Lorient l'interdite - Anne-Soizic Loirat - E-Book

Lorient l'interdite E-Book

Anne-Soizic Loirat

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Beschreibung

La disparition d'une jeune orpheline en région lorentaise.

Difficile de se retrouver dans une ville inconnue… C’est ce que se dit Daniel Delage, inspecteur de police, qui arrive à Lorient en ce beau dimanche de septembre afin de rejoindre sa nouvelle affectation. A peine a-t-il pris ses fonctions que le commissaire Robic lui présente son nouveau partenaire, l’inspecteur Michel. Tels le feu et la glace, le duo est détonnant ! Mais, faisant fi des petites contrariétés, la nouvelle équipe se penche sur la disparition d’une jeune orpheline… Cependant, très vite, plusieurs questions restent en suspens : l’inspecteur Delage est-il vraiment celui qu’il prétend être? Quels étranges secrets se cachent derrière la froideur de son partenaire ? Quels trafics se trament au sein de ce commissariat ? C’est sous un ciel lorientais chargé de mauvais augures que les deux inspecteurs vont devoir faire la lumière sur cet imbroglio de pistes suspectes où meurtres et disparitions règnent en maîtres…

Découvrez ce polar breton, suivez pas à pas les investigations d'un duo policier détonnant, et plongez dans un imbroglio de pistes suspectes, de meurtres et de disparitions !

EXTRAIT

Le bruit de la douche ramena la jeune fille à la réalité. Par automatisme, Catherine regarda l’heure qu’affichait l’écran à cristaux liquides de la chaîne stéréo : 16 heures 10. Mon Dieu que le temps passait vite. Où avait-elle la tête? Sa fugue de La Caserne ne durerait pas toujours et il fallait mettre à profit chaque minute pour retrouver Chris ! Elle s’en voulut d’avoir perdu sa journée au lit avec Émilio… Aussi agréable fût-elle! Elle ne put cependant réprimer le demi-sourire qui étira ses lèvres à l’évocation dudit souvenir. Muée par une soudaine énergie, elle sortit de dessous les draps et se précipita vers son sac à dos. La petite poche centrale ouverte, elle en retira son portefeuille.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Née à Nantes en 1973, Anne-Soizic Loirat, illustratrice BD et graphiste publicitaire, a toujours souhaité partager avec les autres les folles histoires qui lui passaient par la tête. A la fin de ses études, elle travaille pendant 7 ans à Lorient. C’est durant ce séjour dans le Morbihan qu’elle écrit Lorient l’Interdite.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

- À Philippe et Luc-Alexandre, je vous aime.

- À ma famille.

- À ma sœur…

I

Le ronronnement régulier qui emplissait la salle des machines s’était tu au moment même de l’explosion. C’était à cet instant-là aussi que les lumières s’étaient éteintes et, depuis qu’avait commencé le règne de l’obscurité, la fillette était restée immobile, paralysée par la peur qui l’habitait.

Si elle avait pu prévoir le drame, elle serait demeurée sur le pont supérieur de ce paquebot qui voguait vers la France plutôt que de se hasarder ici. Elle se serait blottie tout contre Maman et aurait joué avec ses boucles brunes.

La fillette sentit des larmes lui piquer les yeux. Maman…

Loin devant elle, brillait une mystérieuse lumière qui dansait et virevoltait, exécutant l’originale chorégraphie d’un étrange ballet. Des flammes… Oui, c’était sûrement un incendie qui se propageait là-bas. Déjà, il léchait les structures du bâtiment. Plusieurs flammèches s’envolaient régulièrement du foyer central pour se multiplier plus avant. Petit à petit, avec une application soignée, l’incendie gagnait du terrain, détruisant tout sans la moindre pitié.

L’enfant ne bougeait toujours pas, prisonnière de ses craintes. D’ailleurs, qu’aurait-elle fait face au sinistre ?

Elle y réfléchissait lorsque l’une des passerelles s’effondra dans un fracas métallique. Presqu’aussitôt, un hurlement s’éleva à travers les ténèbres.

Puissant, aigu, il se répercuta contre les murs avec une violence extrême. Un hurlement que la fillette aurait qualifié d’inhumain s’il ne lui avait pas semblé, soudain, familier…

— Johnny ! cria-t-elle en se levant brusquement.

Rien.

Johnny avait crié… hurlé. Puis plus rien. Rien d’autre que le crépitement du brasier et la sirène d’alerte, stridente, oppressante, implacable.

— Johnny, Johnny !

Elle l’appela en vain et, comme la toute première fois, le jeune garçon, de deux ans son aîné, ne répondit pas. Pourtant, c’était ensemble qu’ils s’étaient aventurés ici pour leur partie de cache-cache quotidienne. C’est vrai que ce lieu offrait de merveilleuses cachettes, aussi multiples qu’insoupçonnées. Bien sûr, il était interdit aux passagers de venir s’amuser dans la machinerie, mais il n’y avait rien de plus attrayant que les plaisirs défendus…

Mais leur partie de cache-cache tournait au cauchemar. Pourtant tout avait si bien commencé…

*

— Je dois demander la permission à mes parents, avait-elle déclaré en se tournant vers John.

Le garçon avait aussitôt acquiescé et, si cette remarque l’avait surpris, il ne l’avait pas montré.

La permission…

C’était une notion toute nouvelle pour la petite fille. Avant, elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait, dans la limite du “raisonnable”… De temps à autre, sa mère la sermonnait : elles n’avaient pas toujours le même point de vue sur les événements !

Mais depuis un peu plus d’un mois, beaucoup de choses avaient changé. Ses parents lui recommandaient avec gravité de ne commettre aucune imprudence. Ils souhaitaient toujours savoir ce qu’elle faisait, avec qui, à quel endroit, et elle devait continuellement rester aux côtés de Juan, son garde du corps.

En y repensant, cette nouvelle attitude datait du jour où Nougat, son poney, était tombé et qu’il était mort. Le jour de l’accident d’Eva.

Eva, la fille de l’ambassadeur d’Argentine, avait accompagné son père à Rio où tous deux devaient séjourner quelque temps. Les deux fillettes, d’âge égal, s’entendaient à merveille. Cet après-midi-là, alors que les adultes discutaient politique et relations internationales, Eva avait monté Nougat.

Quand le poney était tombé, il l’avait entraînée avec lui et Eva s’était cassé le bras droit. Le docteur avait déclaré qu’elle avait eu beaucoup de chance…

Après le départ d’Eva et de son père, l’atmosphère qui régnait au sein de l’ambassade de France était devenue tendue. Tout le monde semblait à l’écoute de la moindre fausse note.

Son père passait des heures plongé dans la lecture d’un de ses dossiers. Le plus épais que la fillette ait jamais vu ! Parfois, elle demandait de quoi il parlait, et son père répondait que ce n’était rien d’important, mais elle savait qu’il ne disait pas la vérité… D’ailleurs, quand il en discutait avec Maman, ils avaient constamment un air grave et parlaient à voix basse.

D’autres événements inhabituels survinrent les derniers jours. La fillette savait qu’il y avait un lien avec le fameux dossier. Sa mère la grondait lorsqu’elle se sauvait pour jouer avec ses copains dans la rue en dehors de l’ambassade et son père insista sévèrement pour qu’elle cesse de fausser compagnie à Juan.

Depuis qu’ils avaient embarqué sur le Neptune, ses parents et elle étaient seuls. Ici, ils ne craignaient rien, avait dit Papa. Alors on avait remercié les gardes du corps de l’ambassade.

Maintenant, ils n’étaient plus que tous les trois… comme une famille normale.

Mais la tension nerveuse de ses parents n’avait pas totalement disparu. Et, cet après-midi, lorsque, en compagnie de John, la fillette les rejoignit sur le pont supérieur du paquebot, elle les trouva près de la piscine, son père lisant une fois de plus l’épais dossier qui ne le quittait plus.

*

Le soleil chaud inondait de sa lumière le pont supérieur du Neptune. Le paquebot voguait à vive allure sur l’Océan Atlantique et menait tous ses passagers vers la France.

La route était longue depuis le Brésil, mais les clients tuaient le temps en participant aux diverses activités préparées à leur intention.

Lorsqu’elle arriva sur le pont, la fillette chercha parmi les nombreux couples qui bronzaient, allongés sur les transats de bois blanc, où se trouvaient ses parents. Elle les repéra bientôt, non loin de la piscine. Maman enduisait le dos de Papa avec de la crème solaire. Il fallait dire qu’avec sa peau si pâle d’européen et ses cheveux couleur des blés, Papa était sujet aux coups de soleil…

La fillette s’approcha d’eux. Elle contourna une petite table sur laquelle deux verres vides étaient abandonnés, avant de les rejoindre.

— Maman, puis-je jouer à cache-cache avec John, s’il vous plaît ? demanda-t-elle. Je vous promets d’être sage…

La femme releva la tête vers le jeune garçon qui se tenait un peu en retrait de sa fille. Il avait l’air timide et emprunté, ce qui la fit légèrement sourire. Son visage s’illumina de tendresse alors qu’elle reportait son attention sur la fillette blonde. Les cheveux de son père, le portrait de sa mère… Beaucoup de leurs amis cariocas avaient plaisanté à sa naissance en leur disant qu’ils ne pouvaient pas la renier !

— Bien sûr ma chérie, répondit-elle avec douceur. Mais faites attention, tous les deux, de ne pas déranger les gens en vous chamaillant, reprit-elle d’une voix plus ferme.

— Nous ferons attention, Maman, promit la fillette avant de faire volte-face.

— Attends une seconde, la retint sa mère.

D’un geste maternel, elle recoiffa les fins cheveux dorés et disciplina la mèche rebelle qui barrait le visage de sa fille.

— Va maintenant…

L’enfant ne demanda pas son reste et rejoignit John.

La jeune femme les regarda s’éloigner en courant vers la passerelle qui menait au pont Corail.

Elle versa à nouveau un peu de crème solaire au creux de sa main et l’étala délicatement sur la peau de son mari.

— Attention ! C’est froid… gémit Charles.

Depuis le début du voyage, il avait passé son temps plongé dans l’épais dossier qu’il devait impérativement présenter dès son arrivée à Paris. Son statut de diplomate ne lui permettait aucune négligence quant à ce genre d’affaire.

Pourtant, la présence de Julia à ses côtés ne l’encourageait guère à poursuivre son travail.

— Où est ta fille ? demanda-t-il en passant ses doigts dans les boucles brunes de sa femme.

— C’est la tienne également… renchérit Julia. Elle est en train de jouer avec ce jeune garçon qui la suit partout.

— Encore un qu’elle mène à son gré et qui acquiesce à ses moindres désirs… soupira Charles.

Il déposa un léger baiser sur les lèvres de son épouse et lui murmura à l’oreille :

— Le digne portrait de sa mère…

Julia sourit et ses joues rosirent sous son teint hâlé.

— Il va falloir que je trouve le temps de surveiller ses fréquentations lorsque nous serons en France et que toute cette histoire sera finie… poursuivit Charles.

*

Pour la première fois, la petite fille regretta l’absence de Juan. Lui aurait su quoi faire face à une telle situation. Elle s’approcha de la fournaise et, avec précaution, avança vers la passerelle qui s’était écroulée. Son sentiment de peur allait crescendo à mesure que la distance qui la séparait du foyer diminuait, mais Johnny avait hurlé et le cri provenait de cette direction. Avec obstination, elle poursuivit son chemin. La fumée lui brûlait les yeux et la gorge. On n’y voyait pas à un mètre. Tout était devenu noir, la fumée âcre et épaisse qui envahissait peu à peu tout le secteur, plongeait cette partie du bâtiment dans une semi-obscurité.

Elle avait essayé de s’échapper et tenté à plusieurs reprises d’atteindre la sortie mais dans quelle direction s’orienter ? Depuis longtemps, elle ne savait plus, au milieu de cette pénombre, l’endroit précis où elle se trouvait. Sur l’un des montants métalliques, elle voyait ce gros rectangle rouge s’allumer par intermittences accompagnant le hurlement de sirène qui lui déchirait la tête.

Face à elle, l’incendie progressait, ne lui laissant plus aucune échappatoire.

Des larmes de peur coulèrent, traçant d’irréguliers sillons roses le long de ses joues noircies par la suie. Elle se reprit très vite et ferma les yeux. Il fallait qu’elle s’habituât au noir car bientôt elle serait morte… Qu’importe, sa vie avait été bien remplie. Emmitouflée dans l’amour que lui portaient ses parents, elle avait connu le bonheur. Et du moins avait-elle vécu longtemps !

Elle se souvenait le mois dernier, lorsque son poney s’était gravement blessé et qu’il avait fallu l’abattre pour qu’il cesse de souffrir. À ce moment, Maman l’avait consolée en lui disant qu’il était déjà vieux… Il avait trois ans et serait mort prochainement de toute façon.

Elle, elle venait de fêter son cinquième anniversaire, donc, en toute logique, la Mort, avec sa grande faux aiguisée et son sombre manteau rapiécé, devait rôder autour d’elle depuis plus d’un an maintenant. Cette fois, son heure avait sonné.

Elle ne se rappelait pas avoir déjà ressenti une peur si grande auparavant. Elle avait du mal à déglutir et sa respiration se faisait saccadée.

Elle poursuivit cependant sa difficile avancée au milieu de la pénombre avec obstination.

Bientôt la chaleur se fit plus intense. L’enfant était tout près maintenant. Devant elle, la passerelle qui s’était écroulée gisait en travers des flammes, à moitié retenue par le reste de la structure. On eût pensé à un nouveau design de toboggan ultramoderne si la situation s’était prêtée à la plaisanterie.

Perdue dans la contemplation de cette vision qui lui semblait irréelle, elle poussa un cri lorsque la passerelle bougea.

Elle comprit enfin ce qui se passait.

Elle était en enfer ! Elle avait dû être tuée lors de l’explosion et voilà maintenant, en punition, le châtiment qu’elle devrait endurer pour l’éternité…

Son visage, déformé par la peur, se crispa davantage encore quand Satan apparut derrière le rideau de feu. Il était plus petit qu’elle ne l’avait imaginé et ne ressemblait pas à celui qu’elle avait vu lors du dernier carnaval. Mais, ce jour-là, c’était pour de mine, alors qu’aujourd’hui…

Satan s’approcha lentement d’elle. Malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à distinguer son visage avec netteté. Il tendit vers elle sa main sombre et fumante et prononça son prénom. La fillette ne bougeait plus. Elle chercha à distinguer avec netteté cette silhouette noircie qui tendait vers elle une main tremblante. Une voix d’outre-tombe, familière, prononça son prénom. La fillette cria et se mit à courir dans le sens opposé.

Elle voulait fuir ce cauchemar, fuir John… ou plutôt l’amas de chair calcinée qu’il devenait !

Soudain une porte au-dessus d’elle s’ouvrit avec fracas. Un jet de lumière rayonna et une forme noire s’encadra dans le chambranle.

La fillette se crispa et cessa de respirer.

La silhouette s’approcha plus avant et jeta un rapide coup d’œil autour d’elle puis, avisant l’enfant, se pencha vers lui.

— Ne crains rien, petite. Je vais te sortir de là.

La voix chaude et profonde était rassurante. L’homme, légèrement éclairé par la lumière de la porte, avait la peau burinée par le soleil et les intempéries. Ses cheveux blonds en bataille se collaient les uns aux autres. Une fine barbe lui mangeait la moitié du visage. Ses yeux, d’un bleu très clair, rappelaient la couleur de l’océan.

Observant la passerelle sur laquelle il se trouvait, l’homme constata à regret que l’échelle la plus proche était d’ores et déjà hors d’atteinte puisque dépassée par le rideau de flammes.

Il s’allongea près de la rambarde de sécurité et tendit le bras vers la fillette. Après plusieurs essais, elle parvint à glisser sa petite main dans celle, gigantesque, de son sauveur.

Comme s’il se fut agi d’une poupée, l’homme remonta sans mal l’enfant.

— Ça va aller maintenant… Il faut nous dépêcher de rejoindre les chaloupes de secours avant que la totalité de ce bateau ne disparaisse par le fond… dit le marin en prenant la fillette dans ses bras.

Ils gagnèrent rapidement le pont supérieur. L’agitation était telle qu’il était difficile de savoir exactement où couraient tous ces gens.

De sinistres craquements et de violentes secousses déséquilibraient les passagers qui cédaient à la panique. Certains n’attendaient pas les chaloupes et sautaient dans l’océan afin de chercher au milieu des flots sauvages une quelconque trace de salut. Blottie tout contre la poitrine de son protecteur, la fillette vivait le drame au ralenti sans vraiment comprendre le sinistre tableau qui se peignait devant ses yeux.

Le marin gagna l’une des chaloupes et déposa son précieux fardeau avec précaution.

Il s’apprêtait à remonter sur le navire lorsqu’un bruit sourd retentit.

— Laissez tomber, Le Bourvellec, c’est trop tard à présent. Venez, sinon vous allez sombrer avec le bateau ! lui cria un officier.

Il le retint tandis que la frêle embarcation s’éloignait de la future épave.

— Dis Monsieur, ils sont où ma maman et mon papa ? demanda l’enfant.

Le Bourvellec chercha dans la chaloupe puis dans celles qui les entouraient les visages du couple qu’il avait si souvent vu aux côtés de sa protégée.

— Je ne sais pas, répondit-il enfin. Je suis désolé.

Tout s’était passé trop vite…

C’était trop bête !

Impuissant, l’homme s’assit. La fillette se lova contre lui aussitôt. Il resta encore un instant à regarder les flots engloutir le paquebot.

— Mon nom est Yannick, et toi, comment t’appelles-tu ? questionna-t-il.

Mais la fillette ne répondit pas. Elle s’était déjà endormie, terrassée par la douleur, la peur et l’épuisement…

II

Le ciel azuré de Lorient se laissait transpercer par les derniers rayons de soleil de cette belle journée de septembre.

Il était rare qu’il fasse si beau à cette époque de l’année. Habituellement, la ville était déjà plongée dans la grisaille d’un précoce automne pluvieux. C’est pourquoi de nombreux habitants étaient encore de sortie et profitaient pleinement de cette fin d’après-midi dominicale.

Laissant derrière lui le Quai des Indes, Daniel Delage traversa d’un pas décidé le pont qui menait au Quai de Rohan. Dépassant l’Office de Tourisme, il se retrouva près des boutiques et des cafés dont les terrasses avaient été prises d’assaut. Sur les pontons, les équipages amarraient leurs bateaux au retour de leurs promenades en mer. L’eau quant à elle, indifférente à l’agitation, arborait une surface lisse et calme.

Daniel s’arrêta un instant devant le “Grand Bleu”, brasserie dont la terrasse surélevée en bois lui rappelait avec nostalgie les auberges qui jalonnaient les pistes enneigées des Alpes dont il était originaire. Il gravit les trois marches avec facilité et chercha du regard un endroit où il pourrait s’asseoir…

C’est à ce moment-là qu’il la vit, assise seule à sa table et semblant totalement inconsciente du brouhaha qui l’entourait.

En fait, il l’avait remarquée dès son arrivée sur la terrasse. Pourtant, elle n’était pas de ces femmes que l’on qualifie instantanément de beauté, mais elle possédait ce rien de magnétisme qui faisait se retourner sur elle tous les hommes qu’elle croisait, comme si elle eût été la réincarnation d’une déesse grecque…

Elle portait un jeans noir, une ample chemise de toile blanche et de petites tennis de même couleur. D’un geste absent, elle renvoya en arrière une mèche de ses cheveux châtains qui, éclairés un instant par un rayon de soleil espiègle, lancèrent quelques éclats de lumière. Leurs regards se croisèrent. Daniel s’enhardit et s’approcha.

— Sorry, are you french ? demanda-t-il.

Surprise, la jeune femme opina de la tête.

— Cela tombe bien, moi aussi ! annonça-t-il.

Elle ouvrit de grands yeux et un voile de méfiance passa sur son visage. Ce dernier se crispa encore davantage lorsque Daniel s’assit à la table.

— Daniel Delage, commença-t-il. Mais appelez-moi Dan, c’est plus amical.

Un large sourire découvrit ses dents blanches et la jeune femme se dit qu’il devait faire de la pub pour une quelconque marque de dentifrice…

— Je vous offre un verre ?

— Non merci, je suis servie, répliqua-t-elle d’un ton neutre, en désignant son café.

— Laissez-moi deviner… Catherine… Judith… Nathalie…

Tout en l’écoutant, la jeune femme révisa son premier jugement : il devait plutôt vanter les qualités d’une colle extra-forte !

Pendant ce temps, Daniel se trémoussait sur sa chaise en l’observant sous tous les angles possibles et imaginables, faisant la liste des prénoms féminins de l’almanach.

— Gabriela… laissa-t-elle tomber, lassée par son manège.

— Gabriela… Évidemment ! répliqua-t-il avec emphase. Et que faites-vous, Gabriela ?

— J’essaye de boire un café tranquillement.

Elle soupira, jeta un coup d’œil alentour. Elle qui aimait la solitude, on pouvait dire que c’était réussi !

Daniel poursuivait son bavardage.

— C’est pourquoi je suis devenu policier… inspecteur ! insista-t-il.

Ce mot sortit Gabriela de son hébétude. Elle le regarda avec un air si étrange que l’homme se demanda s’il n’avait pas commis un impair.

— Ne me dites pas que vous êtes de ces femmes à écorcher vif tout fonctionnaire de police ?

— Non ! au contraire… dit-elle avec lenteur. Rasséréné, Daniel se recula légèrement. « Vas-y mon Dan ! » se dit-il. « Le prestige de l’uniforme les fait toutes craquer… »

Remarquant son assurance grandissante, la jeune femme entra dans son jeu et poursuivit :

— Vous devez côtoyer le danger, la mort… On vous a déjà tiré dessus ? C’est très risqué ! Vous vous devez d’être prudent… ajouta-t-elle avec une émotion feinte.

Il éclata de rire.

Elle sourit aussi…

Ils discutèrent encore un peu. La jeune femme prenait grand soin de donner les réponses que son interlocuteur attendait, espérait. À chacune d’elles, sa satisfaction masculine augmentait sans qu’il s’aperçoive qu’elle le tournait en ridicule.

Un instant, la jeune femme regarda sa montre. 19 heures 20. Il ne viendrait plus.

Daniel décoda aussitôt ce geste furtif. Il connaissait bien ce genre de fille. Elles venaient seules au café ou en boîte, pour allumer les hommes. Puis, lorsque le poisson avait mordu à l’hameçon, elles se faisaient entretenir pour la soirée. Ensuite, comme récompense due à tout guerrier qui se respecte, elles écartaient les cuisses et le tour était joué !

Et, ce soir-là, Daniel Delage avait envie de s’amuser.

Cette première journée en “terre inconnue” rongeait le cœur de l’exilé ; il fallait bien qu’il prenne contact avec la faune locale…

— Vous devez certainement connaître un bon restaurant où je pourrais vous inviter à dîner, proposa-t-il, sûr de n’essuyer aucun refus.

— J’en connais plusieurs, commença-t-elle. Daniel esquissa un sourire.

— Mais je suis prise ce soir ! continua la jeune femme.

Il resta abasourdi par la réplique. Gabriela nota avec satisfaction la grise mine de l’importun. Il ne devait pas avoir l’habitude qu’une femme se refuse à lui. Elle se leva et s’apprêtait à partir lorsqu’il retint son bras.

— Ce sera pour une prochaine fois. Je viens d’arriver en ville et je ne connais pas grand monde… dit-il.

« C’est bien ma chance ! », pensa Gabriela.

— Je suis descendu au Lafayette, poursuivit-il. Où puis-je vous joindre ?

Décidément, il n’abandonnait pas facilement. Il fallait qu’il ait un sérieux problème psychosomatique pour être en manque de tendresse à ce point !

— Votre numéro ? redemanda-t-il.

Face à cette insistance, la jeune femme se dit que c’était sans doute là le seul moyen de mettre un terme à cette discussion. Elle nota donc rapidement les dix chiffres salvateurs sur un bout de papier et quitta aussitôt le café.

Daniel la regarda s’éloigner. Lorsqu’elle fut sortie de son champ de vision, il se leva à son tour et partit.

À présent, le port était plus calme. Les derniers bateaux avaient accosté depuis longtemps et les équipages retardataires se quittaient sur les pontons de bois.

Au loin, quelques goélands lançaient des trilles interminables, se répondant les uns les autres et faisant des cercles au-dessus de l’eau à l’infini. Un fin voile de mélancolie semblait avoir tout recouvert jusqu’au prochain week-end. Quasiment immobiles, les voiliers ressemblaient à des épaves abandonnées, sans vie.

Daniel suivit le bassin à flot en remontant vers le Palais des Congrès.

Très vite, il se retrouva devant l’Hôtel de Police. Les grilles noires devançant le bâtiment laissaient deviner la discipline qui y régnait.

Les fenêtres, carrées et régulières, n’inspiraient guère la fantaisie.

— Je sens que je vais me plaire ici… murmura-t-il avec une moue dubitative.

Le bâtiment tout en granit affichait une façade sévère et était empreint d’austérité. Quelques marches menaient à l’accueil. Le tout apparaissait si chaleureux qu’une fois entré, une seule question vous minait l’esprit : y avait-il un moyen d’en ressortir ensuite ?

* * *

Il était un peu plus de six heures du matin. Le halo lumineux du réverbère filtrait au travers des persiennes éclairant la pièce sobrement meublée. Un lit, une chaise et une antique armoire de bois constituaient l’unique mobilier de la chambre. La nuit s’achevait, calme.

6 heures 05. La sonnerie du téléphone retentit.

D’une main encore engourdie de sommeil, Daniel décrocha et reposa aussitôt le combiné : le réveil !

D’un geste maladroit, il alluma le spot mural. La lumière jaillit tel un diable hors de sa boîte, chassant du même coup les dernières ombres de la chambre 21 de l’hôtel Lafayette. Daniel se leva par automatisme et se dirigea vers la cabine de douche. C’était le seul moyen qu’il connaissait pour se réveiller complètement. Dès les premières gouttes d’eau, il sentit le voile de Morphée le quitter peu à peu. Cinq minutes plus tard, il en sortait en pleine possession de ses moyens. Il se sécha rapidement les cheveux, leur donna ce mouvement rebelle et naturel qui leur convenait le mieux puis regagna la chambre pour finir de s’habiller. Enfin, un dernier coup d’œil à la glace de l’armoire, il était prêt. Prêt pour un grand jour : celui qui allait voir l’inspecteur Daniel Delage prendre ses nouvelles fonctions au commissariat de Lorient.

Après un solide petit-déjeuner, Daniel abandonna l’agréable salle de restaurant de l’hôtel ainsi que la non moins délicieuse serveuse… Bien que le commissariat fût tout proche et qu’une promenade à pied d’à peine cinq minutes eût suffi à le rejoindre, Daniel préféra s’y rendre en voiture car il ne fallait pas être devin pour comprendre que les maigres subventions que percevaient les services de police des petites villes ne servaient certainement pas à offrir des véhicules de fonction à leurs inspecteurs…

Daniel descendit la rue Carnot jusqu’au port de plaisance où, la veille, il avait rencontré cette fille. Comment s’appelait-elle déjà ? Qu’importe, il y penserait comme à la fille du “Grand Bleu”… la Rosanna Arquette lorientaise ! Dès qu’il aurait un soir de libre, il appellerait le fameux numéro qu’elle lui avait laissé…

Il se gara bientôt face à l’Hôtel de Police. Il poussa la grille, monta avec ressort les quelques marches et arriva à l’accueil.

Là, un homme en uniforme semblait finir sa garde de nuit.

— Bonjour… commença Daniel.

— C’est pourquoi ?

— Inspecteur Daniel Delage…

— J’connais pas ! coupa l’homme.

Un instant interdit, Daniel se dit que la nuit avait dû être longue pour David Tonnerre, puisque tel était le nom qui figurait sur la plaque métallique que l’homme portait en évidence sur sa veste bleue réglementaire.

— Je suis l’inspecteur Delage. J’aurais souhaité m’entretenir avec le commissaire.

— Ah… euh… oui, tout de suite, Inspecteur ! Veuillez patienter, j’appelle Monsieur le commissaire… bredouilla David.

Daniel sourit devant ce soudain émoi. Le commissaire ne tarda pas à apparaître et tendit au nouveau venu une main chaleureuse.

— Commissaire Joseph Robic, se présenta-t-il. Je suis ravi de vous accueillir ici, Inspecteur Delage. Accompagnez-moi dans mon bureau.

Robic tourna les talons et emprunta l’escalier par lequel il était descendu. C’était un homme de taille moyenne et d’une corpulence plutôt forte. Il portait une fine moustache grisonnante qui laissait imaginer la couleur de ses cheveux s’il en avait eu ! Vêtu d’un complet en fil-à-fil gris, démodé, il semblait parachuté d’un de ces films en noir et blanc qui avaient fait l’apogée d’Hollywood dans les années trente…

Lorsqu’il pénétra dans le bureau du commissaire, Daniel comprit aussitôt à quel genre d’homme il avait affaire. Jo Robic avait sans doute été un bon flic, très bon d’ailleurs. Puis le modernisme avait frappé et lui, en conservateur endurci qu’il était, n’avait pas évolué. Sur sa table de travail, il n’y avait pas l’ombre d’un ordinateur, pas de téléphone sans fil mais un vieux poste dépassé. Daniel nota qu’il était tout de même à touches et non à cadran comme il se l’était imaginé. Aucun télécopieur ne figurait à la liste du mobilier et la chaise sur laquelle Robic s’installa n’avait pas de roulettes.

D’un geste de la main, le commissaire désigna à Daniel un siège pour y prendre place.

— Étant donné les circonstances, soyez le bienvenu dans mon commissariat. Vous verrez, ici, tout le monde s’entend bien. Nous sommes comme les membres d’une grande et belle famille… et c’est ce qui rend la situation actuelle si pénible.

Daniel acquiesça en signe de compassion. Jo resta silencieux un moment puis reprit :

— Quand êtes-vous arrivé ?

— Hier, dans la matinée.

— Alors vous ne connaissez pas encore la ville…

— Je me suis promené sur le port de plaisance hier soir.

— Pas trop dépaysé ?

— Ça n’a rien de comparable.

Le commissaire s’enfonça davantage dans son siège, les deux mains derrière la tête, et eut un large sourire.

« Les choses sérieuses vont commencer ! », nota Daniel.

— J’ai pensé que le temps de vous repérer et afin de mieux connaître cette ville, il vous faudrait un équipier…

— J’ai l’habitude de travailler seul, coupa aussitôt Daniel.

— Ici, vous êtes en Bretagne ! Et les Bretons, croyez-moi sur parole, ne se laissent pas aller facilement aux confidences : si on n’arrive pas à obtenir les informations du premier coup, ce n’est même plus la peine d’essayer à nouveau. Il vous faut quelqu’un qui vous montre comment opérer dans ces cas-là. Vous allez devoir vous habituer à eux, et eux à vous…

— Mais…

— Inspecteur, je suis le commandant de ce navire et, même s’il prend l’eau, il n’a pas encore sombré et j’en garde le commandement. On ne discute pas mes ordres, conseilla Robic avec un ton paternaliste.

Laissant à ses mots le temps nécessaire à une envolée théâtrale, il continua :

— Vous ferez équipe avec l’inspecteur Michel.

— Il risque de me gêner dans mon travail et, si jamais il était…

— C’est l’inspecteur le plus intègre de toute la brigade ! intervint Robic. Je n’ai aucun doute quant à sa loyauté. Franchise et honnêteté sont ses qualités premières…

« Je savais bien que ce commissariat me plairait. Je vais me coltiner un grand-père qui a dû faire l’école de police en 1900… »

* * *

— Mais Jo… Vous ne parlez pas sérieusement, là ! Vous ne pouvez pas me faire ça… plaida l’inspecteur Michel.

— Écoutez, je suis le capitaine de ce navire et on ne…

— Et on ne discute pas vos ordres, je sais ! maugréa l’inspecteur. Mais enfin, Jo… Une équipe… c’est comme un mariage !

Robic acquiesça avec un sourire entendu et son collaborateur poursuivit :

— Ça demande de la compréhension… de la patience… Bref, des trésors de bonne volonté ! termina-t-il d’un air pitoyable.

— Tout ça, je le sais déjà. Voyez le bon côté des choses : ce sera très enrichissant, très formateur… Allons, courage matelot ! Et maintenant, allez rejoindre votre moitié !

Joseph Robic laissa là son inspecteur et remonta les quelques marches qui le séparaient de son bureau. Un instant immobile, l’inspecteur Michel se rendit lentement vers son propre bureau et découvrit avec horreur, en ouvrant la porte, que de nouveaux meubles avaient été ajoutés au mobilier habituel. Sa table ainsi que ses classeurs avaient été relégués dans un coin, installés n’importe comment…

— Ce n’est pas vrai ! C’est un cauchemar…