Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Sophie l’Obscure est le récit de l’enlèvement d’une jeune auvergnate par des extra-terrestres qui ressemblent à des escargots géants avec tentacules, les Escargolides.
Ces derniers sont attaqués par deux autres races extra-terrestres mais comme ils sont extrêmement pacifiques et ne savent pas se défendre, ils viennent chercher Sophie pour leur servir de chef de guerre.
Après un voyage mouvementé, Sophie est débarquée sur la Grande Coquille, planète capitale des Escargolides et y rencontre l’empereur Tanazor. Ce dernier, ne désirant pas endosser la responsabilité de la guerre, lui confie temporairement les rênes du pouvoir et se fait congeler en attendant la fin de la guerre.
Sophie utilise un outil stellaire, une sorte de désintégrateur géant contre les météorites et détruit la planète des Feils, commettant un génocide planétaire. Elle menace ensuite les Gasch qui signent la paix puis elle refuse de restituer le pouvoir à Tanazor et devient la première Impératrice de la galaxie !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Officier de Police, marié et père de deux filles dont la plus jeune a été diagnostiquée autiste de bas niveau,
Claude Aubertin se met à écrire pour l’aider à évoluer, à sortir de son monde. Il est auteur de plusieurs ouvrages parlant d’autisme, dont Daphné le petit gorille. Doté d’une belle plume, il touche aussi à d’autres genres littéraires.
Après avoir publié un premier roman médiéval fantastique La petite elfe en colère aux éditions le lys bleu, le roman de science-fiction Sophie l’obscure est son deuxième livre publié par cet éditeur.
Une adaptation sonore d’une version résumée du roman a été éditée par PHB éditions sous le titre « Dark Sophie »
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Claude Aubertin
Sophie l’obscure
Roman
© Lys Bleu Éditions – Claude Aubertin
ISBN : 979-10-377-0395-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Autour du feu de camp, les adolescents faisaient frileusement face aux flammes, se réchauffant autant de la présence de leurs voisins que du rayonnement du foyer primitif. Ce n’est pas tant le fond de l’air qui était frais, mais plutôt ce petit vent frisquet qui avait tendance à les faire frissonner par intermittence, eux qui se targuaient pourtant d’appartenir à une élite sélectionnée en vue d’un destin exceptionnel. La nuit profonde qui les encerclait accentuait l’impression de désolation, entretenue par le silence et la tranquillité des lieux, peu troublée par les quelques crépitements issus de la combustion des branches bien sèches. Ils attendaient sans bruit leur maître, tous les cinq, bien dressés à obéir aux instructions, qui étaient en l’espèce d’attendre en silence.
Leur maître Sombre Mickaël leur avait expliqué qu’un peu d’attente et de méditation préparaient leur esprit à mieux recevoir l’enseignement qu’il allait bientôt leur dispenser. Aucun d’entre eux, deux garçons et trois filles, n’aurait pris l’initiative de désobéir et n’y pensait même pas. Ils avaient pourtant été sélectionnés en raison de leur dynamisme, certains auraient même dit leur agressivité, et de leur vivacité d’esprit, qui ne se manifestait guère en cet instant. Mais la crainte que leur inspirait leur maître suffisait à juguler toute volonté de rébellion ou de chahut. Non pas qu’ils auraient hésité une seconde à défier qui que ce soit, Sombre Mickaël compris, en cas de vraie nécessité, mais ils avaient aussi suffisamment d’intelligence et de tactique pour savoir quand le jeu en valait la chandelle. Des spécimens inférieurs auraient balayé toute crainte pour chahuter ou bavarder entre eux, mais ces cinq-là étaient la crème de la crème : non seulement ils étaient courageux, déterminés et intelligents, mais ils étaient aussi assez sages pour ne rien faire sans une bonne raison, calculant instantanément les avantages et les inconvénients d’une action dans une situation donnée. La seule bride de leur courage inouï était leur ruse innée.
Ils avaient été choisis parmi des millions de candidats tous issus d’une classe d’âge terrienne : ils ne seraient que cinq cette année-là à recevoir l’enseignement de Sombre Mickaël, contre huit l’année précédente et quatre seulement l’année d’avant. Des tests scientifiquement menés avaient déterminé leur accès à ce petit groupe, mais la science ne pouvait pas tout et leur maître devait maintenant les amener à une conscience plus nette de leur vie future au sein de l’ordre des chevaliers galactiques. Le petit moment d’attente devant ce feu rudimentaire sur cette colline perdue d’une planète quasiment déserte était un test important : il devait déterminer si l’un d’entre eux serait assez stupide ou inconscient pour risquer son éviction du groupe pour le simple plaisir de discuter. Celui qui aurait ouvert la bouche aurait été éliminé immédiatement, ce qui peut sembler bien sévère, mais en fait était parfaitement clair dans l’esprit du rusé Sombre Mickaël, qui savait comment sélectionner ses élèves : transgresser un ordre direct sans profit important et en étant presque sûr de se faire attraper était un signe de faiblesse dans le raisonnement et dans la volonté. Or la mission de Sombre Mickaël était justement de détecter de tels signes et d’en désigner les porteurs. Une telle faute serait sanctionnée durement par le retour sur la planète Terre et l’abandon de tout espoir d’intégration de l’ordre de chevalerie galactique, ce qui était ce qui pouvait arriver de pire aux jeunes gens autour du feu.
Une autre règle qui avait été imposée ce soir était l’interdiction absolue de quitter le cercle, y compris et surtout pour soulager sa vessie. D’une manière que les apprentis ne pouvaient pas comprendre, la résistance à l’envie d’uriner était un critère important dans la sélection des jeunes recrues, ce qui peut paraître curieux, mais l’explication de cette mesure prenait sa source dans de graves événements historiques connus de tous les chevaliers galactiques titulaires. Sombre Mickaël savait très bien pourquoi cette qualité de résistance à l’épanchement urinaire était considérée comme cruciale au sein de son ordre et il saurait faire comprendre en temps voulu à ses élèves la pertinence de l’entraînement de leurs sphincters. Pour ce soir, il avait pris soin de leur servir un repas très salé dès le début de la journée, puis de leur fournir à tout moment de quoi étancher leur soif dévorante, la bande de jeunes gens était dès lors fin prête pour ressentir les affres de l’envie de pisser et nul doute qu’ils étaient tous dans cet état. Mais aucun ne le montrait et de même que les jeunes spartiates préféraient se faire dévorer le ventre par le renardeau dissimulé sous leur tunique plutôt que d’avouer cette capture, les jeunes séides de Sombre Mickaël auraient préféré se faire éclater la vessie que subir la honte de quitter le cercle sous les yeux moqueurs, mais aussi un peu envieux, de leurs camarades restés assis.
Cependant plusieurs minutes s’étaient écoulées sans qu’aucune transgression des instructions n’ait été enregistrée par les multiples capteurs adroitement dissimulés dans les environs et Sombre Mickaël se décida à rejoindre ses élèves. Il s’avança jusqu’à eux dans son costume noir ajusté, renforcé de plaques de blindages plastiques aux endroits stratégiques. Des tatouages tribaux noirs parsemaient la base de son cou et ses avant-bras dénudés, indiquant par leurs dessins honorifiques qu’il avait été récompensé pour ses actions passées. Depuis son entrée dans l’ordre, il avait fait du chemin et ses fonctions actuelles démontraient en quelle estime le tenait sa hiérarchie.
Il était tête nue, car l’Impératrice en second, qui était la grande maîtresse de l’ordre, avait banni tout usage de masque ou de casque, expliquant que la tête nue permettait une meilleure perception de son environnement et que malgré les machines de détection sophistiquées à leur disposition, les chevaliers galactiques devaient toujours se fier à leurs organes naturels en priorité. Ainsi nul casque ni masque ne devait limiter la vue, l’ouïe ou l’odorat des chevaliers, sauf si une nécessité vitale l’imposait, comme sur les planètes à l’atmosphère hostile ou en cas de blessure grave. Un des avantages de rester tête et bras nus était la possibilité d’exhiber ses tatouages et ainsi d’affirmer son rang parmi ses pairs, mais aussi d’impressionner les jeunes recrues.
Le costume de Sombre Mickaël était simple et fonctionnel, uniformément noir mat selon les prescriptions de l’ordre et aucun signe distinctif ne signalait l’importance de son propriétaire. Tous les chevaliers se connaissaient et une fois adoubés, avaient théoriquement le même grade, ce qui rendait inutile les insignes et les galons. Les particularités de chacun ou les signes honorifiques étaient cependant présents sous forme de tatouages codifiés. Seule la famille impériale pouvait se vêtir à sa guise tout en faisant partie de l’ordre, dans les limites précisées par l’Impératrice en second qui, quant à elle, s’habillait comme elle le voulait. Il faut préciser que quiconque aurait émis une critique à ce sujet aurait eu bien du souci à se faire pour son avenir proche. Mais heureusement personne n’était assez téméraire pour tenter l’expérience.
En rejoignant le petit groupe, Sombre Mickaël sentait l’exaltation remplir son esprit alors qu’il s’apprêtait, comme chaque année, à raconter l’extraordinaire histoire, dont il savait qu’elle était parfaitement authentique malgré ses allures de légende, de l’Impératrice en second et de son avènement. Il s’assit au milieu d’eux sous leurs regards interrogatifs et prit son temps avant de rompre le silence, partant du principe que leur attention serait encore plus vive après avoir été aiguillonnée par leur curiosité insatisfaite. Il s’adressa alors à ses ouailles en ces termes :
- « Ce soir je vais vous conter l’histoire réelle et sincère de l’accession au pouvoir de notre Impératrice en second, qu’on appelle Sombre Sophie, Sophie l’Obscure ou Dark Sophie dans certaines contrées. Cette histoire vous montrera quelles qualités on attend de vous et ô combien ridicules sont les épreuves que vous aurez à traverser au regard de celles qu’a connues Sombre Sophie, maîtresse de notre ordre. Votre respect envers elle en sortira grandi et vous saurez alors que vous devrez vouer votre vie et vos efforts à perpétuer l’œuvre de la créatrice de notre ordre. Je vous saurai gré de ne point m’interrompre et de vous imprégner de mon récit dont la connaissance ouvrira vos âmes à l’obéissance respectueuse et surtout à la compréhension de l’amour véritable que vous vouerez dorénavant à la famille impériale.
Vous verrez par mon récit à quel point nous avons la chance d’être gouvernés par un être aussi exceptionnel que l’Impératrice en second Sophie et comment elle a su toujours prendre les meilleures décisions et agir de la façon la plus parfaite. Vous verrez également qu’une telle accumulation de qualités dans un seul être vivant ne peut être le fruit du hasard et que son action est venue s’inscrire au moment le plus crucial pour la sauvegarde du bien à travers l’univers.
Pour toutes ces raisons et quelques autres encore, vous comprendrez alors que l’avènement de Sa Majesté ne peut être qu’un effet de la divine providence et vous devrez en conclure que non seulement nul ne peut ni ne doit s’opposer à sa volonté, mais que tout être sensé doit immédiatement agir selon tous les moyens mis à sa disposition pour favoriser l’action impériale et éliminer toute opposition à celle-ci. Nous ne vous demandons pas simplement l’obéissance ou la fidélité, comme on peut demander à n’importe qui contre récompense, gloire ou une quelconque rétribution. Non, ce que vous devez offrir à Sa Majesté Sophie, c’est une obéissance absolue et une fidélité sans faille d’une manière volontaire et en étant convaincus que c’est votre devoir.
Si l’un ou l’une d’entre vous a le moindre doute, s’il ne ressent pas l’envie de servir l’Impératrice en second de tout son cœur et de toute son âme, il est préférable pour son propre bonheur qu’il l’admette, le déclare et nous quitte. Aucune sanction ne sera prise, aucun reproche ne lui sera adressé et il sera même récompensé et honoré pour son honnêteté et un poste dans une autre organisation impériale lui sera proposé. Mais de grâce, restez absolument sincère dans votre engagement, nul ne doit servir dans la garde noire sans être intimement convaincu de la nécessité de son service et sans l’envie dévorante de servir la famille impériale.
Mais je vais donc vous conter l’histoire de l’accession au pouvoir de la famille régnante, pour que vous puissiez mieux appréhender quelle chance cet heureux événement a été pour l’empire… »
Sophie était, au début de cette histoire, une petite fille ordinaire de 12 ans révolus, presque 13 ans en fait, car elle était une fille de l’hiver. Elle allait en classe de cinquième où elle brillait par son intelligence et son travail scolaire qui la plaçaient sans difficulté en tête de sa classe. Elle était brune aux cheveux courts, ayant opté après plusieurs essais pour une coupe en carré plongeant qui lui donnait un air à la fois décidé et sérieux. Elle adorait manger du chocolat, particulièrement du chocolat blanc, si bien qu’une amorce de petit ventre commençait à arrondir sa silhouette par ailleurs bien proportionnée. Elle était très active et sans être nerveuse, elle ne tenait pourtant pas beaucoup en place. Pour la calmer un peu et renforcer son attention et le contrôle de son corps, ses parents l’avaient inscrite au club de tir de Moulins, la ville préfecture, où elle avait rapidement brillé en tir au pistolet au point de gagner plusieurs médailles régionales et nationales.
Elle avait en effet très vite apprécié le tir sportif, discipline demandant autant de mental que de physique et dont les résultats étaient directement conditionnés aux efforts accomplis. La ville de Moulins possédait un magnifique stand de tir, le troisième de France, et l’école de tir était bien gérée. Une des particularités de Sophie était le don qu’elle possédait de pouvoir se concentrer sur son action, s’enfermant dans une bulle de concentration, toute sa volonté bandée vers le but à atteindre et elle pouvait, sans jamais se laisser distraire ou perturber, aligner les tirs dans la mouche. Ce talent de Sophie avait été repéré assez vite et elle avait pu développer ses performances au pistolet avec facilité. Elle avait aussi tâté du tir à la carabine où ses performances dépassaient là aussi nettement celles de ses petits camarades, mais elle préférait cependant les armes de poing, qui convenaient plus à son caractère décidé. La présence régulière de son portrait dans les pages sportives du journal local lui assurait une certaine notoriété qui ne dépassait cependant pas le cadre de l’arrondissement de Moulins.
Sophie était donc une pré-adolescente pas si ordinaire que ça finalement, même si son milieu de vie et ses origines étaient modestes. Nul ne pensait qu’elle pourrait avoir un destin très différent de celui de ses camarades de classe tant il est vrai que les qualités personnelles ne suffisent pas toujours à s’élever dans la société française moderne. Bien que déjà fort dégourdie, elle habitait encore bien évidemment chez ses parents, dans une petite maison avec un grand jardin, au cœur de la région du Bourbonnais, au bord du village de Souvigny, pas très loin de la ville de Moulins.
Le Bourbonnais est une région agréable et champêtre, rurale et paisible, riche et fière d’une histoire religieuse et médiévale prestigieuse, mais assoupie et un peu rétive à la modernité envahissante des grands centres urbains. Au centre de la France, c’est un rêve engourdi d’une façon de vivre ancestrale qui disparaît lentement au profit des ordinateurs et des réseaux sociaux. Moulins, la ville capitale du Bourbonnais, avec ses vestiges d’une gloire passée, comme le château de la Malcoiffée, nommé ainsi en raison de sa toiture biscornue, par le roi Louis XIV de passage dans la ville, sommeille au bord de la paisible rivière allier, qui a donné son nom au département et qui est une des rares rivières d’Europe encore entièrement sauvage. Mais cette belle endormie se réveille aujourd’hui lentement, accédant à la modernité par petites touches, embellie et rénovée quartier par quartier, se transformant mine de rien en cité moderne, sans rien perdre de son charme séculaire. C’est un peu comme si la ville, effrayée par le galop de la modernité et la révolution informatique, avait ralenti l’allure pour bien réfléchir et entamer sa métamorphose en cité moderne, digérant les nouveautés avec application pour ne pas se fourvoyer dans une boulimie de changements trop hâtifs. Ainsi menée sans précipitation, la mue de la cité pouvait se dérouler sans qu’elle n’y perde son âme pour autant, comme on pouvait malheureusement le voir sous d’autres cieux.
À Souvigny même, le prieuré au centre de la cité médiévale attache ses habitants aux racines religieuses de cette terre si chrétienne et leur rappelle quels sont leurs ancêtres et leurs traditions. Ce type de région, de canton et de village forme des petits campagnards qui ont les pieds bien ancrés sur cette glèbe bourbonnaise, même quand ils surfent sur les vagues électroniques de la toile numérique mondiale. On peut alors voir pousser de futurs paysans au bon sens traditionnel, mais aussi quelques jeunes gens qui ont les pieds sur terre et la tête dans le nuage électronique mondial, mélange étonnant permettant une ingéniosité hors normes et une inventivité inégalée.
Sophie savait ainsi manier sa tablette numérique et savait aussi débusquer les lisettes, ces petits lézards bruns qui envahissent les murets et les jardins. Elle se méfiait des frelons, des vipères et des lézards verts, qui ne lâchent leur proie que dans la mort ou si on leur apprend à voler. Elle avait pris des cours auprès de son papa, qui avait un goût prononcé pour la pédagogie aérienne quand un de ces mini-crocodiles mordait avec férocité le bâton dont il se servait avec précaution pour explorer les bords du jardin, entouré sur trois côtés par des prés peu utilisés, sinon pour le foin. Un proverbe bourbonnais dit que « là où il y a du lézard vert, il y a des vipères » et le papa de Sophie se méfiant des deux types de bestioles, préférait faire précéder ses pas dans les secteurs suspects par la pointe de son bâton. À plusieurs reprises les lézards verts agressifs avaient montré les crocs et avaient mordu férocement la badine paternelle, bien décidés à ne pas lâcher leur proie. Un mouvement vers le haut et en direction du pré voisin permettait à l’opiniâtre reptile de découvrir les joies de l’apesanteur et de se croire devenu plus léger que l’air. Sophie imaginait parfois ces aérostiers éphémères criant de joie dans le vent d’un vol jubilatoire. L’arrivée au sol devait être une cruelle déconvenue, mais comme ça se passait hors de vue de quiconque ça ne gênait personne.
Une des phrases préférées de son père, qu’il avait empruntée au folklore local et que Sophie avait bien retenue, les enfants sachant toujours mieux retenir les blagues de leurs parents que les leçons de géométrie, était « Si ça gagne pas, ça débarrasse ! » Normalement cette phrase devait être prononcée lors d’une brocante par un vendeur heureux de se débarrasser d’un objet inutile et encombrant enfin vendu, mais le père de Sophie en avait détourné l’usage à des fins humoristiques et l’utilisait très souvent dans un contexte inhabituel. Ce paternel était plus prudent avec ces dames les vipères et était peu enclin à leur donner des leçons de voltige, craignant une mauvaise manœuvre qui aurait pu aboutir à un atterrissage au mauvais endroit et à une morsure empoisonnée et fort désagréable sinon mortelle. Il les évitait donc et les laissait s’enfuir la plupart du temps, d’autant plus que cet animal fait partie des espèces protégées. Mais dans les cas, rares mais malheureusement réels, où la vipère est agressive et attaque le passant, pour des raisons qui lui sont propres et qu’elle ne se donne généralement pas la peine d’expliquer, il fallait bien se défendre. Le découpage du reptile en petits morceaux apparentés à des sushis japonais, grâce à l’action efficace et verticale d’une pelle ou d’une bêche, ou de tout autre instrument adéquat, devenait alors une malheureuse nécessité, au grand bénéfice des corbeaux du secteur. En effet, il suffisait de jeter le cadavre d’un serpent dans le pré voisin pour voir peu de temps après un noir volatile emmener la dépouille au loin dans son bec pour un vol funéraire, qui serait évidemment suivi d’un repas en la mémoire de la victime.
Les vipères étaient la terreur de Sophie, car son père lui avait rappelé avec soin le danger qu’elles représentaient pour les petites filles aux mollets si tendres, si faciles à mordre pour ces reptiles venimeux. La vipère étant un animal furtif et généralement craintif, il fallait juste éviter de glisser la main sous une souche ou un objet susceptible d’abriter les crochets rampants. Sophie avait donc pris l’habitude de ne pas explorer sans précaution n’importe quel trou et elle se méfiait des hautes herbes. Malgré l’épandage régulier d’ammoniaque aux limites du terrain, il pouvait arriver qu’un serpent plus hardi ou moins sensible à l’alcali parvienne à se faufiler et dans ce domaine mieux valait ne pas prendre de risque. En période de reproduction, les reptiles sont parfois agressifs et la jeune fille ne voulait pas susciter leur colère et subir une attaque.
Quant aux frelons, elle avait appris à les reconnaître et à ne pas les embêter, si bien qu’elle en avait finalement moins peur que ses parents, sa mère en particulier avait un jour failli subir l’assaut d’un essaim entier et en avait gardé une appréhension bien naturelle pour ces prédateurs rayés. Son père, qui craignait moins les guêpes, était également prudent avec les frelons, sachant quelles souffrances et quels dangers ces petits monstres peuvent infliger aux imprudents. La pose en été dans le jardin d’un piège à guêpes ne suffisait pas à éradiquer la menace et les abords des arbres fruitiers restaient infestés d’insectes volants et venimeux, mais jusqu’ici toute la maisonnée avait réussi à éviter la piqûre, sans doute en partie par chance, mais aussi par un comportement prudent dans ses rapports avec ces bêtes.
En dehors de ces animaux empoisonnés et agressifs, Sophie ne craignait rien dans son domaine, elle savait être la plus grosse bête de son jardin et elle était très curieuse des caractéristiques et des mœurs des bestioles qu’elle pouvait rencontrer. Elle complétait ses observations sur le terrain par des recherches sur internet, parfois aidée de sa mère ou plus rarement conseillée par son père. La vie et son combat continuel étaient un de ses sujets d’étude favoris et de la naissance à la mort, rien de biologique ne lui était indifférent. Même si ses parents ne lui conseillaient pas forcément de s’orienter sur cette voie d’étude, il était bien possible qu’un jour elle décide de poursuivre dans ce domaine. Sophie étudiait en particulier les rapports de force entre espèces et elle considérait que toute vie était basée sur ce type de rapport, y compris la vie humaine. Elle avait conclu de son étude de la vie sauvage qu’elle pouvait tuer toutes les formes de vie présente dans son jardin et qu’elle était donc la plus grande menace qui pouvait s’y trouver, ce qui la plaçait au sommet de la hiérarchie, mais également lui avait fait prendre conscience du danger qu’elle représentait pour les autres êtres vivants.
Sophie aimait beaucoup ses parents qui le lui rendaient bien, mais elle avait également une petite sœur de 9 ans, Daphné, qui était bien malade, car elle était autiste non verbale. Cette affreuse maladie, l’autisme, qui peut prendre bien des visages, était présente chez Daphné sous sa forme la plus sévère et l’empêchait de parler, si bien qu’elle ne faisait pas les choses comme tous les autres enfants de son âge. L’autisme est un handicap qui peut prendre bien des formes mais dont la caractéristique principale est l’absence de communication avec les autres. On parle d’ailleurs de troubles envahissants du spectre autistique pour décrire ce handicap, car chaque enfant qui en est atteint présente des symptômes différents. Certains autistes parlent et réussissent à s’intégrer, on parle alors d’autisme de haut niveau. Mais les autistes non verbaux, qui comme leur nom l’indique ne parlent pas, et ils sont nombreux, ont beaucoup plus de difficultés.
Daphné avait toujours une couche et n’était pas propre, elle n’allait pas faire caca et pipi aux toilettes comme tous les enfants ordinaires de son âge, mais elle faisait encore ses besoins dans sa couche. Ses parents avaient tenté à maintes reprises de la convaincre d’améliorer cet état de fait, mais rien n’y faisait et il semblait que Daphné n’était tout simplement pas encore prête pour ce changement. Rien que ce problème-là aurait déjà handicapé la scolarité de n’importe quel enfant. Mais en plus Daphné ne parlait pas et refusait la communication verbale, même si des progrès avaient été observés lors de l’année scolaire en cours. Elle répétait maintenant quelques mots et avait appris à en écrire quelques-uns, mais ce n’était pas encore la perfection loin de là. Elle avait néanmoins bien progressé grâce aux efforts de son orthophoniste et même si la route restait longue jusqu’à la conversation courante, au moins des avancées étaient régulièrement enregistrées, ce qui nourrissait l’espoir de ses parents de la voir un jour intégrer la société humaine comme n’importe quelle petite fille.
Daphné avait été à l’école maternelle en milieu ordinaire en grande section, où une dame spécialement payée pour cela, appelée assistante de vie scolaire, l’avait aidée à travailler comme les autres enfants. Elle pouvait effectuer les mêmes exercices et travaux que les enfants normaux, les neurotypiques comme disent les psychologues. Malgré cette différence, Sophie et ses parents aimaient beaucoup Daphné, qui était gentille et câline et Sophie défendait toujours sa petite sœur à l’école quand certains méchants enfants se moquaient d’elle. Elle était alors intraitable et sans pitié, ne pouvant tolérer qu’on s’en prenne à sa sœur si gentille et sans défense. Elle défendait même plus sa sœur, avec qui elle était très proche malgré la difficulté de communication, que ses parents, car elle était très sensible à toute attaque dirigée contre la petite handicapée. Pour elle Daphné était la personne la plus importante de sa famille, qu’elle plaçait au-dessus de tout le reste. Elle avait décidé définitivement qu’elle était la protectrice de sa sœur et ses rapports avec elle étaient étonnamment fusionnels, malgré l’absence de langage. Daphné n’allait maintenant plus à l’école ordinaire, car son Assistante de Vie Scolaire avait été licenciée et sa mère lui faisait désormais l’école à la maison.
Sophie aurait bien aimé pouvoir discuter avec sa sœur et jouer normalement avec elle, mais ce n’était pas possible puisque Daphné ne parlait pas. Alors Sophie jouait parfois toute seule et s’inventait des histoires pour échapper à une réalité qui ne la satisfaisait pas entièrement. Sophie regardait aussi beaucoup la télévision et en particulier elle regardait beaucoup de films d’aventure et de science-fiction. Ainsi, elle avait beaucoup aimé les aventures de Dark Vador, son héros préféré et la Guerre des Étoiles, Star Wars en anglais, était son aventure favorite. Elle connaissait par cœur tous les films de la série et elle préférait ceux où Anakin Skywalker apparaissait en seigneur noir, sombre héros au charisme maléfique qui la fascinait. Le dernier opus de la série, sans Dark Vador puisqu’il était mort à la fin du sixième film, la satisfaisait moins, mais elle restait quand même très intéressée par la suite et par l’univers Star Wars. Chaque année elle se rendait à la convention des fans à Cusset, juste à côté de Vichy, et elle y paradait déguisée en visitant les stands commerciaux où elle pouvait dépenser un peu de son argent de poche, mis de côté spécialement tout au long de l’année pour cette occasion. Elle possédait d’ailleurs quelques statuettes et figurines de collection, plusieurs déguisements, des jouets et des livres sur ce thème et dans sa chambre les murs étaient recouverts des affiches des films. Sophie était incollable sur ce sujet et connaissait quasiment tous les détails de la saga.
Sophie était également très bavarde et avait beaucoup d’imagination, mais la différence qui handicapait sa petite sœur lui avait appris que la vie n’est pas toujours facile. Pourtant en voyant les progrès que Daphné avait accomplis grâce aux gens qui s’occupaient d’elle et qui étaient devenus des acquis définitifs à force de persévérance et de patience, en voyant aussi que la plupart des gens ignoraient les difficultés de sa sœur et parfois s’en moquaient, elle avait compris que le plus important est de ne jamais se résigner quand on avait des ennuis et de toujours garder son objectif à l’esprit sans dévier de sa route. Elle avait appris de cette manière que quand on veut vraiment quelque chose, il faut se battre pour cela et ne pas se laisser distraire par les difficultés ni par les personnes non concernées, mais qui se font un malin plaisir de gêner les efforts des autres. Elle avait aussi décidé que tout obstacle devait être attaqué sans relâche pour être abattu ou contourné, qu’il s’agisse d’un objet, d’une idée ou d’un être vivant, bref elle savait ce qu’elle voulait.
Sophie avait eu des petits poissons et des cochons d’inde, qui étaient malheureusement morts les uns après les autres et elle avait été très triste et avait compris que la mort peut aussi frapper même ceux qu’on aime très fort. La mort était un phénomène qui l’intéressait beaucoup, d’une manière précoce pour son âge et on sentait que cette curiosité n’était ni passagère ni futile, mais abondait une réflexion profonde et durable sur la question de la vie et de la manière de la mener pour chaque être vivant. Elle se sentait alors parfaitement en phase avec son héros maléfique au casque noir dont les efforts n’avaient pu sauver la vie de celle qu’il aimait. Elle s’identifiait sans peine au seigneur noir et ne rêvait que de pouvoir accéder aux secrets de l’escrime au sabre laser et de savoir utiliser la Force. Elle ne voyait pas Dark Vador comme quelqu’un de méchant, mais comme un héros incompris, qui n’avait pas pu sauver sa bien-aimée, à qui on avait caché ses enfants et volé sa vie et malgré ses difficultés, était devenu un personnage redouté et emblématique de l’empire. Elle avait compris mieux que beaucoup d’adultes que la saga créée par Georges Lucas racontait l’histoire d’Anakin Skywalker et de sa famille et rien d’autre.
Pour elle il était hors de question de pardonner à ses ennemis ni même de faire preuve de faiblesse envers eux. Pour ses amis elle pouvait être d’une fidélité sans faille, mais pour ses adversaires elle était implacable et sans merci. Elle avait calqué son attitude et ses règles de vie sur celles de son héros une bonne fois pour toutes. Elle avait remarqué que la tendance de la société moderne à vouloir ménager ses adversaires était inefficace avec des ennemis sans scrupules qui pouvaient profiter de la situation. À l’inverse, elle avait aussi remarqué que d’abuser de l’amitié finissait par la corrompre et elle avait fait sien l’adage qui dit qu’on ne peut être trahi que par ses amis. Elle avait alors décidé d’avoir peu d’amis, pour ne pas craindre la trahison, et de ne jamais trahir la première tant elle ne supportait pas cette façon de faire. Elle était donc avare d’amitié, mais les rares sélectionnés pouvaient lui faire confiance sans retenue et elle était avec eux d’une générosité extraordinaire. Concrètement sa morale pouvait se résumer ainsi « Traite tes amis comme des amis et tes ennemis comme des ennemis ! » Elle s’en était toujours bien portée et tout la confortait dans cette attitude. Sa famille restreinte à ses parents et à sa sœur, ses grands-parents des deux côtés étant éloignés, était le réceptacle de sa confiance absolue, qu’elle ne pourrait jamais accorder à ses meilleures amies. Daphné en tant qu’autiste, ne savait pas mentir et ne dissimulait jamais ses sentiments, elle ne savait pas faire semblant et cette sincérité était profondément admirée par Sophie, qui s’en était fait un modèle.
Malgré le handicap de sa sœur adorée et ses goûts bien particuliers, Sophie n’était pas d’une nature mélancolique ni renfermée, mais au contraire était très joyeuse, simplement elle avait décidé de ne pas se laisser faire dans la vie et de se battre toujours jusqu’au bout quoi qu’il arrive. Même quand elle discutait avec ses parents, elle essayait toujours de gagner, en négociant des avantages en plus, ou bien des compensations en échange d’un travail ou d’un effort qu’elle devait consentir. Bref, Sophie était une gentille petite fille, mais il ne fallait surtout pas croire qu’elle était faible. Elle était gentille avec sa famille et polie avec tout le monde comme ses parents lui avaient appris, mais quand on l’attaquait elle savait se défendre et ne s’avouait jamais vaincue. Elle savait aussi rester une fille et utiliser la ruse féminine quand il le fallait, ainsi elle savait pleurer à bon escient et quasiment à la demande. Elle s’était entraînée devant un miroir dans sa chambre pour savoir feindre le chagrin, la peur, la honte ou la colère et elle usait de ces artifices pour mener en bateau ceux qui ne la connaissaient pas assez. Ses parents ne se laissaient pas facilement abuser, surtout depuis qu’ils l’avaient surprise en pleine séance d’entraînement au faux chagrin devant sa glace. Et puis, après de nombreuses années de pratique, ils commençaient à la connaître, ils l’avaient quand même vu naître !
Pour compléter le portrait de Sophie, il faut ajouter qu’elle était vraiment intelligente et curieuse au-dessus de la moyenne, vive d’esprit et de corps et même si elle n’était pas téméraire, elle savait quand même prendre des risques quand elle pensait que ça valait le coup. Tout le monde aimait la jeune fille, sauf ceux qui avaient voulu lui faire du mal ou bien s’attaquer à sa petite sœur Daphné, car Sophie savait se défendre et ne pardonnait pas facilement. Pour elle un combat n’était jamais perdu d’avance et même en cas de défaite, elle cherchait aussitôt une occasion de revanche. Sophie était la princesse de son papa et de sa maman qui étaient très contents de leur fille aînée. Ils auraient juste préféré qu’elle range un peu mieux ses affaires dans sa chambre et parfois qu’elle soit un peu moins bavarde, mais dans l’ensemble ils avaient peu souvent l’occasion de la gronder. Elle travaillait bien en classe et était polie, elle ne recevait que des louanges de la directrice du collège et son avenir scolaire semblait bien parti. Ses performances au tir au pistolet et les médailles qu’elle y avait gagnées étaient un autre sujet de fierté, moins courant que la réussite scolaire, mais bien présent et son père savait que dans ce domaine, avec un peu de volonté, elle pourrait aller loin.
Daphné leur causait plus de soucis bien sûr, elle faisait beaucoup plus de bêtises et ils étaient heureux que Sophie aime Daphné malgré son handicap. La petite autiste avait cassé des jouets de Sophie et même lui avait volé son doudou dans le passé, mais Sophie ne lui en voulait pas et avait pardonné. Daphné était la seule personne qui pouvait se permettre d’embêter Sophie sans craindre des représailles immédiates et féroces. Pour résumer, Sophie pardonnait tout à Daphné, sans condition, alors qu’elle finissait par pardonner, parfois difficilement et en cherchant des compensations, aux autres membres de sa famille, mais ne pardonnait rien au reste du monde qui était pour elle au mieux bienveillant, souvent indifférent et parfois hostile.
À l’inverse Sophie était le seul être au monde auquel Daphné obéissait sans discuter et quand les parents n’obtenaient pas quelque chose de daphné ou n’arrivaient pas à calmer sa colère, ils faisaient appel à sa grande sœur qui seule pouvait calmer la petite handicapée et lui faire faire n’importe quoi. Pour lui faire lâcher un objet, aller quelque part où elle ne voulait pas, rester tranquille pour se faire couper les cheveux ou examiner les dents, seule Sophie pouvait convaincre Daphné et sans elle la vie de ses parents aurait été beaucoup plus compliquée. L’amour que les deux sœurs se portaient mutuellement avait néanmoins une conséquence néfaste, qui était l’indifférence aux autres et un certain enfermement. Daphné était incomprise de la plupart des gens et elle leur faisait un peu peur dans le meilleur des cas. Sophie souffrait de cette situation et avait tendance à vouloir se réfugier dans une bulle protectrice avec sa sœur, ses parents étant dans ce cas tolérés pour des raisons bassement matérielles et principalement alimentaires.
On ne peut pas dire que Sophie avait un cœur de pierre, car c’était loin d’être la vérité et la vénération qu’elle portait à Daphné aurait suffi à le prouver. Elle avait plutôt le cœur d’une louve affamée, indomptable et féroce, mais fidèle à sa famille et dévouée à sa petite sœur. Elle avait un esprit de clan et de tribu, retrouvant la mentalité des sauvages wisigoths dont elle était une descendante lointaine par son père de sang Bourguignon. Née à Moulins, elle alliait l’esprit de conquête des Bourguignons au bon sens et à la prudence Auvergnate. Le côté artistique et curieux des Bourguignons était tempéré chez elle par le sens de la terre, la patience et le sens de l’économie auvergnats. Ce mélange unique d’un inné du sang et d’un acquis du sol si dissemblables avait forgé une personnalité unique, riche des qualités de chaque lignée et purifiée des rares défauts dont elle aurait pu hériter. Un tel joyau ne pouvait qu’attirer un destin exceptionnel et si les choses ne s’étaient pas déroulées telles qu’elles l’ont fait, on peut dire que cela aurait été un vrai gâchis sinon pour l’univers, au moins pour la galaxie.
Cette petite famille vivait donc tranquillement à la campagne, dans un gros village appelé Souvigny, qui comptait quelques commerces et où la vie se déroulait tranquillement. L’existence était paisible à Souvigny et le plus gros événement de l’année était la foire médiévale où les manants envahissaient le centre-ville parsemé de baraques provisoires de commerçants et d’échoppes temporaires d’artisans, comme un marché de Noël en plein été. Les couteliers de Thiers venus en voisins un peu éloignés côtoyaient les vendeurs d’hypocras et de boissons médiévales diverses venus de Bourbon l’Archambault ou de plus loin encore, les bonbons Vichyssois et le bon vin de Saint-Pourçain étaient présentés entre les étalages de charcuteries et de fromages venus de Creuse ou du Cantal. Dès la nuit venue, les trognes luisantes des convives attardés brillaient à la lueur des flammes crachées par des saltimbanques appointés par l’association organisatrice et la fête se poursuivait fort tard dans la soirée. Comme il se disait alors « il y a de la viande soûle », mais la fête restait globalement bon enfant.
Mais si les corps pouvaient s’y nourrir et s’y abreuver, l’esprit n’était pour autant pas négligé à la foire médiévale. Un souffleur de verre opérait sous le regard fasciné des badauds, à côté du potier et du cordonnier et si le stand des tartes aux fruits à l’ancienne attirait toujours autant d’amateurs de bonne chère que de pillardes volantes et rayées, les expositions de sculpture et de peintures ne désemplissaient pas. Ce village pittoresque comportait un gros prieuré médiéval qui était l’attraction du canton et abritait les tombeaux de plusieurs personnalités nobles ou religieuses de premier plan, ou plutôt qui avaient été de premier plan quelques siècles auparavant. De nombreuses maisons ancestrales au gré des rues pavées permettaient une plongée dans le passé aux touristes, ravis de la découverte de ce site préservé et peu connu.
Le papa de Sophie allait tous les jours travailler à Moulins, la préfecture du département de l’Allier, qui était éloignée d’une grosse dizaine de kilomètres. La maman de Sophie restait à la maison pour garder Daphné, elle avait été obligée d’arrêter de travailler pour pouvoir s’occuper de la petite autiste. En effet, Daphné inventait sans cesse de nouvelles bêtises et on ne pouvait pas la laisser toute seule plus de cinq minutes sans qu’elle ne provoque une nouvelle catastrophe. Sa dernière trouvaille consistait à aller dans la salle de bains et à déclencher la douche pour rester sous le jet d’eau tout habillée et mettre de l’eau partout ! Mais ce n’était pas le plus grave, elle avait aussi parfois la manie de se déshabiller entièrement et de faire ses besoins sur le canapé, ce qui était très sale et très désagréable ! La vie de la petite famille avait été entièrement changée par le handicap de Daphné y compris dans le mobilier. Ainsi les fauteuils et canapés en tissus avaient disparu pour du cuir artificiel plus facile à nettoyer. Le réfrigérateur était cadenassé comme la plupart des placards et le portail d’entrée était constamment verrouillé. On ne pouvait jamais laisser seule Daphné, car elle pouvait se mettre en danger et même trouver une faille dans la surveillance et se sauver dans la rue.
C’est la maman de Daphné qui lui faisait l’école, elle devait surveiller sa fille handicapée tout le temps et c’était très fatigant. C’est pourquoi elle laissait souvent Sophie jouer toute seule et se débrouiller dans le jardin. Cela convenait à notre héroïne, car elle s’inventait alors des histoires qu’elle se racontait en se parlant à elle-même dans le fond du jardin. Ce terrain, acquis spécialement à cet usage par les parents de Daphné, était tout en longueur, il mesurait une centaine de mètres de long sur une vingtaine de mètres de largeur et il comportait de nombreux arbres, si bien que Sophie était parfaitement tranquille quand elle était au fond du jardin. Elle pouvait refaire en rêve éveillé ce monde qui ne lui convenait pas toujours et donnait libre cours à son imagination.
Un soir d’été, alors que Sophie était justement au fond du jardin, elle entendit un drôle de bruit dans le buisson de bambous qui bordait un des côtés du terrain. Ce buisson était épais, car les bambous avaient beaucoup poussé et le papa de Sophie, débordé par son travail au bureau qui ne cessait d’augmenter malgré la pénurie de personnel, n’avait pas pu trouver le temps de venir les couper. Sophie aimait bien traîner par-là, à la fois pour ramasser des bâtons de bambou et s’en faire des armes factices, mais aussi pour s’isoler, car la configuration du terrain la cachait entièrement des fenêtres de la maison en contrebas. D’être hors de vue des parents lui permettait de se parler à elle-même pour jouer sans honte ni retenue. Elle pouvait crier des bêtises ou parler à des amis imaginaires sans craindre de passer pour dérangée, bredine comme on dit dans le Bourbonnais.
Il est à noter qu’un village proche de Souvigny, Saint Menoux, possédait une église abritant une relique qui avait la réputation de pouvoir soigner les maladies mentales et qu’on appelait la débredinoire, en référence à ce terme de patois bourbonnais pour désigner les personnes ayant un grain de folie, c’est-à-dire les bredins, particulièrement nombreux dans la région et pourtant difficilement acceptés par la population dite normale. Curieux terroir que ce bourbonnais, si riche de contrastes et de curiosités et dont les habitants se prétendent pourtant si pauvres, justifiant ainsi leur sens de l’économie en prétendant être moins radins que le reste des Auvergnats dont ils aiment tant se démarquer ! Une des maximes favorites dans le moulinois est : « Le Bourbonnais est économe mais l’auvergnat est avare. » Vu de l’extérieur la différence ne saute pas aux yeux, même si pour les intéressés la distinction est importante.