Pour la gloire du fanion - Horst Roos - E-Book

Pour la gloire du fanion E-Book

Horst Roos

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Beschreibung

L'histoire du sous-officier le plus décoré de l'armée française.

Le major Horst Roos est un des maréchaux de la Légion étrangère. Engagé en 1951, il passe quatre décennies sous les armes et quitte le service actif en 1991, en étant alors le sous-officier le plus décoré de l’armée française. Il a participé à la guerre d’Indochine et à la guerre d’Algérie en tant que légionnaire parachutiste et sous-officier. Ses souvenirs sont ceux d’un combattant, des rizières aux djebels. Il a connu le stress du saut opérationnel à Nghia-Lo avec le 2e BEP, puis l’adrénaline des batailles de la rivière Noire et de Na-San. En Algérie, avec le 2e REP, ce furent les poursuites sans fin des fellaghas dans les djebels, la bataille des Frontières, le plan Challe et la dislocation de l’ALN, le putsch et l’amertume de la défaite. De toutes ces expériences, il se fit une philosophie qui le guida au sommet des honneurs du corps des sous-officiers en devenant président des sous-officiers de la Légion étrangère. Ce sont ses souvenirs de jeune ouvrier dans une Allemagne dévastée jusqu’à l’établissement de l’ordre nouveau du XXIe siècle qu’a recueillis Pierre Dufour et qu’il nous restitue aujourd’hui.

Découvrez le témoignage passionnant d'un ancien légionnaire et plongez dans ses souvenirs de batailles !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Un livre miroir qui parle de l’expérience et de la philosophie qui guida Horst Roos dans la vie très riche d’un homme discret qui fit montre d’une humilité exemplaire, qualité indispensable, pour un des plus efficaces présidents des sous-officiers de la Légion étrangère. Pierre Dufour nous offre “une pépite”, récupérant les souvenirs d’un homme en pleine santé concrétisée par une hygiène de vie digne du “code d’honneur du légionnaire”. Un passionnant résumé d’une vie construite avec honneur et fidélité et d’un sens du devoir incorruptible”." - CM, Legionetrangere.fr

À PROPOS DE L'AUTEUR

Le major Horst Roos est un ancien légionnaire aujourd'hui devenu un monument de la Légion étrangère. Engagé en 1951, il passe quatre décennies sous les armes et quitte le service actif en 1991, en étant alors le sous-officier le plus décoré de l’armée française.

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Glossaire

AA 52 : arme automatique modèle 1952

ACP : antenne chirurgicale parachutiste

AK : Armeekorps – corps d’armée allemand

ALAT : aviation légère de l’armée de terre

ALN : armée de libération nationale (algérienne)

APV : armée populaire vietnamienne

BA1 et 2 : brevet d’armes permettant de commander une section

Banane : surnom de l’hélicoptère Vertol H 21 dont la silhouette ressemblait à ce fruit

Bat’ d’Af’ : bataillons d’infanterie légère d’Afrique – Unités disciplinaire de l’armée française

BCCP : bataillon colonial de commandos parachutistes

BEP : bataillon étranger de parachutistes

BMGL : bataillon mixte de Génie-Légion

Bo-doï : soldat de l’armée populaire vietnamienne

BOI : bureau opérations instruction

BPC : bataillon de parachutistes coloniaux

BPCP : bataillon parachutiste de chasseurs à pied

BPLE : bureau des personnels de la Légion étrangère

BSLE : bureau des statistiques de la Légion étrangère

CA : compagnie d’appui

CAPLE : compagnie administrative des personnels de la Légion étrangère

CAT : compagnie d’appui et de travaux

CC : combat command

CCB : compagnie de commandement et de base

CCE : comité de coordination et d’exécution (algérien)

CCS : compagnie de commandement et des services

CCSR : compagnie de commandement et des services régimentaire

CEA : compagnie d’éclairage et d’appui

CEE : compagnie eau énergie

CEFEO : corps expéditionnaire français en Extrême-Orient

CEP : centre d’expérimentation du Pacifique

CERA : compagnie étrangère de ravitaillement par air

CEV : compagnie d’engagés volontaires

CGT : confédération générale du travail

Chaffee : char moyen utilisé en Indochine et en Algérie

CIA : diplôme de sous-officier

CICS : compagnie d’instruction des cadres et des spécialistes

CIPLE : compagnie indochinoise parachutiste de la Légion étrangère

CLB : cavalerie légère blindée

CNRA : conseil national de la révolution algérienne

COMLE : commandement de la Légion étrangère

COM.SUP : commandement supérieur

CP : compagnie portée (REP)

CPLE : compagnie portée de Légion étrangère

CR : cadre de réserve ou centre de résistance selon le cas

CRAC : combat rapproché antichar

CSLE : compagnie des services de la Légion étrangère

CSPLE : compagnie saharienne portée de Légion étrangère

CT : compagnie de transport ou de transit selon le cas

CTR : compagnie de transport routier

DB : division blindée

DBLE : demi-brigade de Légion étrangère

DCA : défense contre avions

DCLE : dépôt commun de la Légion étrangère

DCRE : dépôt commun des régiments étrangers

DIA : division d’infanterie alpine

DIAP : division d’infanterie aéroportée

DIH : détachement d’intervention héliporté

Dinassaut : division navale d’assaut

Djounoud : soldat régulier de l’ALN

DLO : détachement de liaison et d’observation (artillerie)

Dodge : véhicule américain de transport 6X6

DOP : détachement opérationnel de protection (renseignement)

DP : division parachutiste

DQS : diplôme de qualification supérieure

DST : direction de la sûreté du territoire

DZ : drop zone – zone de poser de parachutistes

EBR : engin blindé de reconnaissance

EMT : état-major tactique

ER : en retraite ou escadron de reconnaissance selon le cas

Fallschimjäger : parachutiste allemand

Feldgrau : couleur gris-vert des uniformes allemands des deux guerres mondiales

Fellagha : coupeurs de routes en arabe – Nom des premiers maquisards du FLN

Fellouze : diminutif un peu méprisant de fellagha

Fells : autre diminutif de Fellagha

FFA : forces françaises en Allemagne

FLAK : défense antiaérienne allemande en 1939-1945

FLN : front de libération nationale (algérien)

FM : fusil mitrailleur

FMSB : force multinationale de sécurité de Beyrouth

FSA : fusil semi-automatique

FSNA : Français de souche nord-africaine

FTVN : forces terrestres du Vietnam-Nord

GALE : groupement autonome de Légion étrangère

GAP : groupement aéroporté

GCCP : groupement colonial de commandos parachutistes

GCMA : groupe de commandos mixte aéroporté

GH : groupe d’hélicoptères

GILE : groupement d’instruction de la Légion étrangère

GLE : groupement de Légion étrangère

GM : groupe mobile

GMC : camions de la General Motor Corporation en service jusque dans les années 1980

GOLE : groupement opérationnel de la Légion étrangère

GOMRN : groupement opérationnel de la moyenne rivière Noire

GONO : groupement opérationnel du Nord-Ouest

GPRA : gouvernement provisoire de la république algérienne

GV : grenadier voltigeur

Half-track : véhicule légèrement blindé et semi-chenillé de transport de troupes d’origine US

Hitlerjugend : organisation des jeunesses hitlériennes

HLL : hors la loi (Algérie)

JMO : journal de marche et opérations

LRAC : lance-roquette antichar

LVT Alligator : engin blindé amphibie américain en service au 1er REC en Indochine

MAC : manufacture d’armes de Châtellerault

MAS : manufacture d’armes de Saint-Etienne

MAT : manufacture d’armes de Tulle

Mechta : petit hameau d’habitations précaires dans les djebels

Moudjahidine : les combattants de la foi islamique – Nom donné aux maquisards du FLN

NBC : nucléaire bactériologique chimique

NDSAP : parti national socialiste des travailleurs allemands

OAP : opération aéroportée

OAS : organisation de l’armée secrète – Mouvement de lutte armée contre l’indépendance de l’Algérie

OPA : organisation politico-administrative (algérienne)

OS : organisation secrète (algérienne)

PA : point d’appui ou pistolet automatique selon le cas

PC : poste de commandement

Piper-cub : avion léger d’observation et de liaison de l’ALAT

PM : pistolet mitrailleur

PPA : parti populaire algérien

PSO : président des sous-officiers

RAS : rien à signaler

RC : route coloniale

RCP : régiment de chasseurs parachutistes

RDVN : République démocratique du Vietnam-Nord

RE : régiment étranger

REC : régiment étranger de cavalerie

REI : régiment étranger d’infanterie

REP : régiment étranger de parachutistes

RI : régiment d’infanterie

RIC : régiment d’infanterie coloniale

RIM : régiment d’infanterie motorisée

RIméca : régiment d’infanterie mécanisée

RMLE : régiment de marche de la Légion étrangère

RMP : régiment mixte du Pacifique

RPC : régiment de parachutistes coloniaux

RPIMa : régiment parachutiste d’Infanterie de Marine

RSM : régiment de spahis marocains

RTA : régiment de tirailleurs algériens

SA : sections d’assaut d’Ernst Röhm

SAS : section administrative spéciale en Algérie

SEPP : section d’entretien et de pliage des parachutes

SEV : section des engagés volontaires

SM : sécurité militaire

SMFELE : service du moral et fond d’entraide de la Légion étrangère

SMPS : section militaire de parachutisme sportif

SR : sans recul

STILE : service du traitement informatisé de la Légion étrangère

TAP : troupes aéroportées

TED : tableau des effectifs et dotations

TNT : produit désinfectant en poudre ou en aérosol utilisé dans les années 1950

TOE : théâtre d’opérations extérieur

V1 et 2 : bombes volantes allemandes de la 2e Guerre mondiale

VAB : véhicule de l’avant blindé

VBL ; véhicule léger blindé

Viet : diminutif désignant les soldats du Vietminh

VM : abréviation de Vietminh

Willaya : circonscription administrative algérienne née de la guerre d’indépendance

ZEC : zone Est-Constantinois

Avant-propos

La longue marche du major Roos

Dans cet ouvrage, le major (er) Horst Roos de la Légion étrangère, quarante ans de services, sous-officier le plus décoré de l’armée française lorsqu’il fait valoir ses droits à retraite – commandeur de la Légion d’honneur, médaille militaire, commandeur de l’ordre national du Mérite, croix de guerre des TOE, croix de la valeur militaire, détenteur de plusieurs décorations, sept titres de guerre, deux fois blessés témoignant de ses qualités humains et militaires au service d’une carrière exceptionnelle – nous invite à le rejoindre sur le chemin de quatre décennies qui ont profondément marqué la France.

1951, date de son engagement à la Légion étrangère – 1991, année où il quitte le service actif. Entre les deux, quarante années durant lesquelles, sans interruption, Horst Roos sert les armes de la France avec honneur et fidélité. Il fut à la fois un acteur et un témoin des événements qui, depuis la Deuxième Guerre mondiale jusqu’au seuil du XXIe siècle, façonnèrent d’une manière irréversible la France d’aujourd’hui. La perte inéluctable de ses colonies – tout comme la Grande-Bretagne – lui faisant perdre son statut de puissance mondiale pour un destin plus modeste au sein d’une Union européenne en devenir dominée par l’Allemagne renaissante.

Aujourd’hui, le major (er) Roos se penche sur ces années où les peines se confondent avec les joies, où l’amitié par le sang versé est indéfectible, où les chefs paient d’exemple et sont des modèles pour leurs hommes. Le recul du temps lui permet de commenter les événements auxquels il a été mêlé. Horst Roos est né en 1932 à Mannheim. Sa vie et sa carrière sont intéressantes à plus d’un titre dans cette seconde partie d’un XXe siècle qui voit l’écroulement des empires coloniaux et l’émergence d’un monde bipolaire. Enfant de la guerre, il a connu l’agonie du IIIe Reich dont il nous livre ses souvenirs dans une relation sans fard. Humble et précis dans son récit, loin des matamores de pacotille qui invoquent Verdun, Stalingrad et Dien-Bien-Phu réunis au moindre coup de feu, le major Roos évoque son approche de la Légion, son engagement et son instruction à Sétif en tant que volontaire TAP. Il ne le sait pas encore, mais c’est le début d’une destinée hors du commun qui le verra côtoyer des hommes d’exception tant parmi ses chefs que ses camarades. Horst Roos découvre rapidement la rude vie du légionnaire de cette époque. Une instruction menée au pas de charge… « On la complète plus tard dans les rizières ; l’élimination naturelle des premières opérations se charge de la valider », précise-t-il. L’année 1950 a été rude et après le désastre de la RC 4 en octobre, le général de Lattre de Tassigny, nouveau commandant en chef a besoin de renforts de manière urgente. Ces souvenirs qui marquent la rupture avec une adolescence que bien peu de jeunes ne peuvent imaginer aujourd’hui sont extrêmement précis. Tout comme ceux de son voyage vers l’Extrême-Orient sur le Wisconsin.

À Saïgon, le jeune Roos découvre, autant qu’il le peut, un univers exotique qu’il appréciera durant ses deux séjours en Indochine, mais toujours avec la modération qui le caractérise

Affecté au 2e BEP, il nous fait vivre ses premières opérations de légionnaire dans les rizières. Le récit est rarement à la première personne du singulier. Il parle de son groupe, de sa section, à la rigueur de sa compagnie, mais ne s’immisce pas dans de grandes considérations tactiques qu’il laisse à ses officiers. Horst Roos s’est rapidement intégré dans le milieu légionnaire, mais, s’il fraternise avec ses camarades, il est plutôt d’un caractère renfermé et souvent, lors des quartiers libres, préfère sortir tout seul à la découverte du pays et de la population. Avec lui, nous plongeons dans l’existence quotidienne du légionnaire en Indochine et du sous-officier en Algérie. Nous découvrons une autre manière de raconter l’histoire, celle des sans grades perpétuellement au contact de l’ennemi, les pieds dans l’eau des rizières ou arpentant des djebels pelés. Durant son séjour, le légionnaire Roos est de toutes opérations de son bataillon. Il participe au dégagement de Nghia-Lo, à la bataille de la rivière Noire et au repli d’Hoa-Binh ; on le retrouve à Phu-Ly et dans le delta tonkinois où il assiste à la mort du commandant Raffalli, puis c’est la bataille de Na-San et la défaite de Giap. Deux fois blessé, deux fois cité, le légionnaire de 1re classe Roos est rapatrié par fin de séjour au printemps 1953. Cette première expérience de la guerre a fait de lui un combattant confirmé avant que la guerre d’Algérie n’en fasse un chef respecté par ses supérieurs et admiré par ses hommes. Le temps d’un congé de fin de campagne bien mérité, puis d’un peloton d’élève gradé qui lui permet d’obtenir le grade de caporal et le voilà qui repart en Indochine avec le 3e BEP. Les 1er et 2e BEP ayant sombré dans la tempête de feu de Dien-Bien-Phu, le 3e BEP relève le fanion et devient à son tour 2e BEP pour le plus grand plaisir du caporal Roos.

À l’issue d’un séjour sans grand relief, le bataillon revient en Algérie en 1955. Une Algérie pour laquelle Roos n’a aucune attirance et qu’il trouve « sale comparé à l’Indochine ». Pour beaucoup de vétérans, cette insurrection algérienne qui a débuté lors de la Toussaint sanglante de 1954 présente des similitudes avec la guerre d’Indochine. Se sentant peu concernés par le pays et la population – arabe ou européenne – Roos et ses camarades font leur métier, consciencieusement, efficacement selon les critères de la Légion étrangère, « mais le fellouze n’est pas le Viet ! » a coutume de dire le sergent Roos nommé au mérite. La transition entre l’Indochine et l’Algérie est une période difficile pour la Légion étrangère. Des dissolutions d’unités, des restructurations, de nouvelles implantations pour les unités revenant d’Indochine, et bientôt pour celles que l’indépendance du Maroc et de la Tunisie obligent à quitter leurs garnisons traditionnelles pour se replier en Algérie, interviennent entre 1955 et 1956. Le recrutement de la Légion subit également une profonde mutation. Beaucoup d’anciens, vétérans de la Deuxième Guerre mondiale et d’Indochine, qui ne se reconnaissant plus dans cette évolution, quittent le service actif pour laisser place à de jeunes recrues où l’élément germanique continue à dominer, suivi de près par les Espagnols et les Italiens qui apportent un peu plus de souplesse à l’institution. C’est à cette époque que les BEP deviennent des régiments étrangers de parachutistes aux structures et effectifs plus étoffés. Le 1er REP est affecté à la 10e division parachutiste, le 2e REP à la 25e DP. Parallèlement, à Sidi-Bel-Abbès, la maison mère s’efforce de réadapter les « Asiates » que l’éloignement, l’isolement, les circonstances des opérations ou la captivité ont conduits à un certain relâchement et à une discipline plus souple au sein des unités comme le confirme le major Roos.

C’est ainsi que beaucoup de légionnaires découvrent en Algérie la rigueur de la discipline dans la tenue, les rapports hiérarchiques et le respect des traditions. « Nous appréhendions de nous rendre à Sidi-Bel-Abbès où le moindre faux-pas pouvait avoir des conséquences disciplinaires, même pour un sous-officier », avoue le major Roos. À plusieurs reprises, le commandement de la Légion étrangère est par exemple obligé de rappeler fermement que la coiffure officielle des légionnaires est le képi blanc, le béret vert étant réservé aux activités opérationnelles. À la tête de sa section, le sergent, puis sergent-chef Roos participe à toutes les opérations majeures de son régiment, principalement dans le Constantinois. À partir de 1956 et du congrès de la Soummam, le FLN se structure et son bras armé l’ALN, s’appuyant sur le Maroc et la Tunisie, durcit ses opérations à partir de ses bastions de Kabylie et des Aurès. Pour répondre à cette recrudescence des opérations, l’armée française jette les bases de l’aéromobilité en créant le GH 2 qui essaime ses détachements d’intervention héliportés sur tous les théâtres d’opérations. Les « bananes » remplacent les parachutes dans la ronde des djebels. « C’est une période d’intense activité, se souvient le major Roos. Nous étions toujours sur le terrain : bouclage par les unités de secteur, ratissage, héliportage sur les zones d’engagement, puis l’accrochage, violent et sans quartiers. On droppait le djebel à longueur de temps. Les bilans devenaient à chaque fois plus importants. Cela a duré jusqu’à la bataille des frontières et la mise en œuvre du plan Challe ». Entre 1957 et 1960, c’est la vie rêvée du légionnaire parachutiste. De l’action et peu de contrainte sur le terrain. Mais déjà se font sentir les premiers craquements de l’Algérie française.

Revenu au pouvoir en 1958, le général de Gaulle a rapidement compris l’inéluctabilité de l’indépendance algérienne. Au grand désespoir de la population européenne, il enclenche le processus qui doit mener l’Algérie à la rupture avec la France. Le sergent-chef Roos, ses camarades et ses légionnaires ne se sentent pas trop concernés par le drame algérien. Beaucoup d’entre eux sont étrangers et exécutent simplement les ordres de leurs officiers, que ce soit en opérations ou lors du putsch d’avril 1961. Pour eux, le départ du régiment pour Alger est un ordre comme les autres, le 2e REP étant moins politisé que le 1er REP. Après l’échec du putsch et la déchirure algérienne, viennent ensuite une longue de période de pénitence et une traversée du désert qui court de 1962 à 1967 faite de suspicion et d’une étroite surveillance du régiment qui a échappé de peu à la dissolution. Mais à Bou-Sfer, dans l’enclave de Mers-El-Kébir, sous le commandement des lieutenants-colonels Chenel, puis Caillaud, le 2e REP jette les bases de sa rédemption. Nommé adjudant, après vingt ans de présence dans les unités TAP, Horst Roos entame une nouvelle carrière au sein de la Légion. Sa prestance, son expérience et ses qualités humaines en font un excellent recruteur.

L’adjudant, puis adjudant-chef Roos s’adapte à cette Légion du temps de paix. 1er RE, 13e DBLE, 5e RMP, l’adjudant-chef Roos s’acquitte des différentes responsabilités qui lui sont confiées avec la même efficacité qu’il a démontrée au combat. Nommé major en 1979, Horst Roos devient le premier président des sous-officiers de la Légion étrangère en 1982. Il y fera merveille pendant une décennie. Interface entre le commandement et le corps des sous-officiers, il est pour les jeunes sous-officiers un guide respecté à l’autorité indiscutable, un « monument » dont toute la Légion est fière et un conseiller écouté du général COMLE. À plus d’un titre, l’histoire du major Roos se confond durant les cinquante dernières années du XXe siècle avec celle de la Légion et de la France.

Pierre DUFOUR

Envoi

Les képis blancs

Le Panzerlied est l’un des plus célèbres chants militaires allemands de la Wehrmacht. Il a été composé en juin 1933 par l’Oberleutnant Kurt Wiehle alors que celui-ci se rendait à Königsbrück. Wiehle a repris l’air d’une chanson de marins, en y mettant des paroles plus appropriées à la Panzerwaffe. Actuellement, ce chant est toujours en usage dans la Bundeswehr ainsi que dans les forces armées autrichiennes. En France, le 501e régiment de chars de combat l’a adopté en tant que Marche des Chars. De manière non officielle, il est utilisé par plusieurs unités motorisées et parachutistes dans l’armée italienne. De manière plus exotique, on le retrouve dans l’armée chilienne fortement influencée par la tradition allemande, mais aussi dans l’armée sud-coréenne, interprété en coréen comme chant de marche pour les unités blindées et motorisées, ou encore en Namibie où il est le chant officiel des descendants d’Allemands de cette ancienne colonie du Kaiser.

Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’afflux des candidats d’origine germanique à la Légion étrangère modifia sensiblement l’orientation socioculturelle de cette institution. De nombreuses importations linguistiques apparurent, le comportement se fit plus rigide et la tradition légionnaire s’enrichit de nombreux chants d’origine germanique dont les chants des 1er et 2e REP et le Panzerlied qui a été intégré au carnet de chant de la Légion étrangère avec d’autres paroles sous le titre de « Les Képis blancs » par les volontaires français de la LVF et de la division Charlemagne sur le front de l’Est engagés plus tard à la Légion. L’une de ses interprétations les plus réussies et des plus émouvantes est celle des officiers du 1er REP après leur incarcération.

1

Puisqu’il nous faut vivre et lutter dans la souffrance

Le jour est venu où nous imposerons au front

La force de nos âmes

La force de nos cœurs et de nos bras

Foulant la boue sombre

Vont les Képis blancs.

2

La rue appartient à celui qui y descend

La rue appartient au drapeau des Képis blancs

Autour de nos la haine

Autour de nous les dogmes que l’on abat

Foulant la boue sombre

Vont les Képis blancs.

3

Combien sont tombés au hasard d’un clair matin

De nos camarades qui souriaient au destin

Nous tomberons en route

Nous tomberons ou vaincrons au combat

Foulant la boue sombre

Vont les Képis blancs.

4

La vie ne sourit qu’aux plus forts, aux plus vaillants

L’ardeur, la fierté, la jeunesse sont dans nos rangs,

Pour nos combats, nos luttes

Honneur, Fidélité sur nos drapeaux

Foulant la boue sombre

Vont les Képis blancs.

1re partie

Le choix d’un destin

« Mon pauvre Cabiro, il n’y a jamais eu de parachutistes à la Légion étrangère et nous sommes trop accaparés, en Indochine en particulier, par des missions qui n’ont rien à voir avec notre vocation initiale pour que nous puissions raisonnablement faire de ces unités des représentantes authentiques de notre spécificité. Pensez aux conditions dans lesquelles a été constituée la compagnie para du 3e REI avec Morin et un seul officier d’origine Légion, Arnaud de Foïard, aux difficultés que nous avons eu à mettre sur pied le 1er BEP où les officiers légionnaires se comptent sur les doigts de la main, vous imaginerez facilement celles qui sont les nôtres pour créer cette deuxième unité. »

Dialogue entre le colonel Gaultier commandant la Légion étrangère en 1949 et le lieutenant Cabiro, fraîchement affecté à la Légion et volontaire pour les légionnaires parachutistes lors d’un deuxième séjour en Indochine.

Sous le béret vert – Bernard Cabiro

Editions Plon

Chapitre 1

Une jeunesse de guerre

Né le 2 août 1932 à Mannheim, Horst Roos est un enfant de la guerre qui a vécu toute la sinistre épopée nazie. Issu d’une famille d’ouvriers, son père était routier et rarement présent à la maison. Alors que nazisme recouvre l’Allemagne d’une chape de plomb, le jeune Horst vit ses premières années entre sa mère, employée d’usine, et sa sœur aînée qui s’occupe de lui.

« Même si je ne m’en souviens pas très bien, entre ma naissance et 1939, j’ai vécu une enfance agréable, dit-il. Dans cette nouvelle Allemagne née de la défaite de 1918, les gens plaçaient beaucoup d’espoir dans le parti national socialiste. Certes, l’idéologie politique d’Hitler et du NSDAP pouvait paraître effrayante vue de l’étranger, mais en Allemagne, l’économie était restaurée, il n’y avait pas de chômage, le pays retrouvait sa fierté après le Diktat de Versailles et l’ordre régnait. À l’image de l’Italie de Mussolini, de grands chantiers voyaient le jour et l’Allemagne se dotait d’un vaste réseau d’autoroutes. D’ailleurs, mon père a travaillé assez longtemps sur l’autoroute qui passait à Mannheim. Il a aussi travaillé à la construction des fortifications de la future ligne Siegfried. Quelques fois, il m’emmenait voir le chantier. J’aimais bien aller avec lui car nous rencontrions beaucoup de militaires qui fascinaient la jeunesse. Dans leur tenue feldgrau, avec leurs armes, ils nous impressionnaient et nous étions fiers d’eux. Je me souviens encore des engins blindés, des chars et des camions qui me paraissaient énormes et ressemblaient à des monstres avec leurs chenilles et leur masse imposante. Bien sûr, pour l’enfant que j’étais, ce n’était que des grands jouets et je ne pensais pas à la guerre qui allait modeler mon destin et faire de moi un soldat dans une autre armée. Même s’ils gardaient confiance en Hitler, mes parents commençaient néanmoins à s’inquiéter de ces préparatifs guerriers, surtout que de l’autre côté du Rhin, les Français construisaient la ligne Maginot.

» Malgré tout, sur le plan familial, c’était une période sans problème à condition de respecter les règlements comme par exemple inscrire les enfants à la Hitlerjugend à partir de l’âge de six ans. Nous avions un uniforme brun avec le ceinturon, le poignard et un brassard à la croix gammée qui deviendra tristement célèbre et sera plus tard le symbole du parti. La Hitlerjugend était organisée en groupes et en sections et constituait une organisation paramilitaire qui quadrillait les villes et les campagnes et coiffait l’ensemble de la jeunesse. C’était l’équivalent des jeunesses communistes. Il fallait participer aux réunions et aux défilés organisés par le parti sinon la famille était sanctionnée au plan social. En même temps, il s’agissait de mes premières années d’école. J’étais un peu insouciant et quand il m’arrivait d’oublier d’aller aux rassemblements de la section, les responsables demandaient le soir même à mes parents pourquoi je n’avais pas assisté à la réunion. Ce que j’aimais, c’étaient l’uniforme et les activités qui ressemblaient un peu aux scouts. On chantait beaucoup, des chants militaires que plus tard j’ai chantés en français à la Légion, comme le Panzerlied qui s’est transformé en chant des képis blancs dans sa version légionnaire.

» En 1939, j’avais sept ans quand la guerre a été déclarée. Je me souviens très bien de ce début du mois de septembre, car nous avions un régiment près de chez nous. Quand ils sont partis, ils ont défilé dans les grandes rues de Mannheim. Une bonne partie de la population était dehors pour les voir passer en musique devant le château et les applaudir. Ils soulevaient l’enthousiasme d’une population parfaitement conditionnée par la propagande de Goebbels, qui avait retrouvé sa fierté nationale. Mais comme en “14”, quand d’un côté et de l’autre les soldats étaient partis pour une guerre fraîche et joyeuse, nous n’imaginions pas l’épouvantable carnage qui allait s’ensuivre ni la destruction complète de l’Allemagne qui serait mise au ban des nations civilisées pour ses crimes. Mon père partit à la guerre en 1939 et fit la campagne de France, mais je ne me souviens plus dans quel régiment. Après la défaite de la France, ma mère et ma sœur pensèrent que c’était fini et qu’il rentrerait bientôt à la maison, mais la Grande-Bretagne résistait toujours et mon père est donc resté soldat. Puis Hitler s’est attaqué à l’Union soviétique et, le 22 juin 1941, mon père est entré en Russie lors de l’opération Barbarossa. Il a fait toute la campagne de Russie avant de finir prisonnier de guerre en Sibérie. Il est rentré en 1948 ou 49 à l’occasion d’un grand accord sur les prisonniers entre Adenauer, alors chancelier de l’Allemagne de l’ouest, et Staline. Mon père était malade et considéré comme invalide de guerre. Il a bénéficié d’un accompagnement social et ma mère s’est occupée de lui quand c’est devenu plus grave.

» Ma jeunesse a été imprégnée par le militarisme qui régnait alors dans le pays. À chaque fois que nous allions au cinéma, les actualités avant le film nous montraient l’Allemagne triomphante et sa nouvelle armée. Les militaires que nous voyions étaient de beaux gosses blonds, grands et costauds comme des guerriers du Walhalla. Les plus appréciés étaient les aviateurs dans leur uniforme bleu. Les chars et les canons en même temps que les chants guerriers donnaient une impression d’invulnérabilité et de puissance sans limite. Ces démonstrations étaient régulièrement ponctuées de grands discours des dignitaires du parti quand ce n’était pas le Führer lui-même qui justifiait la remilitarisation de l’Allemagne par le mythe du “coup de poignard dans le dos” lors de cérémonies dédiées à la revanche et à la nouvelle Allemagne. À cette époque, on n’entendait pas beaucoup les opposants au nazisme. Un peu comme en France après la défaite de 1940 quand tout le monde voyait un sauveur en Pétain. Ce n’est qu’après la guerre qu’ils ont osé déclarer leur résistance à l’ordre établi. Là aussi, les résistants de la onzième heure ont été nombreux. Mais déjà à la veille de la guerre, l’atmosphère avait changé. Je me souviens que lorsque les adultes discutaient de politique, il fallait faire attention à ce que l’on disait et à qui écoutait pour ne pas avoir d’ennuis, même au sein de la famille. À l’époque, j’étais trop jeune pour comprendre les persécutions contre les Juifs et pour tout dire, dans les quartiers ouvriers de Mannheim on en trouvait très peu. Dans ma rue, il y en avait quelques-uns, mais il y avait aussi une permanence des SA qui se rassemblaient et défilaient tous les dimanches matins avec leurs bannières en chantant le Horst Wessel Lied, ce qui fait que je n’ai pas vu de grandes rafles ou d’exactions. En fait, à six ou sept ans, cela ne me préoccupait guère, mais nous n’aimions pas trop les SA qui nous faisaient un peu peur avec leurs cris et leur violence ; nous préférions les vrais militaires qui avaient l’air plus gentils. D’ailleurs, ça s’est mal terminé pour les SA qui ont été éliminés au profit des SS. La guerre a accéléré le processus totalitaire du régime, mais comme notre armée était victorieuse, nous ne ressentions pas trop les contraintes policières. Nous avons découvert l’étendue de la victoire contre la France en voyant arriver les trains avec tout le matériel qui avait été récupéré. J’habitais au bord du Rhin ; entre le Neckar et le Rhin, il y avait un canal et, sur les berges, il y avait des dépôts dont un où était stocké tout le matériel militaire français. Il y avait de tout : des équipements, des uniformes, de l’armement, des véhicules, des chars… Nous les gosses, on harcelait les gardiens pour qu’ils nous donnent un casque, un ceinturon ou une musette. Mais pas d’armement, même si on en avait envie – un fusil ou une baïonnette nous auraient plu, mais c’était trop dangereux et je pense que mes parents n’auraient pas apprécié. »

* * *

« En 1939, on voyait encore la guerre d’assez loin, ponctuée par les victoires que la propagande ne manquait pas de saluer avec éclat. La première année de guerre a tout de même été marquée par quelques bombardements français et britanniques sur Mannheim qui était alors un centre industriel important. C’était au début 1940. Pourtant, Goering avait dit que l’Allemagne ne serait jamais bombardée. Ce sont les Français qui ont commencé. La 4e escadrille du 15e groupe de bombardement, commandée par le capitaine Santini, a bombardé Mannheim et Ludwigshafen dans la nuit du 2 au 3 juin 1940. Dès leur arrivée sur l’objectif, les Farman français se sont retrouvés aux prises avec une FLAK dense. Au sol, les équipages distinguaient une zone claire argentée qui laissait supposer qu’il s’agissait du Rhin. En bordure se trouvait l’objectif, Mannheim. Pris dans les faisceaux des projecteurs, les avions ont largué en quatre passages des bombes de 100 et 200 kilos et trente-deux bombes incendiaires de dix kilos. Il y avait tellement de lumières en bas qu’il était difficile de voir où les bombes tombaient. Les Anglais ont continué au mois de décembre suivant. Mannheim fut une cible expérimentale pour la RAF. Les Anglais faisaient alors des essais combinant bombes explosives et bombes incendiaires, ces dernières servant au marquage des cibles.

» Malgré l’existence de 150 Luftschutzbunker (abris de protection anti-aérienne) répartis dans la ville, avec une capacité de 120 000 places, les autorités de la ville de Mannheim envisagèrent d’éloigner les populations les plus vulnérables. Des lieux d’accueil furent cherchés en Alsace et près du lac de Constance, régions en principe plus sûres en ce début de guerre. Les déplacements de population concernèrent tout d’abord les écoliers et lycéens. Les parents avaient le choix : soit trouver eux-mêmes une place chez des parents ou des connaissances loin de la ville, soit confier leurs enfants aux transferts organisés par les écoles. Plusieurs convois avec, chaque fois, des centaines d’enfants et d’adolescents, quittèrent ainsi Mannheim pour être dirigés vers l’Alsace. Les premiers départs eurent lieu samedi 25 septembre 1940. Un deuxième convoi partit lundi 27 à dix heures du matin et un troisième le lendemain 28 à sept heures du matin. Un mot d’ordre pour les parents : l’éloignement est un devoir. Ne pas y donner suite signifiait pour les familles la perte du droit à la scolarité ainsi que la perte des bons de ravitaillement.

» Ma sœur, qui avait sept ans de plus que moi, m’a emmené à la gare où j’ai pris un train pour la région de Constance. Nous avons été complètement coupés de la famille. Pendant un an ou deux, je n’ai vu aucun de mes proches. Mon père avait été mobilisé et il allait bientôt combattre en Russie après le 21 juin 1941. Je ne me souviens même pas s’ils m’ont écrit de temps en temps. Mais j’avais l’habitude. Mes parents n’étaient pas très sévères pour cette époque ; ils ne contrôlaient pas trop mon emploi du temps ni mes fréquentations. J’étais souvent dehors et je n’aimais pas rester à la maison. J’étais curieux de tout et j’étais toujours à la recherche de quelque chose d’original. À l’école, je n’avais pas de problème mais je n’ai jamais trop forcé. J’en suis resté à l’école primaire car dans le village où j’ai été évacué, il n’y avait que ce niveau. J’allais à l’école avec les paysans des alentours pour qui il suffisait de savoir lire et surtout compter en vue de reprendre l’exploitation familiale plus tard. Quant aux autres enfants que je fréquentais, c’était la guerre – les familles d’accueil et les autorités ne s’occupaient pas trop de nous sinon pour nous préparer à être soldats. Dans la région où j’étais, c’était surtout la nature. Il y avait de grandes forêts et beaucoup de cultures. Avec mes copains, l’aimais me balader dans les bois ; il y avait toujours quelque chose à découvrir.

» Je suis revenu à Mannheim en 1942, quand ma sœur m’a récupéré chez les gens qui m’avaient hébergé car les bombardements s’étaient calmés sur la ville. Le sort de la guerre avait cependant tourné et le Reich était sur la défensive. Ça n’allait pas très bien non plus en Russie et ma mère était inquiète pour mon père. En attendant de pouvoir débarquer en France, les Alliés bombardaient régulièrement l’Allemagne, surtout les grandes villes et les centres industriels comme Mannheim. À partir de 1943, les bombardements furent de plus en plus intensifs et firent de plus en plus de victimes. Nous allions de plus en plus souvent dans les bunkers aménagés dans les caves, ce qui m’a fait découvrir le stress. On ne sait pas ce qui se passe dehors, on entend les bombes siffler et les bâtiments s’écrouler, on ne sait pas où les bombes tombent, la terre tremble et surtout, nous sommes enfermés et je n’ai jamais aimé ça. Je n’avais pas l’habitude. Quand la fin de l’alerte sonnait, on sortait de la cave au milieu des destructions et des flammes, dans une atmosphère saturée par les odeurs d’explosifs et la fumée. Les maisons brûlaient dans un ouragan de feu, les immeubles de cinq ou six étages s’effondraient comme des châteaux de cartes. À côté de chez moi, il y avait une usine qui fabriquait des sodas et de la limonade. Elle possédait des camions à gazogènes qui étaient très dangereux car susceptibles de se transformer en machines infernales avec l’ouragan de feu. En plus des bombes incendiaires ou autres, les avions lâchaient aussi des bombes à retardement très dangereuses. Elles explosaient dans les ruines quand les sauveteurs recherchaient les blessés et les morts du raid. »

Généralement, les Anglo-saxons faisaient coup double et bombardaient simultanément Mannheim et Ludwigshafen. Dans la nuit du 5 au 6 septembre 1943, un stream (flot) de 605 bombardiers, dont 299 Avro-Lancaster, 195 Halifax et 111 Stirling, quitta l’Angleterre ; le ciel était parfaitement clair, sans un nuage. Comme pour toutes les opérations aériennes de grande envergure, la Main Force fut précédée d’avions de reconnaissance, les pathfinders1 chargés de fixer le plan de vol, de baliser, puis de marquer les cibles. Le largage des bombes visa d’abord Mannheim puis les appareils firent demi-tour pour achever leur mission sur Ludwigshafen, la ville-sœur sur la rive gauche du Rhin. Les cibles furent atteintes. Les rapports allemands du bombardement de Mannheim parlèrent de catastrophe ; une partie de Ludwigshafen était détruite et les usines de produits chimiques IG Farben avaient subi de sérieux dommages. Après le bombardement de la nuit du 5 au 6 septembre 1943, il y en eut encore un en 1944 visant le château de Mannheim, et enfin une dernière attaque le 2 mars 1945. Au total pour toute la durée de la guerre, 25 181 tonnes de bombes furent déversées sur Mannheim.

« Pendant une longue période nous avons vécu cet enfer au quotidien, rappelle Horst Roos. C’était vraiment l’apprentissage de la guerre et le moral de beaucoup de gens commençait à décliner. À cela s’ajoutaient les revers en Russie et l’inquiétude pour les soldats parmi lesquels mon père dont on était sans nouvelles. Tout le monde travaillait. Ma mère et ma sœur, qui était dessinatrice industrielle, travaillaient dans une usine d’armement pour l’effort de guerre. Il y avait un arrêt de tramway devant chez moi, mais aucun d’entre nous ne le prenait. Nous n’avions pas envie d’être enfermés là-dedans en cas de bombardement. Le tram ne coûtait pas cher, mais l’argent n’était pas un problème pendant la guerre car on ne pouvait rien acheter. En ville, le ravitaillement était plus difficile et les produits courants ou les vêtements commençaient à manquer.

» Quand j’étais à la campagne, nous n’étions pas réellement bombardés. Il y avait des usines, mais elles étaient à des kilomètres, et disséminées dans les champs, ce qui fait que l’effet des bombes n’avait pas le même impact qu’en ville. Il y avait des usines de voitures ou d’armement, dont Dornier qui fabriquait des avions. Il y avait aussi une usine secrète où personnes n’avait le droit d’approcher. Mais tous les soirs, on voyait s’échapper des flammes et on entendait un grondement effrayant. J’ai su plus tard qu’il s’agissait d’une usine de fusée qui mettait au point les futurs V 1 et V 2. Personne ne savait trop ce que c’était. C’est là aussi que j’ai vu les premiers avions à réaction. J’étais hébergé chez des gens qui avaient une villa avec un jardin bien entretenu. Le couple était déjà âgé et approchait la soixantaine ; lui était architecte et elle entretenait leur belle maison. Je me souviens que le soir, je devais arroser le jardin. Nous étions déjà écologiste car le monsieur avait réalisé un système de récupération de l’eau de pluie qui servait à l’arrosage. Étant à la campagne, nous n’avions pas trop de problèmes de nourriture. En tant qu’architecte, le monsieur effectuait des travaux dans les propriétés de la région et se faisait souvent payer en nature : produits laitiers, viande, légumes. La vie n’était pas désagréable. Parfois, je me couchais dans les champs pour regarder passer les bombardiers volant vers les usines au milieu des explosions de La FLAK. Comme tous ceux de ma génération, j’avais déjà une expérience de la guerre. »

* * *

« La situation empirant, et selon les ordres reçus par les autorités, il me fallut repartir vers Constance dans la famille qui m’avait accueilli précédemment. Je suis resté là jusqu’à la fin de la guerre. En 1945, l’Allemagne était à l’agonie, mais la région de Constance fut relativement épargnée. Entre l’automne 1944 et la fin de la guerre, la désorganisation créait de nombreuses difficultés. En 1945, il n’y avait plus d’école à Markdorf, c’est pour cela que nous pouvions passer nos journées à la recherche de nos “trésors de guerre”. De tous côtés, l’Allemagne était envahie. À l’est, les Russes marchaient sur Berlin. À l’ouest, les Britanniques et les Américains s’emparaient du Hanovre, de la Ruhr et de la Bavière et, dans le sud, les Français progressaient vers le Vorarlberg et l’Autriche. Ce sont d’ailleurs eux que j’ai vus en premier dans la région de Constance. Ils avançaient prudemment car les grandes forêts dont j’ai parlées précédemment recelaient encore de nombreux pièges avec des Kampfgruppen2 qui minaient les axes et tendaient des embuscades.

» Près du village de Markdorf-am-Bodensee où j’habitais, poursuit Horst Roos, les Français ont tiré avec de l’artillerie, puis ils ont fouillé le village et ont stationné là trois jours durant. Ils sont entrés dans les usines et, à leur tour, ont récupéré un butin considérable dont des avions aux usines Dornier. Du côté de Constance, la ville et les villages alentour n’étaient pas trop abîmés car la région avait peu été bombardée à cause de la proximité de la Suisse. Les Français sont rentrés dans la maison où j’habitais, ils ont rassemblé la famille en nous bousculant un peu et ils ont fouillé la villa. C’étaient des soldats des régiments formés à la dernière minute avec des résistants et des jeunes engagés qui n’étaient pas très aguerris. Les gars sont rentrés dans le bureau de l’architecte. Il y avait deux portes : l’une s’ouvrant vers l’extérieur, l’autre, toujours fermée, donnant sur le couloir. Un soldat a défoncé la porte du couloir à coups de crosse. L’architecte qui parlait français lui a fait remarquer qu’on pouvait rentrer de l’autre côté, mais le soldat lui a dit de se taire et a continué de fouiller. Ils sont partis aussi vite qu’ils étaient venus. Après, nous n’avons plus vu personne. Il y avait bien des convois qui passaient, mais sans s’arrêter. La population redoutait les tirailleurs ou les goumiers nord-africains qui avaient une mauvaise réputation. Ensuite, une petite garnison avec quelques gradés s’est installée pour faire régner l’ordre dans le village. La population devait tout rendre : les armes, les radios, le matériel militaire, les uniformes. C’était l’occasion de découvrir éventuellement des SS ou des nazis. Les véhicules étaient réquisitionnés. Deux veuves, qui habitaient à côté de la maison de l’architecte, m’ont demandé de rendre les fusils de chasse de leur père que je n’avais jamais vu. Je suis donc reparti de leur maison avec trois fusils sur l’épaule et le poste radio à la main et j’ai croisé sur ma route une colonne de chars avec des Noirs – des Sénégalais ou une autre unité de la Coloniale. Quand ils ont vu les fusils, ils se sont un peu énervés, mais la colonne a continué son chemin et moi le mien pour aller à la mairie déposer mes fusils et ma radio. La dénazification fonctionnait à plein et les gens jetaient des portraits d’Hitler et tous les insignes ou ce qui pouvait rappeler le régime nazi. C’était l’occasion de négocier des vivres auprès des soldats friands de ces souvenirs de guerre. Pour nous les gosses, c’était une période bénie ; avec la débâcle de l’armée allemande, on trouvait de tout : des équipements, des armes – j’ai enterré des pistolets dans le jardin – des matériels de radio, des véhicules qui étaient récupérés par les paysans. Dans le verger de l’architecte, il y avait un canon de 20 mm en état de fonctionner qui avait été abandonné par ses servants. Nous vadrouillions de partout. Inconscients du danger, nous montions dans les épaves de chars ou de véhicules, nous nous amusions avec les armes sans penser aux munitions qui pouvaient être instables.

» C’est à cette période que j’ai eu mon premier contact avec la Légion étrangère un peu avant le 30 avril. Une colonne d’half-tracks est arrivée qui devait appartenir au RMLE. Un half-track s’est arrêté devant chaque maison et leurs équipages se sont installés dans les étages supérieurs en refoulant les habitants. Parmi eux, il y avait des gars qui parlaient allemand et qui ne nous vouaient pas une haine féroce comme certains résistants des régiments d’infanterie ou des prisonniers libérés. Ils nous ramenaient à manger et je pense qu’ils avaient dû découvrir des dépôts ou des fermes ayant constitué des provisions. Dans l’half-track de ceux qui s’étaient installés chez nous, on voyait des grandes roues de fromages qui nous faisaient envie. C’est aussi la première fois que je voyais du pain blanc comme en fabriquent les Américains. Ces légionnaires sont restés quelques jours et une nuit, ce devait être le 30 avril ou la fin de la guerre, ils se sont saoulés et on tiré une grande quantité de munitions, réveillant et effrayant le village. Dans la villa, il y avait aussi un couple d’Alsaciens qui avait été imposé à l’architecte et nos légionnaires ont bu et chanté avec eux toute la soirée. À un moment, j’ai entendu un grand bruit. C’était un légionnaire qui, voulant aller pisser, s’était cassé la figure dans le jardin. Mais en dehors de ce dégagement, ils étaient très disciplinés et le chef d’engin qui devait être un caporal-chef avait vite fait de se faire obéir et il veillait à ce qu’il n’y ait pas de débordements. Hier comme aujourd’hui, un caporal-chef est un gradé important dans la Légion. D’ailleurs la discipline était très sévère dans la 1re armée. Nous avions entendu dire qu’à Freudenstadt, des Marocains qui s’étaient rendus coupables d’exactions et de viols avaient été fusillés sur place.

» Un jour, nous avons découvert une camionnette abandonnée en lisière de forêt avec son chargement intact qui n’avait intéressé personne. C’était des plaques d’identité vierges de la Wehrmacht. Il y avait aussi des vêtements, manteaux, bonnets, et des équipements avec des ceinturons, des sacs et des musettes. Nous étions très contents de notre butin, mais trois Russes sont arrivés avec des fusils allemands. Nous avions peur car ils étaient saouls comme seuls peuvent l’être des Slaves. Ce devait être des prisonniers libérés qui erraient dans la campagne à la recherche de pillages fructueux. L’un d’eux m’a braqué un fusil sur le ventre en menaçant de tirer. À treize ans, je n’étais pas rassuré, mais les autres l’ont empêché et ils sont partis. Dans toute la région, il y avait des bandes d’anciens prisonniers ou déportés qui avaient travaillé dans les usines qui cherchaient des bonnes fortunes ou voulaient simplement se venger des mauvais traitements qu’ils avaient subis. En général, c’était surtout des gens de l’Est, parce que la majorité des prisonniers français avait été récupérée par la 1re armée pour être rapatriés. Certains avaient repris du service et gardaient les prisonniers de guerre allemands, d’autres, surtout dans les Kommandos agricoles, partageaient le lit de la fermière dont le mari avait été tué sur le front de l’Est, en comptant fermement refaire leur vie dans ces fermes. Un peu plus tard, ma sœur m’a raconté qu’à Mannheim aussi, les anciens prisonniers avaient commencé à piller les dépôts et à s’en prendre à la population, mais que les Américains avaient rétabli l’ordre sans ménagement. J’ai aussi entendu dire que c’était le cas à Stuttgart et que les Français avaient agi de même. »

La guerre était finie. Sur des kilomètres, les routes rappelaient celles de la vallée du Rhône aux premiers jours de septembre 1944. Ce n’étaient que véhicules abandonnés, équipements épars, canons détruits, chevaux éventrés – l’hallucinante image de la défaite totale. Car, cette fois, la XIXe armée allemande, celle que la 1re armée refoulait depuis la Provence, était irrémédiablement brisée. Son front rompu en son centre, elle n’avait pu ni colmater la brèche, ni se rétablir, ni organiser une retraite coordonnée de ses grandes unités jusqu’au « réduit alpin ». Simultanément encerclés et séparément anéantis, ses deux corps d’armée n’existaient plus que dans le souvenir des 110 000 prisonniers capturés depuis le franchissement du Rhin. Et les suprêmes soubresauts de cette armée, obstinée à se battre et capable d’héroïsme alors que même l’espoir l’avait quittée, ne pouvaient plus rien contre le destin qui lui était imposé. Le coup de boutoir du XVIIIe corps SS lui-même n’avait pas stoppé l’élan français vers l’est et l’Autriche

* * *

« En 1945, quand ma sœur m’a récupéré au lac de Constance pour retourner à Mannheim, nous avons été obligés de faire la moitié du chemin dans des trains de marchandises sans confort qui s’arrêtaient fréquemment pour toutes sortes de raisons, sans savoir quand ils allaient repartir. Parfois, la voie ferrée avait été bombardée, ou bien un pont avait été détruit, à moins qu’un convoi allié n’ait la priorité. De plus, pour ce voyage, nous n’avions pas beaucoup de provisions et la faim nous taraudait l’estomac. À Mannheim, il a fallu attendre que l’école reprenne. J’ai fait une année scolaire complète, ma dernière année de primaire. C’était vraiment une drôle d’époque. Les jouets des enfants étaient des armes, des munitions, des casques… tout ce qui rappelait la guerre qui pour nous était la seule ambiance que nous ayons connue. Nous étions inconscients du danger que cela représentait. Un jour, à Markdorf, nous avons trouvé des obus de 88 mm. Pour jouer, nous avons démonté la tête de l’obus. À l’intérieur, dans le culot, il y avait de la poudre qui ressemblait à des spaghettis. Pour dire comme nous étions idiots, nous avons tapé sur l’obus avec des cailloux afin de faire sortir cette étrange substance et, quand nous avons eu assez de poudre, nous sommes allés dans un petit entrepôt où étaient stockés des câbles électriques. Nous en avons coupé des morceaux pour récupérer les gaines que nous remplissions alors de poudre. Pour nous, ce n’était que de gros pétards que nous faisions exploser sans mesurer le danger. Un autre jour, en juillet 1945, alors que j’étais déjà retourné à Mannheim, un camion américain est arrivé au bord du canal près de la maison où nous habitions avec ma mère et ma sœur – c’était la seule encore debout dans le coin, même le pont sur le canal avait été détruit – et il a vidé sa benne remplie de matériel militaire dans le canal. Il y avait des grenades, des baïonnettes, des fusils par centaines. Pour nous, c’était un trésor et nous avons commencé à plonger au milieu de ce fatras dangereux pour y récupérer des souvenirs. Je ne suis pas sûr qu’un démineur s’y serait risqué, même aujourd’hui. Mais la notion du risque n’était pas la même que celle de notre société actuelle. On jetait les grenades dans l’eau pour admirer la détonation, mais surtout, on pêchait avec, ce qui permettait d’améliorer l’ordinaire de la famille parce que nous n’avions rien à manger. Qu’est ce que j’avais faim ! Pour tout le monde, l’immédiat après-guerre fut une période très difficile. Heureusement, c’était l’été et nous n’avions pas besoin de chauffage, mais les hivers suivant furent encore été très durs. D’ailleurs, en 1951 nous avions encore faim.

» Après ma dernière année d’école en 1946, sans qu’on ne m’ait rien demandé et alors que j’avais 14 ans, j’ai été mis en apprentissage de mécanique de précision chez Lanz, une entreprise de tracteurs à Mannheim qui avait été durement touchée durant la guerre, période au cours de laquelle l’usine avait été détruite à 90 %. Quand je suis rentré en apprentissage, la société fabriquait des boîtes de transfert pour véhicules. Nous souffrions toujours des problèmes créés par la guerre. Les infrastructures n’étaient pas encore toutes reconstruites, beaucoup d’immeubles étaient toujours en ruines et les gosses continuaient de jouer dans des terrains vagues malgré le danger des bombes et des munitions non explosées que l’on y trouvait en grandes quantités. Les transports étaient encore restreints et les approvisionnements insuffisants. Au bout de trois ans, j’ai obtenu un brevet de mécanicien tourneur ! L’apprentissage était sévère. On suivait un programme qui permettait de progresser chaque année. À part les professeurs, nous étions surveillés par des contremaîtres ou des ouvriers hautement spécialisés qui ne laissaient rien passer, ni professionnellement, ni dans le comportement. Ils avaient la main leste et le coup de pied aux fesses généreux. Quand nous en prenions un, nous ne disions rien car de toute façon, nous avions tort. Quand j’ai eu fini l’apprentissage, j’ai travaillé avec un vieil ouvrier qui m’a beaucoup appris. J’étais jeune et sans expérience. Je travaillais sur un banc carrousel, une grosse machine-outil qui produisait des blocs cylindres de tracteurs en fonte. La durée quotidienne de travail était de douze heures, de 6 heures du matin à 18 heures le soir tous les jours. Une semaine de jour, une semaine de nuit. Nous étions deux à nous relayer sur cette machine. Pas de temps morts hormis les pauses casse-croûte ou le temps de programmation de la machine. Il fallait faire très attention, parce que si on cognait la pièce, le bloc pouvait se casser. Le travail était dur et répétitif, les journées longues et monotones, et après ces années de guerre synonymes d’une très grande liberté, je souffrais d’être enfermé. »

En 1951, l’Allemagne se relevait et déblayait ses ruines, explique le major Roos. Elle avait été saignée à blanc ; elle manquait d’hommes et avait besoin d’ouvriers. « On commençait à reconstruire et tout le monde travaillait à la reprise industrielle, il n’y avait pas de chômage en raison de tous les hommes morts de la guerre. Même les vieillards et les femmes participaient à l’effort collectif. Mais il n’y avait pas de comparaison possible avec 1945. Le moral de la population était bien meilleur, il y avait encore certaines difficultés de ravitaillement, mais nous mangions à notre faim et nous pouvions nous habiller correctement. À l’époque, j’avais dix-neuf ans et j’avais fini mon apprentissage. L’avenir paraissait assuré, un dynamisme admirable habitait les Allemands qui voulaient oublier ce proche passé si gênant. Dans leur hâte de tourner cette page sombre de leur histoire, dépassant la partition de leur pays, des décombres surgirent des milliers d’immeubles sans caractère, rendant irréversible toute restauration des tissus en ruine, déblayés sans ménagement. »

1. Les pathfinders existaient aussi dans les troupes aéroportées et donnèrent naissance aux chuteurs opérationnels qui eux-mêmes devinrent les actuels groupes de commandos parachutistes en place dans les régiments parachutistes français.

2. Groupes de combat.

Chapitre 2

Instruction et formation Légion

« Je suis resté un an à l’usine après la période d’apprentissage, puis un beau jour, j’en ai eu assez et j’ai ressenti un besoin d’évasion. Pourtant, j’avais tout préparé pour ma journée de travail. Pour me rendre à l’usine, je devais franchir une passerelle au-dessus de la voie ferrée à partir de laquelle je voyais passer les trains. Mais peut-être étais-je un peu déprimé ce matin-là, aussi ai-je décidé de me rendre à Ludwigshafen qui était occupé par les Français – les Américains, eux, étaient à Mannheim. Mon amie Helmtrud, qui deviendrait mon épouse treize ans plus tard, habitait elle aussi à Ludwigshafen. C’était une amie de jeunesse, mais il n’y avait rien entre nous. J’avais fait sa connaissance à l’occasion d’une fête foraine, alors que j’avais seize ou dix-sept ans. Je lui avais parlé, puis je l’avais raccompagnée plus tard jusqu’à sa porte. Elle habitait chez ses parents et était très réservée, difficile à approcher. Nous avions beaucoup discuté de l’avenir qui nous semblait tout de même sans grande perspective pour l’Allemagne comme pour nous, notre seul futur étant un travail qui nous permettrait tout juste de vivre. Au fil des semaines, ma décision avait fini par mûrir. Il fallait que j’aille voir d’autres horizons. Ce matin-là, j’ai donc prévenu ma mère et ma sœur que je ne reviendrai pas et que j’allais m’engager chez les Français à la Légion étrangère. Je connaissais la Légion parce qu’un de mes oncles avait été légionnaire sous le régime nazi. Lorsque je serai plus tard à Aubagne, je retrouverai son dossier au bureau des anciens de la Légion étrangère. Il avait fait le Maroc avant la guerre. Et puis, j’avais vu les légionnaires à Markdorf.

» En arrivant à Ludwigshafen, j’ai erré un moment dans la ville. Partout des chantiers et beaucoup de soldats français. Je ne me souviens plus très bien comment je suis arrivé à la gendarmerie. Soit j’avais repéré l’itinéraire auparavant, soit j’y suis arrivé par hasard. Je me suis présenté devant l’immeuble qui était en pleine ville et j’ai dit au planton que je voulais intégrer la Légion étrangère. Un gendarme m’a reçu dans son bureau pour me donner un ticket de train à destination de Landau, où d’autres jeunes attendaient, puis nous avons été ensuite rassemblés avec d’autres candidats à Offenburg, dans un grand camp qui avait dû être un stalag et où il y avait beaucoup de monde en instance d’engagement – uniquement pour la Légion. En 1951, l’Indochine faisait recette parmi les jeunes Allemands. Les vétérans de la guerre étaient déjà partis entre 1945 et 1948 et ils allaient bientôt attaquer un deuxième séjour. Nous, nous formions la deuxième vague germanique d’engagements. »

La Légion que découvre Horst Roos est celle d’Indochine, cette guérilla qui depuis octobre 1950 et le désastre de la RC 4 s’est transformée en une véritable guerre, coûteuse en vie humaine, et en gouffre financier insupportable pour un pays en reconstruction. Pour mener cette guerre, la France avait besoin d’hommes, de professionnels qu’on pouvait jeter dans la fournaise sans état d’âme. Alors que l’opinion, fortement influencée par le parti communiste, rejetait en majorité ce qu’elle appelait « la sale guerre », la Légion recrutait à plein régime des volontaires dans toute l’Europe. Si le recrutement n’était plus celui de l’immédiate après-guerre, celui des damnés de la terre et des réprouvés, celui des laissés pour compte d’une nouvelle société émergeant des ruines et des cadavres accumulés pendant près de six ans, il faisait appel à des candidats nettement plus jeunes, souvent en mal d’aventures et d’exotisme. Horst Roos était de ceux-ci.

« Nous sommes restés à Offenburg deux ou trois jours, le temps de former un détachement, poursuit le major Roos. Nous avons passé une visite médicale sommaire et le reste du temps, nous avons attendu le départ. Quand je suis arrivé à Offenburg, j’étais bien habillé avec des vêtements corrects, un costume du dimanche que j’ai posé le soir au pied de mon lit. Le lendemain matin, il n’y avait plus rien. À la place, il y avait un vieux pantalon militaire et une vareuse bien défraîchie. Là, même si j’en avais eu envie, je ne pouvais plus rentrer chez moi, c’était réglé. Un ou deux jours plus tard, nous sommes partis à Marseille. Un train complet d’engagés. Le trajet fut interminable et certains ont profité de ce long voyage pour réfléchir et, au final, préférer rentrer chez eux plutôt que de continuer l’aventure. Nous sommes arrivés à Marseille, à l’ancienne gare du Prado et à pied, colonne par trois, nous avons rejoint le bas fort Saint-Nicolas. Il y avait une foule considérable ; les gens couchaient partout et nous devions nous battre contre des bataillons de punaises. Nous avons encore passé huit jours à nous gratter en passant de bureau en bureau pour les formalités et visites médicales. Parmi les souvenirs marquants, nous avons reçu la première dose de TABDT1. Nous avons alors formé une colonne d’une quinzaine d’hommes torse nu et nous avons été vaccinés à la chaîne. Un premier aide-soignant badigeonnait l’épaule avec un désinfectant, un infirmier préparait la seringue et un troisième injectait le produit. À Offenburg, on m’avait attribué un matricule, mais au bas-fort, j’ai signé mon contrat d’engagement avec un numéro matricule qui différait de quelques chiffres du précédent : mon numéro matricule définitif devint le n° 81 148. Le reste du temps, nous tournions en rond ou nous effectuions quelques corvées. Le matin, des gars ramassaient les mégots… Pas pour nettoyer le sol, pour les fumer ! Nous n’avions rien, nous manquions de tout le strict nécessaire et nous n’avions pas d’argent. Nous avons été habillés d’une manière un peu plus décente – pas un paquetage complet –, mais le nécessaire pour rejoindre Sidi-Bel-Abbès de façon correcte.

» Enfin, un jour, le départ pour Sidi-Bel-Abbès ! Nous avons embarqué sur un navire qui nous a déposés à Oran. Après la traversée à fond de cale dans des conditions désagréables de promiscuité, d’odeurs fortes et de bruits, nous avons encore subi plusieurs heures de train avant d’arriver enfin au quartier du dépôt commun de la Légion étrangère. Je découvris alors un autre monde. Mon engagement pour cinq ans débuta le 30 mars 1951 et je fus affecté à la compagnie de passage n° 3. Dans cette caserne, le mouvement des personnels était continuel. Il y régnait une agitation permanente, mais pas la pagaille d’une horde en guenilles comme à Offenburg ou à Marseille. Ici, tout était organisé, planifié et gare à celui qui faisait un pas de travers. Les uniformes étaient impeccables et la discipline régnait. »

* * *

Lorsqu’il arriva à Sidi-Bel-Abbès, loin des clichés du cinéma des années 1930, le jeune Roos, découvrit une ruche bourdonnante d’activité entièrement vouée au soutien des unités combattant en Indochine. Dans ce but, pour remplacer l’inspection de la Légion étrangère, le 1er septembre 1950, l’état-major de l’armée avait créé le Groupement autonome de la Légion étrangère (GALE) et le dépôt commun de la Légion étrangère (DCLE) qui remplaçaient le dépôt commun des régiments étrangers. Avec le GALE, placé jusqu’en 1951 sous le commandement prestigieux du colonel Jean Olié, dernier chef de corps du RMLE avant qu’il ne redevienne 3e REI, la Légion a pris une autre dimension. Elle a étoffé ses services traditionnels de recrutement et ses formations d’instruction tout en organisant une gestion plus rigoureuse de ses personnels et en adoptant une politique sociale en pointe de ce qui se faisait alors dans l’armée française et qui était, il faut bien le dire, assez dépourvue en la matière. Peu avant sa dissolution en avril 1955, une plaquette présentant le GALE résumait parfaitement l’état d’esprit qui avait présidé à sa création :

« Tel quel, le GALE n’est que la forme actuelle de la Légion étrangère, son expression momentanée. Il a succédé à d’autres formules d’organisation qui, sous des noms divers, ont assuré dans le passé les mêmes missions. Celles-ci se sont développées avec les circonstances, avec les exigences modernes aussi. L’appellation pourra changer et les modalités d’organisation varier, les missions demeureront. »

L’organisation du GALE était fixée par la décision de l’état-major de l’armée de terre n° 7934 du 6 juin 1950. Il comportait le DCLE et le 1er REI. Le DCLE se composait d’un état-major soutenu par une CCS, d’un groupe de services administratifs, du bureau des statistiques de la Légion étrangère2