Une ténébreuse affaire - Honoré de Balzac - E-Book

Une ténébreuse affaire E-Book

Honore de Balzac

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Extrait : "Une brèche a toujours sa cause et son utilité. Voici comment et pourquoi celle qui se trouve entre la tour aujourd'hui dite de Mademoiselle, et les écuries, avait été pratiquée. Dès son installation à Cinq-Cygne, le bonhomme d'Hauteserre fit d'une longue ravine par laquelle les eaux de la forêt tombaient dans la douve, un chemin qui sépare deux grandes pièces de terre appartenant à la réserve du château, mais uniquement pour y planter une centaine de noyers..."

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VIIIUn coin de forêt

Une brèche a toujours sa cause et son utilité.

Voici comment et pourquoi celle qui se trouve entre la tour aujourd’hui dite de Mademoiselle, et les écuries, avait été pratiquée.

Dès son installation à Cinq-Cygne, le bonhomme d’Hauteserre fit d’une longue ravine par laquelle les eaux de la forêt tombaient dans la douve, un chemin qui sépare deux grandes pièces de terre appartenant à la réserve du château, mais uniquement pour y planter une centaine de noyers qu’il trouva dans une pépinière.

En onze ans, ces noyers étaient devenus assez touffus et couvraient presque ce chemin encaissé déjà par des berges de six pieds de hauteur, et par lequel on allait à un petit bois de trente arpents qu’il avait acheté.

Quand le château eut tous ses habitants, chacun aima mieux passer par la douve pour prendre le chemin communal qui longeait les murs du parc et conduisait à la ferme, que de faire le tour par la grille. En y passant, sans le vouloir, on élargissait la brèche des deux côtés, avec d’autant moins de scrupule qu’au dix-neuvième siècle les douves sont parfaitement inutiles et que le tuteur parlait souvent d’en tirer parti.

Cette constante démolition produisait de la terre, du mortier, des pierres, qui finirent par combler le fond de la douve. L’eau dominée par cette espèce de chaussée ne la couvrait que dans les temps des grandes pluies.

Néanmoins, malgré ces dégradations auxquelles tout le monde et la comtesse elle-même avait aidé, la brèche était assez abrupte, pour qu’il fût difficile d’y faire descendre un cheval et surtout de le faire remonter sur le chemin communal ; mais il semble que, dans les périls, les chevaux épousent la pensée de leurs maîtres.

Pendant que la jeune comtesse hésitait à suivre Marthe et lui demandait des explications, Michu, qui du haut de son monticule avait suivi les lignes décrites par les gendarmes et compris le plan des espions, désespérait du succès en ne voyant venir personne.

Un piquet de gendarmes suivait le mur du parc en s’espaçant comme des sentinelles, et ne laissant entre chaque homme que la distance à laquelle ils pouvaient se comprendre de la voix et du regard, écouter et surveiller les plus légers bruits et les moindres choses.

Michu, couché à plat ventre, l’oreille collée à la terre, estimait, à la manière des Indiens, le temps qui lui restait par la force du son.

– Je suis arrivé trop tard ! se disait-il à lui-même. Violette me le paiera ! A-t-il été longtemps avant de se griser ? Que faire ?

Il entendait le piquet qui descendait de la forêt par le chemin passant devant la grille, et qui, par une manœuvre semblable à celle du piquet venant du chemin communal, allaient se rencontrer.

– Encore cinq à six minutes ! se dit-il.

En ce moment, la comtesse se montra, Michu la prit d’une main vigoureuse et la jeta dans le chemin couvert.

– Allez droit devant vous ! Mène-la, dit-il à sa femme, à l’endroit où est mon cheval, et songez que les gendarmes ont des oreilles.

En voyant Catherine qui apportait la cravache, les gants et le chapeau, mais, surtout en voyant la jument et Gothard, cet homme, de conception si vive dans le danger, résolut de jouer les gendarmes avec autant de succès qu’il venait de se jouer de Violette.

Gothard avait, comme par magie, forcé la jument à escalader la douve.

– Du linge aux pieds ?… je t’embrasse ! dit le régisseur en serrant Gothard dans ses bras.

Il laissa la jument aller auprès de sa maîtresse et prit les gants, le chapeau, la cravache.

– Tu as de l’esprit, tu vas me comprendre, reprit-il. Force ton cheval à grimper aussi sur ce chemin, monte-le à poil, entraîne après toi les gendarmes en te sauvant à fond de train à travers champs, vers la ferme, et ramasse-moi tout ce piquet qui s’étale, ajouta-t-il en achevant sa pensée par un geste qui indiquait la route à suivre.

– Toi, ma fille, dit-il à Catherine, il nous vient d’autres gendarmes par le chemin de Cinq-Cygne à Gondreville, élance-toi dans une direction contraire à celle que va suivre Gothard, et ramasse-les du château vers la forêt. Enfin, faites en sorte que nous ne soyons point inquiétés dans le chemin creux.

Catherine et l’admirable enfant qui devait donner dans cette affaire tant de preuves d’intelligence, exécutèrent leur manœuvre de manière à faire croire à chacune des lignes de gendarmes que leur gibier se sauvait.

La lueur trompeuse de la lune ne permettait de distinguer ni la taille, ni les vêtements, ni le sexe, ni le nombre de ceux qu’on poursuivait. L’on courut après eux en vertu de ce faux axiome : Il faut arrêter ceux qui se sauvent ! dont la niaiserie en haute police venait d’être énergiquement démontrée par Corentin. Michu, qui avait compté sur l’instinct des gendarmes, put atteindre la forêt avec sa femme quelque temps après la jeune comtesse.

– Cours au pavillon, dit-il à Marthe. La forêt doit être gardée, il est dangereux de rester ici. Nous aurons sans doute besoin de toute notre liberté.

Michu délia son cheval, et pria la comtesse de le suivre.

– Je n’irai pas plus loin, dit Laurence, sans que vous me donniez un gage de l’intérêt que vous me portez ; car enfin, vous êtes Michu.

– Mademoiselle, répondit-il d’une voix douce, mon rôle va vous être expliqué en deux mots : je suis, à l’insu de messieurs de Simeuse, le gardien de leur fortune. J’ai reçu à cet égard des instructions de défunt leur père et de leur chère mère, ma protectrice. Aussi ai-je joué le rôle d’un Jacobin enragé, pour leur rendre service. Malheureusement, j’ai commencé mon jeu trop tard, et n’ai pu sauver mes maîtres !

La voix de Michu s’altéra.

– Depuis la fuite des jeunes gens, je leur ai fait passer, tous les ans, les sommes qui leur étaient nécessaires pour vivre honorablement.

– Par la maison Breintmayer de Strasbourg ? dit-elle.

– Oui, Mademoiselle, les correspondants de M. Girel de Troyes, un royaliste qui, pour sa fortune, a fait, comme moi, le jacobin. Le papier que votre fermier a ramassé un soir, à la sortie de Troyes, était relatif à cette affaire qui pouvait me compromettre : ma vie n’était plus à moi, mais à eux, vous comprenez ? Je n’ai pu me rendre maître de Gondreville. Dans ma position, on m’aurait coupé le cou en me demandant où j’avais pris tant d’or. J’ai préféré racheter la terre un peu plus tard ; mais ce scélérat de Manon était l’homme d’un autre scélérat, de Malin. Gondreville reviendra tout de même à ses maîtres. Cela me regarde. Il y a quatre heures, je tenais Malin au bout de mon fusil, oh ! il était famé ! Dame ! une fuis mort, on licitera Gondreville, on le vendra et vous pouvez l’acheter. En cas de ma mort, ma femme vous aurait remis une lettre qui vous en eût donné les moyens. Mais ce brigand disait à son compère Grévin, une autre canaille, que messieurs de Simeuse conspiraient contre le Premier Consul, qu’ils étaient dans le pays et qu’il valait mieux les livrer et s’en débarrasser, pour être tranquille à Gondreville. Or, comme j’avais vu venir deux maîtres espions, j’ai désarmé ma carabine, et je n’ai pas perdu de temps pour accourir ici, pensant que vous deviez savoir où et comment prévenir les jeunes gens : voilà.

– Vous êtes digne d’être noble, dit Laurence en lui tendant sa main.

Michu voulut se mettre à genoux pour baiser cette main.

Laurence vit son mouvement, le prévint et lut dit :

– Debout, Michu ! d’un son de voix et avec un regard qui le rendirent en ce moment aussi heureux qu’il avait été malheureux depuis douze ans.

– Vous me récompensez comme si j’avais fait tout ce qui me reste à faire, dit-il. Les entendez-vous, les hussards de la guillotine ? Allons causer ailleurs.

Michu prit la bride de la jument en se mettant du côté par lequel la comtesse se présentait de dos, et lui dit :

– Ne soyez occupée qu’à vous bien tenir, à frapper votre bête et à vous garantir la figure des branches d’arbre qui voudront vous la fouetter.

Puis il dirigea la jeune fille pendant une demi-heure au grand galop, en faisant des détours, des retours, coupant son propre chemin à travers des clairières pour y perdre la trace, vers un endroit où il s’arrêta.

– Je ne sais plus où je suis, moi qui connais la forêt aussi bien que vous la connaissez, dit la comtesse en regardant autour d’elle.

– Nous sommes au centre même, répondit-il. Nous avons deux gendarmes après nous, mais nous sommes sauves !

Le lieu pittoresque où le régisseur avait amené Laurence devait être si fatal aux principaux personnages de ce drame et à Michu lui-même, que le devoir de l’historien est de le décrire. Ce paysage est d’ailleurs, comme on le verra, devenu célèbre dans les fastes judiciaires de l’empire.

La forêt de Nodesme appartenait à un monastère dit de Notre-Dame. Ce monastère, pris, saccagé, démoli, disparut entièrement, moines et biens. La forêt, objet de convoitise, entra dans le domaine des comtes de Champagne qui, plus tard, l’engagèrent et la laissèrent vendre. En six siècles, la nature couvrit les ruines avec son riche et puissant manteau vert, et les effaça si bien, que l’existence d’un des plus beaux couvents n’était plus indiquée que par une assez faible éminence, ombragée de beaux arbres, et cerclée par d’épais buissons impénétrables que, depuis 1794, Michu s’était plu à épaissir en plantant de l’acacia épineux dans les intervalles dénués d’arbustes.

Une mare se trouvait au pied de cette éminence, et attestait une source perdue qui sans doute avait déterminé l’assiette du monastère. Le possesseur des titres de la forêt de Nodesme avait pu seul reconnaître l’étymologie de ce mot âgé de huit siècles et découvrir qu’il y avait eu jadis un couvent au centre de la forêt.

En entendant les premiers coups de tonnerre de la Révolution, le marquis de Simeuse, qu’une contestation avait obligé de recourir à ses titres, instruit de cette particularité par le hasard, se mit, dans une arrière-pensée assez facile à concevoir, à rechercher la place du monastère.

Le garde, à qui la forêt était si connue, avait naturellement aidé son maître dans ce travail : sa sagacité de forestier lui fit reconnaître la situation du monastère. En observant la direction des cinq principaux chemins de la forêt, dont plusieurs étaient effacés, il vit que tous aboutissaient au monticule et à la mare, où jadis on devait venir de Troyes, de la vallée d’Arcis, de celle de Cinq-Cygne, et de Bar-sur-Aube.

Le marquis voulut sonder le monticule, mais il ne pouvait prendre pour cette opération que des gens étrangers au pays. Pressé par les circonstances, il abandonna ses recherches en laissant dans l’esprit de Michu l’idée que l’éminence cachait ou des trésors ou les fondations de l’abbaye.

Michu continua cette œuvre archéologique, il sentit le terrain sonner le creux, au niveau même de la mare, entre deux arbres, au pied du seul point escarpé de l’éminence. Par une belle unit, il vint armé d’une pioche, et son travail mit à découvert une baie de cave où l’on descendait par des degrés en pierre.

La mare, qui, dans son endroit le plus creux, a trois pieds de profondeur, est irrégulière et forme une spatule dont le manche semble sortir de l’éminence, et ferait croire qu’il sort de ce rocher factice une fontaine perdue par infiltration dans cette vaste forêt.

Ce marécage, entoure d’arbres aquatiques, d’aulnes, de saules, de frênes, est le rendez-vous de sentiers, restes des routes anciennes et d’allées forestières, aujourd’hui désertes. Cette eau, vive et qui paraît dormante, couverte de plantes à larges feuilles, de cresson, offre une nappe entièrement verte, à peine distinctible de ses bords où croît une herbe fine et fournie. Elle est trop loin de toute habitation pour qu’aucune bête, autre que le fauve, vienne en profiter.

Bien convaincus qu’il ne pouvait rien exister au-dessous de ce marais, et rebutés par les bords inaccessibles du monticule, les gardes particuliers ou les chasseurs n’avaient jamais visité, fouillé ni sondé ce coin qui appartenait à la plus vieille coupe de la forêt, et que Michu réserva pour une futaie, quand arriva son tour d’être exploitée.

Au bout de la cave se trouve un caveau voûté, propre et sain, tout en pierres de taille, du genre de ceux qu’on nommait l’in pace, le cachot des couvents. La salubrité de ce caveau, la conservation de ce reste d’escalier et de ce berceau, s’expliquait par la source que les démolisseurs avaient respectée et par une muraille vraisemblablement d’une grande épaisseur, en brique et en ciment semblable à celui des Romains, qui contenait les eaux supérieures.

Michu couvrit de grosses pierres l’entrée de cette retraite ; puis, pour s’en approprier le secret et le rendre impénétrable, il s’imposa la loi de remonter l’éminence boisée, et de descendre à la cave par l’escarpement, au lieu d’y aborder par la mare.

Au moment où les deux fugitifs y arrivèrent, la lune jetait sa belle lueur d’argent aux cimes des arbres centenaires du monticule. Elle se jouait dans les magnifiques touffes des langues de bois, diversement découpées par les chemins qui débouchaient là, les unes arrondies, les autres pointues, celle-ci terminée par un seul arbre, celle-là par un bosquet.

De là, l’œil s’engageait irrésistiblement en de fuyantes perspectives où les regards suivaient soit la rondeur d’un sentier, soit la vue sublime d’une longue allée de forêt, soit une muraille de verdure presque noire. La lumière filtrée à travers les branchages de ce carrefour faisait briller, entre les clairs du cresson et les nénuphars, quelques diamants de cette eau tranquille et ignorée. Le cri des grenouilles troubla le profond silence de ce joli coin de forêt dont le parfum sauvage réveillait dans l’âme des idées de liberté.

– Sommes-nous bien sauvés ? dit la comtesse à Michu.

– Oui, Mademoiselle. Mais nous avons chacun notre besogne. Allez attacher nos chevaux à des arbres en haut de cette petite colline, et nouez-leur à chacun un mouchoir autour de la bouche, dit-il en lui tendant sa cravate ; le mien et le vôtre sont intelligents : ils sauront qu’ils doivent se taire. Quand vous aurez fini, descendez droit au-dessus de l’eau par cet escarpement ; ne vous laissez pas accrocher par votre amazone ; vous me trouverez en bas.

Pendant que la comtesse cachait les chevaux, les attachait et les bâillonnait, Michu débarrassa ses pierres et découvrit l’entrée de la cave.

La comtesse, qui croyait savoir sa forêt, fut surprise au dernier point en se voyant sous un berceau de cave.

Michu remit les pierres en voûte au-dessus de l’entrée avec une adresse de maçon. Quand il eut achevé, le bruit des chevaux et de la voix des gendarmes retentit dans le silence de la nuit ; mais il n’en battit pas moins tranquillement le briquet, alluma une petite branche de sapin, et mena la comtesse dans l’in pace, où se trouvait encore un bout de la chandelle qui lui avait servi à reconnaître ce caveau.

La porte en fer et de plusieurs lignes d’épaisseur, mais percée en quelques endroits par la rouille, avait été remise en état par le garde, et se fermait extérieurement avec des barres qui s’adaptaient de chaque côté dans des trous.

La comtesse, morte de fatigue, s’assit sur un banc de pierre, au-dessus duquel il existe encore un anneau scellé dans le mur.

– Nous avons un salon pour causer, dit Michu. Maintenant, les gendarmes peuvent tourner tant qu’ils voudront : le pire qui nous arriverait serait qu’ils prissent nos chevaux.

– Nous enlever nos chevaux, dit Laurence, ce serait tuer mes cousins et messieurs d’Hauteserre ! Voyons, que savez-vous ?

Michu raconta le peu qu’il avait surpris de la conversation entre Malin et Grévin.

– Ils sont en route pour Paris, ils y entreront ce matin.

– Perdus ! s’écria Michu. Vous comprenez que les entrants et les sortants seront surveillés aux barrières. Malin a le plus grand intérêt à les laisser se bien compromettre pour les faire fusiller.

– Et moi qui ne sais rien du plan général de l’affaire ! s’écria Laurence. Comment prévenir George, Rivière et Moreau ? Où sont-ils ? Enfin ne songeons qu’à mes cousins et aux d’Hauteserre, rejoignez-les à tout prix.