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Tu as Mal ! Tu seras Belle, ma fille ! Un roman inspiré de faits réels. Le raffinement et le prestige côtoient l'horreur, la soumission et la révolte, au rythme du parcours douloureux de filles et de jeunes femmes. L'auteure Brigitte Vivien les ayant parfois rencontrées au cours de ses voyages peut ainsi témoigner de leur vie. Apsara, petite birmane, Céleste, adolescente normande, Bintou, femme burkinabé, Perle de Cuivre, fille Mursi, Mariem, mauritanienne et Your, jeune sénégalaise sont si éloignées par leur culture, leur langue et leur pays, que rien ne devrait les rapprocher. Et pourtant, alors que l'humanité, au XXI è siècle va conquérir les étoiles, la destinée de ces jeunes femmes est inexorablement liée à des critères d'esthétique féminine, véritables sources de souffrance et de tragédie.
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À toutes celles qui souffrent en silence,
à qui on dit :
« Il faut souffrir pour être belle »
Quelques définitions
Quelques réflexions
Quelques citations
Prologue
Céleste, adolescente normande
Apsara, la petite Karen-Padaung
Perle de Cuivre, fille Mursi
Mariem, petite mauritanienne.
Bintou, femme Mossi
Your, jeune fille haal-pulaar
Épilogue
Gratitude et Références
Beauté : Qualité conforme à un idéal esthétique, qui plait universellement ; digne d'admiration par ses qualités intellectuelles, physiques ou morales… Qualité de ce qui est beau, de ce qui est esthétique à la perception. C’est un ensemble de formes, de propositions qui plaît et qui fait naître l’admiration. L'aspect physique est une beauté d'apparence, elle n'est pas substantielle puisque sa nature même réside dans la "présentation".
Se dit en général de ce qui touche et charme les sens, l’esprit, l’âme, de ce qui est excellent en son genre.
Souffrance : État prolongé de douleur physique ou morale. La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire réelle ou décrite comme telle. La souffrance qualifie un être qui supporte, endure, ou subit une douleur physique et morale, un état de mal-être, c’est-à-dire un sentiment de non-adaptation au monde, d’étrangeté aux êtres et aux choses, d’indifférence douloureuse. (Définition de l’Organisation Mondiale de la Santé)
Douleur : Le mot « douleur » fait référence en priorité au corporel : c’est une sensation pénible ressentie dans une partie du corps, mais c’est aussi un sentiment pénible et on parle alors de douleur morale. La douleur est une expérience humaine difficile, aux conséquences souvent importantes sur le psychisme et sur les capacités relationnelles de la personne. Lorsqu’elle est intense et prolongée ou lorsqu’elle survient précocement, ses conséquences sont durables, tant sur la personnalité que sur les fonctions de contact. Les expériences douloureuses sont parfois un élément majeur de l’histoire de la personne et une clé de compréhension de ses difficultés.
La beauté est un mystère. Aucun être humain ne peut rester insensible à cette grâce. La beauté provoque émerveillement. Premier rêve de l’adolescence dès que se perçoit la réponse du miroir.
« Le beau est ce qui plaît universellement sans concept » dit Kant. L’œuvre d'art vraiment belle a une valeur universelle. Un visage parfait, sans défaut, est reconnu beau par tous.
Que l’on veuille poétiser, expliquer, analyser ce mystère et l’on se heurte à une chose indicible qui se brise comme la mer déchainée contre une jetée inébranlable. La beauté ne s’explique pas, elle est l'expression de l'harmonie reliant l’humain au monde. Qu’elle soit liée aux canons de l’esthétique de l’Antiquité, aux standards de chaque époque, aux us et coutumes des régions du monde, elle est à la fois multiple, évolutive et universelle.
« La beauté s'éprouve, elle ne se prouve pas ».
Elle peut provoquer fascination et vertige face au « silence éternel des espaces infinis » dont parle Blaise Pascal.
Mais le mythe de la beauté peut engendrer douleurs, traumatismes et états pathologiques, outre la douleur et les blessures physiques.
Proche de la béatitude chez les chrétiens, du Nirvana chez les bouddhistes, du tao chez les chinois, de la sérénité chez les shintoïstes, de la transe chez les animistes, la beauté est une question existentielle qui ne prend tout son sens que sous le regard de l’Homme. C’est ce regard qui confère plénitude à la beauté et la transcende jusqu’au sublime.
John Keats, poète anglais disait dans un vers : « A thing of beauty is a joy for ever.. . »
La Beauté donne son sens à l'Homme qui donne son sens au monde.
« La douleur est le poison de la beauté ». William Shakespeare / La Tempête (1611)
« La souffrance existe avant les hommes, mais le mal n'apparaît qu'avec eux ». Jean d'Ormesson / Comme un chant d'espérance.
« Un charme est au fond des souffrances comme une douleur au fond des plaisirs : la nature de l'homme est la misère ». François-René de Chateaubriand / Les pensées, réflexions et maximes (1848)
« Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remède à nos impuretés ». Charles Baudelaire / Les Fleurs du Mal Bénédiction (Paris 1821-1867)
« La douleur qui se nourrit de douleur n'en devient que plus amère ». Johann Wolfgang von Goethe / La fille naturelle (1804)
« Je ne crains pas la mort, mais la douleur m'épouvante. La perspective d'être rôti vivant me tenaillait de façon suraiguë… ». Renée Vivien / La dame à la louve (1904).
« Il n'y a que dans le silence que la douleur s'entend ». Richard Bohringer /Traîne pas trop sous la pluie.
« La pire souffrance est dans la solitude qui l’accompagne ». André Malraux / La condition humaine, 1933
« Qui craint de souffrir, souffre déjà de ce qu’il craint » Michel de Montaigne /Essais, III, 13
“ Il y a tant d'envie, tant de rêves qui naissent d'une vraie souffrance.” Jean-Jacques Goldman / C'est ta chance.
« Il n'y a que dans le silence que la douleur s'entend ». Richard Bohringer /Traîne pas trop sous la pluie.
Six récits.
Gravés sous mes doigts,
Dans le papier que je torture avec plaisir, que je scarifie.
Mais ce ne sont là que tatouages de signes et gavages de mots.
Six histoires. La mienne.
Celles de jeunes femmes et de petites filles.
Témoignages au cours de mes voyages,
D’une qui a parlé à une autre,
Qui ne se connaissent pas,
Si éloignées sur leur terre aride,
Sous leur tente, leur case
Ou leur demeure de star,
Sur une presqu’île lointaine,
Au creux des vallées,
Dans la jungle birmane ou celle des métropoles,
Et pourtant si proches,
Dans la douleur silencieuse,
Le désir de plaire,
Ou de ne pas déplaire,
Dans l’abnégation, la résignation ou la révolte.
Passage obligé d’avoir mal
Pour être belles.
« La beauté est dans les yeux de celui qui regarde ».Oscar Wilde
–As-tu ton contrôle ? C’est la deuxième fois que je te le demande. Tu m’écoutes ?
Le cours se termine et sans se laisser intimider par l’air excédé de Madame Garildo, le professeur de mathématiques, Céleste inspecte ses ongles parfaitement manucurés tout en tournant son visage angélique vers ses camarades auxquels elle délivre un sourire éclatant.
–Mais, enfin, que se passe-t-il ? Céleste, je te parle ! Si tu veux la jouer première de classe qui refuse d’assumer ses talents pour épater je ne sais quelle galerie de mauvais élèves, alors tu as tout faux ! Si tu as des problèmes, nous pouvons en discuter. Je suis ta professeure principale et tu sais que…
–Madame, Céleste est une bonne élève, foutez-lui la paix. C’est pas pour un devoir oublié, que vous allez en faire des caisses !
L’interruption vient de Tarek, le voisin de table de Céleste et visiblement son petit ami, étant donné son attitude protectrice. En prenant sa défense, il en profite pour caresser une mèche rebelle de ses cheveux blonds, ce qui irrite par-dessus tout Madame Garildo.
–Jeune Tarek, pour employer un langage que tu connais parfaitement, je ne t’ai pas sonné ! Primo, tu ne me coupes pas la parole, deuxio, tu t’adresses à moi sur un autre ton, tertio, tu gardes tes mains baladeuses sur la table. Pas de démonstration amoureuse ostentatoire ici ! C’est compris ? Bon… sauvé par le gong ! Il est l’heure de ranger. N’oubliez-pas de me rendre, bien sûr, renseignées correctement, vos fiches pour le Brevet. Si vous avez des doutes pour votre orientation, tant pis, c’est trop tard. Vous pouvez y aller mais demain, je veux des excuses écrites de Tarek et les quatre autres devoirs manquants sur mon bureau. Je sais que pour certains d’entre vous, c’est habituel mais il ne faudrait quand même pas exagérer. N’est-ce-pas, Messieurs Nico, Bilal, et Mesdemoiselles Sonia et Karin !
Les susnommés offrent un large sourire ouvert sur des dents baguées, quand ils passent, les uns derrière les autres, devant Madame Garildo qui hausse les épaules en faisant une moue, signifiant son désenchantement.
Dans le couloir bondé d’élèves, tous sont pressés de se ruer vers le restaurant scolaire du collège. Après le repas italien, c’est journée américaine, une thématique originale insufflée par la direction, avec hamburger frites ketchup, mayonnaise. Seul un petit groupe de trois filles traine les pieds.
–L'essence de la mode, c'est le rêve, balance avec une certaine fierté Sonia, aussi ronde et petite que les deux autres sont longilignes. J’ai lu ça quelque part et je trouve cette phrase tellement vraie !
–Oui, mais on peut remplacer le rêve par la vie, rétorque Céleste, en visant de ses yeux bleu lagon, ses amies qui l’entourent en se serrant la main.
–En tout cas, pour moi, avec mon look de bibendum, ça ne peut être qu’un fantasme ! Ah ! Vous rigolez mais les minces comme vous, et surtout toi, Céleste, mes excuses Karin, tu n’y es pour rien, c’est la nature qui… Bref les très minces ont plus de chance de rentrer dans un bikini. Moi, je suis vouée au fameux une pièce mémé.
–Avec la jupette pour cacher ton gros cul ! S’esclaffe en lui pinçant les fesses, la bipolaire Karin qui fait remarquer au passage que Céleste a la taille mannequin.
Les plateaux se chargent de plats fumants et odorants. Celui de Céleste se remplit. La cuisinière lui tend une assiette de frites, qu’elle saisit avec avidité. Pour faire honneur au repas que ses amies apprécient autant qu’elle, elle se sert copieusement une avalanche de chantilly sur sa coupe de glace.
–Non, franchement, avec le petit-déjeuner copieux de ce matin, je crois que je vais éclater, plaisante Sonia, ça te dit une bonne moitié d’un double Tennessee and Smoky Cheddar ? Céleste, tu as de la chance, regarde-toi, tu t’empiffres et tu ne prends pas un gramme ! C’est vraiment trop injuste !
Les discussions bruyantes et surexcitées autour des tables oscillent entre le prochain examen et les futures vacances.
–De toute façon, c’est râpé pour moi, se lamente Karin qui a l’impression d’en faire des tonnes sans jamais obtenir le succès souhaité. Que je travaille ou pas, mes notes sont toujours catastrophiques. Je sais pas comment tu fais, toi Céleste. Le devoir, tu vas le rendre à la prof ?
–Elle l’aura demain. Je vais lui faire ce plaisir de me mettre encore un 18 ou 20. Elle aime ça ! Au fait, je t’ai proposé mon aide, ça tient toujours. Mais si tu n’en veux pas, tant pis pour toi. Sonia, elle, va se taper un 15 ou 16. Elle remonte sa moyenne. Pourquoi tu refuses ?
–Ouais et le jour du Brevet, je vais me planter en beauté ! On verra bien que je suis nulle comme mes frangins, comme mes vieux, ces débiles pauvres, criblés de dettes qui n’ont su fabriquer que des tarés. Je n’ai pas demandé à vivre, moi !
–Eh ! Ça faisait longtemps qu’on avait pas eu la tirade de la pleurnicheuse ! Comme dit mon dab, chiale, tu pisseras moins ! Ouais ! Je plaisante !
Sonia se met à mimer la jeune fille boudeuse qui a repoussé son assiette pour geindre sur la table. Tarek, alerté par les pleurs, quitte sa table et se joint aux filles pour la consoler, lui disant que tout le monde n’a pas les mêmes chances au départ. Dans son cas personnel, n’est-il pas livré à lui-même à quinze ans ? Il ne s’en plaint pas. Il considère que c’est à lui de se prendre en mains, de tirer son épingle du jeu pour se sortir de son quartier. Il conseille à Karin de cesser ses jérémiades et d’accepter la proposition de sa copine qui est bien trop sympa. Beaucoup d’autres seraient heureux de cette aide inespérée d’une fille aussi belle, douée et brillante que Céleste.
–Ok, ok, je crois que j’ai compris.
Mais Tarek se pose en grand frère et poursuit sa démonstration de bienveillance.
–Hein ? Jolie Karin, au moins, pas de problème pour toi, tu pourras toujours t’en sortir, tu as ce qu’il faut au bon endroit, bien placé, bien développé, heu… je veux dire par là…
D’abord interloquées puis prises de fou rire, les trois copines observent le garçon médusé qui a stoppé son geste révélateur des formes généreuses de la jeune fille. Pour changer de conversation et surtout se donner une contenance, il s’informe sur leurs projets de vacances. Comme d’habitude, Sonia ira chez ses grands-parents dans la Manche, à proximité DU Mont Saint Michel.
–C’est super ! Je kifferai grave si j’allais là-bas !
Karin envie sa copine, elle qui est obligée de s’occuper de ses deux petits frères, des jumeaux de six ans et de sa mère alcoolique, alitée le plus souvent.
–Tu parles, c’est même pas près de la plage. Imaginez le tableau : une ferme entourée de champs à perte de vue dans le trou du cul du monde, tenue par deux vieux, gentils mais un rien bigots, que je dois aider à rentrer le foin, à soigner les veaux et les poules. Sortie du dimanche, tenez-vous bien, la messe à l’église. Pour une fille musulmane ! Pas un mec à des kilomètres à la ronde. Si, le facteur proche de la retraite. Et toi, Tarek ?
–Je vais travailler un mois chez mon cousin. Il a un garage pas loin d’ici.
–Et ça te plait ?
–Il paie bien, je vais gagner des tunes, c’est ce qui compte. Mais j’aurai du temps en août pour sortir. Avec ma meuf.
Dans un geste tendre, il enserre la taille de Céleste mais, celle-ci, tout à coup un peu triste, se détourne légèrement.
–Vous savez, mes parents ont acheté une résidence secondaire aux Canaries. Je dois partir là-bas deux mois. Je voulais rester ici en août mais ils préfèrent que je sois avec eux. Ils disent qu’il faut surveiller les travaux qui risquent de durer plus longtemps que prévu.
–Quand même, tes darons n’ont pas besoin de toi pour les travaux ! Avec ton look de princesse, t’y connais rien !
Tarek, qui avait envisagé sorties au cinéma, piscine et bien autres choses avec Céleste, a du mal à dissimuler sa déception.
–Bien-sûr, je ne vais pas m’occuper des ouvriers mais ils préfèrent me savoir avec eux. Je suis trop jeune pour rester seule à la maison.
–Je suis trop jeune pour rester seule à la maison ! On croirait entendre une gamine de douze ans ! Tu ne veux pas rester, dis-le tout de suite ! Mademoiselle veut la jouer petite fille gâtée, super star sur les plages de riches ! –N’importe quoi ! Je…
–Reconnais que tu veux pas tenir tête à ta famille pleine aux as !
–C’est pas du tout ça ! Qu’est-ce qui te prend de me parler comme ça ? Tu…
Sans prêter la moindre attention à la jeune fille désolée de ne pas se faire comprendre, Tarek enlace soudain Karin.
–Bon, alors toi, tu seras chez tes vieux ? On se fera une teuf ou deux puisque tout le monde fout le camp ! T’es d’accord ?
Trop heureuse de cette proposition, Karin accepte le handshake de Tarek qu’elle dévore des yeux. Céleste a beau expliquer que ce n’est pas sa faute, qu’elle a tout juste treize ans, qu’elle n’est pas si indépendante qu’eux, rien n’y fait. Les trois la plantent là au milieu de la salle, pour regagner la salle de permannce où, visiblement ils ne souhaitent pas sa présence.
Les dernières semaines de collège plongent les amis d’hier dans l’indifférence. Lorsqu’ils se croisent, les pas accélèrent, les regards se détournent et les bouches se ferment. Les cours sont ponctués d’ironie, de petites phrases assassines qui mettent mal à l’aise Céleste, de plus en plus isolée. Pourquoi m’en vouloir ainsi, se dit-elle ? Lorsque sa mère Alexia prétend que ses prétendus amis ne sont pas du même monde, qu’un fossé social les sépare, Kenny réalise qu’elle a raison. Et cette évidence lui fait mal au cœur. Tarek lui a jeté à la figure leur différence de milieu. Pourtant, il est venu chez elle, il a bien profité de la piscine couverte, du frigo toujours plein, de la connexion internet qui fait défaut chez lui, de sa chambre où il lui aurait peut-être fait l’amour, si ses parents n’avaient décidé de rentrer plus tôt du théâtre. Une pièce nulle selon Paul, son père. Tarek avait eu juste le temps de s’éclipser par la fenêtre en prenant le risque de glisser sur le toit. Comme ils avaient rigolé le lendemain au collège.
Désormais, pour oublier, la jeune fille se jette à corps perdu dans le travail. Madame Garildo est de nouveau satisfaite de sa meilleure élève. Tant pis pour eux, ses bons amis, elle ne les aidera plus. De toute façon, elle ne les verra plus. Elle intégrera un autre lycée qu’eux. Le Brevet n’est qu’une formalité pour elle, qui obtient la moyenne la plus élevée de l’établissement. Tarek est reçu. Il ira en lycée professionnel ainsi que Sonia qui est passée de justesse. C’est l’échec pour Karin.
Les vacances à Lanzarote, déroulent pour Céleste un tapis rouge bordé de palmiers au bord de plages paradisiaques. La villa blanche de plain-pied semble vouloir se jeter dans le lagon turquoise qui l’enserre. Toutes les maisons sont blanches, aux ouvertures bleues, vertes ou brunes, selon les codes imposés par César Manrique. Pour aider sa mère architecte d’intérieur, Céleste propose de décorer sa chambre mais renonce très vite. Elle n’est pas du tout habile dans les travaux manuels et elle finit par horripiler ses parents quand elle renverse un pot de peinture sur le parquet qui vient d’être vitrifié.
–Ma chérie, tu serais plus utile en ne faisant rien. Par pitié, si tu veux nous aider, installe-toi près de la piscine, va à la plage ou va découvrir les environs mais ne touche à rien dans cette maison !
Alors, désœuvrée et seule, Kenny traine les pieds sur la promenade qui longe la côte. Elle regrette ses copines. Elle s’ennuie. Elle s’ennuie surtout de Tarek. Elle aimerait tant se retrouver dans ses bras. Elle ne ferait plus sa mijaurée, elle laisserait volontiers sa famille pour profiter avec lui des meilleurs moments de la vie. Que fait-il en ce moment ? Avec Karin ? Cette peste qui n’attendait qu’un faux pas pour lui mettre la corde au cou.
L’indigo des yeux de Céleste vire au bleu jean. D’un geste délicat, elle sèche une larme qui perle sur sa joue. Sans s’en rendre compte, elle attire le regard émerveillé d’un homme, d’une quarantaine d’années, râblé et bedonnant, vêtu d’un bermuda de brousse et d’un gilet, style grand reporter. Depuis cinq minutes, il n’a d’yeux que pour cette jeune fille élancée, au corps de jeune déesse mystérieuse et triste. Il pense qu’il a une chance incroyable. C’est elle. La fille qu’il recherche depuis des semaines. Sa beauté frise la perfection et respire la fraicheur. La finesse de ses traits l’apparente à une Vénus créée par la main du plus habile des sculpteurs. Son front haut et grave surplombe l’immensité de ses yeux cérulés. Il décide de la suivre nonchalamment. Il sort son portable et mitraille en rafale la mince silhouette éthérée qui vole au-dessus de l’asphalte plus qu’elle ne marche. Elle arrive sur la Corniche des Cadenas de l’Amour. De là, le point de vue est grandiose. Assise sur un rocher, face au coucher de soleil, elle contemple l’anse en contrebas où les vacanciers se baignent encore. A cette heure crépusculaire, les reflets tissent un voile irisé sur l’eau et une couronne dorée sur la chevelure libre de la jeune fille. L’homme s’approche et photographie avec enthousiasme ce site fantastique.
–Quelle vue sensationnelle ! Comment ne pas admirer un tel paysage ? Vous vous rendez compte que certains ignorent cet endroit.
L’homme a un fort accent. Céleste se dit, un touriste de plus qui s’extasie et c’est normal. Il a vraiment l’air emballé par cet endroit.
–Vous avez de la chance, Mademoiselle, de l’avoir découvert.
–C’est pas très difficile.
–C’est vrai, il suffit de longer cette promenade. Mais vous êtes d’ici, peut-être ? –Non…Pas exactement… Je viens d’arriver avec mes parents…Nous avons une villa pas loin.
–Basil Charistos. Je suis photographe… grec, vous avez sans doute reconnu mon accent.
Non, elle n’a pas reconnu son accent et elle s’en fiche de son accent. Elle aussi a son accent normand, qu’il n’a pas remarqué. Mais il a un côté jovial qui fait plaisir et qui lui plait.
–Voici ma carte. Je suis photographe professionnel.
–Oui… Heu…Merci.
–Vous permettez que je fasse quelques clichés de vous dans ce décor sublime ?
On ne vous a jamais dit, mademoiselle, que vous pouviez devenir mannequin ?
Et la tristesse et la suspicion dans les yeux de Céleste s’estompent à mesure que Basil parle avec passion de son art, en déclenchant son Nikon. Il tourne autour de Céleste, un peu impressionnée, se baisse à genoux devant elle, gênée et gauche, lui demande de se lever, s’assied à sa place, se relève, monte sur l’escarpement rocheux, tout en parlant très vite. Son ton à la fois autoritaire et rassurant indique le vrai pro. Doucement, elle se prête au jeu, sous le regard amusé d’une famille anglaise qui croit à un shooting photo avec un jeune mannequin. La femme explique la situation à son mari :
–This girl is a professional model, for sure. She’s really beautiful. Let them work.
Ce qui fait sourire Céleste et ajoute à la complicité naissante avec Basil,
ravi de cet échange si agréable. À la fin de la séance, il lui demande de réfléchir à son avenir et de lui adresser un mail, le plus vite possible. Il lui enverra les clichés. Ses références sont sérieuses et reconnues. Qu’elle en parle avec ses parents qu’il rencontrera, bien sûr. Il ne peut s’attarder plus longtemps pour regagner son studio à Paris. Il attend de ses nouvelles. Il lui explique que le scouting est toujours en quête de nouveaux visages en vue de recruter les mannequins car les agences renouvellent constamment leurs fichiers où figurent les égéries de demain et Céleste pourrait certainement en faire partie.
C’est ainsi que le destin de Kenny se retrouve entre les mains et sous l’œil avisé de Basil Charistos, le top et le plus iconique des photographes de mode, distingué internationalement pour son talent exceptionnel. Sa réputation, largement commentée sur toutes les plateformes de l’industrie du luxe et des mouvements artistiques en vogue, n’est pas à prouver. Elle est fondée sur son pouvoir de création d’une esthétique hyper-réaliste combinée à des couleurs saturées. Il sait révéler la beauté des modèles et les marques se l’arrachent. C’est ce que Céleste, une fois rentrée à Caen, fait partager à ses parents au cours des semaines qui suivent, en les harcelant presque, en prétendant qu’enfin, elle a trouvé sa voie. Ils tempèrent l’excitation de leur fille en exigeant d’elle une réussite dans ses études. Elle fera comme bon lui semblera, une fois le Bac en poche, mais sous leur responsabilité puisqu’elle n’aura que seize ans. Enfin, après trois longues années d’attente, Basil Charistos tient son égérie. Sa nouvelle new face. Il a patienté et lorsqu’il redécouvre Céleste, venue se présenter au studio, elle est encore mieux que ce qu’il espérait et il veut immortaliser l’instant par des images chargées d’émotions. La jeune fille est rayonnante d’une aura mystérieuse qui entoure son visage grave. La signature du contrat en présence de ses parents n’est qu’une formalité.
Bientôt, Basil Charistos présente Céleste à son nouvel univers. Tout d’abord, elle rencontre Ramy Grant, le directeur artistique qui lui souhaite plein de belles choses avec une bienveillance très démonstrative.
–Tu sais, ma chérie, je suis très important. For you, a good man at the right place. Avec moi, on ne rigole pas tous les jours, je suis responsable de beaucoup de choses : de l’image d’un produit, de la marque et des événements auxquels tu vas participer. Chérie, j’assisterai le plus souvent possible au shooting photo.
Avec des mimiques féminines ostensibles, devant lesquelles Céleste éprouve beaucoup de difficulté à dissimuler son amusement, Ramy se tourne vers Basil pour ajouter d’un air supérieur :
–Ma chérie, si tu dois t’adresser à quelqu’un, c’est à moi. N’oublie pas ça. Elle est sublimissime cette petite !
–Naturellement mon cher Ramy, je pense qu’elle a compris ton importance. Bon, passons aux choses sérieuses, après le shooting, avec le book photo, on la passe en direct booking ?
Céleste ouvre des yeux ahuris.