Nouvelles à contresens - Jean-Pierre Deumié - E-Book

Nouvelles à contresens E-Book

Jean-Pierre Deumié

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Beschreibung

Des récits pour remonter le cours de l'Histoire.

Ce recueil de contes est composé à rebours du temps : l’auteur remonte les ans depuis 2018 — un futur proche, au moment de la parution du livre — jusqu’en 1918.
Il y raconte de brèves histoires pour illustrer chacune des décennies calendaires du siècle qui vient de s’écouler. Il évoque ainsi des personnages pittoresques ou attachants rencontrés, des moments cocasses vécus, des souvenirs intimes, voire des commérages. Simples faits divers, ces historiettes sont cependant, le plus souvent, en rapport avec un événement marquant de l’année où elles se situent.
Les récits nous amènent de bourgades du Sud jusque dans le « bon » seizième parisien, dans plusieurs grandes villes de France, ainsi qu’à Benghazy et à Ankara.

Des nouvelles comme autant de souvenirs et de rencontres avec des personnages qui illustrent leur époque.

EXTRAIT D' UNE FEMME D'ARGENT

Florence se comportait en Madame de Guermantes moderne, « ouverte à toutes les idées neuves et justes ». Quelles que soient les circonstances, elle affectait le détachement et la simplicité de ces femmes qui n’ont jamais eu à se préoccuper du quotidien, mais ont su dépasser les préjugés de leur caste. Sous des dehors lisses et distingués, elle se montrait, aussi, facilement caustique. Ainsi, se moquait-elle aussi bien de la morgue des bourgeoises que l’on dit grandes, femmes de soyeux, d’avocats célèbres ou de mandarins médicaux, que du comportement maniéré des bourgeoises, d’extraction plus modeste, s’inventant un rang à tenir. Elle ironisait sur les jouvenceaux (et les moins jeunes) qui tiraient leur élégance de la marque connue, mise en évidence sur leurs vêtements, de leurs grosses lunettes noires ou de leur montre dont la qualité première n’était pas la précision, mais la taille et le prix. Elle se gaussait de ceux-là, mal dégrossis, qui semblaient se prendre pour de nouveaux aristocrates parce qu’ils évoluaient en smoking sur les plateaux de télévision.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Pierre Deumié est né en 1935, dans un petit village des Corbières. En 2012, il est venu à l’écriture pour s’indigner — c’était la mode — des incohérences politiques dans le domaine de l’énergie.

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Jean-Pierre Deumié

Nouvelles à contresens

Contes d’hier et de demain

Du même auteur

Le derrière des filles d’Éole, Nouvelles, contes et récits

Candide en milieu électrique ou le bon sens court-circuité, Trois contes technico-économiques

Amours intermittentes, Roman

Vassel-Graphique

À

Catherine,

Marie-Ève,

Marie-Françoise,

Nanda,

et Stéphanie.

Avant-propos

L’octogénaire sans hobby doit tuer le temps… en attendant la réciproque. Et quel meilleur passe-temps que de le remonter ? L’historien ou le biographe saura s’intéresser à des événements significatifs ou à des hommes célèbres. Le dilettante se contentera de grappiller, ici ou là, des anecdotes, des observations, des réflexions pertinentes (?), des mots plus au moins bons, des racontars, des commérages… Il les associera, les assaisonnera à la sauce de son imagination et tentera d’en faire des nouvelles.

Comme l’on va bientôt célébrer le centenaire de l’armistice de 1918, qui a mis fin à ce que l’on appelait la Grande Guerre ou la Première Guerre mondiale, catastrophe qui, avec la suivante – survenue seulement vingt et un ans après –, servait souvent de moyen de datation1 pour les gens de ma génération, j’ai situé la première de ces nouvelles en 2018. Ce futur proche m’a permis de m’affranchir du caractère un peu extravagant de la chute : dans l’avenir tout peut être plausible. Pour la suite, j’ai retenu une, deux, voire trois anecdotes par décennie calendaire, jusqu’en1918.

Le siècle écoulé a été, plus que tout autre, riche en révolutions, transformations… en particulier pour ce qui concerne les mœurs et la technologie. L’évolution sociale, l’accroissement des richesses et la multiplication de gadgets n’ont malheureusement pas permis de juguler la barbarie, la misère ou la bêtise. Mon but n’est évidemment pas d’en rendre compte ; je me suis juste intéressé à quelques faits divers. Mais les historiettes que je conte ont un point de départ authentique ou renferment des éléments de vérité. Elles sont, le plus souvent, en rapport avec un événement réel, qu’il soit sociologique, économique ou politique. L’année dans laquelle je les situe est aussi généralement exacte. Leur développement ne l’est évidemment pas. Il est dépendant de ma mémoire, de mon imagination, de la fiabilité de mes sources…

En incidente, je me suis cependant autorisé quelques constatations ou observations sur les faits historiques cités. J’ai surtout savouré le plaisir d’évoquer tant mon Midi natal, mes Corbières, que quelques modes de vie, façons d’être, croyances ou valeurs aujourd’hui disparus ou bien estompés.

Cela dit, les nouvelles qui suivent ne sont que des fictions. Et, comme il est d’usage de le préciser, toute similitude avec des faits réels et toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne sauraient être, évidemment, que des coïncidences.

1 Il était courant de dire, par exemple : « c’était avant 14 » ou « juste après la guerre. »

« Je n’ai pas retenu le meilleur ni le pire de ces choses : est resté ce qui l’a pu. »

–La soirée avec Monsieur Teste, PAUL VALÉRY

2018, au pays duvent

En guise d’au revoir

L’âge de la méditation venu, Simon s’était retiré dans ce coin des Corbières que l’on dit, aujourd’hui, maritime. Il était l’enfant de cette contrée rocailleuse, aride, tourmentée, parfois jugée sévère et même sauvage, mais si propice à la nostalgie ! Il y a fort longtemps, un poète méconnu de son village l’avait décrite comme « le pays du mirage grec », sans aucune prémonition d’ordre économique. Le massif des Corbières n’avait jamais subi de bouleversements profonds depuis des millénaires. Bien que la région soit riche de souvenirs préhistoriques et historiques, les apports humains s’y étaient effectués lentement, très progressivement, en harmonie avec la nature environnante. L’homme moderne y avait construit ses villages au creux de vallées sans les défigurer, groupant les maisons autour de clochers exempts de prétention. Il avait tracé des sentiers dans la garrigue pour accéder à ces grandes bergeries de pierres grises et noires qui se confondent avec la rocaille. Il avait coiffé quelques sommets de modestes chapelles ou de simples croix. S’il avait aussi bâti ces « citadelles du vertige » de Quéribus, Peyrepertuse ou Aguilar étiquetées cathares, c’était juste par envie de parachever l’œuvre du premier créateur. Le plus profond changement apporté par l’homme avait été, bien sûr, l’introduction de la vigne. Il n’y avait certes pas à s’en plaindre… et cela remontait à si longtemps, avant même que la Narbonnaise ne devînt romaine.

Simon vivait paisiblement heureux dans une de ces circulades languedociennes que le cers – les gens du cru disent plutôt le vent du nord, bien qu’il souffle de l’ouest – flagelle des jours durant, cinglant les visages, soulevant les jupes, faisant claquer les volets, remplissant les maisons de bruits étranges, de courants d’air et de froidure aussi, les mois d’hiver. Le cers alterne avec le marin généralement moins violent, chargé d’humidité et d’embruns, ces fameuses entrées maritimes. Mais qu’il vienne de Toulouse ou de la mer, le vent est au centre des préoccupations quotidiennes ; il rythme la vie villageoise. Le premier réflexe de chacun, sitôt levé, est d’interroger du regard la girouette rouillée fichée au sommet du vieux clocher. Tout le monde fait le même constat, mais il est d’usage de se concerter, d’en parler d’un air entendu.

Dans son village, Simon avait retrouvé Manon, l’amie de ses 15 ans, toujours aussi vive, gaie, boulimique de vie. Ensemble, ils sillonnaient régulièrement les Corbières et les abords des étangs, en voiture, émerveillés, comme une première fois, par le spectacle sans cesse renouvelé qu’ils découvraient à chaque tournant. Les saisons, les heures, l’orientation du vent, la qualité de l’air et de la lumière faisaient vibrer, de façon toujours différente, ces lieux qu’ils connaissaient si bien. Ils empruntaient presque chaque soir – c’était leur promenade préférée – la route qui va de Fraisse (prononcer Fraïcé) à Sigean, par le col de Souil, pour profiter de la vision qu’offraient, au couchant, la mer bordée dans le lointain par la montagne de la Clape, les étangs magiques qui viraient du gris à l’ocre puis au rouge, les falaises de Roquefort… et la touche cubiste incongrue apportée par la cimenterie de Port-La-Nouvelle, dans un tout petit coin du paysage. Pour mieux apprécier le panorama qui leur était si cher, ils avaient fait construire un charmant cabanon de pierres sèches sur un bout de landes. Ils y évoquaient leurs souvenirs ou, laissant vagabonder leur imagination, ils revivaient la bataille de la Berre2 qui s’était déroulée à leurs pieds, plus de douze siècles auparavant.

Les années passèrent et les anciens amoureux, vieillissants, n’attachèrent tout d’abord que peu d’importance aux symptômes d’une évolution qui allait bouleverser leur univers : l’installation de ces premières machines aux lignes épurées, étirant leurs gigantesques bras, pour défier le ciel. Ils trouvaient même assez judicieux d’utiliser la force du vent pour produire une énergie propre, comme l’on se plaisait à dire. L’idée n’était d’ailleurs pas nouvelle. Certes, les moulins, du genre de ceux qu’avait combattus Don Quichotte, avaient disparu depuis que, selon Daudet, « des Français de Paris eurent l’idée d’établir une minoterie à vapeur » moins dépendante des caprices de la nature, mais il restait encore, ici ou là, quelques-unes de ces bâtisses circulaires, témoins d’un passé révolu. Nos deux amis étaient plus préoccupés par la déchéance, inéluctable, qu’ils sentaient venir. Et ils usaient de trompe-l’œil : « Sachons au moins rester présentables et fréquentables », disait Manon. Ils affectaient un brin d’élégance tant dans leur tenue que dans leur langage. Ils évitaient les vêtements négligés, habituels chez les vieux du village, ils s’efforçaient de toujours trouver le mot juste et de conserver un peu d’humour. Cela leur prenait, cependant, de plus en plus de temps.

Les préoccupations écologiques donnèrent un coup d’accélérateur à l’implantation, dans les Corbières, de ces moulins des temps modernes destinés à fournir de l’électricité. Il faut dire que les avantages financiers accordés pour favoriser l’usage du vent étaient de nature à augmenter l’intérêt que l’on y pouvait porter. La plupart des sites remarquables que Manon et Simon appréciaient tant se révélèrent propices à leur installation. Ils furent même expulsés de leur cabanon aménagé sans permis de construire, afin de laisser la place à ce que l’on appelait, plutôt curieusement, une ferme éolienne.

L’engouement pour l’exploitation industrielle du vent, de même que les difficultés des deux amis, dans leur vie quotidienne, allèrent en s’amplifiant. Le massif devint le nouvel eldorado des électriciens. Chacun espérait toucher sa part du pactole, tant les viticulteurs prêts à sacrifier leurs vignes, que les communes qui escomptaient un énorme flux de taxes. Un consortium franco-sino-américain constitua même la Société d’énergie renouvelable cathare, la SERC, qui implanta quelques milliers d’éoliennes pour subvenir aux besoins en énergie de toute la région. Les nouvelles machines trouvaient place dans des lieux hautement symboliques : quelques-unes étaient fièrement ancrées, face à la mer, sur le cap Leucate ; d’autres ceinturaient le mont Saint-Victor et même Bugarach ; la plus emblématique était plantée, en signe de victoire, sur le château de Quéribus. La presse la nommait, évidemment, l’Éolienne cathare !

Lors de son inauguration, Simon et Manon avaient réuni quelques rares amis, en contrebas, dans le village de Cucugnan. Désemparés, ils rappelaient le sermon du vieux curé et promettaient l’enfer à ces nouvelles ouailles du vent. Ils disaient aussi avoir trouvé la solution de leurs autres problèmes.

Quelques jours plus tard, un technicien de la SERC, qu’ils avaient pu soudoyer, accepta de modifier le savant engrenage qui adaptait la vitesse de rotation des pales d’une éolienne à la force du vent et la mettait hors service lorsqu’il devenait trop faible ou trop violent. Pour ce faire et à titre de revanche, ils avaient malicieusement choisi la machine construite à l’emplacement même de leur ancien cabanon. Ils s’y rendirent à nouveau, avec leur complice, un jour où le cers soufflait à plus de cent kilomètres par heure. L’éolienne modifiée étant débrayée, Simon et Manon, plus élégants que jamais, s’agrippèrent chacun à une pale avant que le technicien ne relance la machine ; l’hélice se mit à tourner frénétiquement, de plus en plus vite. Lorsqu’ils estimèrent avoir acquis une énergie cinétique suffisante, ils lâchèrent prise et se trouvèrent projetés dans les airs, main dans la main, au-dessus de « ce toit tranquille où marchent des colombes ».

C’est du moins ainsi que leurs amis de Cucugnan se plurent à raconter qu’ils s’en étaient allés, s’interrogeant sur la raison réelle de leur décision.

2Au moins aussi importante que celle de Poitiers (les Sarrasins de l’émir Okba y avaient été définitivement vaincus par Charles Martel en 737), elle est curieusement oubliée dans la plupart des manuels d’histoire.

Rencontres

2007, àParis

La jeune femme du banc

Ils s’étaient rencontrés à l’issue d’une manifestation contre le recul de l’âge de la retraite. Non pas qu’il eût une quelconque propension à s’indigner – c’était la mode – ou à protester. En retraite, il y était depuis longtemps et tentait de s’en accommoder. Simplement assis à la terrasse d’un café du boulevard Voltaire, il regardait la dispersion des manifestants et observait, avec amusement, le comportement d’une jeune femme affublée d’un dossard aguichant. « Bon Dieu, où vont-elles chercher tout ça ? » Il avait toujours aimé les contrepèteries. Arrêtée devant lui, elle était sollicitée pour l’un de ces micros-trottoirs qui font souvent office de reportage. Le journaliste lui demandait de se retourner afin que la caméra puisse bien cadrer l’inscription provocante qu’elle affichait sur son dos : « Pour eux, des c… en or. Pour nous, des nouilles encore. » Elle s’apprêtait à répondre aux questions, semblant avoir l’habitude de ce genre de situation, quand, brusquement, elle se ravisa, rabroua et bouscula son interlocuteur ainsi que le cameraman qui l’accompagnait « non mais des fois, tu te prends pour qui ? » avant de se laisser tomber sur une chaise libre de la terrasse. « Mais quel con ! Tu te… vous vous rendez compte, ce salaud me proposait la botte pour passer ma binette à la télé. Je boirais bien une bière. » Désaltérée et rassérénée, elle sembla oublier l’incident pour interroger : « Pas mal la manif ? qu’est-ce que vous en pensez ? » Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et enchaîna « quoique, pour vous, l’heure de la retraite, il doit y avoir quelques piges qu’elle a sonné. Z’avez