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Sur la planète Hélios, après leur initiation, Erendal, l’Épée du Dragon, et Bianca, la Perle de l’Aigle, commencent à percer le secret de leurs existences. Leurs pouvoirs magiques se révèlent à travers des rencontres extraordinaires : magiciens, dragons, aigles géants et loups. Un sorcier destructeur renaît, aidé par un nécromancien, et cherche à assouvir sa soif de vengeance et de domination totale. Lorsque le mystère est enfin dévoilé, la rage et la douleur s’emparent de nos héros, les entraînant dans un combat sans merci.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Anita Valantin s’est initiée à la littérature dès l’enfance. Ses parcours professionnels dans la comptabilité, le monde du handicap et la sophrologie ont aiguisé sa sensibilité. Après avoir vécu un évènement douloureux, écrire devient pour elle un acte de résilience. Dans "Perle et Dragon – les Origines", elle nous emmène dans un imaginaire mêlant poésie et fantastique.
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Seitenzahl: 277
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Anita Valantin
Perle et Dragon
Les Origines
Roman
© Lys Bleu Éditions – Anita Valantin
ISBN : 979-10-422-3978-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Si j’avais vécu sur une Planète appelée Hélios, contemporaine de Bianca et d’Erendal,
Si j’avais suivi dans leur ciel la course de leurs trois soleils, dormi dans la paix des sœurs-lunes, peut-être aurais-je croisé, curieuse, leur chemin et me serais-je nourrie de leurs aventures, peut-être aurais-je pu les aider à combattre dragons pervertis et sorcier maudit…
Mais je ne suis que celle par qui leur histoire a pris corps, celle qui a tendu l’oreille à leur souffle, à leur poésie, à leurs combats, à leurs peines, leurs colères et leurs joies. Ils m’ont portée dans leurs courses pour sauver leur planète, dans leurs rencontres avec des êtres extraordinaires, dans leur amour et leur magie… ils ont fait de moi leur passe-muraille, leur traductrice et leur amie ! Ils m’ont fait traverser l’espace infini pour me livrer ces instants de leurs existences, et pour cela, je les remercie avec la gratitude de celle qui a vibré à leurs attentes et à leurs passions.
Si mes amies : si toi Marie, si Christine, amie de toujours, vous n’aviez pas été là, de plume, de pensée, de crayon, de gomme et de clavier, pour suggérer ici ou là ce que je pouvais modifier, épurer, alléger… mes amis de l’au-delà de l’Océan d’Hélios n’auraient pu si bien prendre corps dans ces lignes…
Si toi, Daniel, dans ton infinie patience, ton soutien discret devant mes lentes avancées souterraines de Ver-Dragon, tu n’avais pas entouré d’harmonie et de beauté et fleuri mon chemin d’écriture, ô combien aurait été difficile la co-naissance de ce monde et de ses personnages…
Alors, mon infinie reconnaissance à vous trois ! Gratitude !
C’était son tour bientôt.
Il le savait. Il le sentait.
Comme tous, pour quitter l’adolescence et rentrer dans l’âge adulte, Erendal devait faire ce parcours.
À la tombée de la nuit, il revêtirait la brillante armure, seul dans la maison perdue, à quelques centaines de mètres de la plage.
Seul, enfiler les gants, se saisir de la lourde épée, méditer, longuement, jusqu’à ressentir le calme, la paix l’envahir. Éprouver sur son corps l’armure, ses jointures, sa structure et son étonnante capacité à prendre la forme exacte de son anatomie. La sensation de puissance l’envahirait, et il se dirigerait, solennel, vers l’eau…
Cette scène se répétait depuis tellement longtemps. Tous savaient que c’était là que se jouait pour eux leur entrée dans le monde des adultes. Un monde où, à tout moment, il leur faudrait être forts, mais aussi se montrer réfléchis, paisibles et courageux.
C’était ici le rituel de passage des jeunes hommes.
Les jeunes filles, elles, qui devenaient de jeunes femmes, avaient aussi un rituel. Très différent… Mais Erendal réalisa combien elles devaient être plus déterminées qu’eux, plus courageuses. Leurs différences physiques les amenaient, eux, au possible combat. Cela ne devait pas être leur seul attribut, mais celui-ci, du fait de leur physique, primerait.
Elles, devraient assumer le visible et l’invisible, le sang, les larmes, les transformations permanentes de leur corps, les responsabilités des naissances. Leur rituel les amenait à se confronter à une autre face de la mort. Jamais les garçons ne vivraient les douleurs par lesquelles elles devraient passer.
C’était ainsi. Leur société s’était construite ainsi.
Des millénaires sombres les avaient amenés, eux, à fonder ces rituels. Ils étaient le passage obligé de la confrontation à la vie qu’ils auraient à investir et à défendre, en temps qu’hommes et femmes de cette planète. Qu’ils soient de jeunes gens responsables, réfléchis et courageux, voilà ce qu’on attendait d’eux.
C’était donc la nuit du Rituel.
Erendal bougea avec l’armure pour s’habituer. Une fois enfilée et bien mise en place, elle était étonnamment légère. Il fit les exercices avec l’épée, vérifia son équilibre, sa tension. Elle était belle, elle avait été décorée avec soin. Elle l’accompagnerait tout au long de sa vie, et serait détruite avec lui, après sa mort.
Tout naissait, vivait, mourait, et surtout tout devait disparaître pour se transformer et renaître. Depuis enfant, il voyait autour de lui les effets du temps. On leur apprenait à regarder, à ressentir, à partager.
On leur avait raconté le monde d’avant, violent, brutal, guerrier, où la loi du plus fort ou du plus riche, du plus malin, du plus tordu aussi, régnait.
Ils avaient tous, garçons et filles, été rebutés par les descriptifs qui avaient été faits.
Alors, constater l’équilibre du monde dans lequel ils vivaient était un soulagement.
Tous prenaient l’habitude, depuis enfant, d’être reconnaissant pour chaque jour qui leur était offert. Chacune de ces journées leur permettait d’expérimenter quelque chose de nouveau, d’être attentifs aux autres, à la stabilité et à l’harmonie de leur monde.
Ainsi la méditation, après avoir laissé ces pensées s’envoler en cadeau vers le monde, entraîna Erendal vers le Souffle Magique, celui qui lui donnerait la force.
Chaque passage, chaque rituel devait se dérouler seul. Aucune assistance ne leur serait apportée. Tel était leur début, la quête de leur place au monde. Il en serait ainsi de toute leur existence. À chaque passage, ils devraient être seuls.
Lentement, il marcha vers l’eau, aussi sombre que la nuit, aussi vivante que l’animal géant qu’elle cachait dans les profondeurs de ses replis. Les lunes, magie de la nuit, ondoyaient des reflets sur les crêtes d’écume.
Il était prêt à l’appel. Il pénétra dans l’eau, marcha jusqu’à sentir les vagues arriver sur ses mollets, sur ses genoux.
Le vent se leva, comme mû par l’évènement qui était en train de se jouer ici. Les vagues enflaient autour de lui. Il rassembla au niveau de son plexus toute son énergie, devint lien entre le ciel et la terre. L’épée et tout son corps, dressés vers le ciel, il lança l’appel.
Les éléments répondirent. Le vent tournoyait autour de lui, les vagues tentaient de l’arracher au sol. En même temps, il sentit l’être immense remonter des profondeurs pour lui faire face.
Y aurait-il un combat ? Erendal savait que si tel était le cas, il disparaîtrait à tout jamais dans les eaux. Il serait anéanti. Tel en serait l’issue, si le monstre le décidait.
Il rassembla toute son énergie, et renouvela le cri. Il n’était plus un jeune homme dans un rituel, mais le Guerrier, appelant le Dragon.
Et voici que, soulevant des vagues immenses, celui-ci apparut, gigantesque. Il baissa la tête et regarda intensément celui qui l’avait tiré de son antre.
Un long moment s’écoula, le Dragon ruisselant dégageait une puissance fabuleuse. S’il avait voulu, en une seconde, il aurait bousculé et tué ce jeune corps qui l’appelait.
Il se dressait à quelques mètres d’Erendal. Celui-ci galvanisé, comme hypnotisé, ouvrit son esprit au Dragon.
Les secondes, les minutes, le temps passaient, l’échange dura longtemps. Puis, après un souffle, qu’il sentit sur ses cheveux, l’animal mythique glissa à nouveau dans les replis de la mer.
Erendal pleura longtemps, l’épée au repos, pointe posée devant lui, et remercia. Il ne pleurait pas pour la peur. Il pleurait pour les années passées avant ce moment, qu’il ne retrouverait plus. Il pleurait pour ceux qui n’avaient pas vécu le départ du Dragon, et pour ceux qui, avec ce souffle, étaient acceptés à la Vie.
On leur apprenait depuis l’enfance que les larmes étaient une purification. Rien ne devait rester inexprimé. Alors les larmes lavaient le trop-plein d’émotions reçues et ressenties.
Les larmes rejoignaient la mer… le sel retourne au sel, se dit-il, l’eau à l’eau… Ainsi allait la marche du temps et des habitants de leur planète.
Les nuées, qui avaient recouvert un instant le ciel, semblèrent se fondre en lui. Apparurent clairement les trois lunes. Les sœurs-lunes aussi proches les unes des autres, accordées dans un rythme qui ne laissait aucun doute sur leur entente… Elles étaient les lumières de la nuit, tout comme les trois soleils étaient ceux du jour. Chacun, chacune prenait le relais, lorsque l’autre avançait dans le ciel.
Enfants, on les avait entraînés à méditer sur le sens profond des apparitions et des départs des lunes et des soleils. Ils savaient le sens que leurs présences et leurs absences donnaient à leur planète. Ils étaient la vie, autant que les Dragons qui peuplaient les mers.
Erendal rejoignit la petite maison, médita encore longtemps. Il se déshabilla, rangea avec soin l’armure dans le coffret qu’il devrait garder toute sa vie auprès de lui. Elle était faite d’un matériau d’une grande souplesse. Bien pliée, elle tenait dans cette boîte qu’il porterait dans son dos à chaque déplacement ordonné par les Maîtres.
Lorsqu’il eut retrouvé la Cité, ses amis avaient préparé un moment de partage chez lui. S’il n’était pas revenu, leurs pensées auraient accompagné son entrée dans le non-monde, les Plaines du Grand Repos.
Il fut accueilli avec la joie de ceux qui appréciaient sa force et son courage. Il fut embrassé, choyé, félicité à la hauteur de son expérience. Il était le premier de leur groupe, à vivre le Rituel. Chacun serait appelé selon son chemin.
Bianca et son amie Mellie étaient là. Bianca serait, elle le savait, la suivante.
Le Rêve l’avait prévenue. Elle s’y préparait depuis longtemps, comme toutes les filles, comme tous ceux qui quittaient le monde de l’enfance.
Telle était la vie de toutes et tous, dans la clarté de leur conscience. Rien n’était forcé, rien n’était recherché, tout advenait, sans résistance, sans contrainte.
Ceux que le Rituel ne rendait pas à la terre, qui restaient dans la mer… Ceux-là avaient fait don de leur conscience pour que le fabuleux Dragon ou leurs animaux totems continuent à protéger la planète dont ils étaient tous issus. Il en était de même pour Bianca. La rencontre avec le Grand Aigle, Maître du Ciel, apporterait à son esprit l’incisif, la détermination et le courage, ce qui équilibrait le monde : la terre et l’eau et puis le monde des esprits.
Pour d’autres, c’est leur animal totem qui les guiderait vers l’initiation. Eux seuls sauraient le moment venu l’animal et le lieu. Il les appellerait et ceux-là sauraient.
Ainsi était leur vie, leur monde.
Bianca savait quelle confrontation terrible avait dû vivre Erendal. Mais elle savait aussi que, comme il aurait pu ne pas en revenir, ses pas à elle pourraient ne pas la ramener auprès de ceux qui lui étaient chers.
Il y eut un bruit à l’extérieur. Une canne frappa sur le volet de bois. Puis la porte s’ouvrit. Un garde précéda le Maître. Tous firent silence, saluèrent avec déférence celui qui avait été leur instructeur, et leur guide.
Erendal fit face au Maître et, genou plié, attendit la parole qui lui serait dédiée.
Celui-ci sourit, le releva d’une accolade :
— Je n’ai pas douté que tu réussisses. Tu es sur le chemin des Grands Évènements. Le choix du Dragon le confirme. Et avec lui, ton nouveau nom : « L’Épée du Dragon ».
Tous saluèrent, dans un chuchotis, le choix des Maîtres.
Il se tourna vers Bianca, et avec le regard particulier de celui qui voit au-delà du présent, il annonça :
— Tu seras la prochaine, tu le sais, le Rêve est venu pour toi. Que tu réussisses ou pas l’épreuve, tu as mérité dès maintenant ton nouveau nom : « Perle de l’Aigle ».
Il était totalement inhabituel qu’un nouveau nom soit donné avant le Rituel. La place qui serait dédiée à Bianca devait avoir été soigneusement étudiée ! Elle se mit à genoux et remercia pour l’honneur qui lui était fait.
Leur soirée se termina avec le départ du Maître.
Ainsi, chacun reprit son propre chemin.
Une nouvelle page allait s’ouvrir pour celle dont le nom avait précédé le rituel. Peut-être était-ce pour qu’elle ait son nom d’adulte au moment fatal. C’était la question qu’elle envisageait avec la sérénité qui lui était habituelle. Elle accepterait ce qui lui était destiné.
Lorsqu’elle s’éveilla au milieu de la nuit, les lunes étaient hautes dans le ciel. Elle savait que le chemin serait long pour arriver au Lieu Sacré. Elle prépara son havresac. Elle revêtit les bottes et les vêtements qui lui permettraient d’affronter la montagne et le froid. Dans son sac, sa robe, soigneusement pliée, serait là pour accomplir le Rituel.
Le chemin serait long : les lunes l’accompagneraient, puis les soleils, avant, à nouveau, le retour des lunes. Alors elle serait arrivée, si aucun obstacle ne venait freiner sa course. Sereine, elle ne l’envisageait pas comme une éventualité, mais plutôt comme un léger possible à écarter.
Le chemin de la Grande Montagne était sec, ardu, glacial, venté. Aucune forêt, aucun arbre pour s’abriter. Elle se protégerait des courants froids derrière des rochers. Reprendre vite l’ascension lui permettrait de ne pas laisser son corps se refroidir. La vitesse à laquelle elle attaquait le terrible sentier était sa meilleure défense.
Courir avait été depuis l’enfance son plaisir.
Courir sur la plage, courir sur les chemins boueux, courir sous le regard des lunes, courir brûlée par les soleils, encore courir. Elle en comprenait maintenant le sens.
Le rythme de son souffle emplissait sa cage thoracique, emplissait ses narines. La sensation de n’être plus qu’un soufflet de forge parcourant la montagne lui traversa l’esprit. Elle sourit à l’évocation. Petite, elle avait visité une forge, là où les épées des rituels masculins étaient fabriquées.
Voir l’immense soufflet manipulé pour que l’air puissant attise les flammes l’avait impressionnée. Elle imaginait souvent, ce soufflet, lorsqu’elle pensait aux épées rituelles. Le souffle, l’air étaient maintenant sa méditation.
Les lunes avaient disparu du ciel depuis longtemps. Les soleils éclairaient l’immense montagne, traçant les reliefs, les ombres. Là-haut, la neige, l’air glacé l’accueilleraient. Il faudrait qu’elle construise son abri, en attendant le moment du Rituel.
Elle avait la sensation de voler sur ce chemin. Des pierres, des roches auraient pu la faire chuter, la ralentir. Le but lui donnait la force et la légèreté nécessaires. Elle se sentait bouquetin au fond de l’âme… bouquetin, oiseau, lynx des rochers. Ses cheveux longs s’envolaient à chaque enjambée. Il lui faudrait les coiffer pour être prête à la Rencontre. En attendant, ils auréolaient sa tête, vibrants comme de l’or dans la lumière…
Lorsque les soleils saluèrent le paysage assombri et le retour des lunes, Bianca réalisa que sa course l’avait conduite au pied du Pic Magique. Elle contempla longuement sa beauté étincelante dans les derniers rais des astres du jour. Elle salua la Grande Montagne pour son accueil, les oiseaux, les animaux, les plantes et les rochers dont elle avait croisé le chemin.
Là où elle était, tout était pureté. Elle n’avait eu aucun mal à marcher tant que le sentier avait été pierres et rocs. Arrivée sur le sommet, la neige était apparue, craquant sous ses pas, avec le risque de glissade. Heureusement, le ciel avait été clément, et elle n’avait trouvé l’étincelante couverture que sur la fin de son parcours. Elle remercia pour le cadeau qui lui avait été fait de placer son Rituel à ce moment des saisons.
Puis elle sortit un piolet, et commença à tailler la neige glacée. Elle construisit ainsi l’igloo, la cabane de neige qui abriterait ses derniers instants avant le Rituel, peut-être ses derniers instants.
Lorsque ce fut fait, elle tassa soigneusement la neige à l’intérieur, déplia la toile qu’elle avait amenée. Celle-ci serait son tapis de méditation, son lit de repos, et son lieu de préparation pour le moment qu’elle attendait.
Un long temps de recueillement la rapprocha encore plus mentalement de l’immense architecture sauvage de la montagne. Elle en sentait les vibrations jusqu’au plus profond de son corps. Elle eut soudain la sensation de ne plus être le passé, le présent de Bianca. Elle était la montagne, en même temps que le ciel, et les éléments.
Elle se prépara alors à la Rencontre, revêtit la Robe immaculée, et sortit sur la plate-forme au pied du Pic. Les lunes éclairaient l’espace avec la parcimonie nuancée qui donnait aux paysages la présence particulière, qu’il sembla à Bianca avoir déjà trouvé dans certains tableaux présents dans la Maison des Maîtres de Maât.
Elle sortit alors le couteau de son étui. Elle l’avait soigneusement préparé, chargé de son énergie. Le couteau posé devant elle, en communication totale avec les éléments, elle commença son chant. La montagne, éclairée par les sœurs-lunes séparées dans l’espace, sembla vibrer à l’unisson.
Elle n’était plus une simple jeune fille, dans un rituel. Elle était la Prêtresse. Son chant s’éleva, puissant, tournoya dans les airs.
Elle se saisit du couteau, et s’entailla la main profondément. La main ouverte et levée vers le ciel, dressée comme une flamme sanglante, de toute sa puissance, elle appela.
Alors, la Magie opéra. L’Aigle immense apparut soudain, ses ailes brassant avec vigueur les quelques nuées effilochées qui blanchissaient le ciel sombre.
Il se posa à quelques pas de Bianca, les ailes toujours déployées, dressé sur ses pattes et ses ergots puissants.
Bianca, debout face à l’Aigle, les yeux plongés dans le regard de l’immense rapace, eut soudain la sensation de devenir le Géant Oiseau, celui à qui appartenait ciel, montagnes et vallons, celui qui régnait sur les airs, sur l’espace. Elle sentit la volupté des courants qui l’entraînait dans des sillages colorés et odorants. Elle sentit les mouvements des rémiges au moindre basculement vers les terres.
Elle sentit le cœur du Géant battre, comme le sien. Elle sentit le souffle de l’Aigle, bec ouvert, comme son propre souffle. Elle sentit sur sa chevelure dénouée ce souffle soulever des mèches folles. Elle sentit les griffes puissantes enserrer la roche glacée. Elle se sentit roche, neige, glace. Elle se sentit Temps, depuis le début des espaces, des lunes et des soleils, le début et la fin. Elle était au-delà, morte et vivante.
À ce moment, elle sut qui elle était, qui elle serait, quel était son chemin, sa destinée.
Elle baissa les yeux vers ses mains tendues. L’Aigle avait posé son bec dans sa main ensanglantée. Il avait accepté le Don du Sang, l’avait transmuté ! Et au lieu du sang, il avait déposé une Perle pâle et translucide. La mutation exceptionnelle chargea l’instant d’une émotion puissante. Tremblante, elle se mit à genoux et remercia, longuement, de tout son être pour le cadeau de l’Aigle Géant.
Alors, battant à nouveau de ses ailes puissantes, celui-ci disparut, glissant dans l’espace immense, sans un cri, sans un bruit.
Elle pleura longtemps, sur la vie et la mort de ceux qui étaient restés sur le chemin des Rituels, sur toutes les vies et toutes les morts que sa planète avait connues. Elle remercia pour l’immensité du cadeau qui lui avait été fait. Elle était désormais « Perle de l’Aigle », et comme la Perle, elle refléterait le monde tel qu’il était, tel qu’elle le croiserait désormais.
Tel était son destin.
Elle rangea les vêtements et le couteau. Puis, elle détruisit, et rendit à la montagne la cabane de neige. Tout devait reprendre sa place.
Alors elle prit le chemin de la descente. À mi-parcours, un autre chemin partait vers les Terres de l’Ouest. L’Est ne la reverrait pas. Pas maintenant, en tout cas. Elle avait instantanément compris, le matin, en arrivant à ce chemin pourquoi le Maître lui avait donné son nom. Elle ne devait pas revenir du Rituel, non pas arrêtée par celui-ci, mais parce que sa destinée l’emmènerait vers d’autres lieux, d’autres vécus.
Le chemin vers les Terres de l’Ouest serait son chemin.
Alors que ses amis, dans la cité, imaginaient son retour, Erendal, lui, avait compris. Au moment où le Maître avait nommé Bianca « Perle de l’Aigle », il sut qu’elle ne reviendrait pas. Son destin l’emmènerait sur d’autres chemins.
Il lui faudrait accepter. Se couler dans le temps, faire le dos rond à l’évènement. Il savait que leur destinée à tous les deux les rapprocherait inexorablement. La communication ne s’était pas rompue avec le rituel. Elle s’était renforcée. Elle était en vie, elle avait réussi. Tout était bien. Il y aurait un temps pour eux.
Elle, pendant ce temps, sur les sentes, en direction des Terres de l’Ouest, alors qu’elle ne s’était reposée que quelques instants sous des futaies, avançait rapidement. Quelqu’un l’attendait, il fallait qu’elle fasse vite. Elle avait fabriqué en quelques instants avec un pan déchiré de toile une protection pour la perle. Elle l’avait attachée dans son vêtement avec un fil de la même toile, celle qui lui avait servi de lit et de tapis de méditation. Ainsi, la Perle ne la quittait pas. Elle formait sous son vêtement une boule, comme un talisman. Nul ne viendrait voir ce que contenait un si fruste tissu.
Elle marchait, courait depuis un long temps, et puis elle entendit. Des pleurs l’avertirent de la présence qu’elle attendait. Une petite fille blessée était là, au bord du chemin. Le sang coulait d’une blessure à son bras. Une drôle de blessure !
Sans rien dire, elle approcha. La gamine devait avoir une dizaine d’années. Elle avait de grands yeux clairs, un minois qui aurait dû être délicat si la peau avait été propre. La petite était dans un état de saleté repoussant. Peut-être était-elle maltraitée ? Mais qui oserait mal se comporter avec une enfant ?
Elle la salua et s’assit près d’elle :
— Bonjour ! Puis-je voir ta blessure ? Je peux peut-être t’aider…
La gamine hocha la tête en reniflant. La blessure avait été faite par un oiseau, un rapace peut-être. Bianca, c’est sous ce nom qu’elle se présenta, doucement approcha sa main et la magie de la Perle opéra. La blessure disparaissait. Les chairs attaquées en profondeur se refermaient. L’enfant la regarda stupéfaite :
— Comment fais-tu cela ?
— Je ne sais pas. Mais il me semble que l’important, c’est que tu sois guérie, non ? fit-elle avec un sourire. Maintenant, dis-moi, que fait une petite fille aussi négligée sur ce chemin ? Je vais te ramener à ta famille !
— Je voulais attraper une pierre brillante sur la roche là-bas, montrant un rocher du geste. Un gros oiseau noir est arrivé, j’ai eu peur, je suis tombée. Et l’oiseau m’a attaquée. Il voulait la pierre, alors je la lui ai laissée. Il a continué à me donner des coups de bec, alors j’ai roulé dans la terre jusque-là. C’est pour ça que je suis sale ! Et pour ma famille, tu sais, on ne les trouvera pas. Il y a eu un accident, une charrette les a tués tous les deux : les chevaux s’étaient emballés, la charrette s’est renversée sur eux. Je suis restée à les appeler… On m’a dit que c’était fini, que je ne pouvais plus rien faire. Ils les ont emportés, des voisins m’ont donné à manger, et puis voilà…
— Tu n’as plus de famille du tout ?
— Non ! Les parents de mes parents sont tous partis pour les Plaines du Grand Repos. Il ne reste que moi.
— Alors je ne te laisserai pas comme ça. Tu viendras avec moi, si tu es d’accord. Je trouverai bien une solution à un moment. En attendant, nous devons trouver de quoi manger et dormir un peu. Où était ta maison ? Peut-être peut-on y aller et récupérer quelques vêtements pour toi, et un peu de nourriture ?
— Je te montre. Je suis restée dans la maison, toute seule. Il y a juste une voisine qui me donne de quoi manger.
La maison n’était ni très loin, ni très grande. La petite sortit tout ce qui restait dans les placards.
— Aviez-vous un jardin ?
— Oui, derrière.
Bianca trouva des légumes dans le jardin, et prépara un repas nourrissant pour deux.
Elle suggéra que la petite se nettoie et change de vêtements. Elles devraient se reposer toutes les deux avant de reprendre le chemin.
Quelques coups à la porte, puis celle-ci s’ouvrit, laissant passer une dame essoufflée avec un ventre assez impressionnant. Elle allait accoucher rapidement…
— Tu as de la visite, Lara ?
— Oui, la dame m’a aidée, j’ai été attaquée par un gros oiseau.
Bianca expliqua et questionna :
— Savez-vous à qui pourrait être confiée cette enfant ? Peut-être vous-même ?
— Non, j’ai déjà trois enfants, et un quatrième qui arrive. Je la nourris en attendant de trouver quelqu’un qui puisse la prendre en charge.
— Si je l’emmène avec moi, est-ce que cela posera problème ? Je lui ferai l’école. Et je verrai en arrivant à la prochaine Cité, si je trouve une bonne solution pour elle.
— Alors, faites comme ça. Cela fait déjà beaucoup de lunaisons que ses parents sont partis. Je me suis occupée d’elle en attendant une solution. Vous êtes arrivée au bon moment ! Cette enfant est pleine d’énergie, et je ne peux pas la surveiller tout le temps… Si vous m’assurez qu’elle sera protégée et bien prise en charge…
D’un coup, elle porta la main à son ventre en grimaçant, puis se tordit de douleur.
— Je crois que le bébé arrive…
— Qui s’occupe de vos autres enfants pour l’instant ?
— Leur père est avec eux. Ils sont allés au bois tous les quatre ramasser des fagots, de quoi chauffer.
— Très bien, nous allons nous occuper de cette naissance, n’est-ce pas, Lara ? fit-elle avec un clin d’œil. Peut-être pouvons-nous aller chez vous ? Et Lara, pourras-tu nous faire chauffer de l’eau ?
Bianca accompagna la jeune femme dans la maison voisine. Elle l’aida à s’allonger, puis posa ses mains sur le ventre tendu.
Elle n’avait rien appris. Cela ne faisait pas partie de leur formation. Mais, d’instinct, elle trouverait les gestes. Ses mains feraient ce qu’il faudrait pour que le bébé naisse dans les meilleures conditions pour lui et la maman.
Ce serait une fille. Elle le savait.
Elle était arrivée à ce village depuis une heure et elle avait déjà guéri une enfant, se préparait à accoucher une jeune femme, et à emmener dans son sillage l’enfant perdue. Rien ne l’avait préparée à cela, mais tout lui semblait naturel, simple. Les évènements arrivaient. Elle agissait.
La jeune femme se reposa quelques minutes, puis Bianca lui demanda de trouver la posture dans laquelle elle se sentirait le mieux pour accoucher. Ce serait accroupie. Elles installèrent des draps au sol, et préparèrent de quoi accueillir le bébé.
La naissance ne tarda pas. Agenouillée devant la maman, Bianca trouva les gestes, ou plutôt, ce furent ses mains qui trouvèrent. Elle sentait l’énergie de la Perle Magique se diffuser dans tous ses mouvements. Lorsqu’elle posa le bébé dans les bras de sa mère, après avoir rompu le cordon avec son couteau, elle comprit que son chemin allait passer par beaucoup de sang, mais aussi par beaucoup de bonheurs de vies et de naissances, de soins et de réparations.
Ce serait là une bonne partie de son chemin. Pas le seul. Elle serait aussi une Guide pour l’enfant perdue, et aussi pour d’autres. Elle serait encore sur beaucoup d’autres chemins. Elle laissa la jeune femme se reposer et se retira dans la pièce principale.
Lara, émue, était restée près de Bianca pendant l’accouchement…
— Tu es bien jeune pour assister à un moment aussi important dans la vie d’une femme, lui dit-elle. Mais, au moins, comme ça, tu sais comment se passe une naissance. Est-ce que tout va bien ? Es-tu choquée ?
— Non, j’ai vu les brebis mettre bas, j’ai trouvé ça encore plus beau ! Tu sais, je veux partir avec toi, et que tu m’apprennes ce que tu sais : faire ça, et soigner…
Bianca se mit à rire :
— Nous verrons cela. Mais je pense que tu en auras très vite assez de moi, et de mon rythme de marche ! Et je ne parle pas du reste ! Je devrai être disponible pour les portes qui s’ouvriront pour moi.
— Alors, tu dois m’apprendre à préparer les repas… je m’occuperai de ça quand tu auras du travail. Tu me montreras ?
Elles furent interrompues par des cris d’enfants. La porte s’ouvrit brusquement, laissant passer trois joyeux petits garçons suivis par leur père portant une belle brassée de bois. Surpris, il réagit :
— Que faites-vous chez moi ? Lara, est-ce que tout va bien ?
La petite répondit :
— C’est Bianca qui a accouché votre femme. Vous avez un nouveau bébé !
Bianca ajouta :
— Tout s’est bien passé, votre femme se repose. Vous avez une très jolie petite fille !
— Je peux les voir ? Et se tournant vers les garçons : vous avez une petite sœur qui vient de naître, alors pas de bruit, on laisse votre maman se reposer. Je vais juste les voir. D’ici là, soyez sages.
Et à l’attention de Bianca :
— Ne bougez pas, je reviens tout de suite !
Il revint quelques instants plus tard, souriant :
— Je n’étais pas sûr que tout aille bien pour cette naissance. On m’avait dit qu’il y aurait des difficultés. Mais vous avez réussi là où d’autres voyaient la mort du bébé et de la maman. Soyez remerciée. Je vais vous payer votre travail.
— Je ne l’ai pas aidée pour de l’argent ! Je l’ai aidée parce qu’elle en avait besoin. Je ne veux pas d’argent !
— Alors, ma femme m’a demandé une chose : peut-on donner votre prénom à notre bébé ?
— Ceci me touche beaucoup ! Alors oui, je saurai qu’ici vit une petite fille qui partagera quelque chose avec moi !
Bianca retourna avec Lara dans la maison de ses parents. Hélas, ceux-ci ne reviendraient pas. La petite devrait confier la maison à ses voisins. Elles passeraient toutes deux la nuit ici, puis partiraient le lendemain matin sur les chemins.
La nuit de repos ne fut pas de trop pour que Bianca se remette des émotions de la journée passée : vivre des moments aussi intenses n’était pas habituel ! Elle avait dû longuement méditer pour apaiser les émotions que les évènements avaient éveillées chez elle.
Quant à Lara, les capacités des enfants à rebondir d’une aventure à une autre ne pouvaient freiner son besoin de se retrouver dans le pays des rêves, reconstructeurs d’énergie.
L’enfant, sécurisée d’avoir trouvé en Bianca, une adulte pouvant prendre soin d’elle, et, en même temps, l’excitation de l’aventure qu’elle imaginait pour les lendemains… la fit plonger avec délice dans le sommeil, prête à accueillir les rêves de renouveau.
Le lendemain, après avoir fermé la maison, et salué les voisins, avec l’assurance que la maman et la petite Bianca se portaient bien, elles prirent le chemin, les sacs au dos, pleines d’entrain.
Lara n’aurait pas l’énergie et l’entraînement de Bianca. De nombreux arrêts seraient sûrement nécessaires. Le père du bébé leur avait préparé quelques victuailles pour le chemin, qu’elles accueillirent par un joyeux remerciement. Il ne serait pas toujours facile de trouver de la nourriture le long de la route. Un tel cadeau leur faciliterait déjà la première journée.
Malgré ses craintes, l’enfant marchait bien. Bianca avait fait attention qu’elle soit chaussée de bottes confortables, et vêtue en prévision d’un climat rude. Pour le reste, elles s’adapteraient.
Dans le ciel matinal, au loin, s’éloignaient les lunes, de plus en plus inconsistantes, alors que les soleils, à l’opposé, commençaient à apparaître, encore pâles, en traîne de nuées poudrées de rose et de gris.
La journée s’annonçait généreuse.
Au loin étaient les montagnes du Nord. La frontière naturelle du Pays de l’Ouest, un vallon cerné de bois, marquait une nette différence avec les plaines d’où elles venaient.
La surprise fut les statues qui en marquaient le passage : deux statues géantes côte à côte, chacune regardant dans un sens. C’étaient un homme et une femme : elle regardait vers l’Ouest, lui vers l’Est.
— Regarde, s’exclama Lara, la statue te ressemble !
Bianca, stupéfaite, constata encore plus de similarité : l’homme avait les traits d’Erendal. Il dégageait, par sa posture, forte et sereine l’énergie de celui qu’elle retrouverait, si les chemins de la vie le permettaient. En guerrier, avec l’armure rituelle et l’épée décorée, le regard habité par une puissance au-delà de l’humain, celle du Dragon… Tout était là.
Elle fut prise d’émotion. Les genoux tremblants, elle dut s’arrêter. L’image était tellement forte que, le souffle court, elle resta hypnotisée un moment par cette présence.
Elle se tourna alors vers la statue de la femme, et se retrouva en elle : la robe blanche, les cheveux libres, le bras gauche dressé vers le ciel, une longue estafilade marquée de sang dans la main, le regard fixé vers le haut, comme si l’Aigle Géant lui faisait face.
Qui avait pu saisir leurs images, et les sculpter ainsi, si proches et si lointains, à la frontière même qui les sépareraient désormais ?
Certainement, le sculpteur, clairvoyant, avait voulu saluer leur histoire en précédant leur passage. Mais pourquoi ?
Lara regarda longuement les statues, soudain silencieuse, et alla glisser sa main dans celle de Bianca, consciente du choc de celle-ci.
Puis, elle s’exclama :
— Il y a des inscriptions sur le socle !