Petites Misères de la vie conjugale - Honoré de Balzac - E-Book

Petites Misères de la vie conjugale E-Book

Honore de Balzac

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Balzac se promène en observateur amusé dans l'intimité des couples : dans cette suite de saynètes sur la vie conjugale, il porte à son apogée le genre des physiologies - petites études de moeurs traitées avec légèreté. L'essentiel est alors de saisir sur le vif les petites mesquineries et les grandes déceptions du mariage bourgeois - tout en gardant toujours un rire généreux. D'un côté, Adolphe, l'homme bourgeois, se signale par une aridité mentale désespérante ; de l'autre, la femme, Caroline, est réduite à être l'un des « plus jolis joujoux que l'industrie sociale ait inventés ». Ensemble, les jeunes époux vont suivre pas à pas le chemin qui mène de la promesse de bonheur aux « misères » du mariage. Le narrateur, lui, se permet de délicieusement compter les points dans la guerre des sexes.

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Petites Misères de la vie conjugale

Petites Misères de la vie conjugalePremière PartiePréface : OÙ CHACUN RETROUVERA SES IMPRESSIONS DE MARIAGELES DÉCOUVERTES.LES ATTENTIONS D’UNE JEUNE FEMME.LES TAQUINAGES.LE CONCLUSUM.LA LOGIQUE DES FEMMES.JÉSUITISME DES FEMMES.SOUVENIRS ET REGRETS.OBSERVATION.EXEMPLES.LE TAON CONJUGAL.LES TRAVAUX FORCÉS.DES RISETTES JAUNES.RÈGLE GÉNÉRALE.NOSOGRAPHIE DE LA VILLA.LA MISÈRE DANS LA MISÈRE.LE DIX-HUIT BRUMAIRE DES MÉNAGES.L’ART D’ÊTRE VICTIME.LA CAMPAGNE DE FRANCE.LE SOLO DE CORBILLARD.Page de copyright

Petites Misères de la vie conjugale

Honoré de Balzac

Première Partie

Préface : OÙ CHACUN RETROUVERA SES IMPRESSIONS DE MARIAGE

Un ami vous parle d’une jeune personne :

— Bonne famille, bien élevée, jolie, et trois cent mille francs comptant. Vous avez désiré rencontrer cet objet charmant. Généralement, toutes les entrevues fortuites sont préméditées. Et vous parlez à cet objet devenu très-timide.

VOUS

Une soirée charmante ?…

ELLE

Oh ! oui, monsieur. Vous êtes admis à courtiser la jeune personne.

LA BELLE-MÈRE (au futur)

Vous ne sauriez croire combien cette chère petite fille est susceptible d’attachement. Cependant les deux familles sont en délicatesse à propos des questions d’intérêt.

VOTRE PÈRE (à la belle-mère)

Ma ferme vaut cinq cent mille francs, ma chère dame !…

VOTRE FUTURE BELLE-MÈRE

Et notre maison, mon cher monsieur, est à un coin de rue.

Un contrat s’ensuit, discuté par deux affreux notaires : un petit, un grand. Puis les deux familles jugent nécessaire de vous faire passer à la mairie, à l’église, avant de procéder au coucher de la mariée, qui fait des façons. Et après !… il vous arrive une foule de petites misères imprévues, comme ceci : LE COUP DE JARNAC.

Est-ce une petite, est-ce une grande misère ? je ne sais ; elle est grande pour les gendres ou pour vos belles-filles, elle est excessivement petite pour vous.

— Petite, cela vous plaît à dire ; mais un enfant coûte énormément ! s’écrie un époux dix fois trop heureux qui fait baptiser son onzième, nommé le petit dernier,

— un mot avec lequel les femmes abusent leurs familles.

Quelle est cette misère ? me direz-vous. Hé bien ! cette misère est, comme beaucoup de petites misères conjugales : un bonheur pour quelqu’un.

Vous avez, il y a quatre mois, marié votre fille, que nous appellerons du doux nom de CAROLINE, pour en faire le type de toutes les épouses.

Caroline est, comme toujours, une charmante jeune personne, et vous lui avez trouvé pour mari :

Soit un avoué de première instance, soit un capitaine en second, peut-être un ingénieur de troisième classe ; ou un juge suppléant ; ou encore un jeune vicomte. Mais plus certainement, ce que recherchent le plus les familles sensées, l’idéal de leurs désirs : le fils unique d’un riche propriétaire !… (Voyez la Préface.)

Ce phénix, nous le nommerons ADOLPHE, quels que soient son état dans le monde, son âge, et la couleur de ses cheveux.

L’avoué, le capitaine, l’ingénieur, le juge, enfin le gendre, Adolphe et sa famille ont vu dans mademoiselle Caroline :

1° Mademoiselle Caroline ;

2° Fille unique de votre femme et de vous.

Ici, nous sommes forcés de demander, comme à la Chambre, la division :

I. DE VOTRE FEMME !

Votre femme doit recueillir l’héritage d’un oncle maternel, vieux podagre qu’elle mitonne, soigne, caresse et emmitoufle ; sans compter la fortune de son père à elle. Caroline a toujours adoré son oncle, son oncle qui la faisait sauter sur ses genoux, son oncle qui… son oncle que… son oncle enfin dont la succession est estimée deux cent mille francs.

De votre femme, personne bien conservée, mais dont l’âge a été l’objet de mûres réflexions et d’un long examen de la part des aves et ataves de votre gendre. Après bien des escarmouches respectives entre les belles-mères, elles se sont confié leurs petits secrets de femmes mûres.

— Et vous, ma chère dame ?

— Moi, Dieu merci ! j’en suis quitte, et vous ?

— Moi, je l’espère bien ! a dit votre femme.

— Tu peux épouser Caroline, a dit la mère d’Adolphe à votre futur gendre, Caroline héritera seule de sa mère, de son oncle et de son grand-père.

II. DE VOUS :

Qui jouissez encore de votre grand-père maternel, un bon vieillard dont la succession ne vous sera pas disputée : il est en enfance, et dès lors incapable de tester.

De vous, homme aimable, mais qui avez mené une vie assez libertine dans votre jeunesse. Vous avez d’ailleurs cinquante-neuf ans, votre tête est couronnée, on dirait d’un genou qui passe au travers d’une perruque grise.

3° Une dot de trois cent mille francs !…

4° La sœur unique de Caroline, une petite niaise de douze ans, souffreteuse et qui promet de ne pas laisser vieillir ses os.

5° Votre fortune à vous, beau-père (dans un certain monde, on dit le papa beau-père), vingt mille livres de rente, qui s’augmenteront d’une succession sous peu de temps.

6° La fortune de votre femme, qui doit se grossir de deux successions : l’oncle et le grand-père.

Trois successions et les économies, ci. 750,000 f.

Votre fortune 250,000

Celle de votre femme 250,000

Total 1,250,000 f. qui ne peuvent s’envoler !…

Voilà l’autopsie de tous ces brillants hyménées qui conduisent leurs chœurs dansants et mangeants, en gants blancs, fleuris à la boutonnière, bouquets de fleurs d’oranger, cannetilles, voiles, remises et cochers allant de la mairie à l’église, de l’église au banquet, du banquet à la danse, et de la danse dans la chambre nuptiale, aux accents de l’orchestre et aux plaisanteries consacrées que disent les restes de dandies ; car n’y a-t-il pas, de par le monde, des restes de dandies, comme il y a des restes de chevaux anglais ?

Oui, voilà l’ostéologie des plus amoureux désirs.

La plupart des parents ont dit leur mot sur ce mariage.

Ceux du côté du marié :

— Adolphe a fait une bonne affaire.

Ceux du côté de la mariée :

— Caroline a fait un excellent mariage. Adolphe est fils unique, et il aura soixante mille francs de rente, un jour ou l’autre !…

Un jour, l’heureux juge, l’ingénieur heureux, l’heureux capitaine ou l’heureux avoué, l’heureux fils unique d’un riche propriétaire, Adolphe enfin, vient dîner chez vous, accompagné de sa famille.

Votre fille Caroline est excessivement orgueilleuse de la forme un peu bombée de sa taille. Toutes les femmes déploient une innocente coquetterie pour leur première grossesse. Semblables au soldat qui se pomponne pour sa première bataille, elles aiment à faire la pâle, la souffrante ; elles se lèvent d’une certaine manière, et marchent avec les plus jolies affectations.

Encore fleurs, elles ont un fruit : elles anticipent alors sur la maternité.

Toutes ces façons sont excessivement charmantes… la première fois.

Votre femme, devenue la belle-mère d’Adolphe, se soumet à des corsets de haute pression. Quand sa fille rit, elle pleure ; quand sa Caroline étale son bonheur, elle rentre le sien. Après dîner, l’œil clairvoyant de la co-belle-mère a deviné l’œuvre de ténèbres.

Votre femme est grosse ! la nouvelle éclate, et votre plus vieil ami de collège vous dit en riant :

— Ah ! vous avez fait des nôtres ?

Vous espérez dans une consultation qui doit avoir lieu le lendemain. Vous, homme de cœur, vous rougissez, vous espérez une hydropisie ; mais les médecins ont confirmé l’arrivée d’un petit dernier !

Quelques maris timorés vont alors à la campagne ou mettent à exécution un voyage en Italie. Enfin une étrange confusion règne dans votre ménage. Vous et votre femme, vous êtes dans une fausse position.

— Comment ! toi, vieux coquin, tu n’as pas eu honte de… ? vous dit un ami sur le boulevard.

— Eh ! bien, oui ! fais-en autant, répliquez-vous enragé.

— Comment, le jour où ta fille ?… mais c’est immoral ! Et une vieille femme ? mais c’est une infirmité !

— Nous avons été volés comme dans un bois, dit la famille de votre gendre.

Comme dans un bois ! est une gracieuse expression pour la belle-mère.

Cette famille espère que l’enfant qui coupe en trois les espérances de fortune sera, comme tous les enfants des vieillards, un scrofuleux, un infirme, un avorton. Naîtra-t-il viable ?

Cette famille attend l’accouchement de votre femme avec l’anxiété qui agita la maison d’Orléans pendant la grossesse de la duchesse de Berri : une seconde fille procurait le trône à la branche cadette, sans les conditions onéreuses de Juillet ; Henri V râflait la couronne. Dès lors, la maison d’Orléans a été forcée de jouer quitte ou double : les événements lui ont donné la partie.

La mère et la fille accouchent à neuf jours de distance.

Le premier enfant de Caroline est une pâle et maigrichonne petite fille qui ne vivra pas.

Le dernier enfant de sa mère est un superbe garçon, pesant douze livres, qui a deux dents, et des cheveux superbes.

Vous avez désiré pendant seize ans un fils. Cette misère conjugale est la seule qui vous rende fou de joie.

Car votre femme rajeunie rencontre, dans cette grossesse, ce qu’il faut appeler l’été de la Saint-Martin des femmes : elle nourrit, elle a du lait ! son teint est frais, elle est blanche et rose.

À quarante-deux ans, elle fait la jeune femme, achète des petits bas, se promène suivie d’une bonne, brode des bonnets, garnit des béguins. Alexandrine a pris son parti, elle instruit sa fille par l’exemple ; elle est ravissante, elle est heureuse.

Et cependant c’est une misère, petite pour vous, grande pour votre gendre. Cette misère est des deux genres, elle vous est commune à vous et à votre femme. Enfin, dans ces cas-là, votre paternité vous rend d’autant plus fier qu’elle est incontestable, mon cher monsieur !

LES DÉCOUVERTES.

Généralement, une jeune personne ne découvre son vrai caractère qu’après deux ou trois années de mariage. Elle dissimule, sans le vouloir, ses défauts au milieu des premières joies, des premières fêtes. Elle va dans le monde pour y danser, elle va chez ses parents pour vous y faire triompher, elle voyage escortée par les premières malices de l’amour, elle se fait femme. Puis elle devient mère et nourrice, et dans cette situation pleine de jolies souffrances, qui ne laisse à l’observation ni une parole ni une minute, tant les soins y sont multipliés, il est impossible de juger d’une femme.

Il vous a donc fallu trois ou quatre ans de vie intime avant que vous ayez pu découvrir une chose horriblement triste, un sujet de perpétuelles terreurs.

Votre femme, cette jeune fille à qui les premiers plaisirs de la vie et de l’amour tenaient lieu de grâce et d’esprit, si coquette, si animée, si vive, dont les moindres mouvements avaient une délicieuse éloquence, a dépouillé lentement, un à un, ses artifices naturels.

Enfin, vous avez aperçu la vérité ! Vous vous y êtes refusé, vous avez cru vous tromper ; mais non : Caroline manque d’esprit, elle est lourde, elle ne sait ni plaisanter ni discuter, elle a parfois peu de tact. Vous êtes effrayé. Vous vous voyez pour toujours obligé de conduire cette chère Minette à travers des chemins épineux où vous laisserez votre amour-propre en lambeaux.

Vous avez été déjà souvent atteint par des réponses qui, dans le monde, ont été poliment accueillies : on a gardé le silence au lieu de sourire ; mais vous aviez la certitude qu’après votre départ les femmes s’étaient regardées en se disant :

— Avez-vous entendu madame Adolphe ?…

— Pauvre petite femme, elle est…

— Bête comme un chou.

— Comment, lui, qui certes est un homme d’esprit, a-t-il pu choisir ?…

— Il devrait former sa femme, l’instruire, ou lui apprendre à se taire.

AXIOMES.

Un homme est, dans notre civilisation, responsable de toute sa femme.

Ce n’est pas le mari qui forme la femme.

Un jour, Caroline aura soutenu mordicus chez madame de Fischtaminel, une femme très-distinguée, que le petit dernier ne ressemblait ni à son père ni à sa mère, mais à l’ami de la maison. Elle aura peut-être éclairé monsieur de Fischtaminel, et inutilisé les travaux de trois années, en renversant l’échafaudage des assertions de madame de Fischtaminel, qui, depuis cette visite, vous marque de la froideur, car elle soupçonne chez vous une indiscrétion faite à votre femme.

Un soir, Caroline, après avoir fait causer un auteur sur ses ouvrages, aura terminé en donnant le conseil à ce poète déjà fécond de travailler enfin pour la postérité.

Tantôt elle se plaint de la lenteur du service à table chez des gens qui n’ont qu’un domestique et qui se sont mis en quatre pour la recevoir.

Tantôt elle médit des veuves qui se remarient, devant madame Deschars, mariée en troisièmes noces à un ancien notaire, à Nicolas-Jean-Jérôme-Népomucène-Ange-Marie-Victor-Anne-Joseph Deschars, l’ami de votre père.

Enfin vous n’êtes plus vous-même dans le monde avec votre femme. Comme un homme qui monte un cheval ombrageux et qui le regarde sans cesse entre les deux oreilles, vous êtes absorbé par l’attention avec laquelle vous écoutez votre Caroline.

Pour se dédommager du silence auquel sont condamnées les demoiselles, Caroline parle, ou mieux, elle babille ; elle veut faire de l’effet, et elle en fait : rien ne l’arrête ; elle s’adresse aux hommes les plus éminents, aux femmes les plus considérables ; elle se fait présenter, elle vous met au supplice. Pour vous, aller dans le monde, c’est aller au martyre.

Elle commence à vous trouver maussade : vous êtes attentif, voilà tout ! Enfin, vous la maintenez dans un petit cercle d’amis, car elle vous a déjà brouillé avec des gens de qui dépendaient vos intérêts.

Combien de fois n’avez-vous pas reculé devant la nécessité d’une remontrance, le matin, au réveil, quand vous l’aviez bien disposée à vous écouter ! Une femme écoute très-rarement. Combien de fois n’avez-vous pas reculé devant le fardeau de vos obligations magistrales ?

La conclusion de votre communication ministérielle ne devait-elle pas être :

— Tu n’as pas d’esprit.

Vous pressentez l’effet de votre première leçon, Caroline se dira :

— Ah ! je n’ai pas d’esprit !

Aucune femme ne prend jamais ceci en bonne part. Chacun de vous tirera son épée et jettera le fourreau. Six semaines après, Caroline peut vous prouver qu’elle a précisément assez d’esprit pour vous minotauriser sans que vous vous en aperceviez.

Effrayé de cette perspective, vous épuisez alors les formules oratoires, vous les interrogez, vous cherchez la manière de dorer cette pilule.

Enfin, vous trouvez le moyen de flatter tous les amours-propres de Caroline, car :

AXIOME.

Une femme mariée a plusieurs amours-propres.

Vous dites être son meilleur ami, le seul bien placé pour l’éclairer ; plus vous y mettez de préparation, plus elle est attentive et intriguée. En ce moment, elle a de l’esprit.

Vous demandez à votre chère Caroline, que vous tenez par la taille, comment, elle, si spirituelle avec vous, qui a des réponses charmantes (vous lui rappelez des mots qu’elle n’a jamais eus, que vous lui prêtez, qu’elle accepte en souriant), comment elle peut dire ceci, cela, dans le monde. Elle est sans doute, comme beaucoup de femmes, intimidée dans les salons.

— Je connais, dites-vous, bien des hommes fort distingués qui sont ainsi.

Vous citez d’admirables orateurs de petit comité auxquels il est impossible de prononcer trois phrases à la tribune. Caroline devrait veiller sur elle ; vous lui vantez le silence comme la plus sûre méthode d’avoir de l’esprit. Dans le monde, on aime qui nous écoute.

Ah ! vous avez rompu la glace, vous avez patiné sur ce miroir sans le rayer ; vous avez pu passer la main sur la croupe de la Chimère la plus féroce et la plus sauvage, la plus éveillée, la plus clairvoyante, la plus inquiète, la plus rapide, la plus jalouse, la plus ardente, la plus violente, la plus simple, la plus élégante, la plus déraisonnable, la plus attentive du monde moral : LA VANITÉ D’UNE FEMME !…