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« On les avait vus. Sans attendre, comprenant qu’il n’avait plus le choix, Gallad se redressa sur son cheval et ordonna l’assaut. Toutes les créatures des Rêves Éveillés s’étaient alors levées à grand bruit, la peur au ventre, mais l’esprit en éveil, dans cette action qui promettait d’être la dernière. Aucun des soldats de la cité n’était resté en arrière, tous étaient venus, vidant ainsi la cité de toute vigilance. Après tout, pourquoi rester, si le mal gagnait, car ils seraient ensuite tués sans cérémonie, sans même avoir eu l’occasion de prouver leur valeur ? »
À PROPOS DE L'AUTRICE
Dès son plus jeune âge,
Fany Healy a cherché refuge dans la lecture pour échapper aux tumultes de son quotidien. À l’adolescence, l’écriture est devenue pour elle un moyen d’explorer des mondes imaginaires. Ce qui n’était autrefois qu’un rêve inaccessible prend aujourd’hui forme à travers la publication de ses œuvres.
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Seitenzahl: 657
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Fany Healy
Rêves éveillés
Tome III
Un avenir pour le passé
Roman
© Lys Bleu Éditions – Fany Healy
ISBN: 979-10-422-4418-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Seul le fantastique à des chances d’être vrai.
Pierre Teilhard de Chardin
Depuis le départ du roi, toute la cité s’était plongée dans une morne lassitude. Les rues étaient toujours désertes, les magasins et les boutiques étaient fermés, le vent lui-même était tombé, aussi soudainement que la fin de la neige. Le soleil restait voilé derrière d’épais nuages gris, les cœurs étaient aussi lourds que l’obscurité était pesante. Cependant, la vigilance des soldats restés derrière les murs de la cité n’en était pas moins grande. Cela faisait deux jours d’une longueur effrayante que les Rêves Éveillés ne vivaient plus que dans l’attente d’un dénouement quelconque. L’inquiétude se sentait partout et même jusqu’au cœur de l’intendant, fermé à tout ce qui se passait au dehors des murs du château. Il restait assis à penser et à s’imaginer le court horrible que pourrait prendre la bataille, l’obligeant par la suite à prendre la place qu’il ne voulait pas. Sa plus grande crainte était la mort de son bien-aimé roi, devenu pour lui comme un père qui l’avait accueilli sous son toit et qui lui avait donné une place près de lui. Son humeur maussade se répercutait sur Tillius et Niphredil qui ne jouaient plus gaiement comme avant, restant plutôt calmes et tristes, assis le plus souvent près de lui, sans parler, dans les écuries où ils se plaisaient à rester. Il arrivait que la pouliche essaie de lui parler, malgré ses paroles encore mal dites, mais en vain. Frédéric n’écoutait pas et le silence reprenait son cours, jusqu’à la fin de la journée. On était justement à l’une de ces fins de journée où Frédéric et Tillius remontaient à leur appartement pour passer la nuit. Les couloirs et les escaliers étaient sombres, leurs pas résonnaient sur la pierre dure des marches quand à la sortie d’une impasse un faune en armure sortit de l’ombre. Avec un sursaut, Frédéric s’arrêta en agrippant l’enfant pour le mettre derrière lui. Le faune s’arrêta lui aussi et les regarda un instant dans l’obscurité en silence. Puis il parla.
— Est-ce bien vous mon seigneur, qui remplaçait le roi sur le trône durant son absence ?
— C’est bien moi, répondit calmement Frédéric.
Le faune regarda par la suite l’enfant, qui le fixait avec stupeur, ne s’attendant pas à trouver l’intendant ainsi accompagné. C’était pour lui une véritable surprise. Il s’était ainsi confusément retourné vers Frédéric.
— Pourrais-je vous parler en privé ?
Le jeune homme prit un temps de réflexion. Un regard poignant sur le faune, il se demandait s’il pouvait avoir assez confiance en cette créature pour lui permettre de le voir seul à seul, perdu dans un couloir désert.
— Paty ! appela-t-il soudain.
Sans attendre, un kobold apparut à quelques pas de lui et s’inclina.
— Paty, raccompagne Tillius, je te prie, j’ai des affaires qui paraissent importantes.
— Très bien mon maître.
Frédéric poussa alors Tillius vers la créature et sans attendre, ils s’éloignèrent dans le couloir. Ce ne fut que lorsqu’ils tournèrent l’angle du mur, que Frédéric rapporta son attention sur le faune.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
— Nous ne savons si c’est de votre ressort, cependant je n’irais pas par quatre chemins, étant dépêché, mais nos troupes se demandent, s’il vous est possible d’envoyer des émissaires auprès de notre roi, qu’ils nous informent de leur avancée.
Frédéric réfléchit. À trois jours d’ici, les troupes ne s’étaient pas encore trop éloignées, il ne pouvait s’être passé beaucoup de choses.
— Comme vous, je m’inquiète pour le roi et comme vous j’aimerais savoir davantage de choses, mais la requête que vous me demandez, je ne peux la satisfaire, car je n’en ai aucun droit. Seul le roi aura le droit s’il le veut, de nous informer par terre ou par air, par la bouche de l’un de ceux qu’il daignera nous envoyer.
— Je comprends. Cependant, cette nouvelle risque de décevoir un grand nombre d’entre nous.
— Je ne peux faire plus, comment pourrais-je de nouveau réjouir les cœurs ? Pour moi, ce rôle est tout nouveau, je ne le voulais pas moi-même et si j’avais pu je l’aurais refusé.
— Si le roi vous a choisi, vous, ce n’est pas par jeu, il devait avoir une bonne raison. Croyez-moi, tous, nous aurions dit la même chose. Maintenant je me rends compte que ma question était stupide, je n’aurais jamais dû la poser.
— Toute question est bonne à entendre et celle-ci n’était pas stupide. Encore davantage parce que plusieurs se la posaient. Seulement, maintenant nous ne pouvons qu’attendre que tout se finisse. Nous n’avons plus le choix, d’ici nous ne pouvons plus rien. Le roi seul sera ce qu’il faut faire.
— J’espère que vous avez raison. Alors peut-être pourriez-vous organiser un dîner comme dans les temps heureux et parvenir ainsi à réchauffer les cœurs morts de la cité.
— Peut-être en effet pourrais-je le faire. Il ne sera pas grand et splendide, en temps de guerre les restrictions l’exigent, mais il sera heureux et gai, alors j’espère que la léthargie d’aujourd’hui ne sera plus demain.
Le faune inclina la tête en souriant.
— Vous êtes bon et vos paroles sont douces, je vous remercie mon seigneur de votre bienveillance.
— Non, ne me remerciez pas encore, il n’en est pas temps.
— Alors j’attendrais.
— Je promets de venir en aide à la cité comme je le pourrais, en attendant, retournez à votre poste, je suis attendu.
— Bien seigneur. Je ne savais pas que les dires étaient vrais, mais savoir maintenant que vous avez sauvé un enfant, cela vous honore. Je serais tout disposé à obéir à vos ordres, mes compagnons avec moi.
— À mon tour de vous remercier. Allez alors, nous nous reverrons sûrement.
— Je l’espère.
Avec un profond salut, le faune prit congé du jeune homme et tournant les talons, il s’éloigna dans les couloirs. Frédéric ne put bouger tout de suite, cette conversation l’avait profondément touché et bouleversé. Il se rendait désormais compte du temps perdu aux écuries et la liste de chose qu’il devait faire pour éviter au peuple le désarroi et la misère. Doucement il reprit d’un pas lent le chemin de ses appartements en se promettant que dès le lendemain il s’occuperait des affaires de la cité.
Il était très tôt ce matin-là. Le sol était encore blanc, la neige n’avait pas fini de fondre et craquaient sous les pieds de Frédéric et de Tillius qui se rendaient d’un pas assuré chez Astaldo. Celui-ci, qui était resté en permission pour veiller sur la jeune mère, leur ouvrit la porte rapidement pour les faire entrer. Il ne voulait pas laisser la porte trop longtemps ouverte, protestant que le froid commençait à malmener sa femme, désormais toujours assise au salon, les mains sur son ventre énorme.
— Frédéric ! Comment allez-vous ? demanda-t-elle d’une voix fatiguée.
— Très bien, mais vous ? Vous avez l’air si fragile.
— C’est vrai, cet enfant m’épuise, mais bientôt il naîtra.
— Je serai là ce jour pour vous assister, je vous le promets, répondit le jeune homme.
— Ne promettez pas. La cité est déjà bien assez grande pour que vous soyez occupé ailleurs. Mais dites-moi, que faites-vous ici, vous semblez pressé ?
— Oui en effet, je viens vous emmener Tillius. Comme vous le dites, la cité est assez présente, j’ai de nombreuses choses à faire aujourd’hui.
— Alors, partez confiant mon ami, comme chaque fois nous prendrons soin de lui, dit Astaldo.
— Merci, et comme à chaque fois je ne sais comment vous exprimer ma gratitude.
— Chacun de vos gestes, et chacune de vos paroles nous le témoigne, dit l’elfe.
— Allez, ne vous attardez pas.
Frédéric hocha rapidement la tête, baisa le front de la femme elfe, les joues du faune, serra la main d’Astaldo et sortit de la maison, le cœur joyeux, sûr de leur amitié. Sitôt dehors, Frédéric avait pris directement le chemin du retour. Il avait deux idées en tête, deux idées qui lui prendraient beaucoup de temps, il devait se dépêcher. Bientôt il atteignit ainsi la porte du château, puis la salle du trône. À peine arrivé, il appela Mélisse auprès de lui. Celle-ci qui n’avait plus rien fait depuis le départ de Gallad se montra. La mine terne et le pas lent, elle approcha.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en baissant les yeux.
Voyant dans quel état d’inquiétude elle était, il se baissa vers elle pour la rassurer.
— Ma chère amie, n’ayez pas cet air si accablé. Même si le roi et son armée sont partis en guerre, la cité, elle, vit toujours. Nous ne pouvons pas baisser le bras, nous ne pouvons pas laisser les cœurs de la cité dépérir. Et pour cela j’ai besoin de votre aide, en vous disant ceci. Le roi lui-même m’aurait approuvé, car même si son armée disparaissait nous devrions alors être aptes à défendre nos murs. C’est pour cela que je vous appelle aujourd’hui, pour réveiller ces gens qui ne vivent plus, comme vous, depuis le départ du roi.
Frédéric posa alors une main sur l’épaule de l’écureuil qui s’était mise à pleurer.
— M’aiderez-vous ? demanda-t-il.
À cet instant, Mélisse releva les yeux en essuyant rapidement ces larmes.
— Je vous aiderais, répondit-elle en secouant la tête.
— Bien, alors écoutez attentivement mes instructions. Car je n’ai pas l’intention de les répéter, dit-il avec un sourire malicieux au coin des lèvres.
Comprenant qu’il s’agissait d’un tour de main, Mélisse tendit l’oreille en souriant elle aussi. Elle avait hâte d’en savoir plus. Elle s’était tout de suite mise à l’écouter avidement.
Frédéric n’avait pas eu besoin de beaucoup d’explications à donner pour convaincre Mélisse de la réussite de sa demande. Tout de suite, elle avait tout pris en main et le jeune homme était parti confiant. La première de ces obligations en cour, il partait accomplir sa deuxième idée, plus motivé que jamais. Sa pouliche n’étant pas encore assez forte pour le supporter, il avait emprunté un cheval et était parti en galopant à travers les maisons avec une seule et unique image sur le cœur, Tillius et sa propre sœur perdue quelque part. Pensant à cela en cet instant, une larme solitaire coula de son œil, mais se reprenant rapidement, il l’essuya, en se convainquant que ce n’était là que la malice du froid qui frappait son visage. Il éperonna alors plus fortement les flancs du cheval et ne quitta plus des yeux la route, qui le séparait de la petite grille qui menait aux terres magiques des licornes. Après une chevauchée qui pour le coup lui parut d’une longueur infranchissable, il aperçut enfin, entre de rares arbres dégarnis, la petite porte de fer blanc. Une flamme d’espoir naquit en lui. C’était derrière cette grille si simple que résidait sa dernière chance de réussite et quelque part il se disait que c’était la bonne. Il ralentit son cheval jusqu’à l’arrêter complètement et le souffle court, il regarda au-delà, cette forêt touffue et inconnue, qui comme cela ressemblait à tant d’autres. Calme, silencieuse, profonde, où la neige presque fondue se voyait ici et là. Il y avait cependant tout simplement cette petite grille qui l’avertissait qu’il n’en était rien.
— Allez, s’encouragea le jeune homme.
Il agaça de l’éperon son cheval, se disant qu’il serait facile de sauter cette grille quand quelque chose le retient et lui murmura qu’il devait honneur et douceur à celle-ci. Cela lui paraissait étrange de devoir honorer une entrée et retenant son cheval, il resta là, interloqué, sans savoir que faire. Lorsque finalement, aussi simplement qu’il l’aurait fait en une autre circonstance, il mit pied à terre pour ouvrir la grille de la main. Soudainement soulagé sans savoir de quoi, il soupira d’aise. Il passa ensuite machinalement la porte en entraînant en même temps son cheval. L’entrée refermée derrière lui, il remonta en selle. Il ne lui restait plus qu’à reprendre la route. Étonnamment, l’envie de chantonner faiblement l’avait pris, le libérant de l’emprise de tous ses soucis. Puis complètement détendu, il avança sans rien remarquer des changements qui s’opéraient tout autour de lui. La forêt progressivement prenait des airs de printemps. Les arbres se couvraient progressivement de feuilles vertes et argent, l’herbe poussait avec abondance, parsemée de petites fleurs colorées, les buissons se couvraient de fruits, les papillons et les abeilles volaient de nouveau et les oiseaux chantaient comme auparavant. Quand vinrent la fin du sentier et le début de la forêt proprement dite, Frédéric se réveilla enfin, découvrant avec stupeur, le magnifique décor dans lequel il se trouvait et qu’il n’avait jamais vu. Les yeux grands ouverts, il s’était tu, ne pouvant regarder en arrière, de peur d’y revoir l’hiver et la mort. Après les nombreuses années passées sous le règne du mal, cette soudaine vision de chaleur et de vie lui poignait le cœur, éclairant son visage. Une agréable sensation de bien-être l’envahissait et le calme l’entourait, pour la première fois depuis longtemps il se sentait vivre. Chaque son, chaque sensation lui était devenu plus perceptible, jusqu’au battement de son propre cœur et jusqu’au frémissement de son cheval. Doucement, il osa regarder autour de lui, les arbres, le ciel, le sol, les couleurs, les animaux, jusqu’au sentier qu’il venait de parcourir. Retourné sur sa selle, il le regardait attentivement. Puis ses sourcils se froncèrent, il se rappelait pourquoi il était là. Tillius, il ne devait penser qu’a lui maintenant. Toujours aussi calmement, sans cesser de regarder autour de lui, il s’était rassis convenablement sur sa selle, avant de frapper son cheval de ses talons. Ainsi, il avait repris sa route, s’enfonçant dans la forêt sans savoir dans quelle direction aller pour trouver le troupeau qu’il cherchait. Bientôt le sentier disparut derrière lui, le perdant presque au milieu de cette forêt qu’il ne connaissait pas. Au début, incertain, il avança doucement, puis il lança son cheval dans un galop effréné désireux d’atteindre son but au plus vite, conscient qu’il n’avait que trop tardé. Il ne sut pas combien de temps cela lui prit pour apercevoir enfin la terre des licornes, tout ce qu’il savait c’était que le soleil était passé à l’ouest depuis longtemps. Seulement il eut la désagréable surprise de n’y trouver aucune licorne comme le lui avait dit le roi. À cette vue, son visage s’était instantanément abattu tandis que son espoir de réussite disparaissait en son cœur. La bouche à demi ouverte, il scrutait l’endroit sans comprendre. Il était désert. Désemparé, il descendit de cheval et se mit à courir en quête d’il ne savait trop quoi pouvant lui donner un indice sur l’endroit où pouvaient se trouver les créatures. Il chercha partout, rentrant et ressortant de la forêt, inspectant chaque tronc, chaque pierre, chaque trace au sol, mais finissant par être essoufflé et le cœur lourd, il avança vers le lac et s’agenouilla, la tête vers le sol.
— Non, se disait-il sans cesse en cet instant. Non, c’est impossible.
Lui, qui avait tant espéré en cette recherche, se retrouvait déçu et vide de toute espérance. Lui, qui avait tout fait pour rendre la vie du petit faune heureuse, ne pouvait pas accomplir cet ultime acte qui serait l’aboutissement de tout. Entendant soudain son cheval approcher, il releva la tête et aperçut la montagne qui se trouvait derrière cette étendue d’eau turquoise et il contempla pour la première fois la magnificence du paysage. La pureté des couleurs et la beauté du sommet enneigé de la montagne arrivaient contre toute attente à l’apaiser. Puis, voilà qu’il se trouvait minuscule, un être seul, qui en ce monde ne pouvait changer grand-chose. Il tourna le regard vers le cheval, qui, calmement près de lui, le regardait de ses deux grands yeux doux et expressifs. Ils se fixèrent ainsi durant un instant, en silence, la pensée vide et les idées divagantes. Jusqu’à ce que Frédéric se détourne de l’animal et se mette à réfléchir. Après tout ce qu’il avait fait, il ne pouvait pas baisser les bras, c’était impossible. Tillius avait confiance, le roi lui-même lui avait cédé le trône en son absence. Et comme tout le monde le lui disait quand il se questionnait, le roi avait peut-être de bonnes raisons pour l’avoir choisi lui et non un autre. Reprenant courage, il se leva, prit la bride de son cheval et se mit à marcher le long du lac, les pensées toujours activent, s’entre choquantes les unes les autres pour essayer de trouver une solution. Puis tout à coup il s’arrêta, le sourire aux lèvres. Le souvenir de l’une des discussions qu’il avait eu avec le roi au sujet des licornes lui revint, lui apportant en même temps la réponse à ses questions. La guerre était la clef de tout. Celles-ci, répugnant à y participer et à en entendre parler, s’étaient sûrement retirées dans les montagnes pour éviter le conflit. Seulement un problème intervenait. Le voyage jusqu’aux montagnes durerait plusieurs jours, il n’était pas préparé à si long. Déjà qu’il lui avait fallu pratiquement une journée de course pour arriver jusqu’ici. Il n’avait pas le choix, il devait retourner au château et préparer son voyage. Déçu, mais l’espoir non éteint, il remonta en selle, le cœur lourd, se disant qu’il reviendrait vite et au plus tôt. Le soleil commençait déjà à faiblir, la faim le tiraillait, il n’avait rien mangé de la journée. Il devait se dépêcher. Il partit au grand galop.
— Mais où étiez-vous donc ? Je me suis inquiété en ne vous trouvant plus ! couina Mélisse dès qu’elle le vit monter les marches du hall, très tôt le matin, elle qui avait veillé toute la nuit.
Elle portait en ce moment une robe de chambre rose, un châle blanc sur les épaules, son habituel chapeau était invisible. Surpris et navré, Frédéric se dépêcha de la rejoindre.
— Ma bonne Mélisse, ce n’était pas la peine de vous donner tant d’inquiétude je n’étais pas bien loin.
— Vous disparaissez sans prévenir, en laissant le trône du roi vide et un enfant chez votre ami ! Astaldo est lui-même venu me poser des questions auxquelles je n’ai pu répondre.
— Comment va Tillius ? Comme je regrette maintenant, où est-il ?
— Le petit était tout triste, il est resté chez Astaldo.
Le visage de Frédéric se décomposa à la nouvelle, pour rien au monde il n’avait voulu faire du mal à son protégé et pour une simple bêtise, c’était ce qu’il venait de faire. Tillius avait dû se croire de nouveau abandonné, il ne pouvait se l’imaginer.
— Est-ce qu’il s’est endormi ?
— Je ne sais pas, mais je pense que vous devriez attendre lorsqu’il se réveillera, pour aller le voir. Pauvre enfant, vous avez été irresponsable.
— Vous avez raison, mais peut-être que si je vous donnais des explications, ma faute me serait pardonnée.
— Sans doute, mais je préfère ne rien savoir, répondit l’écureuil. Pour le moment, je vous conseillerais d’aller vous reposer.
— Là encore vous avez raison. J’ai besoin de dormir. Excusez-moi encore, je vous prie, je suis tellement navré.
— Vous êtes là, c’est le principal, lui dit Mélisse.
L’écureuil lui sourit doucement, puis elle commença à s’éloigner dans les couloirs, en laissant le jeune homme seul. Il soupira alors, honteux et triste de son propre comportement, et d’un pas lourd il finit par aller regagner ses appartements. Par des gestes machinaux, arrivé chez lui, il se débarrassa de ses vêtements, mangea un peu de soupe, puis il glissa dans son lit, la tête pleine à craquer d’émotions et d’idées. Il s’en voulait terriblement d’avoir disparu sans avoir laissé aucune nouvelle a Tillius. Cependant, il était prêt à réparer sa faute en achevant sa promesse. Il devait plus que jamais retrouver cette sœur perdue et la ramener. Maintenant qu’il devinait où elle se trouvait, il lui serait plus facile de la chercher, il ne restait plus qu’à préparer son voyage. Mais quand accomplirait-il cela ? Il n’en savait rien, tout d’abord il devait s’occuper du dîner qu’il prévoyait pour le peuple. Avant tout pourtant sa priorité était de rassurer Tillius et Niphredil, de rester quelques jours avec eux, pour leur montrer qu’il était toujours là, qu’il ne les abandonnait pas. Il y avait tant de choses à faire, tant de cœur à raviver, tant de choses à penser, que Frédéric avait beau se tourner, se retourner, il n’arrivait pas à trouver le repos. Ainsi les heures défaillaient doucement, tandis qu’il restait là, pratiquement toujours les yeux ouverts, habité sans cesse d’un nouveau traqua pour venir perturber son sommeil. Quand les rayons du soleil commencèrent à apparaître, il s’endormit enfin.
C’est un élan de vigueur qui l’avait réveillé après si peu d’heure de sommeil ce même matin. Il s’était donc rapidement levé, habillé, puis était sorti sans prendre le temps de manger quelque chose. Il n’avait qu’une hâte : atteindre la demeure d’Astaldo. D’un pas rapide et assuré, il avait d’ailleurs ainsi croisé Mélisse dans les couloirs sans vraiment l’apercevoir. La pauvre créature était restée coite d’étonnement en le remarquant, pour le laisser disparaître sans un mot. Dans son empressement, il avait ensuite pris le chemin de terre au pas de course avant de se rendre compte qu’il avait oublié son manteau. Le froid mordant l’avait saisi, obligeant tout son corps à se raidir, parcouru de milliers de picotements. Le ciel une fois de plus semblait se jouer de lui, décidé à le punir pour son égarement. Il devait aller encore plus vite. C’est donc essoufflé qu’il était enfin arrivé devant la maison des elfes. Tillius devait le getter de par une fenêtre, car dès qu’il avait été en vue de la maison, le petit faune avait ouvert la porte avant de se précipiter vers lui.
— Frédéric, cria-t-il de joie.
Tout souriant, Frédéric avait ouvert les bras pour l’attraper, avant de le serrer très fort contre lui. Peu après, Astaldo et sa femme apparaissaient à l’entrée de la maison, de mince sourire sur les lèvres.
— J’ai cru que tu ne reviendrais pas, lui dit tristement Tillius.
Le cœur serré, il recula son visage de celui du petit faune, et le regardant droit dans les yeux, il lui dit :
— Jamais je ne serais parti sans revenir. Jamais. Je veux que tu le saches. Je ne veux pas que tu aies à souffrir de nouveau de la solitude, tu as compris.
De sa petite moue, Tillius hocha la tête. Frédéric lui baisa le front, soulagé.
— Viens, maintenant il faut que je rassure nos amis.
Le visage de Tillius s’éclaira et Frédéric se redressa, pour avancer à la rencontre des elfes. À peine atteignit-il la maison, que la jeune mère le prit dans ses bras pour le serrer très fort.
— Mais où étiez-vous donc ? Vous nous avez fait très peur, lui dit-elle.
Quand elle recula, le jeune homme vit alors une petite larme scintillante couler de son œil, le bouleversant.
— Pourquoi pleurez-vous ? Est-ce dû à mon absence ? Je suis désolé, je ne voulais pas vous infliger ainsi.
— Ne vous inquiétez pas, lui répondit Astaldo. Ce n’est là que pure émotion de vous revoir.
Frédéric ne lui répondit pas, mi-souriant, mi-triste. Puis les elfes lui dévoilèrent la porte.
— Venez boire quelque chose avec nous, vous nous raconterez la raison de votre absence, dit Astaldo.
— Oui, naturellement.
Bientôt, il s’asseyait dans le salon familier avec sa vue magnifique sur le jardin en compagnie de la femme elfe. Tillius, après un rapide coup d’œil sur Frédéric, comme pour s’assurer qu’il n’allait pas repartir sans lui, était ensuite allé joyeusement gambader dehors et Astaldo leur apporta une bouteille de vin et une bouteille d’eau, ainsi que trois verres qu’il posa sur la table. S’asseyant également, il les remplit avant de les leur tendre.
— Racontez-nous, où étiez-vous ? dit Astaldo.
Frédéric regarda dehors et vit Tillius qui observait un mulot qui passait par là avant d’en revenir à eux.
— Je recherche la sœur de Tillius. Les recherches du roi n’ayant abouti à rien, j’en prends la charge.
— La sœur de Tillius ! s’exclama la femme elfe.
Le visage de chacun de ses hôtes était devenu grave et étonné, aucun d’eux n’était au courant de ces faits.
— Comment cela ? demanda son ami.
— Toute la cité a été visitée par les éclaireurs du roi pendant plusieurs jours, mais ils n’ont rien trouvé. Gallad a alors émis une hypothèse qui lui semble à lui-même absurde, mais je me tourne de ce côté.
— Une hypothèse ?
— Il est possible qu’elle ait trouvé refuge parmi les licornes. C’est là où je suis allé hier, mais leur troupeau a déserté la clairière, elles ont dû se reculer vers les montagnes. Il me faudra plusieurs jours pour les atteindre.
— Et vous comptiez y aller ! Mais c’est impossible !
— C’est la seule piste que j’ai et je dois la tenter. Mais rassurez-vous, je ne compte pas partir tout de suite.
— Vous ne pouvez tout de même partir seul, en tant qu’homme elles vous rejetteront avant que vous ayez eu le temps de prononcer une parole, lui dit son ami.
— Que puis-je faire alors ?
— Je vous y accompagnerais. Elles apprécient notre peuple, elles m’écouteront.
— Mais tu ne peux me quitter ! dit sa femme.
— Quelques jours seulement, notre fils sera là pour veiller sur toi. Et je le fais parce qu’il s’agit d’une cause importante. Cet enfant doit être triste sans sa sœur et Frédéric à un noble cœur, ces actes sont des actes d’amour. Je ne peux rester insensible à cela.
Elle les regarda un instant sans répondre, abasourdie, mais convaincue.
— Alors je suis de ton avis.
Ainsi, Astaldo embrassa son épouse, plein de remerciements, et ils continuèrent à discuter entre eux durant un moment. Quelque temps plus tard, pris par le froid, Tillius les avait finalement rejoints. Décidant de la sorte qu’il était temps de rentrer, ils se dirent tous au revoir et se quittèrent chaleureusement. Le trajet se passa bien, tous deux étaient détendus, contents de retrouver leur maison. Frédéric ne s’attendait pourtant pas à tomber sur Mélisse, qui les attendait dans le hall du château. Intrigué, le jeune homme s’approcha d’elle.
— Voulez-vous me voir ? demanda-t-il.
— Oui mon seigneur. Vous rappelez-vous la demande que vous m’avez faite hier matin ?
Frédéric acquiesça.
— Eh bien, il se trouve que j’ai organisé les festivités. Lorsque vous me le permettrez, je ferais installer tables et tabourets dans le hall même, en attendant l’installation de l’allée principale, afin d’y accueillir les habitants. Les quelques nourritures qui devront accompagner le repas des invités seront alors en cours de préparation.
Entendant ces paroles, le visage de l’intendant s’éclaira de bonheur, ainsi tout allait comme prévu.
— Ma bonne Mélisse, vous êtes un ange, que deviendrait cette cité sans vous ! s’exclama-t-il.
— Vous me faites trop d’honneur, répliqua-t-elle.
— Je ne pense pas que ce soit malgré tout assez. Dès maintenant, commencez à installer les tables et envoyez des invitations à travers toute la cité, que ce soir même tout le monde soit en liesse. Chacun apportera sa nourriture et chacun s’installera comme bon lui semblera. Que les cœurs se réjouissent.
L’écureuil l’avait écouté, les yeux écarquillés devant la réaction de Frédéric et le voyant ainsi la joie la prit aussi.
— Que d’espoir dans vos paroles ! Je suis de tout cœur avec vous. Je vais dès maintenant faire ce que vous m’avez demandé.
— Tillius, va aider Mélisse. Je monte de ce pas donner des ordres de préparatifs.
Le faune le salua de la tête, tel un petit soldat obéissant, et il suivit Mélisse, prêt à envoyer les invitations. Frédéric, quant à lui, monta à la salle du festin et demanda sans attendre que toutes les tables et toutes les chaises disponibles fussent descendues dans le hall. On devait commencer à installer. À cette annonce, tous l’avaient regardé, scandalisés, mais heureusement, déjà prévenus de ce fait par l’écureuil et revigorés par ses paroles de joie, tous ses domestiques s’étaient mis au travail. Ainsi, en quelques minutes, le mouvement avait été enclenché, permettant l’alignement progressif des chaises et des tables de manières ordonnées dans le hall. Quand il n’y eut plus de place, les doubles portes du château furent grandes ouvertes au froid d’hiver, pour que les tables puissent continuer à s’étaler sur l’allée principale. C’est à cet instant que Mélisse et Tillius réapparurent, après avoir fait passer le message du dîner dans toute la cité.
— Mon seigneur, jamais une idée n’a été aussi bonne. Toutes les créatures que nous avons rencontrées n’ont pu s’empêcher de s’extasier à cette annonce. Aussi la grande majorité d’entre eux ont répondu présents, clama l’écureuil.
Frédéric sentit son cœur bondir d’excitation à la nouvelle et il ne put s’empêcher de se baisser pour aller embrasser les deux joues de l’écureuil. Surprise, elle resta sans bouger, ne sachant quoi faire en retour.
— Je suis vraiment heureux que cela fonctionne. J’aimerais dans ce cas que nos cuisiniers s’activent à nous préparer de succulentes pâtisseries sucrées, afin de finir la soirée.
— Très bien, je vais de ce pas, donner de nouveaux ordres. Je m’assurerais moi-même du bon déroulement de ces œuvres, répondit l’écureuil et elle disparut entre les pattes des créatures qui installaient les tables, sans attendre davantage, laissant seul Tillius en présence du jeune homme.
Frédéric se retourna vers lui, les yeux pleins de malice.
— Mon idée te plaît-elle ? demanda-t-il.
— Très, ce sera amusant, dit-il en grimpant dans les bras de Frédéric.
— Oui, je l’espère.
Ce n’est qu’en fin d’après-midi, que tout fini d’être installé, et impatient, Frédéric, Tillius, Mélisse et tous les résidents du château n’avaient plus qu’à attendre que les premiers invités arrivent, postés près des grandes portes. Tout était calme en ce moment. Enfin, en apparence. L’intendant avait le souffle court, il espérait ardemment que les créatures de la cité aient finalement pas dédaigné l’invitation.
— À quelle heure avez-vous donné rendez-vous ? demanda-t-il à Mélisse.
— Pour huit heures, monseigneur, ils ne seront là que dans vingt minutes. Il faut être patient.
Frédéric souffla profondément, angoissé que personne ne vienne, ou bien que tout se passe mal. Il alla s’asseoir à l’entrée du hall et il se mit à regarder aux alentours. Derrière lui, les domestiques remontèrent, en vingt minutes, ils avaient suffisamment de quoi faire. Mélisse et Tillius étaient restés avec lui, silencieux, avec pour seule occupation celle d’observer les tourbillons de feuilles mortes que le vent froid leur amenait de l’extérieur. Doucement, elles glissaient sur le sol et virevoltaient en un balai plein de grâce autour de leurs pieds. Hypnotiques, elles formaient de larges cercles ou des spirales gracieuses, parfois dérangés d’un ou deux petits oiseux à la recherche de miettes éparses. Elles craquaient et se froissaient au moindre contact avec une autre où les dalles du hall ressortaient ou revenaient selon les caprices du vent. C’était étrange et émotif que de les voir, si seulement Frédéric avait pu s’y attarder, au lieu d’être plongé dans de sombres réflexions ! La sœur de Tillius prenait toute la place de son esprit. Il avait hâte de savoir enfin si oui ou non elle était en vie et s’il réussirait à la ramener, avec l’aide d’Astaldo. Tous ces espoirs de revoir Tillius heureux ne le quittaient plus. Il savait que cela le hanterait sûrement jusqu’à ce qu’il parte enfin tenter sa chance.
— Plus que cinq minutes, lui dit alors Mélisse, le sortant de sa torpeur.
Il releva subitement la tête, en alerte et avant que ces minutes ne soient passées, des voix et le bruit d’un mouvement immense s’entendit. Soudain anxieux, il se redressa, puis doucement, des centaines de créatures sortirent des rues, descendirent des arbres pour s’avancer dans l’allée principale. Elles marchaient toutes vers lui, comme si toute la cité s’était réveillée en même temps, seulement tous les visages qu’il pouvait voir étaient tristes et fermés. Même les enfants qu’il voyait ne riaient ni ne couraient comme à l’accoutumer, mais restaient accrochés aux mains de leurs mères. Alors qu’il regardait cette foule murmurante semblable à une armée de mourant, le cœur de Frédéric chavira. Comment n’avait-il pu voir le désastre plus avant ? Sa mine pensive et étonnée était devenue grave, il n’arrivait pas à croire en tout ce qu’il voyait. Bientôt, le peuple réuni s’arrêta devant lui, l’ensemble de leurs regards fixés sur leur intendant. Tant de malheur était si impensable que Frédéric en était bouleversé. Il devait faire quelque chose. C’est ainsi qu’il trouva une chaise et y grimpa. Il parcourra du regard l’assemblée silencieuse et immobile. Elle attendait qu’il prenne la parole. Rassemblant le courage qui lui restait, il parla enfin, décidé à ranimer les âmes éteintes qui se trouvaient devant lui.
— Peuple des Rêves Éveillés, clama-t-il. En ses sombres jours, je vous invite tous à venir partager pour quelques heures, bonne humeur et convivialité, car il est dit que triste, il est mieux pour tous d’être accompagné que d’être seul. Cher peuple des légendes, bien que vos cœurs soient lourds et je le sais, le mien l’est également, du départ de ceux que nous aimons, je vous invite ici à reprendre espoir sur la suite de ces événements. Vous devez sûrement vous dire en cet instant, mais comment ferons-nous, alors qu’une mort certaine attend les nôtres ? Mais je vous le dis, moi, intendant de ce royaume et connaissant les plans du roi pour la victoire, que cette mort qui vous semble si proche ne l’est finalement pas.
Il s’arrêta pour observer la réaction de chacun. La tristesse avait fait place à une attention craintive. Personne ne savait que penser de ces paroles. Ainsi, voyant que son entreprise n’était pas vaine, il reprit.
— Oui. Car il est vrai que le plan pensé avec brio par notre souverain a été conçu pour conserver la vie des nôtres. Alors, je vous en prie, ne perdez pas tout courage, réjouissez-vous plutôt de tant d’audace faite pour conserver notre victoire et en cela je suis sûr qu’ils réussiront.
— Ils réussiront, oui, cria alors joyeusement un des soldats qui se trouvait entouré des siens, non loin de Frédéric.
— Ils réussiront, vive notre roi, vive Gallad, hurla alors toute la cité en un élan d’espoir.
Tous se retournèrent les uns vers les autres, engendrant soudain des conversations animées qui fusaient de toutes parts. Frédéric était devenu heureux. Il avait réussi. Cependant, il demanda de nouveau le silence.
— Ainsi mes chers amis, je vous invite à prendre place en un festin en plein air. On vous disant tout simplement, attendez-vous à une petite surprise, et bon appétit.
À cette annonce, des paroles de gaieté s’élevèrent de nouveau, puis toutes les créatures commencèrent à s’installer tout le long de la rangée de tables. Frédéric descendit de la chaise, retrouvant Tillius et Mélisse. L’écureuil lui prit alors derechef le bras pour qu’il l’écoute. Ce retournant vers elle, il vit qu’elle pleurait.
— Mais que vous arrive-t-il ? s’inquiéta Frédéric.
— Comment pourrais-je un jour, chanter convenablement vos louanges, vous êtes si bon pour nous tous ! Vous êtes parvenu, et cela en maître à refaire vivre une cité tout entière. Je ne l’aurais jamais espérée, dit-elle en essuyant ses larmes.
— Vous êtes trop bonne pour moi ! dit alors Frédéric.
— Votre sœur serait si fière de vous, finit-elle par dire.
À l’énonciation de sa sœur, Frédéric chancela, et contre toute attente, sanglota. Serait-elle donc fière de lui après tant d’années ? Comment le serait-il, elle lui manquait tellement. La cohue alentour se transforma en bourdonnement à ses oreilles tandis qu’il fermait les yeux, empli d’un chagrin sans nom, de ne pas savoir s’il la reverrait un jour. Enfermé dans son monde, il n’entendait plus, quand Tillius le secoua et il revint à lui. Il essuya rapidement ses larmes, puis il se pencha vers le petit faune.
— Qu’y a-t-il ? lui demanda-t-il.
— Astaldo est là-bas, répondit l’enfant.
Levant les yeux, il le vit en effet, qui faisait de grands gestes pour qu’il vienne s’asseoir auprès d’eux. Sans plus se faire attendre, tous deux s’étaient avancés vers l’elfe. Celui-ci souriait vivement et prit le jeune homme dans ses bras dès qu’il fut près de lui.
— Tu as vraiment été formidable. À vrai dire, quand Mélisse est venue nous dire que tu comptais rendre la joie à tout le monde, ça m’a laissé perplexe, dit-il en le relâchant.
— Apparemment tout le monde a été surpris. Mais où est notre future maman ?
— Elle n’a pas pu venir et même en le suppliant, mon fils n’a pas voulu m’accompagner protestant de rester tenir compagnie à sa mère. Et même alors que je voulais lui présenter l’intendant !
— Cela ne fait rien, peut-être une prochaine fois, mais je commence à douter de l’existence de ton fils, à moins qu’il ne me fuie ! plaisanta Frédéric.
L’elfe se mit à rire.
— Réel et bien en vie, je te l’assure. Mais j’en oublie notre jeune Tillius, comment vas-tu mon garçon ?
— Très bien, répondit-il tout content.
— Monseigneur, appela-t-on soudain.
Frédéric se retourna à cet appel, pour voir un faune accourir vers lui.
— Même en temps de festivités je suis surveillé, dit en ce moment Frédéric à Astaldo avec un clin d’œil avant que le faune ne les ait rejoints.
— Qu’y a-t-il ?
— Monseigneur, une place d’honneur vous a été réservée près des soldats de la cité. Acceptez-vous de vous joindre à nous ?
Surpris, Frédéric regarda tour à tour l’elfe et le faune, sans savoir que répondre. Il pensait manger tranquillement avec son ami. Seulement il ne devait pas oublier son devoir.
— Heu… Oui, bien sûr. Mais seulement si Astaldo peut se joindre à nous. Il est lui-même soldat, en permission. Il semble qu’il soit seul.
— Tout le monde est le bienvenu, même l’enfant, dit alors le faune et ils le suivirent jusque-là où un grand nombre de soldats était rassemblé.
Lorsque Frédéric était apparu, tous s’étaient levés, puis inclinés devant lui en signe d’hommage. N’ayant pas l’habitude de tant de civilité à son égard, il se retrouvait perdu.
— Asseyez-vous, je vous prie. Je n’ai absolument pas besoin de tant de cérémonie. Faites comme si j’étais l’un des vôtres, fit Frédéric.
— Vos paroles sont honorables, nous serons heureux de vous compter parmi les nôtres. Astaldo a bien de la chance de vous avoir comme ami, lui dit un des elfes habillé de mailles.
— Oui, il nous parle de vous comme étant un homme de cœur, nous sommes bien heureux de vous compter parmi nous mon seigneur, dit un autre.
— Vous aurait-il vraiment parlé de moi ? Je n’en savais rien. Je vous avouerai que je n’ai pas l’habitude de tout ça.
Malgré son sourire, Frédéric redevenait triste. Les souvenirs de Carnak et du fouet lui revenaient en mémoire. Laissant les créatures discuter entre elles, il devait à tout prix, tenter de chasser ce fléau de son esprit. Les flammes, les cris, la douleur, les haches des trolls, l’horrible gueule béante du maître des lieux. Chaque fait était ancré profondément en lui. Il arrivait encore à les sentir dans sa chair à vif. La lutte était difficile et sans qu’il ne puisse s’en rendre compte, il chancela sous l’effort, manquant de tomber. Astaldo le rattrapa de justesse, inquiet pour lui. Ce n’est qu’une fois assis sur une chaise qu’il avait repris ses esprits. Autour de lui, les soldats s’étaient tus pour le regarder d’un air accablé.
— Mon ami ! Est-ce que ça va ?
— Frédéric, gémit Tillius.
Le jeune homme se passa une main devant les yeux, il se sentait las.
— Oui, excusez-moi, j’ai eu un vertige, ce n’est rien, répondit Frédéric en souriant et le petit faune sauta sur ces genoux.
— Tu es devenu blanc ! Tu suppliais dans ce qui semblait être la douleur, continua Astaldo, le visage défait.
— Je suppliais ! s’étonna-t-il.
L’elfe hocha la tête pour toute réponse. Frédéric se retrouvait mal à l’aise, il était désolé. Il aurait préféré que rien n’arrive, surtout pas dans un tel moment. Cependant, il devait maintenant faire bonne figure, tout le monde devait s’amuser, comme si rien ne s’était passé.
— Peu importe, mangeons, je meurs de faim, dit Frédéric et convaincu que la crise était passée chacun reprit sa discussion là où il l’avait laissé.
Ainsi, tous sortirent ce qu’ils avaient apporté. La vraie liesse pouvait commencer, tandis que chacun partageait avec son voisin. Se connaissant ou non, leur convivialité n’avait pas de bornes, enchantant Frédéric qui se laissait offrir volontiers bon nombre de nourriture. Les moues attristées avaient disparu, les yeux pétillaient de nouveaux, les rires fusaient tout le long des tables, il n’aurait pu rêver meilleur résultat. Aussi, tendant l’oreille à ce que disait chacun d’entre eux, il se rendait compte qu’ils parlaient de la fin de la guerre, de la victoire, et qu’ils prévoyaient bon nombre de projets dès la fin des hostilités. Frédéric était heureux, de nouveau, rempli d’espoir. Il se tourna vers Astaldo.
— La tâche que je m’étais fixée est accomplie, dit-il alors. Le peuple est de nouveau joyeux pour un temps et même si la guerre les rattrapera je ne les aurais pas laissés sombrer.
— C’est ce que le peuple attendait depuis longtemps, ils vous attendaient. Vous, jeune âme, avec de nouvelles vigueurs et de nouvelles idées.
— Ils avaient le roi avant moi, il avait plus d’expérience que moi.
— Vous ne connaissez pas tout de lui et tant qu’il ne vous aura rien dit je ne vous dirais rien davantage. Mais même s’il est bon et sage, il se fait vieux et les temps changent, il a besoin de repos. Il est parti, mais il aurait dû rester, la guerre n’est plus de son ressort. Ça nous le savons tous et notre tristesse va en partie de son côté, car nous le savons faible malgré les prouesses qu’il a faites dans le passé. Nous craignons sa chute sur le champ de bataille, bien plus que celle des nôtres qui nous sont aussi chers, croyez-moi.
— Il ne mourra pas. Pas maintenant, dit soudainement Frédéric sous le désespoir de ces paroles.
— Nous l’espérons tous, répondit simplement l’elfe.
— Mon seigneur ? Est-ce vrai que nous ne pouvons avoir de nouvelle du roi ? demanda un des soldats.
Frédéric releva rapidement la tête, se rappelant qu’ils n’étaient pas seuls.
— De notre côté, il est vrai que nous ne pouvons rien faire, seul le roi s’il le veut nous enverra un messager. Mais cela, je l’ai déjà dit à l’un d’entre vous. N’aurait-il pas fait suivre mes paroles ?
— Si fait, mon seigneur, mais nous voulions confirmation, car sans nouvelle il nous sera dur de tenir les défenses.
— Je comprends. Moi-même aimerais connaître ce qui se passe, mais nous sommes obligés d’attendre, dit le jeune homme.
— Vous semblez bien triste monseigneur, alors que vous avez vous-même réussi à enchanter tout le monde ! s’étonna l’un d’eux.
— Oui, excusez-moi, je pense à des choses de mon passé et à mes tristesses d’aujourd’hui. Comme vous, je n’ai malheureusement pas de projet d’avenir autre que de servir le peuple que l’on m’a confié durant la guerre.
Les visages de ceux qui l’entouraient s’assombrirent, car tous savaient d’où il venait en réalité. Et leur disant ceci, il leur montrait une nouvelle fois sa noblesse de cœur, qu’ils s’étaient mis à adorer en si peu de temps, même s’ils ne l’avaient jamais vu auparavant. Ils étaient tous soldats de la cité et tous n’avaient jamais connu d’autre malheur que la guerre. Cet homme était pour eux un soudain ange revenu sur terre après un long passage en enfer. Alors voyant que Frédéric ne les écoutait plus, ils se mirent à délibérer entre eux. Seulement, cela faisait plus d’une heure que tout avait commencé, les nourritures avaient été joyeusement avalées, les tables se vidaient, il était temps pour Mélisse de revenir vers l’intendant.
— Monseigneur, les pâtisseries, dit-elle.
Soudainement éveillé de ses rêveries, ranimé par la joie, Frédéric s’excusa auprès de ses convives et se leva de table. D’un bon rapide, il monta de nouveau en hauteur, surplombant l’assemblée. Lorsque tous le virent faire, levant les mains en signe d’attention, les échos de voix moururent et les oreilles devinrent attentives. Ainsi, Frédéric parla.
— Je me permets de vous interrompre un moment, pour vous rappeler qu’au début du dîner je vous promettais une surprise pour clore la soirée. Mais bien évidemment, vous pourrez vous en aller comme bon vous semblera.
L’assemblée se mit à rire, appréciant les quelques plaisanteries de leur intendant. Mais comme il n’avait pas fini, ils se turent tous très vite de nouveau.
— Cette surprise donc, je crois qu’il est temps que vous la receviez, en espérant qu’elle vous fera plaisir. Tous les cuisiniers de la cité se sont donné la peine, sous ma demande, de vous préparer à tous, de délicieuses pâtisseries de choix destinées à vos papilles. Et dès cet instant, ils passeront entre vous pour vous les faire goûter.
Finissant de parler, ne s’attendant pas le moins du monde à ce genre d’annonce, tout le peuple de nouveau l’appétit en fête, acclamèrent leur intendant avec force. Au même moment, passant les portes, une trentaine de cuisiniers apparurent, apportant avec eux les pâtisseries promises. Frédéric les regarda descendre les marches menant aux cuisines, un sourire éclatant sur ses lèvres. Il était prêt à descendre de la table, quand un des soldats elfe se mit à parler à son encontre. Se retournant, l’intendant remarqua qu’il s’était mis à sa hauteur, engendrant un silence attentif.
— Monseigneur et intendant, longtemps entre nous avons-nous débattu à votre sujet. Homme loin d’être ordinaire, votre bonté de cœur vous couvre d’éloges et votre instance n’a pas son pareil. Votre âme et votre amour pour le peuple sont si semblables, à nous autres elfes, que nous vous offrons et, tous m’approuveront, l’honneur de bien vouloir vous considérer comme l’un des nôtres. Ainsi à cela, désormais mon ami, nous vous avons choisi un nom qui désignera la noblesse de votre cœur. Permettez d’accueillir ce nom qui sera le vôtre désormais, très aimé Arhon. Soyez le bienvenu en notre peuple.
Le pouls de Frédéric s’était accéléré, l’émotion l’avait envahi tout entier, faisant trembler ses mains sans qu’il ne s’en aperçoive. Une place parmi eux ! Jamais il n’aurait cru cela possible. Il était tellement heureux et reconnaissant, qu’il n’arrivait pas à trouver les mots, sa gorge, nouée par l’étonnement provoqué. Près de lui, les yeux de Mélisse brillaient tandis qu’elle le regardait, emplit de joie pour lui, en l’attente silencieuse d’une réponse de sa part, comme tout le peuple avec elle. Enfin, se rendant compte du bourdonnement environnant, le souffle court, il parla.
— Je ne sais comment vous prouver ma gratitude, dit-il d’une voix tremblante.
— Acceptez seulement le don que nous vous faisons. Cela seul suffira à nous rendre très heureux.
— Dans ce cas, j’accepte ce nom et la place que vous m’offrez auprès de vous, répondit-il sans hésitation et toute la salle explosa en grand applaudissement pour Frédéric qui maintenant s’appelait pour eux Arhon.
C’était incroyable de se retrouver là, perché en haut d’une table, approuvé, aimé, sous les feux des projecteurs, avec cette sensation d’avoir enfin réussi à atteindre le bout du tunnel. De sentir que ses rêves étaient à porter de ses mains et qu’il était soutenu et entouré d’amis sincères, chose qu’il n’aurait jamais pu se représenter quelque temps auparavant. Ébahi, il voyait tous ces gens tournés vers lui, ils croyaient en lui. Il n’était plus le pion, le rien, l’objet remplaçable de son ancienne vie. Il était aujourd’hui l’homme sur qui beaucoup de choses reposaient, l’épaule prête à soutenir toutes les peines, l’oreille prête à écouter toutes les idées ou recommandations. Il avait trouvé sa place. Il n’avait plus peur. Il pouvait faire en sorte que tout change. L’elfe qui l’avait rejoint pour lui annoncer leur décision l’avait ensuite invité à descendre de leur perchoir. Ainsi, dans l’hilarité générale, il retrouva Astaldo, en proie à la joie la plus éclatante.
— Je me sens tout retourné, dit alors le jeune homme à son ami.
— Je te comprends. Rares sont ceux qui ont eu ta chance. Je suis heureux de te compter parmi mes frères désormais.
Il lui donna une claque amicale dans le dos, puis tous deux se rassirent, prêts à déguster le dessert. Peu à peu, les pâtisseries reprenant leur place dans tous les esprits, les applaudissements se tarirent, permettant à chacun de se réinstaller confortablement en attendant que les cuisiniers passent à proximité. C’est ainsi que le dîner continua, alors que de temps en temps, des créatures approchaient de l’intendant pour le féliciter de son nouveau nom qui lui donnait une place d’honneur dans leur société. De toutes parts, on entendait des chants et des rires, des discussions et des plaisanteries, pas un convive ne s’ennuyait ou ne repensait à de mauvaises choses. Ils étaient libérés de la guerre ce soir-là. Même Frédéric riait de bon gré avec les elfes. Le petit faune aussi galopait joyeusement d’un bout à l’autre des tables alignées en compagnie d’autres enfants et le visage enjoué de Mélisse faisait plaisir à voir tandis qu’elle parcourait les convives pour leur demander s’ils voulaient autre chose. Puis, petit à petit, les plats terminés avaient été débarrassés, les places avaient été désertées. La nuit était tombée rapidement. Étaient parties en premier les familles ayant de jeunes enfants puis le reste de l’assemblée avait progressivement suivi jusqu’à ce que vers minuit il ne reste presque plus personne, laissant derrière eux le souvenir de ces heures de bonheur. Les vestiges de la soirée éparpillés sur l’allée et dans le hall.
— Bonne nuit, mon ami et frère, nous nous reverrons bientôt j’en suis sûr, dit Astaldo a Frédéric en lui serrant vigoureusement la main.
Il était un des derniers à partir, les lieux plongés dans la lueur des boules magiques qui entouraient le château.
— Au revoir, je l’espère également, répondit le jeune homme et ils se séparèrent.
Bientôt il ne resta plus que Tillius, Mélisse, les domestiques en train de refermer les portes du château et lui. Il avait été décidé que les tables seraient rangées dès le lendemain.
— C’était tellement émouvant, dit soudain l’écureuil près d’eux.
Touché par cette fragilité, Frédéric lui sourit, mais ne put lui répondre, car Tillius lui tirait le bras.
— Comment dois-je t’appeler maintenant ? demanda l’enfant.
— Appelle-moi comme tu l’entends. Mais allons nous coucher, il se fait tard. Bonne nuit ma bonne Mélisse, dit Frédéric.
— Bonne nuit à vous, dit-elle, et ils regagnèrent tous deux leur appartement l’esprit encore à la fête.
Levé de bonne heure, toujours égaillé de la veille, l’intendant s’était joint aux serviteurs du château afin de ranger les tables et les chaises. Après tout, tout cela était de son fait et il aimait à se rendre utile. Les mains en actions, il avait généralement l’esprit tranquille. Rien de tel pour démarrer une nouvelle journée pleine de promesses. Une fois, l’allée principale nettoyée, Arhon, car c’est ainsi qu’il s’appelait désormais, avait retrouvé Astaldo chez lui, accompagné comme à son habitude de Tillius qui était allé derechef jouer avec la jeune mère. Ainsi seuls, Astaldo et Arhon s’étaient enfermés dans le bureau de la maison afin de pouvoir parler plus librement. Ils leur restaient un projet à mener à bien. Leur voyage en terre des licornes et la manière dont ils aborderaient les créatures devaient être parfaitement planifiés. Ils avaient par ailleurs déjà estimé le voyage à quatre jours, allée et retour. Ils s’étaient également donné deux jours supplémentaires au cas où il serait difficile d’approcher le troupeau. Et justement, la question principale était de savoir comment ils allaient s’y prendre. Astaldo n’avait jamais pénétré en terre magique des créatures, mais il savait que toute approche leur serait interdite s’ils prenaient des armes avec eux. Il savait aussi que leurs peuples respectifs se côtoyaient dans le passé, elles ne le repousseraient donc pas, même si la méfiance risquait d’être grande. Ainsi ils avaient une chance d’être entendus de ce côté, mais la présence de Arhon, un humain, allait être plus compliquée à accepter pour elles. Ils devaient donc savoir à l’avance comment Astaldo, car seul lui parlerait au début, présenterait la situation.
— Avant que la guerre soit ouverte, les licornes étaient moins hostiles. Cornegrise a réussi il y a quelque temps à entrer sur leur terre, même portant des armes. Mais aujourd’hui elles ne feront confiance à personne, je pense. Leur espèce disparaît. Elles ont peur de ne pas survivre à ces hostilités.
— Lorsqu’elles nous verront, elles auront certainement peur de notre présence. Je me demande si elles accepteront seulement de nous parler.
— Alors nous attendrons, pour leur montrer notre bon vouloir. Et si finalement elles acceptent, je les rassurerai à ton sujet. Je leur parlerais de tes prouesses et de la confiance du roi à ton égard. Elles estiment le roi, elles ne resteront pas insensibles à cela.
— J’espère que ça marchera, c’est mon dernier espoir en ce qui concerne la sœur de Tillius.
— Ne t’en fais pas, nous la retrouverons.
— Quand estimes-tu être prêt ?
— Demain matin, je serai prêt. Nous n’avons besoin que de chaudes couvertures, du combustible et des vivres pour une semaine, en pensant à l’enfant si elle s’y trouve.
— Alors je te rejoindrais à 7 heures demain matin chez toi et nous partirons, dit résolument Arhon.
Astaldo hocha la tête, d’accord sur cette proposition, puis rangeant les cartes qu’ils avaient utilisées et qu’ils emporteraient avec eux, ils quittèrent le bureau pour aller rejoindre sa femme, ainsi que Tillius, dans le salon. Ils les trouvèrent en train de dessiner, riant de leur dessin respectif. Les entendant ainsi approcher, l’elfe et l’enfant avaient relevé la tête. Remarquant à l’instant que leur visage était grave, la femme d’Astaldo se releva, le regard interrogateur. Sentant également que quelque chose n’allait pas, le petit faune accourut dans les bras d’Arhon. L’elfe et l’homme s’assirent en silence, percevant la tension présente dans l’air.
— Tillius, dit alors Arhon. Je vais partir durant quelques jours. Une mission importante me pousse à aller voyager en terre des licornes. Pendant ce temps, j’aimerais que tu restes ici, et Niphredil restera aux écuries du château, on s’occupera bien d’elle. Astaldo m’accompagnera durant tout le voyage, tu n’auras aucun souci à te faire.
— Pourquoi tu pars ? demanda tristement le petit faune.
— Je ne peux pas te le dire pour l’instant. Mais si ma mission réussit, tu en seras au courant dès notre arrivée, c’est d’accord ?
Tillius hocha la tête en signe d’approbation avant de se blottir contre lui. Puis Arhon reprit la parole :
— Nous partirons tôt demain matin, je prendrai l’après-midi pour me préparer. Tu m’aideras si tu veux, et dans six jours je serais de retour.
— Je m’occuperais bien de lui, dit la femme elfe. Et je promets de rendre visite à Niphredil, souvent, pour ne pas qu’elle se sente seule.
— Merci. Je l’avertirais également de mes intentions.
— Mais qui gouvernera en votre absence ?
— Je n’y ai pas réfléchi, tous les chefs de guerre étant parti, je pense que Mélisse fera l’affaire. Je convoquerai tout de même les soldats de la cité pour leur apprendre mon absence. Je pense pouvoir leur faire confiance.
— C’est une bonne idée. Je serai là pour te soutenir, lui dit Astaldo.
— Je te remercie mon ami, je te préviendrai lorsque le conseil se lèvera.
— Mais je vous en prie, restez donc pour dîner, dit alors l’épouse d’Astaldo. Nous serons heureux de vous avoir près de nous, puis midi est proche.
Content de sa proposition, Astaldo acquiesça. Commandant sans attendre à sa femme de ne pas bouger, il se mit rapidement au fourneau.
— Ce ne sera pas de la grande cuisine, mais ce sera mieux que rien.
— Un simple sandwich me suffira, répondit en riant le jeune homme.
Astaldo lui sourit et continua sa tâche. Vingt minutes plus tard, ils s’installaient tous à table, parlant et mangeant le gibier et la salade qu’Astaldo avait faite. Ainsi, le repas avait été joyeux, puis une heure plus tard, Arhon et Tillius les avaient remerciés et quittés, reprenant le chemin du château. Ils étaient directement montés dans la salle du trône. Une fois arrivée sur place, Mélisse avait été appelée.
— Ma chère, demain matin je m’en irais pour quelques jours, il me faut des vivres pour une semaine. J’aimerais que vous vous en chargiez.
L’écureuil était devenu blême à cette annonce. Elle ne pouvait pas s’y attendre.
— Mais… mais… monseigneur. Et qui s’occupera du royaume sans plus personne pour le gouverner ?
— Justement. Avant que vous vous acquittiez de votre tâche, pouvez-vous mander les soldats les plus hauts gradés, qui protègent la cité, pour un conseil d’importance. Dans trente minutes, j’aimerais que tous fussent rassemblés ici. Ce n’est pas tout, je voudrais également que vous restiez avec nous.
— Moi, monseigneur !
— J’ai une haute charge à vous attribuer et tous doivent en être prévenus.
— Très bien, je serai présente.
— Est-ce possible de confier Tillius aux servantes pendant le conseil ?
— Oui, absolument.
— Dans ce cas allez. J’attendrais ici.
Mélisse s’inclina et repartit sans avoir compris le moindre sens de tout ceci. Passant les portes, l’écureuil laissait seul Arhon avec Tillius.
— Je ne veux pas que tu partes, dit le petit faune dont la voix alla résonner sur les piliers de pierre de la salle du trône.
— N’aie rien à craindre. Ne t’ai-je pas promis de toujours revenir vers toi à chaque fois que je m’absenterais ?
Tillius hocha tristement la tête.
— Je ne faillirais jamais à ces paroles, je te le jure. Et puis tu verras, tout se passera vite, à peine parti que je serai de nouveau de retour.
— Je l’espère, répondit doucement le petit faune.
Leurs voix se turent ensuite pour laisser le silence les envahir, sans savoir que dire d’autre pour le briser. Quand, ayant une demi-heure devant lui, Arhon entraîna Tillius hors de la salle du trône. Il avait dans l’idée d’aller rendre visite à sa pouliche qu’il n’avait pas vu depuis plusieurs jours. Celle-ci les accueillit d’ailleurs joyeusement, les pressant de venir la rejoindre. Heureux de la voir si contente, Arhon se dépêcha de rentrer dans le box pour lui caresser l’encolure. Comme elle grandissait vite, c’était impressionnant. Dans un mois, elle aurait un an, grande, belle, fine, il la trouvait superbe.
— Tu… tu es pas venu, dit en pensée la pouliche de manière hésitante ne sachant pas encore très bien parler.
— Non, je m’en excuse. Et je ne vais pas rester longtemps. De nouveau je vais devoir m’en aller pour te laisser aux bons soins des écuyers.
— Pourquoi ?
— Pour une mission importante, et il se peut que je m’absente pendant au moins quatre jours, voire plus. Après cela seulement je resterai auprès de vous.
La pouliche colla son museau sur son épaule, ne répondant rien, mais elle comprenait. Il la câlina alors pour la rassurer sur son sort, en lui promettant, comme à Tillius, de revenir très vite. Ils restèrent ensemble pendant un bon quart d’heure, à papoter de tout et de rien, ils ne devaient pas penser à leur future séparation. Enfin, comme il ne restait plus que dix minutes de répit à Arhon avant le conseil, ils dirent leur au revoir à Niphredil. Celle-ci aurait préféré qu’ils restent tous deux, seulement ils ne le pouvaient pas. Elle les regarda donc s’éloigner d’un pas rapide. Bientôt ils étaient de retour dans la salle du trône. Là les y attendait Mélisse, qui, toute triste, revenait de sa mission. Arhon lui confia ainsi Tillius pour qu’il ne participe pas au conseil. Quand elle l’eut ensuite laissé aux servantes, elle revint attendre avec lui, les chefs de troupe. Ils ne tardèrent pas, par la suite, à arriver. Il y avait là deux faunes, deux elfes, un griffon et un centaure. Six personnages à l’allure assurée, au visage marqué par la fatigue et cependant décidé. Suivait de près Astaldo, ravissant Arhon. Rapidement il s’était alors installé auprès de lui. D’un geste rassurant, l’elfe lui avait ensuite étreint l’épaule sans un mot, préférant le laisser observer ses interlocuteurs, incertain. Tous à part Astaldo, ne savaient pas pourquoi ils étaient là. Quand Arhon parla enfin.
— Bonjour à tous, je suis heureux que vous ayez pu venir. Mais vous devez vous demander pourquoi un intendant tel que moi vous convoque après de si belles festivités. Il se trouve que je me suis imposé une tâche qui pourrait paraître impossible, mais à laquelle je m’obstine. Je ne sais si vous avez eu connaissance des recherches effectuées dans la cité pour retrouver une enfant et bien c’est à ce propos que je voudrai vous parler.
— Nous en avions été informés, dit le centaure. Malheureusement les recherches n’ont abouti à rien.
— Seulement après ça le roi a émis une hypothèse, continua Arhon. Il se pourrait que l’enfant ait cherché refuge près des licornes et qu’elle s’y trouve en ce moment. Faisant partie de la cité et manquant à un frère qui la sait encore en vie, je me suis préparé avec l’aide d’Astaldo qui m’accompagnera, à entreprendre la route vers les montagnes de ce pays.
— Mais c’est impossible, en tant qu’intendant vous avez la charge de la cité, une absence de plusieurs jours ne passera pas inaperçu ! s’exclama un elfe.