée loin de moi, alors que je serais là, ou ailleurs ?
— Gwendoline partira comme va le faire bientôt ta sœur, mais ce ne sera pas une fin en soi, tu auras peut-être l’opportunité de croiser son chemin, plus ou moins rapidement.
— Oui, je préférerais partir avec elle.
— Tout est possible, soit patient, attend ton heure.
Le lendemain Gwendoline n’avait pas d’entraînement, aux maniements des armes, ou au combat, c’était généralement un jour sur deux. Elle partit en forêt et en campagne, avec Yseult, pour une collecte d’herbe médicinales. Sa tante était experte dans ce domaine, elle lui avait déjà appris beaucoup sur les propriétés des plantes, celles qui soignent, mais aussi celles qui tuent, qui parfois sont les mêmes, utilisées à des dosages différents ou préparées de façons différentes. Certaines enfin possédaient des vertus plus complexes, avec des effets hallucinogènes, ou des effets soporifiques, ou bien des effets très particuliers comme ceux engendrés par des filtres puissants, pouvant rendre amoureux. Gwendoline aimait toute cette science, elle l’explorait depuis déjà plusieurs années. La collecte de ses plantes et leur préparation pour les conserver étaient une activité primordiale, un passage obligé même, sans quoi rien n’était possible. Les deux femmes partirent de bonne heure, alors que certains n’étaient pas encore levés, elles discutaient de chose et d’autre tout en regardant leurs pieds pour dénicher la plante rare, ou le nez en l’air pour trouver les bourgeons qui leur seraient utiles. Lorsque l’une d’elles trouvait quelque chose, c’était le départ d’une longue discussion pour être d’accord sur l’usage à en faire, la préparation, et l’utilité de l’avoir ou pas.
— Je crois que tu connais tout ce que je peux t’apprendre, concernant les plantes qui guérissent, lui dit Yseult.
— Oui, je crois que j’ai tout retenu, ceci est vrai aussi pour les poissons, mais concernant les plantes aux effets spéciaux, je n’ai que peu de connaissances, je trouve.
— Je suis d’accord avec toi ma chérie, mais je n’en connais pas plus, il te faudra les découvrir avec les rencontres que tu feras, c’est comme ça que génération après génération nous enrichissons nos savoirs.
— La fée Viviane connaissait beaucoup plus de choses dans ce domaine, enfin, selon la légende.
— Tu as raison, mais plusieurs générations de fées n’ont pas été profitables, nous les avons appelées les fées fainéantes, un grand nombre de savoirs se sont alors perdus, en quelques décennies, il nous faut les retrouver.
Elles marchèrent un moment en silence, elles étaient sur le chemin du retour.
— Passons par la forêt, le chemin sera plus court, proposa Gwendoline.
— Si tu veux, tu aimes bien la forêt, n’est-ce pas ?
— Je m’y sens bien c’est vrai. Dis-moi Yseult, Aodrene était l’amant de maman, mais toi, qui est l’homme qui t’a donné Gwenaëlle et Corentin ?
— Tu as toujours été direct dans tes questions, mais celle-ci l’est encore plus.
Un silence se fit, elles marchaient, en s’enfonçant dans la forêt.
— Tu as le droit de savoir, c’est Aodrene qui est également le père de mes enfants.
— Quoi ? Toi et maman, vous avez choisi le même homme ? Pourquoi ? Pourquoi n’est-il que votre protecteur et pas votre mari ?
— Les fées choisissent l’homme pour leur faire une fille, nous ne voulons pas d’un homme fort pour fonder notre famille, nous sommes capables d’assurer ce point sans homme, même si pour Aodrene c’est un peu particulier, il est resté, comme maître d’armes et protecteur de nous deux. Il y a eu une période de notre vie ou les menaces étaient bien réelles, nous n’avons pas toujours été dans la forêt de Brocéliande, nous y sommes revenues pour vous éduquer dans la tradition, comme tu le ferras sans doute lorsque tu auras senti qu’il était l’heure d’avoir une fille.
— Donc Corentin est mon cousin, mais aussi mon frère ?
— Oui, tu as raison, vous pouvez jouer à être amoureux, mais il ne faudra pas faire d’enfant, il serait assuré de naître anormal.
— Corentin connaît-il cela ?
— C’est un homme, il n’est pas éduqué comme vous les fées, son rôle n’est pas primordial, comme pourrait l’être le tien ou celui de Gwenaëlle. Gwenaëlle ne connaît pas cette vérité, elle ne l’a jamais recherché, elle n’est pas aussi curieuse que toi, lui dit Yseult en souriant. Ce n’est pas la peine de lui dire, elle ne veut peut-être pas savoir.
— Oui, je comprends.
Le silence se fit, elles avançaient toujours, c’est là que Gwendoline sentit la présence de Korrigans, elle n’avait pu y prêter attention alors qu’elle discutait, son esprit était absorbé par la conversation, mais maintenant elle les ressentait, elle fit mine de ne pas s’en apercevoir et tenta de localiser leurs petites conversations. Après un moment d’observation, elle en était sûre, ils étaient sur sa droite, mais elle avait beau regarder, elle ne les voyait pas. Elle décida de poursuivre son observation, pour les localiser plus précisément. Elle s’arrêta et s’agenouilla pour remettre mieux sa chaussure, elle commençait à se douter qu’ils étaient par terre, quelque part par là. Elle enleva sa chaussure et fit mine d’enlever un caillou, puis elle prit le temps de la remettre tout en regardant autour d’elle. Yseult avait poursuivi un peu, elle l’attendait plus loin en regardant un buisson d’aubépines. C’est là qu’elle en aperçut un, il était tout petit, il était sous une fougère, son visage était souriant.
— Bonjour toi dit-elle tout bas, comment t’appelles-tu ?
— Je m’appelle Gwams, je suis un korrigan, et toi ?
— Je sais que tu es un korrigan, moi je suis Gwendoline une jeune fée, que fais-tu là, pourquoi me suis-tu ?
— Je te surveille, je sais que tu es une fée, nous désirons savoir si tu es gentille ou humaine.
— Je ne vous veux pas de mal, demain je reviendrais seule dans la forêt vers la petite rivière, où tu m’as déjà suivi, je crois, est-ce que tu y seras ?
— Oui, mais pourquoi veux-tu me revoir ?
— Gwendoline ! Viens-tu ? appela Yseult.
— J’arrive !
Elle se tourna vers le petit être.
— J’aimerais être ton amie.
— D’accord, dit-il, en s’enfuyant.
C’est là que Gwendoline s’aperçut qu’ils étaient quatre à partir à toutes jambes.
Gwendoline se releva et partit vers sa tante.
— Il nous faut nous hâter, sinon, nous ne serons pas rentrées avant la nuit.
Les deux femmes reprirent leur marche en silence, Gwendoline retournait dans sa tête cette rencontre, elle se projetait déjà à demain.
Le lendemain matin la trouva éveillée, encore de bonne heure, elle déjeuna et se prépara pour une sortie en forêt comme elle le faisait souvent.
— Que fais-tu ce matin ? lui demanda Izild.
— Je vais faire ma promenade habituelle en forêt, j’ai trouvé une petite rivière que je remonte un peu plus à chaque promenade, je me demande où elle me conduit.
— Tu es une fée de l’eau, je l’ai toujours su, c’est normal que tu sois attirée par les rivières.
— La fée Viviane était aussi une fée de l’eau, je suis bien comme elle, dit-elle en sortant.
Gwendoline prit directement la direction qui elle le savait la mènerait le plus directement à la petite rivière.
Elle marcha une bonne heure avant de la retrouver. Elle s’arrêta pour profiter de la beauté de l’endroit. Le petit cours d’eau coulait paisiblement entre les rochers recouverts de mousse, par endroit une déclinaison un peu plus forte, ou un passage plus étroit, créait un gargouillement. Le piaillement des oiseaux était omniprésent, on aurait dit qu’ils se faisaient une douce concurrence pour prendre possession de l’espace sonore.
Gwendoline avançait sans se presser, mais elle ne traînait pas, elle s’appliquait à être à l’écoute, pour déceler la présence du korrigan. Elle marcha encore une heure, en remontant la rivière, avant de le sentir, il n’était pas loin, elle décida de s’asseoir sur un gros rocher et de l’attendre. Ce ne fût pas long, elle était là assise depuis à peine quelques minutes qu’il apparut devant elle juste entre ses pieds.
— Bonjour petit korrigan.
— Parle doucement, mes frères ne savent pas que je suis là.
— Ha ! Ils ne veulent pas que l’on se voie ?
— C’est cela, ils sont jaloux que tu me trouves mignon.
— C’est vrai, j’aime bien ton air rieur, alors tu t’appelles Gwams ?
— Oui, que viens-tu faire dans notre forêt ?
— Je m’y promène, je cherche à retrouver les pas de la fée Viviane, c’est une fée de ma lignée, une fée de l’eau, comme moi, je me sens bien lorsque je suis là où elle est allée.
— Tu devrais venir à notre source, elle s’y baignait tous les matins, elle était belle, comme toi, j’adorais lorsqu’elle se mettait nue, pour entrer dans l’eau.
— Elle savait que tu la regardais ?
— Oui, mes frères aussi aimaient la regarder, mais Gluims, et Gnoums ne l’aimaient pas, elle avait rendu Merlin fou d’elle.
— Ils ont vécu un amour comme les humains, ce n’est pas méchant.
— Moi je l’aimais, mais je t’aime aussi. Quel âge as-tu ?
— J’ai quatorze ans, et toi ?
— Moi, je ne sais pas trop, c’est Merlin qui nous a créés, ça doit faire un peu plus de quatre siècles, il faudrait demander à Mam Gyams.
— Qui est Mam Gyams ?
— C’est notre mère.
— C’est elle qui a le savoir ? C’est comme ma mère, elle s’appelle Izild.
— Je la connais, nous l’avons déjà longuement observé, lorsqu’elle était jeune comme toi, elle vivait là avec sa mère et sa sœur Yseult, puis elles sont parties, leur mère est morte, il n’y avait plus personne dans la maison des fées, puis un jour elles sont revenues Gwenaëlle, puis Corentin sont nés et puis tu es née à ton tour, moi c’est toi que je préfère.
Le petit korrigan fit une pause, il semblait réfléchir.
— Tu es la seule à venir si profondément dans la forêt, pourquoi ?
— Je te l’ai dit, je suis une fée de l’eau, je suis attirée par l’eau, comme l’était Viviane.
— Je comprends, tu serais bien dans notre source, mais mes frères ne vont pas vouloir que tu y viennes.
— Pourquoi ?
— Tu es une humaine. Est-ce que je peux monter sur tes genoux ?
— Oui, viens, dit-elle en mettant ses mains en marche pieds, à mi-hauteur.
Mais le korrigan, n’en avait pas besoin, il fit un bon et se retrouva sur ses cuisses, qui étaient partiellement dénudées par l’échancrure de sa robe. Il tâta la peau de ses deux mains et s’assit les deux jambes en croix, face à elle.
— Tu es bien là ? lui demanda-t-elle avec un joli sourire.
— J’adore, j’en rêvais depuis longtemps. Tu n’as pas peur de moi ?
— Non je sais que si je ne te veux pas de mal, si je respecte la forêt et tous les arbres, tu ne peux pas m’en faire.
— C’est vrai, il faut avoir fait quelque chose de mal pour que l’on puisse se venger sur toi, dit-il en riant. Il y a quelques jours nous avons infligé des morsures à un vilain humain qui voulait couper un chêne de notre forêt, il est parti en courant, on ne le reverra pas, je crois.
— Il y a assez d’arbres dans les forêts autour de Brocéliande, il pourra trouver du bois plus loin.
— Oui c’est ce qui doit être fait, il doit…
— Gwams ! Que fais-tu là ! Sauve-toi, elle va te manger !
— Ha ! Mes frères. N’ayez pas peur, je la connais c’est mon amie.
— Tu ne peux pas être ami avec une humaine, même si c’est une fée.
— Bonjour, vous, moi je m’appelle Gwendoline, et vous ?
— Je ne te cause pas, dit celui qui avait l’air le plus méchant, en tentant de lui donner un coup de pied, mais son pied s’arrêta juste avant sa cheville, sans la toucher, il recommença, sans plus de succès.
— Arrête Gluims, elle n’est pas méchante, elle ne nous a rien fait, tu ne peux rien contre elle.
— Hum ! Peste ! C’est une ruse pour mieux nous nuire.
— Bonjour Gluims, je désire être votre amie à tous, tu n’as rien à craindre de moi.
— Rentrons ! Il ne faut pas rester là, toi aussi Gwams, sinon Mam Gyams va être furieuse.
Les trois korrigans s’éloignèrent, Gwams se leva, il fit une caresse à la cuisse de Gwendoline, et sauta par terre.
— Au revoir, à bientôt peut-être ?
— Oui, je te reverrais !
Le korrigan détala et disparut en un rien de temps, Gwendoline resta un moment à regarder la forêt, elle était heureuse de sa rencontre, mais contrariée de la fin de leur entrevue, et surtout de l’incertitude de pouvoir reprendre contact avec ces étranges farfadets. Après un bon moment, elle se leva et retourna vers sa maison. En chemin elle retournait dans sa tête la conversation avec le korrigan, et principalement de la source, celle de la fée Viviane. Quel dommage, pensa-t-elle, j’aurais pu la trouver en peu de temps s’ils avaient bien voulu me guider, j’aimerais me baigner comme cette grande fée le faisait, ça me rapprocherait d’elle encore un peu plus.
Les jours suivants furent calmes, avec les routines habituelles, les entraînements aux maniements des armes, les savoirs plus théoriques et les promenades dans la forêt, mais depuis ce jour, Gwendoline partait dans une autre direction, elle ne voulait pas fâcher les korrigans.
Ce jour-là elle arriva en bordure de forêt, elle était loin et songeait à faire demi-tour, lorsqu’elle entendit un bruit de galopade et des cris. Elle pressa le pas en remontant le sentier, arrivée dans le virage, elle vit un cavalier qui tentait d’écraser une bête sur le sentier, il faisait tourner son cheval en tous sens en rigolant, il éperonnait la bête sans ménagement. Gwendoline sauta dans le sous-bois et s’approcha discrètement, sans être vue. D’un coup, elle fut frappée de stupeur, la bête qu’il tentait de tuer avec les sabots de son cheval, était un korrigan, le pauvre petit être était terrorisé, il sautait à droite, puis à gauche, il trébuchait, se relevait juste à temps pour ne pas finir écrasé, l’homme s’acharnait, Gwendoline s’approcha, leva les bras en l’air, bien haut, resta un moment dans cette position pour capter toute l’énergie dont elle avait besoin et détendit ses bras vers l’homme. Instantanément le cheval trébucha, projetant son cavalier au sol. Il tomba lourdement. Gwendoline se précipita, ramassa le petit korrigan qui était à terre, et s’enfuit dans la forêt avant que l’homme ne se relève. Celui-ci finit par retrouver ses esprits, il remonta à cheval tenta de retrouver l’étrange bête qu’il avait voulu tuer, ne la trouvant pas sur le chemin, il porta son regard plus loin dans le sous-bois, ses yeux passèrent sur un buisson sans voir ce qui se cachait derrière, il poursuivit son chemin.
Gwendoline s’était cachée derrière le buisson, elle surveillait l’homme, le petit korrigan ne bougeait pas dans ses bras, il toussa plusieurs fois, mais si faiblement que l’humain ne l’entendit pas. Gwendoline attendit que l’homme soit parti pour s’agenouiller.
— Es-tu blessé ?
— J’ai reçu plusieurs coups, j’ai mal à ma jambe, mais ça va, mais je suis malade, dit-il en toussant, c’est pour cela que je n’ai pas pu me défendre.
— Je suis Gwendoline, je suis l’amie de Gwams, tu le connais ?
— Oui, c’est mon frère, je m’appelle Grums, je t’ai vu l’autre jour, lorsque Gluims t’a chassé.
— Ce n’est pas grave, je ne lui en veux pas, je comprends qu’il soit méfiant, lorsque l’on voit le comportement de l’homme qui te voulait du mal.
— Les humains sont horribles, mais vous les fées c’est différent, je suis d’accord avec Gwams.
— Veux-tu que je regarde ta blessure, tu as un vilain bleu sur la jambe.
— Non, ça va aller, je dois rentrer.
Le korrigan se dégagea des bras de Gwendoline, il tenta de se mettre debout.
— Aie ! Ma jambe, cria-t-il en s’asseyant sur les genoux de la fée.
— Laisse-moi regarder.
Gwendoline tâta très délicatement la partie meurtrie, sa jambe était toute fine entre ses doigts, elle l’observait aussi, il avait fermé les yeux, il souffrait, il était bien plus dodu que Gwams, il avait un petit ventre rond, elle sourit.
— Tu n’as rien de cassé, si tu veux j’ai un baume dans ma sacoche de guérisseuse, ça va te faire du bien.
— Je veux bien, dit-il en ouvrant les yeux, tes caresses étaient très douces.
Gwendoline sortit une petite boîte ronde de son sac, elle était faite dans un joli bois, elle enduisit son doigt avec très peu de crème, et commença un doux massage, le korrigan avait à nouveau fermé les yeux, il s’abandonnait en confiance. Elle poursuivit le massage plus que nécessaire, il appréciait.
— Voilà, je pense que tu seras remis demain, mais aujourd’hui il serait mieux de ne pas trop marcher, habites-tu loin ?
— Oui un peu, une bonne heure de marche d’humain.
— Et en marche de korrigan ?
— Cinq minutes en courant, mais je ne peux pas poser le pied par terre.
— Je peux te porter, mais tu vas devoir me montrer le chemin.
— D’accord, Gluims va être furieux, mais Mam Gyams sera contente que tu m’aies apporté ton aide.
— Allons-y alors.
Elle le reprit dans ses bras et s’enfonça dans la forêt dans la direction que le petit être lui désignait de sa main. Elle marcha un bon moment en silence, changeant de direction lorsque le korrigan lui montrait le chemin. Le soir commençait à se faire sentir, surtout dans la forêt qui était dense depuis un moment.
— Gwams va être jaloux que je sois dans tes bras.
— Ha ! Pourquoi ?
— Il est amoureux de toi ! Il me l’a dit.
— Je l’aime bien aussi, c’est le premier korrigan avec lequel j’ai parlé. Je t’aime bien aussi, tu es mignon.
— Nous sommes bientôt arrivés, je vais appeler, ne sois pas surprise, ils vont venir.
— Je suis de retour ! Je suis avec la fée qui m’a sauvé de l’humain.
D’un coup ils apparurent Gwams en tête. Gwendoline les avait vu sortir du vieux chêne, elle ne savait pas exactement où, mais c’était de là qu’ils étaient apparus.
— C’est Gwendoline, c’est mon amie ! dit le premier en sautant de joie.
Gwendoline remarqua le korrigan très différent.
— Grums ! Que t’est-il arrivé ? demanda ce korrigan à l’aspect de petite femme.
— Mam Gyams, un humain a voulu me piétiner avec son cheval, Gwendoline l’a fait chuter, et elle m’a emporté avant qu’il ne se relève. Elle a soigné ma jambe, dit-il en montrant sa blessure.
Gwendoline s’était assise dans l’herbe, elle avait déposé le korrigan sur un de ses genoux, l’autre lui servait de dossier. Mam Gyams le prit dans ses petits bras, puis elle inspecta sa blessure.
— Je t’avais dit de ne pas partir seul, tu es malade et donc vulnérable !
Mam Gyams releva la tête vers Gwendoline. Gwams avait profité de ce moment pour venir sur Gwendoline, il s’assit sur sa cuisse et posa son dos contre le ventre de Gwendoline, il soupira.
— Merci, Gwendoline, ça fait plusieurs fois que j’entends parler de toi, en fait, mes petits korrigans ne parlent plus que de toi depuis quelques jours. Ils ne sont pas tous d’accord, mais tu es le centre de leurs conversations.
— Je suis désolé de ce que cet homme a fait à Grums, tous les hommes ne sont pas méchants.
— J’en doute un peu, je n’ai pas d’exemple qui me montre le contraire, répliqua Mam Gyams, d’un ton qui ne demandait pas de réponse.
— Je connais Aodrene et Corentin, ils sont adorables.
— Hum, peut-être, fit la dame korrigan, il fait presque nuit, tu es loin de chez toi, où vas-tu dormir ?
— Je vais marcher un peu puis je trouverais un arbre pour y être en sécurité.
— Non, tu peux dormir ici, dans notre chêne, je dormirais avec toi pour assurer ta sécurité, assura Gwams.
— Oui c’est une bonne solution nous te devons bien ça, conclut Mam Gyams.
— Regardes notre fontaine, c’est celle de la fée Viviane, tu te souviens, on en a parlé.
— Oui Gwams, mais je ne peux la voir, il fait trop nuit, je la devine ici, dit-elle en se levant pour s’approcher.
Gwams s’était accroché à sa ceinture pour se laisser emporter. Elle contourna le bord de la fontaine, marcha sans le voir dans la rivière qui démarrait là son itinéraire.
— Tu as marché dans l’eau Gwendoline, tu vas avoir les pieds mouillés pour dormir, lui reprocha Gwams.
— Je ne l’ai pas vu, mais ce n’est pas grave, il ne fait pas froid, le printemps est plutôt doux.
— Gwendoline, c’est vrai que tu n’y vois pas la nuit ? lui demanda Mam Gyams.
— Les humains ne voient pas la nuit, sauf si la lune est très brillante, mais ce n’est pas de toute façon, comme en plein jour.
— Je vais te faire un cadeau pour te remercier de l’aide que tu as donnée à Grums. Allonge-toi sur la mousse ici, lui dit la femme korrigan.
Gwendoline obéit, elle s’allongea sur le dos, Gwams était toujours sur elle, elle le sentait sur son ventre, son poids était si petit, qu’elle devait y prêter attention pour le sentir. Mam Gyams grimpa sur elle, elle se tenait sur son épaule, Gwendoline la regarda, elle s’amusait de cette nouvelle relation apaisée avec l’univers de ces petits êtres si attachants.
— Ferme les yeux, lui dit-elle.
Gwendoline ferma les paupières, quelques secondes plus tard elle sentit les petites mains frotter doucement sa paupière droite. Les mains de la femme Korrigan faisait une caresse en rond, en partant du centre pour finir sur les côtés, elle recommença plusieurs fois, puis passa à l’œil gauche, pour faire les mêmes massages.
— Voilà, tu peux les ouvrir maintenant, lui déclara-t-elle.
Gwendoline ouvrit les yeux, mais qu’elle ne fût pas sa surprise, elle y voyait presque comme en plein jour.
— J’y vois, en pleine nuit dans un sous-bois, quelle est cette magie ?
— Je te donne le pouvoir d’y voir comme nous, aussi bien le jour que la nuit, ce don pourra t’être utile.
— Ce don sera permanent ?
— Oui.
— Merci, c’est extraordinaire, je ne savais pas que cela était possible.
— Maintenant il faut aller dormir, Gwams tu restes avec ton amie, vous dormirez dans le chêne, la grosse branche là sera parfaite je crois, dit-elle en désignant une grosse branche pas très haute, qui partait du tronc.
Gwendoline se mit à grimper dans l’arbre, elle y voyait parfaitement, l’exercice n’était pas plus difficile qu’en plein jour. Elle trouva le creux de la branche. Un épais tapis de mousse recouvrait l’écorce du vieux chêne, elle s’y allongea, confortablement. Gwams arriva d’un bon, il monta sur son ventre, il s’allongea sur elle. Il prenait ses aises.
— Tu es bien là ? lui demanda-t-elle.
— Non, je préférerais mettre ma tête juste là, dit-il en posant sa petite main entre ses deux seins.
— Tu peux ça ne me gênera pas du tout, répondit-elle en lui souriant.
Le petit être s’installa confortablement, il se trémoussa un peu, à droite puis à gauche, comme un chat le fait pour trouver sa place avant de dormir.
— Je vais peut-être avoir un peu froid.
— Je n’ai pas froid, moi, mais peut-être es-tu plus frileux ?
— Gwendoline j’aimerais avoir une couverture de tes cheveux, avec eux sur moi, je serais vraiment bien.
Gwendoline ramena sa chevelure devant, elle en recouvra Gwams, qui prit une longue mèche de cheveux pour la mettre juste sous son menton.
— Tu es bien ?
— J’adore, je suis le korrigan le plus heureux.
— Bonne nuit Gwams.
— Bonne nuit Gwendoline. C’est la première fois que l’on dort ensemble.
Gwendoline sourit à cette évocation qui aurait eu une tout autre signification si Gwams avait été un homme.
Les premières lueurs du jour la réveillèrent, elle ouvrit les yeux pour inspecter son environnement. Les feuilles du vieux chêne bruissaient légèrement sous l’effet du faible souffle du vent. Gwams dormait toujours, il était dans la même position, il n’avait pas bougé, sauf sa main qui s’était glissée dans son décolleté, elle était posée sur son sein. Gwendoline le regarda sans trop bouger, pour ne pas le réveiller, il avait un large sourire de bien-être, comme un enfant apaisé, cela faisait plaisir à voir. Après un moment d’observation, elle lui caressa le dos du bout de son doigt, Gwams bougea, il se réveillait.
— Bonjour, tu as bien dormi ?
— Merveilleux, c’est ma plus belle nuit depuis quatre cents ans, un rêve, dit-il sans retirer sa main polissonne, qui caressait maintenant le bout du sein de Gwendoline, qui le sentit durcir sous la caresse.
— J’aimerais prendre un bain dans ta belle source, tu crois que je peux ?
— Oui bien sûr suis moi dit-il en se levant d’un coup.
Gwendoline le suivit, mais moins vite que lui, qui était arrivé d’un bon, elle descendit de l’arbre et s’approcha du bassin, elle trempa la main, l’eau était fraîche, cristalline, une invitation à la baignade. Gwams était assis sur une pierre, il la regardait. Elle enleva sa robe, la posa sur une branche basse du chêne et s’avança dans le bassin. Du côté où le trop plein s’écoulait, il y avait peu d’eau, à peine jusqu’à mi-mollet, Gwendoline entra plus au milieu de la fontaine, l’eau lui arrivait au-dessus de la taille, elle s’accroupit pour s’immerger totalement. Le petit korrigan ne la quittait pas des yeux. Gwendoline avait fermé les siens, ainsi elle pouvait ressentir toutes les énergies qui se dégageaient de cet endroit. La fraîcheur de l’eau l’avait totalement réveillée, c’était un pur bonheur. Elle resta un moment là à méditer paresseusement, elle pensa à la fée Viviane, qui, il y a très longtemps, se baignait ici, puis elle se lava les cheveux. Elle sortit du bassin pour s’asseoir juste à côté de Gwams, sur la margelle de la fontaine, elle essora ses cheveux, et attendit que le soleil la sèche. Le korrigan la regardait comme hypnotisé.
— Tu es vraiment très belle Gwendoline, je suis content d’être ton amoureux.
— Tu es mon amour de korrigan.
Le petit lutin se leva et vint se mettre près de sa tête, il lui caressa la joue.
— Viviane était belle, mais toi c’est encore mieux que ça, j’adore te voir nue, dit-il en promenant son regard sur son corps de la tête aux pieds, j’aime ton visage, j’adore comme il est couvert de taches de rousseur, ce n’est pas courant, et ce que j’aime par-dessus tout ce sont tes cheveux, leur jolie couleur, le roux te va très bien, l’ondulation qu’ils font autour de ton visage. Il fit une pause. Je t’aime Gwendoline !
— Je t’aime aussi, petit korrigan fripon, lui dit-elle en posant délicatement, un baiser sur sa joue.
Elle se leva et enfila sa robe, elle revint s’asseoir sur les pierres plates qui fermaient la source.
— Cet endroit est vraiment enchanteur, je te remercie de me l’avoir fait connaître.
— Je savais que tu aimerais. Tu es une fée de l’eau, cette source est aussi la tienne.
— Merci Gwams.
— D’ici peu, je te ferais découvrir encore d’autres merveilles, lui dit-il plus bas.
— Avez-vous bien dormi ? dit une voix qui venait du terrier.
Mam Gyams en sortait suivi des trois autres korrigans.
— Oui parfaitement, répondit Gwendoline. Comment vas-tu, Grums ?
— Bien, ma jambe ne me fait plus souffrir, je marche tout seul.
— Je suis contente de voir ça, je vais rentrer maintenant, je ne voudrais pas qu’Izild s’inquiète.
— Tu reviendras nous voir ? demanda Gwams.
— Si j’y suis autorisé.
— Oui tu seras toujours la bienvenue, confirma Mam Gyams.
— À bientôt alors.
Gwams s’approcha d’elle et lui sauta au cou, il s’assit sur son épaule.
— J’ai droit à un baiser ?
— Oui.
Gwendoline lui déposa un baiser sur sa toute petite joue, le korrigan sauta par terre, son visage était radieux.
Elle suivit le cours d’eau qui elle le savait allait la conduire à la maison des fées.
À quatorze ans, ce n’était pas la première fois qu’elle restait dormir en forêt, Izild ne s’était pas inquiété, cela faisait partie du parcours initiatique que devait suivre Gwendoline. Elle lui raconta en détail ses rencontres et conversations.