Pas de quartier - Thierry Moral - E-Book

Pas de quartier E-Book

Thierry Moral

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Beschreibung

« Pas de quartier », c’est le nom du patelin. Trop grand pour être un village. Trop petit pour être une ville. Pas assez étendu pour être divisé en quartiers. « Pas de quartier » se situe entre l’orange et la clémentine. Un entre-deux pas facile à classer, alors on le mange comme on peut. Ça éclabousse, on s’en met sur les doigts, ça colle, ça gêne... Et pourtant, c’est le pain quotidien des gens qui vivent là. C’est mon cas. Je viens de « Pas de quartier ». J’en suis parti. J’y suis revenu. Je peux en causer.

Ce recueil de nouvelles et de slams est accessible aux adolescents à partir de 12 ans. Il évoque les violences au quotidien. De nombreuses thématiques sont abordées : violence psychologique, harcèlement, alcoolisme, effets de groupe, anorexie, enfermement... Malgré l’humeur sombre, la lumière persiste, entre les lignes poétiques, qui donnent espoir dans cette espèce humaine pétrie de contradictions.

Certains textes de cet ouvrage sont portés sur scène par l’auteur, dans une petite forme mêlant théâtre, slam et récit.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Thierry Moral : Conteur, comédien et auteur, il a publié une vingtaine d’ouvrages chez différents éditeurs (Lys Bleu, Spinelle, IS Édition, Lunatique, Téètras Magic…) dans différents registres (poésie, nouvelle, théâtre, albums jeunesses). Son domaine de prédilection reste le roman social, mais rester dans une seule case ne semble pas vraiment lui convenir. Pour en savoir plus : www.thierrymoral.fr

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Thierry Moral

Pas de quartier 

Du même auteur

– Dernières nouvelles de Montaubout, Roman

5 Sens Editions, 2019

– Graine de V, Roman

Lys Bleu Éditions 2019

– L’homme de papiers...,

Théâtre Spinelle Éditions 2020

– L’envol du carton, Poésie

Éditions Lunatique 2019

– Plafond céleste, Roman

IS Édition 2018

– Reconstitution, Roman

IS Édition 2017

– Vie de chien, Roman graphique

Éditions Lunatique 2017

– Sans attache, Roman

Éditions Atine Nenaud 2015

– (Parenthèses), Roman

Éditions Stellamaris 2015

– Phare intérieur,

Nouvelle Éditions Lunatique 2014

– Fred Loram, Roman

Éditions Lunatique 2012

– Trois douzaines, Roman

Éditions Kirographaires 2012

 

Pas de quartier

« Pas de quartier », c’est le nom du patelin. Trop grand pour être un village. Trop petit pour être une ville. Pas assez étendu pour être divisé en quartiers. « Pas de quartier » se situe entre l’orange et la clémentine. Un entre-deux pas facile à classer, alors on le mange comme on peut. Ça éclabousse, on s’en met sur les doigts, ça colle, ça gêne… Et pourtant, c’est le pain quotidien des gens qui vivent là. C’est mon cas. Je viens de « Pas de quartier ». J’en suis parti. J’y suis revenu. Je peux en causer.

Pourquoi

Je suis une sorte de messager, mais du genre vieille école. Un donneur de mots. Un passeur d’émotions. Un partageur d’images. Un raconteur d’histoires. Faut pas croire tout ce que l’on dit sur les conteurs. Ils ne sont pas tous des menteurs. Moi, je ne peux rien raconter qui ne me touche pas, même si c’est faux. Le problème n’est pas de savoir ce qui est vrai ou faux. Dans le fond, qui le sait vraiment ? L’essentiel, pour moi, c’est l’authenticité.

Authentiquement

Authentiquement

Ment autant que l’éthique

Qui se manifeste comme un tic

Une mécanique du sens

Allant jusqu’au non-sens

Du politiquement correct

 

Et pourtant on se la ramène

On se la raconte

On se drape de son image

Qui fait l’unanimité

Qui met tout le monde d’accord

Qui oserait être contre ?

 

Pas moi, la preuve

Même quand je bugge

Je ne le cache pas

J’assume ma fragilité

C’est le top du top

Plus vrai que de la tchatche en toc

 

J’y crois à fond

Même si cela ne me rapporte rien

Si je cherchais à palper

Je ferais quoi, du rap ?

Pas sûr que ça marcherait

Parce que je viens de « Pas de quartier »

PDQ

PDQ ressemble à une sorte de patate. Chaude, bouillante, fumante cuite au four trop longtemps, avec du fromage qui pue dessus. Quand on ouvre la peau en deux, ça fume autour d’un axe : la ligne de chemin de fer. Elle démembre le patelin, ou le structure, c’est selon. On distingue ceux d’en haut et ceux d’en bas. C’est un peu partout pareil ? Bien sûr, il existe des ponts. Ici, ce sont deux passages à niveau. L’un à l’ouest, après la gare. L’autre à l’est, à l’orée de la forêt. Tout ce qu’il faut pour que ça tourne. En rond ?

Les yeux et les mains

Non, l’espace n’est pas le plus important à « Pas de quartier ». Ce qui compte, ce sont les gens. Je pourrais vous brosser une galerie de portraits, mais les visages et les figures ne disent pas tout. L’espèce humaine a l’art et la manière de créer des apparences trompeuses. Bien entendu, les yeux en disent long, mais ils ne suffisent pas à cerner une personne. Avec les mains, tout devient limpide. Ce sont les mains que l’on serre, qui agissent, qui nous aident, nous caressent, nous frappent, nous pointent du doigt. Et autour ? Il y a les mots, qui content très bien maux à maux les petites misères et tracas du quotidien… Les blessures, les fêlures, les cicatrices ? Les raisons sont nombreuses, mais se conjuguent toutes au même temps. Non pas le présent de l’indicatif, il n’indique pas grand-chose. Ni le passé, pas si simple, ou encore le futur hanté rieur. Non, le temps de la déraison, c’est le subjectif agressif.

Subjectif agressif

Subjectif agressif

Ce temps-là n’existe pas

Pourtant il nous précède

Et même nous enterrera

La conjugaison est très simple

Inutile de l’apprendre

Elle est gravée dans notre mémoire vive

 

Je tue

Tu reluis

Il décide

Elle s’oppose

Nous nous taisons

Vous vous soumettez

Ils en profitent

 

Le subjectif agressif

Réduit le sujet

À sa plus simple partialité

C’est lui qui décide

Point à la ligne

Et tout ce qui s’oppose

Explose, c’est clair ?

 

Je tue

Tu reluis

Il décide

Elle s’oppose

Nous nous taisons

Vous vous soumettez

Ils en profitent

 

Et elles et elles au pluriel

Elles ont moins de droits

Mais on y travaille, on y travaille ma bonne dame

Que de cynisme pour une évidence collective

Tant que l’égalité prendra l’eau

Le navire vacillera

Mais rien n’est simple, rien n’est simple, ma bonne dame

 

Je tue

Tu reluis

Il décide

Elle s’oppose

Nous nous taisons

Vous vous soumettez

Ils en profitent

 

Chaque chose profite à quelqu’un

C’est la base même de ce système

Si t’aime pas, vas-y casse-toi

La marge est spacieuse, mais rarement heureuse

Quant à l’envers, c’est souvent l’enfer

Pas facile de trouver sa place

Dans la jungle subjective

 

Je tue

Tu reluis

Il décide

Elle s’oppose

Nous nous taisons

Vous vous soumettez

Ils en profitent

 

La petite leçon vous a plu

Vous m’en voyez ravi

Mais je vais vous en sortir une bonne

Tout ça c’est kif-kif bourricot

On s’en fiche de l’ordre des mots

Des règles du savoir-dire

Le principal, c’est que ça vienne du palpitant

 

Je n’en peux plus

Toi aussi

Il n’en pense pas moins

Elle c’est pire

Nous nous enfermons

Vous le savez bien

Ils se foutent de notre gueule

Jacou

Dans chaque village, il y en a un, qui porte le même surnom partout. La langue de vipère, la langue fourchue, la langue de pute, le moqueu’d’gins. Celui qui plante des mots dans le dos. Cela fait moins mal que des couteaux ?

 

Jacou, c’est LE ragoteur de « Pas de quartier ». Un champion. Il crache sur tout le monde. Tout le monde le sait, lui demande d’arrêter, mais il continue toujours et encore, alors le ban et l’arrière ban baissent les bras, même ses parents. Le jour de ses dix-huit ans, il est invité à quitter le domicile familial et à ne plus y remettre les pieds, sauf si c’est pour annoncer une bonne nouvelle. À cette époque, les bonnes nouvelles, il n’en existe que deux. Trouver un métier, un qui rapporte. Dégoter une femme à marier, une belle.

 

Autant attristés que soulagés, les parents emmènent leur fils unique à la gare, en espérant qu’il aille loin, très loin. Jacou regarde ses vieux partir, laisse le train passer, puis met la route sous ses pieds. Il traverse le passage à niveau pour aller voir ceux d’en haut. Dès qu’il croise quelqu’un, il l’interpelle, le chambre, discutaille, mais sa réputation le précède comme son ombre. Arrivé complètement à l’est, il doit prendre une décision. Tout droit : la forêt. À gauche : la montagne. À droite : le lac. Il choisit de prendre de la hauteur.

Jacou grimpe, grimpe, grimpe, en pestant, râlant ! Elle encaisse, la nature, comme toujours. Vers la fin de la journée, il cherche à quatre pattes après un champignon qu’il croit avoir vu… Il est tellement obnubilé, qu’il ne voit pas la pénombre qui le recouvre. Entendant une branche qui craque, il se retourne et se retrouve face à une… femme ? Robe à fleurs criardes, doudoune crasseuse, turban dont s’échappent des cheveux noirs et gras, une hache à la main. Jacou recule, s’affalant dans la boue. Elle s’avance en souriant. Il se protège le visage des bras, puis elle lui lance d’une voix caverneuse :

– Tu m’épouses, ou je te bouffe ?

Jacou baisse la garde, cherchant les yeux de cette femme.

– Tu m’épouses, ou je te bouffe ?

Il se rappelle bien de la légende selon laquelle une vieille femme à barbe se serait installée dans une cabane sur le flanc de la montagne… C’est elle !

– Tu m’épouses, ou je te bouffe ?