Les vikings - Tome 2 - Michel Raboteau - E-Book

Les vikings - Tome 2 E-Book

Michel Raboteau

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Beschreibung

Emportée contre son gré par un équipage de drakkars, Gwendoline est précipitée dans l’univers mystérieux d’un village nordique. Mais son destin bascule lorsqu’elle croise le chemin d’une sorcière, bouleversant ainsi le cours de sa vie…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionné par les romans historiques, Michel Raboteau prend la plume pour partager avec les lecteurs le fruit de son imagination. Cette grande aventure littéraire fait également hommage à ses deux régions d’adoption, la Bretagne et la Normandie.

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Couverture

Page de titre

Michel Raboteau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Vikings

Tome II

Ribe

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Michel Raboteau

ISBN : 979-10-422-2484-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Bretagne et Neustrie ouest

 

Les raids de Jörgen

 

 

 

 

 

Frises historiques

 

 

 

Rois

de France

Charlemagne

742 / 768/814

Louis le Pieux

778 / 814/840

Rois

de Bretagne

Morvan (Murman) 750/…/818

Année

802

808

816

817

818

 

 

 

Tome 1 – Brocéliande

Événements

Naissance

de Gwendoline

Naissance

de Nominoë

Gwenaëlle

à Roazhon.

Raid sur l’île aux Bretons

Gwendoline

à Barfleur. Nominoë

à Brocéliande

Attaque

de Barfleur par Jörgen.

 

Rois

de France

Louis le Pieux

778 / 814/840

Rois

de Bretagne

Morvan

750/…/818

Wiomarc’h

/822/825

Année

818

819

820

824

 

Tome 2 – Ribe

Événements

Gwendoline

à Ribe

Raid sur Caen. Naissance

de Rolf

Vengeance

de Gwendoline

Négociations pour la délégation

 

 

 

 

 

 

 

Frises historiques (suite)

 

 

 

Rois

de France

Louis le Pieux

778 / 814/840

Charles II le chauve

823/ 840/877

Rois

de Bretagne

Wiomarc’h

/822/825

Nominoë

808 / 830/851

Année

825

826

829

835

843

845

 

Tome 3 – Aachen

Événements

Délégation des Bretons

à Aachen

Retour

de Gwendoline

à Brocéliande

Nominoë représentant de l’empereur

1er raid de Rolf

Retour

de Gwendoline

à Ribe

Naissance

de Rollon

 

Rois

de France

Charles II Le chauve

823 / 840 / 877

Rois

de Bretagne

Nominoë

808 / 830 / 851

Erispoë

851/857

Salomon

857/874

Gurwant

874/876

Année

847

848

851

857

860

866

872

874

 

Tome 4 – Rollon

Evènements

Le Roi Horik

Indépendance

de la Bretagne

Assassinat d’Erispoë

Retour

de Gwladys

Rollon chassé

de Ribe

Rollon

à Âlesund

Assassinat de Salomon

 

 

 

 

 

 

 

Lexique

 

 

 

Noms de localités de Bretagne

 

Roazhon……………………………...………………Rennes

Gwened………………………………………………Vannes

Prizieg………………………………………………...Priziac

Gazilieg…………………………………………...La Gacilly

Gwenrann………………………………………….Guérande

Sant Briec………………………………...….….Saint-Brieuc

Dinarzh……………………………….………………Dinard

Ponti………………………………………………….Pontivy

Jossilin……………………………………………….Josselin

 

Noms divers

 

Aachen……………………………………...Aix-la-Chapelle

Neustrie……………......Partie occidentale du royaume Franc

 

 

 

 

 

Lexique (suite)

 

 

 

Un langskip………………………...Drakkar terme générique

Un karv…………...Drakkar de 10 jeux de rames, 35 guerriers

Un snekkja………..Drakkar de 20 jeux de rames, 80 guerriers

Un ferja……………………………………...Bateau de pêche

Un knörr………………………………..Bateau de commerce

Skàli…………………………………Grande demeure viking

La scalde………………Chanteuse d’un groupe de musiciens

Jarl……………………………………………Chef de guerre

Træl………………………………………………….Esclave

 

 

 

 

 

1

Jörgen

 

 

 

Gwendoline, en fond de cale à l’avant du navire viking avec toutes les autres femmes, tentait d’analyser la situation.

Il était clair qu’elle avait été enlevée, elle se souvint de ces faits qui s’étaient produits il y a quelques années en Bretagne du Sud, des Vikings avaient réalisé des raids comme celui-ci, elle n’en doutait pas, c’étaient des Vikings, ils les emmenaient donc dans le nord, chez eux.

La description qu’elle en avait eue correspondait à ces guerriers redoutables qui étaient là devant elle. Leurs longs cheveux blonds, leur taille plutôt importante, oui ils étaient tous plutôt grands, leur armement aussi correspondait bien à ce qu’on lui en avait dit. Des casques en acier, avec ces cottes de mailles qu’elle n’avait encore jamais vues, du moins pas de semblables. Surtout leurs boucliers ronds, en bois, peints de plusieurs couleurs. Mais ce qui ne laissait aucun doute était leur bateau, avec cette tête de dragon à l’avant et la queue à l’arrière. Oui c’était bien une de ces langskips vikings, dont elle avait trouvé un dessin dans un livre.

 

Le calme était revenu, il n’y avait plus besoin de ramer, les jeunes hommes prisonniers étaient sur leur banc, attachés comme des animaux, certains étaient couchés, recroquevillés sur eux-mêmes, peut-être morts, ils ne bougeaient plus. Les femmes n’étaient pas attachées elles. Gwendoline les compta, elles étaient dix jeunes filles, certaines devaient avoir douze ans, les plus vieilles n’avaient pas vingt-cinq ans, elle compta les hommes, ils étaient douze. Aure s’était endormie dans ses bras durant une bonne demi-heure, elle s’était à peine réveillée puis rendormie plusieurs fois, elle la sentait bouger, elle se réveillait doucement.

— Aure, réveille-toi doucement sans crier, les Vikings n’aiment pas ça, ils te frapperont, si tu cries, reste calme, je suis là, lui dit-elle de sa voix apaisante, en la serrant dans ses bras pour la rassurer.

Gwendoline la câlinait doucement, comme elle l’aurait fait pour un enfant, sa main caressait son dos, tentant de l’apaiser, elle l’embrassa plusieurs fois sur la joue. Aure releva la tête, elle la regarda, Gwendoline lui sourit, et lui déposa un autre baiser sur la joue, en lui souriant.

— Où sommes-nous ? chuchota-t-elle.

— Sur leur bateau, ils nous emmènent chez eux comme esclave, je pense.

— Ho ! Mon dieu !

— Chute Aure, calme-toi, tant que nous sommes ensemble je te protégerais.

— Ne me quitte pas Gwendoline !

— Calme-toi, je suis là. Tu peux bouger un peu et regarder la vie du bateau, tu vas voir c’est calme, la nuit va tomber d’ici une heure ou deux, il n’y a rien à faire, juste attendre.

Aure se détacha un peu d’elle très doucement, elle se retourna pour regarder. Gwendoline la laissa se faire à son nouvel environnement. Elle l’observait et rapidement la sentit se faire prendre par sa peur, son angoisse montait, elle commença à trembler, elle décida de lui parler pour la calmer.

— Tu vois là-bas, l’homme qui est debout près de la barre, c’est le chef, c’est lui qui donne les ordres, je pense qu’il se nomme Jörgen, c’est comme ça que les autres l’appellent, ou alors ça veut dire chef dans leur langue, je ne sais pas, je ne comprends rien à ce qu’ils disent. Celui-là qui marche, ce doit être son adjoint, il doit s’appeler Vigø, j’en suis presque sûr, il parle beaucoup ensemble, parfois avec celui qui est juste au-dessus de nous accroché au dragon, lui c’est Fulbert. Aure releva la tête pour voir l’homme qui scrutait l’horizon. Elle le fixa des yeux un moment sans s’en rendre compte, Gwendoline la laissait faire, elle devait surmonter sa peur qui était en train de l’envahir.

— Comment tu sais tout ça ?

— Je les regarde et les écoute depuis tout à l’heure, je cherche à comprendre leur langue.

— Moi je n’y comprends rien, je veux rentrer à Barfleur.

— Moi j’aimerais avoir mon repas. Nous n’avons rien mangé depuis ce matin.

Gwendoline s’était aperçu que de la nourriture avait été distribuée aux hommes de l’équipage, mais pas aux prisonniers. Aure s’était remise dans le creux de son bras. Elle continuait son observation, son regard refit le tour de cet étrange navire, tentant d’en percer tous les secrets, puis elle regarda les esclaves qui étaient toujours liés à leur place. D’un coup ce fut comme une évidence, un des hommes attaché au banc des rameurs était inconscient, il gisait dans une position qui n’était pas normale, personne ne semblait vouloir s’occuper de lui, même les autres prisonniers ne le regardaient pas, ils étaient tous prostrés, ne bougeant pas pour ne pas être corrigés. Elle changea un peu de position pour mieux voir, regarda plus attentivement, puis elle finit par s’apercevoir qu’il saignait à la tête. Son sang ne fit qu’un tour.

— Pousse-toi Aure je vais me lever.

Aure la regarda comme on regarde une folle, ou quelqu’un qui envisage une action complètement aberrante. Elle se leva et se dirigea vers lui. Un viking se mit à crier quelque chose, qu’elle ne comprit pas, elle le regarda, mais elle était arrivée au niveau du blesser, elle s’agenouilla près du jeune homme, elle lui prit la tête, il respirait, il gémit. Il était encore plus jeune qu’elle. Bien plus jeune. Le Viking arriva en hurlant.

— Retourne à ta place !

Gwendoline ne bougea pas, caressant les cheveux de l’homme, c’était presque un enfant, elle attendait de savoir ce qui allait se passer, elle s’attendait d’un moment à l’autre à recevoir un coup. Elle avait raidi son corps.

Elle entendit un autre homme parler fort, ils se répondaient, elle comprit rapidement qu’ils n’étaient pas d’accord. Elle releva la tête, pour regarder.

— N’abîme pas notre marchandise ! Je ne veux pas que l’on frappe les esclaves ! Ils perdent de la valeur.

Jörgen s’approcha d’elle, il venait de l’arrière, il était souvent là-bas, elle le regarda.

— Cet homme souffre ! Il va mourir ! Il faut le soigner ! dit-elle en faisant des gestes qu’elle espérait explicites.

Jörgen s’approcha, elle tourna la tête du jeune homme inconscient, le sang coulait d’une large entaille au front. Il regarda un instant avant de se relever.

— Fulbert, il faut le soigner, je ne veux pas en perdre. Il a l’air mal !

Fulbert arriva avec une sacoche en cuir et de l’eau.

— Détache-le, dit-il à un homme, amène-le ici.

Un homme arriva pour le détacher et l’emporter, Gwendoline se leva et le suivit en lui tenant la tête. L’homme le posa sur des caisses en bois. Fulbert sortit un linge, et prit une outre d’eau. Gwendoline posa ses mains sur les siennes, en le regardant.

C’est un bel homme, se dit elle, il est aussi beau que mon berger.

Le puissant guerrier la regardait, il avait l’air de quelqu’un qui s’amuse de la situation. Elle prit le linge doucement, il la laissa faire, elle prit l’eau, humidifia le linge. Elle commença à nettoyer la plaie, reprenant de l’eau plusieurs fois.

— Laisse-lui le matériel Fulbert, elle va le faire elle-même c’est très bien.

Gwendoline le regarda, sa cicatrice était de son côté, elle frémit en la voyant, mais se contrôla, elle fit merci de la tête en joignant ses mains. Elle se remit à panser la blessure. Le jeune homme bougeait, la fraîcheur de l’eau lui faisait du bien, il ouvrit les yeux, Gwendoline lui sourit, elle finit de nettoyer la blessure, puis elle prit une bande de tissu dans la sacoche de Fulbert et lui banda la tête. Lorsqu’elle eut fini, elle releva la tête. Jörgen était à nouveau à l’arrière du bateau dans sa drôle de petite cabine, il regardait des documents, Fulbert était à un petit mètre d’elle, il la regardait adossé au mât du bateau. Tout le reste du bateau semblait en léthargie. Elle se tourna vers Fulbert qui la regardait amusé, il n’avait pas bougé. Son sourire lui plut. C’était un homme d’une trentaine d’années, il était grand, et possédait une carrure impressionnante, la puissance de ses muscles se voyait, ils étaient comme à fleur de peau.

— Puis-je avoir de l’eau pour le faire boire ? demanda-t-elle en mimant sa demande, et terminant par un adorable sourire.

Fulbert lui tendit un broc, il ramassa une outre d’eau, il remplit le broc.

Elle le remercia par le geste. Elle prit le temps de le dévisager, il avait de beaux yeux bleus, de longs cheveux blonds tenus en queue de cheval, sa musculature était impressionnante, encore plus lorsqu’il était près d’elle. Son odeur était agréable.

Elle aida le jeune homme à s’asseoir et le fit boire. Elle tendit ensuite le broc vers Fulbert, faisant mine de lui en redemander. Elle ponctua encore sa demande d’un sourire. Elle n’avait que seize ans, mais savait déjà qu’avec son sourire elle obtenait ce qu’elle voulait d’un homme. Il le remplit en l’observant. Gwendoline en prit une gorgée, elle passa le broc à un autre homme qui n’avait toujours pas bougé, comme pétrifié. Il allongea le bras lentement en regardant le Viking, comme pour s’assurer qu’il ne faisait en geste interdit.

— Juste deux gorgées il doit y en avoir pour tous, lui dit-elle.

Puis elle passa le broc de l’un à l’autre, chacun ne prenait que les deux gorgées autorisées par Gwendoline, lorsqu’il fut vide, elle revint vers Fulbert, lui en redemandant avec son adorable sourire. Elle le regardait dans les yeux, le Viking s’amusait de la voir faire.

— Prends l’outre et assure la distribution, dit-il en lui donnant.

Son manège semblait le divertir.

— Merci, dit-elle sans être sûre d’avoir compris.

Gwendoline reprit la distribution, cela lui permettait de se déplacer de banc en banc, pour approcher chaque esclave. Elle rationnait tout le monde de la même façon, elle arriva au groupe de femmes et en fit autant. Lorsqu’elle eut fini, l’outre n’était pas vide, elle but un peu, puis la posa avec le broc, près d’Aure.

— Tu la gardes s’il te plaît.

Elle repartit vers Fulbert, il l’attendait visiblement, il avait le sourire. Elle s’arrêta devant lui. Il est beau cet homme, pensa-t-elle pour la seconde fois, en laissant ses yeux traîner dans les siens.

— Nous voudrions à manger lui fit elle comprendre par les gestes.

— Que veut-elle ? demanda Jörgen de l’arrière du bateau.

— Maintenant elle veut à manger visiblement.

— C’est normal, nous devons les nourrir pour en avoir une bonne valeur, dis-lui de venir me voir.

— Va voir Jörgen ! dit-il en joignant un geste explicite à ses paroles incompréhensibles.

Gwendoline faisait cette démarche pour avoir à manger, bien sûr car elle avait faim et se doutait que tous les prisonniers étaient dans la même situation, mais elle désirait aussi parler et les faire parler pour tenter de comprendre ce langage. Elle comprit qu’ils jouaient, elle décida de pousser plus loin, elle se dirigea vers le chef, qui était près de la barre qui servait visiblement à gouverner le bateau.

— Jörgen, nous voulons à manger ! dit-elle clairement en utilisant son nom et en mimant sa demande.

— Tu connais déjà mon nom ! Tu es surprenante.

Gwendoline fit non de la tête, elle n’avait rien compris.

Jörgen se leva pour faire le pas qui le séparait d’elle, il se tapa le torse en disant.

— Jörgen !

— Comment t’appelles-tu ? dit-il en tapant sa poitrine de son index.

— Gwendoline ! répondit-elle en le regardant en face, en accrochant son regard.

Il souriait, visiblement amusé. Gwendoline pensa un moment prendre possession de son esprit, cela lui aurait été facile, il ne semblait pas se méfier, il ne savait pas qu’elle était une fée. Mais elle ne le fit pas, ça ne la mènerait à rien.

— Gwendoline, répéta-t-il lentement.

Elle fit oui de la tête.

— Fulbert fait faire la distribution aux esclaves, une demi-ration uniquement. Ils ne travaillent pas ! Je ne veux pas manquer de vivre, durant le retour à Ribe !

Gwendoline les regarda, l’un après l’autre. Fulbert donna un ordre, un Viking se leva, il apporta du poisson séché qu’il déposa près des femmes. Aucune n’osa bouger. Gwendoline repartit vers l’avant, elle compta les poissons, il y en avait un pour deux. Elle en prit six et les emmena aux hommes.

— Un poisson pour deux, je vous apporterais de l’eau tout à l’heure.

— Merci, tu es courageuse, fais attention, ce sont des monstres, lui dit un des jeunes hommes.

— Non, ils ne nous feront pas de mal si nous ne cherchons pas à leur nuire, nous sommes leurs marchandises, ils nous veulent en bon état pour avoir un bon prix de chacun d’entre nous.

Le jeune homme la regarda, comme s’il n’avait pas compris.

Gwendoline donna un poisson au blessé, il semblait un peu mieux.

— Mange ! Tu dois reprendre des forces.

Elle distribua de la même façon aux jeunes femmes. Tous s’étaient assis, ils mangeaient. Gwendoline apprécia ce mets un peu rustique, elle savait que la ration était faible.

— Les filles nous n’avons pas beaucoup à manger, il faut l’utiliser complètement, vous devez bien mastiquer, prendre de petites bouchées et prendre votre temps avant de l’avaler.

Toutes suivirent son conseil, le repas eut au moins le mérite de durer plus longtemps. La nuit était tombée, les guerriers s’installaient pour dormir, certain dans une tente, d’autre ici où là dans le bateau. Gwendoline décida de garder l’eau pour le lendemain.

— Il nous faut dormir maintenant. Elle se trouva une place où elle put s’allonger à moitié, Aure se mit contre elle, dans ses bras. Elle n’avait pas dit un mot. Toutes les jeunes femmes étaient les unes contre les autres, elles se tenaient chaud, car la nuit semblait vouloir être fraîche en mer.

 

Le lendemain, un homme apporta du poisson séché, comme la veille, il y en avait le même nombre, il y avait également une outre d’eau, Gwendoline assura la distribution en commençant par les femmes, elle profita de la distribution pour leur parler, mais peu s’autorisèrent à répondre, elles étaient encore sous le choc de leur enlèvement.

Elle se dirigea ensuite vers les hommes toujours attachés à leur banc.

— Gardons confiance, il ne faut pas se laisser abattre, leur dit-elle.

— Où nous emmènent-ils ? demanda un prisonnier. En tirant sur la corde qui le retenait.

Gwendoline le sentit nerveux, prêt à faire une bêtise.

— Je ne sais pas mentit-elle, mais surtout nous devons garder notre calme, nous n’avons pas les moyens de les affronter maintenant. Je vais regarder ta blessure, dit-elle en se tournant vers le jeune homme de la veille.

Il était bien réveillé, il n’avait pas mauvaise mine. Elle défit délicatement le bandage, déposa les compresses qui étaient teintées de rouge. Elle les nettoya avec l’eau, puis les réutilisa pour nettoyer la plaie. Elle refit ensuite le bandage.

— Tu vas te remettre, la plaie est plutôt belle, et pas trop profonde. Tu auras une belle cicatrice, comme un redoutable guerrier.

— Merci, comment t’appelles-tu ?

— Gwendoline, et toi ?

— Léon.

— Quel âge as-tu ?

— J’ai douze ans.

Gwendoline lui posa la main sur le bras en lui donnant un adorable sourire, c’est ce dont avaient le plus besoin ses jeunes hommes. Elle retourna ensuite auprès d’Aure, elle n’était pas mécontente d’avoir pris ce rôle, ça lui permettait de bouger, elle en avait besoin pour ne pas étouffer. Elle mordit à pleines dents dans son morceau de poisson, en observant la vie de ce bateau.

Bon je pense que la situation, n’est pas si dramatique, se dit-elle pour elle-même, nous sommes prisonniers, mais bien traités, ils nous donnent suffisamment à manger, il va valoir attendre d’arriver chez eux. J’ai peur que ce soit un peu long.

Rapidement une routine s’installa, les jours s’égrenaient lentement, elle n’avait rien à faire, hormis distribuer la nourriture et l’eau deux fois par jour, et soigner la plaie de Léon. Elle était toujours attentive à ce qui se passait à bord, mais la vie semblait en léthargie, monotone, les hommes parlaient peu, sauf lorsqu’ils réglaient la voile. Dans ces moments-là, il y avait une véritable effervescence qui ne durait que quelques minutes, puis le calme revenait. Elle tentait toujours de comprendre leur langage, mais il y avait que trop peu de conversation pour qu’elle puisse progresser. Elle avait la certitude que le chef s’appelait Jörgen, parfois certain disait capitaine, mais là c’était sa fonction de chef, elle l’avait compris. Ce terme était utilisé davantage par l’équipage, les proches comme Vigø et Fulbert ne l’utilisaient jamais. Les trois chefs se retrouvaient régulièrement dans la cabine qui se trouvait à l’arrière, là ils discutaient, mais elle ne pouvait entendre suffisamment clairement la conversation pour en tirer un quelconque profit. C’était une situation de frustration qui l’énervait au plus haut point. Le second point qui la rendait folle, était qu’elle n’arrivait plus à faire le rêve de Gwams, tous les soirs, elle tentait de retrouver son ami, mais rien, elle ne ressentait rien. Elle avait essayé avec Izild, sans plus de succès. Les premières fois elle avait pensé qu’elle était trop nerveuse, ou que sa position était mauvaise, peut-être était-elle trop loin maintenant, mais petit à petit une certitude s’imposait à elle, elle était en mer sans connexion avec la terre, elle n’avait pas de chêne qui la reliait à la terre, par ses puissantes racines, elle devrait attendre d’arriver à terre pour voir si elle y arriverait. Que se passerait-il si elle se trouvait sur une île, où sur cette terre des Vikings tellement au nord, Gwams n’avait jamais communiqué avec une personne si loin, c’était peut-être tout simplement impossible. Lorsqu’elle envisageait d’être totalement coupée de Gwams, elle sombrait dans une sorte de déprime, dont elle avait du mal à sortir. Aure l’avait vu, elle lui avait demandé deux fois si elle se sentait bien, cela l’avait fait réagir, plus pour Aure que pour elle-même.

Cela faisait trois semaines qu’ils étaient sur le bateau, Gwendoline s’appliquait à compter les jours, mais surtout elle essayait toujours d’apprendre cette langue, elle profitait essentiellement des échanges avec Fulbert, qui était son interlocuteur pour toutes ces demandes. Le voyant arriver, elle se leva pour aller à sa rencontre, c’était devenu pour elle comme un rituel, elle guettait même son arrivée.

— Bonjour Gwendoline, voici l’eau pour la journée.

Fulbert avait toujours le sourire, c’était plaisant.

— Bonjour Fulbert, s’appliqua-t-elle à dire dans sa langue, en lui retournant un sourire. Comme tous les matins, elle tenta de prolonger la conversation.

— Poisson ? demanda-t-elle dans cette langue qu’elle tentait de déchiffrer, en le regardant.

— Oui c’est cela, du poisson !

— De l’eau ? tenta-t-elle, pour vérifier les premiers mots qu’elle avait attrapés.

— Parfait, oui de l’eau ! Bonne journée Gwendoline, lui dit-il en posant sa main sur son épaule.

— Bonne journée Fulbert.

C’était à peu près les seuls mots qu’elle savait comprendre et utiliser. Elle le regarda partir, il semblait occupé, elle était frustrée de ne pouvoir prolonger la conversation. Gwendoline profita d’être un peu plus au centre du karv pour regarder ce qui se passait. Le karv, oui ce mot là aussi elle savait que ça désignait le bateau.

Le temps changeait, elle le sentait, le karv bougeait beaucoup plus, le vent s’était levé, il montait encore en intensité. Jörgen venait de sortir de sa cabine, il donna de la voix.

— Tous au bras ! On rentre un peu de toile, la tempête va nous tomber dessus.

Gwendoline malgré ses efforts n’avait pu comprendre le moindre mot, mais Jörgen avait montré le ciel, il devait s’inquiéter du mauvais temps. Les hommes comme à chaque ordre s’étaient rués sur leur travail, elle retourna précipitamment à l’avant avec son outre d’eau. Les hommes avaient descendu pour la première fois la voile, ils en avaient installé une autre beaucoup plus petite, puis avaient remonté partiellement celle-ci. La Karv tapait moins sur les vagues, il montait et descendait aussi beaucoup moins, par contre il avait toujours tendance à rouler d’un bord sur l’autre. Les premières jeunes femmes commencèrent à être malades, Gwendoline se leva pour les aider à aller vomir par-dessus le plat-bord, comme elle le faisait déjà depuis le début, pour que chacune puisse faire ses besoins. Le vent forcissait encore.

— C’est une tempête, il n’y a pas à s’inquiéter plus que ça, fit Gwendoline en revenant avec une fille qui venait de rendre son repas.

— On va mourir ! fit une autre.

— Non ! Nous n’aurons pas cette chance, regardez les Vikings sont calmes, ils ne paniquent pas, ils doivent être habitués à ce mauvais temps. Certains semblent même s’en amuser. Ils jouent les acrobates qui se tiennent en équilibre.

Toutes regardèrent les Vikings pour constater que Gwendoline avait raison, il n’y avait pas de stress à bord, seuls les prisonniers qui ne connaissaient pas cette situation avaient peur.

— Je vais distribuer de l’eau ! dit-elle en se levant pour se diriger vers les hommes.

Elle prit l’outre et commença sa tournée, elle ne rationnait plus depuis quelques jours, car Fulbert lui en donnait autant qu’elle en demandait. Pourquoi ce changement ? Elle n’avait pas complètement résolu cette énigme, mais elle se disait que s’il lui en donnait davantage, c’est qu’il le pouvait, donc qu’il n’était pas inquiet d’en manquer dans les prochains jours, cela pouvait vouloir dire qu’ils arriveraient d’ici peu, ou qu’ils feraient escale prochainement pour en reprendre. Elle avait hâte de pouvoir passer une nuit à terre pour tenter de voir Gwams, elle ne pensait qu’à ça, plusieurs fois par jour. C’était devenu une obsession !

Gwendoline après avoir donné à boire aux femmes se dirigea vers les hommes toujours attachés aux bancs, leurs conditions de voyage en étaient nettement dégradées.

— Voilà de l’eau, dit-elle en donnant un broc complet à chacun.

— Je peux en avoir encore, fit l’un d’eux en posant sa main sur son bras, presque suppliant.

— Oui, le viking me donne tout ce que je lui demande, vas-y bois.

L’homme prit un second broc.

— Merci.

— L’un de vous est-il marin ? demanda-t-elle discrètement, comme toutes leurs conversations qui se faisaient en chuchotant.

— Oui, moi, fit un gars au teint tanné.

— Que penses-tu de ce coup de vent ?

— Hum ! C’est une grosse tempête qui va nous tomber dessus, ça ne fait que commencer, elle monte doucement, ce n’est pas bon, quand ça commence comme ça ! Je crois que ça va être violent !

— Le bateau a l’air solide !

— Oui, pour sûr ! Je n’en ai jamais vu de comme ça, il tient bien la mer, c’est un bon bateau, meilleur que celui de mon père. Il émit un petit rire coincé. Je n’aimerais pas être ici avec son bateau !

— Merci !

Gwendoline retourna vers les femmes, à l’avant, la situation se compliquait, les paquets de mer commençaient à passer par-dessus.

— Serrons-nous bien les unes aux autres, ce sera moins pénible, leur dit-elle.

Gwendoline prit Aure dans ses bras et la mit contre une autre fille, pour qu’elle soit protégée de l’eau qui arrivait de plus en plus souvent. La journée se terminait, il faisait sombre de bonne heure, la distribution de repas du soir n’avait pas été faite, mais personne n’avait réclamé. Le vent se déchaîna en plein milieu de la nuit, le bateau roulait affreusement, il donnait l’impression qu’il allait se retourner à chaque fois, mais se redressait finalement, pour partir dans l’autre sens. Dès le début de la tempête, plusieurs ajustements de la voile avaient été faits, mais, la dernière fois, le bateau avait tourné pour mettre le vent derrière lui, les vagues ne passaient plus par-dessus aussi souvent, la situation était moins inconfortables pour les femmes. Le karv fuyait devant la fureur du vent.

La tempête dura toute la nuit et s’arrêta brutalement au lever du jour. Gwendoline dormait, elle fut réveillée par l’activité qui se déroulait dans le bateau, la voile avait été descendue, la grande mise en place, les hommes tiraient sur des cordes pour la monter en haut du mât. Des ordres claquèrent, la manœuvre s’engagea, le Karv pivota pour retourner vers le nord. Les hommes fixèrent les cordes, puis le calme revint, le bateau accélérait, il recommençait à monter sur les vagues.

Les femmes se réveillaient une à une, Fulbert apporta à Gwendoline le poisson séché et une outre d’eau.

— Tiens ! Tu peux distribuer, lui dit-il comme à chaque fois.

— Merci Fulbert.

Gwendoline avait bien repéré ces mots, ils devaient vouloir dire « donne à manger », ou « distribue la nourriture » ou « travaille un peu », elle ne savait pas. Elle compta les poissons, il y en avait plus que d’ordinaire, le double. Elle commença à donner aux femmes.

— Un chacune ce matin, mâchez bien il faut reprendre des forces, surtout pour celles qui ont été malades.

Elle se dirigea ensuite vers les hommes qui la regardaient arriver avec leur repas.

— Ce matin il y a un poisson par personne.

— Un chacun ? Qu’est-ce que cela veut dire ? questionna un prisonnier.

— Je pense que nous arriverons d’ici quelques jours, ils savent qu’ils auront assez de nourriture.

— Oui tu dois avoir raison, nous arrivons, oui ! Mais où ?

— Dans le nord chez les Vikings ! ajouta un second, un peu plus fort.

— Chut ! Tu vas nous faire avoir des problèmes.

— Il a raison, restons calmes, nous devons attendre et voir, ajouta Gwendoline avant de repartir.

Elle fit un second passage un peu plus tard avec l’eau, chacun but autant qu’il le souhaitait, Gwendoline appréciait de pouvoir bouger et discuter avec les uns ou les autres. Depuis déjà plusieurs semaines, tous attendaient son passage avec impatience, pour pouvoir lui parler, sa voix, mais aussi sa sagesse et ses conseils étaient une petite bulle de bonheur dans une journée bien triste et monotone, mais ce qu’il leur faisait le plus de bien était son sourire, qu’elle distribuait sans rationnement depuis le départ de Honfleur.

Le temps était froid, le vent fort sans être en tempête, il soufflait de l’ouest, parfois un peu ouest-sud-ouest, leurs vêtements avaient séchés, le karv avançait vite. Elle avait appris ce mot, « karv ». Elle savait que c’était le bateau. Mais elle avait noté que les hommes l’utilisaient, comme un mot tendre, comme le nom d’une personne aimée, comme les chrétiens utilisaient un peu le mot dieu ou mon seigneur.

Ce matin-là, le jour était à peine levé, un cri fut entendu, un cri qu’elle identifia de suite comme un cri de joie pour celui qui l’avait poussée. Il le répéta plusieurs fois en criant de toutes ses forces.

— Terre ! Terre ! Avant tribord !

Plusieurs se précipitèrent sur le côté droit du karv. Elle se leva pour mieux voir. La terre était là, elle la voyait pour la première fois depuis plus d’un mois. Le temps était gris. Jörgen arriva tranquillement sur l’avant, il la frôla, pour monter et s’accrocher au cou du dragon, Gwendoline qui était en alerte en permanence se fit la réflexion qu’elle aurait pu lui prendre son couteau et le tuer, mais à quoi bon, pour faire quoi après. Il regardait dans la même direction que tous. Il observa un moment, Gwendoline s’appliquait à décrypter ce que son visage lui disait, c’était plus explicite que la langue qu’elle ne comprenait pas. Son large sourire lui laissa penser au bout d’un moment qu’ils arrivaient, elle en était sûre.

— L’île Mandø à tribord, l’île Fanø à bâbord, la barre un poil à tribord ! Nous sommes arrivés ! hurla-t-il.

— Des cris de joie, de liesse résonnèrent dans tout le bateau, les Vikings étaient d’un coup comme des enfants, se congratulant, sautant, se précipitant sur le plat-bord pour mieux voir la côte, au risque de tomber à l’eau. D’un coup, sans que rien ne le laisse pressentir, une clameur monta de l’équipage.

— Jörgen ! Jörgen ! Jörgen !

Jörgen était toujours en haut du cou du dragon, il riait lui aussi en encourageant ses guerriers.

— Jörgen ! Jörgen ! Jörgen !

Il escalada un peu plus haut le cou du dragon et harangua encore ses hommes.

— C’est qui le meilleur capitaine ?

— Jörgen ! Jörgen ! Jörgen !

— C’est qui le plus beau des bateaux ?

— Le karv ! Le karv ! Le karv !

— C’est qui la plus belle des femmes ?

— La mienne ! La mienne ! La mienne !

— C’est qui le meilleur capitaine ?

— Jörgen ! Jörgen ! Jörgen !

— Nous sommes riches ! Ce soir nous ferons la fête avec nos femmes !

— Jörgen ! Jörgen ! Jörgen !

Tous riaient et jouaient avec leur capitaine dans cette chanson improvisée.

Les prisonniers, tel que le ressentaient certains, les esclaves pour d’autres qui ne se faisaient plus d’illusion, regardaient ces scènes de liesse, alors qu’eux vivaient des moments terribles d’angoisses. Gwendoline ne se lamentait pas, elle se projetait vers les jours qui arrivaient et qui promettaient au moins un changement radical. Elle regardait ce rivage qui approchait maintenant, elle pouvait en distinguer la ligne du bord de mer, c’était une côte plate sans grand relief, des plages de sable étaient bien visibles, les premiers arbres étaient là, elle rêva de pouvoir monter dans l’un d’eux ce soir et d’enfin voir Gwams. Elle tentait de repérer un chêne, mais sans y arriver. Elle se leva un peu plus pour mieux voir, elle distingua nettement les deux îles, sur bâbord et tribord qui passaient le long du bord, le karv ne se dirigeait pas à son grand soulagement vers l’une d’elles, mais vers le rivage qui semblait plus appartenir au continent. Elle frissonna en pensant que sa destination aurait pu être une de ces deux îles, aurait-elle pu voir Gwams ? Sans doute que non, c’était maintenant évident pour elle.

 

Izild était dans la pièce principale lorsqu’Aodrene entra, elle avait la tête dans ses bras, penchée sur la table. Elle n’avait pas entendu la porte s’ouvrir, ni même se refermer. Elle n’avait pas senti le vent froid s’engouffrer dans la maison.

— Ça va Izild ? questionna Aodrene.

— Elle releva la tête, d’un coup comme en sursaut, surprise, ses yeux rougis, ne laissaient pas la place au doute, elle avait pleuré.

— Non ! Ça ne va pas ! hurla-t-elle. Je suis sans nouvelle de Gwendoline ! Depuis plus d’un mois ! Elle ne me fait plus le rêve d’elle ! Je n’arrive plus à la voir ! Il s’est passé quelque chose !

Elle avait crié, se remettant à pleurer. Aodrene se précipita pour la prendre dans ses bras, il ne l’avait jamais vu perdre son calme.

— Il y a peut-être une raison, ne panique pas, nous allons réfléchir.

— Non ! Non ! Je vais en forêt, il faut que je trouve Gwams !

Elle s’était levée d’un bond, bousculant Aodrene, qui se rattrapa à la table. Elle enfila une pelisse et sortit. Gwenaëlle et Corentin qui rentraient d’une promenade avec Nominoë et Vonie la regardèrent de loin partir en courant vers la forêt. Aodrene qui avait repris sa canne sortit de la maison, pour la rattraper, mais elle était déjà loin, il la vit entrée dans le sous-bois et disparaître à ses yeux. Il resta là sans pouvoir quitter la forêt des yeux.

— Que se passe-t-il ? demanda Corentin en arrivant à la porte de la petite ferme.

— Izild s’inquiète pour Gwendoline, elle n’a plus de nouvelle depuis des semaines.

— Ce n’est pas normal, Gwendoline lui en donnait tous les lundis !

— Je sais.

— Où est-elle partie ?

— Elle est partie trouver le korrigan de Gwendoline, je ne sais pas où dans la forêt.

— Je vais la rattraper, proposa Corentin, en partant.

— Non laisse la, elle a besoin d’être seule, dit-il en le rattrapant par la manche de son habit. Elle va revenir, elle connaît la forêt de Brocéliande.

 

Izild avançait à grands pas, elle s’enfonçait dans la forêt sans vraiment savoir où elle allait, après un bon quart d’heure, l’effort physique la ramena un peu à la réalité.

— Gwendoline m’a dit de suivre la petite rivière jusqu’à sa source, Gwams y sera. Elle bifurqua sur la gauche pour trouver la rivière, puis se mit à la remonter.

Ses pensées étaient alternativement tournées vers Gwendoline et Gwams, elle devait le trouver, mais comment faire ? Elle n’eut pas longtemps à marcher, le fait de penser à lui, lui avait envoyé le signal qu’il était capable de recevoir. Gwams lui sauta sur l’épaule.

— Ho ! Gwams ! Tu m’as fait peur !

— Je t’appelle depuis un moment, en te suivant, mais tu ne m’entends pas !

Izild s’était arrêté, elle s’assit sur une souche, Gwams se laissa glisser sur ses genoux, il la regardait, sa main caressait la sienne. Il savait la douleur qu’elle avait, il sentait son angoisse, cette peur qui l’étouffait. Izild leva les yeux pour le regarder.

— Gwams, as-tu des nouvelles de Gwendoline ? finit-elle par demander en faisant un effort.

— Non, je n’en ai plus, je n’arrive plus à la voir, je ne comprends pas.

— Elle est morte !

— Non ! Elle n’est pas morte ! Je le sais, je l’aurais ressenti, dit-il avec force.

— Tu es sûr ?

— Oui, la mort laisse des traces. Je suis son korrigan amoureux, j’aurais eu une douleur immense dans mon cœur, je serais peut-être même mort de cette douleur, c’est une des rares possibilités de mourir pour nous les korrigans. C’est le risque de tomber amoureux d’une humaine.

Izild arriva à sourire de ce que lui disait Gwams.

— Mais alors pourquoi ne répond-elle pas ?

— Je ne sais pas Mam Izild, il faut attendre.

— Je ne peux plus attendre, je ne respire plus, je ne dors plus, j’ai mal Gwams !

— Je sais Mam Izild, moi aussi j’ai mal, j’ai cherché à te parler pour te rassurer, mais tu es tellement nerveuse que je n’ai pas pu, ton esprit n’est pas disponible.

— C’est la première fois que je ne me maîtrise pas, c’est la première fois que j’ai peur pour ma fille, pour ma petite Gwendoline.

Gwams lui caressait la main, il laissa passer un peu de temps.

— Je la cherche tous les soirs, du haut de notre chêne, c’est l’endroit le plus puissant pour la transmission des esprits, mais je n’arrive même pas à la sentir, comme si elle avait disparu.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je ne sais pas je n’ai jamais connu un tel phénomène.

— Elle est peut-être blessée, très faible !

— Non ! Si c’était le cas, je la sentirais, mais je n’arriverais pas à entrer en communication avec elle, il faut qu’elle soit réceptive et suffisamment forte.

— Tu me rassures un peu, mais je ne comprends pas, pourquoi elle ne répond pas ?

— Mam Izild, tu vois là en ce moment en pleine journée, je devrais pouvoir sentir la présence de son esprit, sans pouvoir lui parler, car elle ne peut communiquer en plein jour. Elle est forte, car elle y arrive le soir lorsque le soleil se couche, normalement, les humains il faut qu’il fasse nuit pour que vous en soyez capable. Non Mam Izild il faut attendre, mais il faut aussi que tu te calmes, même moi je ne peux pas me connecter à toi, alors Gwendoline ne pourra pas, et si j’ai des nouvelles, je ne pourrais pas te le dire.

— Je sais que je ne pourrais pas me calmer, je n’y arrive pas. Les prochains jours, le matin, comme maintenant je vais venir dans la forêt, ici près de la rivière, comme ça tu me diras si tu as des nouvelles.

— D’accord Mam Izild. Si j’ai des nouvelles, je viendrais te les dire. Non ! Je viendrai pour te parler, même si je n’ai pas de nouvelles.

— À demain Gwams, dit-elle tristement en se levant.

Gwams se mit sur son épaule et lui donna un baiser sur la joue, puis il sauta sur l’arbre le plus proche. Izild repartait. Gwams la regarda, il avait mal en lui, mais il avait aussi mal en la regardant partir, sans avoir pu vraiment la rassurer, comme il aurait voulu le faire.

Izild arriva à la ferme des fées, elle ouvrit la porte.

Elle avait réfléchi en chemin, à ce que lui avait dit Gwams, elle se sentait mieux, il y avait un espoir, elle n’est pas morte, il me l’a dit !

— Izild, comment vas-tu ? l’accueillit Yseult.

— Elle prit le temps de s’asseoir.

— J’ai vu Gwams, il n’a pas de nouvelle de Gwendoline, mais il m’a affirmé qu’elle n’est pas morte, il le saurait, il a été catégorique, elle n’est pas morte !

— Bon c’est bien, nous allons devoir attendre. C’est dur, mais il faut attendre, affirma Yseult.

— Je peux retourner à Barfleur, avança Corentin.

— Non pas maintenant, nous allons attendre, fit Izild. Mais si dans un mois nous n’avons pas de nouvelle, il faudra se poser la question.

— Ce sera l’hiver ! Il serait mieux que je parte maintenant.

— Non ! Attendons, Gwams m’a dit qu’il fallait être patient.

 

— Affaler la voile ! Paré aux rames !

L’activité fébrile venait d’un coup de changer de ton, l’action reprenait ses droits. La voile fut descendue, les Vikings remettaient les esclaves aux rames, certains reprenaient des coups, mais très rapidement chacun comprit ce qu’il devait faire.

— Nager ! Nager !

Gwendoline n’y tenant plus s’était relevé pour la quatrième fois, pour regarder devant. Le karv s’enfonçait dans l’estuaire d’un fleuve, l’odeur de la mer faiblissait, les senteurs de la terre reprenaient le dessus petit à petit. Après de longues minutes d’observation, sans voir un seul chêne, elle s’assit près d’Aure.

— Je pense que nous serons arrivés avant la nuit, le fleuve n’est pas très large, il se rétrécit déjà, il ne doit pas pouvoir être remonté sur des lieues.

— J’ai peur Gwendoline, que va-t-il se passer ?

— Nous sommes des esclaves, nous allons être vendues !

— Et après ?

— Ça va dépendre de l’homme qui nous achètera, nous devrons travailler aux champs où dans sa maison.

Gwendoline passa sous silence le fait qu’elles seraient à sa merci, violées ou prostituées pour lui rapporter de l’argent.

Le karv remonta la rivière Ribe toute la matinée, un peu avant midi, des cris se firent entendre, de l’extérieur du bateau, les Vikings leur répondaient en riant. Gwendoline se leva. Des enfants couraient à côté du karv, ils le suivaient, ils étaient nombreux. Elle regarda plus loin sur l’avant, il y avait une boucle du fleuve, mais au-dessus des arbres sur la droite il y avait un village, elle le regarda un moment, puis s’assit.

— Nous sommes arrivés, lâcha-t-elle.

Le karv déboucha de derrière la rangée d’arbres, une ovation se fit entendre, des centaines de personnes probablement, Gwendoline ne se montra pas, il ne fallait surtout pas se faire remarquer

— Tenir bon nager ! cria Vigø.

Les hommes jetèrent des cordes par-dessus bord, les rames étaient rangées dans le bateau, la foule criait à l’extérieur, deux Vikings posèrent la passerelle, Jörgen s’avança dessus.

— Jörgen ! Jörgen ! scandait la foule sur le quai.

Il sortit, discuta un moment sans qu’elle ne puisse comprendre le moindre mot, puis il remonta à bord.

— Nous allons faire la parade, dit-il, préparez-vous.

— Debout ! Debout !

Elles comprirent rapidement aux gestes employés et se levèrent sans les faire attendre pour ne pas se faire frapper, un viking passa leur mettre une corde autour du cou, elles étaient classées par ordre de beauté, Jörgen faisait le tri lui-même, elles se trouvaient toutes attachées à la précédente et à la suivante, il en fut fait de même avec les hommes, qui eux étaient visiblement classés pour leur corpulence, leur force physique apparente. La beauté et la force physique, les deux critères qui les qualifiaient et les résumaient, ils n’étaient plus que cela !

Gwendoline se retrouvait à être la première femme, elle fut attachée au dernier homme. C’était Léon, il n’était pas très charpenté, juste costaud pour son âge, mais il était très jeune, à peine douze ans. Cette longue file fut amenée sur le quai. Les jeunes hommes et femmes marchaient difficilement pour descendre du bateau, qui bougeait avec les mouvements des gens à bord, beaucoup trébuchaient, tombaient même, tirant leurs collègues d’infortune par la corde qui leur enserrait le cou.

L’humiliation était totale, tous baissaient la tête, Gwendoline se sentait comme un vulgaire animal, comme du bétail. La violence de ce sentiment lui fit mal dans le plus profond de son ventre, elle en avait le souffle coupé, elle cherchait sa respiration autant par l’effet de la corde autour de son cou, que par l’angoisse de la situation. Les Vikings apportaient également les sacs contenant leur butin. Tous se rassemblèrent en une longue file sur le quai de bois.

 

 

 

 

 

2

La sorcière

 

 

 

Une fois que tout fut rassemblé, Jörgen donna l’ordre d’avancer, Fulbert tenait la corde qui menait les esclaves derrière lui.

Jörgen avançait fièrement à la tête de sa colonne, formée de son équipage et des esclaves, les hommes de l’expédition portaient les coffres et les sacs qui contenaient le butin de l’expédition, Vigø marchait après, Fulbert ensuite.

Gwendoline regardait partout, elle savait qu’elle devait s’enrichir de tout ce qu’elle voyait, pour pouvoir mieux réagir en cas de besoin. Elle se trouvait visiblement dans un village de belle taille, une petite ville, plus de sept cents personnes devaient être là à les regarder, c’était difficile d’estimer cette foule et peut-être qu’ils n’étaient pas tous là en ce moment, ce qui était possible.

Tous les villageois présents s’étaient spontanément attroupés dès l’apparition du karv dans le fleuve, maintenant ils se dirigeaient vers le centre du village, il n’y avait pratiquement pas de relief, Gwendoline s’en fit la remarque, ce n’était pas comme en Bretagne où sur les côtes de la Manche du côté de Barfleur, aussi loin que pouvait porter son regard elle ne voyait pas de colline, ou de petite bute, tout était plat. Seules les constructions de la ville donnaient une impression de hauteur dans le centre par rapport au bord de la rivière Ribe, qui accentuait le manque de relief. Les habitants formaient comme une haie d’honneur pour les hommes qui revenaient victorieux, les coffres et les sacs étaient observés à la va-vite, ce qui retenait l’attention était les esclaves, Gwendoline pouvait voir principalement les hommes, commencer leur marché, certains s’approchaient, presque à la toucher, elle évitait leurs regards. Une immense boule lui bloquait la gorge, elle sentait le stress la prendre, elle fit un effort pour maîtriser ses émotions, elle se forçait à respirer calmement. La foule de gens les regardant était partout, tout le long du chemin, un peu plus loin, mais surtout devant, vers où ils se dirigeaient.

La procession dura de longues minutes. Ils arrivèrent sur une sorte de place de village, les maisons en bois étaient là autour. Ces maisons ne ressemblaient en rien aux maisons de Bretagne ou de Neustrie, c’était quelque chose qu’elle n’avait jamais vu, de grandes maisons rectangulaires, immenses, pour certaines, elle pouvait en voir plusieurs orientées sans logique apparente, de tailles différentes et plus ou moins décorées. Elles étaient toutes faites en bois, pas une seule belle maison en pierre, certaines plus petites étaient presque enterrées dans le sol, seul dépassait le toit en chaume bien souvent, lorsqu’elles n’étaient pas entièrement recouvertes de végétation, disparaissant presque. Mais celles qui attiraient le plus son attention furent ces longues maisons, assez hautes, avec un toit un peu arrondi, en chaume ou en bois. Les murs avaient cette ossature en rondin de bois, avec du torchis pour le remplissage des murs, mais ce qui était inhabituel, c’était tous ces troncs de bois qui semblaient soutenir les murs, pour qu’ils ne s’écroulent pas.

Les gens qui les entouraient étaient vêtus comme les guerriers qui les avaient enlevés, les longues robes des femmes étaient faites d’une grosse toile dans des tons écrus, peu de couleurs vives. Les tenues de femmes esclaves devaient les surprendre, plus fines, plus légères, plus colorées. Elles arrivaient dans leurs tenues du dimanche, celles qu’elles portaient pour aller à la messe, comme si elles s’étaient apprêtées pour leur rendre visite, Gwendoline sourit à cette pensée stupide. Bien sûr leurs tenues en avaient perdu, elles les portaient depuis leur capture, elles avaient fait le voyage avec dans le fond du bateau pour le plus gros du temps passé. Ces tenues n’étaient pas adaptées à ce climat d’un pays du nord, ils avaient tous froid depuis des semaines.

Jörgen s’arrêta au centre de la place, il fit signe pour que les richesses soient étalées sur plusieurs tables en bois, il fit aligner les esclaves, juste en face des tables. Fulbert passa d’esclave en esclave pour enlever la corde autour de leur cou, pour faciliter la vente, sans doute. Jörgen supervisait la mise en place, allant de droite à gauche ou revenant pour modifier la position de la file d’esclaves, ou d’autre chose. Il arborait un large sourire qui ne laissait pas de toute sur son bonheur.

— Les esclaves doivent mettre leurs mains sur leur tête, annonça-t-il d’une voix forte qui n’autorisait pas de réplique. Comme personne ne semblait comprendre, Vigø mima ce qu’ils devaient faire. Tous s’exécutèrent à contrecœur, mais sans aucune intention de se rebiffer.

Jörgen passa devant ses esclaves, avec un sourire satisfait. Gwendoline nota son plaisir évident, il était heureux, comblé, avec ce même visage qu’elle lui avait vu lorsqu’il s’était relevé après le viol d’Aliénor, il est sur un nuage de bonheur, pensa-t-elle.

— Cette position met en valeur vos jeunes poitrines, les filles, montrez-vous belle, c’est votre intérêt à vous aussi d’avoir le meilleur parti. Toi montre ta force, dit-il en se tournant vers un homme qui courbait le dos. Il parlait, mais les esclaves ne pouvaient le comprendre, Gwendoline faisait des efforts, depuis le premier jour, mais cette langue était vraiment difficile, elle n’attrapait qu’un mot de temps en temps, elle ne pouvait deviner le contenu de la conversation. De plus le stress qui la prenait en ce moment ne l’aidait pas à comprendre le moindre mot.

 

Un homme plus âgé s’avança, elle reconnut le chef du village, ou peut-être le père de Jörgen, non, se dit-elle, il ne se ressemble vraiment pas, ce doit être le chef, il avait félicité Jörgen, c’est lui qui lui avait donné la première accolade sur le ponton. Il s’approcha de la table, regarda les pierreries, étoffes, et objets déposés, son visage reflétait la satisfaction, il soupesa une épée, puis la reposa, il fit de même pour plusieurs armes, puis il prit une dague richement décorée.

— Jörgen, je réserve celle-là !

— Prends-la, elle est à toi.

Il se dirigea ensuite vers les esclaves, il les inspecta comme on regarde des bestiaux que l’on envisage d’acheter, Gwendoline prit soin de ne pas le regarder en face, il arriva au bout de la colonne.

— Oui tu as ramené de belles choses, Jörgen, je vais me porter acquéreur, dit-il en se retournant pour indiquer ses choix.

Il arriva lentement vers Gwendoline, il lui prit le menton et la força à le regarder. Ses yeux bleus brillaient malgré elle, sa belle chevelure rousse était sale et pas peignée, mais elle restait belle. Elle pouvait voir son désir dans son regard.

— Celle-ci est magnifique !

Il lâcha son menton pour laisser descendre sa main entre ses deux seins, sur son ventre, pour enfin s’arrêter sur sa hanche. Sa fine robe partiellement déchirée par endroit laissait deviner sa féminité, l’homme d’un certain âge la dévorait des yeux.

Il est vieux et laid, pensa-telle, c’est un cauchemar, il faut que je trouve une issue !

— Oui Jörgen je réserve cette petite beauté, elle sera mienne ce soir !

— Je te la réserve, fit Jörgen en éclatant de rire.

— Un instant ! tonna une voix forte de femme.

Tous se retournèrent, Gwendoline tourna la tête pour voir arriver une vielle femme aux cheveux gris délavés, un peu hirsute, habillée dans des haillons, elle était légèrement voûtée, mais paraissait encore grande. Sa démarche était celle d’une vieille, elle marchait lentement, comme si cela lui était pénible.

— Sigurd, je trouve surprenant que tu oublies mon droit de primauté, déclara-t-elle d’une voix autoritaire.

— Non Brunhilde, nous discutions simplement, nous allions t’appeler, mais j’ai financé cette expédition, j’ai aussi des droits.

— Je doute que tu aies pensé à moi, tu as des droits je suis d’accord, mais ils passent après les miens, dit-elle en arrivant juste devant lui, avec un sourire mauvais.

La vieille femme était presque aussi grande que lui, malgré ses épaules qui se voûtaient un peu. Gwendoline la regardait, elle voulait la comprendre. Cette femme était importante, elle parlait avec autorité, et le chef qui semblait tout puissant l’instant d’avant faisait maintenant profil bas.

Les deux hommes s’écartèrent respectueusement pour la laisser passer, Gwendoline n’avait rien loupé de cet échange, elle n’avait pas pu comprendre la teneur du dialogue, mais il marquait une hiérarchie forte, Sigurd était le chef incontesté du village, elle l’avait noté à l’arrivée du bateau, Jörgen était un chef d’expédition avec un certain pouvoir, et une forte reconnaissance, il était autoritaire, puissant, personne ne l’avait contesté durant la traversée, son équipage l’avait ovationné plusieurs fois, mais cette femme avait un statut au moins égal, ce devait être une sorcière ou quelque chose comme ça. Elle devrait en apprendre davantage sur elle, elle décida de l’observer attentivement.

La vieille femme s’arrêta, elle regarda vers le ciel, Gwendoline en fit autant pour voir ce qui retenait l’attention de la sorcière. Un corbeau faisait des tours dans le ciel, puis il descendit, jusqu’à venir se poser sur son épaule. Le corbeau tourna sa tête en tous sens, pour regarder les gens, qui baissaient les yeux lorsque l’oiseau les fixait. Son regard passa sur Gwendoline, sans que cela la trouble le moins du monde. Le corbeau la fixa un instant avant de poursuivre son inspection.

La vieille se dirigea vers les tables où avaient été déposés les objets, elle ne s’attarda pas, bien que son pas lent puisse laisser penser qu’elle regardait attentivement. Elle arriva devant les esclaves mâles, elle se planta devant le premier homme, plutôt bien charpenté pour son âge, elle le regarda intensément, il ne put soutenir son regard, par trois fois il baissa les yeux, elle se tourna et poursuivit son inspection avec les autres hommes, sans qu’aucun ne retienne son attention, elle arriva devant Gwendoline, celle-ci la regarda sans forcer son regard, simplement avec curiosité, la vieille en faisait autant, mais avec cette force du regard qui vous pénétrait. Gwendoline arborait un petit sourire.

Je sais qui tu es, se dit-elle. Je sens ta puissance, je reconnais l’esprit d’une fée juste à côté de moi, mais pas toi, tu ne sais rien de moi.

Brunhilde fit mine de passer à la fille suivante, mais se ravisa et revint devant elle.

— Tu n’as pas peur de moi ?

— Non ! fit Gwendoline qui pensait avoir compris sa question.

— Pourquoi ?

Gwendoline secoua la tête pour faire comprendre qu’elle ne comprenait pas.

La vieille femme la regarda un moment, puis elle passa ensuite aux femmes suivantes s’attardant parfois sur une, elle arriva au bout de la file d’esclaves.

— Tu vois ces filles ne peuvent t’intéresser, elles sont bien trop jolies pour être des sorcières. Jörgen ria de sa plaisanterie, mais son rire s’arrêta net lorsqu’il vit le regard mauvais de la vieille femme.

— Veux-tu dire que je suis laide ? Que toutes les sorcières sont hideuses ?

— Non ! Non, je n’ai pas voulu dire cela, je parlais pour ces filles.

— Oui sans doute, dit-elle non convaincu. Elle se détourna et repartit vers le bout du village dans le contre bas, là d’où elle était apparue, au bord de la rivière dans le petit bois.

— Brunhilde, peux-tu renoncer publiquement à ton droit de primauté, que je puisse faire mon commerce ? Ce serait plus simple, l’interpelle Jörgen.

La sorcière se retourna, le toisa du regard, elle fit les quelques pas qui la séparaient de lui, pour se planter juste en face.

Il baissa les yeux, la sorcière se tenait toujours devant lui, il voyait ses pieds, elle n’avait pas bougé. Il n’osait relever son regard de peur de croiser le sien. Après un moment assez long tout de même, il releva les yeux et tenta un regard vers elle, à sa grande surprise elle ne le regardait plus, elle avait les yeux fermés, elle était comme figée.

Brunhilde avait ressenti un très faible appel au fond de son esprit, connaissant bien ces signaux, elle avait promptement clos ses yeux pour tenter de voir ce qui n’était visible que de l’esprit, elle s’était plongée dans cet état de méditation profonde qui lui permettait de rentrer en communication avec toute sorte d’esprits, les morts, bien sûr, mais aussi certains animaux, assez rarement des humains, mais cela lui était déjà arrivé.

 

— Qui es-tu ? Pour venir me visiter ainsi ?

— Je suis Gwendoline, une des esclaves que tu viens de voir.

— Comment se fait-il que tu aies pu te connecter à mon esprit sans me connaître ?

— Je suis une groac’h de Brocéliande.

— Brocéliande, dis-tu, je connais ce nom, d’une contrée lointaine, peuplée de fées et de Korrigans. Mais je ne connais pas le mot groac’h.

— C’est cela, je suis une fée, une groac’h dans ma langue natale.

— Hum ! Oui te voilà, je te vois maintenant, ta magie est forte, tu es puissante pour ton âge, je te félicite, tu es belle, voilà donc pourquoi tu n’avais pas peur de moi.

— Je voulais te regarder, pour te connaître, pour pouvoir te parler, je m’excuse pour mon impertinence.

— Tu es pardonnée, j’aime ton audace, peux-tu me guider jusqu’à toi les yeux fermés ?

— Oui, je vois tes pieds d’ici, je vais t’attirer vers moi.

 

Dans la communication d’esprit à esprit, il n’y avait pas de langage, pas de barrière de la langue, Gwendoline pouvait ainsi lui parler et la comprendre sans effort.

 

Tous avaient remarqué l’état de la sorcière, personne ne pouvait l’interrompre, cela aurait été très risqué, pour l’importun.

Ils la virent tous pivoter lentement et commencer à marcher très doucement, comme un aveugle qui tâte le sol du pied, avant de le poser. Elle remontait doucement la file d’esclaves. Sa marche était comme au ralenti, mais elle ne trébuchait pas, elle était comme guidée par une force obscure. Elle arriva devant Gwendoline et se tourna doucement vers elle, elle ne bougeait plus.

 

— Tu es arrivée, lui fit remarquer Gwendoline.

— Je le sais, j’ai plaisir à être en connexion avec ton esprit, je profite de cet instant magique, qui va s’interrompre dès que je vais ouvrir les yeux.

 

Il se passa quelques minutes avant que Brunhilde ouvre les yeux. Gwendoline était devant elle les yeux encore fermés.

 

— Regarde-moi Gwendoline !

 

Elle ouvrit lentement les yeux. La tête lui tourna un peu, elle vacilla, l’effort mental pour guider la sorcière l’avait épuisée. La vieille femme lui prit le bras pour la soutenir. Elle la tint un instant, le temps qu’elle sente la jeune fille plus solide sur ses jambes. Leurs yeux s’accrochèrent, Gwendoline était lasse, épuisée, elle ne put contrer ce regard qui tentait de la pénétrer. Mais Gwendoline se ressaisit très vite, elle connaissait cette intrusion, sa mère lui avait enseigné, la sorcière tentait d’entrer en elle pour visiter son esprit et découvrir qui elle était. Elle tentait de la dominer ! Malgré sa fatigue, elle se raidit et commença à lutter contre ce regard intrusif, rapidement elle stoppa son avancée, puis commença à le repousser. Gwendoline utilisait pour la première fois, en situation réelle, cet enseignement, elle fut surprise de la facilité qu’elle avait pour contrer la vieille femme. Elle savait aussi qu’il lui fallait faire totalement ressortir son regard d’elle, sans quoi elle ne pourrait détourner le regard, ou le lui faire détourner, ce serait mieux de prendre l’ascendant sur elle, pensa-t-elle.

Le combat mental dura un instant, comme suspendu dans le temps, tous autour regardaient les deux femmes sans comprendre ce qui se passait, mais aucun ne pouvait s’aventurer à interrompre la sorcière, ils regardaient.

Sigurd et Jörgen s’étaient reculés, ils se doutaient qu’une lutte était engagée entre elles deux. Gwendoline avait repoussé, le regard, mais pas de façon totale pour pouvoir se libérer, elle ressentait les efforts de la sorcière, qui faiblissait par moment, mais elle sentait aussi une fatigue monter, elle redoubla d’efforts pour la repousser totalement, elle devait maintenant se libérer rapidement, ses forces faiblissaient. Tous pouvaient voir les deux femmes trembler, de plus en plus fortement, c’était comme un bras de fer entre deux hommes de forces équivalentes, plus un bruit n’était perceptible, tous retenaient leur souffle, ils n’avaient jamais vu cela, leur sorcière mener un combat de cette intensité, devant tout le village réuni, Gwendoline ressentit cette pensée de la sorcière, elle ne pouvait pas perdre ce combat, sa réputation en souffrirait, elle serait discréditée, anéantie. Gwendoline la sentait trembler plus qu’elle, elle sentait aussi son énergie diminuer, mais moins que la sienne.

C’est pour cela qu’elle m’a demandé de la guider les yeux fermés, pour me fatiguer, pour que je sois une proie plus facile, elle m’a piégée, je n’ai pas été suffisamment méfiante, Gwendoline faiblissait malgré ses efforts, elle sentit que le regard de la sorcière recommençait à gagner du terrain, elle s’enfonçait en elle très lentement, mais elle progressait, elle le savait, elle tenta un ultime effort, pour la repousser, mais en vain, la sorcière prenait le dessus sur elle, et de plus en plus rapidement, ses forces l’abandonnaient. Dans un ultime accès de rage, devant l’humiliation qu’elle ressentait, elle rassembla toutes ses forces, pour la repousser, elle commença à gagner du terrain, la faisant enfin reculer nettement, puis plus doucement. Elle se retrouva encore bloquée devant un mur infranchissable.