Sur Catherine de Médicis - Honoré de Balzac - E-Book

Sur Catherine de Médicis E-Book

Honore de Balzac

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Beschreibung

Dernière descendante légitime directe des ducs de Florence, orpheline, mariée à quatorze ans par son oncle, le pape Clément VII, à celui qui deviendra Henri II, mère de trois rois de France, régente durant la minorité de Charles IX, instigatrice de la Saint-Barthélemy, régnant par tacite procuration sous le fantasque Henri III, Catherine de Médicis tint le royaume de France sous sa tutelle près d'un tiers de siècle, jusqu'à sa mort, en 1 589. Cette énigmatique figure, qui survécut à tant de massacres et de séditions, séduisit Balzac, qui en fit un blason de la royauté. Son pouvoir s'exerça entre et contre les intérêts des factions, mais elle fut servie par trop d'accidents pour douter du caractère fortuit de beaucoup d'entre eux. Elle sut changer, selon les risques que lui faisaient courir des renversements d'alliance imprévisibles, son apparente faiblesse devant les oppositions des princes et des grands en un instrument redoutable, méprisant le danger, hypothéquant souvent la légitimité royale pour la sauver. Sur Catherine de Médicis est un roman polémique : Balzac lâche la bride à son aversion pour le protestantisme. Peu de romans sont aussi " politiquement incorrects ". Il devrait séduire, intriguer, indigner.

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Sur Catherine de Médicis

Pages de titreIntroductionLe martyr calvinisteNoteLa confidence des RuggieriLes deux rêvesPage de copyright

Honoré de Balzac

(1799-1850)

Sur Catherine de Médicis

En 1843, sous le titre de Catherine de Médicis expliquée (devenu en 1846 : Sur Catherine de Médicis), Balzac a réuni pour la première fois trois récits composés à des époques différentes : Le Martyr calviniste, Le Secret des Ruggieri (devenu La Confidence des Ruggieri) et Les Deux rêves. L’écrivain a fait précéder ces trois œuvres de l’importante Introduction qu’on lira ci-après.

À monsieur le marquis de Pastoret,

Membre de l’Académie des Beaux-Arts.

Quand on songe au nombre étonnant de volumes publiés pour rechercher le point des Alpes par lequel Annibal opéra son passage, sans qu’on puisse aujourd’hui savoir si ce fut, selon Witaker et Rivaz, par Lyon, Genève, le Saint-Bernard et le val d’Aoste ; ou, selon Letronne, Follard, Saint-Simon et Fortia d’Urban, par l’Isère, Grenoble, Saint-Bonnet, le Mont-Genèvre, Fenestrelle et le pas de Suze ; ou, selon Larauza, par le Mont-Cenis et Suze ; ou, selon Strabon, Polybe et de Luc, par le Rhône, Vienne, Yenne et le Mont-du-Chat ; ou, selon l’opinion de quelques gens d’esprit, par Gênes, la Bochetta et la Scrivia, opinion que je partage, et que Napoléon avait adoptée, sans compter le vinaigre avec lequel les roches alpestres ont été accommodées par quelques savants ; doit-on s’étonner, monsieur le marquis, de voir l’histoire moderne si négligée, que les points les plus importants en soient obscurs et que les calomnies les plus odieuses pèsent encore sur des noms qui devraient être révérés ? Remarquons, en passant, que le passage d’Annibal est devenu presque problématique à force d’éclaircissements. Ainsi le père Ménestrier croit que le Scoras désigné par Polybe est la Saône ; Letronne, Larauza et Schweighauser y voient l’Isère ; Cochard, un savant lyonnais, y voit la Drôme ; pour quiconque a des yeux, il se trouve entre Scoras et Scrivia de grandes ressemblances géographiques et linguistiques, sans compter la presque certitude du mouillage de la flotte carthaginoise à la Spezzia ou dans la rade de Gênes ? Je concevrais ces patientes recherches, si la bataille de Cannes était mise en doute ; mais puisque ses résultats sont connus, à quoi bon noircir tant de papier par tant de suppositions qui sont en quelque sorte les arabesques de l’hypothèse ; tandis que l’histoire la plus importante au temps actuel, celle de la Réformation, est pleine d’obscurités si fortes qu’on ignore le nom de l’homme1 qui faisait naviguer un bateau par la vapeur à Barcelone dans le temps que Luther et Calvin inventaient l’insurrection de la pensée ? Nous avons, je crois, la même opinion, après avoir fait, chacun de notre côté, les mêmes recherches sur la grande et belle figure de Catherine de Médicis. Aussi ai-je pensé que mes études historiques sur cette reine seraient convenablement adressées à un écrivain qui depuis si longtemps travaille à l’histoire de la Réformation, et que je rendrais ainsi au caractère et à la fidélité de l’homme monarchique, un public hommage, peut-être précieux par sa rareté.

Paris, janvier 1842.

L’auteur de l’expérience de Barcelone doit être Salomon de Caux, et non de Caus. Ce grand homme a toujours du malheur, même après sa mort, son nom est encore tronqué. Salomon, dont le portrait original et fait à l’âge de quarante-six ans, a été retrouvé par l’auteur dela Comédie Humaine, à Heidelberg, est né à Caux en Normandie.]

Introduction

On crie assez généralement au paradoxe, lorsque des savants, frappés d’une erreur historique, essayent de la redresser ; mais pour quiconque étudie à fond l’histoire moderne, il est certain que les historiens sont des menteurs privilégiés qui prêtent leurs plumes aux croyances populaires, absolument comme la plupart des journaux d’aujourd’hui n’expriment que les opinions de leurs lecteurs.

L’indépendance historique a beaucoup moins brillé chez les laïques que chez les religieux. C’est des Bénédictins, une des gloires de la France, que nous viennent les plus pures lumières en fait d’histoire, pourvu toutefois que l’intérêt des religieux ne fût pas au jeu. Aussi, dès le milieu du dix-huitième siècle, s’est-il élevé de grands et de savants controversistes qui, frappés de la nécessité de redresser les erreurs populaires accréditées par les historiens, ont publié de remarquables travaux. Ainsi, M. de Launoy, surnommé le dénicheur de saints, fit une guerre cruelle aux saints entrés par contrebande dans l’Église. Ainsi, les émules des Bénédictins, les membres trop peu connus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, commencèrent, sur des points historiques obscurs, leurs mémoires si admirables de patience, d’érudition et de logique. Ainsi, Voltaire, dans un intérêt malheureux, avec une passion triste, porta souvent la lumière de son esprit sur des préjugés historiques. Diderot entreprit, dans cette visée, un livre trop long sur une époque de l’histoire impériale de Rome. Sans la révolution française, la critique, appliquée à l’histoire, allait peut-être préparer les éléments d’une bonne et vraie histoire de France dont les preuves étaient depuis si longtemps amassées par nos grands Bénédictins. Louis XVI, esprit juste, a traduit lui-même l’ouvrage anglais par lequel Walpole a essayé d’expliquer Richard III, et dont s’occupa tant le siècle dernier.

Comment des personnages aussi célèbres que des rois ou des reines, comment des personnages aussi importants que des généraux d’armée deviennent-ils un objet d’horreur ou de dérision ? Entre la chanson sur Marlborough et l’histoire d’Angleterre, la moitié du monde hésite, comme on hésite entre l’histoire et la croyance populaire à propos de Charles IX. À toutes les époques où de grandes batailles ont lieu entre les masses et le pouvoir, le peuple se crée un personnage ogresque, s’il est permis de risquer un mot pour rendre une idée juste. Ainsi, de notre temps, sans le Mémorial de Sainte-Hélène, sans les controverses entre les royalistes et les bonapartistes, il n’a tenu presque à rien que le caractère de Napoléon ne fût méconnu. Quelques abbés de Pradt de plus, encore quelques articles de journaux, et d’empereur, Napoléon passait ogre, Comment l’erreur se propage-t-elle et s’accrédite-t-elle ? ce mystère s’accomplit sous nos yeux sans que nous nous en apercevions. Personne ne se doute combien l’imprimerie a donné de consistance et à l’envie qui s’attache aux gens élevés et aux plaisanteries populaires qui résument en sens contraire un grand fait historique. Ainsi, le nom du prince de Polignac est donné dans toute la France aux mauvais chevaux sur lesquels on frappe. Et qui sait ce que l’avenir pensera du coup d’État du prince de Polignac ? Par suite d’un caprice de Shakespeare, et peut-être fut-ce une vengeance comme celle de Beaumarchais contre Bergasse (Begearss), Falstaff est, en Angleterre, le type du ridicule, un nom qui provoque le rire ; il est le roi des clowns. Au lieu d’être énormément replet, sottement amoureux, vain, ivrogne, vieux, corrupteur, Falstaff était un des personnages les plus importants de son siècle, chevalier de l’ordre de la Jarretière, et revêtu d’un commandement supérieur. À l’avènement de Henri V au trône, sir Falstaff avait au plus trente-quatre ans. Ce général, qui se signala pendant la bataille d’Azincourt et y fit prisonnier le duc d’Alençon, prit en 1420 Montereau, qui fut vigoureusement défendu. Enfin sous Henri VI, il battit dix mille Français avec quinze cents soldats fatigués et mourants de faim ! Voilà pour la guerre. Si de là nous passons à la littérature, chez nous Rabelais, homme sobre qui ne buvait que de l’eau, passe pour un amateur de bonne chère, pour un buveur déterminé. Mille contes ridicules ont été faits sur l’auteur d’un des plus beaux livres de la littérature française, le Pantagruel. L’Arétin, l’ami de Titien et le Voltaire de son siècle, a, de nos jours, un renom en complète opposition avec ses œuvres, avec son caractère, et que lui vaut une débauche d’esprit en harmonie avec les écrits de ce siècle, où le drôlatique était en honneur, où les reines et les cardinaux écrivaient des contes, dits aujourd’hui licencieux. On pourrait multiplier à l’infini les exemples de ce genre. En France, et dans la partie la plus grave de l’histoire moderne, aucune femme, si ce n’est Brunehaut ou Frédégonde, n’a plus souffert des erreurs populaires que Catherine de Médicis ; tandis que Marie de Médicis, dont toutes les actions ont été préjudiciables à la France, échappe à la honte qui devrait couvrir son nom. Marie a dissipé les trésors amassés par Henri IV, elle ne s’est jamais lavée du reproche d’avoir connu l’assassinat du roi, elle a eu pour intime d’Épernon qui n’a point paré le coup de Ravaillac et qui connaissait cet homme de longue main ; elle a forcé son fils de la bannir de France, où elle encourageait les révoltes de son autre fils Gaston ; enfin, la victoire de Richelieu sur elle, à la journée des Dupes, ne fut due qu’à la découverte que le cardinal fit à Louis XIII des documents tenus secrets sur la mort d’Henri IV. Catherine de Médicis, au contraire, a sauvé la couronne de France ; elle a maintenu l’autorité royale dans des circonstances au milieu desquelles plus d’un grand prince aurait succombé. Ayant en tête des factieux et des ambitions comme celles des Guise et de la maison de Bourbon, des hommes comme les deux cardinaux de Lorraine et comme les deux Balafré, les deux princes de Condé, la reine Jeanne d’Albret, Henri IV, le connétable de Montmorency, Calvin, les Coligny, Théodore de Bèze, il lui a fallu déployer les plus rares qualités, les plus précieux dons de l’homme d’État, sous le feu des railleries de la presse calviniste. Voilà des faits qui, certes, sont incontestables. Aussi, pour qui creuse l’histoire du seizième siècle en France, la figure de Catherine de Médicis apparaît-elle comme celle d’un grand roi. Les calomnies une fois dissipées par les faits péniblement retrouvés à travers les contradictions des pamphlets et les fausses anecdotes, tout s’explique à la gloire de cette femme extraordinaire, qui n’eut aucune des faiblesses de son sexe, qui vécut chaste au milieu des amours de la cour la plus galante de l’Europe, et qui sut, malgré sa pénurie d’argent, bâtir d’admirables monuments, comme pour réparer les pertes que causaient les démolitions des Calvinistes qui firent à l’art autant de blessures qu’au corps politique. Serrée entre des princes qui se disaient les héritiers de Charlemagne, et une factieuse branche cadette qui voulait enterrer la trahison du connétable de Bourbon sous le trône, Catherine, obligée de combattre une hérésie prête à dévorer la monarchie, sans amis, apercevant la trahison dans les chefs du parti catholique, et la république dans le parti calviniste, a employé l’arme la plus dangereuse, mais la plus certaine de la politique, l’adresse ! Elle résolut de jouer successivement le parti qui voulait la ruine de la maison de Valois, les Bourbons qui voulaient la couronne, et les réformés, les Radicaux de ce temps-là qui rêvaient une république impossible, comme ceux de ce temps-ci qui cependant n’ont rien à réformer. Aussi tant qu’elle a vécu, les Valois ont-ils gardé le trône. Il comprenait bien la valeur de cette femme, le grand de Thou, quand, en apprenant sa mort, il s’écria : – Ce n’est pas une femme, c’est la royauté qui vient de mourir. Catherine avait en effet au plus haut degré le sentiment de la royauté ; aussi la défendit-elle avec un courage et une persistance admirables. Les reproches que les écrivains calvinistes lui ont faits sont évidemment sa gloire, elle ne les a encourus qu’à cause de ses triomphes. Pouvait-on triompher autrement que par la ruse ? Toute la question est là. Quant à la violence, ce moyen touche à l’un des points les plus controversés de la politique et qui, de notre temps, a été résolu sur la place où l’on a mis un gros caillou d’Égypte pour faire oublier le régicide et offrir l’emblème du système actuel de la politique matérialiste qui nous gouverne ; il a été résolu aux Carmes et à l’Abbaye ; il a été résolu sur les marches de Saint-Roch ; il a été résolu devant le Louvre en 1830, encore une fois par le peuple contre le roi, comme depuis il a été résolu par la meilleure des républiques de La Fayette contre l’insurrection républicaine à Saint-Merri et rue Transnonain. Tout pouvoir, légitime ou illégitime, doit se défendre quand il est attaqué ; mais, chose étrange, là où le peuple est héroïque dans sa victoire sur la noblesse, le pouvoir passe pour assassin dans son duel avec le peuple. Enfin, s’il succombe, après son appel à la force, le pouvoir passe encore pour imbécile. Le gouvernement actuel tentera de se sauver avec deux lois du même mal qui attaquait Charles X et duquel ce prince voulait se débarrasser par deux ordonnances. Ne sera-ce pas une amère dérision ? La ruse est-elle permise au pouvoir contre la ruse ? doit-il tuer ceux qui le veulent tuer ? Les massacres de la Révolution répondent aux massacres de la Saint-Barthélemy. Le peuple devenu roi a fait contre la noblesse et le roi, ce que le roi et la noblesse ont fait contre les insurgés du seizième siècle. Ainsi les écrivains populaires, qui savent très bien qu’en semblable occurrence le peuple agirait encore de même, sont sans excuse quand ils blâment Catherine de Médicis et Charles IX. Tout pouvoir, comme le disait Casimir Périer en apprenant ce que devait être le pouvoir, est une conspiration permanente. On admire les maximes antisociales que publient d’audacieux écrivains, pourquoi donc la défaveur qui s’attache en France aux vérités sociales quand elles se produisent hardiment ? Cette question explique à elle seule toutes les erreurs historiques. Appliquez la solution de cette demande aux doctrines dévastatrices qui flattent les passions populaires et aux doctrines conservatrices qui répriment les sauvages ou folles entreprises du peuple ; et vous trouverez la raison de l’impopularité, comme de la popularité de certains personnages. Laubardemont et Laffemas étaient, comme certaines gens d’aujourd’hui, dévoués à la défense du pouvoir auquel ils croyaient. Soldats ou juges, ils obéissaient les uns et les autres à une royauté. D’Orthez aujourd’hui serait destitué pour avoir méconnu les ordres du ministère, et Charles IX lui laissa le gouvernement de sa province. Le pouvoir de tous ne compte avec personne, le pouvoir d’un seul est obligé de compter avec les sujets, avec les grands comme avec les petits.

Catherine, comme Philippe II et le duc d’Albe, comme les Guise et le cardinal Granvelle, ont aperçu l’avenir que la Réformation réservait à l’Europe ; ils ont vu les monarchies, la religion, le pouvoir ébranlés ! Catherine écrivit aussitôt, au fond du cabinet des rois des France, un arrêt de mort contre cet esprit d’examen qui menaçait les sociétés modernes, arrêt que Louis XIV a fini par exécuter. La révocation de l’Édit de Nantes ne fut une mesure malheureuse qu’à cause de l’irritation de l’Europe contre Louis XIV. Dans un autre temps, l’Angleterre, la Hollande et l’Empire n’eussent pas encouragé chez eux les bannis français et la révolte en France.

Pourquoi refuser de nos jours à la majestueuse adversaire de la plus inféconde des hérésies la grandeur qu’elle a tirée de sa lutte même ? Les Calvinistes ont beaucoup écrit contre le Stratagème de Charles IX ; mais parcourez la France : en reconnaissant les ruines de tant de belles églises abattues, en mesurant les énormes blessures faites par les Religionnaires au corps social, en apprenant combien de revanches ils ont prises, en déplorant les malheurs de l’individualisme, la plaie de la France actuelle et dont le germe était dans les questions de liberté de conscience agitées par eux, vous vous demanderez de quel côté sont les bourreaux ? Il y a, comme le dit Catherine dans la troisième partie de cette Étude, « malheureusement à toutes les époques des écrivains hypocrites prêts à pleurer deux cents coquins tués à propos ». César, qui tâchait d’apitoyer le sénat sur le parti de Catilina, eût peut-être vaincu Cicéron, s’il avait eu des journaux et une opposition à ses ordres.

Une autre considération explique la défaveur historique et populaire de Catherine. L’Opposition en France a toujours été protestante, parce qu’elle n’a jamais eu que la négation pour politique ; elle a hérité des théories des Luthériens, des Calvinistes et des Protestants sur les mots terribles de liberté, de tolérance, de progrès et de philosophie. Deux siècles ont été employés par les opposants au pouvoir à établir la douteuse doctrine du libre arbitre. Deux autres siècles ont été employés à développer le premier corollaire du libre arbitre, la liberté de conscience. Notre siècle essaye d’établir le second, la liberté politique.

Assise entre les champs déjà parcourus et les champs à parcourir, Catherine et l’Église ont proclamé le principe salutaire des sociétés modernes, una fides, unus dominus, en usant de leur droit de vie et de mort sur les novateurs. Encore qu’elle ait été vaincue, les siècles suivants ont donné raison à Catherine. Le produit du libre arbitre, de la liberté religieuse et de la liberté politique (ne confondons pas avec la liberté civile), est la France d’aujourd’hui. Qu’est-ce que la France de 1840 ? un pays exclusivement occupé d’intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où le pouvoir est sans force, où l’Élection, fruit du libre arbitre et de la liberté politique, n’élève que les médiocrités, où la force brutale est devenue nécessaire contre les violences populaires, et où la discussion, étendue aux moindres choses, étouffe toute action du corps politique ; où l’argent domine toutes les questions, et où l’individualisme, produit horrible de la division à l’infini des héritages qui supprime la famille, dévorera tout, même la nation, que l’égoïsme livrera quelque jour à l’invasion. On se dira : Pourquoi pas le tzar ? comme on s’est dit : – Pourquoi pas le duc d’Orléans ? On ne tient pas à grand-chose ; mais dans cinquante ans, on ne tiendra plus à rien.

Ainsi, selon Catherine et selon tous ceux qui tiennent pour une société bien ordonnée, l’homme social, le sujet n’a pas de libre arbitre, ne doit point professer le dogme de la liberté de conscience, ni avoir de liberté politique. Mais, comme aucune société ne peut exister sans des garanties données au sujet contre le souverain, il en résulte pour le sujet des libertés soumises à des restrictions. La liberté, non ; mais des libertés, oui ; des libertés définies et caractérisées. Voici qui est conforme à la nature des choses. Ainsi, certes, il est hors du pouvoir humain d’empêcher la liberté de la pensée, et nul souverain ne peut atteindre l’argent. Les grands politiques qui furent vaincus dans cette longue lutte (elle a duré cinq siècles) reconnaissaient à leurs sujets de grandes libertés ; mais ils n’admettaient ni la liberté de publier des pensées antisociales, ni la liberté indéfinie du sujet. Pour eux, sujet et libre sont en politique deux termes qui se contredisaient, de même que des citoyens tous égaux constitue un non-sens que la nature dément à toute heure. Reconnaître la nécessité d’une religion, la nécessité du pouvoir, et laisser aux sujets le droit de nier la religion, d’en attaquer le culte, de s’opposer à l’exercice du pouvoir par l’expression publique, communicable et communiquée de la pensée, est une impossibilité que ne voulaient point les Catholiques du seizième siècle. Hélas ! la victoire du calvinisme coûtera bien plus cher encore à la France qu’elle n’a coûté jusqu’aujourd’hui, car les sectes religieuses et politiques, humanitaires, égalitaires, etc., d’aujourd’hui, sont la queue du calvinisme ; et à voir les fautes du pouvoir, son mépris pour l’intelligence, son amour pour les intérêts matériels où il veut prendre ses points d’appui, et qui sont les plus trompeurs de tous les ressorts, à moins d’un secours providentiel, le génie de la destruction l’emportera de nouveau sur le génie de la conservation. Les assaillants, qui n’ont rien à perdre et tout à gagner, s’entendent admirablement ; tandis que leurs riches adversaires ne veulent pas faire un sacrifice en argent ou en amour-propre pour s’attacher des défenseurs.

L’imprimerie vint en aide à l’opposition commencée par les Vaudois et les Albigeois. Une fois que la pensée humaine, au lieu de se condenser comme elle était obligée de le faire pour rester sous la forme la plus communicable, revêtit une multitude d’habillements et devint le peuple lui-même au lieu de rester en quelque sorte divinement axiomatique, il y eut deux multitudes à combattre : la multitude des idées et la multitude des hommes. Le pouvoir royal a succombé dans cette guerre, et nous assistons de nos jours, en France, à sa dernière combinaison avec des éléments qui le rendent difficile, pour ne pas dire impossible. Le pouvoir est une action, et le principe électif est la discussion. Il n’y a pas de politique possible avec la discussion en permanence. Aussi, devons-nous trouver bien grande la femme qui sut deviner cet avenir et qui le combattit si courageusement. Si la maison de Bourbon a pu succéder à la maison de Valois, si elle a trouvé la couronne à prendre, elle l’a due à Catherine de Médicis. Supposez le second Balafré debout, quelque fort qu’ait été le Béarnais, il est douteux qu’il eût saisi la couronne, à voir combien chèrement le duc de Mayenne et les restes du parti des Guise la lui ont vendue. Les moyens nécessaires dont s’est servie Catherine, qui a dû se reprocher la mort de François II et celle de Charles IX, morts tous deux bien à temps pour la sauver, ne sont pas, remarquez-le, l’objet des accusations des écrivains calvinistes et modernes ? S’il n’y eut point d’empoisonnement comme de graves auteurs l’ont dit, il y eut des combinaisons plus criminelles : il est hors de doute qu’elle empêcha Paré de sauver l’un, et qu’elle accomplit sur l’autre un long assassinat moral. La rapide mort de François II, celle de Charles IX si savamment amenée ne nuisaient point aux intérêts calvinistes, les causes de ces deux événements gisaient dans la sphère supérieure et ne furent soupçonnées ni par les écrivains, ni par le peuple de ce temps, elles n’étaient devinées que par les de Thou, les L’Hospital, par les esprits les plus élevés, ou par les chefs des deux partis qui convoitaient ou qui défendaient la couronne et qui trouvaient de tels moyens nécessaires. Les chansons populaires s’attaquaient, chose étrange, aux mœurs de Catherine. On connaît l’anecdote de ce soldat qui faisait rôtir une oie dans le corps de garde du château de Tours pendant la conférence de Catherine et de Henri IV, en chantant une chanson où la reine était outragée par une comparaison avec la bouche à feu du plus fort calibre que possédaient les Calvinistes. Henri IV tira son épée pour aller tuer le soldat ; Catherine l’arrêta, et se contenta de crier à l’insulteur : – Hé ! c’est Catherine qui te donne l’oie ! Si les exécutions d’Amboise furent attribuées à Catherine, si les Calvinistes firent de cette femme supérieure l’éditeur responsable de tous les malheurs inévitables de cette lutte, il en fut d’elle, comme plus tard de Robespierre qui reste à juger. Catherine fut d’ailleurs cruellement punie de sa préférence pour le duc d’Anjou, qui lui fit faire bon marché des deux aînés. Henri III, arrivé, comme tous les enfants gâtés, à la plus profonde indifférence envers sa mère, se plongea volontairement dans des débauches qui firent de lui ce que sa mère avait fait de Charles IX, un mari sans fils, un roi sans héritiers. Par malheur, le duc d’Alençon, le dernier enfant mâle de Catherine, mourut, et naturellement. Catherine fit des efforts inouïs pour combattre les passions de son fils. L’histoire a conservé le souvenir du souper de femmes nues donné dans la galerie de Chenonceaux, au retour de Pologne, et qui ne fit point revenir Henri III de ses mauvaises habitudes. La dernière parole de cette grande reine a résumé sa politique, qui d’ailleurs est si conforme au bon sens, que nous verrons tous les cabinets la mettant en pratique en de semblables circonstances. – « Bien coupé, mon fils, dit-elle quand Henri III vint à son lit de mort lui annoncer que l’ennemi de la couronne avait été mis à mort, maintenant il faut recoudre. » Elle indiquait ainsi que le trône devait aussitôt se raccommoder avec la maison de Lorraine et s’en servir, seul moyen d’empêcher les effets de la haine des Guise, en leur rendant l’espoir d’envelopper le roi ; mais cette persistante ruse de femme et d’Italienne qu’elle avait toujours employée, était incompatible avec la vie voluptueuse de Henri III. Une fois la grande mère morte (mater castrorum), la politique des Valois mourut.

Avant d’entreprendre d’écrire l’histoire des mœurs en action, l’auteur de cette Étude avait patiemment et minutieusement étudié les principaux règnes de l’histoire de France, la querelle des Bourguignons et des Armagnacs, celle des Guise et des Valois, qui, chacune, tiennent un siècle. Son intention fut d’écrire une histoire de France pittoresque. Isabelle de Bavière, Catherine et Marie de Médicis, ces trois femmes y tiennent une place énorme, dominent du quatorzième au dix-septième siècle, et aboutissent à Louis XIV. De ces trois reines, Catherine est la plus intéressante et la plus belle. Ce fut une domination virile que ne déshonorèrent ni les amours terribles d’Isabelle, ni les plus terribles encore, quoique moins connues, de Marie de Médicis. Isabelle appela les Anglais en France contre son fils, aima le duc d’Orléans, son beau-frère, et Boisbourdon. Le compte de Marie de Médicis est encore plus lourd. Ni l’une ni l’autre, elles n’eurent de génie politique. Dans ces études et dans ces parallèles, l’auteur acquit la conviction de la grandeur de Catherine : en s’initiant aux difficultés renaissantes de sa position, il reconnut combien les historiens, influencés tous par les protestants, avaient été injustes pour cette reine ; et il lui en est resté les trois esquisses que voici, où sont combattues quelques opinions erronées sur elle, sur les personnages qui l’entouraient et sur les choses de son temps. Si ce travail se trouve parmi les Études philosophiques, c’est qu’il montre l’esprit d’un temps et qu’on y voit clairement l’influence de la pensée. Mais avant d’entrer dans l’arène politique où Catherine se voit aux prises avec les deux grandes difficultés de sa carrière, il est nécessaire de présenter un précis de sa vie antérieure, fait au point de vue d’une critique impartiale, afin qu’on embrasse le cours presque entier de cette vaste et royale existence, jusqu’au moment où commence la première partie de l’Étude.

Jamais il n’y eut, dans aucun temps, dans aucun pays et dans aucune famille souveraine, plus de mépris pour la légitimité que dans la fameuse maison des Medici (Méditchi), dont, en France, le nom se prononce Médicis. On y avait sur le pouvoir la même doctrine qu’aujourd’hui professe la Russie : tout chef à qui le trône va, devient le vrai, le légitime. Mirabeau avait raison de dire : « Il n’y a eu qu’une mésalliance dans ma famille, c’est celle des Médicis » ; car, malgré les efforts des généalogistes à gages, il est certain que les Médicis, avant Avérard de Médicis, gonfalonier de Florence en 1314, étaient de simples commerçants de Florence qui devinrent très riches. Le premier personnage de cette famille, qui commence à occuper une place importante dans l’histoire de la fameuse République toscane, fut Salvestro de Médicis, devenu gonfalonier en 1378. De ce Salvestro naquirent deux fils, Cosme et Laurent de Médicis.

De Cosme sont descendus Laurent le Magnifique, le duc de Nemours, le duc d’Urbin, père de Catherine, le pape Léon X, le pape Clément VII, et Alexandre, non pas duc de Florence, comme on le dit, mais duc della città di Penna, titre donné par le pape Clément VII, comme un acheminement au titre de grand-duc de Toscane.

De Laurent sont descendus le Brutus florentin, Lorenzino qui tua le duc Alexandre ; Cosme, le premier grand-duc, et tous les souverains de la Toscane jusqu’en 1737, époque à laquelle s’éteignit la maison.

Mais aucune de ces deux branches, la branche Cosme et la branche Laurent, ne règnent en ligne droite, jusqu’au moment où la Toscane, asservie par le père de Marie de Médicis, a vu ses grands-ducs se succédant naturellement. Ainsi, Alexandre de Médicis, celui qui eut le titre de duc della città di Penna, et qui fut assassiné par Lorenzino, était fils du duc d’Urbin, père de Catherine, et d’une esclave mauresque. Aussi Lorenzino, fils légitime de Laurent, avait-il doublement le droit de tuer Alexandre, et comme usurpateur dans sa maison, et comme oppresseur de la ville. Quelques historiens croient même qu’Alexandre était fils de Clément VII. Ce qui fit reconnaître ce bâtard pour chef de la république et de la famille Médicis, fut son mariage avec Marguerite d’Autriche, fille naturelle de Charles-Quint.

François Médicis, l’époux de Bianca Capello, accepta pour son fils, un enfant du peuple acheté par cette célèbre Vénitienne, et, chose étrange, Ferdinand en succédant à François, maintint cet enfant supposé dans ses droits. Cet enfant, nommé don Antoine de Médicis, fut considéré pendant quatre règnes comme étant de la famille, il se concilia l’affection de chacun, rendit d’importants services à la famille, et fut universellement regretté.

Presque tous les premiers Médicis eurent des enfants naturels, dont le sort a toujours été brillant. Ainsi, le cardinal Jules de Médicis, qui fut pape sous le nom de Clément VII, était fils illégitime de Julien Ier. Le cardinal Hippolyte de Médicis était également un bâtard, peu s’en fallut qu’il ne devînt pape, et chef de la famille.

Quelques faiseurs d’anecdotes veulent que le duc d’Urbin, père de Catherine, lui ait dit : A figlia d’inganno, non manca mai figlioulanza (une fille d’esprit sait toujours avoir des enfants), à propos d’un certain défaut de conformation dont était atteint Henri, second fils de François Ier, son prétendu. Or, Laurent II de Médicis, père de Catherine, qui avait épousé en 1518, en secondes noces, Madeleine de la Tour-d’Auvergne, mourut le 28 avril 1519, quelques jours après sa femme, dont la mort fut causée par l’accouchement de sa fille Catherine. Catherine fut donc orpheline de père et de mère aussitôt qu’elle vit le jour. De là, les étranges aventures de son enfance mêlée aux débats sanglants des Florentins, qui voulaient reconquérir leur liberté, contre les Médicis qui voulaient régner sur Florence et se conduisaient avec tant de circonspection, que le père de Catherine portait le titre de duc d’Urbin. À la mort de Laurent, père de Catherine, le chef légitime de la maison de Médicis, était le pape Léon X, qui fit gouverner Florence par ce fils illégitime de Julien, Jules de Médicis, alors cardinal. Léon X était le grand-oncle de Catherine, et ce cardinal Jules, qui fut Clément VII, n’était son oncle que de la main gauche. C’est ce qui fit si plaisamment nommer ce pape par Brantôme, un oncle en Notre-Dame. Ce fut pendant le siège de Florence, entrepris par les Médicis pour y rentrer, que le parti républicain, non content d’avoir enfermé Catherine, âgée de neuf ans, dans un couvent après l’avoir dépouillée de tous ses biens, voulut l’exposer entre deux créneaux au feu de l’artillerie, sur la proposition d’un nommé Baptiste Cei. Bernard Castiglione alla plus loin dans un conseil tenu pour aviser à terminer les affaires, il fut d’avis que, loin de remettre Catherine au pape qui la redemandait, il fallait la livrer aux soldats pour la déshonorer. On voit que toutes les révolutions populaires se ressemblent. La politique de Catherine qui favorisait tant le pouvoir royal, pouvait avoir été conseillée par de telles scènes, qu’une Italienne de neuf ans ne pouvait pas ignorer.

L’élévation d’Alexandre de Médicis, à laquelle le bâtard Clément VII contribua tant, eut sans doute pour principe son illégitimité même, et l’amour de Charles-Quint pour sa fameuse bâtarde Marguerite. Ainsi le pape et l’empereur furent inspirés par le même sentiment. À cette époque, Venise avait le commerce du monde, Rome en avait le gouvernement moral ; l’Italie régnait encore par les poètes, par les généraux, par les hommes d’État nés chez elle. Dans aucun temps on ne vit dans un pays une si curieuse, une si abondante réunion d’hommes de génie. Il y en eut tant alors, que les moindres princes étaient des hommes supérieurs. L’Italie crevait de talent, d’audace, de science, de poésie, de richesse, de galanterie, quoique déchirée par de continuelles guerres intestines, et quoiqu’elle fût le rendez-vous de tous les conquérants qui se disputaient ses plus belles contrées. Quand les hommes sont si forts, ils ne craignent pas d’avouer leur faiblesse. De là, sans doute cet âge d’or des bâtards. Il faut d’ailleurs rendre cette justice aux enfants illégitimes de la maison de Médicis, qu’ils étaient ardents pour la gloire et l’augmentation de biens et de pouvoir de cette famille. Aussi dès que le duc della città di Penna, le fils de la Mauresque, fut installé comme tyran de Florence, épousa-t-il l’intérêt du pape Clément VII, pour la fille de Laurent II, alors âgée de onze ans.

Quand on étudie la marche des affaires et celle des hommes dans ce curieux seizième siècle, on ne doit jamais oublier que la politique eut alors pour élément une perpétuelle finesse qui détruisait, chez tous les caractères, cette allure droite, cette carrure que l’imagination exige des personnages éminents. Là, surtout, est l’absolution de Catherine. Cette observation fait justice de toutes les accusations banales et folles des écrivains de la Réformation. Ce fut le plus bel âge de cette politique dont le code a été écrit par Machiavel comme par Spinosa, par Hobbes comme par Montesquieu, car le dialogue de Sylla et d’Eucrate contient la vraie pensée de Montesquieu, que ses liaisons avec le parti encyclopédique ne lui permettaient pas de développer autrement. Ces principes sont aujourd’hui la morale secrète de tous les cabinets où se trament les plans de quelque vaste domination. En France, nous avons blâmé Napoléon quand il faisait usage de ce génie italien qu’il avait in cute, et dont les combinaisons n’ont pas toujours réussi ; mais Charles-Quint, Catherine, Philippe II, Jules II, ne se seraient pas conduits autrement que lui dans l’affaire d’Espagne. Dans le temps où naquit Catherine, l’histoire, si elle était rapportée au point de vue de la probité, paraîtrait un roman impossible. Charles-Quint, obligé de soutenir le catholicisme en présence des attaques de Luther, qui menaçait le Trône en menaçant la Tiare, laisse faire le siège de Rome et tient le pape Clément VII en prison. Ce même Clément VII, qui n’a pas d’ennemi plus cruel que Charles-Quint, lui fait la cour pour pouvoir placer Alexandre de Médicis à Florence, et Charles-Quint donne sa fille à ce bâtard. Aussitôt établi, Alexandre, de concert avec Clément, essaye de nuire à Charles-Quint, en s’alliant à François Ier, au moyen de Catherine de Médicis, et tous deux lui promettent de l’aider à reconquérir l’Italie. Lorenzino de Médicis se fait le compagnon de débauche et le complaisant du duc Alexandre, pour pouvoir le tuer. Philippe Strozzi, l’une des plus grandes âmes de ce temps, eut ce meurtre dans une telle estime, qu’il jura que chacun de ses fils épouserait une des filles du meurtrier, et chaque fils accomplit religieusement la promesse du père, quand chacun d’eux, protégé par Catherine, pouvait faire de brillantes alliances, car l’un fut l’émule de Doria, l’autre maréchal de France. Cosme de Médicis, le successeur d’Alexandre, avec lequel il n’avait aucune parenté, vengea la mort de ce tyran de la façon la plus cruelle, et avec une persistance de douze années, pendant lesquelles sa haine fut toujours aussi vivace contre des gens qui lui avaient, en définitif, donné le pouvoir. Il avait dix-huit ans au moment où il fut appelé à la souveraineté ; son premier acte fut de faire déclarer nuls les droits des fils légitimes d’Alexandre, tout en vengeant Alexandre !... Charles-Quint confirma l’exhérédation de son petit-fils, et reconnut Cosme à la place du fils d’Alexandre. Placé sur le trône par le cardinal Cibo, Cosme l’exila sur-le-champ. Aussi le cardinal Cibo accusa-t-il aussitôt sa créature, ce Cosme, qui fut le premier grand-duc, d’avoir voulu faire empoisonner le fils d’Alexandre. Ce grand-duc, jaloux de sa puissance autant que Charles-Quint l’était de la sienne, de même que l’empereur, abdiqua en faveur de son fils François, après avoir fait tuer son autre fils, don Garcias, pour venger la mort du cardinal Jean de Médicis, que Garcias avait assassiné. Cosme Ier et son fils François, qui auraient dû être dévoués corps et âme à la maison de France, la seule puissance qui pût les appuyer, furent les valets de Charles-Quint et de Philippe II, et par conséquent les ennemis secrets, lâches et perfides de Catherine de Médicis, l’une des gloires de leur maison. Tels sont les principaux traits contradictoires et illogiques, les fourberies, les noires intrigues de la seule maison de Médicis. Par cette esquisse, on peut juger des autres princes de l’Italie et de l’Europe ? Tous les envoyés de Cosme Ier à la cour de France eurent dans leurs instructions secrètes l’ordre d’empoisonner Strozzi, le parent de la reine Catherine, quand il s’y trouvait. Charles-Quint fit assassiner trois ambassadeurs de François Ier.

Ce fut au commencement du mois d’octobre 1533, que le duc della città di Penna partit de Florence pour Livourne, accompagné de l’unique héritière de Laurent II, Catherine de Médicis. Le duc et la princesse de Florence, car tel était le titre sous lequel cette jeune fille, alors âgée de quatorze ans, fut désignée, quittèrent la ville, entourés par une troupe considérable de serviteurs, d’officiers, de secrétaires, précédés de gens d’armes et suivis d’une escorte de cavaliers. La jeune princesse ne savait encore rien de sa destinée, si ce n’est que le pape allait avoir à Livourne une entrevue avec le duc Alexandre ; mais son oncle, Philippe Strozzi, lui révéla bientôt l’avenir auquel elle était promise.

Philippe Strozzi avait épousé Clarisse de Médicis, sœur consanguine de Laurent de Médicis, duc d’Urbin, père de Catherine ; mais ce mariage, fait autant pour convertir à la cause des Médicis un des plus fermes appuis du parti populaire que pour ménager le rappel des Médicis, alors bannis, ne fit jamais varier ce rude champion, qui fut persécuté par son parti pour l’avoir conclu. Malgré les apparents changements de sa conduite, un peu dominée par cette alliance, il resta fidèle au parti populaire, et se déclara contre les Médicis dès qu’il eut pressenti leur dessein d’asservir Florence. Ce grand homme résista même à l’offre d’une principauté que lui fit Léon X. Philippe Strozzi se trouvait en ce moment victime de la politique des Médicis, si vacillante dans les moyens, mais si fixe dans son but. Après avoir partagé les malheurs de la captivité de Clément VII, quand, surpris par les Colonne, il s’était réfugié dans le château Saint-Ange, il fut livré par Clément comme otage et emmené à Naples. Comme le pape, une fois libre, tomba rudement sur ses ennemis, Strozzi faillit perdre la vie, et fut obligé de donner une somme énorme pour sortir de la prison où il était étroitement gardé. Quand il se vit libre, il eut, par une inspiration de la bonhomie naturelle à l’honnête homme, la simplicité de se présenter à Clément VII, qui s’était peut-être flatté de s’en être débarrassé. Le pape devait tellement rougir de sa conduite, qu’il fit à Strozzi le plus mauvais accueil. Strozzi avait ainsi commencé très jeune l’apprentissage de la vie malheureuse de l’homme probe en politique, dont la conscience ne se prête point aux caprices des événements ; dont les actions ne plaisent qu’à la vertu, qui se trouve alors persécuté par tous : par le peuple, en s’opposant à ses passions aveugles, par le pouvoir, en s’opposant à ses usurpations. La vie de ces grands citoyens est un martyre dans lequel ils ne sont soutenus que par la forte voix de leur conscience et par un héroïque sentiment du devoir social, qui leur dicte en toutes choses leur conduite. Il y eut beaucoup de ces hommes dans la république de Florence, tous aussi grands que Strozzi, et aussi complets que leurs adversaires du parti Médicis, quoique vaincus par leur ruse florentine. Qu’y a-t-il de plus digne d’admiration dans la conjuration des Pazzi, que la conduite du chef de cette maison, dont le commerce était immense, et qui règle tous ses comptes avec l’Asie, le Levant et l’Europe avant d’exécuter ce vaste dessein, afin que s’il succombait, ses correspondants n’eussent rien à perdre. Aussi l’histoire de l’établissement de la maison de Médicis du quatorzième au quinzième siècle est-elle une des plus belles qui restent à écrire, encore que de grands génies y aient mis les mains. Ce n’est pas l’histoire d’une république, ni d’une société, ni d’une civilisation particulière, c’est l’histoire de l’homme politique, et l’histoire éternelle de la Politique, celle des usurpateurs et des conquérants. Revenu à Florence, Philippe Strozzi y rétablit l’ancienne forme de gouvernement, et en fit sortir Hippolyte de Médicis, autre bâtard, et cet Alexandre avec lequel il marchait en ce moment. Il fut alors effrayé de l’inconstance du peuple ; et comme il redoutait la vengeance de Clément VII, il alla surveiller une immense maison de commerce qu’il avait à Lyon, et qui correspondait avec des banquiers à lui à Venise, à Rome, en France et en Espagne. Chose étrange ! ces hommes qui supportaient le poids des affaires publiques et celui d’une lutte constante avec les Médicis, sans compter leurs débats avec leur propre parti, soutenaient aussi le fardeau du commerce et de ses spéculations, celui de la banque et de ses complications, que l’excessive multiplicité des monnaies et leurs falsifications rendaient bien plus difficile alors qu’aujourd’hui. (Le nom de banquier vient du banc sur lequel ils siégeaient, et qui leur servait à faire sonner les pièces d’or et d’argent.) Philippe trouva dans la mort de sa femme, qu’il adorait, le prétexte à donner aux exigences du parti républicain, dont la police devient dans toutes les républiques d’autant plus terrible, que tout le monde se fait espion au nom de la liberté qui justifie tout. Philippe n’était revenu dans Florence qu’au moment où Florence fut obligée d’accepter le joug d’Alexandre ; mais il était allé voir auparavant le pape Clément VII, dont les affaires étaient en assez bon état pour que ses dispositions à son égard fussent changées. Au moment de triompher, les Médicis avaient tant besoin d’un homme tel que Strozzi, ne fût-ce que pour ménager l’avènement d’Alexandre, que Clément sut le décider à siéger dans les conseils du bâtard qui allait commencer l’oppression de la ville, et Philippe avait accepté le diplôme de sénateur. Mais depuis deux ans et demi, de même que Sénèque et Burrhus auprès de Néron, il avait observé les commencements de la tyrannie. Il se voyait en ce moment en butte à tant de méfiance de la part du peuple, et si suspect aux Médicis auxquels il résistait, qu’il prévoyait en ce moment une catastrophe. Aussi, dès qu’il apprit du duc Alexandre la négociation du mariage de Catherine avec un fils de France, dont la conclusion allait peut-être avoir lieu à Livourne, où les négociateurs s’étaient donné rendez-vous, forma-t-il le projet de passer en France et de s’attacher à la fortune de sa nièce, à laquelle il fallait un tuteur. Alexandre, enchanté de se débarrasser d’un homme si peu conciliant dans les affaires de Florence, appuya cette résolution qui lui épargnait un meurtre, et donna le conseil à Strozzi de se mettre à la tête de la maison de Catherine. En effet, pour éblouir la cour de France, les Médicis avaient composé brillamment la suite de celle qu’ils nommaient fort indûment la princesse de Florence, et qui s’appelait aussi la petite duchesse d’Urbin. Le cortège, à la tête duquel marchaient le duc Alexandre, Catherine et Strozzi, se composait de plus de mille personnes, sans compter l’escorte et les serviteurs ; et quand la queue était à la porte de Florence, la tête dépassait déjà le premier village, hors la ville, où se tresse aujourd’hui la paille des chapeaux. On commençait à savoir dans le peuple que Catherine allait épouser un fils de François Ier ; mais ce n’était encore qu’une rumeur qui prit de la consistance aux yeux de la Toscane par cette marche triomphale de Florence à Livourne. D’après les préparatifs qu’elle nécessitait, Catherine se doutait qu’il était question de son mariage, et son oncle lui révéla les projets avortés de son ambitieuse maison, qui avait voulu pour elle la main du Dauphin. Le duc Alexandre espérait encore que le duc d’Albany réussirait à faire changer la résolution du roi de France, qui, tout en voulant acheter l’appui des Médicis en Italie, ne voulait leur abandonner que le duc d’Orléans. Cette petitesse fit perdre l’Italie à la France et n’empêcha point que Catherine fût reine.

Ce duc d’Albany, fils d’Alexandre Stuart, frère de Jacques III, roi d’Écosse, avait épousé Anne de la Tour-de-Boulogne, sœur de Madeleine de la Tour-de-Boulogne, mère de Catherine ; il se trouvait ainsi son oncle maternel. C’est par sa mère que Catherine était si riche et alliée à tant de familles ; car, chose étrange ! Diane de Poitiers, sa rivale, était aussi sa cousine. Jean de Poitiers, père de Diane, avait pour mère Jeanne de la Tour-de-Boulogne, tante de la duchesse d’Urbin. Catherine fut également parente de Marie Stuart, sa belle-fille.

Catherine sut alors que sa dot en argent serait de cent mille ducats. Le ducat était une pièce d’or de la dimension d’un de nos anciens louis, mais moitié moins épaisse. Ainsi cent mille ducats de ce temps représentent environ, en tenant compte de la haute valeur de l’or, six millions d’aujourd’hui, le ducat actuel valant presque douze francs. On peut juger de l’importance de la maison de banque que Philippe Strozzi avait à Lyon, puisque ce fut son facteur en cette ville qui délivra ces douze cent mille livres en or. Les comtés d’Auvergne et de Lauraguais devaient en outre être apportés en dot par Catherine, à qui le pape Clément faisait cadeau de cent mille autres ducats en bijoux, pierres précieuses et autres cadeaux de noces, auxquels le duc Alexandre contribuait.

En arrivant à Livourne, Catherine, encore si jeune, dut être flattée de la magnificence excessive que le pape Clément, son oncle en Notre-Dame, alors chef de la maison de Médicis, déploya pour écraser la cour de France. Il était arrivé déjà dans une de ses galères, entièrement tapissée de satin cramoisi, garnie de crépines d’or, et couverte d’une tente en drap d’or. Cette galère, dont la décoration coûta près de vingt mille ducats, contenait plusieurs chambres destinées à la future de Henri de France, toutes meublées des plus riches curiosités que les Médicis avaient pu rassembler. Les rameurs vêtus magnifiquement et l’équipage avaient pour capitaine un prieur de l’Ordre des Chevaliers de Rhodes. La maison du pape était dans trois autres galères. Les galères du duc d’Albany, à l’ancre auprès de celles de Clément VII, formaient avec elles une flottille assez respectable. Le duc Alexandre présenta les officiers de la maison de Catherine au pape, avec lequel il eut une conférence secrète dans laquelle il lui présenta vraisemblablement le comte Sébastien Montécuculli qui venait de quitter, un peu brusquement, dit-on, le service de l’empereur et ses deux généraux Antoine de Lèves et Ferdinand de Gonzague. Y eut-il entre les deux bâtards, Jules et Alexandre, une préméditation de rendre le duc d’Orléans Dauphin ? Quelle fut la récompense promise au comte Sébastien Montécuculli qui, avant de se mettre au service de Charles-Quint, avait étudié la médecine ? L’histoire est muette à ce sujet. Nous allons voir d’ailleurs de quels nuages ce fait est enveloppé. Cette obscurité est telle que récemment de graves et consciencieux historiens ont admis l’innocence de Montécuculli.

Catherine apprit alors officiellement de la bouche du pape l’alliance à laquelle elle était réservée. Le duc d’Albany n’avait pu que maintenir, et à grand-peine, le roi de France dans sa promesse de donner à Catherine la main de son second fils. Aussi l’impatience de Clément fut-elle si grande, il eut une telle peur de trouver ses projets renversés soit par quelque intrigue de l’empereur, soit par le dédain de la France, où les grands du royaume voyaient ce mariage de mauvais œil, qu’il s’embarqua sur-le-champ et se dirigea vers Marseille. Il y arriva vers la fin de ce mois d’octobre 1533. Malgré ses richesses, la maison de Médicis fut éclipsée par la maison de France. Pour montrer jusqu’où ces banquiers poussèrent la magnificence, le douzain mis dans la bourse de mariage par le pape, fut composé de médailles d’or d’une importance historique incalculable, car elles étaient alors uniques. Mais François Ier, qui aimait l’éclat et les fêtes, se distingua dans cette circonstance. Les noces de Henri de Valois et de Catherine durèrent trente-quatre jours. Il est entièrement inutile de répéter les détails connus dans toutes les histoires de Provence et de Marseille, à propos de cette illustre entrevue du pape et du roi de France, qui fut signalée par la plaisanterie du duc d’Albany sur l’obligation de faire maigre ; quiproquo comique dont a parlé Brantôme, dont se régala beaucoup la cour et qui montre le ton des mœurs à cette époque. Quoique Henri de Valois n’eût que vingt jours de plus que Catherine de Médicis, le pape exigea que ces deux enfants consommassent le mariage, le jour même de sa célébration, tant il craignit les subterfuges de la politique et les ruses en usage à cette époque. Clément, qui, dit l’histoire, voulut avoir des preuves de la consommation, resta trente-quatre jours exprès à Marseille, en espérant que sa jeune parente en offrirait des preuves visibles ; car, à quatorze ans, Catherine était nubile. Ce fut, sans doute, en interrogeant la nouvelle mariée avant son départ, qu’il lui dit pour la consoler ces fameuses paroles attribuées au père de Catherine : A figlia d’inganno, non manca mai la figliuolanza. À fille d’esprit, jamais la postérité ne manque.

Les plus étranges conjectures ont été faites sur la stérilité de Catherine, qui dura dix ans. Peu de personnes savent aujourd’hui que plusieurs traités de médecine contiennent, relativement à cette particularité des suppositions tellement indécentes qu’elles ne peuvent plus être racontées. On peut d’ailleurs lire Bayle, à l’article Fernel. Ceci donne la mesure des étranges calomnies qui pèsent encore sur cette reine dont toutes les actions ont été travesties. La faute de sa stérilité venait uniquement de Henri II. Il eût suffi de remarquer que par un temps où nul prince ne se gênait pour avoir des bâtards, Diane de Poitiers, beaucoup plus favorisée que la femme légitime, n’eut pas d’enfants. Il n’y a rien de plus connu, en médecine chirurgicale, que le défaut de conformation de Henri II, expliqué d’ailleurs par la plaisanterie des dames de la cour qui pouvaient le faire abbé de Saint-Victor, dans un temps où la langue française avait les mêmes privilèges que la langue latine. Dès que le prince se fut soumis à l’opération, Catherine eut onze grossesses et dix enfants. Il est heureux pour la France que Henri II ait tardé. S’il avait eu des enfants de Diane, la politique se serait étrangement compliquée. Quand cette opération se fit, la duchesse de Valentinois était arrivée à la seconde jeunesse des femmes. Cette seule remarque prouve que l’histoire de Catherine de Médicis est à faire en entier ; et que, selon un mot très profond de Napoléon, l’histoire de France doit n’avoir qu’un volume ou en avoir mille.

Le séjour à Marseille du pape Clément VII, quand on compare la conduite de Charles-Quint à celle du roi de France, donne une immense supériorité au roi sur l’Empereur, comme en toute chose, d’ailleurs. Voici le résumé succinct de cette entrevue dû à un contemporain.

« Sa Saincteté le pape, après avoir esté conduite jusques au palaiz que j’ai dit luy avoir esté préparé par delà le port, chacun se retira en son quartier, jusques au lendemain que sa dicte Sainteté se prépara pour faire son entrée. Laquelle fut faite en fort grande somptuosité et magnificence, luy estant assis sur une chaire portée sur les espaulles de deux hommes, et en ses habits pontificaux, hormis la tyare, marchant devant lui une haquenée blanche sur laquelle reposait le sacrement de l’autel, et estoit ladite haquenée conduitte par deux hommes à pied en fort bon équipage avecque des resnes de soye blanche. Puis après, marchoient tous les cardinaux en leurs habits montez sur leurs mulles pontificales, et madame la duchesse d’Urbin en grande magnificence, accompagnée d’un grand nombre de dames et de gentilshommes, tant de France que d’Italie. En ceste compagnie étant le Père Saint au lieu préparé pour son logis, chacun se retira ; et tout ce, fut ordonné, et conduit sans nul désordre ny tumulte. Or ce pendant que le pape faisoit son entrée, le Roy passa l’eau dans une frégate, et alla loger au lieu dont le pape estoit party, pour de ce lieu le lendemain venir faire l’obéissance au Père Saint, comme Roy très chrestien...

« Estant le Roy préparé partit pour venir au palaiz où estoit le pape, accompagné des princes de son sang, comme monseigneur le duc de Vendosmois (père du vidame de Chartres), le comte de Sainct-Pol, messieurs de Montpensier et de La Roche-sur-Yon, le duc de Nemours, frère du duc de Savoye, lequel mourut audit lieu, le duc d’Albany et plusieurs autres, tant comtes, barons que seigneurs, estant toujours près du Roy le seigneur de Montmorency, son grand maître. Estant le Roy arrivé au palaiz, fut reçu par le pape et tout le collége des cardinaux, assemblés en consistoire, fort humainement. Ce faict, chacun se retira au lieu à luy ordonné, et le Roy mena avec luy plusieurs cardinaux pour les festoyer, et entre autres le cardinal de Médicis, neveu du pape, homme fort magnifique et bien accompagné. Au lendemain, ceux ordonnés par Sa Saincteté et par le Roy commencèrent à s’assembler pour traiter des choses pour lesquelles l’entrevue se faisoit. Premièrement fut traisté du faict de la foy, et fut prêchée une bulle pour repprimer les Hérésies et empescher que les choses ne vinssent en plus grande combustion qu’elles n’estoient. Puis fut conclud le mariage du duc d’Orléans, second fils du Roy, avec Catherine de Médicis, duchesse d’Urbin, nièce de Sa Saincteté, avec les conditions telles ou semblables que celles qui avaient été proposées autrefois au duc d’Albany. Le dict mariage fut consommé en grande magnificence et les espousa nostre Saint-Père (italianisme qui ne s’est pas établi dans la langue. On disait alors en France comme en Italie, un tel a marié la une telle, pour dire l’a épousée). Ce mariage ainsi consommé, le Saint-Père tint un consistoire auquel il créa quatre cardinaux à la dévocion du Roy, scavoir : le cardinal Le Veneur, devant évesque de Lisieux et grand aumosnier, le cardinal de Boulogne de la maison de la Chambre, frère maternel du duc d’Albany, le cardinal de Châtillon de la maison de Colligny, nepveu du sire de Montmorency, le cardinal de Givry. »

Quand Strozzi délivra la dot en présence de la cour, il aperçut un peu d’étonnement chez les seigneurs français, ils dirent assez haut que c’était peu de chose pour une mésalliance (qu’auraient-ils dit aujourd’hui ?). Le cardinal Hippolyte répondit alors : « – Vous êtes donc mal instruits des secrets de votre Roy, Sa Sainteté s’oblige à donner à la France trois perles d’une valeur inestimable : Gênes, Milan et Naples. » Le pape laissa le comte Sébastien Montécuculli se présenter lui-même à la cour de France, où il offrit ses services en se plaignant d’Antoine de Lèves et de Ferdinand de Gonzague, ce qui fut cause qu’on l’accepta. Montécuculli ne fit point partie de la maison de Catherine qui fut entièrement composée de Français et de Françaises ; car, par une loi de la monarchie dont l’exécution fut vue par le pape avec le plus grand plaisir, Catherine fut naturalisée Française avant le mariage, par lettres-patentes. Montécuculli, comme Espagnol, fut attaché d’abord à la maison de la reine, sœur de Charles-Quint. Puis il passa quelque temps après au service du Dauphin en qualité d’échanson.

La duchesse d’Orléans se vit entièrement perdue à la cour de François Ier. Son jeune mari s’était épris de Diane de Poitiers, qui certes, comme naissance, pouvait rivaliser Catherine, et se trouvait plus grande dame qu’elle. La fille des Médicis était primée par la reine Éléonor, sœur de Charles-Quint, et par la duchesse d’Étampes, que son mariage avec le chef de la maison de Brosse rendait une des femmes les plus puissantes et les mieux titrées de France. Sa tante la duchesse d’Albany, la reine de Navarre, la duchesse de Guise, la duchesse de Vendôme, la Connétable, plusieurs autres femmes tout aussi considérables, éclipsaient par leur naissance et par leurs droits autant que par leur pouvoir dans la cour la plus somptueuse qu’ait eue un roi de France, sans excepter Louis XIV, la fille des épiciers de Florence, plus illustre, plus riche par la maison de la Tour-de-Boulogne, que par sa propre maison de Médicis.

La position de sa nièce fut si mauvaise et si difficile, que le républicain Philippe Strozzi, très incapable de la diriger au milieu d’intérêts si contraires, la quitta dès la première année, rappelé d’ailleurs en Italie par la mort de Clément VII. La conduite de Catherine, si l’on vient à songer qu’elle avait à peine quinze ans, fut un modèle de prudence : elle s’attacha très étroitement au roi son beau-père, qu’elle quitta le moins qu’elle put, elle le suivait à cheval, à la chasse et à la guerre. Son idolâtrie pour François Ier sauva la maison de Médicis de tout soupçon, lors de l’empoisonnement du dauphin. Catherine se trouvait alors, ainsi que le duc d’Orléans, au quartier du roi en Provence, car la France fut bientôt envahie par Charles-Quint, beau-frère du roi. Toute la cour resta sur le théâtre des plaisirs du mariage, devenu celui d’une des guerres les plus cruelles. Au moment où Charles-Quint mis en fuite laissa les os de son armée en Provence, le dauphin revenait vers Lyon par le Rhône ; il s’arrêta pour coucher à Tournon, et, par passe-temps, il fit quelques exercices violents qui furent presque toute l’éducation de son frère et de lui, par suite de leur captivité comme otages. Ce prince eut l’imprudence, ayant très chaud, au mois d’août, de demander un verre d’eau que Montécuculli lui servit à la glace. Le Dauphin mourut presque subitement. François Ier adorait son fils. Le Dauphin était, selon tous les historiens, un prince accompli. Le père au désespoir donna le plus grand éclat à la procédure suivie contre Montécuculli, il en chargea les plus savants magistrats du temps. Après avoir subi héroïquement les premières tortures sans rien avouer, le comte fit des aveux par lesquels il impliqua constamment l’empereur et ses deux généraux Antoine de Lèves et Ferdinand de Gonzague. Cette procédure ne satisfit point François Ier. Aucune affaire ne fut plus solennellement débattue que celle-ci. Voici ce que fit le roi, d’après le récit d’un témoin oculaire.

« Le roy fit assembler à Lion tous les princes de son sang et tous les chevaliers de son ordre et austres gros personnages de son royaume : les légat et nonce du pape, les cardinaux qui se trouvèrent en sa cour, aussi les ambassadeurs d’Angleterre, Escosse, Portugal, Venise, Ferrare et austres ; ensemble tous les princes et gros seigneurs étrangers, tant d’Italie que d’Allemagne, qui pour ce temps-là résidoient en sa cour, comme le duc d’Wittemberg, Alleman ; les ducs de Somme, d’Arianne, d’Atrie ; prince de Melphe (il avait voulu épouser Catherine), et de Stilliane Napolitain ; le seigneur dom Hippolyte d’Est ; le marquis de Vigeve de la maison Trivulce, Milanois ; le seigneur Jean Paul de Cere, Romain ; le seigneur César Frégose, Génevoi, (Génois de Genova), le seigneur Annibal de Gonzague, Mantouan, et autres en très grand nombre. Lesquels assemblés il fit lire en la présence de eux, depuis un bout jusqu’à l’autre, le procès du malheureux homme qui avoit empoisonné feu monsieur le Dauphin, avec les interrogatoires, confessions, confrontations, et austres solemnités accoutumés en procès criminel, ne voulant pas que l’arrêt fût exécuté, sans que tous les assistants eussent donné leur advis sur cest énorme et misérable cas. »

La fidélité, le dévouement et l’habileté du comte Montécuculli peuvent paraître extraordinaires par un temps d’indiscrétion générale où tout le monde, même les ministres, parlent du plus petit événement où l’on a mis le doigt ; mais alors les princes trouvaient des serviteurs dévoués, ou savaient les choisir. Il se rencontrait alors des Morey monarchiques, parce qu’il y avait de la foi. Ne demandez jamais rien de grand aux intérêts, parce que les intérêts peuvent changer ; mais attendez tout des sentiments, de la foi religieuse, de la foi monarchique, de la foi patriotique. Ces trois croyances produisent seules les Berthereau de Genève, les Sydney, les Strafford d’Angleterre, les assassins de Thomas Becket comme les Montécuculli, les Jacques Cœur et les Jeanne d’Arc, comme les Richelieu et les Danton, les Bonchamps, les Talmont et aussi les Clément, les Chabot, etc. Charles-Quint se servit des plus hauts personnages pour exécuter les assassinats de trois ambassadeurs de François Ier. Un an après, Lorenzino, cousin germain de Catherine, assassinait le duc Alexandre, après une dissimulation de trois années, et dans des circonstances qui l’ont fait surnommer le Brutus florentin. La qualité des personnages arrêtait si peu les entreprises, que ni la mort de Léon X ni celle de Clément VII n’ont paru naturelles. Mariana, l’historien de Philippe II, plaisante presque en annonçant l’empoisonnement de la reine d’Espagne, fille de France, en disant que : « Pour la gloire du trône d’Espagne, Dieu permit l’aveuglement des médecins qui traitèrent la reine pour une hydropisie » (elle était grosse). Quand le roi Henri II se permit une médisance qui méritait un coup d’épée, il trouva La Châteigneraie pour le recevoir. À cette époque, on servait aux princes et princesses leur manger enfermé dans des boîtes à cadenas, dont ils gardaient la clef. De là le droit de cadenas, honneur qui cessa sous Louis XIV.

Le Dauphin mourut empoisonné de la même manière et du même poison peut-être qui servit à Madame sous Louis XIV. Le pape Clément VII était mort depuis deux ans, le duc Alexandre, plongé dans ses débauches, ne paraissait avoir aucun intérêt à l’élévation du duc d’Orléans. Catherine, âgée de dix-sept ans et pleine d’admiration pour son beau-père, était auprès de lui lors de l’événement ; Charles-Quint seul paraissait avoir intérêt à cette mort, car François Ier réservait son fils à une alliance qui devait agrandir la France. Les aveux du comte furent donc très habilement basés sur les passions et sur la politique du moment : Charles-Quint fuyait après avoir vu ses armées ensevelies en Provence avec son bonheur, sa réputation et ses espérances de domination. Remarquez que si la torture avait arraché des aveux à un innocent, François Ier lui rendait la liberté de parler, au milieu d’une assemblée imposante, et en présence de gens devant lesquels l’innocence avait quelques chances de triomphe. Le roi, qui voulait la vérité, la cherchait de bonne foi.

Malgré son brillant avenir, la situation de Catherine à la cour ne changea point à la mort du Dauphin ; sa stérilité faisait prévoir un divorce, au cas où son mari monterait sur le trône. Le Dauphin était sous le charme de Diane de Poitiers. Diane osait rivaliser madame d’Étampes. Aussi Catherine redoubla-t-elle de soins et de cajoleries envers son beau-père, en comprenant que son appui n’était que là. Les dix premières années de Catherine furent alors prises par les renaissants chagrins que lui donnaient ses espérances de grossesse incessamment détruites, et les ennuis de sa rivalité avec Diane. Jugez de ce que devait être la vie d’une princesse surveillée par une maîtresse jalouse, appuyée par un énorme parti, le parti catholique, et par les deux alliances énormes que la sénéchale fit en mariant ses deux filles, l’une à Robert de La Mark, duc de Bouillon, prince de Sedan, l’autre à Claude de Lorraine, duc d’Aumale.

Catherine, perdue au milieu du parti de madame d’Étampes et du parti de la sénéchale (tel fut pendant le règne de François Ier le titre de Diane) qui divisaient la cour et la politique entre ces deux ennemies mortelles, essaya d’être à la fois l’amie de la duchesse d’Étampes et l’amie de Diane de Poitiers. Celle qui devait être une si grande reine joua le rôle de servante. Elle fit ainsi l’apprentissage de cette politique à deux visages qui fut le secret de sa vie. La reine se trouva plus tard entre les Catholiques et les Calvinistes, comme la femme avait été pendant dix ans entre madame d’Étampes et madame de Poitiers. Elle étudia les contradictions de la politique française : François Ier soutenait Calvin et les Luthériens pour embarrasser Charles-Quint. Puis, après avoir sourdement et patiemment protégé la Réformation en Allemagne, après avoir toléré le séjour de Calvin à la cour de Navarre, il sévit contre elle avec une rigueur démesurée. Catherine vit donc cette cour et les femmes de cette cour jouant avec le feu de l’hérésie, Diane à la tête du parti catholique avec les Guise, uniquement parce que la duchesse d’Étampes soutenait Calvin et les Protestants. Telle fut l’éducation politique de cette reine qui remarqua dans le cabinet du roi de France les errements de la maison de Médicis. Le Dauphin contrecarrait son père en toutes choses, il fut mauvais fils. Il oublia la plus cruelle, mais la plus vraie maxime de la Royauté, à savoir que les trônes sont solidaires, et que le fils, qui peut faire de l’opposition pendant la vie de son père, doit en suivre la politique en montant sur le trône. Spinoza, qui ne fut pas moins profond politique que grand philosophe, a dit, pour le cas où un roi succède à un autre par une insurrection ou par un attentat : « Si le nouveau roi veut assurer son trône et garantir sa vie, il faut qu’il montre tant d’ardeur pour venger la mort de son prédécesseur, qu’il ne prenne plus envie à personne de commettre un pareil forfait. Mais pour le venger dignement, il ne lui suffit pas de répandre le sang de ses sujets, il doit approuver les maximes de celui qu’il a remplacé, tenir la même route dans le gouvernement. » Ce fut l’application de cette maxime qui donna Florence aux Médicis. Cosme Ier, le successeur du duc Alexandre, fit assassiner, après onze ans, le Brutus florentin à Venise, et, comme nous l’avons dit déjà, persécuta sans cesse les Strozzi. Ce fut l’oubli de cette maxime qui perdit Louis XVI. Ce roi manquait à tous les principes du gouvernement en rétablissant les parlements supprimés par son grand-père. Louis XV avait vu bien juste. Les parlements, notamment celui de Paris, furent pour la moitié dans les troubles qui nécessitèrent la convocation des États généraux. La faute de Louis XV fut, en abattant cette barrière qui séparait le trône du peuple, de ne pas lui en avoir substitué une plus forte, enfin de ne pas avoir remplacé les parlements par une forte constitution des provinces. Là se trouvait le remède aux maux de la Monarchie, là se trouvait le vote des impôts, leur régularisation, et une lente approbation des réformes nécessaires au régime de la Monarchie.

Le premier acte de Henri II fut de donner sa confiance au connétable de Montmorency, que son père lui avait enjoint de laisser dans la disgrâce. Le connétable de Montmorency fut, avec Diane de Poitiers, à qui il s’était étroitement lié, le maître de l’État. Catherine fut donc encore moins heureuse et moins puissante, quand elle se vit reine de France, que quand elle était Dauphine. D’abord, à partir de 1543, elle eut tous les ans un enfant pendant dix ans, et fut occupée de ses devoirs de maternité durant toute cette période qui embrasse les dernières années du règne de François Ier