Rococo - Les Grands Articles - E-Book

Rococo E-Book

Les Grands Articles

0,0

Beschreibung

Les termes qui désignent les styles sont très souvent, dans leur acception primitive, des mots péjoratifs : gothique, maniérisme, baroque, pompier ont été ou sont encore employés avec une valeur polémique. Ils permettent de qualifier, ou plutôt de disqualifier, le goût réputé mauvais d'une époque révolue...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 99

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Universalis, une gamme complète de resssources numériques pour la recherche documentaire et l’enseignement.

ISBN : 9782852298651

© Encyclopædia Universalis France, 2016. Tous droits réservés.

Photo de couverture : © Bluraz/Shutterstock

Retrouvez notre catalogue sur www.boutique.universalis.fr

Pour tout problème relatif aux ebooks Universalis, merci de nous contacter directement sur notre site internet :http://www.universalis.fr/assistance/espace-contact/contact

Bienvenue dans ce Grand Article publié par Encyclopædia Universalis.

La collection des Grands Articles rassemble, dans tous les domaines du savoir, des articles :   ·  écrits par des spécialistes reconnus ;   ·  édités selon les critères professionnels les plus exigeants.

Afin de consulter dans les meilleures conditions cet ouvrage, nous vous conseillons d'utiliser, parmi les polices de caractères que propose votre tablette ou votre liseuse, une fonte adaptée aux ouvrages de référence. À défaut, vous risquez de voir certains caractères spéciaux remplacés par des carrés vides (□).

Rococo

Introduction

Les termes qui désignent les styles sont très souvent, dans leur acception primitive, des mots péjoratifs : gothique, maniérisme, baroque, pompier ont été ou sont encore employés avec une valeur polémique. Ils permettent de qualifier, ou plutôt de disqualifier, le goût réputé mauvais d’une époque révolue. L’historien se trouve ainsi hériter de notions vagues et d’un usage malaisé ; la polémique ne s’embarrasse guère en effet de nuances, sa loi veut au contraire qu’elle amalgame sous un seul qualificatif désobligeant ou injurieux toutes sortes de manifestations et de phénomènes pour mieux les rejeter en bloc.

« Rococo » a encore, du moins en français, une résonance nettement désagréable. Au XIXe siècle, le mot était senti comme familier et un peu vulgaire. On le trouve ainsi dans les Promenades dans Rome, mais Stendhal l’emploie avec précaution : « Me permettra-t-on un mot bas ?... » Dans l’état actuel de la langue française, « rococo » est encore synonyme de vieillerie désuète et quelque peu ridicule. Le baroque et le maniérisme ont acquis le statut noble des grandes notions d’histoire de l’art ; « pompier » reste un vocable fortement outrageant ; « rococo » est entre les deux.

La situation n’est pas la même dans d’autres langues, et particulièrement en allemand. Mais ici surgit une nouvelle difficulté. Il est bien connu que l’art dit baroque a eu, dans les pays de l’Europe centrale, un développement extrêmement brillant au XVIIIe siècle, jusque vers 1770 ou 1780. Or cette période est désignée presque indifféremment par les Allemands sous le nom de Barockzeit ou Rokokozeit. Chez un historien tel que Wölfflin, le rococo n’apparaît que comme une nuance du baroque. Depuis les années 1950 au contraire, suivant la voie ouverte par Hans Sedlmayr, quelques savants tendent à concevoir le rococo comme une catégorie de style autonome. Le rococo serait aussi distinct du baroque, qui en gros le précède, que du néo-classicisme, qui le suit. Des travaux à tendance plus historique comme ceux de H. R. Hitchcock, ou plus philosophique comme ceux de P. Minguet, sont venus renforcer cette position.

Le problème se pose différemment selon les formes d’art que l’on envisage. Dans le domaine du mobilier, de l’orfèvrerie ou des arts décoratifs, chacun conçoit sans trop de peine ce qu’est un objet rococo, et les noms de Germain, de Caffieri ou de Verbeckt viennent aisément à l’esprit. Pour la peinture et la sculpture, la difficulté est plus grande ; Tiepolo, Maulbertsch, Boucher sont-ils des peintres baroques ou des peintres rococo ? L’idée de rococo est associée à l’usage de certaines formules décoratives ; dans ces conditions, la notion même d’une architecture rococo a-t-elle un sens ? Et si l’on consent à utiliser le terme de rococo pour l’ensemble des arts visuels, il faut remarquer que l’usage de cette catégorie ne s’étend pas aux autres arts de la même façon ; on parle de musique, de littérature baroques, on parle plus rarement de musique rococo ; on ne parle pas de littérature rococo.

Est-il possible de se tirer d’embarras en recourant à des définitions chronologiques et géographiques ? La fin du rococo est assez aisée à déterminer ; elle se situe dans les années 1760-1770, avec l’avènement des doctrines de retour à l’antique et de beauté noble et régulière issues de Winckelmann ; le néo-classicisme se développe alors dans tous les pays d’Europe, et son triomphe est manifeste vers 1780. Les débuts du rococo sont plus malaisés à fixer, et la frontière avec le baroque apparaît bien indécise ; les années 1700-1710 ont une signification pour la France, mais n’en ont guère pour les autres pays d’Europe. On rencontre ici la question de l’extension géographique du rococo ; l’idée la plus communément admise est que le lieu de naissance de ce style, si style il y a, est à situer à Paris, comme celui du baroque l’est à Rome ; cette mode française se diffuserait principalement vers l’Allemagne et l’Europe centrale, accessoirement vers l’Italie, et d’une manière très secondaire vers l’Angleterre et les autres pays. Mais, si le rococo se résume à la vogue d’un type de décor et d’ornements particulier, est-il encore légitime de le considérer comme un style ?

L’interprétation historique, sociale et intellectuelle du rococo soulève également des difficultés. Il est tentant d’y voir un style essentiellement profane et mondain ; ses premières manifestations ne se trouvent-elles pas dans les hôtels construits à Paris au début du règne de Louis XV ? Le caractère aimable, léger, parfois frivole qu’on lui reconnaît en général ne le désigne-t-il pas pour fournir le cadre d’une vie de sociabilité, de politesse et de raffinement ? Cependant, en Europe centrale, les plus beaux exemples de rococo sont à chercher du côté de l’art religieux. Ce serait le style d’une époque de développement démographique et économique, d’un temps de prospérité et de paix, voué tout entier à la quête du bonheur et au culte du plaisir. Mais le XVIIIe siècle a connu nombre de guerres, et les inquiétudes qui le traversent aboutiront à l’un des bouleversements les plus importants de l’histoire universelle. Le rococo représente-t-il l’ultime forme d’art produite par une société aristocratique en passe de disparaître ? C’est oublier tous les aspects bourgeois et populaires de ce style, c’est oublier aussi que la réaction néo-classique a été d’abord le fait des classes dirigeantes et qu’avant de fournir en motifs l’art officiel de la Révolution les partisans du retour à l’antique ont été les artistes officiels des monarques.

Les historiens et les critiques des dernières décennies ne se sont pas beaucoup intéressés au rococo ; le sujet n’est pas à la mode. Alors que de nombreuses manifestations à portée internationale, expositions et colloques, ont largement fait connaître les artistes et les œuvres de l’époque néoclassique, la première moitié du XVIIIe siècle continue à ne guère rencontrer de faveur. L’intérêt pour le rococo reste pourtant vif en Allemagne, où les publications de Hermann Bauer, disciple de Sedlmayr, ont fait connaître les grands décors de la période dite rococo. En France, les recherches de Marianne Roland Michel ont apporté des vues nouvelles sur Lajoue et les ornemanistes. En Italie, où le rococo est resté, sauf à Naples et à Turin, un phénomène marginal, l’autonomie de ce style n’est pas aisément perçue ; il faut pourtant noter des colloques et des expositions consacrés à Tiepolo et à Giqquinto, et surtout la grande exposition du Settecento napoletano. Les historiens de la littérature et des idées restent partout fascinés par le mouvement des lumières, et très rares sont les recherches consacrées à des auteurs qui ne se rattachent pas au groupe des philosophes et des encyclopédistes. L’histoire de la musique apporte des données plus intéressantes à l’étude du rococo. Pour la France en particulier, le bicentenaire de la mort de Rameau, en 1983, a ravivé la curiosité des chercheurs pour ce style.

Il est donc nécessaire de procéder à un examen critique de ce que l’on entend par rococo ; comment et quand cette notion est-elle apparue, quels rapports entretient-elle avec la notion si voisine de baroque ? Une enquête de ce genre renvoie tout naturellement aux problèmes historiques, et le premier que l’on rencontre est celui de la rocaille, comme genre décoratif ; les arts dits mineurs, que l’on a souvent tendance à traiter avec quelque légèreté, apparaissent en effet d’une importance primordiale quand il s’agit du rococo, ne serait-ce que parce que c’est le seul domaine où l’emploi du terme soit relativement clair. Il convient ensuite de se demander ce que signifie l’idée d’une peinture et d’une sculpture rococo ; pour cela il est indispensable de passer en revue quelques manifestations essentielles de ces arts pendant le XVIIIe siècle, et d’étudier la personnalité de quelques artistes majeurs. Le problème de l’architecture rococo peut alors être envisagé, dans la mesure où cette architecture apparaît plus étroitement liée que jamais aux arts du décor. Une telle revue a-t-elle des chances d’aboutir à une définition claire du rococo ? La chose n’est pas sûre, mais du moins cette méthode permettra peut-être de voir comment et dans quelles limites l’usage de ce mot et de cette notion se révèle fécond pour l’historien d’art.

1. Théories et problèmes

Le rococo n’a pas eu ses théoriciens propres. L’enseignement artistique au XVIIIe siècle repose apparemment sur les mêmes principes qu’au siècle précédent, et les institutions ne changent pas. En France, l’Académie de peinture et de sculpture et celle d’architecture continuent à fonctionner dans la forme que leur ont donnée Louis XIV et Colbert. L’étude de l’Antiquité et des maîtres de la Renaissance demeure la base de la formation donnée aux futurs artistes, et c’est là un système que nul ne songe à mettre en cause. Le couronnement des études est, pour les lauréats des concours académiques, le séjour à Rome qui permet de mieux travailler d’après les grands modèles.

Si les fondements du système sont les mêmes, il apparaît cependant que l’esprit a quelque peu changé. L’Antiquité, Raphaël, Vignole sont des dieux auxquels on rend toujours hommage, mais la foi qu’on porte en eux s’est sensiblement attiédie. L’idée d’une relativité du goût s’est introduite ; des théoriciens de l’architecture comme Frézier (Dissertation théorique et critique sur les ordres d’architecture, 1739) ou le père André (Essai sur le beau, 1741) soutiennent que les ordres, point essentiel de la doctrine classique, constituent une beauté d’habitude et de convention ; à l’occasion, ils font même l’éloge de l’architecture gothique dont les principes de construction leur paraissent particulièrement clairs et logiques. Aux jeunes peintres qui séjournent à Rome on continue de proposer les mêmes exemples : Raphaël, les Carrache, le Dominiquin, Poussin, mais, dans les trente premières années du XVIIIe siècle, les directeurs successifs, Poërson, puis Wleughels, laissent aux élèves la plus grande liberté ; vers la fin de sa vie, Boucher, qui avait été à Rome de 1730 à 1733, reconnaissait qu’il s’était fort peu soucié des grands maîtres, moins encore de l’antique, et conseillait plutôt l’étude de Guido Reni et de l’Albane.

Les protagonistes du mouvement rococo semblent donc s’être très peu embarrassés de problèmes théoriques, et c’est chez leurs adversaires que l’on doit chercher une formulation de leur doctrine. Le père Laugier dans son Traité d’architecture (1753), Cochin dans sa Supplication aux orfèvres (1754) attaquent principalement l’exubérance ornementale, caractérisée par l’emploi des lignes brisées ou ondulantes, des courbes et contre-courbes, de la « rocaille » et de la « chicorée ». Diderot s’élève contre le coloris faux et la profusion d’accessoires de Boucher : « Son élégance, sa mignardise, sa galanterie romanesque, sa coquetterie, son goût, sa facilité, sa variété, son éclat, ses carnations fardées, sa débauche, doivent captiver les petits maîtres, les petites femmes, les jeunes gens, les gens du monde, la foule de ceux qui sont étrangers au vrai goût, à la vérité, aux idées justes, à la sévérité de l’art » (Salon de 1761). Dans tous ces écrits, comme dans ceux de Winckelmann (Gedanken über die Nachahmung der griechischen Werke, 1755) ou de Mengs (Gedanken über die Schönheit, 1762), le mot de « rococo » n’apparaît pas. Leurs attaques sont dirigées contre ce qu’ils appellent le goût moderne en général, et les « extravagances » de Borromini ou de Guarini, architectes que nous hésiterions à qualifier de rococo, sont condamnées au même titre que celles de Meissonnier ou de Pineau.

Le terme de rococo semble appartenir à l’origine au jargon des ateliers. On voit fort bien qu’il est formé sur rocaille au moyen d’un redoublement expressif. Les historiens allemands, qui sont les premiers à s’être intéressés au baroque, sont aussi les premiers à avoir introduit le terme de rococo dans l’histoire de l’art. Coup sur coup, en 1888 et 1889, Heinrich Wölfflin fait paraître Renaissance und Barock