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« Je suis conscient qu’ils n’auraient jamais dû faire partie de notre histoire. J’ai tout tenté pour l’éviter, mais aujourd’hui nous n’avons plus le choix. Le monde des légendes et celui des hommes doivent de nouveau se rallier si nous voulons survivre. Moi, Gallad, roi de toutes les créatures extraordinaires qui peuplent la terre, je placerais donc mon ultime espoir en eux. Ils sont certes jeunes, mais surtout, ils croient… Pourvu que je ne me trompe pas. »
À PROPOS DE L'AUTRICE
Depuis son enfance,
Fany Healy s’est plongée dans la lecture pour échapper aux difficultés de son quotidien. À l’adolescence, elle a exploré l’écriture comme un moyen d’évasion, donnant vie à des mondes imaginaires. Si la publication de ses œuvres n’était pas envisagée à l’époque, aujourd’hui, son rêve se concrétise.
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Fany Healy
Rêves éveillés
Tome I
Au-delà des frontières
Roman
© Lys Bleu Éditions – Fany Healy
ISBN : 979-10-422-2368-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes proches qui ont su
me pousser dans cette folle aventure.
À mon homme, merci pour ta confiance
et ton soutien inconditionnel.
À ma fille, mon inspiration, qui me fait
me réinventer chaque jour, merci.
Prologue
Enfin, il était parti, loin de toutes ces choses qui l’avaient oppressé dès sa plus tendre enfance. Des professeurs froids et grossiers, des tuteurs sans aucune tendresse, une chambre où il n’était jamais véritablement seul, une grande maison toujours pleine de rires, de cris et d’actions plus ou moins douteuses. Chose qu’il ne savait jamais que lorsqu’il en était directement touché. Il ne faisait pas partie de ces groupes de petits garçons populaires, entourés d’amis qui montraient du doigt en riant et se servaient dans les sacs qui ne leur appartenaient pas. Non, lui s’était retrouvé être isolé de tous par sa timidité, sa simplicité et ses idées d’ailleurs. Il avait été moqué, bousculé, grondé même par les plus grands. Qu’importe, il n’avait jamais perdu pied en ses croyances. Alors même que, de petit garçon devenant adolescent, il avait commencé à travailler dans l’épicerie en bas de la rue. Ses heures de libre, entre l’école et le travail, il les avait passées dans la bibliothèque de sa ville, le nez plongé dans tous les ouvrages qui pouvaient l’intéresser. Tandis que d’autres allaient jouer au ballon ou sortaient entre amis, il restait dans sa chambre pour compter les pièces qu’il avait réussi à mettre de côté pour son projet. Des années durant avait-il ainsi vécu, la tête remplie d’espérance pour qu’aujourd’hui, oui enfin, il puisse dire au revoir à cet orphelinat où il avait grandi. Cet établissement où il ne s’était jamais senti chez lui, où il n’avait pas réussi à lier de véritables attaches. À vrai dire, il ne l’avait pas cherché. Son être tout entier n’avait cessé de faire partie d’un autre monde. De celui auquel plus personne ne croit, où le rêve et la magie sont encore possibles à atteindre du bout des doigts. Ce monde, qui une fois vous habite, vous fait passer pour un fou auprès de toutes les personnes, dites censées, qui vous entourent. État de fait qui aurait très certainement attristé plus d’un jeune homme, mais pas lui. Il était passé outre, il avait fermé ses oreilles aux commentaires désobligeants, il avait refusé de rentrer dans le rang qu’on lui avait promis enfant, prêt à tout tenter pour trouver sa propre voix vers le bonheur. S’il y avait une chose dont il était sûr ainsi, c’était que personne ne le regretterait ni n’essaierait de savoir ce qu’il était devenu. Il était libre.
Il avait dépassé les maisons d’un petit village champêtre il y avait près d’une semaine et il chevauchait désormais au cœur d’une forêt touffue, à l’aspect hostile, où aucune trace de passage n’était visible. Ni humaine, ni animal, ni empreint de mystère. L’environnait un calme absolu, et cela faisait quelque temps qu’il n’avait croisé le chemin d’une biche, d’un sanglier ou même d’un écureuil. Sa présence semblait avoir fait fuir toute vie environnante. Et pourtant, comme une sensation d’être observé ne le quittait pas. Cette forêt était-elle belle et bien maudite, comme de nombreux livres c’étaient plus à le dire. Une portion du monde isolé de tout, que personne n’avait réussi à investir assez longtemps pour l’explorer et la cartographier. Un tas de légendes urbaines en soi dont il n’avait jamais cru, mais qui l’avaient plutôt attiré. Plusieurs fois s’était-il demandé où pouvait bien se cacher l’objet de ses espérances, et où de mieux qu’une forêt inconnue qui faisait fuir le genre humain ? Il n’avait pas peur. Il tenait sa chance. Incessamment regardait-il toujours autour de lui, prêt à tout sans savoir à quoi, avec la nette impression qu’il touchait au but. Les arbres, en apparence tranquilles, semblaient à chaque mètre parcouru se resserrer autour de lui comme s’ils voulaient l’empêcher d’aller plus avant. Ainsi le soleil se trouvait être dissimulé, apportant petit à petit un crépuscule entêtant et la disparition de la douce brise qui l’avait suivi jusqu’à présent. Tel un songe impénétrable, tout semblait s’être stagné, un bourdonnement sourd emplissait maintenant l’air. L’impression donnée ainsi était extraordinaire, il était bien assis sur sa selle, mais se sentait transporté, les membres légers, empli de nouvelles sensations. Il ne s’était jamais senti aussi serein. Plus aucun stress, plus aucune inquiétude, pas un seul questionnement, simplement un bien-être intérieur le tenait. L’envoûtement était total, il s’en rendait compte sans chercher à le fuir. Au contraire, il aurait été bien bête de vouloir de la sorte quitter un endroit qui réussissait à l’éloigner de toute chose, qui lui promettait de se retrouver avec lui-même et seulement avec lui-même. Il respirait librement, la poitrine gonflée de félicité, les battements de son cœur, lents et réguliers, pareil à une douce mélodie, qu’il arrivait étrangement à ressentir au travers de la peau tannée de son torse. Les frissons même de son cheval lui parvenaient de par ses mains posées sur son encolure. La rudesse de ses crins aussi, la douceur de son poil. Ne lui restait plus qu’à se laisser guider doucereusement. Les oreilles de sa monture restaient pointées en avant, elles ne présentaient aucun signe d’agitation, il n’y avait donc rien à craindre dans l’immédiat. Sûr de lui, il s’autorisa à fermer les yeux. Tout était d’une quiétude olympique, pas un son au dehors des pas de son cheval ne se faisait entendre. Pas un bruissement de feuille, pas un cri de bête ou d’oiseau, rien que lui au milieu de cette forêt en latence qui ressemblait à un infini vide, à un espace parallèle qui oscillait entre la réalité et son imaginaire. Lorsque de faible son de voix clair lui parvint. Au début il n’en fit pas grand cas, se disant qu’il inventait très certainement ceci dans sa solitude, comme un désir de compagnie agréable. Cependant, ces voix, au lieu de disparaître pour laisser place à d’autres pensées, semblaient se rapprocher. De murmures inaudibles elles se transformaient en rires cristallins, emplissant tout l’espace environnant. Les yeux toujours clos, il les entendait se déplacer tout autour de lui, encore et encore, et bientôt il se sentit pris d’un tournis incontrôlable. Soudainement effrayé, il rouvrit précipitamment les yeux. Dans le même temps, les rires s’étaient tus et il retrouva la forêt pareille à ce qu’elle était avant qu’il ne la quitte du regard. Pris au dépourvu, il remarqua alors que l’impression de légèreté qui l’avait plongé dans cet état d’égarement s’était dissipée. Il avait retrouvé tous ses esprits ! De la sorte, il tourna la tête en tous sens à la recherche d’une explication à ce qu’il venait de vivre, sans succès. Rien ne se voyait entre les arbres et les fourrés. Et le plus étrange : sa monture semblait n’avoir nullement été dérangée. Quelque chose d’anormal se passait, ça y était, maintenant il en était totalement convaincu. Un sourire apparut sur son visage, il leva la tête à la recherche du soleil et ne le voyant pas il se dit que peu importait la direction dans laquelle il allait, il continuerait tout droit, car en avant de lui, il savait qu’il rencontrerait sous peu les créatures sorties des légendes qu’il était venu chercher. Comme cela, porté d’une nouvelle vigueur, il intima l’ordre à son cheval d’aller plus rapidement, malgré les fougères coupantes, les pierres pointues et les branches basses qui lui fouettaient le visage et qu’il ne prenait plus la peine de repousser de la main. Toute son attention était tournée ailleurs. Peut-être cela arriverait-il derrière ce tronc là-bas, ou peut-être celui-là, au détour d’une courbe, tombé des hauteurs alors. Chaque arbre, chaque arbuste, chaque rocher ou faisceau de lumière était bon à lui faire venir tout un tas d’images, toutes plus folles les unes que les autres. Une excitation vive le tenait, de celles qui vous font sautiller sur place à l’approche du matin de noël ou d’un rendez-vous organisé depuis longtemps, qui vous tient particulièrement à cœur. Ces instants où vous imaginez déjà le déroulement en espérant que rien ne puisse venir entacher votre joie. Et pourtant au fond de vous vous savez que rien n’est jamais écrit à l’avance. Ainsi et malgré toute la concentration dont il était capable, il ne vit ni n’entendit de tout le reste du jour. Déçu plus qu’il ne l’avait cru possible, il avait alors mis pied à terre sans prendre la peine de choisir un endroit confortable, dès l’instant où le peu de lumière qui réussissait encore a filtré, la cime des arbres avait baissée. Par la suite, une brume humide avait pris place, stagnant paresseusement entre les troncs et il s’était activé à monter le feu afin d’éloigner la nuit et les insectes incommodants. Il avait dessellé son cheval, avait installé sa couche et s’était assis devant l’âtre tout en mastiquant de la viande séchée. Le cœur lourd de sa défaite, ce soir, lui semblait bien morne. Aujourd’hui avait-il réellement cru en sa chance, et il l’avait vu s’évanouir chaque heure jusqu’à ce soir. Sans doute était-il bel et bien fou finalement. Ce qu’il croyait faire partie du possible n’était peut-être en effet que des idées d’enfant qu’il devait réussir à oublier. Demain serait-il mieux de rebrousser chemin et de s’établir comme n’importe quel jeune homme de son âge, comme on le lui avait si souvent répété à l’orphelinat ? Et pourtant il ne pouvait faire comme s’il n’avait rien ressenti. Cet enchantement qui l’avait entouré dans la forêt, il ne l’avait pas rêvé. Il en était certain. Un doute affreux l’envahissait. Il avait bien imaginé de nombreuses choses, mais pas celle-ci. Il soupira longuement, les doigts triturant sans cesse le bout de viande qu’il tenait. Il avait été trop loin pour arrêter maintenant. Toute sa vie durant avait-il rejeté les principes de la communauté, ce n’était pas le moment d’agir autrement. Conforté dans cette idée, il réussit à se détendre quelque peu. Il devait se reposer, les jours suivants risquaient d’être difficiles. Il rajouta du combustible à son âtre pour s’assurer la chaleur une partie de la nuit et se résolut enfin à aller se reposer.
— Il est mort, vous pensez ? s’extasiait l’une en gloussant.
— Non, bien sûr, sotte que tu es, regarde, il respire, dit une autre.
— Il ne fait que dormir. Quel paresseux ! Le soleil est levé depuis longtemps, s’amusait une troisième.
— Il ne sent pas la rose, cet homme-là. Allons cueillir quelques fleurs sauvages pour l’en frotter, renchérit la première.
— Et voyez ses habits comme ils sont en mauvais état, celui-là n’est pas un prince, dit une quatrième.
Des éclats de rire fusèrent de toute part.
— Allons allons, ce n’est pas le moment de plaisanter, fit une autre encore. Faisons-lui peur, qu’il s’en aille.
— Attention, il se réveille ! s’exclama une sixième.
Dans tout ce tapage, le jeune orphelin s’était retourné dans sa couverture, bousculant son sac de voyage au passage. Dérangé de la sorte, il grogna et commença à ouvrir les yeux. Avait-il encore imaginé ces voix cristallines, babillardes et taquines qui le suivaient depuis la veille. Ce qui était certain était qu’il n’arrivait pas à s’en débarrasser. Décidément il y avait de quoi perdre la tête. C’est alors en reprenant tous ses esprits qu’il fit un bond sur lui-même, complètement ahuri. Mi-craintif, mi-émerveillé, il retenait son souffle. Il était bien réveillé et elles étaient là, ces petites créatures qu’il avait tant souhaité trouver. Une dizaine d’entre elles volaient à sa hauteur ou s’étaient posées sur des branches, parées de magnifiques ailes de papillons de toutes les couleurs. Du haut de leurs petites tailles, entourées d’un halo lumineux, il les reconnaissait en tant que fées. De nombreuses fois les avait-il vues apparaître dans les livres de compte folklorique. Elles étaient tout ce qu’il y avait de plus extraordinaire, de plus chavirant, et elles le regardaient autant que lui le faisait sans doute, avec un air de curiosité intense. Depuis qu’il avait ouvert les yeux, plus aucune d’elles n’avait dit un mot tandis qu’il restait choqué. Il ne savait s’il pouvait ou non faire un mouvement de peur qu’elles disparaissent soudainement. Il voulait avoir au moins le temps d’imprimer leur image scintillante et infantile pour qu’il puisse à l’occasion en faire un croquis. Dessin qu’il ne pourrait, par la suite, plus se passer de regarder. Preuve indéfectible qu’il était tout ce qu’il y avait de plus sain d’esprit, mais et surtout que tout, absolument tout était possible. Il irradiait de joie. Il n’avait pas enduré la souffrance pour rien, elles étaient là devant ses yeux, réelles, belles. Si ce moment pouvait durer indéfiniment. Quand, petit à petit, les fées s’approchèrent davantage de lui. Elles l’observaient sous toutes les coutures, pour s’exclamer parfois avec de grands gestes. Elles semblaient, elles non plus, ne pas en avoir vu d’autres comme lui, du moins d’aussi près. Il les laissa donc faire en les suivant doucement du regard.
— Je savais qu’il n’était pas mort.
— Bien sûr qu’il ne l’est pas. Qui es-tu ? demanda alors l’une d’elles.
— Oui, dis-nous qui tu es ! Quel est ton nom ? s’empressa de dire une autre.
Surpris autant qu’amusé, il passait de l’une à l’autre au milieu des rires et des pirouettes. Elles ne semblaient pas du tout effrayées, plutôt dubitatives.
— Eh bien… commença-t-il.
— Mais enfin si ce n’est pas un elfe ce ne peut être qu’un humain !
Toutes s’exclamèrent. Quant au jeune homme, il s’était relevé pour être plus à son aise.
— Un humain ! Est-il vrai ?
— Je dois vous dire que oui, finit-il par réussir à dire.
— Pourquoi es-tu là ? Comment cela se fait-il que tu puisses nous voir si tu n’es pas un elfe !
Les fées avaient cessé de rire et l’entouraient maintenant avec gravité.
— Je… Je ne sais pas, je vous vois, c’est tout. Je vous cherchais en réalité. Cela faisait longtemps que je rêvais de vous rencontrer.
— Hoooo ! firent-elles toutes.
— Cela est incroyable, dit une d’elles.
— D’une rareté à faire frémir !
— Nous ne pouvons laisser passer cela. S’il repart dans son monde, il nous dénoncera.
— Mais si nous l’emmenons, qu’adviendra-t-il de nous, puis de lui ?
— Je ne souhaite pas retourner d’où je viens. S’il vous plaît, emmenez-moi avec vous. Je promets de ne pas vous faire de tort, jamais.
À ces mots, elles s’étaient toutes regroupées pour chuchoter entre elles. Elles essayaient sans doute de se mettre d’accord sur ce qu’il convenait de faire. Au bout d’une longue et interminable minute, elles s’étaient de nouveau tournées vers lui.
— Vous ne nous avez toujours pas donné votre nom, dit soudain une fée aux ailes jaunes.
— Le nom que je porte fait partie de mon passé. Je vous laisse le soin de me rebaptiser avec celui qui sera mon avenir.
Cette réponse était loin d’être celle à laquelle elles s’attendaient et pourtant celle-ci avait fini par piquer leur curiosité. Cet humain-là n’avait rien de commun. Il ne fuyait pas, les voyait sérieusement, restait calme et ne présentait aucun signe de méchanceté. Il paraissait au contraire d’une douceur au-delà de la moyenne et par-dessus tout, il semblait sincère. Le cours de leur histoire était-il sur le point de changer ?
— Votre présence ici dérange la normalité. Jamais encore cela n’était arrivé.
— Non, jamais c’est certain, coupa une autre.
— Cela présage une nouvelle ère pour tout le peuple des légendes. Nous ne pouvons pas vous laisser partir, reprit la première.
— Je n’y comptais pas, sauf si je n’avais pas eu le choix, dit-il pour les rassurer.
Pourtant, c’était comme si aucune d’elles ne l’avait entendue.
— C’est pourquoi nous allons vous mener auprès du roi des elfes pour qu’il décide de votre sort.
Son cœur fit un nouveau bon dans sa poitrine. Des elfes, il allait vraiment rencontrer des elfes, il n’en revenait tout bonnement pas. L’émotion l’envahissait, lui donnait des tremblements dans tout le corps.
— Préparez-vous maintenant, nous vous y mènerons ensuite sous bonne escorte.
Tel un pantin de bois, il acquiesça d’un simple signe de tête, bouleversé au plus haut point. Adieu son passé. Penché sur sa couverture pour la plier, les images de son enfance le submergeaient. Il revoyait toutes ces fois où il avait été disputé pour ses idées absurdes, mais également, chaque instant durant lequel il s’était vu, tel ce jour, découvrir les créatures de ses livres et partager leur quotidien. Dans ses imaginations, il se rappelait comme il était bien, comme il n’avait pas envie de revenir dans sa chambre d’enfant, pris d’une douce légèreté capable de le porter très loin sans heurts. Et aujourd’hui, oui, voilà de quel sentiment il était pris. Il n’arrivait toujours pas à se le représenter. Il se sentait même un peu perdu, lui, jeune homme seul au milieu des bois, qui d’une façon insensée commençait la plus grande aventure de sa vie. D’un geste, il finit de boucler son sac, prit garde d’avoir bien éteint les braises de son feu, puis monta en selle. Il s’assura encore qu’il avait bien les yeux ouverts, qu’il ne rêvait pas, non, il était prêt.
— Nous pouvons y aller, je vous suis.
Aussitôt, les fées l’avaient entouré pour lui montrer la voie. Il ne regrettait rien, il se sentait comme le plus heureux des hommes sur terre.
Chaque être humain sur terre aimerait en secret une vie bien différente à la sienne. Plus ou moins calme, plus ou moins dynamique, entourée de telle ou telle autre personne. En soi, chaque être humain rêve sans vraiment se dire qu’un jour ces histoires inventées de toutes pièces puissent être possibles ! Mais dites-vous bien que la vie en elle-même est un rêve ! Vous ne croyez sans doute pas en ces paroles qui vous ont fait sourire. Vous pouvez, personne n’est là pour vous en vouloir. Mais si un jour vous décidez d’ouvrir les yeux, puis, comme un enfant, porter un regard différent sur le monde qui vous entoure, vous comprendrez. Chaque personne ayant la capacité de rêver est capable de changer le cours de sa propre vie. Soyez-en certain.
Comme chaque journée, celle-ci avait commencé dans un calme et un ordre absolu. Chacun, dans cette petite maison construite au sein d’une clairière, aux abords d’une forêt à la frontière indéterminée, avait son rôle bien défini. Ainsi vivaient Alban, Gaétan et Aslan, trois frères. Ceux-ci s’entendaient d’ailleurs parfaitement bien, étroitement liés, ils avaient toujours réussi à se soutenir quelles que soient les difficultés, parfois au grand désarroi de leurs parents. Aslan était le plus âgé d’entre eux, Gaétan venait après lui et Alban était le petit dernier, dans la fleur de l’adolescence.
— Alban, appela soudain son père. Cours chercher tes frères, ils doivent encore couper le bois d’hier et ils ont les chevaux à nourrir. Quand ce sera fait, va aider ta mère, elle prépare la fête d’anniversaire de Félicité.
— L’anniversaire de Félicité ! Elle vient à la maison ? demande-t-il, surpris.
— Oui, dit-il en riant, voyant l’air étonné de son fils. Alors qu’est-ce que tu attends ?
Soudain heureux, un grand sourire illuminant son visage, il s’en retourna précipitamment en courant, sous le regard amusé de son père. Il allait sans aucun doute annoncer la nouvelle à ses frères avant tout autre chose ! Contournant de la sorte la maison en vitesse, le jeune garçon trouva Aslan et Gaétan qui s’amusaient à se battre dans le jardin. Jardin qui était immense. Recouvrant tout l’espace qu’offrait la clairière, il se découpait harmonieusement entre les parterres de fleurs multicolores, la prairie au milieu de laquelle trônaient fièrement deux chênes et un saule, et les enclos à vaches qui avaient été placés à l’orée du bois. Une grange et des terres cultivées, entourées de clôtures, se trouvaient de l’autre côté de la maison.
— Aslan, Gaétan, appela-t-il. Papa vous appelle, il veut que vous alliez couper le bois et que vous nourrissiez les chevaux. Et devinez quoi ? finit-il par dire.
Leur entrain quelque peu altéré par l’annonce de cette nouvelle dose de travail, ses frères s’étaient arrêtés dans leur jeu pour se tourner vers lui. Ils n’avaient pratiquement pas le temps de s’amuser, ayant toujours quelque chose à faire à la ferme, et voilà que de nouveau on leur coupait leur temps de pause. Mais la joie d’Alban les intriguait.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Aslan.
— C’est l’anniversaire de Félicité et elle vient à la maison !
— Elle vient chez nous ! s’exclame Gaétan.
Du haut de ses seize ans, Gaétan était un beau jeune homme châtain, à la peau claire et aux yeux d’un vert étincelant, brillant en cet instant d’excitation à la nouvelle. Perplexe cependant, il jetait des coups d’œil vers son aîné qui n’avait encore rien dit. Quand Alban s’exclama soudain :
— Mais qu’est-ce qu’on va mettre ? Félicité est de la ville et même si elle aime la vie ici, je ne pense pas qu’elle vienne en botte. On pourrait demander à maman de nous faire de nouveaux habits, non ?
— Pourquoi pas ? Mais je ne pense pas qu’elle acceptera, fit remarquer Aslan. Vous savez très bien qu’elle nous en a déjà fait.
Il n’avait pas caché sa joie en apprenant l’arrivée imminente de sa cousine, mais il affichait clairement leurs défaites d’avance en ce qui concernait cette idée d’habit neuf. Lui, jeune homme brun aux profonds yeux noisette, avait le visage un peu joufflu, surmonté d’un nez alcalin qui lui donnait l’air d’un ange, bien qu’au fait il se révélait être tout le contraire. D’une énergie à toute épreuve, à l’esprit éveillé, il savait exactement quelle serait la réponse de leur mère. Du haut de ses dix-sept ans, il portait bien son rôle de frère aîné. Mais malgré ses paroles de raison et ne voulant pas y croire, Alban et Gaétan étaient tout de même partis d’un pas décidé à la cuisine. Les voyant ainsi faire, Aslan soupira d’exaspération. Il se décida cependant à les suivre, curieux de voir ce qui allait s’y dire. Arrivant ainsi dans la petite cuisine aménagée, dans laquelle leur mère s’y tenait, occupée à la vaisselle, il y retrouva les bonnes odeurs familières de son enfance. Les restes des fumées de la viande avalée quelques heures plus tôt, l’essence du bois de la grande table qui traversait la pièce, le parfum de ces fleurs qui finissaient de s’épanouir sur le plan de travail, surmonté de vieilles casseroles. Puis ce frigo décoré de multiples photos de famille que quelques années auparavant il lui était impossible d’ouvrir tant il était petit. Pareillement pour lorsqu’il s’agissait d’agiter d’une cuillère en bois, la sauce d’un plat posé sur le feu de la petite gazinière. Le tout était éclairé des deux grandes fenêtres qui donnaient justement sur le jardin. À cette heure, les rayons du soleil venaient tendrement frapper la longue chevelure dorée de leur mère qui, dans un mouvement surpris, s’était retournée vers eux avant de les arrêter net. De la sorte, c’est avec les mêmes yeux que ceux de Gaétan qu’Aimé les fixait maintenant, le visage enjoué. Malgré sa quarantième année atteinte, elle avait conservé une fraîche beauté, semblable aux fleurs à peine écloses en un matin de rosée. Aussi, essuyant ses mains délicates sur son tablier, elle les questionna.
— Eh bien ! Qu’y a-t-il d’assez pressant pour que vous arriviez ainsi tout essoufflé dans ma cuisine ? demanda-t-elle.
Leurs cœurs battant la chamade, ils ne savaient que répondre tout de suite, anxieux de ne savoir comment allait réagir leur mère. Puis, respirant profondément, Gaétan répondit enfin.
— On voudrait savoir si tu peux nous faire de nouveaux habits de ville.
— Pourquoi cela ? Je vous en ai déjà fait pour notre dernière sortie !
Aslan sourit alors largement pour montrer à ses frères qu’il avait eu raison. Mais Gaétan répliqua :
— Mais nous voulions être mieux habillés pour l’anniversaire de Félicité, ça fait très longtemps qu’on ne l’a plus vu.
— Je le sais très bien que cela fait longtemps, dit-elle.
— Peut-on au moins lui offrir un cadeau ? s’écria alors Alban.
— Ce n’est pourtant pas pour ça que nous sommes venus ! fit Gaétan.
— Pour les cadeaux, c’est entendu. Mais pour vos habits, Félicité arrive dans deux jours et je n’ai pas le temps de vous en faire de nouveau, répondit Aimé soudainement plus sévère qu’à son habitude.
Il n’arrivait que très rarement que ses fils insistent sur un point. Aussi avait-elle commencé à croire que les tenues qu’elle avait déjà confectionnées pour eux ne leur plaisaient plus.
— Vos habits ont été rangés dans la malle de votre chambre. Vous mettrez donc ceux-là pour le jour de son arrivée, finit par dire Aimée en s’en retournant à son occupation de départ.
À ces mots, comprenant que la discussion était close, Gaétan repartit la tête basse et le pas traînant, déçu de sa défaite, tandis que derrière lui, Aslan suivait avec assurance sachant déjà comment cela finirait. Seul Alban n’avait pas bougé. Il n’avait pas oublié la demande de son père et regardait maintenant Aimé de ses yeux d’un bleu vert peu commun, légèrement cachés par d’épais cheveux foncés, coiffés en bataille. Comme elle s’en apercevait, son visage s’adoucit. Bien qu’il soit de petite taille du haut de ses quatorze ans, Alban était doté d’une énergie et d’une imagination à toute épreuve, lui permettant en cas de besoin d’être d’une grande utilité.
— Eh bien ! Que fais-tu encore là ? lui demanda Aimé.
— Papa m’a demandé de t’aider pour les préparations de la fête. Est-ce que je peux ?
— Bien sûr, dit-elle, le sourire toujours aux lèvres. Essuie la vaisselle et après tu iras tendre le linge dehors, pendant que je ferai à manger. La maison doit être propre lorsqu’elle arrivera.
Alban attrapa alors le torchon qui était posé sur une chaise sans un mot, pour se mettre à astiquer la vaisselle fraîchement lavée.
De retour dehors, Aslan et Gaétan avaient rejoint leur père près de l’enclos en lisière de forêt et s’étaient mis au travail. Tandis que l’un fendait le bois, l’autre s’occupait de traire les vaches avec dextérité. Ces gestes, ils les connaissaient par cœur tant ils les avaient déjà faits. Ainsi, assis devant le seau qui se remplissait de lait, Gaétan regardait machinalement autour de lui, quand quelque chose attira son attention. Là, à la lisière du bois, était apparu un cheval du moins inhabituel. Il brillait d’une blancheur de cristal. Une longue corne torsadée partait de son front. Les yeux écarquillés, stupéfait, n’y croyant pas tout d’abord, Gaétan se leva soudain en criant.
— Une licorne ! Père, il y a une licorne en lisière du bois.
Surpris, interloqués par ces cris, les deux autres s’étaient empressés de tourner le regard vers l’endroit indiqué, mais le bosquet d’arbre était vide. L’animal avait disparu.
— Mais il n’y a aucune licorne, dit désespérément son père, s’essuyant le front à l’aide de la manche de sa chemise de travail. Les licornes sont un mythe, une légende, elles n’existent pas…
— Mais je suis sûr de l’avoir vu, elle était juste là, j’en suis certain, insista désespérément Gaétan.
— Tu as dû voir un chevreuil et quand tu as crié il s’est enfui. C’est tout simplement ton imagination qui t’a joué un tour, ajouta Aslan.
— Mais non, c’était là !
— Cela suffit. Tu as dû rêver, répliqua son père qui commençait à trouver l’histoire grotesque.
Au même instant, Alban sortait de la maison, un panier de linges dans les bras et ils se turent tous instantanément. Ils le regardèrent se diriger vers l’étendoir à linge avant qu’ils ne reprennent le travail, comme dans un commun accord silencieux, sans plus en discuter.
Le lendemain, les choses s’étaient accélérées. L’incident de la veille avait été complètement oublié et aucun d’eux n’avait reparlé de la fameuse licorne, trop occupés à mettre toute la maison sens dessus dessous pour l’arrivée de leur invitée. Tandis qu’Aimé repassait le linge, son mari ramassait les outils qui traînaient dans le jardin. Quant à Alban et Gaétan, ils avaient été assignés aux décorations et Aslan triait les divers objets, qui, entassés dans des cartons, encombraient le couloir. Dans tout ce remue-ménage, Aimée traversa le salon, fait d’une simple décoration campagnarde, agrémenté de bibelot en tout genre et de bouquets de fleurs séchées. Elle y trouva là ses deux plus jeunes fils qui jouaient à faire couiner les ballons avant de les faire voler dans toute la pièce. La grande table en était entassée, ainsi que de guirlandes destinées à décorer le plafond.
— Arrêtez ce bruit infernal, s’indigna leur mère. Et arrêtez de jouer, il reste des tas de choses à faire avant demain.
— Pour une fois qu’on peut s’amuser avec des ballons, dit Alban.
— Peut-être, mais il faut que tout soit prêt quand Félicité arrivera.
Sur ce, elle quitta la pièce, une panière dans les mains.
— On ne peut même pas rigoler de temps en temps, se plaignit Alban.
— On pourra aussi bien les éclater après la fête, suggéra Gaétan en riant avant de s’emparer d’un des ballons qu’il porta à sa bouche.
— Si maman vous laisse faire, dit alors une voix derrière eux.
Se retournant, ils virent apparaître Aslan, qui tenait une pile de cartons vides, posés en équilibre dans les bras, à destination du garage. Avant qu’il n’ait disparu, Alban fit une grimace au dos de son frère pour bien signifier qu’il n’était pas de son avis.
— Au fait, reprit Aslan en reculant de quelques pas, maman va faire un gâteau, vous n’aurez qu’à aller l’aider.
À ces mots, ses frères se lancèrent des regards joyeux prêts à laisser les ballons, mais rapidement Aslan les rappela à l’ordre, connaissant leur engouement pour la pâtisserie.
— Mais lorsque vous aurez fini avec les ballons, dit-il en leur lançant un regard railleur, puis il les laissa finalement.
— Pour qui il se prend ? fit Alban, irrité.
— Laisse, répondit Gaétan. Dépêchons-nous plutôt de finir.
Oubliant aussitôt ce fâcheux accrochage, l’idée du gâteau reprenant le dessus, ils s’étaient joyeusement dépêchés de gonfler tous les ballons. Rien n’avait de plus grande importance en ce moment que l’anniversaire de Félicité. Ainsi, tout heureux, les décorations enfin terminées et les paquets remballés, ils étaient partis à la recherche de leur mère qui s’était installée dans le jardin. Assise tranquillement sous les arbres, elle les avait laissés venir à elle.
— Maman, Aslan nous a dit que tu allais faire un gâteau ! Est-ce qu’on peut t’aider ? demanda alors Gaétan.
— Je vous attendais justement. Je savais que vous aimeriez le faire, répondit-elle, la mine joyeuse.
Elle les laissa tranquillement s’asseoir dans l’herbe devant elle, les mains repliées sur la jupe de sa robe, cachant malicieusement sous celles-ci, une petite surprise qu’elle leur avait préparée.
— Cette fois-ci cependant, reconnaissante de votre aide à chacun, je vous ai concocté une petite surprise ! Vous ferez ce gâteau-ci, sous forme d’un jeu.
— Un jeu ? dit Alban étonné.
— Oui, le but du jeu est simple, il suffit de rassembler tous les ingrédients utiles à la recette le plus rapidement possible. C’est pour ça que vous allez avoir besoin de ceci, dit-elle en leur tendant à chacun une liste. Le plus rapide aura gagné.
Trépignant d’impatience, tous deux s’étaient emparés de leur liste pour s’y plonger sans attendre.
— Gagner quoi ? On aura quand même le droit à quelque chose ? dit Alban.
— Bien sûr, mais si tu ne te dépêches pas, tu ne gagneras pas. Ton frère a pris de l’avance.
Reprenant soudain conscience de ce qui l’entourait, il se rendit compte que Gaétan avait disparu. Celui-ci, voyant son frère blablater avec enthousiasme, en avait profité pour s’esquiver en silence.
— Mais c’est de la triche ! s’exclama-t-il les yeux exorbités.
— Qu’est-ce que tu attends, vas-y, lui dit sa mère en riant, le poussant un peu pour finalement le voir partir en courant vers le poulailler.
— Eh bien, dit-elle. Apparemment il a hérité des œufs.
Alban et Gaétan ayant disparu, elle s’adossa doucement au tronc du saule. Qu’il était beau et fort de ses années passées ! Ses longs rameaux de feuilles tombaient paresseusement vers le sol autour d’elle, pareil à un cocon protecteur. Un doux vent faisait frémir ses branches desquelles émanait une sorte de chanson mélancolique qui l’apaisait bien malgré elle. De la sorte avait-elle fermé les yeux pour que les souvenirs de son fils Aslan, grimpant dans cet arbre, lui reviennent en mémoire. Il aimait plus jeune, reposer sur ses épaisses branches, tel un jaguar et regarder dans les nids d’oiseau en quête d’œufs, tandis qu’elle, inquiète, l’appelait désespérément d’en bas.
Malgré son retard, Alban arriva le premier avec tout ce qu’il avait à rassembler dans un panier. Apparemment il avait été plus malin que son frère, qui, tout haletant, se montra bientôt, ses ingrédients empilés dangereusement dans les bras. Il pensait sans doute avoir pris toute l’avance nécessaire à sa victoire.
— J’ai gagné ! s’écria Alban.
Quand il arriva son tour, Gaétan s’assit tout penaud par terre avant de laisser tomber son chargement.
— Qu’est-ce que je gagne ?
— Pour l’instant rien. Ça sera après le gâteau sinon il ne sera jamais fait.
— Mais… commença Alban soudain coupé par sa mère d’un geste de la main.
— Le gâteau d’abord, rappela Aimé.
Se résignant ainsi à accepter les conditions, Alban regarda sa mère se lever, imitée par Gaétan. Celui-ci ramassa son chargement qu’il glissa dans le panier de son frère et tous trois se mirent en route pour la cuisine. Après tout, se disait Alban, plus vite le gâteau serait fait et plus vite il saurait quelle était sa surprise. Comme il pensait de cette façon, il avait accéléré le pas, tellement qu’il finit par donner l’impression qu’il courait. Derrière lui, Aimé pouffait de rire face à son enthousiasme, tout en essayant de le suivre, avant de ne le rattraper qu’une fois dans la cuisine. Là, elle y alluma rapidement le four.
— Tenez, dit-elle. Épluchez les citrons, je vais faire la patte.
Ils s’étaient saisis tous deux des fruits qu’ils leur étaient tendus, avaient pris un couteau chacun et s’étaient mis à les éplucher. Ils devaient ensuite être coupés en tranches, sans oublier de retirer de leur chaire les pépins, trop dangereux pour leurs dents fragiles. Mésaventure qui était déjà arrivée à Aslan. Sur le moment, ils avaient tous bien ri, avant de se rendre compte qu’il s’était réellement fait mal. On avait dû l’emmener rapidement à l’hôpital le plus proche, qui se trouvait à un bon trois quarts d’heure de chez eux, afin qu’il se fasse réparer sa dent. Les citrons en morceaux, ils les avaient incorporés à la pâte. Mélangée, elle avait ensuite été précautionneusement coulée dans un moule, avant d’être enfournée. Ils commençaient à presser des oranges lorsqu’Aslan entra dans la cuisine en fanfaronnant.
— Ça bosse dur, on dirait. Moi j’ai fini.
— Au lieu de te vanter, tu pourrais nous aider et ranger la table pendant qu’on finit le jus, dit Alban qui s’était perché sur une chaise pour remettre le sucre à sa place en hauteur dans le placard.
Le bras tendu, son visage offrait tout un panel de grimaces les plus hilarantes les unes que les autres. Il avait beau s’étirer de tout son long, il n’arrivait pas à atteindre la place du sucre.
— Eu… Non. Je crois que papa a besoin de moi, dit-il avec amusement, en regardant Alban qui abandonnant finalement, posa le paquet de sucre sur la table. Et t’inquiète pas, petit frère, tu vas bien finir par grandir !
À peine eut-il fini de parler qu’il reçut un coup de poing sur l’épaule.
— Tu te fiches de moi ! Tu verras quand je te dépasserais, s’indigna Alban.
Riant à gorge ouverte, Aslan empoigna derechef son frère par le cou et lui ébouriffa les cheveux avec force. En hurlant, Alban se débattait.
— Mais que faites-vous ! Arrêtez donc de vous battre. Aslan ! Si tu ne veux pas nous aider sort d’ici ! s’exclama soudain Aimé, en s’apercevant de ce qui se passait.
Toujours ricanant, mais non stupide, Aslan lâcha Alban dont les cheveux ne ressemblaient plus à rien. Déjà que d’ordinaire il ne se coiffait jamais, eh bien là on avait l’impression qu’il venait de passer sa tête dans une soufflerie. L’effet donné était tellement comique, que même Gaétan ne pouvait se retenir de rire.
— Ce n’est pas drôle, ronchonna Alban.
— Oh si ! répondit Aslan.
— Maman !
— Bon allez, dehors, reprit Aimé.
Il ne restait plus à Aslan qu’à capituler. Il leva les mains en l’air pour bien signifier qu’il avait compris. Mais n’ayant pas perdu l’idée d’enquiquiner son frère, il piocha rapidement un morceau de sucre dans le paquet qui était resté sur la table. Il esquiva de la sorte un nouveau coup d’Alban, puis il courut vers la sortit.
— Tu ne perds rien pour attendre, lui cria Alban.
Voyant qu’Aslan ne répondait pas, il croisa ses bras sur sa poitrine, la mine boudeuse. Il aurait bien aimé donner une bonne leçon à son frère pour lui montrer qu’il ne se laissait pas faire. Heureusement pour lui que leur mère l’avait mis à la porte. Il resta donc assis là sans parler, regardant simplement Gaétan finir de presser les oranges, dont il versait le jus dans une bouteille. Sa mère quant à elle rangeait désormais. Comme personne n’osait plus rien lui demander, de peur d’augmenter sa mauvaise humeur, Aimé et Gaétan étaient ensuite restés silencieux jusqu’à ce que la cuisine soit propre.
— Bon… prenez, dit finalement Aimée en leur tendant un bout de papier en rayonnant. Vous avez tous les deux été très bons durant le jeu de rapidité, il ne s’en est fallu que d’un fil. Alors vous avez tous les deux droit à une récompense.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Gaétan en retournant le papier entre ses doigts sans comprendre.
À côté de lui, Alban, qui n’était à la base déjà pas joyeux, avait l’air maussade et mécontent.
— Un bout de papier ! s’écria-t-il.
— Non, regardez mieux.
Un bout de papier, rien de tel pour les intriguer. Eux qui avaient pensé à une surprise donnée simplement, ils se retrouvaient avec une feuille recouverte de dessins bizarres. Penchés sur ceux-ci, ils les examinaient attentivement sans pour autant avoir l’air d’en deviner le sens. Quant à Aimée, elle les observait, impatiente de voir comment ils allaient réagir. Mais plus le temps passait et plus elle comprenait qu’ils n’arrivaient pas à voir de quoi il s’agissait.
— Vous ne voyez pas ? C’est une carte au trésor ! Ça représente notre maison et les alentours. Les points jaunes sont votre point de départ et les croix votre trésor. Vous avez bien sûr une carte différente et un cadeau plus important pour le gagnant.
Comprenant enfin, leurs visages s’illuminèrent, soudain impatients de commencer.
— Mais qu’est-ce que c’est que les points rouges ? D’après moi, on dirait des endroits compliqués, dur à passer.
— Eh bien, tu as trouvé mon petit Alban. Vous n’avez plus qu’à y aller, dit-elle.
La dispute de l’ordre du passé, ils s’étaient plongés, cette fois-ci avec entrain, sur leur carte. Jamais ils n’avaient fait de chasse aux trésors et encore moins pour trouver un vrai trésor. Le challenge était plus qu’excitant. Dès qu’ils avaient compris où était placé leur point de départ, Alban à la porte de derrière la maison et Gaétan au tas de bois près de l’enclos, ils s’y étaient précipités. La chasse pouvait commencer. Chacun n’avait plus qu’à suivre le chemin tracé par leur mère.
— Oh non ! s’exclama soudain Alban.
Il avait derechef regardé son plan à nouveau pour être bien sûr de la route, car il venait de se retrouver nez à nez avec une inquiétante ruche en pleine activité. Plus il avançait et plus les bourdonnements devenaient menaçants, il ne valait mieux pas rester là trop longtemps. À son soulagement, sa carte lui indiquait de bifurquer vers un endroit plus sûr. Il ne se fit pas prier. Il marchait désormais le long de l’orée des bois, quand des bruissements de feuillage attirèrent son attention. Curieux, il s’arrêta pour regarder de plus près, quand un petit bonhomme portant un chapeau pointu apparut. Il n’avait pas l’air de l’avoir vu.
— Eh ! s’écria-t-il.
Levant soudain les yeux, le gnome tout à coup apeuré s’en retourna et s’enfuit en courant. Est-ce qu’il avait bien vu ? Complètement abasourdi, Alban le poursuivit aussitôt à travers les fourrés, les mains cherchant à travers les hautes herbes, le cœur battant. Malheureusement, la seule chose qu’il trouva fut une grenouille coassant. Était-ce un effet de son imagination ? Il resta là un instant à regarder autour de lui, pour être sûr qu’il avait bien rêvé, mais le doute ne le quittait pas, c’était la première fois que ce genre de chose lui arrivait. Se rappelant alors qu’il était en pleine chasse au trésor, il en revint à sa carte et reprit la bonne route.
De son côté, Gaétan était en plus mauvaise posture. Une grimace de dégoût sur le visage, il avançait dans une mare de boue lui arrivant en hauteur des genoux. Son but, une petite barque de bois, qui flottait au milieu de ce mini lac, dans lequel il avait le plus grand mal à avancer. D’après le plan qu’il tenait dans la main, le trésor qu’il cherchait s’y trouvait. Arrivant enfin à la hauteur de l’embarcation, il l’agrippa. Avec force de difficulté, il prit ensuite le pli de la ramenée sur la berge, sur laquelle il se laissa tomber de fatigue. Comment sa mère avait-elle pu mettre son trésor là-dedans ? On avait sûrement dû l’aider. Quoi qu’il en soit, il finit par se lever, pour regarder dans le bateau. À première vue, il n’y avait qu’une couverture, mais lorsqu’il la souleva, la surprise le fit se rasseoir. C’était incroyable ! Était-ce bien réel ? Complètement sonné, n’y croyant pas, il se redressa pour regarder de nouveau dans le bateau. C’était bien là, il n’avait pas rêvé. À l’intérieur, posé au fond de la coque, se trouvait, un arc et des flèches d’une beauté inégalable. L’arc était fait de bois poli et sculpté d’une élégante manière. Des têtes de chevaux hennissantes tenaient les extrémités de sa fine corde, tendue, prête à tirer. Les flèches étaient agrémentées de superbes plumes de couleurs vertes et blanches. Sous l’émerveillement, il resta bouche béante, jamais il n’avait vu de pareilles choses. Il s’aperçut alors qu’il y avait également un habit de couleur bois, un carquois en peau de bêtes et deux étuis comprenant deux poignards aux pommeaux surmontés d’une pierre rouge chacun. Les mains tremblantes, il se saisit des étuis, avant d’en tirer l’un d’eux pour en admirer le fil brillant et solide. L’arme devant le visage, il y voyait son propre reflet dont le regard semblait provenir d’un autre monde. Comment pouvait-il avoir dans les mains ce genre d’objet alors que sa famille à faible moyen travaillait la terre et n’avait jamais connu la guerre...
Tandis que Gaétan regardait encore ce qu’il avait dans les mains, Alban de son côté, était en pleine escalade d’un arbre immense. D’en bas, pendant à l’une des branches de l’arbre, il avait vu quelque chose poussé par le vent. Puis comme sa carte lui indiquait que c’était le point de fin de ses recherches, il y avait grimpé. Agile comme un chat, il montait désormais avec légèreté, l’habitude aidant, tandis qu’il tenait sa carte entre les dents pour avoir les mains libres. Rapidement et sans regarder vers le bas, il atteignit de la sorte la forte branche qu’il avait repérée. Il s’y assit donc. C’est là qu’il prit le temps de regarder autour de lui, appréciant la hauteur à laquelle il se trouvait. Il n’y avait que dans ces moments-là, qu’il se sentait libre, pouvant presque s’envoler comme un oiseau, afin de partir à l’aventure. Serein, il souriait. Il était bien heureux. Puis, il rapporta son attention sur la chose qu’il était venu chercher. Cela pendait à quelque distance devant lui, il n’avait qu’à tendre le bras pour s’en saisir. Il se pencha alors en avant et attrapa la lanière de cuivre qui retenait son dû au-dessus du vide. Tranquillement, il s’était ensuite redressé, la mine interrogative. La première chose qu’il voyait était une sorte de large cape de couleur indéterminée qui, du gris au vert, passait au violet sombre et au bleu nuit, suivant ses mouvements. Elle avait l’air légère et portant sa main dessus, Alban la trouva douce et chaude. C’était bien la rare fois qu’il en voyait une comme celle-là. Se pouvait-il que ce soit réellement son cadeau, ou quelqu’un l’avait-il oublié là ? D’ordinaire, sa mère se contentait de petit jouet ! Mais à bien y réfléchir, oublier quelque chose en haut d’un arbre… Sa curiosité à son comble, il se dépêcha de poser la cape près de lui et de regarder le reste. Quoi que ce pût être de toute façon, il s’attendait à être surpris. Et il ne fut pas déçu. Il tenait entre ses doigts un fourreau noir de jet, d’où sortait une lourde poignée de fer, incrusté d’une pierre bleue. Complètement abasourdi, ayant lu de nombreux livres d’images sur les chevaliers, il n’avait aucun doute sur ce qu’il avait trouvé. C’est alors que, perché à plusieurs mètres au-dessus du sol, il tira l’épée dans un tintement cristallin, libérant la lame étincelante pour pouvoir la contempler. Elle était magnifique, avec ses fins dessins qui couvraient la partie supérieure du fil et le reflet vert des feuilles d’arbre bougeant au vent, qui lui donnait une allure irréelle. Il en avait tellement rêve, dans ses jeunes années, de se retrouver à la place des héros de ses livres, qu’ainsi armé, une grande excitation, pleine de satisfaction, c’était emparé de lui. Dès qu’il serait rentré, il commencerait à s’entraîner à combattre, pour de vrai, comme il l’avait toujours voulu. Seulement, il fallait d’abord réussir à redescendre de l’arbre et chargé qui plus est. Il réfléchit un moment à la façon dont il allait s’y prendre. Le tout était de retrouver le sol en vie. D’un geste vif, les idées se bousculant dans sa tête, il finit par prendre la ceinture qui tenait le fourreau et l’épée avant de l’attacher rapidement à la taille. Ensuite, il s’empara de la cape, quand quelque chose s’y échappa et tomba dans le vide.
— Mince ! fit Alban, la suivant des yeux avidement pour voir où elle allait atterrir.
Heureusement, dans sa chute, elle n’avait heurté que peu de branches, avant de tomber près du tronc. Soulagé, Alban souffla, avant de se taper tout de même le front du poing, mécontent d’avoir été si peu vigilant. Craignant d’avoir endommagé l’un de ses trésors, impatient également de savoir de quoi il s’agissait, il s’était rapidement redressé pour entamer la descente. Il glissa ainsi tant bien que mal le long du tronc, tous les muscles en alertes. Il savait expressément qu’à chaque instant, il risquait de tomber et de se rompre le cou, mais cela ne lui faisait pas peur. Sûr de lui, il avait comme cela bondi sur le sol dès qu’il l’avait pu. Après avoir jeté un rapide coup d’œil à l’endroit d’où il venait, il se précipita sur ce qu’il avait fait tomber. Là, dans l’herbe, il trouva un petit fourreau de simple constitution. Ce n’était autre qu’un poignard. Les yeux toujours autant émerveillés, Alban le tourna rapidement dans ses mains pour voir s’il n’avait pas souffert de la chute, mais tout semblait dans l’ordre. Il tira alors la courte lame pour s’assurer qu’elle n’avait rien non plus. Le couteau était moins impressionnant que l’épée, cependant, Alban commençait à se poser des questions. Comment pouvait-il se retrouver avec deux lames mortelles en sa possession ? Perplexe, mais fier d’être ainsi habillé, il rangea le poignard et entreprit de remonter rapidement en sens inverse le chemin tracé sur la carte au trésor.
Courant presque tous deux, pour rejoindre la maison, Alban et Gaétan se percutèrent de plein fouet, en un bruit de fer inquiétant. Ainsi arrêtés net, tourmentés par leurs récentes découvertes, ils s’étaient instantanément mis sur leur garde, prêt à se défendre, quand ils se rendirent compte de leur présence mutuelle. Ce n’était rien, ils étaient de nouveau entre frères, mais quel spectacle étrange ! Le changement produit par leur nouvel attirail était assez déstabilisant, recouvrant leur ancienne apparence de fermier, pour leur donner celle de voyageurs solitaires. L’un comme l’autre n’en revenaient pas.
— Toi aussi alors ! fit Alban à mi-voix, en pointant les nouveaux habits de son frère.
Gaétan hocha la tête, il ne le lâchait pas des yeux. Ils avaient tous les deux été gâtés de façon différente et la cape d’Alban l’intriguait, tant elle se confondait si bien avec le paysage. Elle chatoyait de nombreuses couleurs vertes et brunes, avec quelques fils argentés, rappelant les reflets du soleil sur les feuilles d’arbre. Déjà qu’il se cachait si facilement grâce à sa petite taille, là, il allait carrément pouvoir disparaître de leur vue.
— Comment crois-tu que nos parents aient pu nous faire ces cadeaux ? demanda Alban.
— Je n’en ai aucune idée. J’ai plutôt le pressentiment, que nous n’allons pas être les seuls à être déstabilisés, répondit enfin Gaétan, sortant de son observation.
— Gaétan, j’ai… Enfin, j’ai vu un gnome. J’ai cru un instant que je rêvais, mais maintenant je crois que je l’ai vraiment vu.
— Je crois que tu l’as vraiment vu. L’autre jour, j’ai vu une licorne et Aslan ne m’a pas cru et moi non plus en fait. Notre père disait que c’était une plaisanterie.
— Je pense que tu peux y croire maintenant. Est-ce que ça a un rapport avec nos trésors ?
— Je n’en sais rien. Nous le serons peut-être quand nous serons devant maman.
Elle s’était étendue sous l’ombre des arbres. Entendant le cliquetis de l’épée, elle s’était relevée rapidement, se demandant d’où cela pouvait bien provenir. Mais sa surprise fut bien plus grande encore, quand elle remarqua que le bruit provenait de ses fils, marchant rapidement dans sa direction. Anxieuse, elle les avait rejoints sans attendre.
— Mais d’où venez-vous ? Ce ne sont pas vos trésors !
— Comment ? s’exclamèrent les deux frères.
— Mais ceci je l’ai trouvé dans l’embarcation au milieu du lac de boue. J’ai même dû aller me laver à la rivière.
— Et moi je l’ai trouvé en haut du chêne indiqué sur la carte !
Le teint d’Aimée avait soudain viré au blanc. La peur l’avait gagnée, elle ne comprenait pas ce qui avait bien pu se passer pour que des armes de guerre aient remplacé ses petites intentions.
— Apparemment aucun de vous ne s’est trompé. J’ai bien l’impression que l’on vous a tout échangé.
Les deux frères se regardaient sans comprendre. Ils avaient bien remarqué le changement d’attitude de leur mère, les inquiétant davantage. Mais le plus effrayant, et tous deux étaient d’accord pour le dire, c’était de savoir qui et comment avait bien pu savoir et remplacer les véritables trésors. Quand tout était devenu clair.
— Alors tout ce que nous avons vu se révèle vrai ! dit Alban à son frère.
— Il me semble que oui. Mais combien sont-ils ? Et comment ont-ils su pour la chasse au trésor ? Ils ne peuvent que nous espionner !
— Mais de quoi parlez-vous ? interrompit leur mère, les mains tremblantes.
Elle n’avait aucune idée de quoi ou de qui ils parlaient. Dans quoi ses fils pouvaient-ils bien être mêlés ? Elle réfléchissait à une vitesse affolante, cherchant comment elle pouvait reprendre le contrôle de la situation, qu’elle avait senti s’échapper dès le moment où elle les avait vus revenir.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais il est hors de question que vous gardiez ces armes.
— Pour la première question, c’est on te dira tout plus tard, mais pour ce qui est de garder les armes, il est hors de question de s’en séparer ! Et je refuse de ne pas pouvoir les garder, répondit derechef Alban.
Son ton avait été tellement explosif que sa mère avait sursauté de surprise, ne s’attendant pas à cette réaction. Jamais, son plus jeune fils ne lui avait répondu de la sorte. Elle se retrouvait complètement déstabilisée, sans savoir que répondre. D’ailleurs, répondre en valait-il la peine. Il avait l’air bien trop sûr de lui pour qu’elle puisse lui faire changer d’avis. Abandonnant l’idée de parlementer sur le sujet, elle courba la tête. Elle était perdue. Heureusement, Gaétan ne resta pas insensible à sa soudaine faiblesse et essaya de l’apaiser tout de même.
— Mais qu’elles étaient les cadeaux que tu avais préparés pour nous ? demanda-t-il.
— Pour Alban, c’étaient des gâteaux au citron, des tartelettes et une épée en bois. Et pour toi aussi j’avais mis une épée, des gâteaux, et un camion de pompier, comme je sais que tu aimes ça.
— Nous devons absolument trouver Aslan. Oh ! Maman, tu n’avais pas préparé quelque chose de semblable pour lui ? s’exclama Alban.
— Si, dans la grange je lui faisais parvenir de l’eau et des vêtements. Eh ! Où allez-vous comme ça ?
Ils n’avaient pas eu besoin d’en entendre davantage pour se douter de ce qui était arrivé et ils étaient partis sans attendre à la recherche d’Aslan. Comme à son habitude, il s’occupait des chevaux. Seulement quelque chose dérangea Gaétan. Quoi, il ne le savait pas, jusqu’à ce que ça le frappe de plein fouet.
— Les chevaux ! Les chevaux font partie de l’histoire eux aussi. Regard, ce n’est pas Garou et Java. Ceux-là ne sont pas les nôtres !
Alban qu’il ne l’avait pas remarqué tout de suite, lança un regard d’incompréhension à son frère, avant de s’élancer à sa suite, pour être bien sûr de ce qu’il voyait. Non, il n’avait pas rêvé, trois chevaux de belle allure occupaient en cet instant le paddock. L’un était gris pommelé, de toute la majesté des rois, le deuxième était d’un alezan de feu, surmonté d’une tête fine, droite et fière. Le troisième, quant à lui, était d’un noir d’encre, profond et brillant, dévoilant une forte musculature. Aslan, qui était occupé à les brosser, ne les avait pas vus arriver.
— Aslan ? D’où viennent ces chevaux ? lui demanda Gaétan, alors qu’il tendait la main pour flatter le nez du cheval gris.
Se retournant à la question, Aslan n’avait pu réprimer un sursaut de surprise. Alors qu’habitués à les porter, ses frères n’y faisaient déjà plus attention, leurs nouveaux apparats n’étaient pas passés inaperçus aux yeux de leur aîné.
— Mais d’où vous sortez comme ça ! ?
— C’est justement pour ça qu’on te cherchait. On voulait t’en parler.
Du regard Aslan les pressait pour continuer. Il se passait quelque chose évidemment. Quoi que ce pût être, ce n’était pas près de s’arrêter, alors autant être mis à la page tout de suite.
— Tu te souviens de la licorne que j’ai vue l’autre jour ? Aujourd’hui, maman nous a fait faire une chasse au trésor. Eh bien, c’est Alban maintenant qui a croisé un gnome ! Comme moi au début, il a cru rêver, il me la dit lui-même. Cependant, au bout du chemin, comme tu le vois, les cadeaux que maman nous avait préparés en guise de trésors ont été remplacés par ce que nous portons. On s’est tout de suite dit que nos parents n’auraient jamais pu nous les offrir. C’est d’ailleurs devenu évident, quand nous avons retrouvé maman et encore plus depuis qu’on a vu les chevaux. C’est forcément ces créatures qui ont échangé nos biens contre les leurs. Je ne vois pas autre chose en tout cas.
— C’est un peu gros comme histoire, vous vous en rendez compte ! fit Aslan.
— On sait, rechigna Alban.
— Tu ne nous crois toujours pas ? Eh bien, tu risques d’être perdu. Maman nous a dit qu’elle te faisait parvenir des vêtements et de l’eau dans la grange. Et on est absolument certains qu’il va t’arriver exactement la même chose.
Fronçant les sourcils, Aslan commençait à douter de ses convictions. Ce que lui racontaient ses frères n’était pas du tout dans l’ordre des choses, comment alors tout pouvait être possible ? Si réellement des créatures sorties tout droit d’histoires fantastiques s’amusaient à échanger des cadeaux contre des armes, eh bien il ne trouvait pas ça amusant du tout. C’était complètement fou comme situation. Il fallait qu’il en ait le cœur net.
— Allons nous en assurer. On ne peut pas rester comme cela à se regarder sans rien dire, finit-il par répondre.
Il souffla un bon coup pour se donner du courage, pas très sûr de vouloir éclaircir le mystère. Ils s’embarquaient tous dans quelque chose qui les dépasserait sans aucun doute, il le savait. Pouvaient-ils seulement faire marche arrière ? Il n’en était pas convaincu. Malgré tout la curiosité l’emportait sur tout le reste, il devait savoir si ce qu’on lui avait raconté était vrai. Décidé, il se dirigea d’un pas rapide vers la grange, suivi de près par ses frères, impatient de voir s’ils avaient raison. Puis tout s’était passé très vite. Dès qu’ils avaient ouvert la porte, les poulets s’étaient mis à piailler et à courir dans tous les sens, complètement affolés, et leurs deux chevaux de traie, à taper du pied en se raclant la gorge avec force, les nerfs à vif. Il s’était certainement passé quelque chose avant leur arrivée qui les avait effrayés au point de ne pas s’en remettre tout de suite. Ils avaient ensuite sans attendre regardé rapidement autour d’eux pour essayer de voir d’où venait leur trouble, quand, accroché sur le mur de la grange, ils avaient trouvé ce qu’ils cherchaient. Un cor cerclé d’argent, semblable à de la nacre, était suspendu à un clou par une lanière de cuivre. Une veste et un grand manteau couleur bois pendaient à son côté, ainsi qu’une épée, un peu différente de celle d’Alban. Il n’avait plus le choix, il était forcé d’y croire. Ses frères avaient raison, il s’était ainsi saisi de l’épée, l’avait décrochée, puis tirée du fourreau. Il avait déjà travaillé dans des forges, mais jamais il n’en avait vu d’aussi brillante, à l’aspect froid, mais résistant. Ce ne pouvait être là qu’une excellente épée. Au bout de la garde y était incrustée une pierre verte cerclée d’argent. Étrangement, cette couleur émeraude lui faisait un il ne savait quoi, qui le rassurait. Il l’avait regardé quelques instants, le visage troublé, avant de remettre l’épée dans son étui. De la sorte dès qu’il l’avait posé, il avait remarqué qu’il y avait un dernier objet. Un poignard à manche sculpté qui s’accrochait à la ceinture. Il était tout aussi beau que ceux de ses frères. Sous le coup de l’émotion la plus vive, il s’était enfin assis sur une botte de paille, les yeux rivés sur son trésor. C’était complètement impensable, complètement irréel.
— C’est bizarre. Vous avez remarqué, nous avons chacun une pierre de couleur différente sur nos armes, fit soudain Alban en tirant sa propre pierre de sous sa cape.
Aslan et Gaétan le regarda un instant, mais sans faire attention à sa remarque, les pensées ailleurs. Sans doute que ces couleurs n’étaient là que pour qu’ils ne se trompent pas d’arme entre eux, tout simplement. En attendant, ils sentaient que toute leur vie d’avant n’existait déjà plus, que tout était en train de changer, et cela à une vitesse affolante. Qu’allait-il se passer demain, dans quelques jours, ou peut-être même dans quelques heures ? Aucun d’eux ne pouvait le dire. Tout ce qu’ils savaient c’était qu’à partir de cet instant, leur avenir devenait incertain.