Scènes de la vie privée et publique des animaux - Honoré de Balzac - E-Book

Scènes de la vie privée et publique des animaux E-Book

Honore de Balzac

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Extrait : "En mettant sous presse cette seconde partie de notre histoire nationale, nous pensions pouvoir féliciter d'avoir posé les bases sur lesquelles s'élèvera un jour notre constitution, quand des signes qui n'annoncent, hélàs ! rien de bon, vinrent nous effrayer pour les destinées de notre société animale."

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Encore une révolution !

À TOUS LES ANIMAUX

Du Jardin des Plantes, le 26 novembre 1841

En mettant sous presse cette seconde partie de notre histoire nationale, nous pensions pouvoir nous féliciter d’avoir posé les bases sur lesquelles s’élèvera un jour notre constitution, quand des signes qui n’annoncent, hélas ! rien de bon, vinrent nous effrayer pour les destinées de notre société animale.

Au moment où l’on s’y attendait le moins, des nuages noirs et épais s’étaient montrés à l’horizon, et, se répandant à travers le ciel, avaient, en un instant, fait du jour la nuit.

Nos savants astronomes, qui déjà sont venus à bout d’éclaircir ce point très obscur de la sidérologie, qui consistait à démontrer que les jours se suivent et se ressemblent, saisirent avec empressement cette occasion de faire faire un nouveau pas à la science, et, munis de leurs lunettes d’approche, ils grimpèrent sur la pointe du paratonnerre dont ils ont fait leur observatoire.

Là, aidés de tout ce qu’une expérience consommée ajoute à beaucoup de sagacité naturelle, ils étudièrent pendant plusieurs heures ces sombres phénomènes ; mais il leur fut impossible d’y rien comprendre ; et telle est la conscience de ces illustres savants, que, de peur de se tromper, ils ont mieux aimé se taire, n’osant hasarder aucune conjecture. – Nous attendons.

Veuillent les Dieux que rien ne vienne justifier nos appréhensions !

Paris, le 27 novembre 1841.

Nous recevons de l’Observatoire l’avis suivant :

« Nous savons maintenant à quoi nous en tenir sur la nature du phénomène qui nous a inquiétés. Si nos calculs ne nous trompent pas, et si nous sommes bien informés, ces nuages ne sont rien moins qu’un innombrable amas de Moucherons et autres Insectes armés de toutes pièces. Cette prise d’armes serait le résultat d’un vaste complot qui aurait pour but de renverser l’ordre de choses établi dans notre première assemblée. La conspiration se serait ourdie dans un coin du ciel. Pourtant, comme les Moucherons n’ont jamais passé pour avoir des opinions politiques bien tranchées, nous espérons pouvoir démentir demain la nouvelle que nous vous donnons aujourd’hui comme certaine. – En tout cas : Caveant consules ! Ne vous endormez pas. »

Non, nous ne dormirons pas, et puisque nous avions trop préjugé de la sagesse de nos frères, puisque l’anarchie veille, nous veillerons avec elle et contre elle.

Comme première mesure d’ordre, et pour satisfaire au vœu général, nous publierons de jour en jour, d’heure en heure, s’il le faut, et sous ce titre : le Moniteur des Animaux, un bulletin des évènements qui se préparent, de façon que chacun puisse se donner le petit plaisir d’en causer avec ses amis et de les commenter à sa manière.

LE SINGE, LE PERROQUET ET LE COQ,

Rédacteurs en chef.

Moniteur des animaux

Nous l’avions prévu. Les nouvelles que nous avions reçues de l’Observatoire sont aujourd’hui confirmées. Des désordres graves et qui ont le caractère d’une véritable sédition ont éclaté cette nuit. Une petite poignée de factieux, détachés au nombre de trois cent mille environ du corps d’armée principal, et commandés par une certaine Guêpe connue pour l’exaltation de ses principes, vient de s’abattre sur le faite du labyrinthe. L’intention hautement avouée des factieux est d’exciter la Nation Animale à la révolte et d’obtenir, le glaive en main, ce qu’il leur plaît d’appeler une réforme générale.

Quelques Mouches sensées ont vainement essayé de rappeler cette troupe égarée à de meilleurs sentiments

Leur voix a été méconnue. Quoi qu’il arrive, nous saurons tenir tête à l’orage, et nous espérons, avec l’aide des dieux, repousser ces odieuses tentatives. « Les troubles, a dit Montesquieu, ont toujours affermi les empires. »

 

Le capitaine de nos gardes ailées, le seigneur BOURDON, n’a pu réussir à disperser les factieux. Il a cru, avec raison, devoir reculer devant l’effusion du sang, et s’est contenté de couper les vivres et la retraite aux insurgés qui, dans quelques heures, auront à subir les horreurs de la faim. Cette humanité du seigneur Bourdon mérite les plus grands éloges. Les révoltés, s’étant barricadés sous le chapiteau du labyrinthe avec des feuilles mortes et des brins d’herbe sèche, sont, dit-on, en mesure de soutenir un siège régulier. L’espace occupé par eux est d’au moins dix-huit pouces en largeur sur dix de profondeur.

 

Les bruits les plus contradictoires se croisent et se succèdent. On a été jusqu’à nous accuser, par une ridicule interprétation de notre précédente citation de Montesquieu, d’avoir sous main fomenté la révolte. « Les tyrans, a dit un des plus fougueux orateurs de la troupe, craignent toujours que leurs sujets soient d’accord. » Que répondre à de pareilles absurdités ? Si les chefs d’une nation n’avaient à craindre que l’accord de leurs sujets, ils pourraient dormir tranquilles.

 

On assure que les Moucherons révoltés cherchent à organiser l’agitation sur tous les points. Un d’eux, le CLAIRON, musicien habile, a improvisé une marche guerrière intitulée le Rappel des Moucherons.

Nous entendons d’ici les accents de cette musique impie, dont les sons nous arrivent à la lois de toutes les hauteurs de Paris, le Panthéon, le Val-de-Grâce, la tour Saint-Jacques-la-Boucherie, la Salpêtrière, le Père-Lachaise, les colonnes de la barrière du Trône et les buttes Montmartre, sur lesquels des émissaires ont été envoyés par les chefs du mouvement. Quelques prisonniers ont été faits, mais il a été impossible de les faire parler. « Nous sommes blancs comme neige, ont-ils dit ; nous ne savons pas pourquoi nous sommes arrêtés, mais c’est égal, prenez nos têtes ! – Vos têtes, Messieurs, qu’en ferions-nous ? Que peut-on faire de la tête d’un Moucheron ? »

Pourtant nous examinerons cette proposition.

Les prétentions des rebelles sont maintenant connues. L’intérêt général a servi de prétexte à des ambitions personnelles et à des haines particulières. C’est d’une révolution littéraire qu’il s’agit : on veut nous forcer à donner notre démission ! ! ! Si nous refusons, on nous menace d’une concurrence : – nous ne la craignons pas. – Mandataires de tous, nous n’abandonnerons pas le poste qui nous a été confié : on ne nous arrachera notre place et notre traitement qu’avec la vie. Le bien public nous réclame, c’est à lui seul que nous nous devons.

Mais que nous reproche-t-on ? Avons-nous été injustes ou partiaux ? N’avons-nous pas suivi notre programme et imprimé tout au long ce qu’on a bien voulu nous envoyer, sans préférence, sans choix, aveuglément, comme doit le faire tout bon rédacteur en chef ? N’avons-nous pas des papiers par-dessus la tête ? de l’encre jusqu’aux coudes et à mi-jambes ? Si nous n’avons pas bien fait, enfin, a-t-il tenu à nous que nous ne fissions un chef-d’œuvre ?

 

Le chef de l’insurrection est un Scarabée ! le Scarabée HERCULE ! Le beau nom !

Connaissiez-vous le Scarabée HERCULE ? Nous mépriserions des attaques parties de si bas, si nous ne savions que la faiblesse elle-même a son aiguillon, et que l’espace que parcourt son dard lui appartient.

C’est donc dans une intention dont chacun appréciera les motifs, que nous avons ordonné les mesures suivantes :

 

« 1° La tête du Scarabée HERCULE est mise à prix. Une récompense honnête sera donnée à celui qui nous le livrera mort ou vif (nous l’aimons mieux mort) ;

« 2° Il sera procédé immédiatement a une levée de troupes extraordinaire, et bientôt nous aurons à opposer aux rebelles neuf cent mille Mouches, parfaitement équipées, qui auront à combattre la révolte dans les plaines de l’air ou de la terre, partout enfin où l’ordre sera menacé ;

« 3° Messieurs les commissaires de police devront toujours avoir dans leur poche une écharpe, et même deux écharpes, si leurs moyens le leur permettent ;

« 4° Les rassemblements qui se composeraient de plus d’un Animal seraient dispersés par la force ; cet avis concerne plus particulièrement les Autruches, les Canards et autres Animaux socialistes qui ont la manie de se réunir en groupes ;

« 5° Nous engageons tous les Animaux honnêtes à rester chez eux, à ne pousser aucun cri, à se coucher tôt, à se lever tard et à ne rien voir ni entendre. Une pareille conduite prouvera aux factieux combien leurs projets trouvent peu de sympathies dans la partie éclairée de la population animale. »

Un CERF-VOLANT nous a été envoyé en parlementaire ; nous avons daigné l’écouter et lui répondre. « Vous avez parlé, nous a-t-il dit, il n’y en a eu que pour vous ; à chacun son tour. Nous sommes trente-trois millions là-bas, tous extrêmement las de ne faire aucun bruit dans le monde. Nous voulons tous parler et tous écrire. L’égalité est-elle un droit, oui ou non ? »

« Qu’est-ce qu’un droit ? lui répondit un vieux CORBEAU que nos lecteurs connaissent ; summum jus, summa injuria : si vous voulez tous parler, tous les in-folio du monde n’y suffiront pas, dût chacun de vous se contenter d’écrire pour sa part, non une page, mais une ligne, mais un mot, mais une lettre, mais une virgule et moins encore. »

Cette réflexion si judicieuse fut naturellement trouvée absurde.

« Laissez donc, dit le CERF-VOLANT ; que ne dites-vous tout de suite que le dieu des Scarabées n’a pas fait assez de terre, et de ciel, et de lumière, et de feuilles d’arbres, et même de feuilles de papier, pour que chacun en ait sa part sur cette terre. Du moment où il est juste que tout le monde puisse écrire, cela doit être possible. »

 

Ô folie ! va où tu voudras, ton triomphe est assuré !

 

Hélas ! la guerre civile s’avance vers nos vallées paisibles ; l’esprit de révolte a passé des Insectes aux Oiseaux et des Oiseaux aux Quadrupèdes. L’alarme est partout. Les portes des cages ont dû être fermées, ce qui est particulièrement désagréable aux Animaux qui se plaisent à prendre l’air sur le pas de leur porte pour savoir ce qui se passe dans les cages voisines. Qu’on se rassure pourtant, nous connaissons la sainteté de notre mission, et nous saurons la remplir tout entière. Les OIES n’ont point encore abandonné la garde du Capitole.

 

Un nouvel appel a été fait aux mécontents, et nous apprenons que les CHATTES françaises se sont définitivement déclarées contre nous. Leur adhésion à la révolte a été longtemps incertaine ; entre le oui et le non d’une CHATTE française, il n’y a pas de place pour la pointe d’une aiguille. Elles ont été entraînées par une des leurs, qui ne nous a pas pardonné d’avoir accordé la parole à une CHATTE anglaise dans un livre français. Si ce qu’on nous dit est vrai, cette maîtresse CHATTE aurait forcé son honnête mari, qui avait toujours passé pour être le plus saint homme de Chat du quartier, à se mettre à la tête des mécontents de son espèce. Elle-même va, dit-on, de l’un à l’autre, exaltant les modérés et miaulant avec les exaspérés une espèce de Marseillaise où il n’est nullement question de la patte de velours de la paix. Elle ne s’adresse pas seulement aux CHATS, mais bien aux CHATTES, ses sœurs, qu’elle invite à suivre son exemple : « Vous que votre sexe semble éloigner des affaires politiques, dit-elle, faites appel à vos maris, à vos frères, à vos amis, à vos fiancés ! qu’aucune partie de plaisir sur les toits du voisinage ou dans les gouttières des serres chaudes ne vous arrête… N’épargnez rien, et ne craignez rien, on vous foulera, on vous écrasera, qu’importe !… »

 

On l’a dit le mauvais exemple vient toujours d’en haut. Les révoltés n’étaient que des instruments entre les mains de personnages haut placés. Qui l’eût cru pourtant ? C’est l’ÉLÉPHANT, un des Animaux les plus considérables et les plus considérés du Jardin, qui n’a pas craint de compromettre sa gravité dans une pareille affaire – Vous êtes bien gros, monseigneur, pour conspirer. Ne voyez-vous pas qu’on prend pour dupe votre Grosseur, et vous convient-il d’apprendre que celui qui vous met en mouvement c’est le RENAUD ?

 

Animaux ! retenez bien ceci : il ne faut pas plus juger d’un Renard par ses paroles, que d’un Cheval par la bride.

 

À la bonne heure, les révoltés jouent cartes sur table, et brûlent leurs vaisseaux ; rien ne manque à cette insurrection : dans leur stupide confiance, les coupables se chargent de nous fournir eux-mêmes les preuves des crimes dont ils auront à rendre compte un jour. Les révoltés ont répondu à notre journal par un autre journal. Mais quel journal ! le nôtre est plus grand de moitié.

 

Nous empruntons au premier numéro de la feuille anarchique, le Journal libre ! (est-ce que le nôtre ne l’est pas ?) la pièce suivante, qui nous initie aux plus secrets détails de la conspiration. Le bon sens de nos lecteurs fera justice des abominables théories de ces ennemis du repos public. Nous ne changeons pas un mot à ce curieux document, auquel nous nous réservons de répondre.

Vous êtes bien gros, Monseigneur, pour conspirer.
Le journal libre

JOURNAL DE LA RÉFORME ANIMALE

Les amis de la liberté se sont rassemblés hier dans le Cabinet d’histoire naturelle. C’est dans les vastes salles des empaillés qu’a eu lieu cette réunion préparatoire.

Il était très tard. Le signal donné, les conjurés entrèrent les uns après les autres, puis, s’étant salués du geste sans mot dire, ils allèrent se ranger silencieusement dans les sombres galeries à côté des froides reliques de leurs aïeux, que l’on eût dit autant de fantômes assoupis.

Il semblait que le silence eut fait un désert de ces vastes catacombes. L’immobilité était telle qu’on ne pouvait distinguer les morts des vivants.

L’ÉLÉPHANT, l’AIGLE, le BUFFLE et le BISON arrivèrent, chacun de son côté, comme si une invisible puissance les eût fait apparaître tout à coup. Pour qui ignore que l’amour de la liberté transporterait des montagnes, la présence de ces nobles Animaux dans ces hautes galeries eût été inexplicable.

 

Quand la réunion fut complète, le BISON prit la parole en ces termes :

« Frères, dit l’orateur, en regardant l’un après l’autre tous ceux qui se trouvaient là, nous n’avons encore rien dit, et pourtant nous savons tous pourquoi nous sommes ici.

Disons-le donc, puisque aussi bien nous sommes fiers de le penser : nous sommes ici pour conspirer, pour défaire aujourd’hui ce que nous avons mal fait il y a un an, et pour aviser à mieux faire ; pour abaisser, pour abattre ceux que nous avons élevés ; pour agiter enfin la Nation Animale au nom de la révocation des rédacteurs.

Je le déclare il ne nous reste qu’une ressource, c’est le renvoi des rédacteurs… Hourra pour le renvoi !

– Tonnerre d’applaudissements. –

Frères, il faut que les mots aillent où va la pensée, – et si désolant qu’il soit pour vous de l’entendre et pour moi de le dire, je le dirai et vous l’entendrez : tout ce qui existe n’est bon qu’à aller en ruines et ce serait mieux s’il n’existait rien !… Que nous a servi ce qu’on nous a fait faire ? Ce livre publié, dites, à quoi a-t-il servi ?

– Tous : « À rien, à rien. » –

Cette lice où chacun devait entrer, le plus humble comme le plus grand, pourquoi ne l’a-t-on ouverte qu’aux plaintes isolées d’un petit nombre ? sinon pour éloigner de la tribune nationale les cris de la détresse universelle. Ils n’ont travaillé que pour eux. – Ils n’ont songé qu’à eux, – et quand ils se sont vus puissants, ils ont dit : – Tout est bien.

Que nous revient-il de leur puissance ? Notre terre à nous a-t-elle cessé d’être une vallée de larmes ?

– Le CERF, l’ÉLAN et le VEAU : « Non ! non ! » –

Frères, on a étouffé les voix généreuses qui ont voulu s’élever en faveur de la réforme bête-unitaire.

Frères, notre régénération sociale n’a pas fait un pas depuis l’immortelle nuit où les premiers efforts de notre liberté naissante ont été salués par les acclamations de la terre tout entière.

Frères, nos rédacteurs en chef ont trahi leur mandat ! ils nous ont vendus ! vendus aux Hommes !

– Tous : « C’est vrai ! c’est vrai ! oui, on nous a vendus ! » –

Point de grâce pour ces traîtres, qui pour une misérable subvention en pommes vertes en coquilles de noix et en croûtes de pain sec, ont trahi la cause sacrée de l’émancipation des BÊTES.

Vendus aux Hommes ! ! ! Mais laissons là les Hommes ; les Hommes ne sont aujourd’hui que nos seconds ennemis. Nos vrais ennemis, les plus dangereux, ce sont nos rédacteurs !

Point de grâce pour ces traîtres qui, pour une caresse de leur gardien, pour une misérable subvention en pommes vertes, en coquilles de noix et en croûte de pain sec, ont trahi la cause sacrée de l’émancipation des bêtes ! À qui devons-nous d’être encore où nous sommes ? où retournerons-nous ce soir ? Sera-ce dans nos libres déserts, ou dans nos étroites prisons ? »

– Le TIGRE, d’une voix sombre : « Ce ne sera pas dans nos libres déserts ! » –

– Tous en chœur : « Hélas ! hélas ! hélas ! » –

« Les nuages seront-ils notre toit, et la terre notre oreiller ? Non. Nous coucherons sur la paille humide des cachots.

– « Hélas ! hélas ! » –

« Nous y pourrirons… Nous y mourrons… Je vous le dis en vérité, nous tous qui sommes ici, nous mourrons dans les fers. Que nous accordera-t-on quand nous ne serons plus ? quand on nous aura rongés jusqu’aux os ? »

– Le chœur : « Ô douleur ! douleur ! » –

Alors l’orateur, se tournant vers les squelettes conservés de dix mille générations d’Animaux :

« Restes de nos pères ! s’écrie-t-il : vous qui avez vécu, répondez, mânes désolés étiez-vous donc sortis des mains du Créateur pour mourir ou vous êtes ?

L’Animal est-il fait pour être empaillé et mis sous verre comme une curiosité, ou pour rentrer noblement, après avoir accompli sa destinée, dans le sein de la terre, sa mère, selon le vœu de la nature ?

Nous tous, sauvages enfants de la plaine ou de la montagne, devions-nous donc vivre un jour la corde au cou, entre quatre planches, et dîner à heure fixe d’un dîner tiré d’un buffet ?

Frères, les plaintes ne soulagent pas un cœur oppressé : à quoi bon se plaindre ? Nos plaintes, qui les a entendues ?

Frères, avez-vous renoncé à échapper aux Hommes ? Vous laisserez-vous arrêter à moitié chemin par la trahison ?

– Le CHAMOIS : « Plutôt les avalanches que les HOMMES méchants ! » –

Frères, nous sommes forts, et la liberté sourit aux braves. Heureux l’Animal qui ne dépend de personne.

Frères, le plus fort, c’est celui qui ne craint rien.

Frères, quand les lois ne commandent plus au peuple, il faut que le peuple commande aux lois.

Frères, la liberté enfante des colosses ; mais que faire d’une loi qui d’un AIGLE fait un OISON, et d’un LION un bavard ?

Frères, dut la société tomber en poussière, il faut détruire cette loi mauvaise. »

S’il faut en croire le complaisant rédacteur de cette pompeuse relation, l’effet de ce discours fut prodigieux. Nous ne répondrons qu’à un seul point de ce merveilleux dithyrambe. Vous dites donc, citoyen BISON, que nous vous avons trahis, que nous vous avons vendus !… Oui, nous vous avons vendus, et nous en sommes fiers ; nous vous avons vendus à 20 000 exemplaires ! En eussiez-vous su faire autant ? N’est-ce pas grâce à nous que vous avez commencé à valoir quelque chose ?

 

Le DOYEN du Jardin des Plantes, un vénérable BUFFLE, dont nous aimons la personne et dont nous estimons le caractère, sans partager cependant toutes ses opinions, prit alors la parole et répondit en ces termes au discours du BISON, son cousin :

« Mes enfants, dit le vieillard, je suis le plus vieil esclave de ce jardin. J’ai le triste honneur d’être votre doyen, et, des jours si éloignés de ma jeunesse, je me souviendrais à peine, si l’on pouvait oublier qu’on a été libre, si peu libre qu’on ait été. Mes enfants, c’est en vain que trente ans d’esclavage pèsent sur mes vieilles épaules : quel que soit mon âge, je me sens rajeunir à la pensée que le jour de la liberté viendra. »

– Bravos prolongés. –

Je parle de votre liberté, mes enfants, et non de la mienne, car mes yeux se fermeront avant que le soleil ait éclairé un jour si beau : esclave j’ai vécu, esclave je mourrai !

« Non ! non ! s’écria-t-on de tous côtés, vous ne mourrez point ! » –

Mes bons amis, reprit le vieillard, il ne serait pas en votre pouvoir d’ajouter une heure à ma vie. Mais qu’importe ? ce n’est pas de ceux qui partent, c’est de ceux qui restent qu’il faut s’inquiéter ; ce n’est pas la liberté d’un seul ou de quelques-uns, c’est la liberté de tous qui m’est chère, et c’est au nom de cette précieuse liberté de tous que je vous conjure de rester unis. »

– Rumeur en sens divers. –

« Mes enfants, ne vous arrachez pas, ne vous disputez pas les misérables lambeaux du pouvoir. Quand vous aurez changé votre cheval borgne contre un aveugle, croyez-vous que les choses en iront mieux ? Pensez aux petits, aux classes faibles et dépouillées qui souffrent de toutes ces divisions, et dites-vous, dites-vous à toute heure du jour, que le bien ne saurait s’acheter au poids d’un si grand mal : un peu plus ou un peu moins de puissance pour quelques-uns d’entre vous, qu’est-ce à côté de la paix entre frères, et de l’union de tous ? »

La fin de ce discours fut écoutée avec froideur ; le respect qu’on avait pour l’orateur empêcha seul toute manifestation contraire. Le vieux BUFFLE vit bien qu’il n’avait convaincu personne. « La guerre civile mène au despotisme, et non à la liberté, » dit le sage vieillard en reprenant tristement sa place.

– Sommes-nous au sermon ! s’écria le LOUP-CERVIER.

Il va sans dire que Messieurs les conjurés ne s’arrêtèrent pas en si beau chemin. Il n’y a jamais tant d’orateurs que quand les affaires vont mal. Après les discours du BISON et du BUFFLE, vint celui du SANGLIER, qui parla tant qu’il eut de la voix, « et avec une telle éloquence, dit le Journal de la Réforme, que notre sténographe lui-même, partageant l’émotion générale, se trouva hors d’état de tenir la plume. »

 

Nous en restons là de nos citations ; et si Messieurs les révoltés veulent bien nous le permettre, nous allons compléter ce récit avec des détails authentiques, que nous tenons d’un FURET de nos amis qui s’était imprudemment laissé entraîner à cette réunion dont il avait été, du reste, bien loin de prévoir le but :

Il ne s’agit pas d’aboyer, ici, mais de mordre.

Pendant trois heures, et sans respect pour le lieu où l’on se trouvait, sans respect pour les morts, les salles tremblèrent sous un tonnerre continu, incessant, indescriptible de cris, de trépignements, de grognements et d’applaudissements. Cent cinquante-deux orateurs parlèrent successivement ! ! ! « On put les voir, mais non les entendre (Dieu merci !). » Notre correspondant ajoute que, depuis la première assemblée, l’art de crier, de siffler et de hurler, a fait des progrès inimaginables, et qu’en Angleterre, même dans le plus turbulent des meetings, on ne trouverait rien qui pût approcher de ce qu’il a vu et entendu.

Un de ces pauvres vieux CHIENS, qui n’ont plus guère d’illusions et qui se font un titre de leur indifférence, même, pour entrer partout, se trouvant là, essaya de se faire écouter.

– Si nous sommes vaincus ? disait-il.

– Pense aux coups à donner, et non aux coups à recevoir, lui répondit le SANGLIER avec cette brutalité de manières qu’on lui connaît.

– À la porte, le CHIEN ! s’écria l’HYÈNE, en le regardant de travers. Il ne s’agit pas d’aboyer ici, mais de mordre : va-t’en !

– Monsieur est un mouchard, dit une petite voix flûtée, celle de la FOUINE.

Le prudent Animal n’en écouta pas davantage, il eut le bon esprit de sortir philosophiquement par la fenêtre qu’on voulait bien lui ouvrir. – Qu’il arrive par hasard à un pauvre diable d’avoir raison, soyez sûr qu’on ne l’écoutera pas.

 

– Mais le peuple aime les rédacteurs, dit le BÉLIER.

– Le peuple les oubliera, répondit le LOUP.

– Et il les haïra, ajouta l’HYÈNE.

– Et s’il oublie ses admirations, il garde ses haines, dit le SERPENT.

– Bêh, bêêh, bêêêêhhh, bêla le BÉLIER, sur lequel chacune de ces paroles tombait comme un marteau.

 

Tout le monde parlait, et personne ne se répondait. Maître RÉNARD, voyant que, dans ce touchant concert, chacun s’apprêtait à faire sa partie sans songer à prendre le ton de son voisin, et que les choses allaient se gâter, monta sur un bahut, et parvint, non sans peine, à obtenir quelque attention.

– « Messieurs,… dit-il.

– Veux-tu te taire, hurla le LOUP, nous ne sommes pas des Messieurs.

– « Animaux,… reprit le RENARD.

– À la bonne heure, dit le LOUP. Bravo !

– Bravo ! répétèrent tous les assistants.

– « Animaux, nous sommes tous d’accord…

Nous le jurons ! s’écrièrent tous les conjurés.

– Non ! dit une voix à gauche.

– Si ! si ! s’écria une autre voix.

– « Vous le voyez, reprit le RENARD, nous sommes tous d’accord. La question est maintenant nettement posée : il s’agit d’un livre à achever, et de savoir qui parlera ou qui se taira, si ce sera une COULEUVRE OU un SERPENT, une OIE ou un DINDON ?

– Très bien ! s’écria l’OIE.

– Très bien ! dit le DINDON.

Le RENARD continua :

– « Animaux, cette question est si grave, que je suis d’avis que nous fassions ce qu’on a coutume de faire quand on n’a pas une minute à perdre : prenons nos aises et ajournons la discussion. Cette séance, qui d’ailleurs n’aura pas été perdue pour la bonne cause, nous a tous fatigués, et nous ferons bien d’en rester là pour aujourd’hui. Mais jurons que demain, avant que l’astre du jour ait achevé sa carrière, cette grave question aura reçu sa solution.

– Nous le jurons ! s’écrièrent tous les conjurés.

– « C’est bien, dit le RENARD ; et maintenant que chacun s’aille coucher, et se demande, au moment de s’endormir, comment il convient que d’honnêtes Animaux s’y prennent pour faire une petite révolution qui profite a tout le monde sans gêner personne. La nuit porte conseil, et demain à pareille heure nous prendrons une détermination. »

L’avis du RENARD fut adopté. Le sommeil parlait avec lui et gagnait tout le monde. La séance fut levée…

Notre correspondant prétend avoir remarqué que maître RENARD faisait à chacun des saluts enflés de magnifiques paroles, et qu’il abandonna la salle le dernier.

– Cela va bien, dit-il tout bas à une petite FOUINE de ses amies, cette eau coule parfaitement.

– Et demain elle coulera mieux encore, Monseigneur, repartit la FOUINE en minaudant.

 

C’est ce que nous verrons, Monsieur le RENARD. Nous connaissons vos projets, et nous saurons les déjouer.

 

Nous laissons aujourd’hui la parole aux évènements, chacun fera la part des responsabilités.

La patrie et la publication sont en danger.

Une foule immense se presse aux portes de la rotonde ou le discours du BISON a été affiché. On ne reconnaît plus les cabanes, tant elles sont chargées de drapeaux et de placards séditieux ; on trouve un cours complet de politique sur les murailles, et le nombre des mécontents s’accroît de minute en minute. L’occasion est le tyran des gens faibles : les groupes se grossissent, surtout de GOBE-MOUCHES, de BÉCASSES, de BUSES, de GROS BECS, de DINDONS et autres bêtes altérées d’encre. Des processions de factieux parcourent les allées en chantant, et en sifflant des refrains séditieux. Un SINGE, indigne de ce beau nom de SINGE, s’est fait un casque d’une casquette volée à son gardien, et un drapeau d’un mouchoir à carreaux rouges volé à ce même gardien. Sur cet étendard, on lit ces mots : « Vivre en écrivant, ou mourir en se taisant. » La bande la plus nombreuse est conduite par trois manchots qui s’en vont bras dessus bras dessous, guidant l’émeute, faisant arracher les écriteaux, briser les palissades et forcer les cages des Animaux nés dans la ménagerie, sous prétexte qu’il faut s’assurer de leurs sentiments politiques : on fait main-basse sur les mangeoires, et on n’y laisse que la faim. Ces trois manchots obéissent aux ordres secrets du RENARD qui pense (avec d’autres) que le courage de certains Animaux est au fond de leur auge. « Affamez-les, dit-il, et vous en ferez des héros. » Personne, du reste, ne connaît ces trois manchots ; on ne sait ni d’où ils viennent, ni ce qu’ils veulent, mais on les suit. Sainte confiance !

On trouve un cours complet de politique sur les murailles.
On ne sait d’où ils viennent ni ce qu’ils veulent, mais on les suit. Sainte confiance !

Chacun rendra justice à notre modération : nous avons tout fait pour arrêter l’effusion du sang, et nous avons reculé tant que nous l’avons pu devant les désastres de la guerre civile ; mais nous serions coupables et véritablement traîtres à notre mandat, si nous ne savions pas opposer la violence elle-même à la violence.

Force doit rester à la loi, force restera donc à la loi.

En conséquence, nous avons publié l’ordonnance suivante :

 

« 1° Le Jardin des Plantes est déclaré en état de siège.

« 2° Le prince Léo, dont on avait à tort annoncé le départ pour l’Afrique, est nommé généralissime de nos armées de terre. Il a juré d’exterminer tous les MOUCHERONS, ces éternels ennemis de sa race et de tout ce qui est grand. Il aura à se concerter avec le seigneur BOURDON, pour prendre avec lui les mesures qui peuvent assurer le triomphe de l’ordre.

« 3° Le rappel sera battu à la porte de toutes les cabanes. Entre les pattes de notre vieux Lièvre, le tambour réveillera les mieux endormis.

« 4° Tout bon citoyen devra quitter immédiatement sa femme, ses enfants, son râtelier, son gobelet, son perchoir et sa litière, s’armer de son mieux, prendre les ordres de ses chefs, pour être de là dirigé partout ou besoin sera, et se tenir enfin prêt à vaincre ou à mourir pour nous. »

Nous remercions les bons citoyens de l’appui qu’ils veulent bien nous donner. De tous les quartiers voisins, des amis dévoués nous arrivent ; nous avons vu accourir sous les drapeaux tous les Animaux qui ont un intérêt direct au maintien du statu quo : nos rédacteurs, nos employés, nos serviteurs, tous ceux enfin qui ont reçu et ceux surtout qui espèrent quelque chose de nous.

Plusieurs buissons d’ÉCREVISSES, échappés par miracle des prisons de Chevet et conduits par un valeureux CANCRE, sont venus nous offrir le secours de leurs vaillantes pinces.

« En avant, marchons
Tous à reculons… »

Tel est le cri que poussent ces braves auxiliaires en se préparant au combat.

Nous n’attendions pas moins du bon esprit qui anime la population animale, et nous étions sûrs que notre appel serait entendu.

Pourtant, nous signalerons à l’indignation publique la réponse des petits OURS de la fosse n° 2, et celle des RATS.

La réponse des deux petits OURS de la fosse n° 2 fait bien mal augurer de l’avenir de ces deux jeunes Quadrupèdes.

– Vous êtes de beaux petits OURS, leur dit l’éloquent CRAPAUD que nous leur avons député ; chacun se doit à sa patrie : venez vous battre ; si vous n’êtes pas tués, vous vous couvrirez de gloire. – J’aime mieux jouer à la boule, répondit l’aîné. – J’aime mieux ne rien faire du tout, répondit le plus jeune ; ou prendre un bain, si maman veut, ajouta-t-il en regardant sa mère. – Va, lui dit la mère. – Madame, s’écria notre honorable envoyé, à Rome, les mères avaient moins de faiblesse, et leurs enfants n’en valaient que mieux. Ô temps ! ô mœurs ! ô Cornélie ! ô Brutus !

Quant aux RATS, nous ne trouvons pas de termes qui puissent traduire le mépris que nous a inspiré l’égoïste langage de ces misérables.

– Pourquoi diable voulez-vous que nous combattions ? dirent-ils. Quand on n’a rien à conserver, on n’a rien à perdre. Faites vos affaires tous seuls, puisque vos affaires ne sont pas les nôtres.

« Chacun se doit à sa patrie ! »

– Tout est perdu ! s’écria un BLAIREAU en entrant ce matin dans notre cabinet de rédaction ; les insurgés se sont emparés de la cour de l’amphithéâtre.

Altérés par cette funeste nouvelle, nous finies mander le prince Léo.

– Ils ont pris la cour de l’amphithéâtre, dit ce grand général, eh bien, qu’ils la gardent !

L’attitude ferme du prince nous rassura complètement ; en effet, ce profond tacticien avait son idée. À l’heure qu’il est, les révoltés sont enfermés dans cette cour qu’ils ont prise et qui leur servira de tombeau. Toute issue leur est fermée. L’armée ailée a vainement essayé de les dégager ; tous les efforts du Scarabée HERCULE ont été repoussés par le seigneur BOURDON.

Nous n’avions jamais désespéré du triomphe de l’ordre.

 

Parmi ceux qui se sont les plus distingués dans cette circonstance, nous mentionnerons le voltigeur *, le grenadier **, et surtout le caporal TROIS ÉTOILES. Ce dernier descendait la garde et rentrait chez lui après un service très fatigant, quand il s’aperçut, en passant à côté d’un poste, que le factionnaire qui devait l’occuper l’avait abandonné ! ! ! Indigné, et ne dédaignant pas, dans son zèle, de descendre au rôle de simple chasseur, ce vertueux caporal prit bénévolement la place du coupable factionnaire, fit, par un froid de quatorze degrés, trois heures de faction, et s’enrhuma… En récompense de sa belle conduite, le caporal TROIS ÉTOILES a été nommé sergent.

 

À quoi auront servi tous ces grands mouvements, et qu’aura-t-on gagné à engager cette lutte insensée ? Malheur à ceux qui se sont plaints ! Malheur à ceux qui les ont écoutés ! Les insurgés en sont aux expédients ; leur trouble est tel que les plus exorbitants projets s’agitent, trouvent crédit, et se discutent sérieusement parmi eux. Nous le prouvons.

 

Une TAUPE aurait proposé d’élever autour de l’armée une enceinte continue de taupinières.

– La belle idée ! s’écria le FURET ; ne vous trouvez-vous pas assez enfermée comme cela, ma commère ?

 

– Je me fais fort de filer un pont suspendu sur lequel nous pourrons nous évader à la faveur de la nuit, dit l’ARAIGNÉE.

– Merci ! dit la MOUCHE, je refuse.

– Et moi j’accepte, dit l’ÉLÉPHANT ; quand on en est où nous en sommes, tous les moyens sont bons.

Un rire homérique accueillit cette réponse.

 

Cette miraculeuse naïveté de l’ÉLÉPHANT a inspiré à un de nos amis un couplet de fantaisie que nous donnons ici afin qu’il ne soit pas perdu pour la postérité. Nous regrettons que l’auteur de cette poésie fantastique s’obstine à garder l’anonyme.

En récompense de sa belle conduite, le caporal *** a été nommé sergent.
Un Éléphant se balançaitSur une toile d’araignée ;Voyant qu’il se divertissait.Une Mouche en fut indignéeEtc…

AIR : Femmes, voulez-vous éprouver.

Un Éléphant se balançait
Sur une toile d’Araignée :
Voyant qu’il se divertissait.
Une Mouche en fut indignée :
Comment peux-tu te réjouir,
Dit-elle, en voyant ma souffrance ?
Ah ! viens plutôt me secourir,
Ma main sera ta récompense

Au moment où le triomphe nous paraissait le plus certain, la face des choses a changé complètement, et la fortune s’est déclarée contre nous.

Pouvions-nous prévoir un pareil désastre, après avoir vu partir notre belle armée équipée avec tant de soin et si bien disposée ! Quelques MOUCHES savantes, dont les études avaient été dirigées vers l’art de la mécanique, pour lequel on sait que les MOUCHES ont d’étonnantes dispositions, commandaient l’artillerie. Les plus robustes traînaient des munitions de guerre dans des petits caissons faits de gousses de pois secs, et d’autres portaient sur l’épaule de petits mousquets faits avec la centième partie d’un fétu de paille, mais qu’elles tenaient d’un air si martial, que c’était plaisir de voir ces braves petites mouches voler à la gloire, comme s’il se fût agi d’aller à la picorée d’une fleur. Les deux armées se sont rencontrées sur les galeries vitrées qui couvrent les serres chaudes. Dans cette fatale journée, une circonstance fortuite fit perdreau prince Bourdon, général en chef de notre armée ailée, le fruit d’une des plus grandes manœuvres qui aient jamais été essayées.

Il avait partagé son armée en trois masses : la droite, commandée par lui-même entouré de son brillant état-major où l’on remarquait, parmi les colonels, des Papillons, le vénérable PRIAM, l’APOLLON, le PAON DE JOUR, le CUPIDON, était forte de sept régiments d’infanterie légère ; les SAUTERELLES, les CRIQUETS, les PERCE-OREILLES, les PSOQUES, les PERLES et les ÉPHÉMÈRES.– Tous pleins d’ardeur.

Et la gauche, commandée par l’UROCÈRE GÉANT, se composait des régiments des CAPRICORNES ; des TROGLODYTES, des GRIBOURIS, des TÉNÉBRIONS et des CHARANÇONS.

La droite avait à combattre la gauche des ennemis commandée par le chef féroce de la famille des Coléoptères ; le SCARABÉE HERCULE, suivi des phalanges redoutables des GOLIATH, des BOUCLIERS, des HANNETONS, des COUSINS, des BOMBARDIERS et des TAUPINS.– Que pouvaient faire les troupes légères du prince BOURDON contre cette impénétrable infanterie ?

Sa gauche était opposée aux sections des ANDRÈNES mineuses, coupeuses et charpentières, et à la corporation des RHINOCÉROS, qui, n’ayant qu’une corne, obéissent naturellement au CERF-VOLANT qui en a deux.

Que pouvaient faire les troupes légères du prince Bourdon contre cet impénétrable infanterie.

Son contre avait pour adversaire la foule immense des MOUCHERONS, des PUCERONS, des TEIGNES et des insectes à deux cent quarante pattes.

 

Le prince BOURDON avait espéré que le SCARABÉE HERCULE commencerait l’attaque et ferait traverser à ses lourdes troupes la distance qui séparait les deux armées ; mais le SCARABÉE HERCULE, auquel un faux BOURDON déserteur avait dévoilé les projets du prince, défendit aux siens de bouger, et fit serrer les rangs et ployer les ailes, résolu d’attendre le choc sans l’aller chercher.

Les enseignes flottaient au vent, le soleil dardait sur les étincelantes armures des insectes rangés en bataille. Des CIGALES, dont on vante avec raison l’aptitude pour la musique, placées sur les limites des deux camps, à l’extrémité des deux paratonnerres, soufflaient de toute la force de leurs poumons dans des petites flûtes à l’oignon, et cette musique guerrière portait à son comble l’ardeur de nos troupes. De temps en temps une graine de balsamine lancée du haut des airs avec beaucoup de précision, par des CERFS-VOLANTS fort adroits dans ce genre d’exercice, venait éclater dans nos rangs et y laissait des traces sanglantes.

 

L’armée ennemie ne bougeait pas.

 

L’impatience gagnait nos braves cohortes. « Dépêchons, nous disaient les ÉPHÉMÈRES qui déjà avaient eu, presque tous, le temps de blanchir sous les armes, la vie est courte. » Bientôt, emportés par leur fougue, et sans écouter les menaces ni les prières du seigneur BOURDON, ils volèrent les premiers à l’ennemi ! ! ! et firent ainsi tourner contre eux-mêmes le plan si bien conçu par leur habile général, car l’armée tout entière les suivit. En effet, chacun ayant quitté son rang pour courir selon ses forces, les nôtres arrivèrent en désordre et tout essoufflés devant le front ennemi, qui s’ouvrit tout à coup et laissa voir les gueules menaçantes d’une double rangée de canons d’une invention nouvelle. Ces canons étaient si petits qu’on les voyait à peine, et nous ne savons comment on avait pu les faire. Ils étaient charmants, mais ils tuaient beaucoup de monde. Pendant plus d’un quart d’heure, ils écrasèrent nos troupes. Bientôt on en vint à combattre à l’arme blanche. On ne saurait croire combien sont terribles et acharnées ces luttes d’INSECTE à INSECTE. Tout devenait un instrument de mort entre les pattes des combattants furieux. Les feuilles de cyprès se changeaient en lances meurtrières, les moindres brins de bois sec étaient autant de massues, et on entendait au loin le choc retentissant des cuirasses contre les cuirasses, des corselets contre les corselets et des écailles fracassées.

Des ailes brisées, des membres épars, des petites montagnes de morts et de mourants, du sang partout, tel est l’horrible spectacle que présentait cette scène de carnage.

Et les Fleurs, captives dans leur prison de verre, voyant ce qui se passait au-dessus de leur tête, ne savaient que penser de ces abominables fureurs.

 

L’aile droite plia la première. Le pied ayant glissé au colonel des HANNETONS, un des plus braves officiers de l’armée, dans un effort qu’il faisait pour dégager un peloton qui s’était laissé entourer, il roula dans la gouttière d’une façon si fâcheuse, qu’il tomba sur le dos, ce qui est le plus grand malheur qui puisse arriver à un HANNETON. Une GUÊPE de l’armée ennemie n’eut pas honte d’abuser de la position d’un adversaire sans défense, et elle lui passa son dard au travers du corps.

À cette vue, le régiment que commandait le colonel se débanda. Le prince BOURDON essaya, mais en vain, d’arrêter les fuyards. C’était une bataille perdue, le Waterloo de notre cause ! Désespéré, et ne voulant pas survivre à sa défaite, le général en chef se jeta au plus fort de la mêlée et y trouva ce qu’il y cherchait, la mort des braves ! Il tomba percé de vingt-deux coups, après avoir fait des prodiges de valeur. La nouvelle de cette mort se répandit en un instant, et la déroute bientôt fut complète.

L’armée victorieuse ne perdit pas de temps ; elle alla bien vite dégager l’armée de terre qui, ne pouvant faire mieux, était toujours restée bloquée dans les cours de l’amphithéâtre.

 

Nous avons la douleur d’annoncer que le prince Léo a été obligé de battre en retraite.

 

L’armée de terre et l’armée d’air des révoltés ont pu opérer leur jonction. Elles marchent sur nous, – le bruit parait se rapprocher, – les cris deviennent plus distincts, – il nous semble même entendre les mugissements du BUFFLE et le bruit des pas de l’ÉLÉPHANT.– Le prince Léo vient d’être tué ; – parmi nos amis, ceux qui ne sont pas morts nous abandonnent. C’est à un gouvernement qui tombe qu’il faut demander ce que valent les dévouements politiques. – Entre les mains de l’esprit de parti, tout devient une arme. – Le bureau des réclamations ne désemplit pas ; le moment est bien choisi ! – L’émeute est là, à nos portes, – sous nos fenêtres, – partout. – L’émeute ! Mais est-ce une émeute ? est-ce une révolution ?

Le Bureau des Réclamations ne désemplit pas.
Une bonne pluie pourrait encore assurer le triomphe des bons principes.
Ces messieurs en étaient là, quand la porte d’en bas vola en éclats… C’était l’Éléphant qui sonnait

C’est au péril de nos jours que nous informons nos lecteurs de ce qui se passe.

Hélas ! le temps est superbe. – Le soleil est-il donc l’ennemi de tous les gouvernements légitimes. – Que ne pleut-il à torrents ! Une bonne pluie pourrait encore assurer le triomphe des bons principes.

Qui sait à qui nous obéirons demain ? qui sait ?…

 

NOTE DU GARÇON DE BUREAU.

– « Sachant combien mes chefs tenaient à ne pas laisser nos lecteurs le bec dans l’eau, je prends la liberté d’écrire à mon tour. Je ne m’arrêterai que quand on m’arrêtera. » –

 

Ces messieurs en étaient là quand la porte d’en bas vola en éclats ; c’était l’ÉLÉPHANT qui sonnait. La plume tomba des mains de M. le PERROQUET, ses yeux se fermèrent comme s’il eût pensé à dormir, mais il n’y pensait pas.

M. le SINGE courut à la fenêtre.

– Que voyez-vous ? lui dit le COQ.

– Je vois trouble sur trouble, rassemblement sur rassemblement, complot sur complot, répondit le SINGE en laissant tomber ses bras en SINGE qui n’espère plus rien, et qui ne serait pas fâché de pouvoir s’en aller.

– Mille crêtes ! ne cédons pas à la force ! criait ce brave M. le COQ qui ne tremblait que de colère.

– Et à quoi diable céderions-nous, si ce n’est à la force ? repartit le SINGE qui, dans son désespoir, s’arrachait la barbe et se meurtrissait le visage.

– Quoi ! s’écria le COQ en lui sautant au collet, vous auriez la lâcheté de donner votre démission ! !…

– N’en doutez pas, répondit le SINGE qui devenait pâle comme ce papier : refuser ce que tous demandent, c’est remuer un nid de GUÊPES. Si l’on m’y force, je ferai tout ce qu’on voudra ; je…

 

Il ne put achever. La porte même du cabinet s’ouvrit brusquement. C’était l’ÉLÉPHANT qui l’avait ouverte, ce fut le RENARD qui entra.

 

– Arrêtez ces messieurs, dit ce dernier aux DOGUES qui l’accompagnaient, en indiquant nos trois rédacteurs en chef. Le PERROQUET était dans la cheminée, le SINGE s’était caché sous son fauteuil, M. le COQ était furieux ; sa crête n’avait jamais été si rouge. On les arrêta.

Que fais-tu là ? me dit le RENARD.

Ce que vous voudrez, Monseigneur, lui répondis-je en tremblant.

– Eh bien, drôle ! continue, me dit-il.

– Je continue donc.

Il était entré beaucoup de monde à la suite du RENARD. En entrant, chacun criait : Vive monseigneur le RENARD ! Et on avait bien raison, car je n’ai vu de ma vie un prince si affable

– Mes amis, disait-il, rien n’est changé dans ce cabinet. Il n’y a ici qu’un Animal de plus.

Cette belle parole fut couverte d’applaudissements.

Le RENARD prit alors une plume, celle-là même qui venait de servir au SINGE. Il la tailla avec le canif du SINGE, s’assit dans le fauteuil du SINGE, devant la table du SINGE, et écrivit les proclamations suivantes, avec l’encre même du SINGE :

Première proclamation

« Habitants du Jardin des Plantes !

Messieurs le COQ, le SINGE et le PERROQUET ayant donné leur démission, toute cause de désordre a cessé.

LE RENARD,

Gouverneur et rédacteur en chef provisoire »

– Lisez et signez, dit-il au COQ, au SINGE et au PERROQUET. Les deux derniers signèrent, mais M. le COQ refusa.

– Je ne me déshonorerai pas, dit-il.

– Nous allons voir, dit le RENARD.

Il reprit alors la plume et écrivit une nouvelle proclamation de laquelle il espérait davantage, à ce qu’il paraît. Quand elle fut écrite, il m’ordonna d’en faire la lecture à haute voix. Je lus donc :

Deuxième proclamation

« Habitants du Jardin des Plantes !

 

Pendant que vous dormiez, on vous trahissait ! !

Mais vos amis veillaient pour vous.

Assez longtemps nous avions courbé la tête sans nous plaindre ; le moment était venu de la relever.

Ainsi avons-nous fait.

Par nos soins, une grande et définitive révolution vient de s’accomplir : les traîtres qui vous gouvernaient et qui vous vendaient ne vous vendront plus, ne vous gouverneront plus.

Les fastes de votre histoire apprendront au monde comment se venge la Nation Animale et ce que pèse sa colère.

À l’heure qu’il est, justice est faite ! l’œuvre est consommée, et les coupables ont payé de leur vie le mépris qu’ils faisaient du droit sacré des bêtes.

Ils sont pendus.

 

N.B. – Par égard pour ces anciens chefs de notre gouvernement, on les a pendus à des potences toutes neuves, avec des cordes qui n’avaient jamais servi. »

M. le COQ écouta cette lecture sans sourciller. Il se contenta de croiser ses bras derrière son dos, comme il en avait l’habitude, et parut décidé à ne pas plus bouger que s’il n’avait rien à voir dans ce qui se passait.

– Mais, dit le SINGE en prenant une voix caressante que je ne lui connaissais pas, Monseigneur assure que nous sommes pendus, je crois que Monseigneur se trompe.

– Est-ce que vous songeriez à nous pendre ? s’écria le PERROQUET en sanglotant.

– Mon Dieu non, dit le RENARD, c’est un précédent que je ne tiens point à établir ; mais il faut pourtant que vous ayez l’air d’avoir été pendus.

On entendait au dehors les cris de la populace. Une foule innombrable, composée en grande partie de badauds, de badaudes et de petits enfants qui demandaient la tête des tyrans, assiégeait l’entrée du cabinet de rédaction. Tous ceux qui n’avaient pu entrer par la porte voulaient entrer par les fenêtres, qu’on fut même obligé de fermer.

– C’est nous qui avons fait la révolution, disaient-ils ; ouvrez-nous.

– Patience ! leur répondait de temps en temps le RENARD ; patience ! si vous êtes sages, on vous donnera de petites médailles.

 

Ne rien refuser, mais ne rien donner, c’est avec cela qu’on gouverne.

 

Les cris : « Mort aux tyrans ! mort aux rédacteurs, » redoublaient.

 

– Vous l’entendez, messieurs, dit le RENARD, il faut bien faire quelque chose pour le peuple. – Cependant, ajouta-t-il, si vous trouvez le moyen de contenter cette multitude en gardant vos têtes, vous les garderez.

– Le moyen ? s’écria le SINGE, je l’ai trouvé ! Et, dans sa joie, il sauta trois fois jusqu’au plafond.

 

M. le SINGE s’était jadis emparé, dans l’intention sans doute de lui rendre les derniers honneurs, du corps empaillé d’un Singe de sa race, dans lequel il croyait avoir reconnu un de ses grands-oncles en ligne maternelle. Il l’alla chercher, et il fut décidé que le grand-oncle figurerait au haut de la potence… à la place de son coquin de neveu ! Avant d’envoyer au martyre la précieuse momie, et pour mieux tromper la multitude, M. le SINGE dut la parer de sa demi-blouse et de son bonnet bien connu, ce qu’il fit non sans verser des larmes abondantes.

– Et maintenant, mon cher monsieur, lui dit le RENARD, si vous voulez m’en croire, vous vous cacherez, et si bien, que pendant quinze jours au moins on ne puisse pas plus vous apercevoir que si vous étiez réellement trépassé ; après quoi vous serez libre, je pense, de reparaître sans danger. Il n’est pas de mort, dans notre beau pays de France, qui n’ait le droit, au bout de quinze jours, de ressusciter impunément ; le peuple est le plus magnanime des ennemis, il oublie tout.

– Il est aussi le plus infidèle des amis, murmura le SINGE. Puis, jetant un dernier, un triste regard sur ces cartons ! sur ce bureau ! sur ce cabinet ! il disparut.

Oh ! destinée !

 

M. le PERROQUET trouva le moyen d’endoctriner une vieille PERRUCHE qui l’adorait, et qui consentit à se faire pendre à la place de son bien-aimé. Le PERROQUET protesta qu’il n’oublierait de sa vie un si beau dévouement, et la pauvre vieille marcha au supplice le cœur content et d’un pas ferme. Un quart d’heure après, l’ingrat, rentré incognito dans la vie privée, était déjà dans l’appartement des jeunes PERRUCHES.

Quant au COQ, il répondit que la vie ne méritait pas qu’on fit une lâcheté pour la conserver. Il refusa obstinément de souscrire à toutes les propositions qui lui furent faites, et comme il tenait à être pendu en personne… il le fut.

(N.B. – Le jour même on apprit qu’une belle petite Poule blanche, que chacun aimait et respectait à cause de sa douceur et de ses vertus, était morte subitement en apprenant la mort de celui qu’elle aimait.)

La foule, qu’avait attirée le désir bien naturel de voir de près de si grands personnages en l’air, avait eu son spectacle. – Quelques anciens admirateurs des rédacteurs pendus ne revenaient pas de leur étonnement. – « Est-il possible, se disaient-ils, que des Animaux de cette importance puissent être pendus comme le premier venu ! Que va devenir le monde, qui semblait ne se mouvoir que par eux seuls ? »

Un Oiseau, dont le nom est resté inconnu, publia à ce sujet un pamphlet dans lequel il développa cette proposition : « Il est bon que celui qui gouverne ne soit pas tout l’État ; car, s’il lui arrivait malheur, c’en serait fait de l’État. »

 

Après l’exécution, M. le RENARD jugea à propos de rendre publiques les deux proclamations qu’on vient de lire, et, se trouvant en veine de proclamer, il joignit à ces deux premières proclamations, la troisième que voici :

Troisième proclamation

« Habitants du Jardin des Plantes !

Investi par votre confiance d’un mandat aussi important que celui de diriger la seconde et dernière partie de notre histoire nationale, choisi par votre libre vœu, je crois inutile d’exposer ici des principes qui m’ont valu vos suffrages.

C’est à l’œuvre que vous me jugerez ; je ne vous ferai point de promesses, quoique les promesses ne coûtent rien. Je ne vous dirai point que l’âge d’or va commencer pour vous. Qu’est-ce que l’âge d’or ? Mais je puis vous assurer que quand vous ne trouverez à mon bureau ni plume, ni encre, ni papier, c’est qu’il n’y aura pas eu moyen de s’en procurer.

Ma devise est justice pour tous, et sincérité. Rappelez-vous que si ces mots étaient rayés du dictionnaire, vous les retrouveriez gravés en caractères ineffaçables dans le cœur d’un Renard.

Votre frère et directeur,

LE RENARD. »

Ces trois proclamations remplacèrent avantageusement sur les murs celles du gouvernement déchu. Le dévouement bien connu de l’afficheur Bertrand à l’ancienne rédaction le rendait justement suspect à Monseigneur, et l’affichage fut confié à Pyrame, ex-employé de Bertrand, qui promit au gouvernement nouveau des colles encore plus fortes que celles de son maître. Après une révolution, il est juste que les derniers deviennent les premiers. Les révolutions n’ont peut-être pas d’autre but.

Ces proclamations furent, en outre, lues, criées, chantées, aboyées, sifflées partout, – et leur effet a été immense. – L’espoir est rentré dans tous les cœurs. Tout le monde s’embrasse ; le moins qu’on puisse faire, c’est de se serrer tendrement les pattes. – Quand on aura jeté un peu de terre sur les morts, qui pourra dire qu’une révolution a passé par là ?

Quelques-uns de ces Animaux qui veulent se rendre compte de tout, qui fouillent partout, qui trouvent tout mal, ne pouvant nier que Monseigneur le RENARD soit rédacteur en chef, se demandent par qui il a été nommé. Eh ! mon Dieu, que vous importe, pourvu qu’il l’ait été. On se nomme soi-même et on n’en est pas moins nommé pour cela.

 

Monseigneur ayant, ce matin, jeté les yeux sur mon travail, a daigné me dire qu’il était à peu près content de moi et qu’il voulait récompenser mon zèle. Hier encore j’étais garçon de bureau… aujourd’hui je suis secrétaire particulier de Son Altesse ! Hier on me marchait sur les pattes, aujourd’hui on me les lèche ! évidemment je suis quelque chose, je puis quelque chose.

J’ai profité de l’occasion pour apprendre à Son Altesse que j’avais été chien de cour dans un collège.

– Je vous en félicite, me dit mon maître, c’est encore une des plus profitables manières d’être chien qui existe. Au moins, si l’on ne sait rien en sortant du collège, on a l’air de savoir quelque chose : l’important ce n’est pas d’être, c’est de paraître.

On dit que je me suis vendu, on se trompe, j’ai été acheté, voilà tout ; du reste, la place qui vient de m’être donnée a cet avantage sur la plupart des autres places, qu’on ne l’a enlevée à personne pour me la donner. Elle a été créée exprès pour moi.

On sonne… C’est une députation des Notables Animaux du Jardin.

On sonne. – C’est une députation des notables Animaux du Jardin.