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À la suite de la mort tragique de leur mère, Katherina quitte sa ville natale et emménage chez sa sœur. Appartenant à une famille de sorcières depuis des générations, mener une vie restreinte régie par la prudence et la discrétion est un devoir. Dans sa nouvelle université, elle fait la connaissance de Samuel, la star du campus, et de son frère Jack. Bientôt, tout comme son père avant lui, Samuel fera officiellement partie du Night Court, une société secrète de chasseurs de sorcières. Entre obligations, sacrifices et secrets de famille, l’histoire et les destins des trois adolescents seront désormais liés, pour le meilleur et pour le pire…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Jonglant entre sa vie professionnelle et familiale,
Joy Nivois, à chaque occasion, se nourrit de littérature. Inspirée par sa forte attirance pour les œuvres traitant des sujets de sorcellerie, elle nous présente
Night Court, son premier roman.
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Seitenzahl: 457
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Joy Nivois
Night Court
Roman
© Lys Bleu Éditions – Joy Nivois
ISBN : 979-10-377-7049-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À toi, sorcière, qui lis ceci, n’aie pas peur.
Salem, Massachusetts, 1695
J’entends quelqu’un descendre les escaliers d’un pas pressant. Monsieur le juge m’a demandé de l’attendre dans la salle qui précède le tribunal. Il avait l’air très préoccupé. Mes amis l’ont entendu et ont décidé d’être dans les parages au cas où quelque chose d’important se passerait. J’ai livré plus de sorcières au tribunal que mes amis, par conséquent, monsieur le Juge m’octroie plus d’attention que les autres. Il surgit devant moi.
— Monsieur, qu’en est-il ? je le questionne.
— C’était la dernière. Nous avons à présent l’interdiction d’exécuter une femme ou un homme pour motif de sorcellerie.
— Mais c’est absurde !
— Je le sais, mon ami. Nous allons être envahis par ces créatures.
— Nous ne pouvons pas laisser faire ça n’est-ce pas ?
— Bien sûr que non. Je ne m’inclinerai jamais !
— Qu’allons-nous faire, monsieur ?
— Réunis tout le monde, Tobias ne devrait plus tarder à arriver, je vous expliquerai tout.
— Mes compagnons sont déjà là, monsieur.
— Très bien, qu’ils entrent.
Tous réunis dans le sous-sol de la demeure de monsieur le Juge, à la lumière d’une multitude de chandelles, nous attendons.
— J’apporte ce que vous m’avez demandé, monsieur le Juge !
Tobias surgit en dévalant les marches et en brandissant un rouleau de parchemin.
— C’est très bien. Pose ça sur la table.
Tobias déroule le parchemin sur la grande table rectangulaire au centre de la pièce. Je lis les premiers mots écrits en gros :
— Night Court ?
— Nous allons former une organisation secrète. Il ne faut pas laisser la sorcellerie envahir notre monde. Protégeons nos enfants, messieurs ! Vous surveillerez les bois, les chaumières, les ruelles – il tape du poing sur la table – toutes les sorcières que vous démasquez, vous les emmenez ici, je procède à leur jugement, et nous les exécutons, comme nous l’avons fait ces dernières années. Tout cela, messieurs, dans la plus grande discrétion.
Règle numéro un : un chasseur ne doit jamais créer de liens avec une sorcière. Si un chasseur s’attache à une sorcière, l’être qu’il aime le plus au monde lui sera enlevé à jamais.
Règle numéro deux : un chasseur devra toujours assurer sa descendance dans le but de la former à devenir meilleure que lui-même.
Règle numéro trois : le Night Court doit rester un secret absolu, un chasseur peut en parler seulement avec un autre chasseur ou à ses descendants destinés à en devenir.
Règle numéro quatre : Quoi que le Grand Maître ordonne, le chasseur doit toujours obéir.
— Avez-vous des questions ?
— Moi, monsieur, un de mes amis lève la main. Qui est le Grand Maître ?
— Moi.
— Vous ? s’étonne-t-il.
— Oui. Moi, ensuite, mon fils prendra ma place, puis son fils prendra la sienne, et ainsi de suite. Il faut signer ici, avec notre sang, je vais commencer.
Le maître se pique le pouce avec sa dague puis l’écrase en bas du parchemin. Je l’imite et mes amis ainsi que Tobias font de même. Nous tous, sans exception, nous signons le règlement du Night Court et nous nous engageons à le suivre jusqu’à la fin de nos vies et même au-delà.
— Tu es en retard, Katherina.
— Excuse-moi, je n’ai pas vu le temps passer à la bibliothèque.
— Tu aurais pu me prévenir, je me suis inquiétée.
— Mon téléphone n’avait plus de batterie…
Mélinda, assise bien droite sur le canapé, m’attend visiblement depuis un moment… Elle a sa fichue liste de choses à faire ou à acheter sur les genoux.
Je lui fais signe que tout va bien en levant le pouce et je lui adresse un petit sourire en coin. Quand nous étions petites, ces gestes-là faisaient craquer et, alors, elle pouvait me pardonner n’importe quoi.
Je dépose mon sac à main sur le porte-manteau de l’entrée quand elle soupire.
— As-tu rapporté ce que je t’ai demandé ?
— Tout est là, des bougies noires et orange, lui dis-je en lui donnant un sac en papier.
Je me rends dans notre petite cuisine pour me faire un thé, je fais chauffer de l’eau dans la vieille bouilloire noire et pose le livre que j’ai emprunté à la bibliothèque sur le plan de travail marqué par le temps.
— Parfait, il nous manque encore quelques décorations… Tu as ton déguisement ? me demande-t-elle en cochant « bougies » sur sa liste.
— J’ai encore le temps non ? je soupire.
J’avais très envie de me retrouver un peu seule pour lire quelques chapitres de mon livre. C’était le préféré de notre mère et j’aime parcourir les pages en me l’imaginant en train de faire la lecture au père que je n’ai jamais connu.
— Oui mais j’aimerais que tout soit prêt rapidement, histoire de n’oublier aucun détail.
— Je sais, Samhain, c’est quand même le Nouvel An des sorcières, mais que fais-tu de l’équinoxe d’automne ?
— Mabon ? C’est un sabbat mineur, on le célébrera avec un joli dîner, je vais chercher des recettes.
— Comme tu veux.
Normalement, les sabbats se célèbrent en groupe de sorcières dans un lieu consacré, mais à part ma grande sœur, je ne connais personne d’autre.
Debout, appuyée sur le comptoir de la cuisine, je porte ma tasse de thé à mes lèvres pendant que ma sœur parcourt son vieux livre de recettes.
— Tu sais, on a pratiquement un mois pour préparer ce dîner et encore deux pour Samhain, je lui fais remarquer.
— Oui je sais, je sais, marmonne-t-elle sans me regarder.
Ma grande sœur Mélinda a toujours tout planifié dans notre vie et, visiblement, ce n’est pas maintenant que les choses vont changer. Elle s’empare d’un bloc-notes et commence une autre liste. Trop concentrée, elle ne me voit pas quitter la pièce pour entrer dans ma chambre, je vais pouvoir lire tranquillement, j’ai encore deux jours de liberté avant ma rentrée en première dans un nouveau lycée.
— Samuel ! Allez, remue-toi ! Plus vite que ça !
— Mais on s’est entraîné toute la matinée et je ne crois pas qu’elles se battent comme tu le fais. C’est un peu dépassé tu ne trouves pas ? je réponds, à bout de souffle et agacé.
— Ton grand-père m’a donné le même enseignement, jeune homme, et regarde-moi !
La tête haute, il écarte les bras en signe de défi.
— Je le sais, tu en as condamné une douzaine.
Mon père, un grand homme avec un ego surdimensionné, se dresse et répète fièrement ce que j’ai entendu toute ma vie.
— Exactement, j’ai débarrassé cette terre d’une vingtaine de ces créatures de l’enfer. Comme ton grand-père avant moi et comme toi tu le feras.
Je ne suis pas certain de vouloir de cette vie. Je rêve de poursuivre mes études et d’aller à l’université mais je suis condamné à livrer des sorcières à des types étranges que mon père fréquente.
— Si tu étais un peu plus attentif pendant mes cours, je te laisserais tranquille mais…
Sans finir sa phrase, mon père me donne un violent coup d’épée de bois sur l’épaule, alors je fais ce qu’il s’efforce de m’apprendre depuis que je suis tout petit… Je me bats.
J’esquive son coup sur la droite, je me déplace rapidement sur la gauche, bloque son assaut direct. Nos fausses épées s’entrechoquent dans un concert de bruits secs, de craquements et d’éclats de bois. J’observe sa stratégie et offre le coup final qui met mon père à genoux. Je suis assez doué pour le combat d’épées, j’en ai bien conscience, mais je n’en suis pas fier pour autant. Je l’aide à se relever, il est en sueur, beaucoup plus que moi. Ses cheveux poivre et sel sont collés à son front et son t-shirt bleu sombre, humide, laisse deviner son corps bien entretenu pour son âge.
— Bien joué, mon fils. Le combat n’est assurément pas ton point faible, il sourit en s’épongeant le front avec une serviette. Bien, tu peux disposer, on en a terminé pour aujourd’hui.
Enfin libéré de mon entraînement quotidien, je file à l’étage de notre grande maison où je retrouve Jack, mon meilleur ami, et même frère adoptif, dans ma chambre.
J’ai la chance d’avoir une grande chambre pour moi seul, un lit king size, un très grand bureau où repose mon Mac, et un canapé tout confort face à ma télé.
— Alors, Sam ? Tu lui as mis une raclée ?
— Comme à chaque fois bien sûr. Que fais-tu dans ma chambre ?
Jack se met à rire, il se moque de moi.
— Ma PS5 est en mise à jour et je n’avais pas envie d’attendre pour essayer mon nouveau jeu, me dit-il les yeux fixés sur mon écran plat.
Lui et moi n’avons qu’une année d’écart, Jack est le plus jeune, il a des épaules carrées, une tignasse d’un noir de jais et des yeux tout aussi noirs si bien que je me souviens qu’il faisait peur aux autres enfants à l’école. Mon père dit que c’est peut-être pour ça que sa famille l’a abandonné. Avant d’entrer au lycée, il n’avait jamais réussi à se faire d’amis, à part moi, personne ne voulait l’approcher. Il s’est d’abord réfugié dans les livres puis dans les jeux vidéo.
Il y a plus de 15 ans, un soir de mai, mes parents rentraient d’un dîner, ils allaient toujours dans ce restaurant chic du centre-ville pour leur anniversaire de mariage. C’est en rentrant à la maison que ma mère a entendu des cris. Devant notre porte, emmitouflé dans une vieille couverture, un nourrisson de quelques mois était là, tout seul.
Mes parents l’ont de suite adopté et Jack est devenu mon frère.
— T’es prêt pour la rentrée ?
— Ouais bien sûr, tu as pu t’arranger avec papa ?
Ce léger détail…
Aussi loin que je me souvienne, notre père a toujours insisté pour se rendre à l’église tous les dimanches sans exception. Là-bas, il retrouvait deux ou trois personnes et disparaissait pendant toute la durée de la messe que j’étais obligé de suivre avec Jack et notre mère. Quand c’était fini, il nous retrouvait à la sortie, avec parfois un dossier à la main qu’il n’avait pas en arrivant. Quand je lui demandais ce que c’était, il me répondait que c’était des affaires de famille et que mon tour viendrait bientôt. Depuis quelque temps, nous refusons d’y aller. Il s’en désole mais accepte le fait que nous sommes des adolescents – Jack a 16 ans et moi 17 ans – et que nous voulons faire autre chose de nos dimanches matin.
Quand j’étais petit, je n’aimais pas le dimanche après-midi, j’étais obligé d’assister aux enseignements de mon père qui consistaient à étudier l’histoire de la sorcellerie, comment la détecter, comment traquer une sorcière, à quelle personne la remettre pour son jugement… Je ne comprenais pas grand-chose, tout ce que j’avais envie de faire c’était de jouer au « Docteur Maboul », je rêvais de devenir médecin et j’en rêve toujours. Mais mon père s’y opposait, heureusement que maman était là. Elle me faisait des cookies au beurre de cacahuète et, pendant que je patientais dans la cuisine, elle discutait avec lui dans le bureau. Parfois, je les entendais élever la voix, après ça, mon père me laissait tranquille et je pouvais aller jouer avec Jack à l’étage.
En ce qui concerne Jack, papa a toujours été beaucoup moins strict avec lui, il l’aime comme son propre fils mais jamais il ne lui demande de suivre les traditions de notre famille. Jack a toujours été à l’écart de tout ça, notre père lui opposait seulement d’aller à l’église le dimanche. Je lui racontais quand même certaines choses, mon petit frère était curieux de savoir ce que je faisais avec notre père sans lui.
— Je ne lui ai pas encore parlé…
Jack pose la manette de la console et s’avance sur mon canapé en me regardant droit dans les yeux :
— Sam, il faut que tu te jettes à l’eau. Tu ne peux pas arrêter tes études pour ces conneries !
— Je le sais et je n’en ai pas l’intention, le lycée a mon dossier, je n’ai plus qu’à convaincre papa. Je lui parlerai demain matin.
Je suis dans mon ancienne chambre, dans la maison de ma mère. Les murs sont tapissés de cet horrible papier peint fleuri. Mes meubles ne sont plus là et le parquet est couvert de terre.
— Katherina.
— Maman ?
— Katherina, viens par ici.
Sa voix provient de la cuisine. Je descends les quelques marches du petit escalier.
— Maman ? je répète.
— Ici, ma chérie.
J’entre dans la cuisine, elle n’y est pas. Sa voix est pourtant toute proche.
Un courant d’air me glace le dos. Je me retourne pour fermer la fenêtre qui doit être ouverte.
Ma mère est là, debout, à quelques mètres de moi. Elle est couverte de terre, ses vêtements – les mêmes qu’elle portait quand on l’a enterrée – sont tous déchirés. Ses cheveux sont affreusement sales, ils sont collés à son visage.
— Viens avec moi, ma fille, tu m’as manqué.
Elle tend les bras vers moi mais je recule et secoue la tête.
— Non. Ce n’est pas toi. Ce n’est pas réel.
— Bien sûr que si, Katherina. Je viens te chercher. Viens avec moi et nous serons ensemble à jamais.
— Non !
Elle s’approche de moi en gestes saccadés, ses genoux craquent et elle se retrouve à ramper au sol.
— Oh comme tu m’as manqué, ma fille.
Je peux voir des verres lui sortir de la bouche.
— Maman, non !
J’essaie de me débattre, quelque chose m’empêche de bouger.
J’ai chaud. Trop chaud. J’ouvre les yeux, je suis en train de me débattre dans ma couette. Je prends de grandes bouffées d’air et me parle à moi-même.
— Ce n’était qu’un cauchemar… On se détend.
J’attrape mon téléphone sur ma table de chevet, neuf heures et demie. Je jette la couette au bout de mon lit pour en sortir et active ma chaîne hi-fi pour écouter mon groupe favori en espérant me sortir ces affreuses images de la tête. J’enlève mon pyjama trempé de sueur et file sous la douche. Pendant un long moment, je laisse l’eau couler le long de mon corps en pressant mes mains sur mes yeux, fort, très fort, jusqu’à voir des petites étoiles dorées danser sous mes paupières. Cette image de ma mère, maléfique, ne disparaît pas pour autant.
J’entre dans la cuisine pour me faire un thé en pensant trouver ma sœur mais elle n’est pas là. Elle dort peut-être encore.
— Que penses-tu des pâtes aux cèpes pour le sabbat ?
Je fais un bond de trois mètres en l’entendant derrière moi.
— Désolée, je ne voulais pas te faire peur.
Une main sur mon cœur pour me calmer, je réponds :
— Ce n’est rien, je suis encore sur les nerfs de cette nuit. J’ai cru que c’était encore maman.
— Toujours ce cauchemar ?
En évitant son regard, je croise mon reflet dans la porte du four. De gros cernes marquent mon visage. Je soupire.
— Ouais mais n’en parlons plus s’il te plaît, j’aimerais ne plus y penser jusqu’à la nuit prochaine.
Ma tasse de thé à la main, je m’enferme dans ma chambre pour pouvoir continuer le livre que j’ai emprunté hier. Les hauts du Hurlevent. Je le connais par cœur mais j’adore le relire encore et encore, comme faisait ma mère – la version vivante et gentille – quand j’étais petite.
J’entre dans le bureau de mon père qui est au téléphone, il me fait signe de patienter. Mon regard s’attarde alors sur ces grandes étagères qui recouvrent les quatre murs de cette pièce. Des tas de livres à l’apparence très ancienne, j’en prends un dont la couverture a l’air d’être faite de cuir, je passe les doigts sur les symboles gravés dessus, un pentagramme…
— Je reposerais ça si j’étais toi.
— Pourquoi ?
— Tu dois penser que c’est du cuir n’est-ce pas ?
Il me regarde d’un drôle d’air. Je hausse un sourcil en signe d’interrogation.
— Ce journal a été trouvé dans la maison d’une sorcière qui a sacrifié ses propres enfants, elle les aurait sacrifiés puis utilisés leur peau pour créer son livre des ombres.
Il ne m’en faut pas plus, je repose immédiatement ce truc en retenant un haut-le-cœur et questionne mon père,
— Un livre des ombres ?
— C’est le grimoire d’une sorcière, il est très précieux pour elle. C’est là qu’elle écrit tous ses rituels avec le démon. Tu le saurais si tu étais plus attentif pendant mes cours.
— En parlant de ça…
Il m’interrompt :
— D’ailleurs je voulais te montrer quelque chose, le grand maître m’a fait transmettre une relique très ancienne…
— Papa, stop, je ne suis pas venu parler de chasse aux sorcières.
Il se renfrogne :
— Alors pourquoi es-tu là ?
Je bombe le torse et prends une grande inspiration pour me donner du courage.
— Je veux continuer mes études, je veux faire ma terminale et aller à la fac.
— Nous en avons déjà parlé, tu dois te concentrer sur ton devoir, sur ton rôle envers le Night Court. Ils vont bientôt me demander des comptes sur toi et je ne tiens pas à leur dire que mon fils ne prendra pas la relève. Ça, jamais !
— J’ai bientôt 18 ans, papa ! J’ai le droit de vivre ma vie, faire mes propres choix ! J’en ai plus qu’assez de ces conneries de chasse aux sorcières !
Dans ma colère, mon bras s’abat sur une étagère et fait voler quelques objets qui s’y trouvent.
— Calme-toi, ne détruis pas tout s’il te plaît, c’est une collection précieuse !
Il a l’air contrarié mais plus intéressé par ce que je viens de faire tomber que par moi. OK… On souffle… J’ai merdé sur ce coup, il me faut vite une idée.
— Et si on faisait un compromis ?
— Je t’écoute, annonce-t-il en replaçant un livre sur l’étagère.
— Je rentre en terminale demain alors je vais en cours la semaine, tu me laisses faire ce que je veux. En contrepartie, je m’engage à venir étudier et m’entraîner avec toi le week-end. Ça te conviendrait ?
Il soupire, semble réfléchir puis pointe un doigt sur mon torse.
— Très bien… Mais si tu manques un seul de mes cours, tu ne me parles plus d’études, plus de lycée, plus de fac.
— D’accord, marché conclu alors ?
— Marché conclu, mon fils.
Le jour de la rentrée
Je suis stressée, je rentre en première dans un nouveau lycée. C’est un bâtiment plutôt récent, bien fleuri sur les côtés des escaliers de l’entrée. L’avantage ici, c’est qu’il y a beaucoup d’espaces verts où les étudiants peuvent étudier ou se détendre. Ma sœur habite bien loin de l’ancienne maison de nos parents, du coup, à la mort de ma mère j’ai dû changer de lycée. Génial. Armée de mon sac de cours et du plan du lycée, je tente désespérément de trouver ma salle de classe.
— A34… je marmonne.
Mon sens de l’orientation est vraiment à revoir, je n’arrive à rien avec ce plan.
— Hécate, aide-moi s’il te plaît.
Je triture mon pendentif que j’ai pris soin de mettre aujourd’hui. C’est une petite cage qui renferme une pierre qu’on appelle « œil-de-tigre », elle empêche les mauvaises ondes de m’atteindre.
— A34…
— Tu es perdue ?
Je sursaute. Il m’a fait peur et je suis un peu sur les nerfs d’être à ce point paumée.
Un jeune homme est en face de moi, très près de moi je devrais dire. Je recule d’un pas.
— Oui, je cherche ma salle de cours… Euh… La A34.
— Mme Clamart, tu n’y es pas du tout. Il faut descendre au deuxième étage puis à gauche, au bout du couloir tu tournes à droite, mais tu verras l’A34 Bis....
Bon… Je l’avoue, je ne le suis plus du tout. J’observe ce garçon aux yeux noisette, aux cheveux bruns un peu trop longs. Il a une mèche qui lui tombe sur le front, il la repousse d’un geste de la main. Il est grand, il me dépasse de plus d’une tête mais je suis petite donc c’est plutôt facile.
— Tu m’écoutes ?
— Euh oui pardon mais j’ai décroché à la salle Bis, ce lycée a l’air d’être un vrai labyrinthe.
— Je comprends, oui. Alors tu es nouvelle ici ?
— Je pense que ça se voit.
— Effectivement.
Encore ce geste avec sa mèche de cheveux. C’est assez mignon… Concentre-toi, Kat.
— Viens, je t’accompagne.
— Merci.
En marchant derrière lui, j’essaie de mémoriser le chemin pour la prochaine fois. Il marche très vite avec ses longues jambes. Je remarque quand même ses épaules carrées et je peux distinguer les muscles de son dos à travers son t-shirt près du corps. Nous arrivons enfin devant la bonne porte.
Il me demande :
— Au fait, tu ne m’as pas dit comment tu t’appelles.
— Parce que tu ne me l’as pas demandé.
Ma réplique le fait sourire. Je lui réponds :
— Katherina, mais appel moi Kat.
— Pourquoi ? Tu n’aimes pas ton prénom ? C’est très joli pourtant.
La chaleur envahit mes joues, on ne m’avait jamais dit cela. En général, les gens trouvent que mon prénom est trop long ou difficile à prononcer alors ils préfèrent m’appeler Kat.
— Si, je crois…
Il semble sentir ma gêne alors il me tend une de ses grandes mains.
— Enchanté, Katherina, moi c’est Samuel.
— Enchantée, Samuel.
En disant cela, je lève la tête pour le regarder, le regarder vraiment et serrer la main qu’il me tend. Nos yeux se croisent et je ne peux détourner le regard. Cette jolie couleur noisette, il y a des reflets dorés comme des paillettes d’or. La sonnerie nous fait sursauter tous les deux.
— Je ferais mieux d’y aller, je vais être en retard.
Quand j’entre dans la salle de classe, les autres élèves discutent entre eux, personne ne me regarde. Parfait. J’ai parlé trop vite, la professeure, Mme – je ne sais plus quoi – entre juste derrière moi.
— Vous devez être Katherina Cortot. Je suis votre professeur d’anglais. Vous trouverez une place au fond, à côté de monsieur Delcroix.
Je cherche ce fameux garçon des yeux en évitant soigneusement les regards curieux des élèves face à moi. Il n’y en a qu’un tout seul, ça doit être lui. Je me place à ses côtés et il me sourit gentiment.
— Bonjour… Katherina c’est ça ?
— C’est ça. Bonjour.
Je lui adresse un petit sourire timide.
— Je m’appelle Jack.
— Enchantée, Jack.
— Tu te spécialises en quoi ?
— En littérature, et toi ?
— Une lectrice compulsive, j’adore. Moi, en histoire.
— Un futur prof ?
— Pourquoi pas ?
Nous discutons tout le long du cours, de toute façon, on ne travaille pas vraiment le premier jour. Nous sortons de la salle pour trouver notre prochain cours.
— Étant donné que nous préparons tous les deux un bac Littéraire, on va avoir plein de cours en commun. J’espère que tu vas réussir à me supporter.
— Alors là, je ne te promets rien.
J’éclate de rire, ce qui fait se retourner pas mal d’élèves mais je m’en moque, Jack m’a vraiment mise à l’aise.
À la sortie de mon premier cours de terminal, j’ai toujours ses yeux bleus en tête. J’aimerais les revoir, là tout de suite. Non mais qu’est-ce que je raconte, moi ? Mon père a été très clair sur ces conditions. Pas de distraction. Les cours au lycée et les entraînements avec lui le week-end. Mais cette fille, Katherina, je n’arrive pas à me la sortir de la tête. Elle est vraiment belle avec ses longs cheveux bruns qu’elle a ramenés en une tresse sur le côté. Elle est si petite que ses yeux arrivent à hauteur de mon torse. On me tire de mes pensées en me tapant dans le dos.
— Alors mec, on t’a pas vu des vacances !
— Ouais, je sais, j’étais occupé.
— T’as manqué une sacrée fête ! Léo était tellement défoncé qu’il a fini nu dans la piscine de son voisin, tu sais, le vieux qui appelle toujours les flics.
— Tu te rends quand même compte qu’il finit toujours comme ça, non ?
— Peut-être mais c’est marrant.
— Si tu le dis…
J’aime bien Alex, mais qu’est-ce qu’il peut être con parfois. Un vrai ado immature et bourré d’hormones. Je suis allé à quelques-unes de ses fêtes mais ça n’a jamais été sympa très longtemps et je dois toujours rendre des comptes à mon père. Sans compter que je sais très bien qu’on m’invite juste parce que celui-ci est riche. La plupart du temps, je ne connais même pas celui qui l’organise.
— Léo fait une fête chez lui cette fois, c’est l’occasion de te rattraper Samuel.
Le Léo en question vient tout juste d’arriver en entendant son nom dans la conversation. Aussi grand que moi, sa peau ébène et ses yeux verts font de lui un des mecs les plus convoités des filles de notre fac.
— Ouais je vous jure, ça va être mortel. Sam, amène ta Tesla s’il te plaît.
— Hors.de.question. Je vois rouge, tout ce qu’ils veulent c’est de profiter de moi et de l’argent de ma famille.
— Pas cool.
Je suis sauvé par la sonnerie, je vais tenter de me détendre pendant ce cours de science.
La sonnerie du lycée annonce l’heure de la pause déjeuner. Je suis Jack qui me guide jusqu’à la cafétéria. Elle est plutôt petite, quatre longues tables occupent presque tout l’espace et le long d’un mur tout en fenêtre, se trouve quelques petites tables hautes. Il y a un mur entièrement recouvert d’un graffiti, c’est un chef cuistot qui tient une pizza dans une belle cuisine. Sympa.
Nous prenons nos plateaux et Jack m’emmène vers une table haute où sont déjà assis deux élèves. Je me place à côté de mon nouvel ami et il me présente.
— Chloé, Dan, voici Katherina.
— Salut.
— Hey.
Chloé est plutôt extravagante, les cheveux à la fois blond et rose, un bras tatoué et un total look jean, elle pique des frites dans l’assiette de Dan.
Dan, lui, a l’air d’un sportif, en regardant plus attentivement, je vois qu’il porte une veste de l’équipe de basket du lycée. Cheveux bruns, coupés court, des yeux verts, il sourit à Chloé mais ne fait rien pour sauver ses frites.
— Alors, d’où tu viens ? me demande Chloé.
— J’ai emménagé avec ma grande sœur il y a trois mois. Avant j’habitais dans le sud avec ma mère mais…
Ce n’est pas la première fois que je parle de cette histoire mais les larmes me viennent à chaque fois. Je cligne des yeux pour les retenir.
— Dur, je suis désolée.
— Merci.
Que pourrais-je dire d’autre ? Oui tout va bien, je n’ai jamais connu mon père qui s’est tiré avant ma naissance, ma mère est morte il y a quelques mois et je me retrouve avec ma grande sœur dans une ville que je ne connais pas du tout. Je me tourne vers Jack qui me regarde, non pas avec pitié, comme tous les autres depuis le drame mais avec… Compréhension, j’ai l’impression… Il m’explique.
— Je n’ai jamais connu mes parents. On m’a abandonné quand je n’étais encore qu’un bébé. La famille de Samuel m’a adopté et me voilà.
Je tique en entendant ce prénom.
— Samuel ? Un grand brun, cheveux un peu trop longs ?
— Cheveux un peu trop longs ? rigole Jack. Oui c’est lui, c’est mon frère. Tu l’as croisée ?
— Il m’a aidé à trouver notre salle de cours ce matin.
— Ce vieux Sam, toujours à aider son prochain, intervient Dan.
***
En débarrassant nos plateaux, Jack me demande ce que je fais après les cours.
— Je travaille à la boutique de Mme Verras de 18 à 21 heures.
— C’est où ?
— C’est dans l’impasse du centre-ville, après le bar.
— Cool, j’y ferai peut-être un tour.
Il me regarde en souriant, je lui rends son sourire, il est vraiment beau mais c’est son regard qui me trouble le plus. Il est sombre… profond, comme s’il pouvait voir au plus profond de mon âme. Je me sens bien avec lui.
— J’aimerais bien… Je m’ennuie beaucoup là-bas, ce n’est pas très fréquenté.
— Alors, c’est sûr, j’y ferai un tour.
Ma première journée au lycée est terminée, je rentre dans le bus, trouve une place au milieu, là où il y a le moins de monde pour être tranquille. J’attends patiemment le jour où j’aurai enfin une voiture à moi… J’économise depuis quelques mois déjà pour ça, ma grande sœur a gentiment pris en charge mon permis, je la rembourserai quand j’aurai un vrai travail. Pour l’instant je bosse juste quelques soirs et les samedis dans la boutique ésotérique de la ville. D’autres élèves grimpent dans le bus en discutant bruyamment, j’enfonce alors mes écouteurs dans mes oreilles et pousse le son à fond.
Enfin arrivée à la maison, je retrouve ma sœur dans la cuisine, une tasse de thé à la main.
— Coucou. Alors cette journée ? Tu t’es fait des amis ?
— Mélinda, je n’ai plus 5 ans, je rigole. Ça a été et je me suis bien entendue avec un garçon, Jack.
— Un garçon ?
Elle porte sa tasse à ses lèvres pour dissimuler son sourire. Je lève les yeux au ciel.
— Arrête, c’est juste un ami.
— Je suis contente pour toi, Kat.
Elle me sourit et clôt la discussion.
— Tu veux des cookies ?
Sur le canapé usé, en train de déguster les cookies avec Mélinda, je regarde l’heure sur mon téléphone. 17 h 55. Oups.
— Il faut que je me dépêche, je vais être en retard !
— Tu commences à quelle heure à la boutique ?
—18 heures !
— Katherina, éternellement en retard, soupire-t-elle, bon courage.
Mon sac à main sous le bras, je cours pour arriver le plus vite possible au travail. Dans mon élan je bouscule quelqu’un, je m’excuse mais je ne m’arrête pas. La vieille dame à qui appartient la boutique ne m’aime déjà pas beaucoup, je ne veux pas de réflexion ce soir.
J’arrive à la boutique où une jeune femme que je n’ai jamais vue attend derrière la caisse.
— Vous êtes Katherina, c’est bien cela ?
— Oui c’est moi, Mme Verras n’est pas là aujourd’hui ?
— Elle n’est pas venue ce matin et ne répond pas au téléphone, je me demandais si vous l’aviez vue hier?
— Oui elle était là comme d’habitude.
— Bon, merci, je vous laisse la boutique ce soir d’accord ?
— Oui d’accord, tenez-moi au courant.
En arrivant à la maison après ma première journée de cours, je tombe sur mon frère prêt à sortir.
— Hey Jack, où vas-tu ?
— Faire les boutiques.
— Toi, tu vas faire du shopping ? j’ironise.
Il ricane en enfilant son blouson en cuir noir.
— Non je vais voir une fille.
— Ben, dis donc, tu ne perds pas de temps !
— Oh, ça va ! Je l’ai rencontré aujourd’hui, je l’apprécie vraiment.
Le visage de mon petit frère est éclairé d’un franc sourire. C’est vraiment rare malheureusement alors je me réjouis tout de suite pour lui.
— Raconte, comment elle s’appelle ?
— Katherina. Elle m’a parlé de son job du soir et apparemment elle s’ennuie souvent vu que la boutique est déserte alors je lui ai dit que je passerai la voir.
Je tic en entendant ce prénom et, malgré moi, mon sourire se tord en une grimace. Je n’ai fait que penser à elle toute la journée.
— Katherina ? Une petite brune avec des yeux bleus ?
Je ne comprends pas pourquoi Jack prend cet air si contrarié, mais il me répond quand même.
— Ouais c’est elle, on a eu quelques cours en commun et on a déjeuné ensemble, elle ne connaît personne.
— Elle me connaît.
Je me corrige en voyant Jack plisser les yeux.
— Je veux dire, je l’ai guidée ce matin, elle était perdue dans les couloirs. Bref, je peux venir ? Merci Frangin.
Je ne laisse pas le choix à mon frère. Je lui donne une tape amicale sur l’épaule et prends les devants, même si je ne sais pas où on va. Je ne devrais pas mais c’est plus fort que moi. Il faut que je la revoie.
Je suis Jack jusqu’au centre-ville, nous passons devant un bar où trois hommes, barbus et bedonnants, visiblement bien éméchés, sont assis en terrasse à regarder les passants. Nous arrivons devant une jolie vitrine illuminée d’une petite guirlande de citrouilles. Des livres sont présentés en bas tandis que sur les étagères se trouvent des pierres de toutes les couleurs, des jeux de cartes… je m’approche pour mieux voir.
Ce sont des tarots et des oracles. Je regarde encore une fois les livres. Merde, ce sont des livres de magie. Jack lit un titre à voix haute.
— La magie de la lune.
— Merde.
Nous nous regardons et pensons à la même chose.
— Ça ne veut rien dire, ce n’est pas forcément une sorcière, c’est juste un job, me dit Jack.
— Oui… Dans tous les cas, ne parlons pas d’elle à papa.
— Tout à fait d’accord.
Attendant désespérément la venue d’un client, je prends un jeu de tarot sur une étagère de la boutique, allume une bougie et commence à tirer les cartes sur le comptoir de la caisse. Je retourne la première : « les amoureux ».
La cloche de la porte d’entrée sonne et je vois apparaître Jack suivit de Samuel et mon cœur se met à battre plus fort. Le premier est habillé de noir, le deuxième, de blanc. Le contraste est amusant. Je demande à Jack s’il a trouvé facilement en m’approchant de lui ; il fait une tête de plus que moi mais est quand même plus petit que son frère.
Quand je remarque que celui-ci me dévisage, il se détourne subitement pour observer ce que contient la boutique. Je sens le rouge me monter aux joues.
— Tu viens toute seule ici ? me demande Jack.
— Oui je te l’ai dit, je travaille certains soirs, pourquoi ?
— Je n’aime pas vraiment te savoir seule ici avec ces putain de poivrots juste à côté.
— Tu es obligé d’être grossier ? Je le taquine en lui donnant une tape sur le bras. Mon geste déclenche une petite décharge électrique entre nous.
Je recule vivement ma main, Jack a l’air de l’avoir senti aussi, à voir son regard…
Il reprend d’un air grave.
— Si tu es en danger, je peux être bien pire.
Je frissonne et observe ses yeux noirs, on ne distingue même pas la pupille de l’iris.
— À qui appartient la boutique ? intervient Samuel.
Jack serre les dents, détourne le regard en baissant la tête et je reprends mes esprits.
— À madame Verras, qui est introuvable depuis ce matin, d’ailleurs.
— Elle a disparu ?
Les deux frères se regardent et échangent des regards que je ne comprends pas.
— Il faut y aller, dit Samuel d’un ton sévère à Jack.
— Je te rejoins.
— Dépêche, dit-il en sortant précipitamment.
Jack soupire et se rapproche de moi. Sa main frôle la mienne. Nos respirations s’accélèrent…
— Ça te plairait d’aller voir un film tous les deux ?
— J’aimerais beaucoup, oui. Je ne peux empêcher ce grand sourire qui se dessine sur mon visage.
— Je reviens te chercher à 21 heures.
— Tu peux m’expliquer, Sam ?
Mon frère a l’air en colère mais je ne suis pas mécontent de les avoir interrompus. Néanmoins, nous avons un problème plus important.
— Cette fois j’en suis sûr, Katherina est bien une sorcière.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— J’ai vu une bougie allumée avec un jeu de tarot sur le comptoir, elle était en train de tirer les cartes.
— Tu es sûr ? Ça pouvait être une présentation, comme dans toute cette foutue boutique ! Et puis d’abord, est-ce que tu as quelque chose à voir avec la disparition de la propriétaire ?
Jack me regarde, méfiant, attendant ma réponse.
— Non, bien sûr que non. Je ne fais que suivre les enseignements de papa, je ne les mets pas en pratique, tu le sais bien.
— OK…
— Pour en revenir à Katherina, elle portait une amulette et une pierre autour du cou. C’est de la pratique magique, une sorte de protection.
— Merde. Il ne faut pas qu’elle croise papa.
— En tout cas, pas avec ces bijoux.
— Mais imagine qu’elle dise ou qu’elle fasse quelque chose et qu’il comprenne…
— Il la livrera au Night Court.
Il est 21 heures quand je baisse le rideau de fer de la boutique. J’entends quelqu’un approcher, je me retourne en souriant, pensant que c’est Jack qui vient me chercher pour le cinéma.
— Salut, beauté.
Un homme, gros et barbu, qui empeste l’alcool me fait face. Il reluque sans la moindre gêne le décolleté de ma robe noire préférée, elle est à manches longues et m’arrive un peu au-dessus du genou.
Instinctivement, je serre mes colliers dans la paume de ma main pour chercher protection. Mais je sais bien qu’il y a parfois des cas où la magie nous laisse seuls.
— T’es mignonne.
Son haleine est horrible, il écrase son avant-bras contre ma poitrine pour me bloquer contre la vitrine. Je suis coincée.
— Que voulez-vous ?
— Qu’est-ce que je veux ? il rigole bêtement, toi ma beauté, putain t’es bonne !
De sa main libre, il me prend par la taille pour m’attirer plus près de lui. Je vais vomir très bientôt. Sa main glisse le long de ma cuisse et essaie de se frayer un chemin sous ma robe. Je prends mon courage à deux mains et lui donne un grand coup de genou, j’y mets toute ma force. L’homme émet une sorte de couinement en se tenant les parties, j’en profite pour m’échapper en courant avant que ses amis rappliquent.
Je n’ai peut-être pas été assez rapide car quelqu’un m’attrape le bras d’une forte poigne.
Je suis encore coincé. Sans réfléchir, je me retourne vivement et donne une claque à mon bourreau.
C’est à cet instant que je réalise mon erreur. Jack me tient toujours le bras, une expression à la fois choquée et hilare. Je suis tétanisé, la main libre sur ma bouche, les yeux écarquillés.
— Je suis désolée, ça va ta joue ? Je pensais que c’était encore cet homme ivre mort.
— Tu veux dire ce type-là ?
Il montre l’homme allongé par terre, une main entre les jambes, l’autre sur son nez en sang.
— Mais… Je ne l’ai pas frappé au nez.
— Peut-être pas, mais moi si. Je t’ai vu au loin de faire embêter par ce type, le temps de courir jusqu’à toi tu t’étais déjà bien défendu. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de lui en mettre une au passage.
Je suis sans voix, un peu gênée pour le coup que je lui ai porté au visage, mais rassurée qu’il soit là.
— Merci… Mais tu es sûr que ça va ? Je le questionne en touchant sa joue un peu rouge.
Cela le fait rire, il prend ma main et la pose franchement sur son visage.
— Tout va bien.
Il me sourit, reprends ma main pour la porter à ses lèvres qu’il embrasse sur le dos. Il ne la lâchera plus jusqu’à ce qu’on arrive au cinéma.
— C’est plutôt à moi de te demander ça. Il ne t’a pas touché j’espère ?
Ses yeux ne sont plus que colère à l’appréhension de ce que je vais dire.
— Ne t’inquiète pas pour ça.
Je souris. Au moment où sa main s’est faite baladeuse, mon genou a frappé.
— Bien, il a l’air rassuré. Allons voir ce film, lequel as-tu envie de voir ?
Jack est parti rejoindre Katherina pour leur soirée au cinéma. Mon père est en réunion je ne sais où, je suis donc seul à la maison. Je n’arrive pas à me sortir cette histoire de disparition de la tête, c’est peut-être mon père qui en est la cause. Il faut que je sache… Pourquoi j’y tiens autant ? Aucune idée. Une petite voix intérieure me souffle que c’est parce que cela a un rapport avec une certaine nouvelle élève et déjà amie avec mon frère.
Je me dirige alors dans le bureau de mon père, par chance ce n’est pas fermé à clé.
J’ai déjà vu les dossiers sur les personnes suspectées de sorcellerie. Mais où est-ce qu’il les range ? Son bureau est rempli de vieux livres, d’objets en tout genre, magiques ou religieux.
Sous un gros chaudron contenant un crâne, il y a un petit meuble à tiroirs, c’est peut-être là.
Bingo. Des tas de dossiers par ordre alphabétique.
— Verras… je marmonne.
Je ne vois aucune madame Verras dans tous ces papiers. Soit mon père n’y est pour rien, soit il a d’autres dossiers quelque part. Quand j’écarte les gros grimoires sur le côté du bureau, quelque chose en tombe. Une photo, je la ramasse, il n’y a aucun nom, aucune date. Comment vais-je faire pour la remettre à sa place ? Pas de panique Sam, c’est un vrai bazar ici, ça doit arriver souvent.
Je regarde la femme sur cette photo, des longs cheveux bruns, de beaux yeux bleus…
Si elle n’avait pas certaines marques de vieillesse, j’aurais juré que c’était Katherina. Merde, j’espère qu’elle n’a pas une grande sœur. Je sors mon téléphone et prends une photo. Je demanderai à Katherina si elle connaît cette personne, il ne faudrait pas que ça soit une prochaine cible du Night Court.
Après une heure de recherches dans ce bureau, aucune trace de la disparue. J’abandonne et retourne dans ma chambre.
— J’ai passé une super soirée.
Jack m’a raccompagnée chez moi, la lumière est encore allumée, ce qui signifie que ma sœur m’attend pour me poser des questions. Gênant.
Nous sommes tous les deux sur le pas de la porte, sous la petite lumière extérieure.
— Ne fais pas de cauchemar cette nuit.
Je me moque de Jack parce qu’il semble avoir encore plus peur que moi.
— T’as eu la trouille, même la petite de 13 ans assise devant toi avait plus de sang-froid.
— Ça ne compte pas, je suis sûr qu’elle était bien plus vieille que ça, qui va voir « La Nonne » à 13 ans ? C’est interdit au moins de 16 ! argumente Jack.
— Ça ne change rien, c’est toi qui ne vas pas dormir de la nuit.
— De la semaine tu veux dire !
Nous rions ensemble de bon cœur jusqu’à ce que nos rires s’éteignent. Cela ne fait même pas 24 heures que je connais ce garçon, pourtant, je ne me suis jamais senti aussi bien qu’à ses côtés ce soir.
Jack se rapproche de moi, mes lèvres s’entrouvrent dans l’attente de quelque chose. Il est si beau sous cette faible lumière. J’avance à mon tour, mon regard alterne entre ses yeux noirs et ses lèvres boudeuses, elles sont roses, pleines… Parfaites. Avant de me rendre compte que nous étions si proches, je me hisse sur la pointe des pieds et mes lèvres se posent sur les siennes. Ses mains se posent sur ma nuque pour m’attirer plus près de lui et les miennes agrippent son t-shirt, je peux sentir des abdos fermes dessous.
J’entends du bruit dans la maison. Je me rappelle soudain où nous sommes et je m’écarte. Je n’aurais peut-être pas dû l’embrasser, ça va trop vite.
— Mélinda doit m’attendre.
— Ta grande sœur ?
— Oui, c’est ça.
Il semble soudain nerveux.
— OK… Alors… Bonne nuit, Kat.
— À demain, Jack.
Les joues rouges et les lèvres gonflées, je rentre et file directement dans ma chambre pour éviter les questions de ma grande sœur.
Sur le grand canapé du salon en train de regarder ma série préférée, je prends une grosse poignée de popcorn quand j’entends la porte d’entrée s’ouvrir.
— Jack ? Papa ?
— C’est moi frangin.
Je ne fais pas trop attention à mon frère qui s’assied à côté de moi et qui me vole du popcorn.
— J’ai passé une super soirée, au cas où tu te poses la question.
— Attend c’est le moment où Yennefer1 devient belle.
— Je ne comprendrai jamais pourquoi on peut vouloir souffrir autant juste pour être jolie.
— C’est ça Jack, libère ton côté féminin, je le taquine.
— Oh, ça va !
J’appuie sur pause et me tourne vers lui.
— J’ai cherché si papa était impliqué dans la disparition de la propriétaire de la boutique.
— Alors ?
— Rien de rien sur cette madame Verras.
— Il y a un mais, j’en suis sûr, dit-il en posant ses coudes sur le dossier du canapé.
J’acquiesce d’un signe de tête.
— Mais j’ai trouvé une photo.
Je sors mon téléphone et le lui montre. Jack ouvre alors de grands yeux en s’approchant.
— C’est fou, c’est son portrait craché… en un peu plus âgé.
— Je suppose que tu l’as raccompagnée chez elle ce soir, tu as vu sa mère ? Ou elle a peut-être une sœur ?
— Non, sa mère est morte il y a quelques mois… Et oui elle à une grande sœur, mais je ne l’ai pas vu, je ne suis pas entré.
— Merde. Ça ne m’aide pas beaucoup.
— On n’a qu’à le lui demander.
— À papa ? T’es malade !
— Mais non, à Katherina idiot !
— Mais il faudrait tout lui dire. Elle va flipper.
— Ou alors, on essaie déjà de voir sa sœur. Si ce n’est pas elle, alors on ira voir Kat.
Il est 7 h 30, si je ne me dépêche pas un peu je vais être en retard pour ma première heure de cours. Il pleut aujourd’hui, on sent que l’automne approche. J’attache mes cheveux en un chignon coiffé décoiffé et enfile une robe et des bottines noires. J’attache mes colliers amulettes quand j’entre dans la cuisine pour chercher une pomme, Mélinda est assise au comptoir, une tasse de… café ? Et un album photo devant elle. C’est amusant, j’ai l’impression que ma sœur vit littéralement avec une tasse de thé dans une main, une liste dans l’autre. Quand elle boit autre chose, c’est généralement mauvais signe.
— Du café ? Quelque chose ne va pas ?
— En préparant l’autel pour Samhain, tu sais pour célébrer nos morts, j’ai ressorti notre vieil album de famille pour trouver une jolie photo de maman. Je l’ai ouvert hier soir…
— Et tu n’as pas dormi depuis c’est ça ?
— Non, soupire-t-elle.
Elle pose un coude sur le comptoir, cale son menton dans sa main en coupe puis continue de tourner lentement les pages. Ce spectacle est affligeant, ça ne ressemble pas du tout à Mélinda.
— Fais voir.
Je tire l’album vers moi, en partie pour la sortir de sa torpeur, mais en plus grande partie par envie de voir des photos de maman. Sur une page jaunie, on peut voir un sapin de Noël beaucoup trop garni de décorations. Dans notre ancien salon, Mélinda déballe un paquet cadeau aussi gros qu’elle, et moi je suis sur les genoux de notre mère.
— Je ne me souviens pas de ce Noël.
— C’est normal, tu étais trop jeune.
— C’était quoi cet énorme cadeau ?
— Un cheval à bascule.
J’éclate de rire, Mélinda a horreur des chevaux, d’aussi loin que je me souvienne, elle en a toujours eu peur.
— Ça va, j’ai essayé au moins, elle rit avec moi.
— On devrait les encadrer, tu ne penses pas ?
— Oui, ça serait chouette, je vais m’en occuper.
Un coup d’œil sur la pendule de la cuisine et c’est la panique.
— Oh, c’est pas vrai !
Je fonce vers le porte-manteau, enfile un imperméable et attrape mon sac à dos.
— Je suis super en retard, on se voit ce soir !
Tout en fermant la porte d’entrée derrière moi, j’entends encore ma sœur me parler.
— Tu m’aideras à en choisir une pour Samhain !
Arrivé dans le couloir des casiers, je suis trempé, ma capuche n’a pas réussi à sauver mes cheveux. Je frissonne quand je sens de l’eau couler le long de mon dos, sous mon t-shirt. Si je ne suis pas malade demain, c’est un miracle.
— Alors Delcroix, on aime la pluie ?
Léo secoue sa casquette mouillée au-dessus de ma tête, ce qui le fait tendre le bras au maximum tout en se tenant sur la pointe des pieds.
— Arrête ça ! je grogne.
— T’es pas venu en voiture ?
— Bien sûr que si mais ce fichu parking est trop loin de l’entrée et je n’avais que la capuche de mon sweat pour m’abriter.
— Ah ouais chaud, l’été est parti pour de bon hein ?
— J’en ai bien l’impression.
— Déjà nostalgique de l’été les gars ?
C’est Jack qui vient d’arriver, habillé en jean et blouson noir, seul son t-shirt bleu nuit contraste légèrement avec ses cheveux et ses yeux noirs eux aussi. La sonnerie annonçant le début des cours nous interrompt. Mon frère et moi avons anglais en commun ce matin, il s’installe au fond et je le suis pour prendre place à côté de lui.
— Attends, Kat a ce cours aussi.
Il a l’air gêné de me dire cela.
— Il s’est passé quelque chose entre vous ?
— Un petit truc oui.
Je pâlis.
— Hier soir ?
— C’est un interrogatoire frangin ?
Je l’agace, je le sens, je me tais mais je ne bouge pas.
— S’il te plaît, Sam, laisse-lui la place.
— Elle n’est même pas encore arrivée, je grogne.
« Un petit truc » ! Si vite ? Ça veut dire quoi « un petit truc » ?
Jack soupire et capitule. Les élèves entrent et prennent chacun une place avant que la professeure arrive. Le cours commence et il n’y a toujours pas de signe de Katherina. Je me penche vers mon frère.
— Tu es sûr qu’elle a anglais avec nous ce matin ?
— Certain.
Au bout de seulement quelques minutes, on frappe à la porte. C’est elle, elle donne un billet de retard à la professeure en lui marmonnant une excuse. Son regard se pose sur Jack puis un voile de déception le couvre quand il se pose sur moi. C’est vexant. Je regrette soudainement de ne pas avoir changé de place quand mon frère me l’a demandé.
— Kat, par ici.
Une fille aux cheveux rose et blond lui fait signe, elle est seule à une table contre le radiateur. La place qui sera la plus convoitée cet hiver, comme chaque année. Katherina, soulagée, lui sourit et se faufile entre les tables en évitant soigneusement les sacs qui jonchent le sol. Qu’est-ce qu’elle est belle… Cette robe noire lui va si bien, elle met en valeur ses formes plutôt généreuses.
— Samuel ? You are with us?
Des ricanements se font entendre. Jack me donne un coup de coude dans les côtes en me fusillant du regard.
— Euh… Yes miss.
Maladroite comme je suis, j’ai de la chance d’arriver à ma place sans m’étaler par terre à cause des sacs et de mes jambes qui tremblent d’avoir couru jusqu’au lycée. Mon imperméable a sauvé mes vêtements, c’est déjà ça.
Certains élèves ricanent… De moi ? Peu importe. Chloé me sourit quand je me pose à côté d’elle.
— Merci.
— Pas de quoi.
Le cours reprend.
— Alors, cette soirée au cinéma ?
— Comment es-tu au courant ? Je m’étonne.
— Oh, elle balaie l’air de sa main, Léo a dit à Dan qu’il vous a vu acheter des places.
— Les nouvelles vont vite par ici.
— C’est une petite ville. Mais ne change pas de sujet !
Je soupire, en souriant malgré tout.
— C’était chouette.
Chloé lève ses mains devant elle.
— C’est tout ?
— Ouais, c’était une chouette soirée.
— Non, Kat, des détails. Je veux des détails ! Quel film ? Est-ce qu’il t’a tenu la main ? Est-ce qu’il t’a embrassé fougueusement dans le noir ?
Je ne peux m’empêcher de rire.
— Mon cours est drôle mesdemoiselles ?
Oups. La professeure, mains sur les hanches, nous regarde.
— Non, sorry madame, s’excuse Chloé en mélangeant les langues.
Madame Bret soupire mais ne la reprend pas puis se retourne face au tableau. On se tait un petit moment jusqu’à ce qu’on n’y tienne plus.
— Alors ?
— Film d’horreur, oui on s’est pris la main et non, pas de baiser dans le noir, je chuchote rapidement.
— Oh quelle déception !
Le cours est terminé, nous remballons nos affaires et, au moment de partir, je me penche pour murmurer à Chloé :
— Le baiser, c’était en me raccompagnant chez moi.
Je me précipite pour sortir de la salle. J’entends encore ses cris suraigus quand je m’engage dans le couloir.