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Gabriel, fort d’une longue expérience en tant qu’enseignant de tennis, vit sa profession comme une véritable passion. Son parcours l’a conduit à travailler dans un somptueux hôtel en bord de Méditerranée, où il a eu le privilège de rencontrer et de prendre soin de joueurs de tous âges, hommes, femmes et enfants, tous exigeant une attention particulière. Tout au long de ce récit, nous ferons connaissance avec ces joueurs et plongerons dans l’art de l’adaptation dont Gabriel fait preuve envers chacun d’eux. En outre, nous explorerons « sa méthode » et les concepts fondamentaux qu’il transmet avec passion.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après une grande expérience dans l’univers du tennis,
Sébastien L'Hérondel prend la plume pour partager ce qu’il a vu, fait et enseigné. "1 court, 1 cours, 1 coup" met en scène des savoirs multiformes pour valoriser une activité sportive noble.
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Seitenzahl: 229
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Sébastien L'Hérondel
1 court, 1 cours, 1 coup
Essai
© Lys Bleu Éditions – Sébastien L'Hérondel
ISBN : 979-10-422-1108-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Un bon enseignant ne peut jamais se contenter d’une routine. Chaque instant demande un esprit qui change et s’adapte constamment. Un enseignant ne doit jamais imposer à son élève de correspondre à ses schémas favoris. Un bon enseignant protège ses élèves de sa propre influence. Un enseignant n’est jamais un ascenseur de vérité ; il est un guide, un pointeur vers la vérité que chaque élève doit trouver par lui-même.
Je ne t’enseigne rien. Je t’aide juste à t’explorer toi-même.
Bruce Lee
Ô combien de livres !
Ô combien de professeurs vous ont expliqué, démontré, fasciné pour vous faire comprendre que le tennis c’est difficile, mais « y a qu’à ».
Aussi, ce livre ne se veut pas un énième opus sur l’enseignement ou une méthode magique. Non, plutôt un essai évoquant un point de vue : chacun est différent. Vous allez découvrir autant de profils de joueurs ou de joueuses que de jeunes ou d’adultes.
En toute simplicité, je vais vous exposer ma façon de « travailler », sachant que pour certains, pour beaucoup, « prof de tennis, c’est pas un métier » ! Par méthode, je devrais écrire mon manque de méthode étant donné que chacun est unique, il devrait y avoir une méthode pour chaque joueur. Mais disons que des traits se recoupent, et heureusement !
Avant, il y avait une façon de faire, un moule, une méthode… Certes, mais les temps changent, et ça peut avoir du bon… Assener des vérités est devenu dangereux, car tout est remis en cause ; et – j’ose le dire – c’est tant mieux.
Dire d’un enseignant qu’il est « bon » est subjectif ; plusieurs écoles existent. Pour prendre des exemples, avec N. Bollittieri nous avions le marine et sa conception « militaire », avec P. Mouratoglou, nous avons une vision plus compétente, pécuniaire et élitiste, avec T. Benhabiles ou J.W. Tsonga, l’accent est plus mis sur l’humain, avec T. Nadal, c’est le travail et la répétition. Tous ont des valeurs, ces valeurs font leur particularité, leur signature. Autant de façons de travailler qui se recoupent plus ou moins et qui donnent autant de résultats différents. Donc, la panacée n’existe pas. En revanche, il n’est pas interdit de prendre chez chacun une part, un esprit, une idée. Le vainqueur final devra toujours être le joueur ou la joueuse.
Un bon enseignant est donc une personne qui fait, qui essaie de faire émerger le possible, le mieux chez le joueur. Pour cela, il a des connaissances de terrain, mais pas que. L’aspect humain doit être primordial. On ne s’adresse pas de la même manière à un enfant de 4 ans qu’à un patron coté en bourse, ou à une femme qui joue pour être avec son mari, ses amies, qu’à un jeune talent brut à dégrossir.
C’est l’occasion de laisser parler Arnaud Clément :
« On ne construit pas bien les jeunes joueurs, à vouloir absolument être les meilleurs en 8-9 ans, 9-10 ans, 11-12 ans, à les envoyer systématiquement sur des tournois internationaux. C’est ma sensibilité. On ne construit pas un joueur comme un robot. Aujourd’hui, la FFT a un plan, “cette catégorie, ça se passe comme ça, c’est tant d’heures et tant de tournois”, “cette catégorie c’est encore plus d’heures”. On parle d’augmenter des doses de travail pour des enfants de 6-7 ans… Le tennis évolue, je sais, mais on n’est pas assez dans l’adaptation aux joueurs. Sous couvert de vouloir absolument un gars qui veut gagner Roland-Garros, on arrive à dégoûter des enfants qui vont passer très vite à autre chose. La baisse des licenciés est peut-être aussi due à ça. (...). 11-12 ans, c’est vingt d’heures d’entraînement par semaine pour les meilleurs, avec des pressions sur les aides supprimées ou réduites si l’enfant ne veut pas être déscolarisé. Tu ne peux pas faire ça à tout le monde, ça ne peut pas être une règle. (…) On oublie aussi d’éduquer et d’expliquer aux parents que dans 95 % des cas, l’enfant ne va passer pro plus tard et ne gagnera pas sa vie en jouant au tennis. On n’est pas assez honnête là-dessus. On peut générer de la frustration et aboutir à des décrochages, sans bagage derrière. (…)
Il faut oublier LE champion qu’on veut absolument avoir. Dans le discours fédéral, les mots “jeu” et “plaisir” ne sont plus employés. Le but, c’est de gagner, c’est tout. Mais le tennis, à la base, ce n’est pas ça. Et ce n’est pas incompatible non plus, le jeu, le plaisir et gagner ! Et en fait, tu as l’impression que ça l’est. Il faut retrouver la passion, inculquer pourquoi on aime ça. On ne fait pas du sport pour gagner des millions et accéder forcément au haut niveau. »1
Quelques décennies de terrain m’ont permis, donc, de rencontrer et découvrir toute sorte de joueurs, du pur loisir au pur professionnel, du plus vindicatif au plus fairplay, du plus cool au plus hargneux, du plus « looser » au plus « winner ».
Ainsi, mon approche pédagogique est, en quelque sorte, sociologique sans l’être moi-même, ou psychologique sans l’être moi-même, voire philosophique. Cela pourrait être qualifié d’apprentissage par l’expérience, principalement essai/erreur2. J’ai juste l’expérience du terrain. Et la curiosité intellectuelle d’apprendre de la vie. Cela m’a permis de tracer des portraits tous véridiques, ou presque… comme on dit, toute ressemblance serait fortuite…
Au travers de ces pages, vous ferez la connaissance de joueurs en devenir, en revenir ou plus simplement de joueurs venus découvrir ce sport, ce jeu, cette pratique.
Le fil rouge est donc le tennis, mais plus précisément du côté de l’enseignant. Justement, son enseignement sera dévoilé sous ses dispositions les plus secrètes (veinards), mais ne perdons pas de vue que chacun fait à sa façon.
En l’occurrence, l’humour et le mental se chevauchent souvent ; reste que la technique et le physique ainsi que la tactique ne sont pas oubliés. On peut dire que toutes les facettes sont évoquées sans priorité si ce n’est vous divertir.
Le point central sera l’humain. Cet humain, que ce soit l’enfant ou l’adulte, qui est de plus en plus conditionné, formaté par la société. Et permettez-moi d’inclure ce petit texte de Frédéric LENOIR :
« Conformisme, imitation, perte d’esprit critique, appauvrissement du désir : la société de consommation produit une dépersonnalisation croissante qui a de quoi inquiéter. Elle tente évidemment de la masquer par un discours trompeur sur la liberté de choix et l’accomplissement de soi, mais elle réduit en fait les individus à l’état de consommateurs abrutis, esclaves des impulsions de leur cerveau primaire et de leurs envies mimétiques. L’idéologie néo-libérale, qui porte le système consumériste, nous promet la liberté et le bonheur, alors que ce système est source de servilité et de frustration. Nous sommes dressés, soumis, manipulés dans nos désirs… et perpétuellement insatisfaits. Pour en sortir, il s’agit de quitter les impératifs catégoriques de nos sociétés, qui associent le bonheur à la réussite sociale et à la jouissance des biens matériels ; il convient de renforcer notre discernement et notre esprit critique ; et surtout d’apprendre à nous reconnecter à nos désirs profonds, réellement personnels, et à l’élan vital qui les porte. »3
Or, le rôle de l’enseignant doit être de laisser de la liberté, de laisser la place aux rêves. Pour cela, il doit cadrer et laisser de l’autonomie aux joueurs. Comme Maria Montessori le disait : « l’enfant n’est pas un puits que l’on remplit, c’est une fontaine, qu’il faut laisser s’exprimer ». Et quand on voit comment jouent les meilleurs jeunes d’aujourd’hui, on peut vite se rendre compte du formatage : tous ont un coup fort et puissant avec une technique très similaire et des répétitions. Peu d’inventivité et d’originalité. Pour prendre une comparaison, les voitures ont toutes un moteur, une carrosserie, et des éléments d’aide à la conduite ; mais elles ont des formes et des puissances différentes.
Il y a un large choix… mais cela reste des machines. L’homme doit pouvoir s’exprimer librement sur un terrain avec des constantes techniques, tactiques, physiques et mentales, en soulignant leurs diversités.
Qui sont ces personnes qui veulent apprendre, jouer, progresser, gagner, s’amuser au tennis ?
C’est ce match auquel je vous propose d’assister maintenant. Comme toute bonne dialectique, comme tout bon match, ce livre se découpe en 3 parties : la première décrit les portraits, la deuxième concerne les séances et la troisième évoque la méthode d’une manière globale et détaillée.
Bonne lecture et bon divertissement.
Les joueurs sont prêts, jouer !
Le succès est une conséquence, non un but.
Gustave Flaubert
Gabriel a bourlingué, il a vécu dans différentes régions, côtoyé différents lieux, différentes personnes, différents personnages. Avec sa famille, ils ont décidé de se poser dans le sud de la France. Avant, il était propriétaire d’un pavillon dans un milieu rural et quelque peu désertique, maintenant il est propriétaire d’un appartement dans une grande ville de la « Riviera ». Indépendant dans l’esprit et dans les faits, il a appris à travailler dur. On a rien sans rien.
Physiquement, il se tient… à la rampe. Les tablettes de chocolat ont fondu, passé les 30 ans. Ça reste néanmoins son péché mignon. Il n’est pas très grand, mais l’essentiel, « c’est que les pieds touchent par terre » comme disait Coluche. Un léger surpoids dû à son âge, dira-t-on, et au manque d’activité physique. Ça paraît paradoxal qu’un sportif ne soit pas sportif, en même temps, demande-t-on à un pilote d’avion de ne se déplacer qu’en avion, à un boulanger de ne manger que du pain. Au contraire, son crédo est de faire courir et s’exprimer ceux qui viennent le voir, que ce soient des enfants ou des adultes. De visage, il y aurait un mélange entre Gai-Luron pour son aspect passif et Léonard de Vinci, pour ceux qui l’ont connu de son vivant (!), pour son regard expressif.
À bientôt 50 ans, sans club, comment s’est-il retrouvé à l’étranger, lui qui est plutôt sédentaire et pépère. Ça part d’un réseau. Un ami d’ami donne une information comme quoi un club de vacances cherche un enseignant pour un nouveau concept. L’annonce est formulée ainsi :
« Il faut un “prof” dispo, compétent, aimant le contact. »
Cela fait sourire cet enseignant, c’est un peu ce qui est demandé dans tous les postes à pourvoir. La différence, ici, c’est le cadre et le concept. Travailler 33 heures par semaine dans un hôtel 5 étoiles, avec un turn-over de joueurs quotidien. Autrement dit, il faut une capacité d’adaptation qui permette de donner de la qualité à tous sans savoir qui on aura la veille pour le lendemain. Gabriel est celui qu’il faut. De l’expérience, il en a à l’envi et de l’envie, il en a pour découvrir cette nouvelle façon d’enseigner. Sortir de sa zone de confort. C’est vrai qu’il a de l’expérience : plus de 30 ans de terrain, cela vous tanne une peau, un homme et un esprit. Le hic, c’est qu’il se retrouve avec des animateurs jeunes, même très jeunes, qui l’appellent tous papa ou tonton. Encore une raison de s’ouvrir et de progresser. Progresser pour devenir un meilleur être.
Un bon enseignant se remet en cause, c’est quasiment un euphémisme. Mais se remettre en cause, ce n’est pas que d’un point de vue tennistique. Toutes les facettes d’un homme sont à prendre en considération. L’aspect familial, physique (y paraît que ça se voit !), mental, voire spirituel.
Lui qui a enseigné aux petits que la mère dépose pour pouvoir aller faire ses courses tranquillement au supermarché, aux jeunes dont les parents sont collés au grillage à répéter – ou précéder – les consignes de l’enseignant. Lui qui a enseigné aux jeunes filles qui sont essentiellement là pour parler entre elles, et médire tant qu’on y est, aux filles que la compétition attire dans un sport où la grâce et le physique vont de pair. Lui qui a enseigné à des jeunes sûrs d’être les appelés sans faire trop d’efforts, et ceux qui s’échinent, mais qui n’ont pas ce petit « je ne sais quoi » qui pourra tout déclencher. Lui qui a enseigné à l’adulte fourbu après une journée de travail, et à l’oisif dans sa propriété privée – après que ce dernier ait raccroché le téléphone avec son ami à New York et pris un petit verre. Lui, enfin, qui a fait de la masse qualitative et non du chiffre purement financier.
§
Le départ se fait dans la précipitation : une semaine pour préparer les bagages et surtout profiter de sa famille à fond dans ce dernier laps de temps. Partir une saison, soit plus de 7 mois quand on a 20 ans, ce n’est pas pareil que lorsqu’on est mari et père. Gabriel ne prend vraiment conscience que le détachement, l’arrachement va être violent qu’une fois dans l’aérogare, quand les portes de l’enregistrement se ferment sur lui, il se rend compte alors que « ça y est ! ». Le bagage paraît très peu lourd comparé au poids sur le cœur. Laisser sa femme gérer la maisonnée seule pendant que lui sera H 24 dans un cocon. Dans un hôtel où il n’aura plus à se soucier de ce qu’il y a dans le réfrigérateur ni du linge à laver comme de la vaisselle et les sempiternelles tâches ménagères. Et surtout, laisser son enfant en se disant que « FaceTime » sera un palliatif. Mais la chaleur des câlins ne peut se transmettre à distance. Le pire, c’est que son enfant n’a pas voulu montrer l’arrachement et la douleur que cela lui provoquait. Du haut de ses 10 ans, il a voulu montrer que c’est un grand ; mais même les grands pleurs dans ce genre de situation. Comme dans la chanson «Orly» de Jacques Brel, « ces deux corps se déchirent, et je vous jure qu’ils crient ».
Reste que la décision est prise, voyons le côté positif, même si le moment est difficile ; c’est une aventure, une aventure enrichissante. Le trajet en avion est une formalité, on va vite de Nice à Athènes, et d’Athènes à Héraklion. L’arrivée à l’hôtel se fait tard dans la nuit, malgré ça, le chef de village l’accueille avec le sourire.
— C’est sympa d’être resté éveillé pour moi.
— C’est normal, tous nos intervenants sont traités avec la même considération, répond Nathan, le responsable.
Cela ne paraît pas grand-chose, mais cela montre l’importance du respect, et ça fait du bien. Néanmoins, Gabriel est impatient d’aller se coucher. La chambre est plutôt spartiate – c’est normal, on est chez les Grecs ! –, mais le confort y est, et de toute façon l’enseignant va passer ses journées dehors, pas allongé sur son lit. Réveil 7 heures, après une rapide toilette, Gabriel s’empresse d’aller au restaurant pour prendre son premier petit déjeuner… Il va falloir faire attention aux kilos ! Il y a pléthore de nourriture et de boissons. L’équipe d’animateurs est traitée comme les vacanciers, d’ailleurs elle mange avec eux. Pour le reste, Gabriel va vite prendre ses marques sur le terrain, sur les terrains : il y en a 4 en moquette, refaits à neufs avec éclairage à LED. Le summum. Avoir ces conditions donne envie de faire de son mieux. Lors de la réunion d’avant-saison, le chef du village précise les rôles de chacun. L’animateur tennis aura toutes latitudes pour s’organiser. Le top ! de la liberté dans un cadre. On est exactement dans le système de fonctionnement de Gabriel. Le fond rejoint la forme. Comme il aime laisser de la liberté dans une séance structurée, il constate qu’il en est de même pour l’organisation.
Si on ne sait pas où on va,
on est sûr d’aller dedans… dans le mur
Eléonore Roosevelt
Charmant couple du centre de la France, Bruno et Jeanine sont l’archétype de la famille moyenne française. Leur philosophie est pourtant très américaine « il faut vivre pour travailler » même s’ils voudraient pouvoir dire le contraire : « travailler pour vivre » et prendre des vacances.
Ils résident dans un pavillon qui est au beau milieu d’un lotissement, lui-même en bordure d’une ville moyenne du Cantal.
Le portrait de Bruno serait mi-Bouddha mi-Napoléon, assez rondouillard, pas très grand avec un nez fort et une mèche de cheveux courant sur son front. Il aime boire… mais pas trop, il aime travailler… mais pas trop, il aime sa femme… mais pas… non ! Il aime sa femme pour plein de vraies raisons et parce qu’elle lui fait à manger, le ménage, s’occupe des enfants, des courses, elle prend en charge la décoration du pavillon, son entretien et quand il manque d’apéro, elle court ravitailler. En fait, Jeanine c’est un mélange entre l’une des 3 Baigneuses de Cezanne et mère Theresa. Son physique ne la préoccupe pas trop, juste un peu quand même. Elle est de cette génération où la femme s’occupe du foyer pendant que l’homme va travailler à l’extérieur, mais on dirait qu’elle ne s’est pas rendu compte qu’elle travaillait tout autant que lui en dehors, voire plus. « La deuxième journée commence quand la première est finie » n’est pas un vain mot (maux) pour elle.
Le choix de la destination est souvent orienté par des priorités : continent, soleil, prix, infrastructures. Bruno a une idée derrière la tête :
— Ces vacances de février, je les veux pas trop loin, mais là où il y a du soleil, un prix abordable, des gens adorables et avec tout à disposition. Je veux du « doigts pieds en éventail ». Des collègues sont allés en Crète, c’est une île près de la Grèce, mais ne t’inquiète pas, on ne fait pas beaucoup de graisse là-bas. Le régime crétois est même réputé très sain.
— D’accord, je chercherai sur internet, au bureau. Et ce soir, je te dirai ce que j’ai trouvé, répond sa femme intéressée et intriguée.
Jeanine est assistante de direction ; elle a son propre bureau et peut facilement s’isoler. Bruno est commercial dans l’automobile. Il a toujours aimé le sport, la bouffe, le soleil et les filles dans cet ordre ou dans un autre…
Le soir venu, Jeanine est toute fière de montrer, sur l’ordi familial, à son mari la documentation qu’elle a trouvée. Heureusement, elle ne l’a pas imprimé (merci pour la planète !).
Elle parle pleine d’enthousiasme à l’instar d’une jeune inspectrice de police :
— Chéri, il ressort de mes investigations un hôtel en « all inclusive » avec plusieurs piscines, plusieurs restos, bars et soirées. Il se situe en bord de mer et les activités sportives sont comprises dans le prix. Pour les enfants, il y a même un club ! Il y a des promotions si on se décide vite.
Dans la tête de Bruno, ça y est, il y est déjà (surtout en voyant les images, la possibilité de boire, faire la fête et du sport, enfin peut-être pour le sport, faut voir !).
— Ouah, chérie, tu m’emballes ; viens que je t’emballe ! On part, je prends les balles… de tennis, les boules… de pétanque et le maillot de bain.
— Oui, mais faut qu’on se décide avant la fin de la semaine.
— C’est OK, j’ai des congés à prendre. En plus les enfants seront contents ».
C’est vrai que les enfants, on les aime plus que tout au monde, mais des fois on ne sait qu’en faire. Surtout quand les vacances arrivent ; les envoyer à la montagne faire de l’archéologie ou chez les grands-parents pour regarder les « feux de l’amour » avec mamie ? Dans les deux cas, ils seront en présence de fossiles… Là, s’ils viennent avec les parents, ils seront contents (et réciproquement). En plus ils ne mangeront pas n’importe quoi.
Donc, pour ces vacances ça ne sera ni colo, ni grands-parents, mais l’hôtel. Et quand les parents leur ont dit « piscines, mer, resto à volonté », quels enfants peuvent résister ?
§
Le départ depuis leur domicile s’organise. L’aéroport le plus pratique est à Paris, ça fait un bout, mais les tarifs proposés sont vraiment incitatifs. Juliette, qui a 8 ans, va louper l’école. En CM1, ce n’est pas trop grave de rater une semaine de classe. Pour Roméo, c’est la même chose. Il vient d’avoir ses 6 ans. Les prénoms peuvent prêter à sourire, mais Jeanine voulait montrer qu’elle s’était inspirée non pas des téléfilms sponsorisés par des savons, mais qu’elle avait lu ou vu ou entendu l’histoire écrite par un certain « chèque expire » ! C’est vrai qu’ils auraient pu les faire garder par leurs parents, mais au vu des tarifs du séjour ça serait dommage de ne pas leur en faire profiter. Ainsi, toute la famille part tôt le samedi pour monter à la capitale et se retrouver dans l’avion à midi.
Première pour les enfants ; d’habitude les avions, ils les voient haut, dans le ciel, là ils sont dedans. C’est super… impressionnant. Ils auront plein de choses à raconter aux copains et copines à leur retour, et encore, ils n’ont pas vu l’hôtel et le club junior. Arrivés à destination, un bus se charge d’eux. Ils se sentent déjà comme des coqs en pâte. Le leitmotiv de l’organisateur du séjour pourrait être : « Plus besoin de réfléchir, on s’occupe de tout ». Ces vacances commencent vraiment bien. Plus encore à l’arrivée à destination. C’est mieux que sur les photos que Jeanine avait montrées. On s’extasie. Reste à organiser le séjour.
La vie est un éternel recommencement,
ma vie est un éphémère recommencement
Taha-Hassine Ferhat
La maison familiale est isolée dans la campagne, c’est la même depuis plusieurs générations. Jacques bosse dans la Beauce, comme le faisaient ses parents. Il y est manutentionnaire et travaille de nuit… Son usine se trouve à plus de 40 kilomètres, mais il refuse de s’en rapprocher, alors il prend le bus à 18 heures et rentre le matin. Il veut garder le bien familial coûte que coûte ! Il n’y a pas grand-chose à proximité, mais on utilise la voiture de manière efficace : en emmenant les enfants à l’école le matin, Maryse fait le crochet par la boulangerie, la charcuterie, la boucherie, la fromagerie, la crèmerie et l’épicerie habituelles. Femme ordinaire, elle aime les rituels. Chaque lundi, elle fait sa machine et étend le linge, le mercredi, le repasse et le range. Comme ça, il est prêt le pour dimanche suivant. Une fois par mois, elle a son rendez-vous chez Yvette, sa créatrice et artiste capillaire, sa coiffeuse quoi ! Rien ne pourra lui enlever ses petites habitudes, c’est tellement rassurant. Le samedi c’est le jour du supermarché, il y a toujours foule, mais c’est pas grave, c’est comme ça et elle aime ça. Maryse pourrait ressembler à la Reine Victoria habillée à la mercerie du coin. Toujours avec sa blouse à la maison :
— C’est pas joli, mais c’est pratique, aime-t-elle répéter.
C’est le genre de femme qui cuisine et qui coupe le rôti à chaque extrémité avant de le mettre au four… pourquoi ?
— Parce qu’on a toujours fait comme ça ! Ah ! cette sempiternelle réponse !
Sa fille Constance, qui arrive dans l’âge où on se pose des questions, veut une autre explication que celle-ci, si simpliste. Comme sa mère lui a dit que c’était parce que sa propre mère le faisait, elle est allée trouver sa grand-mère maternelle, qui habite juste à côté, pour avoir l’explication.
Jeanne est une femme bien sous tous rapports, tout est en ordre chez elle, pas de poussière sur les bibelots et les napperons sur le canapé sont bien blancs et repassés. Quand sa petite-fille vient, elle lui propose un friand (toujours la même friandise !) et lui demande d’enlever ses chaussures pour « pas salir, tu comprends ? ». Quand la petite lui pose la question des extrémités du rôti, Jeanne se trouve bien embêtée. C’est vrai qu’elle-même a toujours fait comme ça. Faut dire que ça remonte à sa propre mère. Pour en avoir le cœur net, et aussi parce que Constance a la chance d’avoir encore son arrière-grand-mère, elle demande à la voir.
Gertrude vit aux « Lilas mauve » – à l’E.H.P.A.D., quoi ! – Pourquoi toujours ces noms aussi… comment dire ? … aussi cucul à ces établissements qui accueillent nos aînés. Avec sa maman, elles vont lui rendre visite et au cours de la conversation, la petite-petite fille pose la question fatidique du rôti coupé aux bouts. Gertrude, bien installée dans son fauteuil et dans ses 90 ans, a toute sa tête et sa réponse tombe comme un couperet : « bah, ma pauv’fille, je coupais les bouts parce que sinon le rôti rentrait pas dans le plat ! ».
§
Physiquement, Jacques est un savant mélange de l’abbé Pierre avec son béret et ses lunettes et le roi Charles d’Angleterre pour ses oreilles et son corps élancé. À force de pratique, il sait précisément le temps pour arriver à l’aéroport. Il sait où garer le véhicule, assez loin pour éviter la proximité des autres et les coups de portières sur sa voiture qui a tout de même 15 ans cette année, mais assez près pour n’avoir que dix minutes de marche et atteindre la zone d’embarquement.
Le trajet a un air de déjà-vu. Souvent dans les aéroports, les gens semblent perdus. Ils suivent les panneaux lumineux comme de brebis égarées ou de sages moutons, c’est au choix. D’autres s’appuient sur leur téléphone portable pour que leur famille indique la route à suivre dans cet immense labyrinthe :
— Tu vois la croissanterie, tu tournes à gauche, après t’as les toilettes, tu continues tout droit – sauf si tu as envie de t’arrêter, ah ah ! après tu arriveras dans le grand hall, on est sous le panneau des arrivées.
Force de l’habitude, ce séjour ressemble aux autres ; comme une famille qui va au même endroit depuis des décennies, elle sait qu’elle peut changer, mais elle reste toujours au même lieu.
La famille Dupont est fidèle. Fidèle, on peut même dire routinière. Pourquoi changer quand on est aussi bien ? Jacques, Maryse, Constance, Eléonore et Baptiste viennent depuis maintenant 5 ans dans cet établissement.
Mais si eux n’ont pas changé de destination, l’hôtel, lui, propose de la nouveauté. Ils avaient droit à un restaurant inclus dans le prix, maintenant il y en a trois. Avant les sorties étaient payantes, maintenant elles sont incluses. Avant les cours de tennis étaient collectifs, classés par niveaux (débutants, confirmés, compétition), maintenant, c’est dû « à la carte ».
Entre parenthèses, c’est vrai que le système d’organisation des cours par niveau était particulièrement subjectif :
— Qui décide que j’ai un bon niveau parce que j’ai 10 ans de tennis ? Moi !