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Rosie est une adolescente de la campagne presque comme une autre. Sa tante, en lui offrant un journal intime, ouvre une fenêtre sur une âme moderne en perte de repères identitaires.
On y découvre les conflits d’une jeune fille avec la famille, la religion, les amitiés, les ruptures et surtout la rencontre avec le grand amour, celui qui bouleverse tout…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Magali Ernouf est titulaire d’un DEA en sociologie. Pour écrire, elle s’inspire de sa vision du monde et des autres.
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Seitenzahl: 217
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Magali Ernouf
Rosie a un journal
Nouvelles
©Lys Bleu Éditions – Magali Ernouf
ISBN : 979-10-377-3199-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il était une fois, à notre époque, une fille qui n’a pas envie qu’on l’aime parce que le sexe l’intéresse davantage. Rosie rêve d’aventures peu ordinaires. Le quotidien ne semble pas être son truc. Seulement, dans ce village qui n’adopte pas forcément les nouveaux arrivants, comment réellement penser que l’on puisse avoir un destin si ce n’est en grisé, en action, ou par omission du train-train ?
Un site, pourtant, où la petite histoire mériterait bien de côtoyer la grande. Un courant d’air électrique convole en noces d’acier avec une atmosphère festivalière lorsque l’énergie solaire veut bien être de la partie. Imaginez un horizon de foin et une verdure opulente et vous aurez en face de vous une terre. Bordée de mer, celle-ci pèche par défaut d’activités à but non lucratif. L’économie n’est en rien souterraine. Tout se cultive dans le petit bourg de cette presqu’île. Surtout l’ennui qui rend vaches la mère au foyer, les gamins de la petite école ainsi que les retraités. Lorsque le facteur n’apporte que des factures, il faut bien que les habitants s’occupent à s’inventer une utilité morale. Il y avait donc trois cent soixante habitants, tous gardiens de la salubrité publique, tous prêts à se méfier d’elle.
Rosie, née de parents modestes, mais surtout de personnes réputées pour être des zélés ouvriers au service de leurs patrons, qui ne lui offraient rien a priori qui eût pu illuminer d’espoir les ambitions d’une jeune fille de quinze ans à peine. Et ce n’est pas son parcours scolaire qui influence Rosie vers cette envie furieuse d’être libre. Peut-être que ses fréquentations de l’époque ont fait d’elle cette adolescente qu’il est à présent temps de présenter plus amplement. La profondeur, c’est ce qu’elle aime, la Rosie, comme le dirait son dernier soupir en date, s’il nous était possible de l’interpréter à l’image des rêveries d’une autre époque.
Jolie, Rosie ? Oui. Comme le fruit vert qui va rougir bientôt d’être butiné par toutes sortes d’oiseaux. Son physique semble attendre le moment de se laisser déformer. Tout comme ses idées, l’émancipation des boutons juvéniles n’ose pas encore se laisser dégrafer. Une couleur de peau, à rendre mal à l’aise en public tous ceux que la chair attire, était son plus bel attrait. Une belle peau de rousse, blanche comme le lait qui pourrait tout droit provenir de ses seins pas si petits que ça déjà. À condition qu’elle se laisse féconder. Or, elle n’est pas si facile à traire, la Rosie. Jamais, hormis sa cousine Jeanne, quiconque ne lui avait frôlé un téton. À l’époque, elles prenaient leurs bains toutes les deux. Jeanne la brune que l’on pourrait, en ne la flattant pas, décrire comme boulotte sainte nitouche. Elle est l’enfant d’un cœur brisé de femme à qui l’homme de sa vie a volé le droit de vieillir en famille. Jeanne veut de l’amour autant que d’autres (des musiciens) veulent du soleil. Jeanne a le cœur prêt à être vendu tandis que Rosie, paradoxalement, ne croit pas à ces sentiments pompeux mais surtout incompatibles avec l’idée de quête. De tels penchants conduisent inévitablement à la perte d’une partie de soi d’après elle. Et quoi ? Faire comme ses parents ?
Cette partie, bien cachée entre ses jambes, constitue un jeu de moi en perpétuelle représentation. Rosie a bien l’intention de l’exposer au regard de tous les milieux qui l’insultent sans même la connaître. Non ! Ne jamais ressembler à ses géniteurs. Telle est la devise de celle que le mépris étouffe par manque de culture, et que l’avenir doit compenser par un effort de dénégation.
Jeanne, sans doute parce qu’elle est plus jeune, ne comprend rien aux ambitions dénuées de tout sentiment adolescent de Rosie. Une famille recomposée : voilà toute la grandeur d’une vraie quête d’après elle. Mieux : une famille tout court est le rêve de Jeanne. Pas d’autres voies pour une telle projection de ne penser qu’au mariage. Car l’héritage post soixante-huit est arrivé tard dans les rases campagnes. De plus, l’adolescence n’est-elle pas une période où l’on se cherche par le biais d’autrui ? En d’autres termes beaucoup moins clairs : l’adolescence n’est-elle pas qu’une transition vers la quête transcendantale de l’ego par l’union avec un autre ? La quête de l’Ego Somme ?
Toute la difficulté de la syntaxe représente exactement ce que Rosie va tenter de dépasser durant sa vie. Et c’est cette existence, créée par un hasard et des circonstances, que l’adaptateur vous propose de retrouver en souvenir d’elle, ainsi que ce passage que toute individualité vit avec plus ou moins de facilité. Rien sauf de la banalité déconcertante. Et pourquoi pas ? Après tout, la culture, c’est comme la confiture : on l’étale sans toujours en connaître la recette. Voici donc le voyage au travers de la mémoire figée de Rosie que je vous invite à lire article par article. Une question demeure : si on l’interrogeait aujourd’hui, se reconnaîtrait-elle dans son propre récit de vie ?
Sa tante n’avait pas la fringale de fringues de sa nièce et en la matière se trouvait des goûts has been. Il lui fallait pourtant offrir un cadeau à sa nièce pour ses quinze ans. Quelque chose qui la surprendrait, quelque chose de son âge. Elle s’était donc creusé la tête pour en arriver à l’évidence même.
Et pourquoi pas un objet de taille modeste ? Un classique pour les filles. Il inspire la peur et il l’appelle. Parfois, il peut apaiser. Il n’est rien sans rien. Il marche avec des points-virgules. Il abrite les secrets de polichinelle. C’est… un journal intime !
On dit « intime » pour que l’on ne le confonde pas avec le télévisé ou le sportif. On le classe et même son propriétaire fait du tri pour ne pas avoir à raturer lorsqu’il le tient, tout au moins au début. Pour être qualifié d’intime, encore faut-il que son auteur se décide à s’y confier. Cet objet, comme tant d’autres, supporte donc le à la condition de.
En le lisant, je l’ai trouvé intimidant parce qu’il recèle ce que l’on peut considérer comme un essai d’auto-perception, voire d’autodérision, mais encore d’auto-conviction. Elle me rappelle quelqu’un cette rose des sables qui, comme le temps où la marée, monte et redescend en laissant derrière elle des poubelles, est passée en regrettant l’ensemble vide de ce qu’elle a toujours cru fuir.
Rosie et son cadeau
Tata m’a offert un bien drôle de cadeau. Je m’attendais à une poupée pour agrandir ma collection. En fait, je suis la poupée à qui on offre une possibilité supplémentaire de se confier. J’ai l’instrument qui me permet de déballer autrement mon intimité que dans les oreilles du chien de la famille. Je dois faire attention à ne pas rester de marbre. Car il est de bon ton de toujours laisser transparaître ses émotions lorsque l’on reçoit quelque chose de la part de quelqu’un qui nous aime. Sinon, ceux qui offrent risquent d’offrir une quantité d’erreurs sans jamais pouvoir le savoir. Avec Tata, c’est facile : elle ne se trompe jamais. Quant aux autres, ce n’est pas évident qu’ils puissent le reconnaître. Moi, j’adore les fringues et je préférerais que Mémère arrête de me préparer mon trousseau et me donne du fric à la place.
J’ai même le stylo qui va avec. Au début, je croyais que c’était un agenda. Ou un organiseur afin que je sois au lycée à l’heure. Pourtant, Tata sait que je n’ai jamais aimé l’école. Un journal intime ! Comme si ma vie ne pouvait pas intéresser quelqu’un en plein jour ? D’un autre côté, personne ne va critiquer mon style (qui consiste à valoriser le leur) ou mes fautes (en espérant vainement qu’ils m’accordent leur pardon). Donc ce que j’y écris m’appartient en propre. Au sens figuré, il n’y a pas de règles. Ça me rappelle l’enfance, où je ne me sentais pas prisonnière du sexe que mes parents m’ont offert en dot. Papa et Maman : deux mots gravés dans nos cœurs. Bizarre comme ça fait épitaphe mortuaire.
Que dire d’eux sinon que je les aime ! Je ne me rends pas bien compte s’ils savent que j’en aime d’autres. C’est venu d’un seul coup. Je porte un amour pour mes parents qui ne fera jamais valeur de preuve. Je suis une attestation qui fait foi. Alors qu’à l’école j’ai bien appris qu’il faut faire attention aux flux des entrailles des garçons. Le bulletin de notes pour ne pas enrichir sa jeunesse de trop de frais, voilà ma devise toute droite sortie des cours d’éducation sexuelle sauvage donnés par Tata.
Je prends mes parents pour des cons. Je m’éloigne d’eux parce qu’ils me pèsent. Ils ne pourraient pas se taire un peu pendant que je réfléchis ? Un pense-bête leur suffit. J’ai pitié quand j’imagine ce qu’a dû être leur jeunesse. Pourtant, je n’ai aucune idée de ce que je pourrais considérer comme un parcours honorable par rapport à la condition déterminée de mes gènes sociaux. J’aimerais bien être prof’, histoire d’éduquer mes parents. Difficile d’être plus vieux que ses grands-parents. Aucune légitimité à revendre et pour être prise au sérieux, je ne vous le raconte pas.
La science, ce n’est pas mon truc. Les maths et moi, ça fait trois. Ça ne va pas changer maintenant puisque je n’y tiens pas. D’un autre côté, j’ai beaucoup de mal à rester à ma place. Je n’ai pas de théorème pour préciser cet état. C’est un fait, voilà tout. Je compte sur mes acquis pour rendre mes devoirs à temps. Le fond du problème, c’est que j’aime bien touiller. La triche, ça rapporte pour beaucoup. D’autres sont radiés ou mis derrière des barreaux. Admettons que ça n’arrive qu’aux autres. En fait, je ne travaille pas mes cours de peur d’en faire trop, ou bien parce que je considère qu’il vaut mieux comprendre qu’apprendre. Élan de cœur qui ne mérite pas que l’on s’attarde à émettre un nouveau jugement de valeur.
Pour faire plaisir à ma tante, j’écris devant eux. Elle me regarde tout sourire. Elle aime écrire. Dans la famille, c’est plutôt rare. Et, à voir leurs têtes, j’ai l’impression que s’il sort quelque vers de bon de ce journal alors ils croiront en un miracle. Rosie touchée par l’esprit sain !
J’adore les mettre mal à l’aise. Surtout Jeanne. Jeanne est ma cousine maternelle. Elle a eu ce que les psys appellent « une enfance difficile ». La pauvre a perdu sa mère un matin alors que cette dernière l’avait emmenée en promenade. Un arrêt soudain des fonctions motrices vitales. Je ne me souviens pas de m’être rendue à l’inhumation. Ce qui laisse à penser, pour le curieux lecteur, qu’il y a un sacré bout de temps que la sœur de ma mère a passé le rouleau à pâtisserie à gauche. Jeanne est très proche de la mienne. C’est une fille très simple. Fonder une famille est le but de sa vie. Trouver du travail est le moyen pour elle de rencontrer le prince débordant qui lui convienne. Véto, boulot et dodo : voilà l’idéal type de l’existence version Jeanne. Calmant comme projet, non ? Je ne suis pas friande du gaspillage sentimental. Les jeux de mots ? J’adore.
Papa dort à table. Il travaille trop, enfin, à mon goût, parce que, pour lui, c’est sa vie, comme il ne le dit jamais. Il ne parle pas, ce qui ne veut pas dire qu’il ne pense à rien. Seulement, il n’exprime pas vraiment ses émotions, il navigue avec les courants. Papa a accueilli Jeanne comme si elle était mieux que sa propre fille. Le « comme » doit vous détacher d’une lecture linéaire des malheurs d’une jeune fille pas dérangeante et commune. Le père de Jeanne était en vie lorsqu’elle est venue à la maison. Seulement, pour que le tragique soit comique, il fallait bien que celui-ci boive. Cependant, à observer les discours préconçus des adultes, peut-être qu’il ne buvait que deux ou trois bières par jour et qu’il s’est barré avec la première dame qui s’harmonisait à ses états. Les histoires de vies sont prétextes à bien des attachements. Surtout lorsque l’on considère ce que l’enfant a subi. La responsabilité des uns dédouane les manquements d’humanité des autres lorsqu’ils poussent le bouchon un petit peu loin.
En fait, Jeanne représente aussi un souvenir. Elle porte des traces de sa mère disparue. Sa mère est un peu l’ombre d’elle-même. Durant l’enfance, je ne me rappelle pas qu’il y eût une différenciation marquée entre Jeanne et moi. Les enfants ne sont déjà pas égaux entre eux. Néanmoins, les parents gardent secrètement l’espoir qu’en grandissant ça se tassera. Je suis une jeune fille réservée et secrète. Un peu mégalo quand même. Tandis que Jeanne ne se livre jamais : elle n’a rien à dire. Elle se délivre de son trop-plein de tendresse en caressant Prospère, le chien de la famille. Il ne connaît pas sa veine, celui-là : il se fait toucher de tous les côtés avant d’être servi à table.
Bref, dans cette soirée où tout le monde ne peut que s’ennuyer alors qu’il croit le contraire, je pense que je dois passer le bac cette année. Ah ! la philosophie ! Dommage que je n’en fasse que cinq heures par semaine. Le sablier se vide de son contenu tandis que le contenant de mon entendement se métamorphose. J’espère que l’encre de ce stylo est indélébile. J’ai toujours voulu laisser une trace sur cette Terre. Après tout, je sais que l’on fabrique le papier à partir d’une matière naturelle. Je me souviens d’un cours de primaire où l’on en avait conçu. Et cette envie d’écrire dessus qui m’avait envahie, je l’avais oubliée. De toute façon, rien de ce qui aurait été écrit n’aurait pu valoir la beauté de ce que nos doigts sont capables de matérialiser. Vivre de mes mains ! Ah ! Comme mon père a de la fortune de naissance même si sa retraite sera de misère !
Aujourd’hui, je me sens fragile et je vais l’écrire. Je n’ai pas le sujet. Je ne pense pas encore en termes d’objets puisque je n’ai pas pris conscience d’être membre du troisième sexe. Je suis encore vierge. Par contre, j’ai déjà vu des zizis et des fentes. Le privilège du sport qui n’est censé être que bon pour la santé. Et les bouquins pornos de l’oncle que je cachais dans les Picsou magazine quand j’avais huit ans. Les bites m’ont fait peur, et savoir que mon petit tuyau est exactement comme celui des autres m’a déçue. Aucun concours de lèvres n’est organisé pour et par les filles. On ne nous départage pas de cette façon. Par contre, la taille de guêpe est de rigueur. Avis aux romantiques : je me conserve. Car pour se préserver il faut déjà avoir une idée de ce que l’on rejette. À cette époque, je ne me touche pas encore. Et la vérité ne m’intéresse pas plus que la réalité du vide.
Nombre d’enseignants me félicitent pour mes théories dénuées de tout sens pratique même s’ils me récompensent rarement par une bonne note. Je prends un malin plaisir à les exposer devant mes deux meilleures amies. Prune est brune comme son prénom (fort peu original d’après elle). Elle est d’une beauté à la fois délicate et provocante. Une vraie chatte qui se farde sans excès pour son âge. Cette jeune fille est une fine bouche. Seule la passion éphémère la nourrit. Elle change d’avis comme de chemise. Je me dois d’ajouter que Prune est très propre sur elle. Et son tour de poitrine est un piège à fabriquer des gens qui louchent.
Mon amie Saphia est beaucoup plus renfermée. Fille timide qui pourrait bien davantage abuser de ses charmes, elle préfère, et de loin, la compagnie de son voisin aux bégaiements des premières tentatives d’approche des puceaux. Au contraire, bêtement sûrement, nous la jugeons et nous lui disons qu’on ne la comprend pas. Elle préfère s’enliser depuis deux ans avec un abruti qui ne la rend pas heureuse ! Comment d’ailleurs avoir une quelconque notion sage du bonheur lorsque l’on a quinze ans ?
Vaste champ à méditer, mais pas pour l’instant. Le joueur va aux courses pour échapper ou non à la défloration de ses économies. Il préfère les voir galoper sans les entraîner lui-même. Je le répète : la vérité ne nous intéresse pas. Ce sont les questions qui fondent l’intérêt de nos vies. Nous formons le trio idéal : l’expérience, la convalescence et l’éloignement. Tout pour faire notre perte et notre apprentissage. Un destin ? Non. Plusieurs. Avant-hier, après deux bouteilles de vin que j’ai piquées dans la cave on s’est vues capables de devenir actrices ! Le pire, c’est que j’y crois à jeun.
Neutralité asymétrique
Comme je ne suis pas vilaine du tout, il va falloir que je me cache. Et comme je n’ai aucune envie de ressembler à quiconque, j’ai décidé de m’acheter un chapeau. J’avais d’abord pensé à une casquette, mais les gens de ma famille se posent suffisamment de questions sur moi pour que je choisisse l’apparat neutre. Avec mon feutre, parce qu’on ne remarquera que lui, comme s’il vivait seul, comme les choses que nous sommes devenues, je pourrai voler des moments intimes. J’en ferai un millier de carnets d’adresses inutiles puisque factices. Mais à chacune de mes rencontres, je prendrai un peu de maturité. Par le biais de la création d’autres, je risque de me trouver. Alors dans le cadre d’une rencontre, pourrait-il en être autrement ? Pour cela, il faut que je cache au monde ce que je ne suis pas. Je ne dois pas encore dire à quoi je pense puisque mon âge me desservira toujours. Il va falloir que je trouve beaucoup de chapeaux. Juste pour déguiser mon orgueil à vouloir rendre immortel mon entourage. Car peut-on assumer une telle destinée sans se mélanger les pinceaux ? Une seule personnalité peut-elle suffire à combler le désir de révéler ? Chacun sa cuisine. Moi, ce sera un bon pour une grande bouffe, juste pour mépriser ceux qui ont humilié, de leurs regards emplis d’indifférence, ma famille, la pièce rapportée et moi. Je me permets d’être froide envers les miens car je ne suis pas du genre à me faire de cadeaux. Il m’arrive parfois de me donner tort. Je dois reconnaître que je n’aime pas avoir tort, et le fait de penser à la prochaine réponse pour contrer le fait ne me permet pas une socialisation débordante avec mes camarades. Je veux dire les autres élèves.
Encore une année scolaire de terminée. Que vais-je bien faire pendant les vacances ? Ramasser des patates pour me faire des ronds. En voilà une autre d’expérience dont je me passerai bien. Mais je sais : papa ramassait des escargots pour se payer une mobylette, patati patata… Alors pour des fringues, ça ira plus vite en pallox ! D’autant que la saison des escargots précède Noël et j’ai trop envie de m’acheter du neuf. Ras-le-bol des fringues des autres, même s’ils nous ont bien dépannés, en primaire surtout. Quand je pense que je n’aurai jamais osé m’acheter un journal intime, pensant que j’étais trop vieille !
Et pourquoi pas un sac à main pour aller avec mon chapeau ? Ou un nouveau maillot de bain si on a la chance qu’il fasse beau ?
Maman a déjà fait le plein de la crème solaire en promo depuis mai. Cool ! Elle sent bon celle-là. D’un autre côté, je vais attirer les guêpes avec ça sur le corps. Ah… ! Se bronzer après une matinée à genoux et regarder l’horizon tel le futur d’un départ n’importe où pourvu que ce soit loin de ce paysage que je ne redécouvre qu’en présence d’étrangers. J’en rencontre lorsque je me rends au seul bar du coin pour boire une limonade et manger une glace quand Maman et Jeanne m’accompagnent.
22/8 : Bordel de merde, Jeanne a failli se noyer ! Heureusement qu’il y avait cet homme pour me secourir alors que j’essayais de la tenir. Le sable nous enlisait au fur et à mesure que des vagues venues de nulle part et tout d’un coup nous encerclaient et nous entraînaient en même temps. Jamais je n’oublierai le regard de Jeanne qui se sentait partir, prise d’une terreur que ses yeux sortaient bientôt de leur orbite. Je n’aurai jamais lâché sa main, mais elle avait compris que cela ne nous sauverait pas. Tout en l’agrippant, je faisais des signes et criais, mais nous étions déjà trop loin pour que Maman comprenne. Elle nous saluait. Par chance, un homme et son chien se trouvaient là parmi nous, dans cette mer devenue plus dangereuse que jamais, tandis qu’un orage enfin se faisait sentir pour de bon. L’homme comprit la situation lorsque son chien terre-neuve commençait à se faire entraîner lui aussi. Il rattrapa son chien, appela des amis restés au bord à la rescousse et attrapa ma main. Nous étions sauvées et Maman comprenait enfin. Elle remercia l’homme comme nous remerciâmes Dieu de les avoir fait se trouver au bon endroit au bon moment, et d’une nature courageuse surtout.
Intérim
Les deux amies de Rosie continuent elles aussi à vivre. Depuis la rentrée, elles sont plus proches que jamais. Le lycée a même appelé chez les parents de Rosie pour dénoncer l’influence négative de Prune sur le comportement de leur fille de sang, sans pour autant qu’il y ait une quelconque ressemblance de caractère qui légitimerait une telle accusation. Un fruit gâté, Madame Monsieur, libertine et coquine jusque dans ses yeux cette dévergondée en plus pas sotte. La mère s’en fiche : Rosie n’est pas aussi sage que Jeanne, tout le monde le sait. Et le mari de la tante et l’oncle arriéré de la cousine du proviseur, qui a tenu à rester dans l’anonymat, sont tous à genoux devant l’icône. Ce sont les jaloux qui dénoncent toujours. Prune sait que c’est normal. Tant que ce n’est pas son père qui bande, elle s’en fout. Non ! Pas d’inceste en la demeure, mais Prune craint le péril de la part de celui qui banque. Quant à Saphia, sa sagesse naturelle n’est que le reflet volontaire de son désir d’être oubliée pour un moment de son premier et dernier amant. Oui, cette jeune fille croit à l’union qui dure pour la vie, et ce hors mariage.
Quant à Rosie, depuis qu’elle écrit, elle semble se chercher davantage.
Me revoilà à la recherche de mon destin. Bizarre comme formule. L’idée de la détermination des êtres ne peut pas se suffire à elle-même. Elle s’accompagne de la théorie déterministe de l’évolution. Mais surtout, elle n’a que faire du hasard. Le choix n’existe pas dans une destinée qui ne se sait pas libre.
Je ne pense pas être un destin, ni surtout détenir l’humanité entre mes mains de crayonneur. La féminisation des mots m’exaspère. Comme si cela allait nous empêcher de changer des couches ! Être actrice ? Je ne m’y vois pas. Créatrice ? Sûrement mais patience ! Tâchons de ne pas sombrer dans la prétention. Je n’écris que pour moi, sauf lorsqu’un superbe sujet de dissertation se présente. Là, je me lâche et j’ai envie que ça se sache. Voilà pourquoi je m’efforce de penser loin. Ce n’est pas un je ne sais quel snobisme d’intellectuel qui chercherait systématiquement l’originalité. J’aime me baigner dans la mer comme tout le monde. J’aime que le Soleil se désaltère sur ma peau sans pour autant lire un stupide magazine. Je lève le pied à ma manière, un point c’est tout.
Éléments pour comprendre comment Rosie prend son pied en bronzant, pour saisir pourquoi on nomme Prune « l’entraîneuse » à notre époque et pourquoi Saphia est censée être la plus sage de toutes. L’adaptateur remercie le quotidien à grand tirage de nous avoir permis de reproduire une de ses annonces à petit prix littéraire d’après son auteur qui se fait appeler TG.
Dès que je me réveille, j’ai le plaisir de me pencher pour observer deux yeux fixés sur mon visage. Elle est là et elle m’attend patiemment. Elle a faim de caresses mais elle espère aussi que je remplisse sa gamelle. La friponne se lèche les babines d’avance. Ma minette est une gourmande, alors je sais lui choisir ce qui lui convient le mieux. À croire que l’on se ressemble, elle et moi. Quiconque pénètre dans mon intérieur le verra sur le bout de ses fines lèvres. Il lui faut du gourmet, car le trois-étoiles n’est jamais de trop pour une fine gueule. J’aime acheter de grosses boîtes car le rapport qualité prix est plus intéressant. Non pas que je pense utilitaire quand l’image de ma chatte s’imprime dans mon cerveau. Mais dans notre société, tous ou presque tous les rapports se monnayent. Et si je veux acheter des joujoux à ma fine bouche, je me dois de calculer la taille de son budget survie pour lui en consacrer un autre pour ses petits plaisirs.