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« Ils avaient retrouvé le monde connu. Malgré cela, le monde des légendes, si beau et chaleureux, commençait à leur manquer. Même le pas de leurs chevaux semblait résonner dans un lointain passé aimé tandis qu’ils repensaient à tout ce qu’ils avaient découvert en terre des "Rêves Éveillés". Et puis leurs parents. Que faisaient-ils en ce moment ? Pensaient-ils toujours à eux ou avaient-ils perdu tout espoir de les revoir ? Ils n’en savaient rien et ne le sauraient jamais tant qu’ils seraient là à essayer de sauver le monde. Un monde qu’ils connaissaient si peu… »
À PROPOS DE L'AUTRICE
Depuis son enfance,
Fany Healy s’est plongée dans la lecture pour échapper aux difficultés de son quotidien. À l’adolescence, elle a exploré l’écriture comme un moyen d’évasion, donnant vie à des mondes imaginaires. Si la publication de ses œuvres n’était pas envisagée à l’époque, aujourd’hui, son rêve se concrétise.
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Fany Healy
Rêves éveillés
Tome II
Une étoile en eaux troubles
Roman
© Lys Bleu Éditions – Fany Healy
ISBN : 979-10-422-4392-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Leur voyage continua ainsi sur les plaines en direction d’Arcoa Imirin, durant lequel le départ du centaure les affecta particulièrement. La neige avait recommencé à tomber régulièrement sur la route, un mince rideau de brume s’était levé et le loup avait de plus en plus de mal à avancer dans la poudreuse dans laquelle il s’enfonçait. Leur moral à tous était tombé, alors qu’ils se demandaient bien comment ils pourraient poursuivre sans Cornegrise. Cela faisait d’ailleurs plus de deux jours qu’ils avançaient sur cette mer blanche sans fin, sans rien voir à l’horizon. Continuer était devenu de plus en plus difficile depuis qu’ils avaient quitté le pont, leurs chevaux grelottaient, la tête basse, sous les froids flocons qui avaient fini par cacher la température agréable du mois d’août. La tristesse qui envahissait leur cœur assombrissait également chaque jour qui passait. En fin de compte, les forces du loup finirent bien malgré lui par l’abandonner, obligeant Aslan à le mettre de nouveau derrière lui, jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent une nouvelle fois. Transit, ils n’avaient même pas pris la peine de desseller leurs chevaux, positionnés en cercle autour d’eux pour les couvrirent du vent qui s’était levé. Rapidement, ils avaient creusé la neige en un petit cratère dans lequel ils s’étaient installés, enveloppé dans des couvertures. Et comme si ce n’était pas suffisant, le sol humide et le vent s’étaient ligués contre eux pour les empêcher d’allumer un vrai feu. Les dernières branches sèches qu’ils avaient transportées n’avaient réussi qu’à leur fournir qu’une simple petite flamme tremblotante, qui vacillait à chaque bourrasque.
— Le nain nous a dit dans trois jours, dit Félicité.
— Dans ce cas, nous ne sommes plus très loin. Vagabond, vous-même n’avez jamais quitté la forêt, c’est ce que vous avez dit.
— Oui, et je ne sais pas où nous sommes, répondit le loup.
— Cornegrise lui l’aurait sûrement su, dit Aslan.
— Mais où irons-nous après ? demanda Gaétan. Vous a-t-il transmis notre itinéraire ?
— Il m’en a touché quelques mots. Son seul but était de vous mener jusqu’aux cascades. Mais arrivons déjà chez les nains.
La nuit était ensuite rapidement tombée. Ils avaient donc décidé de la passer sur place en espérant que la neige s’arrête pour pouvoir repérer les montagnes, dès le lendemain matin. Car l’horizon était jusque-là resté gris et opaque, les coupant totalement du monde, leur donnant l’impression d’évoluer dans un espace parallèle. Bientôt le feu s’éteignit sous le manque de combustible, les plongeant une nouvelle fois dans le noir, où ils ne discernaient plus que les formes fantomatiques de leurs chevaux dans le froid grandissant. Aucun d’eux ne parlait, serrés les uns contre les autres telles des brebis égarées. Quand, ainsi couchés, immobiles, sans rien dire, le froid leur fit l’effet d’un somnifère et le sommeil les emporta.
Le matin, la neige avait presque cessé pour laisser filtrer le soleil d’entre les nuages. Pourtant aucun des jeunes ni le loup n’étaient visibles, seuls quatre chevaux reniflaient la neige, comme en quête de quelque chose. Puis comme surpris, ceux-ci sursautèrent avant de s’écarter du point qu’ils reniflaient. La neige s’était soudainement mise à bouger. Lorsqu’elle redevint immobile, mus par la curiosité, les chevaux s’étaient timidement rapprochés avant de s’écarter de nouveau en hennissant de peur. La neige remuait désormais sans relâche, en faisant de petits bonds fermes. Puis une fourrure grise émergea. Lorsqu’elle se fut totalement extraite, elle se secoua dans tous les sens, puis, immobile, elle regarda de ses yeux de loup à l’horizon, comme frappé de stupeur.
— Par tous les diables, dit Vagabond.
Maintenant que le rideau de neige s’était dissipé, il pouvait voir se dresser devant lui, d’immenses et magnifiques montagnes, le dominant de toute leur hauteur. Elles étaient encore à bonne distance, mais ce spectacle le laissait sans voix, lui qui n’avait jamais vu de montagnes. Leurs sommets majestueux, sous le soleil levant, brillaient et étincelaient comme sous-poudrés d’or, leurs flans ne laissaient apparaître que de rares végétations recouvertes de poudreuses d’un blanc lumineux. Elles étaient faites de pentes rocailleuses formées de pics et de ravins vertigineux qui formaient une crête plongeant vers le sud. Toute une multitude d’oiseaux l’environnait, certainement que ces creux étaient habités par de nombreux nids haut perchés, là où il était impossible pour d’autres bêtes d’accéder. Dans toute leur splendeur, elles semblaient infranchissables. Voilà donc à quoi ressemblait la demeure des nains. Près de lui, un craquement le fit revenir à la réalité. La neige avait commencé à bouger. Se souvenant des humains, il creusa. Bientôt Gaétan montra sa tête, suivi d’Alban. Aslan et Félicité ne tardèrent pas à suivre, découvrant alors le spectacle qu’offraient les montagnes enneigées.
— C’est magnifique, dit Félicité lorsqu’ils se furent relevés.
— Elles ne sont plus très loin, remarqua Aslan. Est-ce là que demeurent les nains ?
— Oui, c’est ici. Et cela ne m’étonnerait pas qu’ils puissent nous voir de là-haut, répondit Vagabond.
Ils continuèrent à les fixer, les contemplant de haut en bas encore un instant. Puis ils s’assirent, décidant de manger quelque chose avant de repartir, cette fois-ci, vers un point bien en vue. Les montagnes. Elles étaient maintenant si proches qu’un élan de gaieté et d’espoir les avait envahis. Finalement, ils ne s’en étaient jusque-là pas si mal tirés. Par la suite, ils chevauchèrent sans s’arrêter durant toute la matinée, leur but, se rapprochant à vue d’œil. Plusieurs heures étaient passées, quand enfin ils purent discerner comme de grandes colonnes de pierre creusée dans la montagne, formant une porte. Encouragés par cette vision, ils accélérèrent l’allure, heureux de pouvoir bientôt passer ces immenses battants. Il ne leur restait qu’une petite distance à parcourir quand le cri d’un cor se mit à raisonner dans toute l’immensité de la plaine. Soudain apeurés, les chevaux s’étaient cabrés en hennissant. Ils ne se calmèrent ensuite que lorsque le cor se tut.
— Que se passe-t-il ? demanda Gaétan.
— Les nains nous ont vus, répondit Vagabond. Continuons à avancer.
Ils suivirent alors le loup en direction des montagnes. Mais ils n’avaient pas fait quelques pas que les portes de pierres s’étaient ouvertes, laissant s’échapper un flot de nains armés. Les voyant ainsi arriver, ils s’étaient tous cinq figés sur place. Il valait mieux les laisser approcher sans bouger. Les nains avaient de courtes jambes, malgré cela ils couraient vite. Bientôt, ils arrivèrent à leur hauteur.
— Descendez, leur dit un nain trapu à la barbe noir de jais.
Sans commentaires, ils se laissèrent glisser à terre pour se retrouver devant les nains qui ne leur arrivaient pas plus haut que la taille. Ceux-ci les observaient avec curiosité, ne délaissant cependant pas le loup.
— Qui êtes-vous ? demanda le nain trapu qui semblait être le commandant du groupe.
— Heu… fit Alban.
Remarquant qu’ils n’étaient pas en état de parler, le loup décida d’intervenir.
— Excusez-nous. Nous ne sommes pas des ennemis. Je me nomme Vagabond, l’un des derniers descendants des loups parlants et amis de la citée du roi et je mène avec moi quatre humains dépêchés par le roi lui-même pour une mission importante. Vous devriez normalement avoir reçu un message vous annonçant notre arrivée.
— Un message vous dites.
Alors le nain se passa une main sur le menton, leur rappelant aussitôt celui qu’ils avaient rencontré au pont. Cela les fit sourire, espérant que le message soit quand même parvenu en ces lieux.
— Je n’en ai aucun souvenir, finit-il par dire. Par mesure de précaution je préfère vous arrêter.
À ces mots Félicité poussa un petit cri étouffé. Ni une ni deux, le loup s’était approché d’eux. Il ne fallait pas qu’ils fassent de bêtises ou ils seraient perdus.
— Vous ne pouvez pas faire ça, dit Gaétan avec colère.
— Attachez-les et menez les chevaux à l’intérieur, reprit le nain sans l’écouter.
Alors ceux-ci se jetèrent sauvagement sur eux, leur attachèrent les mains derrière le dos et leur confisquèrent leurs armes. Ils muselèrent Vagabond et lui mirent une laisse pour qu’ils puissent le traîner derrière eux. Ils avaient été tellement surpris qu’ils n’avaient même pas réagi. Se débattant juste assez pour que les nains restent à une distance respectable. Puis satisfaits, leurs agresseurs s’étaient emparés d’eux pour les mener à l’intérieur. En quelques secondes, les portes s’étaient refermées sur eux en un bruit sourd, les plongeant dans l’obscurité des galeries. Ce n’était vraiment pas ainsi qu’ils avaient imaginé leur arriver chez les nains. Quelques paroles de courtoisie, des salutations, avant qu’on ne les conduise dans de confortables quartiers, voilà ce qu’ils auraient souhaité. À la place, ils étaient traînés comme des malfrats, ligotés, dans des souterrains dont ils ne distinguaient rien. Seulement quelques taches de lumières lointaines, provenant sans doute de lanternes. Puis, petit à petit, ils commencèrent à distinguer les contours des réseaux compliqués dans lesquels ils marchaient. Une série de tunnels de roche nue, grand ou petit, caché ou non par une porte. En soi, rien de bien réconfortant. Les nains quant à eux semblaient parfaitement savoir où ils allaient. Sans s’arrêter, ils les entraînaient par des escaliers descendant, jusqu’à ce qu’ils arrivent dans ce qu’il leur semblait être, une cave froide et humide. On pouvait entendre de l’eau goûter le long des parois. Sorte de partie abandonnée de la montagne. La lumière y était cependant plus vive, leur permettant de mieux distinguer le long couloir qui s’étendait devant eux, troué par de nombreux petits cachots, dont l’un d’eux allait rapidement devenir leur nouvel appartement. Sans plus de ménagement que précédemment, les nains avaient ainsi ouvert une des grilles qui grinça malicieusement. Les dents serrées, les humains et le loup les avaient après cela laissés couper leurs liens pour finalement être poussé dans le cachot au sol inégal. Les nains verrouillèrent la porte et partirent sans un mot. Encore un peu sonnés par ce qui venait d’arriver, ils regardaient, ahuris, la grille de leur prison. Eux qui pensaient arriver dans une cité chaleureuse, ils se retrouvaient enfermés sans savoir pourquoi, sous la montagne.
— Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? dit Gaétan.
— Attendre qu’ils vérifient mes dires, sans aucun doute, répondit le loup.
Puis celui-ci alla trouver un coin où se coucher. Par chance, il y avait un tas de foin et de paille installé dans le fond, à côté d’un banc en pierre froide. Il s’y installa.
Ils ne surent combien de temps ils restèrent là à espérer sortir un jour, comptant chaque seconde qui passait pour ne pas tomber dans l’oubli et le désespoir. Il leur semblait même que plus ils restaient ici, plus les murs de cette prison devenaient froids et oppressants, en même temps que l’air devenait lourd. Privés de la lumière du jour, les membres engourdis par l’inaction, épuisés du manque de sommeil provoqué par leur angoisse, ils n’avaient d’autre contact avec le monde réel que les nains qui venaient leur apporter régulièrement un plateau de nourriture. Ceux-ci ne contenaient que de simple soupe de légume avec de l’eau et un bout de pain rachitique en accompagnement. Ils ne pouvaient pourtant se permettre de faire les difficiles, même si cela ne suffisait pas à les nourrir. Vagabond, quant à lui, n’obtenait à chaque fois qu’un os minuscule presque dégarni de viande. Malgré leur maigre pitance, le loup n’en perdait pas le sens des réalités pour autant. Il avait parfaitement calculé les deux jours qu’ils venaient de passer dans ce cachot dans lequel les humains se morfondaient.
— Deux jours perdus, dit Aslan lorsqu’il leur en fit part.
Quand, venant un nouveau matin obscur, le couinement de la porte de fer les réveilla en sursaut. Ne comprenant d’abord pas, ils levèrent leurs yeux endormis vers leur visiteur, qui était encore un nain à leur plus grand déplaisir. Ce nain-ci n’était pourtant pas venu leur apporter leur plateau habituel, mais avait en main de longue corde. Sans attendre qu’ils comprennent ce qu’il s’apprêtait à faire, il s’était sombrement approché d’eux.
— Debout, on m’a demandé de vous sortir de là, leur dit-il d’un ton brut.
Douloureusement, ils s’étaient alors levés pour se laisser ligoter une nouvelle fois, avant de sortir de prison. De toute façon, ils étaient bien trop groggy et faibles pour protester. Puis après tout, si cela leur permettait de revoir la lumière du soleil, ils ne pouvaient pas dire non. Dans le couloir, toute une escorte de nains les attendait et chacun d’eux fut confié à un nain différent. Ainsi accompagnés, les nains les menèrent vers les parties supérieures de la montagne. Tout d’abord, les galeries étaient aussi sombres qu’ils les connaissaient déjà, puis elles s’éclairèrent. Enfin, la lumière du jour leur était rendue et l’air se faisait plus riche. Ils revivaient. Revigorés de la sorte, parfaitement éveillés, leur lassitude se transforma petit à petit en curiosité. Ils avaient beau être prisonniers, les montagnes restaient pour eux une merveilleuse nouveauté, ou tout était sujet à l’ébahissement. Les galeries, s’agrandissaient, devenaient agréables, les parois se décoraient de dessins extravagants. Des fresques immenses aux peintures abstraites dont eux seuls avaient le secret. Puis, continuant, ils rencontrèrent bon nombre d’autres nains. Ils arrivaient au cœur même de la montagne. Sous les hautes voûtes de pierre, soutenues par des colonnes, ils se montraient de plus en plus nombreux, allant et venant de tous côtés, en un rythme effréné. Quelques-uns s’étaient arrêtés en remarquant leur présence pour les regarder avec curiosité. Ils ne devaient avoir jamais vu d’humains. De leur côté, Félicité et ses cousins ne pouvaient s’empêcher de les observer de la même façon. Il était bien étrange pour eux de regarder toutes ces petites personnes vaquer à leurs occupations dans leur cité qui était souterraine. De plus, ils étaient tous si différents. Ils n’avaient jamais la même taille, la même corpulence, la même longueur de barbe, ni la même couleur. En fin de compte, tous étaient aussi dissemblables que les humains pouvaient l’être entre eux. Seule contraste, les nains habillés de robe. Franchement, ils avaient beau chercher, ils ne comprenaient pas pourquoi, des nains tout aussi barbus que les autres étaient habillés de cette façon. Qu’importe, la foule, augmentant progressivement, était devenue si compacte, que leurs gardiens avaient resserré leur étreinte afin de les garder près d’eux. Les galeries, quant à elles, ne cessaient de s’élargir et le plafond de monter plus haut au-dessus de leur tête. C’était ce qu’on pouvait appeler une vraie folie des grandeurs. L’activité souterraine était telle, qu’elle leur en donnait le tournis. Des portes s’ouvraient et se refermaient, certainement sur des maisons naines qu’ils pouvaient imaginer immenses et scintillantes. Ou bien sur d’autres galeries, d’autres escaliers par lesquels les nains se pressaient. Leurs guides les menèrent ainsi au travers de tout cela, bousculé par la foule, jusqu’à les conduire dans une partie plus calme de la montagne. Ils s’arrêtèrent finalement devant une porte de pierre à double battant, dénuée d’ornement. À première vue elle n’offrait aucun intérêt. Pas de poignet, pas de loquet. Perplexes, ils regardèrent alors leurs gardiens les lâcher, avant de se ranger en ligne droite devant les portes, comme s’ils voulaient les pousser à l’unisson, mais ils n’en firent rien. Au lieu de cela, un des nains leva une main, la posa sur la porte et se mit à chuchoter quelque chose d’inaudible. D’abord il ne se passa rien, puis on entendit un fort grondement dans le mur, qui s’était mis à trembler. Tous cinq s’étaient reculés de crainte devant le phénomène, impatient tout de même de voir ce qui allait suivre. Là, la porte s’ouvrit d’elle-même vers l’intérieur. Alors, oubliant tout ce qui s’était passé ces derniers jours, un émerveillement sans mot s’emparera d’eux. Car derrière ces portes en mouvement, se trouvait une salle infiniment grande, beaucoup plus grande que le hall des Rêves Éveillés et d’une beauté sans pareil. Elle était carrelée de noir veiné de blanc, ses parois étaient recouvertes de pierres précieuses qui brillaient aux éclats, dont les facettes se reflétaient sur les immenses piliers sculptés et décorés de joyaux, qui soutenaient le plafond à plusieurs mètres au-dessus de leur tête. Ces piliers qui étaient parfaitement alignés sur plusieurs lignes traversaient la salle vide de tout autre ornement et de toute vie. Trop pris par leur béatitude, ils n’avaient pas remarqué que les portes s’étaient stabilisées. C’est donc surpris qu’ils accueillirent la rudesse des nains qui les poussèrent à avancer, afin de traverser la salle. Le pas résonnant sur le carrelage comme s’il s’était agi d’une cathédrale démesurée dont on ne voyait pas le bout. Au milieu des colonnes de pierres lisses, ils avançaient timidement quand ils remarquèrent un trône en or, posé seul contre le mur. Sur celui-ci était assis un nain en habit de combat, une couronne de taille impressionnante montée sur sa tête. Ce nain-ci, était plutôt fort bien bâti, arborant une volumineuse barbe blanche décorée de maintes tresses, ainsi que deux petits yeux d’un noir intense qui les regardait venir. Leurs escortes les arrêtèrent à quelques pas du trône, deux fois plus petits que celui de Gallad, puis s’avancèrent vers le roi. L’un d’eux alla lui parler tout bas pour qu’ils n’entendent rien. Quand enfin il s’éloigna de son souverain, celui-ci prit connaissance de leur personne.
— Tout d’abord, salut étranger, leur dit le roi. Je me présente, Grombrindal, roi des nains. Puis-je savoir qui vous êtes et ce que vous êtes ?
Aucun d’eux ne répondit tout de suite, analysant la situation dans laquelle ils se trouvaient. Tout d’abord ils ne pouvaient faire grand cas de leur situation qui était quelque peu désespérée. Ils se trouvaient au beau milieu d’une montagne qu’ils ne connaissaient nullement et, qui plus est, était rempli de nains. Donc la fuite étant impossible, ils n’avaient d’autre choix que de coopérer. Vagabond, lui, n’était pas dans une meilleure posture, muselé et tenu en laisse comme un vulgaire chien, ils ne pouvaient compter sur sa participation active. Pour finir, ils avaient remarqué que ce nain ne savait pas ce qu’étaient des humains. Il devait donc tout ignorer de leur existence. C’était une chance à prendre. Prenant son courage à deux mains, Félicité se lança.
— Salut à vous roi des nains, dit-elle. Je m’appelle Félicité et voici mes cousins, Aslan, Gaétan et Alban. Nous sommes des humains. Quant à notre ami à quatre pattes, il s’agit d’un loup doué de langage, se nommant Vagabond.
— Des humains, répéta le roi. Cela me fait penser à… Et d’où venez-vous ?
— Des Rêves Éveillés.
Le roi réfléchit un instant.
— Mais oui ! Ça y est, je me souviens, dit le roi en se levant d’une manière triomphante. Cela me rappelle le message de Gallad il y a moins d’une semaine. Par ma couronne je l’avais oublié. Quatre humains accompagnés d’un loup. Excusez mon offense. Dépêchez-vous de les détacher, et apporter à ces… humains, un repas convenable, finit-il par dire à ses gens.
Comment exprimer l’immense soulagement qui les envahit, une fois ses paroles prononcées et leurs liens tranchés ? Deux jours passés dans des cachots inconfortables, les larmes aux yeux de ne savoir que faire, pensant être arrivé au bout de leur voyage, pour finalement se retrouver libre sans plus de paroles que cela ! C’était complètement fou tandis qu’ils se frottaient les poignets pour redonner un peu de vie à leurs mains. Tellement fou d’ailleurs qu’ils ne pouvaient faire autrement que de sourire bêtement de leur soudaine gaieté, se laissant comme des poupons se faire mener à une table tout juste installée pour eux, remplie de victuailles. Que n’avaient-ils rêvé d’un bon repas ! Plats de viande, de lards, de fromage, de pommes de terre, d’œufs et de pain, accompagné par des carafes en terre cuite, remplies de vin et d’eau. Ne pouvant attendre davantage, la faim les tiraillant et le roi ne les ayant pas attendus, ils commencèrent à manger avec grand appétit. Cependant, et maintenant qu’ils reprenaient un peu de force et d’esprit de bon sens, ils se remémoraient le traitement reçu à leur arriver. La méfiance envers ce roi et ses sujets était de mise. Qui sait s’ils ne leur viendraient pas à l’idée de changer d’avis. Près d’eux, Vagabond était d’accord, dévorant tout de même la cuisse fumante d’un cerf cuisiné.
— Alors comme cela vous êtes des humains. De bien étranges créatures, je n’en ai d’ailleurs jamais vu. Et pour ma part, je vous trouve bien semblable aux elfes.
— Est-ce pour cela que vous nous avez arrêtés ? demanda Félicité.
— Oui et non. Il y a cependant des choses dont il est préférable d’éviter de parler.
Aucun d’eux ne comprit ce que cela voulait dire, mais n’insista pas davantage.
— Les elfes sont cependant quelque peu différents, dit Gaétan.
— Oui certes, comme le sont les griffons des sphinx. Mais comparé à eux, je ne connais rien des humains. Dites-moi tout sur eux.
— Que voulez-vous savoir ?
— Je ne sais pas. … Votre mode de vie par exemple. Vivez-vous sous terre ?
Apparemment ce nain était bien bavard. Il ne cessait de parler d’une voix forte et assurée, les questionnant sur tous les sujets possibles et inimaginables pour ne leur laisser aucun temps de répit en parole. Il voulait tout savoir. Que pouvaient-ils faire d’autre alors que de le contenter, en espérant qu’ils seraient vite de retour sous le ciel ? Ils lui parlèrent donc de leur mode de vie, de leur habitat, de leur façon de se procurer à manger, de s’habiller, ainsi que de l’étendue des hommes sur terre, etc.… Mais le plus étonnant fut sa nouvelle question.
— Et les femmes, comment sont-elles ? Je veux dire les filles en général, ajouta-t-il précipitamment en voyant leur regard interloqué.
— Et bien, c’est assez simple. Je suis une fille et mes cousins sont des garçons.
— Vraiment ! C’est étonnant. On ne voit pas trop de différence.
Alban étouffa un rire dans ces mains. Les autres plus prudents sourires, amusés. A priori, ce nain ne savait pas de quoi il parlait. Ici ils n’avaient vu aucune vraie femme naine.
— Et chez les nains, y a-t-il des femmes ? demanda Gaétan.
— Bien sûr. Comment croyez-vous que l’on vient au monde ? Nous ne sortons pas de sous terre. Bien que certains pensent que c’est la montagne qui nous engendre. Non, bien sûr. Vous avez dû en croiser en venant. Et vous, cher loup ?
— J’en ai vu en effet.
— Vous en avez vu ! Où ça ? demanda Félicité.
— Ici. Mais les femmes naines ne sont reconnaissables que lorsqu’on sait les repérer, répondit le loup.
— Vous voulez dire qu’elles ont des barbes, dit Aslan moqueur avec un peu de retenue tout de même.
— Mais oui, elles ont des barbes, répondit Grombrindal. C’est d’ailleurs ce qui fait leur charme. Vous savez sûrement que plus elle est abondante et mieux c’est.
Aucun d’eux ne comprenait ce qu’une femme avec une barbe avait d’attirant, mais de toute façon, cela était l’affaire des nains. Bientôt les assiettes furent vides et le roi s’était adossé à sa chaise en se tenant le ventre. Cette fois-ci, ils avaient échangé de rôle, c’étaient les humains qui posaient des questions au nain.
— Et vous avez tout aménagé vous-même ? demanda Gaétan.
— Oui et cela nous a pris bien des générations de nains. Elle n’est d’ailleurs toujours pas finie. Il nous reste une bonne partie de la montagne non exploitée. Il y a bien longtemps que les nains commencèrent à la creuser avec des pioches…
Le roi continua ainsi à parler de tout ce que les nains avaient entrepris depuis des siècles, et de toutes les constructions qu’ils avaient faites avec magnificence, sous leur regard impressionné. Il leur parla aussi des batailles auxquelles ils avaient participé, gagné, de leur alliance avec les autres créatures et lorsqu’enfin il estima que leur rencontre touchait à sa fin, il appela quelques-uns de ses serviteurs et leur demanda de les conduire jusqu’à leurs nouveaux appartements.
— Je ne pense pas que nous puissions rester très longtemps, dit Vagabond.
— Restez le temps qu’il vous faut. Et si un jour vous estimez être assez resté, vous n’aurez qu’à venir me prévenir, répondit Grombrindal.
Ils le quittèrent donc après de brèves salutations, puis ils furent reconduits dans les immenses galeries de la montagne. Il y avait tellement de passages, de couloirs entrecroisés et d’escaliers. Ils étaient totalement perdus, désorientés au milieu de tous ces nains. Tout se ressemblait, les piliers comme les murs restaient les mêmes, avec quelques changements de couleur toutefois. Les fresques seules leur montraient qu’ils ne tournaient pas en rond. Ils montèrent deux niveaux, tournèrent tantôt à droite, tantôt à gauche, pour finalement se retrouver dans un énième couloir, désert cette fois, troué de porte.
— Septième porte à gauche, leur dit le nain qui les accompagnait avant de repartir.
Perplexes, ils franchirent les derniers mètres, ouvrirent la porte qui les intéressait et découvrirent une chambre. Elle était toute petite : des murs de pierres simples, pas d’ornement, quatre piliers, une simple penderie et deux lits superposés.
— C’est petit, furent les seuls mots qu’Alban réussit à dire.
— Ils n’ont pas pensé à vous, dit Aslan au loup en inspectant la pièce.
— Ils ne doivent sûrement pas avoir l’habitude d’accueillir beaucoup d’autres créatures, différentes des nains. Ces lits sont trop petits, remarqua Félicité.
Aslan et Gaétan s’installèrent mollement en inspectant la pièce.
— Je croyais que les nains avaient la meilleure hospitalité du monde. Je me suis trompé, dit Gaétan.
— Non. Je pense plutôt que leur hospitalité se limite entre eux, dit Vagabond. Étant donné qu’ils ne connaissent pas grand-chose du monde extérieur.
— Ce doit être ça, dit Gaétan.
— On ferait bien d’aménager la pièce, dit Aslan. Je doute qu’on puisse tenir sur ces lits, peut-être à part vous, Vagabond.
— Je préfère le sol, répondit celui-ci.
Après qu’ils se soient mis d’accord, ils avaient donc retiré draps et matelas des sommiers, avant de les aligner par terre. Ils avaient ainsi formé un unique matelas sur lequel ils pouvaient tenir tous quatre de façon plus confortable. Puis, comme les couvertures naines étaient trop courtes, ils avaient sorti les leurs pour être bien couverts. Vagabond quant à lui trouva sa place près d’eux sur des coussins.
— Ça devrait le faire, dit Aslan.
— Mais on ne va sûrement pas se coucher maintenant. On est qu’en milieu de journée, dit Alban.
— Oui, c’est sûr, dit Aslan.
— J’aimerais aller voir les chevaux pour voir comment ils sont installés, dit Gaétan.
— Ce serait, en effet, une des choses à faire, dit Vagabond. Je vais voir s’il n’y aurait pas un nain pour nous conduire.
Comme le loup sortait, ils le suivirent, en quête d’un nain. Là, devant la porte du couloir, ils en trouvèrent deux qui semblaient monter la garde. Ce n’était pas pour les rassurer. Au moment où les nains les virent, ils sursautèrent, la hache levée. Ils ne devaient pas s’attendre à les voir sortir si tôt.
— Ah ce n’est que vous, dit un des nains soudainement soulagé, et ils baissèrent leurs armes. Que voulez-vous ?
— Nous aimerions rendre visite aux chevaux, répondit Vagabond. Pouvez-vous nous y emmener ?
— Bien naturellement, dit le deuxième nain.
Alors celui-ci brandit une main pour leur indiquer de le suivre et ils s’engouffrèrent une nouvelle fois au milieu du petit peuple. Leur guide les fit monter plusieurs escaliers, vers les parties supérieures de la montagne, où l’air frais semblait plus abondant, comme s’ils se dirigeaient vers une sortie. Les nains se faisaient de plus en plus rares dans cette partie de la montagne. Bientôt, ils n’en rencontrèrent plus aucun, continuant à marcher pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une portion déserte, remplie de bourrasques de vent. Là, ils rencontrèrent une lourde grille de fer forgé que le nain ouvrit rapidement, avant de leur faire signe de le suivre de l’autre côté.
— Venez, leur dit-il.
Ils obéirent, firent quelque pas et découvrirent avec bonheur une grande ouverture sur le monde extérieur, leur dévoilant de nouveau le ciel, puis les arbres ainsi que la plaine enneigée. Tout était calme au-dehors, rien ne bougeait, seuls les courants d’air animaient le paysage. Ainsi heureux de pouvoir respirer le bon air extérieur, ils ne pouvaient s’empêcher de sourire. Ici, les tristes cachots étaient devenus un lointain souvenir. Une fois qu’ils eurent assez profité de ce nouvel état des choses, ils s’avancèrent sur la plate-forme rocheuse surplombant le vide, à la recherche de leurs chevaux. Ils ne les voyaient nulle part, malgré la botte de foin installé pour eux. Inquiet, ils se retournèrent vers le nain, les yeux interrogateurs et pour seule réponse, celui-ci leur désigna le plafond. Sans comprendre, ils levèrent alors la tête sur la pente escarpée de la montagne. C’est là qu’ils les virent, à la recherche d’une nourriture plus abondante, leurs sabots glissant quelquefois sur des pierres instables. Mais le plus ennuyant est qu’ils n’avaient pas été dessellés.
— Vif-argent, appela Gaétan.
Celui-ci releva la tête et hennit en le voyant.
— Venez, dit Alban à l’attention de sa famille.
— Je crois que je vais rester en bas et profiter de la vue, dit le loup.
Tout en regardant les humains se mettre à la recherche d’un passage vers leur monture, il s’était assis tranquillement, la fourrure secouée par le vent. Attendre, ne rien faire, rafraîchi par une bonne brise, c’était le bonheur pour Vagabond. Ils pouvaient enfin prendre le temps de se détendre. Ses pensées tout de même tournées vers le centaure qui ne devait pas encore être rentré. Derrière lui, les humains s’étaient lancés dans une expédition difficile. La roche qu’ils voulaient escalader était glissante par la neige et les herbes mouillées. Bien que leur ascension soit courte, elle ne leur valut pas moins quelques bobos.
— Haï, gémit Félicité qui venait de se couper la main sur une pierre aiguisée.
— Ça va ? demanda Aslan.
— Oui, ça va, dit-elle en finissant de grimper.
Elle posa enfin le pied sur l’escarpement où se trouvait sa pouliche. Sa main blessée serrée sur sa poitrine, elle la rejoignit.
— Mince, regarde-toi, dit-elle à Baie d’or en la caressant. Ton filet t’a fait de belles marques cuisantes.
Le temps froid qui régnait à cette hauteur avait asséché les cuirs des harnachements, leur égratignant ainsi la peau. Gaétan, qui ne l’avait pas vu tout de suite, examina le ventre de son cheval.
— On ferait bien de les enlever, dit Aslan en regardant Flamme à son tour.
— Allez, on descend, dit Gaétan.
Choisissant une pente moins abrupte épargnée par la neige, ils entraînèrent donc leurs chevaux à rejoindre la grotte. Ils y arrivèrent sans trop d’accrochage. Quand il les vit ainsi réapparaître, leur guide nain avait aussitôt ouvert de grands yeux paniqués.
— Mais que faites-vous ? s’exclama-t-il comme s’il avait peur qu’ils s’enfuient.
— On va enlever leurs selles et leurs filets. Ça les a blessés, dit Félicité.
Le nain parut alors se décontracter, mais il semblait tout de même intrigué. D’un œil intéressé, il les regarda donc aligner leurs chevaux devant la grille, avant de leur enlever, filet, selle, tapis, qu’ils posèrent ensuite sur le sol.
— Mais ce n’est pas du cheval ?! s’exclama le nain.
— Non bien sûr. Ce n’est que des aides pour les monter et les diriger, dit Aslan.
— Ah bon ! De ma vie je n’avais rien vu de pareil, dit le nain.
Sa surprise et son ignorance les fit rire, en même temps que Vagabond, qui n’avait lui-même jamais entendu de telles drôleries. Ensuite, ils restèrent encore un peu en compagnie de leurs chevaux. Ils les brossèrent et vérifièrent leur confort tout en discutant avec Vagabond et le nain. La créature leur apprit qu’il s’appelait Ungi. Il leur parla un peu de son rôle de soldat du roi et de ce qu’il faisait dans la cité. Puis, décidant qu’ils avaient passé assez de temps dans les hauteurs de la montagne, ils quittèrent leur monture, pour se faire ramener sans cérémonie dans leur appartement. Ils avaient bien essayé de lui demander de leur faire une petite visite de la montagne, mais le nain leur avait opposé un refus catégorique. Chacun d’eux n’avait d’ailleurs pas compris pourquoi. Cependant en revoyant le nain resté de garde devant le couloir menant à leur chambre, leur esprit s’ouvrit sur la vérité blessante que les nains n’avaient pas confiance en eux et qu’ils préféraient garder un œil sur leur personne autant que sur le loup. Tout cela ne les rassurait pas, ils décidèrent donc qu’ils quitteraient la montagne dès demain.
— Ces nains sont trop méfiants, dit Gaétan. On ne leur fera rien.
— Il faut comprendre, dit Vagabond, qu’ils ne connaissent rien des hommes. Et que par conséquent, ils ont peur de vous. De toutes les façons, nous avons perdu trop de temps ici. Rester davantage ne nous apprendrait rien de plus.
— Je sais que nous devons continuer, mais nous n’avons aucune idée des actions de l’ennemi ou de leur emplacement, dit Aslan.
— Et s’ils nous attendaient hors de vue des nains, dit Alban.
— Dans ce cas, ils seraient sûrement à plus d’une journée de nous. Mais c’est le risque à courir, répondit Vagabond. Pour l’instant, il faut que j’aille prévenir le roi que demain nous partirons.
— Je vous accompagne, dit Alsan.
Le loup inclina la tête et ils sortirent tous deux de la chambre. Félicité poussa un soupir puis alla s’étaler sur leur lit improvisé, à côté de ses cousins.
Le roi des nains était toujours installé sur son trône quand Aslan et Vagabond arrivèrent dans l’immense salle carrelée de noir, au plafond presque invisible au-dessus de leur tête. Tout sourire, il semblait heureux de les voir. Il avait donc sans attendre demandé à ce qu’on apporte chaises et amuse-bouche pour ses invités. Un accueil digne des rois. Cependant, sa joie retomba vite lorsque Vagabond lui apprit leur décision.
— Comment ça ? Vous partez demain ! s’exclama Grombrindal.
— Oui, c’est ce que nous avons décidé de faire, dit le loup.
— Très bien, partez comme bon vous semble, dit-il sur un ton d’amertume. Même si vous venez à peine d’arriver. Malgré cela, permettez-moi de vous inviter pour un dernier repas convivial. Qu’en pensez-vous ?
— Volontiers, dit le loup.
— Alors je vous attendrais pour neuf heures.
Vagabond le remercia et ils s’en retournèrent. Ils étaient sur le point de le quitter quand Aslan se ravisa.
— J’ai une question, dit-il. Avez-vous une quelconque information sur l’ennemi et sur ses déplacements ?
— Hum, je ne m’attendais pas à ce que vous ayez des questions à ce sujet, répondit le roi. Les histoires de guerre ne devraient normalement pas vous tracasser.
— S’il vous plaît. Même si vous pensez que nous ne sommes pas concernés, nous sommes en plein dans le vif du sujet. Notre mission et celle du roi, Gallad, font partie intégrante de cette guerre. Je ne peux malheureusement pas vous en parler davantage, mais c’est très important pour nous de savoir exactement où se trouve l’ennemie en ce moment.
— Je vois que je m’étais en partie trompé à votre sujet. Maître loup, ce qu’il dit est-il vrai ?
— Je crains que oui, et qu’il ait raison, répondit Vagabond. Si je puis me permettre, je dirai même que l’issue de cette mission, révélera la fin tragique ou victorieuse de la guerre. Je dis bien évidemment cela, en connaissance de cause.
— Ce qui veut dire que vous n’avez pas intérêt, pour notre monde, à tomber dans un guet-apens, finit par dire le roi des nains.
— En quelque sorte, répondit Vagabond.
— Bien, je vais vous dire ce que je sais. Il y a plusieurs semaines, on est venu m’informer que des troupes d’hommes s’avançaient hors d’Alessa et que Carnak se préparait. Que les bataillons de l’ennemi se faisaient plus forts et qu’il fallait que nous renforcions nos défenses.
— Alors ils étaient au courant de cette attaque depuis longtemps ! s’exclama Alsan.
— Oui, dit le roi. Nous avons donc posté des nains tout autour de la montagne en tant qu’éclaireurs, dès cette information reçue. Ceux-ci regardent désormais constamment au loin pour discerner un quelconque mouvement. Mais depuis le soldat elfe, nous n’avons plus aucune nouvelle. Seulement peut-être un cavalier blanc et seul, qui est passé non loin de notre entrée principale, il y a seulement une journée.
— Un cavalier blanc, répéta Vagabond.
— Oui.
— Et vous ne savez pas ce qui est arrivé au Rêves Éveillés ni où en sont les troupes ennemies, insista Aslan.
— Non, rien du tout. Je vous ai dit tout ce que je savais.
Aslan soupira, réfléchissant à la révélation du roi nain et finit par relever la tête vers lui.
— Merci, dit-il, c’est peu, mais au moins nous savons qu’ils ne sont pas tout prêt d’ici.
Le roi nain inclina la tête en signe d’affirmation. Comme ils n’avaient plus rien à lui demander, Aslan et Vagabond le quittèrent finalement après une brève révérence. Ils retrouvèrent ensuite rapidement les autres dans la chambre, avant qu’Aslan ne s’empresse de tout leur répéter. Il s’attendait évidemment à ce que ses frères et sa cousine n’apprécient pas d’apprendre que l’attaque de la cité avait été prévue depuis longtemps. Ils n’en revenaient tout simplement pas.
— Et vous ne nous avez rien dit ! s’écria sa cousine. Pourquoi avoir attendu le dernier moment ?
— Nous ne voulions pas vous affoler, répondit le loup. Nous préférions vous faire sortir à leur insu, plutôt qu’ils ne nous trouvent sur leur chemin.
— Et si nous n’avions pas réussi à sortir, que se serait-il passé ? demanda Gaétan.
— Ça aurait forcément marché. Nous avions tout prévu. Cornegrise et moi. Jusqu’au moindre détail.
Voilà quelque chose de totalement incroyable. Depuis le début on leur avait menti. On s’était joué d’eux tels des poupées sans cervelle. Il était hors de question que cela continue. Ils voulaient être considérés, faire partie des discussions importantes, avoir la possibilité de prendre leurs propres décisions. C’était leur vie, leur personne, le loup n’avait pas le droit de continuer à choisir pour eux. Après tout, c’était eux qui procédaient les clefs de la réussite. Vagabond devait en prendre conscience. Lui ne s’attendait pas à être sermonné de la sorte. Il croyait bien faire. On lui avait demandé d’assurer leur protection et c’est ce qu’il avait fait même si ça leur déplaisait. S’ils étaient arrivés jusque-là, c’était grâce à lui et au centaure. Alors même si effectivement ils étaient dans l’ignorance, ils n’avaient pas le droit de lui en vouloir. C’était difficile à accepter, mais avaient-ils vraiment le choix ? Chacun avait agi de la façon qu’il pensait la meilleure pour mener à bien la mission de Gallad. Peut-être, oui, aurait-il dû les en informer. Dans ce cas, tout se serait-il aussi bien passé ? Pas sûr. Pourquoi alors continuer sur ce sujet ? Ils ne pouvaient revenir en arrière. Tout ce qu’ils pouvaient faire était de se promettre de ne plus rien se cacher. Leur avenir en dépendait. Ils devaient être soudés. D’accord là-dessus, ils avaient ainsi refermé ce sujet. D’autres, plus récents, méritaient un aussi grand intérêt. Qui était ce cavalier blanc dont leur avait parlé Aslan. Pourquoi était-il seul à roder autour de la cité ? Devaient-ils s’en inquiéter ? Ils n’en avaient aucune idée. D’autant que cette fois, le loup n’avait pas voulu se mêler de leur discussion. À la place, il s’était refermé sur lui-même, pensif. Là encore était-il au courant de quelque chose ? Félicité était prête à le parier. Mais en vue de la promesse qu’ils s’étaient faite juste avant, il ne devait pas être assez sûr de lui pour leur confier ce qu’il savait. Elle décida de n’en rien dire et d’attendre de voir. Les gardes étaient finalement venus les chercher au milieu de leur conversation. Le roi nain les attendait pour le dîner. Obligés, ils les avaient donc suivis jusqu’à la salle du trône. Une magnifique table de marbre et d’argent, surchargée de nourriture, y avait été installée. Grombrindal, présent, semblait toujours aussi heureux de les voir.
— Prenez place, ne vous gênez pas, leur dit le roi.
Comme on leur présentait des chaises, ils s’assirent en sa compagnie. Presque aussitôt, des nains étaient apparus, prêts à remplir leurs verres de boisson.
— Les inviter en premier, dit alors Grombrindal.
Ses serviteurs lui obéirent sans attendre. Ils remplirent leurs verres d’eau et de vin, puis à l’aide de grosses cuillères ils remplirent leurs assiettes de pierre. À tel point que les viandes et légumes en débordaient presque.
— Comme vous partez, je compte aussi faire préparer des provisions à votre attention, dit le roi.
— Merci, dit Vagabond. C’est aimable de votre part.
— Merci, dit Félicité.
— Je ne sais pas combien de temps durera votre voyage. Mais vous pouvez me demander ce que vous voudrez en nourritures, dit le roi.
— Peu importe, dit Alban. Tant que ça se mange.
— Je vois qu’il y a au moins quelqu’un qui a le sens de l’humour, dit le roi.
Il semblait ravi d’avoir rencontré une personne qui aimait rire. Aussi, tout le début du repas, ils ne cessèrent de s’échanger des blagues, qui les amusaient fort bien. Félicité, seule, n’y trouvait rien de drôle. Elle aurait préféré de loin discuter de choses plus importantes. D’un œil alarmé, elle regarda donc son cousin raconter des idioties au roi des nains, jusqu’à ce que cela finisse par les lasser tous deux. Puis le sujet était parti pour son plus grand plaisir sur les elfes. Seulement, contre toute attente, Grombrindal avait ensuite, sans gêne, fait grand cas des elfes qu’il n’appréciait pas du tout, ne comprenant pas leur intérêt pour les plantes. Toutes les choses qui poussaient lui importaient peu. Lui préférait largement les minéraux qu’il pouvait extraire de sa montagne.
— La pierre et les joyaux sont les plus beaux trésors de cette terre à mon avis. Sinon, comment construirions-nous nos maisons ?
Et il continua ainsi à parler de tout ce qu’il était possible de faire avec la pierre et de tout ce qu’eux même avaient réalisé. Le roi en tirait une telle fierté. Sa montagne c’était sa vie. Ils l’écoutèrent donc attentivement sans faire de commentaire. De toute façon, Grombrindal ne les aurait même pas pris en compte, tant il était concerné par ce qu’il disait. Pour en arriver à un sujet plus sérieux qu’était la cité principale. Avait-elle été prise ou avait-elle réussi à repousser l’ennemi ? Toutes les possibilités étaient permises. Quoi qu’il en soit, ils pouvaient bien tout imaginer, même les moins probables, ils n’en seraient pas plus. Ils ne pouvaient qu’espérer qu’elle soit sauve. Tandis qu’ils parlaient, les serviteurs étaient toujours là, attentifs à tout ce qui se passait sur la table. Quand une assiette se vidait, ils accouraient pour la remplir de nouveau, quand un plat était fini, un autre était apporté. Les verres non plus ne désemplissaient pas. Jusqu’à ce que le roi ne puisse plus rien avaler ni boire. Pour leur part, ils avaient abandonné le contenu de leur assiette bien avant cela.
— Eh bien, c’est la première fois que mes invités m’offrent autant de plaisir, dit le roi en souriant magistralement tout en faisant de grands gestes à chaque fois qu’il parlait.
À vrai dire, le vin avait coulé à flots. Il n’avait plus toute sa tête et ça les amusait.
— Demain je vous ferai tirer du lit à sept heures, le temps de vous lever, continua le roi. On m’a même dit que vos chevaux nécessitaient une certaine préparation, ce qui m’a fort étonné. Des selles, qu’ils m’ont dit. Jamais entendu parler. Pour vos provisions, que voulez-vous ?
Cela leur importait peu, mais le roi insista tellement qu’ils finirent par faire une liste complète de ce qu’ils emporteraient. Le roi, enfin satisfait, leur permit de partir se reposer. Reconnaissants, ils se souhaitèrent bonne nuit et le quittèrent. Le ventre plein, le repas avait été des plus éprouvants.
— Il est vraiment très bavard, dit Alban.
— En tout cas moi j’ai hâte de partir. J’ai l’impression de perdre mon temps, dit Aslan.
— Vous feriez mieux de vous taire, ajouta Vagabond.
Les nains qui marchaient près d’eux n’avaient pas l’air de les écouter, mais ils avaient des oreilles. Plus aucune parole ne fut donc échangée entre eux jusqu’à ce qu’ils atteignent leurs chambres.
— Ce roi a quand même dit beaucoup de choses intéressantes, dit Félicité. En particulier sur les dragons et les secrets qu’ils ont découverts. Vous savez, quand il parlait des montagnes et de la pierre.
— Personnellement j’ai écouté sans comprendre. Il parlait tellement que la majorité m’a échappé.
— Pff, désespérant, marmonna leur cousine.
— Bien, dit le loup en coupant court à leur conversation. Nous partons demain et il serait bon que nous soyons en forme.
Surpris par son intervention, ils s’étaient tournés vers lui. Le loup s’était installé pour la nuit, prêt à s’endormir. Comprenant ainsi qu’il ne supporterait pas d’autre bavardage, ils s’installèrent côte à côte sur leur lit de fortune. Dans leur silence, ils pouvaient entendre le bruit que faisaient les nains dans la montagne, régulier, répétitif, les emmenant progressivement vers le sommeil.
Comme promis, à sept heures précises, les nains étaient venus les réveiller. Ils avaient ensuite rapidement rassemblé leurs affaires avant de sortir dans les galeries. Le roi avait tenu à leur faire prendre un petit déjeuner complet, puis on les avait conduits auprès de leurs chevaux. Tout leur faisait sentir que les nains étaient pressés qu’ils s’en aillent. Leur silence, la rapidité de leurs pas, leurs manies de s’assurer qu’ils suivaient bien l’ordre de départ. Grombrindal avait eu beau leur dire qu’il était peiné de leur départ, les garder dans ses montagnes ne le rassurait pas moins. Tant qu’il pouvait ne pas se mêler des affaires extérieures, il en était content. Ils ne les laissèrent ensuite seuls qu’une fois conduits auprès de leurs chevaux.
— Si nous étions arrivées dans un endroit plus chaleureux, je n’aurais sûrement pas eu envie de repartir, déclara Félicité.
— Peut-être pas aussi rapidement, lui répondit Vagabond. Mais vous seriez reparti tout de même.
Elle le regarda, assis auprès d’eux, triste par ces paroles qui étaient sans aucun doute justes.
— Ce que je me demande, c’est, où irons-nous maintenant, dit Aslan en prenant sa selle à deux mains pour la mettre sur le dos de Flamme.
Il allait la poser lorsqu’il vit Gaétan qui, accroupi, les mains agrippées à la crinière de son cheval, haletait bruyamment. Soudainement inquiet, il laissa tomber sa selle pour courir à son aide.
— Gaétan ?! appela-t-il en alertant les autres.
— Gaétan, dit sa cousine affolée. Qu’est-ce qui se passe ?
Sans crier gare, Gaétan lâcha la crinière de son cheval et s’écroula à terre. Le visage crispé de douleur, il laissait échapper des cris de détresse.
— Vagabond, dit Aslan. Que faire ?
Celui-ci ne répondit pas, se contentant de regarder Gaétan s’agripper au sol, comme pour échapper à quelque douleur invisible. Puis tout à coup, plus rien. Gaétan s’était évanoui. N’y tenant plus, Félicité agrippa son cousin par les épaules et le secoua comme un diable.
— Gaétan, réveille-toi, dit-elle dans son désarroi.
Aslan et Alban essayèrent alors de lui faire lâcher prise, mais rien, jusqu’à ce que Gaétan rouvre les yeux, le visage crispé en une grimace inhumaine. À ce signe de vie, Félicité troqua sa peur contre une douce anxiété. Lui prenant tendrement la tête à deux mains, elle l’aida à s’asseoir.
— Gaétan, chuchota Alban.
— Mon dieu, tu vas bien ? demanda sa cousine.
— Que s’est-il passé ? demanda Aslan, inquiet.
Son frère baissa la tête puis ferma les yeux. Longuement il laissa échapper un soupir d’horreur…
— Encore une de tes visions ? fit Aslan.
À ces mots, Gaétan redressa la tête pour fixer son frère droit dans les yeux, sans un mot. Il avait l’air tellement troublé. Une profonde tristesse peignait son visage.
— C’est vraiment ça ? dit Alban.
— Qu’avez-vous vu ? demanda Vagabond.
Comme si la douleur était encore trop présente, il secoua la tête, au bord des larmes. Puis, il se passa une main sur le visage pour se donner du courage, respira profondément et parla.
— Ça faisait tellement mal, répondit-il.
Aslan, Alban et Félicité le regardaient sans comprendre. Ils ne savaient absolument pas comment réagir.
— Racontez-nous, dit le loup. Le fardeau en sera allégé.
Gaétan ferma les yeux une nouvelle fois. Il pleurait maintenant sans retenue.
— C’était comme si j’y étais, comme si je le vivais.
Sa voix tremblait sous l’effort. L’on voyait clairement que chaque parole lui coûtait et chacun resta immobile de peur de dire ou de faire quelque chose qui l’arrêterait dans sa lancée.
— J’étais sur le champ de bataille et j’entendais des cris, des voix qui appelaient. Je me battais, il y avait des morts partout et une épée m’a frappée. Je n’ai pas compris ce qui se passait. Tout ce que je savais c’est que j’avais tellement mal. Je me sentais mourir et je crois qu’en fait c’est ce que je voulais, pour ne plus rien voir, pour ne plus souffrir.
— Non, non, dit Félicité. Jamais tu ne mourras.
Gaétan la regarda d’un regard si profondément touché et abattu, que sa cousine en fut frappée de plein fouet. Elle se tue.
— Et puis j’ai vu une fille, continua-t-il. Très belle, habillé de blanc, qui galopait en travers de la forêt.
— Une fille, dit Alsan avec un sourire comme pour essayer de lui remonter le moral.
— Je crois qu’elle s’enfuyait. Comme nous.
Gaétan continuait à pleurer. La brève plaisanterie de son frère lui était passée inaperçue. Au côté de ce qu’il avait vu, ça n’avait pas grand intérêt. Ils s’attendaient à ce qu’il continue, mais il n’en fit rien. À la place, il se releva en s’essuyant les yeux.
— Est-ce tout ? demanda Vagabond.
— Oui.
— Bien. Préparons-nous. N’y pensez plus, dit le loup à l’adresse de Gaétan. Nous en reparlerons le moment venu, lorsque la situation s’y prêtera.
Ainsi, ils mirent de côté ce qui venait de se passer et ils reprirent ce qu’ils étaient en train de faire. Le loup, quant à lui, était allé s’asseoir à l’écart. Ses yeux scrutant régulièrement Gaétan. Cette guerre qu’il avait vue, le loup n’en était pas sûr, mais ses pensées étaient toutes tournées en direction de la cité. Là-bas, en effet, il devait y avoir eu des morts. Et cette fille habillée de blanc. Il la connaissait que trop bien. Voilà donc le cavalier blanc qu’avaient aperçu les nains. Jamais le roi n’aurait permis qu’elle chevauche durant la bataille. Elle avait dû profiter de cela, pour s’éclipser en cachette. C’était un problème de plus. Mais pour le moment ce qui lui importait était Gaétan. Cette vision l’avait bouleversé, aussi profondément que s’il avait lui-même participé à ces combats. Gallad l’avait prévenu qu’il pouvait voir des choses dans le temps, mais pas que ça pouvait l’atteindre physiquement.
Enfin prêts, les nains les avaient reconduits aux portes principales par lesquelles ils étaient entrés. Puis la mine grise, ils les avaient regardés reprendre la direction du nord. Les au revoir avaient été brefs, le roi des nains n’était même pas venu. Ainsi, les portes de pierres avaient très vite été refermées tandis que les cinq voyageurs disparaissaient dans l’ombre de la cité cachée d’Arcoa Imirin.
Soucieux depuis quelque temps, ses craintes venaient de se réaliser. Eldacar était revenu il y avait quelques heures à peine, apportant avec lui les nouvelles de l’ennemi en marche, quittant Alessa pour assaillir les Rêves Éveillés. Cette armée, d’après ses dires, était majoritairement constituée d’hommes, comportant malgré tout dans ses rangs des gobelins et des trolls, recouverts d’armures de fer et très bien armés. Ils n’avaient d’ailleurs pas été très durs de les repérer. Ils détruisaient et brûlaient tout sur leur passage. L’armée s’estimait à environ une semaine de la cité, mais suffisamment proche pour éveiller les doutes du roi. Que faire ? Ses éclaireurs suivaient la progression de l’armée ennemie, ses soldats se préparaient mentalement et physiquement à l’attaque, ils ne pouvaient agir davantage sinon attendre. Et ces humains qui résidaient chez lui, qu’il avait invité il y a de cela quinze jours. Le temps était venu de les revoir de nouveau sous la forme de cette silhouette en manteau qui les intriguait tant. Mais avant cela il fallait qu’il aille trouver Cornegrise et qu’il prévienne Vagabond de ce qu’il adviendrait. Pensif, assis sur son siège de pierre, Gallad finit par se lever, appelant sa suivante auprès de lui. Bientôt, elle apparut prête à l’écouter. Gallad l’envoya sans attendre à la recherche de Cornegrise et du loup. Quelques minutes plus tard, Mélisse revenait, suivie du centaure, puis elle disparut.
— Bonjour, dit Gallad.
— Salut mon roi, répondit le centaure en s’approchant de lui. Que se passe-t-il ? Les elfes sont agités, les femmes et les enfants de ce peuple se préparent à fuir en leur pays.
— Oui… Cela doit en être ainsi, car l’ennemi a envoyé une armée sur nos terres. Elle compte au moins quinze mille pieds en marche.
— Quinze mille ! Nous n’en avons pas autant.
— Non certes, à la place nous avons des paires d’ailes. Mais ce n’est pas de cela que je voulais te parler en premier. Même si ça a un rapport direct avec la bataille qui se prépare.
Le centaure le regarda soudain avec intérêt. Qu’est-ce que le roi avait bien pu imaginer pour la bataille ? C’était vrai, ses idées étaient bonnes et avaient jusqu’ici parfaitement réussi. Cependant les temps avaient changé et il fallait être plus efficace. L’ennemi connaissait maintenant la majeure partie de leur défense pour les avoir subis eux-mêmes et ils avaient aussi de bons moyens de renseignement. Curieux sur les pensées du roi, il le poussa à en dire davantage.
— De quoi s’agit-il ?
— Les humains doivent quitter la cité. Pas de n’importe quelle façon bien sûr. Tout d’abord je dois leur remettre la nouvelle clef du livre, puis penser à ce que sera leur chemin.
— Et quel sera mon rôle ? Puise que c’est pour cela que vous m’avez appelé.
— C’est vrai, avoua le roi. Tu sais que Vagabond partira avec eux. J’aimerais que tu en fasses autant.
— Mais mon seigneur, je ne peux partir sans protéger la cité en premier. Vous connaissez mon tempérament, je ne peux fuir devant une attaque, qui plus est envers vous.
— Je savais que tu refuserais devant une demande. Mais rejetterais-tu un ordre ? lui demanda Gallad.
Le centaure se tut alors, atterré par ses paroles. Il abaissa les yeux, la mine aigrit, ne sachant que dire. Les ordres, il les avait tous suivis avec plaisir, mais celui-ci tombait comme un poids lourd au creux de son estomac, le tiraillant de tous côtés. Étant soldat de la cité, il devait sans se plaindre obéir à toutes les volontés de son seigneur. Malgré tout, son amour pour lui le poussait à rester auprès de lui pour le protéger. Devoir le quitter pour fuir devant un danger lui emplissait le cœur de répugnance envers ce nouvel ordre. Il sentait bien également que le roi le regardait en cet instant, essayant sans doute de suivre son combat intérieur.
— Tu sais, des centaines d’autres seront là pour me défendre. Un centaure à lui seul devant toute une armée ne peut faire de différence. Je ne te demande pas de me dire tout de suite ce que tu décides, lui dit le roi. Nous ferions mieux de changer de sujet. Apporte-moi les nouvelles de ce kobold que tu suis.
Cornegrise releva les yeux vers son roi et essayant de faire abstraction des paroles passées, il commença à lui narrer tout ce qu’il avait pu découvrir. Tout d’abord il lui parla des nombreux allers et retours dans le château que faisait le kobold dans la journée, malgré le nouvel ordre qu’il avait reçu quelques jours plus tôt. En effet, le roi l’avait rappelé pour lui apprendre que sa mission auprès des humains était terminée et qu’il n’avait plus besoin de les surveiller. Broquin était reparti grognon, traînant des pieds. Cependant, le centaure avait remarqué qu’il n’avait pas pour autant quitté les jeunes des yeux, continuant à les observer à chaque fois qu’il en avait l’occasion. Ses séjours en cuisine étaient rares. Il semblait préférer rôder autour du château en quête d’une quelconque information. Vagabond à qui Cornegrise avait demandé de l’aide par la suite, suivait discrètement le kobold à chacune de ses sorties, retraçant son itinéraire. Le loup lui avait ainsi rapporté qu’il avait vu la créature sortir au moins deux fois du château au milieu de la nuit depuis deux semaines pour aller dans les ruelles près de la porte principale. Comme il y faisait sombre, le loup n’avait toujours pas découvert où il allait, mais continuait à le suivre. Gallad l’écoutait sans l’interrompre, les yeux dans le vide, semblant réfléchir aux nouvelles que lui apportait le centaure. Tout cela il l’avait pressenti, mais les allers et retours du kobold l’inquiétaient. Il devait trouver un moyen de faire cesser les agissements malhonnêtes de cette créature au plus vite, sans alerter la population. Apparemment le kobold agissait seul et n’avait aucun contact au Rêves Éveillés, malgré cela, il semblait qu’il quittait la cité de nuit pour aboutir à quelques mauvais méfaits. Sortant de ses pensées, il entendit alors qu’on frappait à la porte. Un instant après, Vagabond entrait, se dirigeant droit vers lui.
— Bonjour Gallad, dit-il.
— Bonjour Vagabond, j’espère que je ne t’ai pas dérangé au milieu d’une activité.
— Non, je n’étais qu’en train de pister Broquin, monseigneur. Il se trouve en ce moment dans les rues marchandes à espionner chaque fait et geste des habitants.
— Et à écouter les ragots, dit Cornegrise.
— Oui, entre autres.
— Nous étions justement en train de parler de lui, dit Gallad. Et d’après ce que j’ai compris, il sortirait la nuit.
— Oui, pendant environ une bonne heure. Il part d’ici pour aller en un point que je ne connais pas. Et si vous cherchez à l’arrêter, cette créature n’a fait aucun écart nous permettant de le coincer, répondit le loup.
— En tout cas, il n’aura plus beaucoup d’occasions de nous espionner dans quelque temps.
Ne comprenant pas, le loup regarda le roi et le centaure d’un regard pénétrant. Un silence mystérieux s’installa alors, jusqu’à ce que le roi consente à parler.
— Je vais convoquer les humains. Il se peut que ce soit leurs derniers jours ici. Lorsqu’ils partiront, il faut que leur départ soit calculé et préparé afin qu’ils ne rencontrent aucun ennemi sur leur route. Au début du moins. Mais cela dépendra de Cornegrise, il vous accompagnera si vous le voulez.
— Monsieur c’est à vous de décider, répondit Vagabond. Mais je trouve que c’est une bonne idée.
— Je crois, dit lentement le centaure, que je vais accepter.